Language of document : ECLI:EU:C:2020:262

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

2 avril 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Accord EEE – Non‑discrimination – Article 36 – Libre prestation des services – Champ d’application – Accord entre l’Union européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège sur l’association de ces deux États à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen – Accord relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne, d’une part, et l’Islande et la Norvège, d’autre part – Extradition vers un État tiers d’un ressortissant islandais – Protection des ressortissants d’un État membre contre l’extradition – Absence de protection équivalente des ressortissants d’un autre État – Ressortissant islandais ayant obtenu l’asile en vertu du droit national avant l’acquisition de la citoyenneté islandaise – Restriction à la libre circulation – Justification fondée sur la prévention de l’impunité – Proportionnalité – Vérification des garanties prévues à l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »

Dans l’affaire C‑897/19 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Vrhovni sud (Cour suprême, Croatie), par décision du 28 novembre 2019, parvenue à la Cour le 5 décembre 2019, dans la procédure pénale contre

I.N.,

en présence de :

Ruska Federacija,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras (rapporteur), M. Safjan, S. Rodin et I. Jarukaitis, présidents de chambre, MM. L. Bay Larsen, T. von Danwitz, D. Šváby, Mme K. Jürimäe et M. N. Piçarra, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 janvier 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour I.N., par MM. Đ. Perković et S. Večerina, odvjetnici,

–        pour Ruska Federacija, par Mme S. Ljubičić, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement croate, par Mme G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,

–        pour l’Irlande, par Mme G. Hodge, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Gray, QC,

–        pour le gouvernement grec, par Mmes S. Charitaki et A. Magrippi, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement islandais, par Mmes J. B. Bjarnadóttir et H. S. Ingimundardóttir, en qualité d’agents, assistées de Me T. Fuchs, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement norvégien, par MM. P. Wennerås et K. Isaksen, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid ainsi que par MM. M. Wilderspin et M. Mataija, en qualité d’agents,

–        pour l’Autorité de surveillance AELE, par M. C. Zatschler ainsi que par Mmes C. Howdle et I. Ó. Vilhjálmsdóttir, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 février 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18 TFUE et de l’accord entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JO 2006, L 292, p. 2), approuvé, au nom de l’Union, par l’article 1er de la décision 2014/835/UE du Conseil, du 27 novembre 2014, relative à la conclusion de l’accord entre l’Union européenne, d’une part, et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, d’autre part, relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JO 2014, L 343, p. 1), et entré en vigueur le 1er novembre 2019 (ci‑après l’« accord relatif à la procédure de remise »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une demande d’extradition adressée par les autorités russes aux autorités croates, concernant I.N., ressortissant russe et islandais, en lien avec plusieurs infractions de corruption passive.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 L’accord EEE

3        Au deuxième considérant de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE»), les parties à cet accord ont réaffirmé « la grande priorité qu’ils attachent aux relations privilégiées, fondées sur leur proximité, leurs valeurs communes de longue date et leur identité européenne, qui lient [l’Union européenne], ses États membres et les États de l’[Association européenne de libre-échange (AELE)] ».

4        Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, l’accord EEE a pour objet de favoriser un renforcement continu et équilibré des relations économiques et commerciales entre les parties contractantes, dans des conditions de concurrence égales et le respect des mêmes règles, en vue de créer un Espace économique européen (EEE) homogène.

5        L’article 3 de l’accord EEE prévoit :

« Les parties contractantes prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent accord.

Elles s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent accord.

En outre, elles facilitent la coopération dans le cadre du présent accord. »

6        L’article 4 de l’accord EEE dispose :

« Dans le domaine d’application du présent accord, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité. »

7        Aux termes de l’article 6 de l’accord EEE :

« Sans préjudice de l’évolution future de la jurisprudence, les dispositions du présent accord, dans la mesure où elles sont identiques en substance aux règles correspondantes du traité [FUE], du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier et des actes arrêtés en application de ces deux traités, sont, pour leur mise en œuvre et leur application, interprétées conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de signature du présent accord. »

8        L’article 36 de l’accord EEE dispose :

« 1.      Dans le cadre du présent accord, toute restriction à la libre prestation des services à l’intérieur du territoire des parties contractantes à l’égard des ressortissants des États membres de [l’Union] et des États de l’AELE établis dans un État membre de [l’Union] ou dans un État de l’AELE, autre que celui du destinataire de la prestation, est interdite.

[...] »

 L’accord du 18 mai 1999

9        L’article 2 de l’accord conclu par le Conseil de l’Union européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège sur l’association de ces deux États à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen, du 18 mai 1999 (JO 1999, L 176, p. 36, ci‑après l’« accord du 18 mai 1999 »), stipule :

« 1.      Dans la mesure où elles s’appliquent aux États membres de l’Union européenne [...] qui participent à la coopération plus étroite autorisée par le protocole Schengen, les dispositions de l’acquis de Schengen énumérées à l’annexe A du présent accord sont mises en œuvre et appliquées par [la République d’Islande et le Royaume de Norvège].

