Language of document : ECLI:EU:C:2019:356

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

2 mai 2019 (*)

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Enregistrement international désignant l’Union européenne – Marque figurative NUIT PRECIEUSE – Rejet de la demande en nullité »

Dans l’affaire C‑739/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 28 novembre 2018,

Chefaro Ireland DAC, établie à Dublin (Irlande), représentée par Mes P. Maeyaert et J. Muyldermans, advocaten,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO),

partie défenderesse en première instance,

Laboratoires M&L SA, établie à Manosque (France),

partie intervenante en première instance,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. D. Šváby (rapporteur) et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Chefaro Ireland DAC demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 septembre 2018, Chefaro Ireland/EUIPO – Laboratoires M&L (NUIT PRECIEUSE) (T‑905/16, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:527), par lequel celui‑ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), du 19 octobre 2016 (affaire R 2596/2015-4), relative à une procédure de nullité entre Chefaro Ireland et Laboratoires M&L.

2        À l’appui de son pourvoi, la requérante soulève un moyen unique tiré d’erreurs de droit entachant l’application, par le Tribunal, de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

 Sur le pourvoi

3        En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

4        Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

5        Mme l’avocate générale a, le 8 mars 2019, pris la position suivante :

« 1.      Pour les motifs exposés ci-après, je propose à la Cour de rejeter le pourvoi dans la présente affaire comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour.

2.      À l’appui de son recours, la requérante soulève un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, divisé en trois branches. Par la première branche de ce moyen, il est fait grief au Tribunal d’avoir exclu tout risque de confusion de la marque verbale nationale antérieure EAU PRÉCIEUSE et du signe verbal “NUIT PRÉCIEUSE” dont l’enregistrement est demandé en tant que marque de l’Union européenne, en se fondant sur la dissemblance entre les signes en cause sur le plan conceptuel. Par la deuxième branche dudit moyen, la requérante soutient que le Tribunal a insuffisamment motivé son appréciation dans le cadre de la comparaison conceptuelle des signes en cause et a interprété de manière erronée cette disposition. Par la troisième branche du même moyen, il est reproché au Tribunal d’avoir rejeté comme irrecevable, faute de développement suffisant, l’argumentation de la requérante relative à l’appréciation globale des éléments de preuve et d’avoir entaché l’arrêt attaqué d’une insuffisance de motivation sur ce point.

 Sur la première branche du moyen unique, tirée d’une application erronée de la théorie dite “de la neutralisation”

3.      Dans le cadre de la première branche de son moyen unique, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ayant considéré que la dissemblance entre les signes en cause sur le plan conceptuel excluait, à elle seule, l’existence d’un risque de confusion entre ces signes. Elle soutient que cette appréciation est incompatible avec l’appréciation globale du risque de confusion réalisée en application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 1er du protocole no 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Selon la requérante, la théorie dite “de la neutralisation” des similitudes phonétique et visuelle par des différences conceptuelles, aux fins d’écarter tout risque de confusion, n’est pas applicable en l’espèce, dès lors qu’il existerait un degré moyen ou élevé de similitudes visuelle et phonétique entre les signes en cause et que les produits concernés seraient identiques ou hautement similaires. Le Tribunal aurait donc appliqué la théorie dite “de la neutralisation” de manière automatique et absolue sans examiner les motifs pour lesquels et la mesure dans laquelle les différences conceptuelles entre les signes en cause suffisaient pour neutraliser les similitudes phonétiques et visuelles entre ces signes. Le Tribunal aurait ainsi appliqué cette théorie de manière à écarter l’appréciation globale du risque de confusion et l’interdépendance de la similitude des signes et de celle des produits.

4.      Certes, en vertu d’une jurisprudence constante, l’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants (arrêt du 16 janvier 2019, Pologne/Stock Polska et EUIPO, C‑162/17 P, non publié, EU:C:2019:27, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

5.      La première branche du moyen unique repose toutefois sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, en premier lieu, le Tribunal a procédé à une telle appréciation globale du risque de confusion, ainsi que cela ressort des points 71 et 73 de l’arrêt attaqué.

