Language of document : ECLI:EU:T:2019:737

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

10 octobre 2019 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale FITNESS – Motifs absolus de refus – Décision prise à la suite de l’annulation par le Tribunal d’une décision antérieure – Article 65, paragraphe 6, du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 72, paragraphe 6, du règlement (UE) 2017/1001] – Production de preuves pour la première fois devant la chambre de recours »

Dans l’affaire T‑536/18,

Société des produits Nestlé SA, établie à Vevey (Suisse), représentée par Mes A. Jaeger-Lenz, A. Lambrecht et C. Elkemann, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. V. Ruzek et H. O’Neill, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

European Food SA, établie à Drăgăneşti (Roumanie), représentée par Mes I. Speciac, R. Dincă, I.-F. Cofaru, V.-F. Diaconită et V. Stănese, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 6 juin 2018 (affaire R 755/2018-2), relative à une procédure de nullité entre European Food et la Société des produits Nestlé,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. M. Collins (rapporteur), président, R. Barents et J. Passer, juges,

greffier : M. I. Dragan, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2018,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 6 décembre 2018,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 10 décembre 2018,

à la suite de l’audience du 16 mai 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 20 novembre 2001, la requérante, la Société des produits Nestlé SA, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal FITNESS.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 29, 30 et 32 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 29 : « Lait, crème, beurre, fromage, yoghourts et autres préparations alimentaires à base de lait, succédanés d’aliments laitiers, œufs, gelées, fruits, légumes, préparations de protéines pour l’alimentation humaine » ;

–        classe 30 : « Céréales et préparations de céréales ; céréales prêtes à consommer ; céréales pour le petit-déjeuner ; produits alimentaires à base de riz ou de farine » ;

–        classe 32 : « Eaux plates, eaux gazeuses ou gazéifiées, eaux de source, eaux minérales, eaux aromatisées, boissons aux fruits, jus de fruits, nectars, limonades, sodas et autres boissons non alcoolisées, sirops et autres préparations pour faire des sirops et autres préparations pour faire des boissons ».

4        Le 30 mai 2005, la marque demandée a été enregistrée en tant que marque de l’Union européenne, sous le numéro 2470326, pour les produits visés au point 3 ci‑dessus (ci‑après la « marque contestée »).

5        Le 2 septembre 2011, l’intervenante, European Food SA, a présenté une demande en nullité de la marque contestée au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 59 paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), dudit règlement [devenu article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement 2017/1001].

6        Le 18 octobre 2013, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité dans son intégralité.

7        Le 16 décembre 2013, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation. Au cours de la procédure de recours, l’intervenante a produit de nouvelles preuves à l’appui de sa revendication selon laquelle le terme « fitness » avait un contenu descriptif.

8        Par décision du 19 juin 2015 dans l’affaire R 2542/2013–4 (ci-après la « décision antérieure »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté ce recours. En particulier, elle a rejeté comme tardives, sans les prendre en considération, les preuves introduites pour la première fois devant elle.

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 août 2015, l’intervenante a formé un recours contre la décision antérieure.

10      Par arrêt du 28 septembre 2016, European Food/EUIPO – Société des produits Nestlé (FITNESS) (T‑476/15, ci-après l’« arrêt d’annulation », EU:T:2016:568), le Tribunal a annulé la décision antérieure. Il a constaté, notamment, que l’article 76 du règlement no 207/2009 [devenu article 95 du règlement 2017/1001], lu conjointement avec le règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1) [remplacé par le règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1)], et, plus précisément, avec la règle 37, sous b), iv), du règlement no 2868/95 [devenue article 12, paragraphe 4, du règlement 2018/625], n’impliquerait pas que des preuves ayant été introduites pour la première fois devant la quatrième chambre de recours devraient être considérées comme tardives par cette dernière dans le cadre d’une procédure de nullité pour un motif absolu de refus (arrêt d’annulation, point 58). Partant, le Tribunal a jugé que la quatrième chambre de recours avait commis une erreur de droit en ce qu’elle avait décidé de ne pas prendre en considération, à cause de leur introduction tardive, les éléments de preuve produits par l’intervenante pour la première fois devant elle (arrêt d’annulation, point 66).

