Language of document : ECLI:EU:C:2019:9

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 10 janvier 2019 (1)

Affaire C608/17

Skatteverket

contre

Holmen AB

[demande de décision préjudicielle formée par le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour suprême administrative, Suède)]

« Renvoi préjudiciel – Législation fiscale nationale – Liberté d’établissement – Déduction des pertes subies par une filiale étrangère dans l’État de résidence de la société mère – Justification de la non-déductibilité des “pertes définitives” – Proportionnalité d’une absence de compensation transfrontalière des pertes – Notion de “pertes définitives” – Nécessité d’une participation directe de la société mère pour que des pertes puissent être considérées comme définitive – Prise en compte de pertes en raison d’une limitation de la compensation des pertes dans l’État de résidence de la sous-filiale – Prise en compte de pertes en raison d’une absence de compensation à l’intérieur du groupe l’année de la liquidation dans l’État de résidence de la sous-filiale »






I.      Introduction

1.        Dans la présente affaire, ainsi que dans une autre (2), la Cour doit examiner la mise en œuvre et l’interprétation de sa jurisprudence par les États membres, en l’occurrence par le Royaume de Suède. Il s’agit de savoir si, en vertu de l’article 49 TFUE, lu conjointement avec l’article 54 TFUE, une société mère suédoise a le droit de déduire de ses bénéfices réalisés en Suède des pertes subies par une filiale espagnole dont elle détient indirectement 100 % du capital (c’est‑à‑dire une sous‑filiale), lorsque la sous-filiale a été liquidée et n’a pas pu utiliser toutes ses pertes en Espagne (c’est-à-dire les imputer sur ses propres bénéfices ou sur d’autre bénéfices réalisés par le groupe en Espagne).

2.        En 2005, la grande chambre de la Cour a jugé (3) que, en principe, les libertés fondamentales n’imposent pas de permettre une utilisation transfrontalière des pertes à l’intérieur d’un groupe. Ainsi, les pertes subies à l’étranger seraient perdues et ne pourraient donc pas être utilisées par d’autres membres du groupe dans l’État de résidence de la société mère. Il y aurait lieu de prévoir une utilisation transfrontalière des pertes seulement concernant les pertes définitives, conformément au principe de proportionnalité.

3.        Cette catégorie des « pertes définitives », créé par la Cour, pose de nombreux problèmes qui ont déjà donné lieu à plusieurs arrêts (4) (dont deux de la grande chambre). Toutefois, tous ces arrêts ne sont pas parvenus à apporter des éclaircissements définitifs quant aux conditions auxquelles est subordonné le caractère définitif des pertes (5).

4.        Ainsi, si elle veut maintenir l’exception concernant les pertes définitives (6), la Cour a une nouvelle occasion de préciser les contours de cette catégorie.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

5.        En droit de l’Union, le cadre juridique de l’affaire est constitué par la liberté d’établissement des sociétés conformément à l’article 49, lu conjointement avec l’article 54, TFUE.

B.      Le droit suédois

6.        En droit suédois, le « transfert financier intragroupe » permet un équilibrage des résultats au sein d’un groupe. Ce transfert financier intragroupe est déduit par la société qui l’effectue et imposé par la société qui le reçoit. Grâce à un transfert financier intragroupe à une filiale (même détenue indirectement) qui subit des pertes, une société mère peut se « transférer » économiquement ces pertes.

7.        Toutefois, les dispositions relatives aux transferts financiers intragroupes (7) ne sont pas applicables si la filiale n’est pas assujettie à l’impôt en Suède. À cet égard, seules les dispositions adoptées conformément aux prescriptions du droit de l’Union relatives au dégrèvement de groupe permettent une prise en compte transfrontalière des pertes. Ces dispositions permettent à une société mère suédoise de procéder, sous certaines conditions, à un dégrèvement de groupe au titre d’une perte définitive d’une filiale étrangère dont elle détient 100 % du capital (8). Elles requièrent que la filiale soit établie dans un État membre de l’Espace économique européen (EEE) et soit analogue à une société par actions suédoise.

8.        Une perte est définitive si elle n’a pas pu et ne pourra plus être utilisée par la filiale ou par une autre personne dans l’État d’établissement de la filiale. En outre, la raison pour laquelle la filiale ne peut pas utiliser la perte ne doit être liée ni à une absence de possibilité légale de déduction ni à une limitation dans le temps de cette possibilité.

9.        L’article 5 de la loi no 1229 de 1999 relative à l’impôt sur le revenu subordonne notamment le bénéfice des dégrèvements de groupe à la condition que la filiale ait été mise en liquidation et que cette dernière ait été clôturée (voir point 1). D’après la décision de renvoi, la société mère doit également avoir détenu 100 % du capital de la filiale tout au long des exercices fiscaux des deux sociétés jusqu’à la clôture de la liquidation ou bien du moment où la filiale a commencé à exercer une activité économique à la clôture de la liquidation (voir point 2). De surcroît, aucune société liée à la société mère ne doit poursuivre l’activité dans l’État du siège de la filiale après la clôture de la liquidation (voir point 5).

10.      Toutefois, d’après les indications de la juridiction de renvoi, lors de la préparation du projet de loi, la limitation de l’applicabilité des dispositions aux pertes subies par des filiales détenues directement à 100 % aurait suscité des réserves. Cependant, l’on aurait estimé que, si ces dispositions étaient applicables également aux pertes d’une filiale détenue indirectement, cela permettrait aux sociétés de choisir l’État dans lequel elles utiliseraient les pertes.

III. Le litige au principal

11.      L’affaire concerne un avis préalable du Skatterättsnämnden (commission de droit fiscal, Suède). L’avis préalable est fondé sur les faits suivants.

