Language of document : ECLI:EU:C:2019:978

ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

14 novembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Absence de précisions suffisantes concernant le contexte factuel du litige au principal ainsi que les raisons justifiant la nécessité d’une réponse aux questions préjudicielles – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑520/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava, République tchèque), par décision du 18 juin 2019, parvenue à la Cour le 9 juillet 2019, dans la procédure

Armostav Místek s. r. o.

contre

Odvolací finanční ředitelství,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre (rapporteur), MM. M. Ilešič et C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de l’article 20, de l’article 52, paragraphes 1 et 6, ainsi que de l’article 54 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Armostav Místek s. r. o. à l’Odvolací finanční ředitelství (direction des finances compétente en matière de recours, République tchèque) (ci-après la « direction des finances ») au sujet de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), relative à la période allant du mois d’août au mois de décembre 2012, grevant l’achat d’acier pour béton armé auprès de trois autres sociétés.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le droit tchèque

4        L’article 109 du zákon č. 235/2004 Sb., o dani z přidané hodnoty (loi no 235/2004, relative à la taxe sur la valeur ajoutée), dans sa version modifiée (ci-après la « loi sur la TVA »), prévoit :

« 1)      Le redevable qui bénéficie d’une prestation imposable fournie sur le territoire national par un autre redevable ou qui verse une rémunération en contrepartie de cette prestation (ci-après le “bénéficiaire de la prestation imposable”) est tenu solidairement d’acquitter la taxe due, si, au moment de la fourniture de la prestation imposable ou du versement de la rémunération en contrepartie de ladite prestation, il savait, pouvait ou aurait dû savoir que :

a)      la taxe figurant sur le document fiscal concerné ne serait délibérément pas payée,

b)      le redevable qui fournit la prestation imposable ou perçoit une rémunération en contrepartie de ladite prestation (ci-après le “fournisseur de la prestation imposable”) s’était délibérément mis ou se serait mis dans une situation l’empêchant de payer la taxe,

c)      une fraude fiscale serait commise ou un avantage fiscal serait obtenu par fraude.

2)      Le bénéficiaire de la prestation imposable est tenu pour solidairement responsable du paiement de la taxe due, si la rémunération versée en contrepartie de la prestation

a)      s’écarte manifestement, sans raison économique, du prix normal,

b)      a été versée en tout ou en partie par virement sur un compte ouvert auprès d’un prestataire de services de paiement situé en dehors du territoire national,

c)      l’a été en tout ou en partie par virement sur un compte autre que celui du fournisseur de la prestation imposable, dont l’identité avait été rendue publique par l’administration fiscale d’une manière telle qu’un accès à distance à celle-ci était possible, et si la rémunération pour cette prestation excède le double du plafond légal prévu pour les paiements en espèces, au-dessus duquel est imposée l’obligation d’effectuer un paiement par un autre moyen que des espèces, ou

d)      l’a été en tout ou en partie au moyen d’une monnaie virtuelle en vertu de dispositions réglementant certaines mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

3)      Le bénéficiaire de la prestation imposable est tenu pour solidairement responsable du paiement de la taxe due, si, au moment de la fourniture de la prestation ou du versement de la rémunération en contrepartie de celle-ci, l’information selon laquelle le fournisseur de la prestation imposable est un assujetti peu fiable a été communiquée d’une manière telle qu’un accès à distance à celle-ci était possible.

[…] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

5        Par décisions des 7 octobre 2014 et 1er avril 2015, le Finanční úřad pro Moravskoslezský kraj (bureau des impôts de la région de Moravie-Silésie, République tchèque) a procédé à un redressement de TVA et a informé Armostav Místek de son obligation légale de payer une astreinte. Le recours formé par cette société contre ces décisions a été rejeté par la direction des finances.

6        Armostav Místek a saisi la juridiction de renvoi, le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava, République tchèque), d’un recours tendant à l’annulation de la décision de la direction des finances rejetant son recours, en faisant valoir qu’elle aurait dû être autorisée à déduire la TVA payée en amont et se voir appliquer la procédure prévue à l’article 109 de la loi sur la TVA en sa qualité de redevable solidaire, après émission d’un avis de mise en recouvrement.

7        La juridiction de renvoi a accueilli ce recours, mais, saisi d’un pourvoi par la direction des finances, le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque) a annulé la décision de la juridiction de renvoi, en considérant en substance que l’article 109, paragraphe 1, de la loi sur la TVA n’était pas applicable en l’espèce.