11      L’EUIPO a formé un pourvoi contre l’arrêt d’annulation. Par son arrêt du 24 janvier 2018, EUIPO/European Food (C‑634/16 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2018:30), la Cour a rejeté le pourvoi. Elle a conclu que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 58 de l’arrêt d’annulation, que les preuves présentées pour la première fois devant la quatrième chambre de recours ne devaient pas être considérées, en toutes circonstances, comme étant tardives (arrêt sur pourvoi, point 45).

12      La Cour a précisé que, contrairement à ce qu’affirmait l’EUIPO, l’arrêt d’annulation ne privait pas la chambre de recours du pouvoir qui lui était conféré par l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 [devenu article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001] d’apprécier si les preuves produites pour la première fois devant elle pouvaient être prises en compte. À cet égard, la Cour a constaté qu’il ressortait du point 66 de l’arrêt d’annulation non que l’EUIPO ne pouvait faire usage de son pouvoir d’appréciation, mais que, en considérant que les éléments de preuve produits par l’intervenante pour la première fois devant la quatrième chambre de recours ne devaient pas être pris en considération au motif de leur introduction tardive, ladite chambre de recours avait commis une erreur de droit (arrêt sur pourvoi, point 53).

13      La décision antérieure ayant été annulée, le présidium des chambres de recours a demandé à la deuxième chambre de recours de prendre les mesures nécessaires à l’exécution des arrêts. Par décision du 6 juin 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours a annulé la décision de la division d’annulation du 18 octobre 2013.

14      À la lumière, notamment, des éléments de preuve déposés par l’intervenante devant la quatrième chambre de recours lors de la procédure ayant mené à la décision antérieure, que cette dernière n’avait pas pris en considération au motif qu’ils étaient tardifs, ayant été produits pour la première fois devant elle, la deuxième chambre de recours a déclaré la nullité de la marque contestée en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009.

15      La deuxième chambre de recours a observé, au point 25 de la décision attaquée, qu’il découlait des arrêts sur pourvoi et d’annulation qu’elle était obligée d’examiner le recours devant elle en tenant compte cette fois des éléments de preuve présentés pour la première fois devant la quatrième chambre de recours dans l’affaire ayant mené à la décision antérieure.

16      Sur le fond, en premier lieu, elle a décidé que, le terme « fitness » étant un mot anglais, le public pertinent était le public anglophone de l’Union européenne et, dans la mesure où les produits en cause étaient des boissons et produits alimentaires courants, le public pertinent comprenait le consommateur moyen du grand public, censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

17      En deuxième lieu, en application de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009, elle a décidé que le terme « fitness » était, à la date pertinente, et demeurait à ce jour, un mot étroitement lié à la santé, au bien‑être et à la bonne condition physique. Selon elle, les consommateurs relient ce mot à une caractéristique intrinsèque des produits en cause et le public pertinent perçoit le terme « fitness » non comme une indication de l’origine commerciale de ces produits, mais comme un signe qui souligne leurs qualités et caractéristiques bénéfiques pour la santé. Or, pour la chambre de recours, le terme « fitness » est un mot qui doit rester libre pour que les concurrents puissent l’utiliser légitimement en rapport avec des boissons et produits alimentaires consommés afin de garder ou d’atteindre un bon niveau de forme.

18      En troisième lieu, en application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, la deuxième chambre de recours a décidé que le public pertinent ne percevrait pas le terme « fitness » comme une indication de l’origine commerciale des produits en cause, mais comme un simple rappel du fait que ces produits étaient essentiels à une bonne santé ou un bon niveau de forme. Il s’agit donc, selon la chambre de recours, d’un message purement informatif, immédiatement compris par le public pertinent comme un message général servant à souligner les aspects positifs desdits produits. Dès lors, la marque contestée serait dépourvue de caractère distinctif.

19      En quatrième lieu, la deuxième chambre de recours a décidé que la marque contestée n’avait pas acquis, pour les produits en cause, un caractère distinctif après l’usage qui en avait été fait au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 (devenu article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001), car la titulaire de la marque contestée n’avait produit aucune preuve du caractère distinctif acquis pour aucun État membre anglophone de l’Union, à savoir Malte, l’Irlande et le Royaume-Uni.