2.      Dans la mesure où elles ont remplacé les dispositions correspondantes de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 d’application de l’accord relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes ou ont été arrêtées en vertu de celle-ci, les dispositions des actes de la Communauté européenne énumérées à l’annexe B du présent accord sont mises en œuvre et appliquées par [la République d’Islande et le Royaume de Norvège].

3.      Sans préjudice de l’article 8, les actes et les mesures pris par l’Union européenne modifiant ou complétant les dispositions visées aux annexes A et B, auxquels les procédures prévues dans le présent accord ont été appliquées, sont également acceptés, mis en œuvre et appliqués par [la République d’Islande et le Royaume de Norvège]. »

10      L’article 7 de l’accord du 18 mai 1999 énonce :

« Les parties contractantes conviennent qu’un arrangement approprié doit être conclu sur les critères et les mécanismes permettant de déterminer l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile introduite dans un État membre, en Islande ou en Norvège. [...] »

 L’accord relatif à la procédure de remise

11      Le préambule de l’accord relatif à la procédure de remise énonce :

« L’Union européenne,

d’une part, et

La République d’Islande

et

Le Royaume de Norvège,

d’autre part,

ci-après dénommés “parties contractantes”,

Souhaitant améliorer la coopération judiciaire en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège, sans préjudice des dispositions protégeant la liberté individuelle ;

Considérant que les relations actuelles entre les parties contractantes exigent une coopération étroite dans la lutte contre la criminalité ;

Exprimant leur confiance mutuelle dans la structure et dans le fonctionnement de leurs systèmes juridiques et dans la capacité de toutes les parties contractantes à garantir un procès équitable ;

[...] »

12      L’article 1er dudit accord énonce :

« 1.      Les parties contractantes s’engagent à améliorer, conformément aux dispositions du présent accord, la remise aux fins des poursuites ou de l’exécution des peines entre les États membres, d’une part, et le Royaume de Norvège et la République d’Islande, d’autre part, en tenant compte, en tant que normes minimales, des dispositions de la convention du 27 septembre 1996 relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne.

2.      Les parties contractantes s’engagent, conformément aux dispositions du présent accord, à faire en sorte que le système d’extradition entre les États membres, d’une part, et le Royaume de Norvège et la République d’Islande, d’autre part, soit fondé sur un mécanisme de remise sur la base d’un mandat d’arrêt conforme aux termes du présent accord.

3.      Le présent accord n’a pas pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux énoncés dans la convention européenne [de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950,] ou, en cas d’exécution par l’autorité judiciaire d’un État membre, les principes mentionnés à l’article 6 du traité [UE].

4.      Rien dans le présent accord ne devrait être interprété comme une interdiction de refuser la remise d’une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt tel que défini par le présent accord s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu’il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l’une de ces raisons. »

 Le droit croate

13      L’article 9 de la Constitution de la République de Croatie (Narodne novine, br. 56/1990, 135/1997, 113/2000, 28/2001, 76/2010 et 5/2014) est ainsi libellé :

« [...]

Un ressortissant de la République de Croatie ne peut être expulsé de la République de Croatie ni privé de sa nationalité, ni extradé vers un autre État, sauf dans le cadre de l’exécution d’une décision sur l’extradition ou la remise, adoptée conformément aux traités internationaux ou à l’acquis communautaire. »

14      L’article 1er du zakon o međunarodnoj pravnoj pomoći u kaznenim stvarima (loi relative à l’entraide judiciaire internationale en matière pénale, Narodne novine, br. 178/2004, ci‑après le « ZOMPO »), prévoit :

« (1)      La présente loi réglemente l’assistance juridique internationale en matière pénale (ci‑après l’“assistance juridique internationale ”), sous réserve qu’un traité international n’en dispose autrement.

[...] »

15      Aux termes de l’article 12 du ZOMPO :

« (1)      L’autorité nationale compétente peut rejeter la demande d’assistance juridique internationale si :

1.      la demande concerne un acte considéré comme une infraction politique ou comme un acte lié à une telle infraction,

2.      la demande concerne une infraction fiscale,

3.      l’acceptation de la demande serait susceptible de conduire à une atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre juridique ou à d’autres intérêts essentiels de la République de Croatie,

4.      l’on peut raisonnablement présumer que la personne visée par la demande d’extradition serait, en cas d’extradition, pénalement poursuivie ou sanctionnée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ou encore que sa situation serait rendue plus difficile pour l’un de ces motifs,

5.      il s’agit d’une infraction mineure.