8        La juridiction de renvoi, à nouveau saisie, expose qu’elle est consciente du fait qu’il convient généralement de distinguer le refus du droit à déduction de la TVA et l’éventuelle obligation solidaire de payer cette taxe, lesquels font l’objet de dispositions différentes dans la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1). L’argument invoqué dans l’affaire au principal en faveur de cette distinction serait cependant inopérant, car les conditions de refus du droit à déduction et les conditions d’application du mécanisme de responsabilité solidaire prévu par le droit national seraient identiques. La décision des autorités fiscales de choisir, dans un cas particulier, de refuser le droit à déduction ou d’avoir recours à ce mécanisme de responsabilité solidaire serait entièrement indépendante de la volonté du redevable, mais aurait une incidence considérable sur celui-ci.

9        En effet, selon la législation nationale tchèque, le redevable solidaire paierait des intérêts de retard, fixés actuellement à 16 % par an, uniquement après avoir été appelé au paiement, alors que le redevable qui s’est vu refuser le droit à déduction de la TVA devrait les payer d’emblée. Le redevable qui s’est vu refuser ce droit devrait en outre payer une amende fiscale à hauteur de 20 % du montant de la déduction refusée. La question de savoir laquelle de ces pénalités sera infligée à un redevable donné relèverait entièrement du pouvoir d’appréciation des autorités fiscales, ce qui ouvrirait la voie à l’arbitraire.

10      La juridiction de renvoi estime que la pratique décisionnelle nationale, selon laquelle l’administration fiscale refuse au redevable le droit à déduction de la TVA en application de la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une législation nationale ad hoc prévoit qu’il convient d’appliquer à ce redevable le mécanisme de responsabilité solidaire, contrevient à l’article 17, paragraphe 1, à l’article 20, à l’article 52, paragraphes 1 et 6, ainsi qu’à l’article 54 de la Charte.

11      C’est dans ces conditions que le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une réglementation nationale ad hoc prévoyant la responsabilité solidaire au paiement des droits de taxe non reversés dans le cadre d’une chaîne frauduleuse empêche-t-elle les autorités fiscales de refuser le droit à déduction de la [TVA] au débiteur solidaire en application de la jurisprudence de la [Cour] en matière de fraude à la TVA ?

2)      L’article 17, paragraphe 1, l’article 20, l’article 52, paragraphes 1 et 6, et l’article 54 de la [Charte] s’opposent-ils, dans ce cas de figure, à une telle manière de procéder ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

12      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

13      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

14      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instaurée à l’article 267 TFUE, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 18 et jurisprudence citée). En effet, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C‑11/07, EU:C:2008:489, point 52, ainsi que du 26 juillet 2017, Superfoz – Supermercados, C‑519/16, EU:C:2017:601, point 44).

15      La Cour insiste également sur l’importance de l’indication, par le juge national, des raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour. Celle-ci a déjà jugé qu’il est indispensable que le juge national, dans la décision de renvoi elle-même, donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont il demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (voir, notamment, arrêts du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, EU:C:2005:741, point 46, ainsi que du 9 mars 2017, Milkova, C‑406/15, EU:C:2017:198, point 73).

16      Ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement.

17      Lesdites exigences sont également rappelées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2016, C 439, p. 1).

18      Il importe aussi de souligner que les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cet article, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, notamment, arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi, C‑434/15, EU:C:2017:981, point 25 et jurisprudence citée).

19      En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas aux exigences rappelées aux points 14 à 18 de la présente ordonnance.

20      En effet, outre que les faits ayant conduit au redressement de TVA litigieux n’y sont pas décrits, même sommairement, n’y sont pas non plus exposés les raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation du droit de l’Union et le lien que celle-ci établit entre les dispositions du droit de l’Union qu’elle invoque et la législation nationale applicable au litige au principal. En particulier, ladite décision ne soulève pas de questions précises au regard de la directive 2006/112 ou de la jurisprudence de la Cour et ne donne pas d’explications sur le lien entre les dispositions de la Charte dont l’interprétation est sollicitée et la législation ou la pratique nationale en cause dans l’affaire au principal.

21      En raison de ces lacunes, la demande de décision préjudicielle ne permet pas à la Cour de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi afin de trancher le litige au principal ni ne donne aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

22      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

23      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Krajský soud v Ostravě (cour régionale d’Ostrava, République tchèque), par décision du 18 juin 2019, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.