 Conclusions des parties

20      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

21      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

22      À l’appui du recours, la requérante soulève quatre moyens, respectivement tirés, le premier, d’une violation de l’article 65, paragraphe 6, du règlement no 207/2009 (devenu article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001), le deuxième, d’une violation de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, le troisième, d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et, le quatrième, d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement. En substance, elle soutient, d’une part, que l’EUIPO n’a pas pris les mesures que comporte l’exécution des arrêts sur pourvoi et d’annulation et que, en agissant de la sorte, il a omis d’exercer son pouvoir d’appréciation et son obligation de motivation et, d’autre part, que la marque contestée ne revêt pas un caractère descriptif pour les produits en cause et jouit du caractère distinctif requis pour ceux-ci.

23      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

24      Il convient de traiter ensemble les premier et deuxième moyens, les arguments étant étroitement liés.

25      Par son premier moyen, la requérante affirme que la deuxième chambre de recours, en considérant, d’une part, que la Cour avait confirmé l’arrêt d’annulation, en ce sens que la quatrième chambre de recours aurait dû considérer que les éléments de preuve produits pour la première fois dans le cadre du recours devant elle étaient recevables, et en concluant, d’autre part, qu’elle était obligée de les prendre en considération dans le cadre de son réexamen de la décision de la division d’annulation du 18 octobre 2013, a mal interprété l’arrêt sur pourvoi, et ne s’y est pas conformée, ceci en violation de l’article 65, paragraphe 6, du règlement no 207/2009.

26      Par son deuxième moyen, la requérante affirme que, en agissant de la sorte, la deuxième chambre de recours aurait également violé l’article 76, paragraphe 2, du règlement  no 207/2009 en ce que, premièrement, elle s’est estimée dépourvue de tout pouvoir d’appréciation aux fins d’une prise en compte éventuelle des éléments de preuve en cause, deuxièmement, en conséquence de cette erreur, elle n’a pas dûment pris en considération l’ensemble des circonstances pertinentes et, troisièmement, elle a erronément omis de motiver sa décision.

27      L’EUIPO relève que, en l’espèce, le constat, au point 66 de l’arrêt d’annulation, selon lequel la quatrième chambre de recours avait commis une erreur de droit en considérant que les éléments de preuve produits par la requérante pour la première fois devant elle ne devaient pas être pris en compte en raison de leur introduction tardive, indique, de façon univoque, que les éléments de preuve en cause auraient dû être considérés comme étant recevables et auraient dû être pris en compte. Il estime que cette interprétation de l’arrêt d’annulation est renforcée par le constat, au point 68 du même arrêt, selon lequel il ne saurait être exclu que les preuves que la quatrième chambre de recours a indûment refusé de prendre en considération puissent être de nature à modifier le contenu de la décision attaquée.

28      L’EUIPO affirme donc que la conclusion selon laquelle, en l’espèce, les éléments de preuve produits pour la première fois devant la quatrième chambre de recours devaient être considérés comme recevables et examinés sur le fond, s’imposait à la deuxième chambre de recours conformément à l’article 65, paragraphe 6, du règlement no 207/2009.

29      En outre, l’EUIPO estime que cette conclusion n’est pas remise en cause par l’arrêt sur pourvoi, par lequel la Cour a approuvé les conclusions du Tribunal, à l’exception, au point 56 de l’arrêt d’annulation, de celle selon laquelle le règlement no 207/2009 ne contenait aucune disposition établissant un délai pour la présentation des preuves. La Cour aurait toutefois précisé que cette erreur de droit n’avait pas d’incidence sur la légalité de l’arrêt d’annulation, dans la mesure où le Tribunal avait fondé l’annulation de la décision antérieure non sur l’inexistence d’un délai pour la présentation de preuves, mais sur le fait que la quatrième chambre de recours avait décidé à tort que les éléments de preuve produits par la requérante pour la première fois devant la chambre de recours ne devaient pas être pris en considération au motif de leur introduction tardive. La Cour a donc jugé que le dispositif de l’arrêt d’annulation était fondé pour d’autres motifs de droit invoqués dans l’arrêt d’annulation lui-même. Selon l’EUIPO, la Cour a constaté qu’aucune erreur de droit n’a été commise en ce qui concerne l’application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 aux faits de l’espèce et, partant, elle a rejeté le pourvoi.