12.      Holmen AB est la société mère d’un groupe ayant des filiales dans plusieurs pays, dont l’Espagne. Pour ce qui nous intéresse en l’espèce, la partie espagnole du groupe est articulée de la manière suivante : Holmen détient 100 % du capital de la filiale Holmen Suecia Holding S. L. (ci-après « HSH »). Cette dernière détient 100 % du capital des deux sous-filiales, Holmen Paper Madrid S. L. (ci-après « HPM ») et Holmen Paper Iberica S. L. (ci-après « HPI »).

13.      Depuis 2003, les sociétés espagnoles forment un groupe fiscal et sont imposées au titre du régime espagnol d’intégration fiscale. Ce régime permet, sans aucune limitation, d’imputer les pertes sur les bénéfices à l’intérieur du groupe. Pour ce faire, le groupe établit une déclaration commune et consolidée aux fins de l’impôt sur les sociétés. Les pertes non utilisées peuvent être reportées indéfiniment et, le cas échéant, déduites de bénéfices des années suivantes.

14.      Toutefois, depuis 2011, en Espagne, seulement une partie des bénéfices d’une année donnée peut être imputée sur des pertes d’années antérieures. Les pertes qui ne peuvent pas être déduites en raison de cette modification sont reportées sur les exercices suivants, comme les autres pertes non utilisées. En cas de dissolution du groupe fiscal en raison de la liquidation d’une société y appartenant, les pertes restantes sont attribuées, le cas échéant, aux sociétés qui les ont subies. L’année de la liquidation, ces pertes ne peuvent être utilisées que par la société qui les a subies.

15.      La partie espagnole du groupe Holmen était déficitaire. La majeure partie des pertes était générée par la sous-filiale HPM. Depuis 2003, cette société avait accumulé des pertes d’exploitation, d’un montant de 140 millions d’euros environ, imputables aux activités espagnoles. Les bénéfices générés par la partie espagnole du groupe au cours de la période visée par la demande (à partir de 2003) sont insignifiants. Holmen a désormais l’intention de liquider ses activités espagnoles. Cette liquidation a commencé en 2016 avec la vente de la majeure partie des actifs d’HPM à un acheteur extérieur.

16.      L’avis préalable demandé concerne la question de savoir si, après la clôture de la liquidation, Holmen a le droit de bénéficier du dégrèvement de groupe pour les pertes de HPM (c’est-à-dire de la sous‑filiale de Holmen). Deux cas de figure sont examinés en vue de la liquidation des activités espagnoles.

17.      Le premier cas de figure consisterait à liquider HPI, HPM et HSH au cours du même exercice fiscal et dans cet ordre. Dans le second cas de figure, la sous-filiale HPM absorberait HSH dans le cadre d’une fusion inversée et serait ensuite liquidée (alors en tant que filiale).

18.      Dans les deux cas de figure, le groupe n’exercerait plus d’activité pendant la liquidation et ne conserverait plus de filiale en Espagne après la clôture de celle-ci. Il ne prévoit pas non plus d’exercer d’activités dans ce pays à l’avenir.

19.      La commission de droit fiscal a décidé que Holmen n’aurait pas droit au dégrèvement de groupe pour les pertes subies par HPM en cas de liquidation selon le premier cas de figure. En revanche, en cas de liquidation selon le second cas de figure, Holmen aurait droit au dégrèvement de groupe pour les pertes définitives de HPM (alors en tant que filiale).

20.      À titre de motivation de l’avis préalable, la commission de droit fiscal a indiqué en substance que HSH (en tant que filiale) n’aurait en Espagne aucune possibilité légale d’utiliser les pertes de la sous-filiale (HPM). Partant, ces pertes ne pourraient pas être considérées comme définitives au sens de la jurisprudence de la Cour. C’est pourquoi le refus d’accorder le dégrèvement de groupe à la société mère suédoise pour celles-ci ne pourrait pas être jugé disproportionné et ne serait pas non plus contraire au droit de l’Union.

21.      Concernant le second cas de figure, la commission de droit fiscal indique en substance, à titre de motivation, que HPM (alors en tant que filiale détenue directement) disposerait, dans le cadre de l’imposition en Espagne, de la possibilité juridique d’utiliser elle-même au moins une partie des pertes en cause. Le fait que, après la dissolution du groupe fiscal, les sociétés espagnoles, à l’exception de HPM, ne puissent plus utiliser les pertes rendraient ces dernières définitives. Par conséquent, au moins une partie des pertes en cause pourraient être considérées comme définitives au sens de la jurisprudence de la Cour.

22.      Le Skatteverk (administration fiscale suédoise) et Holmen, qui avait demandé l’avis préalable, ont tous deux introduit un recours devant le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour suprême administrative, Suède).

IV.    Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

23.      Saisi du litige, le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour suprême administrative) a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le droit – découlant notamment de la jurisprudence Marks & Spencer – pour une société mère établie dans un État membre de déduire, en vertu de l’article 49 TFUE, les pertes définitives d’une filiale établie dans un autre État membre présuppose-t-il que la filiale soit détenue directement par la société mère ?

2)      Convient-il également de considérer comme définitive la partie d’une perte qui, du fait de la réglementation de l’État de la filiale, n’a pas pu être imputée sur les bénéfices réalisés dans cet État au cours d’une année donnée, mais a pu en revanche être reportée afin de pouvoir être éventuellement déduite une année ultérieure ?

3)      Aux fins d’apprécier si une perte présente un caractère définitif, faut-il tenir compte des restrictions, prévues par la réglementation de l’État de la filiale, à la possibilité pour une entité autre que celle ayant subi elle-même la perte de déduire cette dernière ?

4)      S’il convient de tenir compte d’une restriction telle que celles qui sont visées dans la troisième question, faut-il prendre en considération la mesure dans laquelle la restriction a effectivement eu pour conséquence qu’une partie quelconque des pertes n’a pas pu être imputée sur les bénéfices réalisés par une autre entité ? »

24.      Dans le cadre de la procédure devant la Cour, Holmen, les gouvernements suédois, allemand, néerlandais et finlandais, ainsi que la Commission européenne, ont présenté des observations écrites relatives à ces questions. L’administration fiscale suédoise, Holmen, les gouvernements suédois, allemand et finlandais, ainsi que la Commission, ont participé à l’audience qui s’est tenue le 24 octobre 2018.

