Language of document : ECLI:EU:C:2020:147

ORDONNANCE DE LA COUR (grande chambre)

3 mars 2020 (*)

« Audition de témoins »

Dans l’affaire C‑791/19 R,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE et de l’article 160, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, introduite le 23 janvier 2020,

Commission européenne, représentée par Mme K. Banks ainsi que par MM. H. Krämer et S. L. Kalėda, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

Royaume de Belgique, représenté par Mmes C. Pochet, M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

Royaume de Danemark, représenté par Mme M. S. Wolff, en qualité d’agent,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, H. Shev, J. Lundberg et H. Eklinder, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

contre

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice‑présidente, MM. J.‑C. Bonichot, M. Vilaras, E. Regan, S. Rodin et P. G. Xuereb, présidents de chambre, M. E. Juhász, Mme C. Toader, MM. D. Šváby, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, N. Piçarra et N. Wahl, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par une requête déposée au greffe de la Cour le 25 octobre 2019, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent :

a)      en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE :

–        en permettant que le contenu des décisions judiciaires puisse être qualifié d’infraction disciplinaire concernant les juges des juridictions de droit commun [article 107, paragraphe 1, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001 (Dz. U. de 2001, n° 98, position 1070), telle que modifiée (Dz. U. de 2019, position 1495) (ci-après la « loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun »), et article 97, paragraphes 1 et 3, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), telle que modifiée (Dz. U. de 2019, position 825) (ci-après la « loi sur la Cour suprême »)] ;

–        en ne garantissant pas l’indépendance et l’impartialité de l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) (ci-après la « chambre disciplinaire »), à laquelle incombe le contrôle des décisions rendues dans les procédures disciplinaires contre les juges [article 3, point 5, article 27 et article 73, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême, en lien avec l’article 9 bis de l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U.  de 2011, position 714), telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3)] ;

–        en conférant au président de la chambre disciplinaire le pouvoir discrétionnaire de désigner le tribunal disciplinaire compétent en première instance dans les affaires relatives aux juges des juridictions de droit commun (article 110, paragraphe 3, et article 114, paragraphe 7, de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun) et, partant, en ne garantissant pas que les affaires disciplinaires soient examinées par un tribunal « établi par la loi », et

–        en conférant au ministre de la Justice le pouvoir de nommer un agent disciplinaire du ministre de la Justice (article 112 b de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun) et, partant, en ne garantissant pas que les affaires disciplinaires contre les juges des juridictions de droit commun soient examinées dans un délai raisonnable, ainsi qu’en prévoyant que les actes liés à la désignation d’un conseil et à la prise en charge de la défense par celui-ci n’ont pas d’effet suspensif sur le déroulement de la procédure disciplinaire (article 113 a de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun) et que le tribunal disciplinaire mène la procédure même en cas d’absence justifiée du juge mis en cause, informé, ou de son conseil (article 115 a, paragraphe 3, de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun), et, partant, en n’assurant pas les droits de la défense des juges des juridictions de droit commun qui sont mis en cause ;

b)      en vertu de l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, en permettant que le droit des juridictions de saisir la Cour de demandes de décision préjudicielle soit limité par la possibilité d’engager une procédure disciplinaire.

2        Par la présente demande de mesures provisoires, la Commission demande à la Cour :

a)      d’ordonner à la République de Pologne, dans l’attente de l’arrêt de la Cour statuant sur le fond :

–        de suspendre l’application des dispositions de l’article 3, point 5, de l’article 27 et de l’article 73, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême, constituant le fondement de la compétence de la chambre disciplinaire pour statuer, tant en première instance qu’en instance d’appel, dans les affaires disciplinaires relatives à des juges ;

–        de s’abstenir de transmettre les affaires pendantes devant la chambre disciplinaire à une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance définies, notamment, dans l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), et

–        de communiquer à la Commission, au plus tard un mois après la notification de l’ordonnance de la Cour ordonnant les mesures provisoires sollicitées, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de se conformer pleinement à cette ordonnance ;

b)      de condamner la République de Pologne aux dépens de l’instance.