30      Par souci d’exhaustivité, l’EUIPO ajoute que, à la lumière des considérations exposées dans l’arrêt sur pourvoi, les éléments de preuve en cause doivent être jugés recevables. Tout d’abord, ils seraient soit des preuves supplémentaires à celles présentées à l’instance devant la division d’annulation, soit des preuves portant sur un élément nouveau qui ne pouvait être soulevé au cours de ladite instance. Ensuite, l’intervenante ne serait pas obligée de démontrer qu’elle était dans l’impossibilité de présenter lesdits éléments de preuve à une date antérieure. Enfin, il serait incontestable que les éléments de preuve en cause étaient susceptibles de revêtir une réelle importance au sens du point 57 de l’arrêt sur pourvoi, ceci ayant été étayé par le fait que, contrairement à la décision antérieure, il a été conclu, dans la décision attaquée, que la marque contestée tombait sous le coup de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009.

31      Enfin, selon l’EUIPO la requérante a tort d’affirmer que l’intervenante aurait dû justifier les raisons pour lesquelles ces preuves avaient été introduites à ce stade de la procédure et de démontrer l’impossibilité d’une telle présentation au cours de l’instance devant la division d’annulation. Il ressortirait clairement de la jurisprudence antérieure qu’il ne saurait être exigé d’une partie qu’elle démontre qu’elle était dans l’impossibilité de présenter les éléments de preuve concernés à un stade antérieur de la procédure administrative. L’EUIPO affirme que toute autre conclusion priverait de tout effet utile l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 et irait à l’encontre des considérations exposées par la Cour, aux points 55 et 58 de l’arrêt sur pourvoi, établissant, d’une part, que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation et, d’autre part, que l’éventuelle prise en compte des éléments supplémentaires ne constitue en aucune manière une faveur accordée à l’une ou à l’autre partie.

32      L’intervenante affirme que la décision attaquée a été rendue en application de l’arrêt sur pourvoi. Elle affirme que, étant donné que les éléments de preuve en cause avaient été produits en temps utile devant la quatrième chambre de recours, la deuxième chambre de recours n’était pas autorisée à exercer un quelconque pouvoir d’appréciation quant à leur recevabilité.

33      À titre liminaire, il convient de constater que, en l’espèce, d’une part, la règle 37, sous b), iv), du règlement no 2868/95 s’applique en vertu de l’article 80 et de l’article 82, paragraphe 2, sous f), du règlement 2018/625 et, d’autre part, il n’existe pas de différence matérielle entre les dispositions pertinentes du règlement no 207/2009 et celles du règlement no 2017/1001.

34      Il convient de rappeler, ensuite, que, dans le cadre d’un recours introduit devant le juge de l’Union contre la décision d’une chambre de recours de l’EUIPO, ce dernier est tenu, en vertu de l’article 266 TFUE et de l’article 65, paragraphe 6, du règlement no 207/2009, de prendre les mesures que comporte l’exécution d’un éventuel arrêt d’annulation du juge de l’Union.

35      Pour se conformer à l’arrêt d’annulation et lui donner pleine exécution, l’institution dont émane l’acte annulé est tenue de respecter non seulement le dispositif de l’arrêt, mais également les motifs qui ont mené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif. Ce sont, en effet, ces motifs qui, d’une part, identifient la disposition exacte considérée comme illégale et, d’autre part, font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée dans le dispositif et que l’institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l’acte annulé [arrêts du 13 avril 2011, Safariland/OHMI – DEF-TEC Defense Technology (FIRST DEFENSE AEROSOL PEPPER PROJECTOR), T‑262/09, EU:T:2011:171, point 41, et du 8 juin 2017, Bundesverband Deutsche Tafel/EUIPO – Tiertafel Deutschland (Tafel), T‑326/16, non publié, EU:T:2017:380, point 19].

36      En outre, selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas au Tribunal d’adresser à l’EUIPO des injonctions et il incombe à ce dernier de tirer, le cas échéant, les conséquences du dispositif et des motifs des arrêts du Tribunal [arrêts du 31 janvier 2001, Mitsubishi HiTec Paper Bielefeld/OHMI (Giroform), T‑331/99, EU:T:2001:33, point 33 ; du 13 juin 2007, IVG Immobilien/OHMI (I), T‑441/05, EU:T:2007:178, point 13, et du 6 octobre 2011, Bang & Olufsen/OHMI (Représentation d’un haut-parleur), T‑508/08, EU:T:2011:575, point 31].