V.      L’appréciation juridique

A.      Liberté d’établissement et pertes définitives subies par une filiale

25.      Par sa première question, qui concerne l’interprétation de l’arrêt Marks & Spencer [arrêt du 13 décembre 2005 (C‑446/03, EU:C:2005:763)], la juridiction de renvoi cherche à savoir, en fin de compte, si la liberté d’établissement (article 49, lu conjointement avec l’article 54, TFUE) oblige la Suède à prendre en compte les pertes d’une sous-filiale ayant son siège en Espagne et devant être liquidée dans cet État. Cette question se pose dans un contexte où, d’une part, les pertes n’ont pu être compensées que de manière limitée, en raison du droit fiscal espagnol, et seraient désormais perdues chez la sous-filiale espagnole, à cause de la liquidation, et où, d’autre part, la Suède n’a jamais pu imposer des bénéfices éventuels de la sous-filiale.

26.      Par conséquent, il s’agit de savoir si, en l’espèce, il est possible de considérer qu’il existe des pertes définitives chez la sous-filiale. Les trois autres questions concernent également le caractère définitif de ces pertes, c’est pourquoi il est possible, dans une large mesure, de répondre en même temps à toutes les questions.

27.      Il convient tout d’abord d’examiner si la non-prise en compte des pertes de sous-filiales non-résidentes constitue une restriction à la liberté d’établissement.

28.      La liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union européenne, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement au sein de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence.

29.      Les restrictions à la liberté d’établissement sont, selon une jurisprudence constante, toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (9).

30.      Pour qu’une disposition de droit fiscal d’un État membre constitue une entrave à la liberté d’établissement des sociétés, il faut qu’il en résulte une différence de traitement au détriment des sociétés qui exercent cette liberté, que la différence de traitement concerne des situations objectivement comparables et qu’elle ne soit pas justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ou pas proportionnée à cet objectif (10).

B.      Comparabilité de sous-filiales résidentes et non-résidentes et inégalité de traitement entre celles-ci

31.      Le droit suédois permet une compensation totale des pertes par le biais du transfert financier intragroupe entre sociétés d’un groupe imposées en Suède. La compensation des pertes avec des sociétés non‑résidentes du groupe est possible seulement lorsque ces dernières sont détenues directement par la société mère. Cela exclut d’une compensation des pertes les sous-filiales non-résidentes (qui ne sont pas imposées en Suède). Par conséquent, il y a une inégalité de traitement.

32.      Cette inégalité de traitement est susceptible de rendre moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement par la création de filiales dans d’autres États membres. Toutefois, elle n’est incompatible avec les dispositions du traité que si elle concerne des situations objectivement comparables.

33.      Selon la jurisprudence de la Cour, la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause (11). D’après les indications de la juridiction de renvoi, les sous‑filiales étrangères sont exclues au motif que, autrement, cela permettrait à la direction du groupe de choisir où elle ferait valoir les pertes de la sous-filiale. En l’espèce, il serait par exemple envisageable de faire valoir ces pertes dans l’État membre de la sous-filiale ou dans celui de la société mère.

34.      Le gouvernement allemand estime que la situation des filiales résidentes et celle des filiales non-résidentes ne sont pas comparables. Il renvoie à cet égard à l’arrêt de la Cour Timac Agro Deutschland (12) et à nos conclusions dans l’affaire Commission/Royaume-Uni (13).

35.      Jusqu’à présent, la Cour a subordonné la comparabilité entre établissements résidents et établissements non-résidents à l’exercice par l’État membre concerné de la compétence fiscale sur l’établissement étranger. Ainsi, elle a jugé expressément que, (14) « [e]n l’occurrence, il y a lieu de constater que, dès lors que la République fédérale d’Allemagne n’exerce aucune compétence fiscale sur les résultats d’un tel établissement stable, la déduction de ses pertes n’étant plus autorisée en Allemagne, la situation d’un établissement stable situé en Autriche n’est pas comparable à celle d’un établissement stable situé en Allemagne à l’égard des mesures prévues par la République fédérale d’Allemagne afin de prévenir ou d’atténuer la double imposition des bénéfices d’une société résidente ». Ce raisonnement pourrait également s’appliquer à des sous-filiales non-résidentes qui ne sont pas imposés dans l’État de résidence de la société mère.

36.      Cependant, selon une jurisprudence constante relative à l’utilisation transfrontalière des pertes entre sociétés mères et filiales, la Cour a considéré implicitement ou expressément que la situation des filiales résidentes et celle des filiales non-résidentes sont comparables (15).

37.      De surcroît, récemment, dans l’arrêt Bevola, rendu dans une affaire concernant des pertes définitives d’un établissement non‑résident, la Cour a même considéré expressément que les situations d’établissements résidents imposés et d’établissements non-résidents non imposés étaient comparables (16). Alors, il doit en aller ainsi à plus forte raison pour des sous-filiales résidentes imposées et des sous‑filiales non-résidentes non imposées qui sont détenues à 100 %.

38.      En définitive, le critère de la comparabilité n’est pas nettement défini. Dans la mesure où toutes les situations sont comparables à au moins un égard lorsqu’elles ne sont pas identiques (17), il conviendrait de toute façon d’abandonner l’examen de ce critère (18).

39.      Partant, au vu de ces considérations, il y a lieu de considérer que les situations sont comparables. Il n’y a lieu de prendre en compte des différences entre une sous-filiale non-résidente et une sous-filiale résidente, en l’occurrence l’absence de symétrie entre l’imposition des bénéfices et la prise en compte des pertes (19), qu’au niveau du contrôle des justifications. Ainsi, il y a une restriction à la liberté d’établissement.