[...] »

16      L’article 55 du ZOMPO dispose :

« (1)      Lorsque la juridiction compétente juge que les conditions légales de l’extradition ne sont pas remplies, elle adopte une ordonnance de rejet de la demande d’extradition et transmet celle‑ci sans délai au Vrhovni sud [(Cour suprême)] de la République de Croatie, qui, le procureur général compétent entendu, confirme, infirme ou modifie l’ordonnance.

(2)      L’ordonnance définitive de rejet de la demande d’extradition est transmise au ministère de la Justice qui la notifiera à l’État demandeur. »

17      Aux termes de l’article 56 du ZOMPO :

« (1)      Lorsque la chambre saisie de la juridiction compétente juge que les conditions légales de l’extradition sont remplies, elle statue par ordonnance.

(2)      Cette ordonnance est susceptible d’appel dans un délai de 3 jours. Le Vrhovni sud [(Cour suprême)] de la République de Croatie statue sur l’appel. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

18      Le 20 mai 2015, le bureau d’Interpol de Moscou (Russie) a émis un avis de recherche international contre I.N., qui était alors uniquement ressortissant russe, aux fins de son arrestation, en raison de poursuites pénales engagées contre lui pour corruption passive.

19      Le 30 juin 2019, I.N. s’est présenté, en tant que passager d’un autobus en possession d’un document de voyage islandais pour réfugiés, à un point de passage frontalier entre la Slovénie et la Croatie, alors qu’il tentait d’entrer sur le territoire de ce dernier État. Il a été arrêté sur le fondement de l’avis de recherche international mentionné au point précédent. Son arrestation a déclenché une procédure décisionnelle, engagée sur le fondement du ZOMPO, concernant son éventuelle extradition vers la Russie.

20      Le 1er juillet 2019, I.N. a été interrogé par le juge d’instruction du Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb, Croatie). Il a déclaré s’opposer à son extradition vers la Russie et a, par ailleurs, indiqué être à la fois citoyen russe et citoyen islandais. Une note de l’ambassade islandaise transmise au Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb) par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères et européennes de la République de Croatie a confirmé que I.N. est, depuis le 19 juin 2019, citoyen islandais et dispose du statut de résident permanent en Islande. Cette note indiquait également que le gouvernement islandais souhaitait qu’il soit assuré à I.N. un sauf‑conduit vers l’Islande dans les plus brefs délais.

21      Le 6 août 2019, le Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb) a reçu une demande du ministère public général de la Fédération de Russie, d’extradition de I.N. vers cet État tiers, conformément aux dispositions de la convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957 (ci‑après la « convention européenne d’extradition »), en raison de poursuites pénales engagées contre lui au titre de plusieurs infractions de corruption passive. Il a été indiqué, dans cette demande, que le ministère public général de la Fédération de Russie garantissait que la demande d’extradition n’avait pas pour but de poursuivre I.N. pour des motifs politiques ni en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions, que toutes les possibilités d’exercer sa défense, y compris l’assistance d’un avocat, seraient mises à sa disposition et qu’il ne serait pas soumis à la torture, à des traitements cruels ou inhumains, ou encore à des peines portant atteinte à la dignité humaine.

22      Par ordonnance du 5 septembre 2019, le Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb) a jugé que les conditions légales, prévues dans le ZOMPO, pour l’extradition de I.N. aux fins desdites poursuites pénales, étaient remplies.

23      Le 30 septembre 2019, I.N. a interjeté appel de cette ordonnance devant la juridiction de renvoi. Il a fait valoir qu’il existe un risque concret, sérieux et raisonnablement prévisible que, en cas d’extradition vers la Fédération de Russie, il y soit soumis à la torture et à des traitements inhumains et dégradants. Il a, en outre, souligné qu’un statut de réfugié lui avait été reconnu en Islande, précisément en raison des poursuites effectives dont il fait l’objet en Russie et que, par son ordonnance du 5 septembre 2019, le Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb) a porté atteinte de facto à la protection internationale qui lui avait été accordée en Islande. Par ailleurs, il a affirmé posséder la citoyenneté islandaise et a reproché au Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb) d’avoir méconnu l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630).

24      La juridiction de renvoi indique que, conformément à sa jurisprudence constante, elle examinera s’il existe un risque réel que I.N. soit soumis, en cas d’extradition, à la torture ou à des peines ou à des traitements inhumains. Toutefois, avant de procéder, le cas échéant, à un tel examen, elle souhaite savoir s’il y a lieu d’informer de la demande d’extradition la République d’Islande, dont I.N. est ressortissant, afin de permettre à ce dernier État de solliciter éventuellement la remise de son ressortissant afin d’engager une procédure visant à éviter le risque d’impunité.

25      À cet égard, la juridiction de renvoi, d’une part, précise que la République de Croatie n’extrade pas ses propres ressortissants vers la Russie et n’a pas conclu avec ce dernier État d’accord bilatéral qui comporterait une obligation en ce sens.