37      Il doit également être rappelé que, en vertu de l’article 75, première phrase, du règlement no 207/2009 (devenu article 94, paragraphe 1, première phrase du règlement 2017/1001), les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Selon la jurisprudence, cette obligation a la même portée que celle consacrée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et son objectif est de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision [voir arrêt du 15 décembre 2016, Intesa Sanpaolo/EUIPO (START UP INITIATIVE), T‑529/15, EU:T:2016:747, point 14 et jurisprudence citée].

38      Enfin, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que, lorsqu’une institution est investie d’un pouvoir d’appréciation, elle doit exercer la plénitude de ce pouvoir (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 2011, Freistaat Sachsen/Commission, T‑357/02 RENV, EU:T:2011:376, point 45, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 90). Ainsi, l’auteur de l’acte doit être en mesure d’établir devant les juridictions de l’Union que celui-ci a été adopté moyennant un exercice effectif de son pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir (arrêt du 7 septembre 2006, Espagne/Conseil, C‑310/04, EU:C:2006:521, point 122).

39      En l’espèce, il ressort du point 25 de la décision attaquée que la deuxième chambre de recours a considéré qu’il découlait des arrêts sur pourvoi et d’annulation que les éléments de preuve présentés pour la première fois devant la quatrième chambre de recours devaient être pris en compte. Toutefois, il ne découle ni de l’arrêt sur pourvoi ni de l’arrêt d’annulation que la deuxième chambre de recours était obligée de prendre en considération les éléments de preuve en cause.

40      En premier lieu, le Tribunal a examiné, aux points 53 à 65 de l’arrêt d’annulation, la question de savoir si les preuves introduites pour la première fois devant la chambre de recours au titre d’une procédure de nullité pour un motif absolu devaient être considérées comme n’ayant pas été introduites en temps utile et donc comme tardives. Par sa conclusion, au point 66 de cet arrêt, le Tribunal a jugé uniquement que la quatrième chambre de recours avait commis une erreur de droit en considérant que les éléments produits devant elle pour la première fois ne devaient pas être pris en considération à cause de leur introduction tardive. Autrement dit, le seul fait que les éléments de preuve avaient été présentés pour la première fois devant la chambre de recours ne les rend ni tardifs ni, de ce fait, irrecevables.

41      En second lieu, le Tribunal a examiné, au point 67 de l’arrêt d’annulation, les conséquences qui devaient être tirées de l’erreur de droit constatée au point précédent en rappelant que, selon une jurisprudence établie, une irrégularité de procédure n’entraînait l’annulation en tout ou en partie d’une décision que s’il était établi que, en l’absence de cette irrégularité, la décision aurait pu avoir un contenu différent. Ensuite, le Tribunal a constaté, au point 68 de l’arrêt d’annulation, d’une part, qu’il ne saurait être exclu que les éléments de preuve que la quatrième chambre de recours avait indûment refusé de prendre en considération puissent être de nature à modifier le contenu de la décision antérieure et, d’autre part, qu’il ne lui appartenait pas de se substituer à l’EUIPO dans l’appréciation de ces éléments de preuve. Contrairement à ce qu’affirme l’EUIPO, ce point n’indique nullement que le Tribunal a jugé que ces éléments de preuve étaient recevables en l’espèce, mais uniquement que, à la lumière de l’erreur constatée au point 66, c’était une possibilité qui, si elle était avérée, pourrait rendre différent le contenu de la décision en cause.

42      Il va de soi que, s’il ne découle pas de l’arrêt d’annulation que la deuxième chambre de recours était obligée de prendre en considération les éléments de preuve en cause, la Cour n’a pas pu approuver l’arrêt d’annulation à cet égard.

43      Or, la Cour a précisé qu’il était toujours possible de présenter des preuves en temps utile pour la première fois devant la chambre de recours dans la mesure où elles visaient à contester les motifs retenus par la division d’annulation dans la décision litigieuse. Ces preuves sont, dès lors, soit des preuves supplémentaires à celles présentées à l’instance devant la division d’annulation, soit des preuves qui portent sur un élément nouveau qui ne pouvait être soulevé au cours de ladite instance. Il appartient à la partie qui présente ces preuves de justifier les raisons pour lesquelles ces preuves ont été introduites à ce stade de la procédure, ainsi que de démontrer l’impossibilité d’une telle présentation au cours de l’instance devant la division d’annulation (arrêt sur pourvoi, points 42 et 43).