C.      Justification

40.      Une restriction à la liberté d’établissement peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. La sauvegarde d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et le souci d’éviter une double prise en compte de pertes (pour une seule imposition) pourrait en l’occurrence constituer des justifications (20). De surcroît, la restriction doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (21).

41.      Selon une jurisprudence constante de la Cour relative aux pertes « définitives », il est disproportionné que l’État membre de résidence de la société mère refuse une prise en compte de pertes dans une situation où la filiale non-résidente a épuisé toutes les possibilités de prise en compte des pertes et où il n’existe plus aucune possibilité que ces pertes puissent être prises en compte. La société mère doit démontrer que ces conditions sont remplies (22). Toutefois, la liquidation d’une filiale après une fusion ne suffirait pas à démontrer qu’il n’y a aucune possibilité de prise en compte des pertes dans l’État de résidence de ladite filiale (23).

1.      Sur la justification tirée du souci d’éviter une double prise en compte de pertes

42.      En l’espèce, une double prise en compte des pertes semble exclue. Ainsi qu’il ressort de l’avis préalable, Holmen a cessé toute activité économique et ne dispose plus d’actifs réalisables. Il reste uniquement les pertes provenant des exercices précédents et la société doit être liquidée. Comme la filiale et la sous‑filiale ont toutes deux leur siège dans le même État membre et comme une prise en compte des pertes au niveau de la filiale est exclue par le droit fiscal espagnol, il n’y a pas non plus de risque de double prise en compte des pertes de la sous-filiale, chez la société mère et chez la filiale.

43.      Or, en l’absence de risque de double prise en compte des pertes, cette justification ne tient pas.

2.      Sur la justification tirée de la sauvegarde d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition

44.      S’agissant de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, il y a lieu de rappeler qu’il s’agit d’un objectif légitime reconnu par la Cour (24), qui peut rendre nécessaire l’application, aux activités économiques des contribuables établis dans l’un desdits États membres, des seules règles fiscales de celui-ci, pour ce qui est tant des bénéfices que des pertes (25).

45.      Or, en l’espèce, cette justification conduit à exclure la prise en compte de pertes définitives, et ce pour trois raisons : premièrement, une prise en compte des pertes subies en Espagne pendant des années par la sous-filiale porterait atteinte à l’autonomie fiscale des États membres (voir points 46 et suivants.). Deuxièmement, en l’espèce, la condition requérant l’existence de pertes utilisables en droit mais inutilisables en fait n’est pas remplie (voir points 57 et suivants.). Troisièmement, l’utilisation de pertes définitives par la société mère dans le cadre d’une participation indirecte (c’est-à-dire d’une sous-filiale) est a priori exclue (voir points 73 et suivants.).

a)      Respect de l’autonomie fiscale des États membres

46.      Ainsi que l’a déjà jugé la Cour, les libertés fondamentales ne sauraient avoir pour effet d’imposer à l’État membre de résidence d’une société mère une prise en compte des pertes en faveur de cette dernière d’un montant trouvant son origine uniquement dans le système fiscal d’un autre État membre, sous peine, pour le premier État membre, de voir son autonomie fiscale restreinte par l’exercice du pouvoir fiscal de l’autre État membre (26).

47.      À cet égard, ainsi que l’a indiqué expressément la Cour (27), « le caractère définitif, au sens du point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (28), des pertes subies par une filiale non-résidente ne peut résulter du fait que l’État membre où réside ladite filiale exclut toute possibilité de report des pertes » (29). En effet, un État membre devrait alors adapter son droit fiscal à celui d’un autre État membre.

48.      Si, selon la jurisprudence de la Cour (30), le caractère définitif des pertes subies par une filiale non-résidente ne peut résulter du fait que l’État membre où réside ladite filiale exclut toute possibilité de report des pertes, il doit en aller de même pour l’exclusion d’un transfert de perte à un tiers. Cela concerne aussi la suppression du transfert de pertes. Dans les deux cas, une utilisation future de pertes, dans un cas par le contribuable lui-même, dans l’autre par un tiers, est interdite. C’est pourquoi ces situations doivent être traitées de la même manière.

49.      Ainsi que nous l’avons déjà expliqué aux points 41 et suivants. des présentes conclusions, selon la jurisprudence, avant de constater le caractère « définitif » de pertes, ils convient de vérifier si ces pertes n’aurait pas pu être prises en compte antérieurement par transfert à des tiers. Ces tiers ne peuvent être que des acquéreurs extérieurs ou d’autres sociétés du groupe. Toutefois, si cela n’est pas possible, parce que le droit fiscal espagnol l’exclut, en l’espèce, en raison de la liquidation qui met fin à la consolidation au sein du groupe en Espagne, cette exclusion légale de l’imputation des pertes ne rend pas pour autant ces dernières définitives.

50.      De toute façon, la Cour a déjà jugé que les libertés fondamentales ne s’opposent pas à ce que le caractère définitif d’une perte susceptible de faire l’objet d’une imputation transfrontalière soit toujours constaté à la fin de la période d’imposition (31). Partant, toutes les pertes reportables ne sont pas des pertes définitives, au moins dans un premier temps (32).

51.      Les pertes (reportées) accumulées qui ne sont pas considérées comme définitives pour une année (parce qu’elles sont reportables ou parce que leur imputation était exclue par le droit national) ne peuvent pas devenir des pertes définitives plus tard, au motif que, en raison de la liquidation, un report supplémentaire est exclu.

52.      Autrement, les activités espagnoles, bénéficiaires au départ, seraient imposées seulement en Espagne, mais les pertes subies par la suite seraient financées par les recettes fiscales des États où les sociétés mères des groupes ont leur siège. Cela ne serait pas compatible avec la sauvegarde d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition.

53.      Cela apparaît particulièrement clairement avec la disposition espagnole pertinente en l’espèce, qui, depuis 2011 ne prend en compte que de manière limitée les pertes reportées, même lorsque la société a réalisé au titre de l’exercice des bénéfices suffisants qui ont été imposés en Espagne. Si ces pertes existent encore c’est avant tout en raison de la limitation légale de l’imputation des pertes imposée par l’Espagne en 2011. L’ordre fiscal suédois n’a pas à s’adapter à cette situation (principe d’autonomie).