6.      En deuxième lieu, en ayant indiqué, au point 72 de l’arrêt attaqué, que “les signes sont dissemblables sur le plan conceptuel et que ce facteur, à lui seul, pesait contre l’existence d’un risque de confusion”, le Tribunal ne s’est pas limité, conformément à la jurisprudence de la Cour, notamment au point 42 de l’arrêt du 16 janvier 2019, Pologne/Stock Polska et EUIPO (C‑162/17 P, non publié, EU:C:2019:27), à prendre en considération uniquement un composant d’une marque complexe et à le comparer avec une autre marque, mais a fondé son appréciation sur le fait que des différences conceptuelles entre deux signes pouvaient neutraliser les similitudes auditives et visuelles qui existaient entre eux, pour autant qu’au moins l’un de ces signes a, dans la perspective du public pertinent, une signification claire et déterminée, de sorte que ce public est susceptible de la saisir directement (arrêt du 18 décembre 2008, Les Éditions Albert René/OHMI, C‑16/06 P, EU:C:2008:739, point 98 et jurisprudence citée).

7.      En troisième lieu, le Tribunal a comparé les marques en cause en les examinant chacune dans son ensemble, ainsi que l’exige la jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, arrêt du 16 janvier 2019, Pologne/Stock Polska et EUIPO, C‑162/17 P, non publié, EU:C:2019:27, point 42 ainsi que jurisprudence citée). Contrairement à ce que fait valoir la requérante, il a fondé son évaluation du risque de confusion après avoir effectué une analyse particulière des différents composants des marques en cause. Ainsi, le Tribunal a fait référence aux similitudes et à d’autres facteurs (type de produits, niveau d’attention du public), avant de procéder à une appréciation globale du risque de confusion.

8.      En outre, si, par son argumentation, la requérante cherche en réalité à remettre en cause les appréciations de nature factuelle opérées par le Tribunal, cette argumentation serait manifestement irrecevable, dès lors que, selon une jurisprudence constante, la constatation, par le Tribunal, du caractère notoire ou non de faits sur lesquels la chambre de recours de l’EUIPO a fondé sa décision constitue une appréciation de nature factuelle qui, sauf en cas de dénaturation, échappe au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 16 janvier 2019, Pologne/Stock Polska et EUIPO, C‑162/17 P, non publié, EU:C:2019:27, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

9.      Partant, la première branche du moyen unique doit être rejetée comme étant manifestement non fondée.

 Sur la deuxième branche du moyen unique, tirée d’un manque de motivation de l’arrêt attaqué dans le cadre de la comparaison conceptuelle et de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

10.      Par la deuxième branche de son moyen unique, la requérante fait valoir que le Tribunal a manqué à son obligation de motivation, aux points 63 et 64 de l’arrêt attaqué, en ayant estimé que les signes en cause étaient différents sur le plan conceptuel sans s’être fondé sur des éléments objectifs ou des preuves. Il aurait ainsi commis une erreur dans l’appréciation de la comparaison conceptuelle en se fondant sur sa propre perception.

11.      Conformément à l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les arrêts sont motivés. Selon une jurisprudence constante, la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel. L’obligation de motivation n’impose toutefois pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 16 janvier 2019, Pologne/Stock Polska et EUIPO, C‑162/17 P, non publié, EU:C:2019:27, points 78 et 79 ainsi que jurisprudence citée).

12.      En l’occurrence, le Tribunal, aux points 63 et 64 de l’arrêt attaqué, a d’abord souligné que les signes en conflit consistaient en des expressions composées dont la signification est différente. Il en a déduit que le public pertinent français ne décomposera pas ces signes pour en distinguer chaque élément et ne percevra pas, de ce fait, l’adjectif “précieuse”, commun aux deux signes, de manière indépendante au sein des expressions “eau précieuse” et “nuit précieuse”. Dans ces conditions, le grief tiré du défaut de motivation de l’arrêt attaqué est non fondé.