26      D’autre part, après avoir rappelé les enseignements de l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630), la juridiction de renvoi relève que, si, à la différence de la personne concernée par cet arrêt, I.N. n’est pas citoyen de l’Union, il n’en reste pas moins qu’il est citoyen de la République d’Islande, avec laquelle l’Union entretient des liens spécifiques.

27      À cet égard, la juridiction de renvoi rappelle que, d’une part, conformément à l’article 2 du protocole no 19 sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 290), annexé au traité de Lisbonne, l’acquis de Schengen s’applique aux États membres mentionnés à l’article 1er de ce protocole et, d’autre part, le Conseil a, en vertu de l’article 6 dudit protocole, conclu avec la République d’Islande et le Royaume de Norvège l’accord du 18 mai 1999 en vertu duquel ces deux États tiers mettent en œuvre les dispositions de cet acquis. Or, I.N. a fait usage de son droit de libre circulation au sein des États membres de l’espace Schengen et a été arrêté à l’occasion de son entrée sur le territoire de la République de Croatie en provenance d’un autre État membre, en l’occurrence la République de Slovénie.

28      Par ailleurs, l’accord relatif à la procédure de remise étant entré en vigueur le 1er novembre 2019, il présenterait également une pertinence pour l’affaire au principal.

29      Au regard de l’ensemble de ces éléments, la juridiction de renvoi indique nourrir des doutes sur le point de savoir s’il convient d’interpréter l’article 18 TFUE en ce sens qu’un État membre tel que la République de Croatie, qui est appelé à statuer sur une demande d’extradition vers un État tiers d’un ressortissant d’un État qui n’est pas membre de l’Union, mais qui est membre de l’espace Schengen, est tenu, avant d’adopter toute décision sur cette extradition, d’informer de la demande d’extradition ce dernier État et s’il convient, dans l’hypothèse où ledit État solliciterait la remise de son ressortissant afin de mener une procédure pour laquelle l’extradition est demandée, de lui remettre ledit ressortissant, conformément à l’accord relatif à la procédure de remise.

30      Dans ces conditions, le Vrhovni sud (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter l’article 18 TFUE en ce sens qu’un État membre de l’Union européenne qui statue sur l’extradition vers un État tiers d’un ressortissant d’un État qui n’est pas membre de l’Union [...], mais qui est membre de l’espace Schengen, est tenu d’informer de la demande d’extradition l’État membre de l’espace Schengen dont cette personne a la nationalité ?

2)      Si la question précédente appelle une réponse affirmative et que l’État membre de l’espace Schengen a sollicité la remise de cette personne afin de mener une procédure pour laquelle l’extradition est demandée, convient-il de lui remettre cette personne conformément à l’accord relatif à la procédure de remise ? »

 Sur la procédure d’urgence

31      La juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure préjudicielle d’urgence, prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

32      À l’appui de cette demande, elle a notamment invoqué le fait que I.N. a été placé sous écrou extraditionnel, de telle sorte qu’il est actuellement privé de sa liberté.

33      Il convient de relever, en premier lieu, que le présent renvoi préjudiciel porte, notamment, sur l’interprétation de l’accord relatif à la procédure de remise. La décision par laquelle cet accord a été approuvé au nom de l’Union a été adoptée sur le fondement de l’article 82, paragraphe 1, sous d), TFUE, lu en combinaison avec l’article 218, paragraphe 6, sous a), TFUE. Cet accord relève donc des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Le présent renvoi préjudiciel est, par conséquent, susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence.

34      En second lieu, il importe, selon la jurisprudence de la Cour, de prendre en considération la circonstance que la personne concernée par l’affaire au principal est actuellement privée de liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal [voir, en ce sens, arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 38 ainsi que jurisprudence citée]. En effet, le placement sous écrou extraditionnel de I.N. a été ordonné, selon les explications fournies par la juridiction de renvoi, dans le cadre de la procédure d’extradition ouverte à son égard.

35      Dans ces conditions, la quatrième chambre de la Cour a décidé, le 16 décembre 2019, sur proposition du juge rapporteur et l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

36      Il a, par ailleurs, été décidé de renvoyer cette affaire devant la Cour aux fins de son attribution à la grande chambre.

 Sur les questions préjudicielles

37      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, au point 50 de son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630 ), la Cour a dit pour droit que les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un État membre dans lequel un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, s’est déplacé, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers avec lequel le premier État membre a conclu un accord d’extradition, il est tenu d’informer l’État membre dont ledit citoyen a la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »), pourvu que cet État membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national.

38      La Cour a précisé à cet égard, au point 54 de l’arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222), que, afin de préserver l’objectif d’éviter le risque d’impunité de la personne concernée pour les faits qui lui sont reprochés dans la demande d’extradition, le mandat d’arrêt européen éventuellement émis par un État membre autre que l’État membre requis doit porter à tout le moins sur les mêmes faits.