54.      De même, le caractère non définitif de pertes ne change pas ultérieurement en cas de transfert au tiers (en l’occurrence la société mère en Espagne), au seul motif que l’État membre met fin au transfert des pertes. En effet, le principe d’autonomie s’oppose à ce que des pertes qui ne sont pas définitives au titre d’une période d’imposition deviennent définitives dans un autre État membre au titre d’une période d’imposition ultérieure, en raison de spécificités du droit national.

55.      De manière similaire, dans l’arrêt Commission/Royaume-Uni, la Cour est partie du principe que des pertes non définitives ne peuvent plus devenir définitives par la suite (33). En tout état de cause, les considérations de la Cour dans cet arrêt semblent indiquer que doivent encore pouvoir faire, d’une manière ou d’une autre, l’objet d’une imputation transfrontalière tout au plus les pertes subies par la filiale pendant la dernière année de la liquidation et non pas les pertes accumulées et reportées jusqu’alors conformément au droit national (en l’occurrence le droit espagnol) (34).

56.      Comme l’existence des pertes en cause résulte uniquement du droit espagnol, celles-ci ne constituent pas des pertes définitives de la sous-filiale.

b)      Distinction entre pertes définitives en fait et en droit ?

57.      Dans ce contexte, aux fins de l’appréciation du caractère définitif de pertes, presque toutes les parties à la procédure distinguent les pertes non utilisables (c’est-à-dire définitives) en fait de celles en droit.

58.      Des pertes qui ne sont pas utilisables parce qu’elles ne sont pas reconnues légalement ou parce qu’elles ne sont pas exploitables en raison de limitations légales (par exemple non reportables en arrière ou en avant), ne devraient pas être des pertes définitives au sens de la jurisprudence de la Cour. Seules les pertes qui, tout en étant utilisable en droit, ne peuvent cependant pas, en fait, être exploitées à l’avenir, pourraient être considérées comme définitives. Cela est convaincant en raison de l’autonomie des ordres fiscaux (points 46 et suivants.).

59.      Toutefois, nous doutons qu’il puisse vraiment exister des pertes utilisables en droit mais non en fait. Nous voudrions expliquer cela à l’aide d’un exemple. Le seul cas où une perte subsisterait en dépit d’une possibilité illimitée de report en avant ou en arrière, serait celui d’une entreprise globalement déficitaire qui n’a jamais réalisé suffisamment de bénéfices, même après la cession de tous ses actifs. Dans un tel cas, les pertes de la dernière année ne pourraient pas non plus être utilisées (en fait).

60.      Toutefois, même dans ce cas, il resterait en fin de compte toujours la possibilité de transférer ces pertes à un acheteur en cédant l’entreprise (35), dans la mesure où l’État membre de résidence le permet. Le prix de vente payé par l’acheteur prendra en considération la valeur des pertes existantes, si bien que le vendeur « utilisera » les pertes dans cette mesure.

61.      Lorsque l’ordre juridique en cause permet un transfert des pertes à d’autres personnes, une utilisation de ces pertes est toujours possible en fait. Il se peut que, dans certains cas, cela ne réussisse pas vraiment, parce que l’acquéreur d’une entreprise déficitaire n’est pas forcément prêt à payer un prix important pour une telle entreprise. Cependant, il n’en demeure pas moins que les pertes sont utilisables en fait.

62.      Ainsi, même dans ce cas, le caractère définitif des pertes est fondé soit sur l’ordre juridique de l’État membre (exclusion de toute possibilité de report de pertes) ou sur la décision du contribuable de liquider la société plutôt que de la céder. Toutefois, dans les deux cas, nous ne voyons pas pourquoi la non-prise en compte des pertes devrait alors être disproportionnée dans un autre État membre. Non sans raison, la Cour requiert également que toutes les possibilités de prise en compte de pertes aient été épuisées. Un transfert des pertes à un tiers par le biais d’une vente fait aussi partie de ces possibilités.

63.      Lors de l’audience, Holmen a confirmé qu’elle avait envisagé une telle possibilité mais qu’elle avait ensuite opté pour la liquidation. Dès lors, pour cette raison aussi, l’on peut constater qu’il n’y a pas de pertes définitives chez Holmen.

D.      Pertes définitives au sens de l’arrêt Bevola ?

64.      L’arrêt Bevola ne s’oppose pas non plus à un tel constat (36). D’une part, dans cet arrêt, la Cour s’est « contentée » de transposer l’exception de l’arrêt Marks & Spencer à des pertes « définitives » d’établissements et n’a pas remis en question les limitations définies précédemment (37). En particulier, elle n’a rien dit de plus sur la question de savoir quand il y a des pertes définitives.

65.      D’autre part, dans cet arrêt récent, l’argumentation repose essentiellement sur le principe de la capacité contributive (38). Cela peut encore se comprendre dans le cas d’établissements, car, juridiquement, des établissements sont des parties non-autonomes de l’entreprise d’un contribuable. Cependant, dans le cas de filiales et de sous-filiales, cette argumentation ne tiendrait pas. Celles-ci sont des personnes morales indépendantes qui ont une capacité contributive propre (si l’on entend par là la capacité à payer des impôts en raison de leurs revenus) (39). À juste titre, la Cour n’a pas jugé que, pour imposer correctement la capacité contributive de la société mère, il est nécessaire de prendre en compte les pertes de la filiale.

66.      Du point de vue du droit fiscal, la compensation des pertes à l’intérieur du groupe est contraire au principe de la capacité contributive, puisqu’elle conduit à agréger les capacités contributives de plusieurs sujets de droit. C’est pourquoi l’inclusion de sujets de droits supplémentaires ne pourra en tout cas pas être fondée sur le principe de l’imposition selon la capacité contributive.