13.      Par ailleurs, en reprochant au Tribunal d’avoir fondé son appréciation sur sa propre perception, la requérante vise, en réalité, à remettre en cause l’appréciation des faits effectuée par le Tribunal. D’une part, la perception retenue du public pertinent français est de nature factuelle. D’autre part, en ce qui concerne l’appréciation de l’adjectif “précieuse” commun aux deux signes, la Cour a déjà indiqué que l’appréciation des similitudes conceptuelles est de nature factuelle (ordonnance du 25 février 2016, Deutsche Rockwool Mineralwoll/OHMI, C‑487/15 P, non publiée, EU:C:2016:130, points 34 et 35).

14.      Il s’ensuit que la deuxième branche du moyen unique doit être rejetée comme étant en partie manifestement non fondée et en partie manifestement irrecevable.

 Sur la troisième branche du moyen unique, tirée d’une application erronée de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal et, partant, d’un défaut de motivation quant au caractère distinctif de la marque antérieure

15.      Par la troisième branche de son moyen unique, la requérante soutient que le Tribunal, en ayant considéré que son argumentation relative à l’appréciation globale des éléments de preuve était irrecevable, a méconnu l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal. Partant, en ne répondant pas aux arguments qu’elle a avancés au soutien du moyen tiré du caractère distinctif élevé de la marque antérieure, le Tribunal aurait interprété de manière erronée l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 et l’arrêt attaqué serait entaché d’un défaut de motivation à cet égard.

16.      Concernant le grief tiré de la violation de l’article 8 du règlement no 207/2009, il convient de constater que le Tribunal, aux points 84 à 87 de l’arrêt attaqué, n’a pas apprécié les éléments de preuve fournis par la requérante ou examiné l’appréciation de la chambre de recours, mais a rejeté la troisième branche du moyen unique présentée devant lui comme étant irrecevable, au motif qu’elle n’était pas assortie d’arguments suffisants, méconnaissant ainsi les prescriptions de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal. Dès lors que le Tribunal n’a pas statué sur le fondement de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, le grief tiré de la violation de cette disposition et d’un défaut de motivation est inopérant.

17.      Concernant le grief tiré de l’application erronée de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal a d’abord rappelé que cet article prévoit que toute requête doit indiquer l’objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre aux autres parties à la procédure devant le Tribunal de présenter leur mémoire et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que le Tribunal ne statue ultra petita ou n’omette de statuer sur un grief.

18.      Certes, il ressort des points 47 à 52 de la requête introductive d’instance que la requérante conteste en substance l’appréciation des éléments de preuve présentés devant la chambre de recours quant au caractère distinctif de la marque antérieure en se fondant sur un examen global des éléments de preuve qui aurait fait défaut. Or, la requérante se borne ainsi à critiquer de manière globale la décision de la chambre de recours, sans indiquer précisément les motifs pour lesquels l’appréciation des éléments de preuve présentés devant la chambre de recours serait incorrecte. Il s’ensuit que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels le recours est fondé ne ressortent pas d’une façon suffisamment cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même. C’est donc à bon droit que le Tribunal a jugé que cette argumentation n’était pas conforme aux exigences de clarté et de précision prévues à l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal.

19.      Par conséquent, il convient d’écarter la troisième branche du moyen unique comme étant en partie inopérante et en partie manifestement non fondée.

 Conclusion

Il résulte de ce qui précède que le présent pourvoi doit être rejeté dans son ensemble comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé. »

6        Pour les mêmes motifs que ceux retenus par Mme l’avocate générale aux points 1 à 7 et 9 à 19 de sa proposition, il y a lieu de rejeter le pourvoi comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.

 Sur les dépens

7        En application de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi ne soit signifié à la partie défenderesse et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que Chefaro Ireland supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.

2)      Chefaro Ireland DAC supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.