39      La juridiction de renvoi se demande si, dans le litige dont elle est saisie, il y a lieu de suivre l’interprétation retenue par la Cour dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630), en ce qui concerne non seulement les citoyens de l’Union, mais également les ressortissants islandais.

40      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en interdisant « toute discrimination exercée en raison de la nationalité », l’article 18 TFUE exige l’égalité de traitement des personnes se trouvant dans une situation tombant dans le domaine d’application des traités (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 29 et jurisprudence citée). Or, ainsi que la Cour l’a déjà précisé, cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer dans le cas d’une éventuelle différence de traitement entre les ressortissants des États membres et ceux des États tiers [voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C‑22/08 et C‑23/08, EU:C:2009:344, point 52, ainsi que avis 1/17 (Accord ECG UE-Canada), du 30 avril 2019, EU:C:2019:341, point 169].

41      Quant à l’article 21 TFUE, il convient de rappeler que cet article prévoit, à son paragraphe 1, le droit de tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres et s’applique, ainsi qu’il ressort de l’article 20, paragraphe 1, TFUE, à toute personne ayant la nationalité d’un État membre, de telle sorte qu’il ne s’applique pas non plus à un ressortissant d’un État tiers.

42      Par ailleurs, la décision-cadre 2002/584, qui a également contribué au raisonnement de la Cour rappelé au point 37 du présent arrêt, ne s’applique qu’aux États membres et non aux États tiers.

43      Il convient, toutefois, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions (arrêt du 8 mai 2019, PI, C‑230/18, EU:C:2019:383, point 42 et jurisprudence citée).

44      En l’occurrence, la République d’Islande entretient des relations privilégiées avec l’Union, dépassant le cadre d’une coopération économique et commerciale. En effet, elle met en œuvre et applique l’acquis de Schengen, ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, mais elle est également partie à l’accord EEE, participe au système d’asile européen commun et a conclu avec l’Union l’accord relatif à la procédure de remise. Dès lors, afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de prendre en considération, outre les normes du droit de l’Union mentionnées par celle‑ci, l’accord EEE, auquel tant l’Union que la République d’Islande sont notamment parties.

45      Il y a ainsi lieu de considérer que, par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, notamment l’accord EEE, lu à la lumière de l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 50), doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre, dans lequel s’est déplacé un ressortissant d’un État de l’AELE, partie à l’accord EEE et avec lequel l’Union a conclu un accord de remise, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers en vertu de la convention européenne d’extradition, il est tenu d’informer de cette demande ledit État de l’AELE et, le cas échéant, de lui remettre, à sa demande, ce ressortissant, conformément aux dispositions de l’accord de remise, pourvu que cet État soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre ledit ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national

46      Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, I.N. s’est vu accorder, antérieurement à son acquisition de la nationalité islandaise, l’asile au titre du droit islandais précisément en raison des poursuites engagées contre lui en Russie et au regard desquelles son extradition a été demandée par la Fédération de Russie aux autorités croates. Une telle circonstance n’était pas présente dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630).

47      Dans ce contexte et sous réserve de l’examen tenant à l’applicabilité du droit de l’Union dans le litige au principal, il convient de considérer qu’une réponse utile à la juridiction de renvoi suppose également de préciser la portée de la protection offerte par l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), aux termes duquel nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

 Sur l’applicabilité du droit de l’Union dans le litige au principal

48      Il convient de rappeler que, en l’absence de convention internationale à ce sujet entre l’Union et l’État tiers concerné, en l’occurrence la Fédération de Russie, les règles en matière d’extradition relèvent de la compétence des États membres. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, ces mêmes États membres sont tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2018, Raugevicius, C‑247/17, EU:C:2018:898, point 45).

49      Un accord international conclu par l’Union faisant partie intégrante du droit de celle-ci [voir, notamment, arrêt du 30 avril 1974, Haegeman, 181/73, EU:C:1974:41, points 5 et 6, ainsi que avis 1/17 (Accord ECG UE-Canada), du 30 avril 2019, EU:C:2019:341, point 117], des situations relevant du champ d’application d’un tel accord, par exemple l’accord EEE, constituent en principe des situations régies par le droit de l’Union [voir, en ce sens, avis 1/17 (Accord ECG UE-Canada), du 30 avril 2019, EU:C:2019:341, point 171].