67.      Au contraire, il est même plutôt contraire au principe d’imposition selon la capacité contributive qu’un État membre prenne en compte seulement un aspect (c’est-à-dire seulement les revenus ou seulement les dépenses). Qui plus est, à notre connaissance, il n’existe ni principe général du droit fiscal ni principe général du droit de l’Union, requérant que, à la fin du cycle de vie d’une personne morale, toutes les pertes de celle-ci soient compensées d’une manière ou d’une autre. En particulier, le principe de la capacité contributive ne requiert pas une exportation des pertes vers d’autres États membres.

68.      Partant, en l’espèce, même selon l’arrêt Bevola, il n’y a pas de pertes définitives déductibles pouvant être exportées de l’Espagne vers la Suède.

E.      Conclusion intermédiaire tenant compte de l’exigence d’un « marché intérieure équitable »

69.      Cette conclusion déduite de la jurisprudence est convaincante également du point de vue d’un marché intérieur « équitable », qui est revenu au centre de l’attention avec le débat sur le BEPS (40). En effet, justement dans le cas de figure spécifique de l’espèce, une imputation transfrontalière des pertes définitives favoriserait surtout les grands groupes multinationaux par rapport aux entreprises plus petites (qui généralement n’ont pas une activité transfrontalière). Ainsi, si Holmen sait qu’en fin de compte elle pourra imputer toutes les pertes subies par ses activités en Espagne sur des bénéfices réalisés en Suède, alors, pour tenter de s’établir sur le marché espagnol, elle sera dans une situation concurrentielle bien différente de celle d’un concurrent espagnol qui devra partir du principe que ses pertes seront perdues s’il cesse ses activités en Espagne. Pour Holmen, les « pertes espagnoles » représenteraient une charge bien moindre que pour un concurrent espagnol dépourvu d’une structure de groupe équivalente.

70.      Compte tenu de cela et en appliquant systématiquement la jurisprudence de la Cour (voir points 41 et suivants. et jurisprudence citée), l’on parvient ainsi à la conclusion suivante : si l’utilisation des pertes est exclue légalement dans l’État de résidence de la sous-filiale, il n’y a pas de pertes définitives. Si l’État de résidence permet une utilisation des pertes, alors le contribuable doit avoir épuisé ces possibilités d’utilisation des pertes. Ainsi qu’il ressort de l’arrêt Marks & Spencer (41), fait également partie de telles possibilités l’utilisation des pertes par transfert à un tiers, auquel il n’a pas été recouru en l’espèce.

71.      Partant, l’exclusion par la Suède de l’imputation des pertes subies par une filiale non-résidente et non imposée dans cet État n’est pas disproportionnée.

F.      Réponses détaillées aux questions

72.      Par conséquent, nous en arrivons aux réponses concrètes aux questions posées.

1.      Première question : nécessité d’une participation directe

73.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir en substance si les pertes réalisées par une sous-filiale ayant son siège en Espagne et devant être liquidée doivent être considérées comme des pertes définitives. Il convient de répondre négativement à cette question.

74.      Certes, l’exception concernant les pertes définitives de l’arrêt Marks & Spencer ne distingue pas à cet égard filiales et sous‑filiales. Ainsi, à première vue, elle permettrait une imputation des pertes définitives de la sous-filiale tant à la société mère du groupe qu’à la filiale interposée.

75.      Certes, ainsi que Holmen et la Commission le font remarquer à juste titre, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Marks & Spencer concernait aussi une chaîne de participation indirecte. Dans cette affaire, la sous‑filiale, la filiale interposée (une société holding) et la société mère (du groupe) avaient même leur siège dans trois États membres différents. Or, cela ressort seulement de la demande de décision préjudicielle et des conclusions de l’avocat général (42). Dans l’arrêt, cela ne figure pas dans les faits et n’est pas non plus abordé par la Cour.

76.      Cependant, contrairement à la Commission mais à l’instar des gouvernements néerlandais et suédois, nous considérons que c’est aller trop loin qu’en déduire que la Cour aurait jugé implicitement que la société mère d’un groupe devrait pouvoir prendre en compte également les pertes (définitives d’une sous-filiale). En effet, dans cet arrêt, la Cour n’avait pas à examiner plus avant cette question, puisque cette dernière ne lui avait pas été posée.

77.      Surtout, une telle approche reviendrait à accorder à un groupe la faculté de choisir dans quel État membre seront utilisées les pertes « définitives » des sous‑filiales, soit l’un des États membres où il a une filiale ou l’État membre de la société mère.

78.      En particulier, si les trois sociétés avaient leur siège dans des États membres différents et s’il y avait des bénéfices susceptibles de faire l’objet d’une imputation, cette faculté d’option serait importante pour optimiser le taux d’imposition du groupe. Toutefois, ainsi que le considèrent à juste titre les gouvernements des États membres qui ont participé à la procédure, une telle faculté d’option ne saurait exister. Cela remettrait également en cause la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. À cela s’ajouterait le risque que les pertes puissent être utilisées dans plusieurs États membres.

79.      En effet, puisqu’a priori une imputation des pertes est encore possible au niveau de la société mère directe dans un autre État membre, il résulte de cette possibilité une priorité de principe d’une imputation des pertes au niveau de la filiale interposée (société mère directe) sur une imputation au niveau de la société mère du groupe (société mère indirecte) en Suède. Cette priorité permet aussi d’éviter les risques liés à une faculté d’option du contribuable, évoquée ci-dessus, ainsi que le risque de double prise en compte des pertes dans les cas de figure où les trois sociétés ont leur siège dans des États membres différents.