44      Partant, contrairement à ce que soutient l’intervenante, les preuves présentées en temps utile pour la première fois devant la chambre de recours dans le cadre d’une procédure de nullité et qui sont soit des preuves supplémentaires à celles présentées à l’instance devant la division d’annulation, soit des preuves qui portent sur un élément nouveau qui ne pouvait être soulevé au cours de ladite instance, ne sont pas automatiquement recevables. Il appartient à la partie qui présente ces preuves de justifier les raisons pour lesquelles ces preuves ont été introduites à ce stade de la procédure, ainsi que de démontrer l’impossibilité d’une telle présentation au cours de l’instance devant la division d’annulation (arrêt sur pourvoi, point 43). Dans ces circonstances, il incombe à la chambre de recours d’évaluer le bien-fondé des raisons soulevées par la partie qui a présenté ces preuves afin d’exercer son pouvoir d’appréciation quant à leur prise en compte.

45      L’argument soulevé par l’EUIPO selon lequel cette interprétation nierait l’effet utile de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 ne saurait prospérer. Cette disposition s’applique en d’autres circonstances, y compris celles identifiées ci-après.

46      Il convient de rappeler que, selon l’article 76, paragraphe 2, du règlement  no 207/2009, l’EUIPO peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile. Il ressort du libellé de cette disposition et de l’arrêt d’annulation que l’EUIPO dispose d’une marge d’appréciation en vertu de cette disposition uniquement lorsque certaines preuves ont été produites tardivement (arrêt d’annulation, points 51 et 52). Ceci a également été constaté par la Cour, notamment au point 41 de l’arrêt sur pourvoi, dans le cadre de procédures d’opposition à l’enregistrement d’une marque et, aux points 54 et 55 dudit arrêt, dans le cadre de preuves présentées après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation en application des dispositions du règlement no 207/2009.

47      Il convient de constater que, à la lumière du fait que la chambre de recours a erronément considéré qu’il découlait des arrêts sur pourvoi et d’annulation qu’elle était obligée de prendre en compte les éléments de preuve en cause, la requérante affirme, à juste titre, que la chambre de recours a erronément omis d’exercer son pouvoir d’appréciation et de motiver sa décision concernant leur prise en compte, contraire à la jurisprudence citée aux points 37 et 38 ci‑dessus. Par ailleurs, l’EUIPO admet que la deuxième chambre de recours n’a pas exercé son pouvoir d’appréciation sur la prise en compte des éléments de preuve en cause, bien que, en principe, elle dispose d’un tel pouvoir.

48      Il s’ensuit que la deuxième chambre de recours a commis une erreur de droit en considérant, au point 25 de la décision attaquée, qu’il découlait des arrêts sur pourvoi et d’annulation que les éléments de preuve présentés pour la première fois devant la quatrième chambre de recours devaient être pris en compte. En agissant de la sorte, elle a violé l’article 65, paragraphe 6, du règlement no 207/2009 ainsi que son obligation d’exercer son pouvoir d’appréciation et son obligation de motivation.

49      S’agissant de l’argumentation supplémentaire, présentée par l’EUIPO par souci d’exhaustivité, selon laquelle, à la lumière des considérations exposées dans l’arrêt sur pourvoi, les éléments de preuve en cause doivent être jugés comme étant recevables, il convient de constater que, dès lors qu’il est constant que la question de la recevabilité des éléments de preuve présentés pour la première fois devant la chambre de recours n’a pas été examinée, le Tribunal n’est pas en droit d’apprécier lui-même cette question. En effet, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 65, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, le Tribunal effectue un contrôle de légalité des décisions de l’EUIPO (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 52). Il n’appartient pas au Tribunal de se substituer à l’EUIPO dans l’exercice des compétences dévolues à ce dernier par le règlement no 207/2009 [arrêt du 15 mars 2006, Athinaiki Oikogeniaki Artopoiia/OHMI – Ferrero (FERRÓ), T‑35/04, EU:T:2006:82, point 22].

50      Partant, il y a lieu d’accueillir les premier et deuxième moyens et, par conséquent, d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les troisième et quatrième moyens.

 Sur les dépens

51      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante. L’intervenante, ayant succombé en ses conclusions, est condamnée à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 6 juin 2018 (affaire R 755/2018-2) est annulée.

2)      L’EUIPO supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Société des produits Nestlé SA.

3)      European Food SA supportera ses propres dépens.

Collins

Barents

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 octobre 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.