50      À cet égard, l’accord EEE réaffirme, ainsi que cela ressort de son deuxième considérant, les relations privilégiées, fondées sur leur proximité, leurs valeurs communes de longue date et leur identité européenne, qui lient l’Union, ses États membres et les États de l’AELE. C’est à la lumière de ces relations privilégiées qu’il convient de comprendre l’un des principaux objectifs de l’accord EEE, à savoir réaliser de la manière la plus complète possible la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux dans l’ensemble de l’EEE, de sorte que le marché intérieur réalisé sur le territoire de l’Union soit étendu aux États de l’AELE. Dans cette perspective, plusieurs stipulations de cet accord visent à garantir une interprétation aussi uniforme que possible de celui-ci sur l’ensemble de l’EEE. Il appartient à la Cour, dans ce cadre, de veiller à ce que les règles de l’accord EEE identiques en substance à celles du traité FUE soient interprétées de manière uniforme à l’intérieur des États membres (arrêts du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg, C‑452/01, EU:C:2003:493, point 29 ; du 28 octobre 2010, Établissements Rimbaud, C‑72/09, EU:C:2010:645, point 20, ainsi que du 19 juillet 2012, A, C‑48/11, EU:C:2012:485, point 15).

51      En l’occurrence, I.N. a fait valoir, dans ses observations écrites, qu’il était entré sur le territoire de la République de Croatie afin d’y passer ses vacances estivales, ce qui a été confirmé par le gouvernement islandais lors de l’audience.

52      Or, la Cour a déjà jugé que la liberté de prestation de services, au sens de l’article 56 TFUE, inclut la liberté des destinataires de services de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier d’un service, sans être gênés par des restrictions, et que les touristes doivent être considérés comme étant des destinataires de services bénéficiaires de cette liberté (arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186/87, EU:C:1989:47, point 15 et jurisprudence citée).

53      La même interprétation s’impose à l’égard de la liberté de prestation de services, garantie à l’article 36 de l’accord EEE (voir, par analogie, arrêts du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg, C‑452/01, EU:C:2003:493, point 29, ainsi que du 28 octobre 2010, Établissements Rimbaud, C‑72/09, EU:C:2010:645, point 20).

54      Il découle de ce qui précède que la situation d’un ressortissant islandais, telle que celle de I.N., qui s’est présenté aux frontières d’un État membre en vue d’entrer sur son territoire et d’y bénéficier de services, relève du champ d’application de l’accord EEE et, par voie de conséquence, du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 30 et 31 ainsi que jurisprudence citée). Dans le litige au principal, la République de Croatie est, dès lors, tenue d’exercer sa compétence en matière d’extradition à destination d’États tiers d’une manière conforme à l’accord EEE, en particulier à l’article 36 de celui-ci garantissant la libre prestation des services.

 Sur  la restriction à la libre prestation des services et l’éventuelle justification de celle-ci

55      En interdisant « toute discrimination exercée en raison de la nationalité », l’article 4 de l’accord EEE exige l’égalité de traitement des personnes se trouvant dans une situation régie par cet accord. Le principe de non-discrimination consacré par cette disposition déploie ses effets « dans le domaine d’application » dudit accord et « sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit ». Par cette dernière expression, l’article 4 de l’accord EEE renvoie notamment à d’autres dispositions du même accord, dans lesquelles le principe général qu’il énonce est concrétisé pour des situations spécifiques. Tel est le cas, entre autres, des dispositions relatives à la libre prestation des services (voir, par analogie, arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186/87, EU:C:1989:47, points 10 et 14).

56      Or, des règles nationales d’extradition telles que celles en cause au principal introduisent une différence de traitement selon que la personne concernée est un ressortissant national ou un ressortissant d’un État de l’AELE, partie à l’accord EEE, en ce qu’elles conduisent à ne pas accorder aux ressortissants de ces derniers États, tels que, en l’occurrence, I.N., ressortissant islandais, la protection contre l’extradition dont jouissent les ressortissants nationaux (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 32).

57      Ce faisant, de telles règles sont susceptibles d’affecter, en particulier, la liberté consacrée à l’article 36 de l’accord EEE. Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’inégalité de traitement consistant à permettre l’extradition d’un ressortissant d’un État de l’AELE, partie à l’accord EEE, tel que I.N., se traduit par une restriction à cette liberté (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 32 et 33).

58      Il convient d’ajouter que non seulement la circonstance que la personne concernée a la qualité de ressortissant d’un État de l’AELE, partie à l’accord EEE, mais encore le fait que cet État met en œuvre et applique l’acquis de Schengen rendent la situation de cette personne objectivement comparable à celle d’un citoyen de l’Union auquel, selon l’article 3, paragraphe 2, TUE, l’Union offre un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes.

59      Une restriction telle que celle évoquée au point 57 du présent arrêt ne peut être justifiée que si elle est fondée sur des considérations objectives et proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 34 et jurisprudence citée).

60      Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction, avancé dans la demande de décision préjudicielle à des fins de justification, doit être considéré comme présentant un caractère légitime. Pour autant, des mesures restrictives de la liberté consacrée à l’article 36 de l’accord EEE ne sauraient être justifiées par des considérations objectives que si elles sont appropriées pour la protection des intérêts qu’elles visent à garantir et seulement dans la mesure où ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée).