80.      Cette priorité s’applique également lorsque, comme en l’espèce, la sous-filiale et la filiale ont leur siège dans le même État membre. Certes, ainsi que Holmen le fait valoir à juste titre, dans ce cas, il n’y a pas de risque d’optimisation du taux d’imposition du groupe en choisissant l’État membre d’imputation des pertes. Un risque accru de prise en compte multiple des pertes est également exclu. Cependant, en l’espèce également, il importe non pas que la filiale et la sous-filiale aient leur siège dans le même État membre mais de savoir si la sous‑filiale dispose de pertes définitives utilisables par la société mère dans l’autre État membre. Or, comme nous l’avons indiqué précédemment, il convient de répondre négativement à cette question.

81.      Partant, il y a lieu de répondre à la première question qu’en principe les pertes d’une filiale détenue indirectement (c’est-à-dire d’une sous-filiale) ne constituent pas des pertes définitives utilisables au niveau de la société mère du groupe (c’est-à-dire de la société mère de la filiale interposée).

2.      Deuxième question : limitation de l’imputation des pertes en Espagne

82.      Par la deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si une perte doit également être considérée comme définitive lorsqu’elle a dû être reportée en raison d’une limitation de l’imputation des pertes.

83.      Conformément aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à cette question que la perte « seulement » reportée ne doit pas être considérée comme une perte « définitive », même si elle n’a pas pu être imputée sur des bénéfices antérieurs en raison d’une limitation de l’imputation des pertes dans l’État de résidence de la filiale.

84.      L’existence de cette perte est due uniquement aux modalités du droit fiscal espagnol et ne peut pas contraindre la Suède à prendre en compte cette perte aux fins d’une déduction fiscale.

3.      Troisième et quatrième questions

85.      Par les troisième et quatrième questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, aux fins de l’appréciation du caractère définitif d’une perte, il convient de prendre en compte le fait que les possibilités de déduction d’autres sociétés que celle qui a subi la perte soient limitées en raison des dispositions légales de l’État de résidence et, le cas échéant, s’il convient de prendre en compte la mesure dans laquelle ces limitations ont effectivement empêché d’imputer une partie des pertes.

86.      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à ces deux questions que seules les limitations applicables à la sous filiale sont déterminantes pour apprécier s’il existe des pertes définitives de la sous-filiale. Lorsque la sous‑filiale a la possibilité de transférer les pertes à un tiers (par exemple à une filiale), il ne s’agit pas de pertes définitives. C’est pourquoi il importe peu de savoir au cas par cas si des tiers peuvent effectivement utiliser les pertes. Cela importe tout au plus pour déterminer s’il existe chez ces tiers des pertes définitives utilisables au niveau de la société mère.

VI.    Conclusion

87.      Pour ces motifs, nous suggérons de répondre comme suit aux questions préjudicielles du Högsta förvaltningsdomstolen (Cour suprême administrative, Suède) :

« 1)      Conformément à l’article 49, lu conjointement avec l’article 54, TFUE, pour pouvoir procéder à une imputation transfrontalière des pertes d’une filiale, une société mère doit détenir directement cette dernière.

2)      Les pertes “seulement” reportées ne doivent pas être considérées comme des pertes “définitives”, même si elles n’ont pas pu être imputées sur des bénéfices antérieurs en raison d’une limitation de l’imputation des pertes dans l’État de résidence de la filiale.

3)      Pour apprécier s’il existe des pertes définitives d’une sous-filiale, il convient également de prendre en compte la possibilité de transférer des pertes à des tiers et donc aussi à sa société mère (ou à d’autres sociétés du groupe) dans son État membre de résidence. Si les possibilités de déduire ces pertes pour ces tiers sont limitées, c’est seulement pour déterminer s’il existe chez ces tiers des pertes “définitives” qu’il importe de savoir si les possibilités de déduire ces pertes sont limitées. »


1      Langue originale : l’allemand.


2      Affaire C‑607/17, voir à cet égard également nos conclusions du même jour.


3      Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763).


4      Sans prétendre à l’exhaustivité : arrêts du 4 juillet 2018, NN (C‑28/17, EU:C:2018:526) ; du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock (C‑650/16, EU:C:2018:424) ; du 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland (C‑388/14, EU:C:2015:829) ; du 3 février 2015, Commission/Royaume-Uni (C‑172/13, EU:C:2015:50) ; du 7 novembre 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716) ; du 21 février 2013, A (C‑123/11, EU:C:2013:84), et du 15 mai 2008, Lidl Belgium (C‑414/06, EU:C:2008:278).


5      En Allemagne, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) considère même qu’entretemps « le niveau de contrôles des justifications (en tant que “lieu” du contrôle de la proportionnalité et de l’instrument juridique des pertes définitives) est sans objet ». Voir Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances), arrêt du 22 février 2017, I R 2/15, BStBl. II 2017, 709, point 38).


6      Plusieurs voix à la Cour estiment que l’on pourrait se passer de la notion de « pertes définitives » : voir conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire K (C‑322/11, EU:C:2013:183, points 66 et suiv., ainsi que 87), ainsi que nos conclusions dans l’affaire Commission/Royaume-Uni (C‑172/13, EU:C:2014:2321, points 66 et suiv.,) et dans l’affaire A (C‑123/11, EU:C:2012:488, points 50 et suiv.).


7      Chapitre 35 de l’Inkomstskattelag (1999:1229) (loi no 1229 de 1999 relative à l’impôt sur le revenu).


8      Chapitre 35 a de la loi no 1229 de 1999 relative à l’impôt sur le revenu).


9      Arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 36) ; du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331, point 34), et du 16 avril 2015, Commission/Allemagne (C‑591/13, EU:C:2015:230, point 56 et jurisprudence citée).


10      Voir en ce sens arrêts du 4 juillet 2018, NN (C‑28/17, EU:C:2018:526, point 18) ; du 25 février 2010, X Holding, C‑337/08, EU:C:2010:89, point 20), et du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑446/04, EU:C:2006:774, point 167).