3        Par ailleurs, la Commission signale qu’elle se réserve le droit de soumettre une demande complémentaire visant à ce que soit ordonné le paiement d’une astreinte si jamais il ne découlait pas des informations notifiées à la Commission que la République de Pologne respecte pleinement les mesures provisoires ordonnées à la suite de sa demande en référé.

4        Le 13 février 2020, la République de Pologne a présenté des observations écrites par lesquelles elle demande à la Cour :

–        de rejeter la demande de mesures provisoires de la Commission, en ce qu’elle est manifestement irrecevable, la Cour n’étant pas compétente pour prononcer les mesures demandées, étant donné que ces mesures sont manifestement contraires au principe d’inamovibilité des juges et, de surcroît, qu’elles n’ont pas pour but d’assurer la mise en œuvre pleine et entière de l’arrêt à venir ;

–        à titre subsidiaire, dans le cas où il ne serait pas fait droit à la demande précédente, de rejeter la demande de mesures provisoires de la Commission, en ce qu’elle est infondée, étant donné qu’elle ne satisfait à aucune des conditions auxquelles l’octroi des mesures provisoires est soumis, en raison de l’absence de fumus boni juris, de l’absence d’urgence ainsi que de l’absence d’intérêt supérieur justifiant l’application de telles mesures, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

5        Dans ses observations, la République de Pologne demande, en outre, en application de l’article 66, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, que MM. P. S. Niedzielak et K. K. Wytrykowski, juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), soient entendus par la Cour comme témoins, afin d’établir s’il existe des faits et des circonstances indiquant un risque de survenance d’un préjudice grave et irréparable pour le fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union européenne en cas de poursuite des activités judiciaires de la chambre disciplinaire jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour statuant sur le fond.

6        Au soutien de sa demande, la République de Pologne fait, en substance, valoir que, en tant que juges de la chambre disciplinaire, MM. P. S. Niedzielak et K. K. Wytrykowski sont à même d’éclairer la Cour sur les garanties d’indépendance que présentent les juges de cette chambre, sur le déroulement des activités judiciaires de ladite chambre s’agissant des affaires disciplinaires concernant des juges et sur le point de savoir, d’une part, si ces activités peuvent donner l’impression objective d’une absence d’indépendance de la chambre disciplinaire, et, d’autre part, s’il existe un risque d’exercice d’une influence sur les activités de la même chambre par les représentants du pouvoir exécutif ou législatif et si des tentatives d’exercice d’une telle influence ont effectivement eu lieu.

7        Il convient de relever que, en vertu de l’article 64, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Cour fixe les mesures d’instruction qu’elle juge convenir. Parmi ces mesures figure, aux termes du paragraphe 2, sous c), de cet article 64, la « preuve par témoins ».

8        À cet égard, en application de l’article 66 du règlement de procédure, intitulé « Preuve par témoins », une partie à la procédure peut présenter, afin d’établir certains faits, une demande tendant à l’audition d’un témoin, en indiquant avec précision les faits sur lesquels il y a lieu de l’entendre et les raisons de nature à justifier son audition.

9        Toutefois, selon une jurisprudence constante de la Cour, même si une demande d’audition de témoins indique avec précision les faits sur lesquels il y a lieu d’entendre le ou les témoins et les motifs de nature à justifier leur audition, la Cour est seule compétente pour apprécier la pertinence de la demande par rapport à l’objet du litige et à la nécessité de procéder à l’audition des témoins cités (voir, en ce sens, ordonnance du 3 décembre 2019, Fruits de Ponent/Commission, C‑183/19 P, non publiée, EU:C:2019:1039, point 45 et jurisprudence citée).

10      En l’occurrence, la Cour dispose, dans le dossier afférent à la présente demande de mesures provisoires, des éléments nécessaires pour statuer sur cette demande, qui a trait au régime juridique adopté et appliqué par la République de Pologne en ce qui concerne, notamment, la nomination des juges de la chambre disciplinaire. Dans ces conditions, des éclaircissements par voie de témoignages sur les aspects évoqués au point 6 de la présente ordonnance ne paraissent pas utiles pour statuer sur ladite demande.

11      En conséquence, il convient de rejeter la demande d’audition de témoins présentée par la République de Pologne.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) ordonne :

La demande d’audition de témoins présentée par la République de Pologne est rejetée.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.