61      Dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 39), la Cour a rappelé que l’extradition est une procédure qui vise à lutter contre l’impunité d’une personne se trouvant sur un territoire autre que celui sur lequel elle a prétendument commis une infraction, permettant ainsi d’éviter que des infractions commises sur le territoire d’un État par des personnes qui ont fui ce territoire demeurent impunies. En effet, si la non-extradition des ressortissants nationaux est généralement compensée par la possibilité pour l’État membre requis de poursuivre ses propres ressortissants pour des infractions graves commises hors de son territoire, cet État membre ne dispose pas, en règle générale, de juridiction pour connaître de tels faits lorsque ni l’auteur ni la victime de l’infraction supposée n’ont la nationalité dudit État membre.

62      La Cour en a déduit, au point 40 de l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630), que des règles nationales telles que celles en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, qui permettent de répondre favorablement à une demande d’extradition aux fins de poursuites et de jugement dans l’État tiers où l’infraction est supposée avoir été commise, apparaissent, en principe, appropriées pour atteindre l’objectif recherché de lutte contre l’impunité.

63      Toutefois, dans la mesure où, comme il a été constaté au point 54 du présent arrêt, la situation d’un ressortissant islandais qui s’est présenté aux frontières d’un État membre en vue d’entrer sur son territoire et d’y bénéficier de services relève du droit de l’Union, les dispositions de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ont vocation à être appliquées à une demande en ce sens d’un État tiers (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 52 et 53).

64      Partant, lorsque, dans une telle situation, le ressortissant islandais concerné se prévaut d’un risque sérieux de traitement inhumain ou dégradant en cas d’extradition, l’État membre requis doit vérifier, avant de procéder à une éventuelle extradition, que cette dernière ne portera pas atteinte aux droits visés à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, point 60).

65      Pour ce faire, cet État membre, conformément à l’article 4 de la Charte qui interdit les peines ou les traitements inhumains ou dégradants, ne saurait se limiter à prendre en considération les seules déclarations de l’État tiers requérant ou l’acceptation, par ce dernier État, de traités internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux. L’autorité compétente de l’État membre requis, telle que la juridiction de renvoi, doit se fonder, aux fins de cette vérification, sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, éléments pouvant résulter, notamment, de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, de décisions judiciaires de l’État tiers requérant ainsi que de décisions, de rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations unies (arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 55 à 59 et jurisprudence citée).

66      En particulier, la circonstance que la personne concernée s’était vu accorder, par la République d’Islande, l’asile au motif qu’elle courrait un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine constitue un élément particulièrement sérieux dont l’autorité compétente de l’État membre requis doit tenir compte aux fins de la vérification visée au point 64 du présent arrêt.

67      Un tel élément est d’autant plus important aux fins de cette vérification lorsque l’octroi de l’asile a précisément été fondé sur les poursuites dont la personne concernée fait l’objet dans son pays d’origine et ayant conduit à l’émission par ce dernier d’une demande d’extradition visant cette personne.

68      En l’absence de circonstances spécifiques, dont, notamment, une évolution importante de la situation dans l’État tiers requérant ou encore des éléments sérieux et fiables tendant à démontrer que la personne dont l’extradition est requise s’était vu accorder l’asile en dissimulant le fait qu’elle faisait l’objet de poursuites pénales dans son pays d’origine, l’existence d’une décision des autorités islandaises accordant à cette personne l’asile doit ainsi conduire l’autorité compétente de l’État membre requis, telle que la juridiction de renvoi, à refuser l’extradition, en application de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte.

69       Dans l’hypothèse où les autorités de l’État membre requis parviendraient à la conclusion selon laquelle l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ne s’oppose pas à l’exécution de cette demande, il y aurait encore lieu d’examiner si la restriction en cause est proportionnée à l’objectif de lutte contre l’impunité d’une personne qui aurait commis une infraction pénale, rappelé au point 60 du présent arrêt. À cet égard, il convient de souligner que la mise en œuvre des mécanismes de coopération et d’assistance mutuelle existant en matière pénale en vertu du droit de l’Union constitue, en tout état de cause, une mesure alternative moins attentatoire au droit à la libre circulation que l’extradition vers un État tiers avec lequel l’Union n’a pas conclu d’accord d’extradition et qui permet d’atteindre aussi efficacement cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 47 et 49).