11      Arrêts du 4 juillet 2018, NN (C‑28/17, EU:C:2018:526, point 31) ; du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock (C‑650/16, EU:C:2018:424, point 32) ; du 22 juin 2017, Bechtel (C‑20/16, EU:C:2017:488, point 53) ; du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a., (C‑39/13 à C‑41/13, EU:C:2014:1758, point 28), et du 25 février 2010, X Holding, (C‑337/08, EU:C:2010:89, point 22).


12      Arrêt du 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland (C‑388/14, EU:C:2015:829, point 65), qui renvoie à l’arrêt du 17 juillet 2014, Nordea Bank (C‑48/13, EU:C:2014:2087, point 24), et à l’arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal und Denkavit France (C‑170/05, EU:C:2006:783, points 34 et 35).


13      C‑172/13, EU:C:2014:2321, point 26 ; néanmoins, dans le cas de figure de l’espèce, nous avions considéré que les situations étaient comparables (voir point 29).


14      Arrêt du 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland (C‑388/14, EU:C:2015:829, point 65), renvoyant à l’arrêt du 17 juillet 2014, Nordea Bank (C‑48/13, EU:C:2014:2087, point 24), et à l’arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal und Denkavit France (C‑170/05, EU:C:2006:783, points 34 et 35).


15      Arrêts du 4 juillet 2018, NN (C‑28/17, EU:C:2018:526, point 35) ; du 3 février 2015, Commission/Royaume-Uni (C‑172/13, EU:C:2015:50, points 22 et suiv.) ; du 21 février 2013, A (C‑123/11, EU:C:2013:84, point 35), et du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, points 27 et suiv.).


16      Arrêt du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock (C‑650/16, EU:C:2018:424, points 38 et 39).


17      Certes, selon un proverbe allemand, on ne peut pas comparer des pommes avec des poires. Cependant, la pomme et la poire ont aussi des points communs (ainsi elles sont toutes deux des fruits à pépins) et sont donc comparables.


18      C’est ce que nous avions déjà proposé à la Cour dans nos conclusions dans l’affaire Nordea Bank Danmark (C‑48/13, EU:C:2014:153, points 21 à 28).


19      Voir à cet égard, expressément, arrêts du 6 septembre 2012, Philips Electronics (C‑18/11, EU:C:2012:532), et du 15 mai 2008, Lidl Belgium (C‑414/06, EU:C:2008:278, point 33).


20      Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, points 43 et suiv.).


21      Arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 42) ; du12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, EU:C:2006:544, point 47), et du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, point 35).


22      Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, points 55 et 56).


23      Arrêt du 21 février 2013, A (C‑123/11, EU:C:2013:84, points 51 et 52).


24      Arrêts du 7 novembre 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716, point 50) ; du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 45) ; du 6 septembre 2012, Philips Electronics (C‑18/11, EU:C:2012:532, point 23), et du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, points 45 et 46).


25      Arrêts du 7 novembre 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716, point 50) ; du 15 mai 2008, Lidl Belgium (C‑414/06, EU:C:2008:278, point 31) ; du 18 juillet 2007, Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439, point 54), et du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, point 45).


26      Voir, en ce sens déjà, arrêts du 21 décembre 2016, Masco Denmark und Damixa (C‑593/14, EU:C:2016:984, point 41), et du 30 juin 2011, Meilicke e.a. (C‑262/09, EU:C:2011:438, point 33).


27      Arrêt du 3 février 2015, Commission/Royaume-Uni (C‑172/13, EU:C:2015:50, point 33).


28      Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763).


29      Voir arrêt du 7 novembre 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716, points 75 à 79 et jurisprudence citée).


30      Arrêts du 3 février 2015, Commission/Royaume-Uni (C‑172/13, EU:C:2015:50, point 33), et du 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland (C‑388/14, EU:C:2015:829, point 54).


31      Arrêt du 3 février 2015, Commission/Royaume-Uni (C‑172/13, EU:C:2015:50, points 31 et 36).


32      C’est pourquoi le gouvernement allemand a soutenu que seules les pertes subies pendant la dernière année doivent être considérées comme définitives, en raison de l’impossibilité de fait d’un report, alors que les pertes reportées ne perdent plus leur caractère non définitif.


33      Voir arrêt du 3 février 2015, Commission/Royaume-Uni (C‑172/13, EU:C:2015:50, point 37).


34      La Cour est ainsi comprise selon les cas ; voir les observations du gouvernement allemand dans la présente affaire et, par exemple, David Eisendle, « Grenzüberschreitende Verlustverrechnung im Jahre 11 nach Marks & Spencer », ISR 2016, 37 (42).


35      La Cour évoque expressément cette possibilité ; voir, par exemple, arrêt du 21 février 2013, A (C‑123/11, EU:C:2013:84, points 52 et suiv.).


36      Arrêt du 12 juin 2018, Bevola und Jens W. Trock (C‑650/16, EU:C:2018:424, points 61 et suiv.).


37      Au contraire, la Cour a chargé expressément la juridiction nationale de constater si les conditions auxquelles est subordonné le caractère définitif des pertes sont remplies ; voir arrêt du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock (C‑650/16, EU:C:2018:424, point 65).


38      Arrêt du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock (C‑650/16, EU:C:2018:424, points 39 et 59). Voir, également, arrêt du 4 juillet 2018, NN (C‑28/17, EU:C:2018:526, point 35).


39      L’acceptation d’un principe juridiquement pertinent de capacité contributive transfrontalière de groupes ouvrirait sans doute de nouvelles perspectives de montages fiscaux surtout à de grands groupes multinationaux. C’est pourquoi l’arrêt du 4 juillet 2018, NN (C‑28/17, EU:C:2018:526, point 35) nous semble problématique.


40      Pour simplifier, on entend par BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting ») (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices), les stratégies d’optimisation fiscale d’« entreprises multinationales » qui, dans le cadre des systèmes fiscaux actuels, disposent de possibilités (légales) de minimiser leurs bases d’imposition dans des États où la charge fiscale est lourde et de transférer les bénéfices vers des pays où la charge fiscale est faible.


41      Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, point 55).


42      Conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:201, point 8).