70      Plus particulièrement, la Cour a considéré que, dans un tel cas, il importe de privilégier l’échange d’informations avec l’État membre dont l’intéressé a la nationalité afin de donner aux autorités de cet État membre, pour autant qu’elles sont compétentes, en vertu de leur droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors du territoire national, l’opportunité d’émettre, en vertu de la décision‑cadre 2002/584, un mandat d’arrêt européen en vue de la remise de cette personne à des fins de poursuites. Il appartient donc à l’autorité compétente de l’État membre requis d’informer l’État membre dont l’intéressé à la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État de lui remettre l’intéressé sur le fondement d’un tel mandat d’arrêt européen (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:C:2016:630, points 48 et 50).

71      Or, si la décision‑cadre 2002/584 ne s’applique pas à la République d’Islande, État de l’AELE dont est ressortissant I.N., il importe de rappeler que cet État, à l’instar du Royaume de Norvège, a conclu avec l’Union l’accord relatif à la procédure de remise, entré en vigueur le 1er novembre 2019.

72      Ainsi qu’il ressort de son préambule, cet accord tend à améliorer la coopération judiciaire en matière pénale entre, d’une part, les États membres de l’Union et, d’autre part, la République d’Islande et le Royaume de Norvège, dans la mesure où les relations actuelles entre ces parties contractantes, caractérisées, notamment, par l’appartenance de la République d’Islande et du Royaume de Norvège à l’EEE, exigent une coopération étroite dans la lutte contre la criminalité.

73      En outre, dans ce même préambule, les parties contractantes à l’accord relatif à la procédure de remise ont exprimé leur confiance mutuelle dans la structure et dans le fonctionnement de leurs systèmes juridiques ainsi que dans leur capacité à garantir un procès équitable.

74      Il convient, par ailleurs, de constater que les dispositions de l’accord relatif à la procédure de remise sont très semblables aux dispositions correspondantes de la décision‑cadre 2002/584.

75      Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient de considérer que la solution retenue dans l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 56), doit être appliquée par analogie aux ressortissants de la République d’Islande, tels que I.N, qui se trouvent, à l’égard de l’État tiers sollicitant leur extradition et ainsi qu’il ressort du point 58 du présent arrêt, dans une situation objectivement comparable à celle d’un citoyen de l’Union auquel, selon l’article 3, paragraphe 2, TUE, l’Union offre un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes.

76      Partant, lorsqu’un État membre, dans lequel un ressortissant de la République d’Islande s’est déplacé, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers avec lequel le premier État membre a conclu un accord d’extradition, il est, en principe, tenu d’informer la République d’Islande et, le cas échéant, de lui remettre ce ressortissant à sa demande, conformément aux dispositions de l’accord relatif à la procédure de remise, pourvu que la République d’Islande soit compétente, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national.

77      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que le droit de l’Union, en particulier l’article 36 de l’accord EEE et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre, dans lequel s’est déplacé un ressortissant d’un État de l’AELE, partie à l’accord EEE et avec lequel l’Union a conclu un accord de remise, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers en vertu de la convention européenne d’extradition, et lorsque ce ressortissant s’était vu accorder l’asile par cet État de l’AELE, antérieurement à son acquisition de la nationalité dudit État, précisément en raison des poursuites dont il fait l’objet dans l’État ayant émis la demande d’extradition, il incombe à l’autorité compétente de l’État membre requis de vérifier que l’extradition ne portera pas atteinte aux droits visés audit article 19, paragraphe 2, de la Charte, l’octroi de l’asile constituant un élément particulièrement sérieux dans le cadre de cette vérification. Avant d’envisager d’exécuter la demande d’extradition, l’État membre requis est, en tout état de cause, tenu d’informer ce même État de l’AELE et, le cas échéant, de lui remettre, à sa demande, ledit ressortissant, conformément aux dispositions de l’accord de remise, pourvu que ledit État de l’AELE soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre ce ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national.

 Sur les dépens

78      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

Le droit de l’Union, en particulier l’article 36 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, et l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre, dans lequel s’est déplacé un ressortissant d’un État membre de l’Association européenne de libre-échange (AELE), partie à l’accord sur l’Espace économique européen et avec lequel l’Union européenne a conclu un accord de remise, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers en vertu de la convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957, et lorsque ce ressortissant s’était vu accorder l’asile par cet État de l’AELE, antérieurement à son acquisition de la nationalité dudit État, précisément en raison des poursuites dont il fait l’objet dans l’État ayant émis la demande d’extradition, il incombe à l’autorité compétente de l’État membre requis de vérifier que l’extradition ne portera pas atteinte aux droits visés audit article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, l’octroi de l’asile constituant un élément particulièrement sérieux dans le cadre de cette vérification. Avant d’envisager d’exécuter la demande d’extradition, l’État membre requis est, en tout état de cause, tenu d’informer ce même État de l’AELE et, le cas échéant, de lui remettre, à sa demande, ledit ressortissant, conformément aux dispositions de l’accord de remise, pourvu que ledit État de l’AELE soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre ce ressortissant pour des faits commis en dehors de son territoire national.

Signatures


*      Langue de procédure : le croate.