CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA
présentées le 6 février 2020(1)
Affaire C‑833/18
SI,
Brompton Bicycle Ltd
contre
Chedech/Get2Get
[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal de l’entreprise de Liège (Belgique)]
« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle et industrielle – Droit des brevets – Dessins et modèles – Règlement (CE) no 6/2002 – Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins – Directive 2001/29/CE – Champ d’application – Cumul de droits – Objet utilitaire et fonctionnel – Notion d’“œuvre” – Apparence dictée par la fonction technique de l’objet – Critères d’appréciation du juge national – Mise en balance des intérêts – Proportionnalité – Vélo pliable »
1. Le litige dont a été saisie la juridiction de renvoi oppose le créateur d’un système de pliage de vélos (et l’entreprise qui les fabrique) à une société coréenne produisant des vélos similaires, accusée d’enfreindre leurs droits d’auteur.
2. La juridiction de renvoi doit déterminer si un vélo dont le système de pliage antérieurement protégé par un brevet désormais arrivé à expiration peut être considéré comme une œuvre susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. Concrètement, elle veut savoir si cette protection est exclue lorsque la forme de l’objet « est nécessaire pour aboutir à un résultat technique » et les critères à utiliser lors de cette appréciation.
3. Cette demande de décision préjudicielle, bien qu’elle porte principalement sur les dispositions de l’Union européenne relatives au droit d’auteur, a une incidence sur une question (la compatibilité de la protection caractéristique du droit d’auteur avec celle qui découle de la propriété industrielle) sur laquelle la Cour s’est récemment prononcée (2).
I. Le cadre juridique
A. Le droit international
1. La convention de Berne (3)
4. En vertu de l’article 2, paragraphes 1 et 7 de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), telle que modifiée le 28 septembre 1979 (ci-après la « convention de Berne »). :
« 1) Les termes “œuvres littéraires et artistiques” comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, telles que : […] les œuvres des arts appliqués […]
[…]
7) Il est réservé aux législations des pays de l’Union de régler le champ d’application des lois concernant les œuvres des arts appliqués et les dessins et modèles industriels, ainsi que les conditions de protection de ces œuvres, dessins et modèles, compte tenu des dispositions de l’article 7.4) de la présente Convention. Pour les œuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d’origine, il ne peut être réclamé dans un autre pays de l’Union que la protection spéciale accordée dans ce pays aux dessins et modèles ; toutefois, si une telle protection spéciale n’est pas accordée dans ce pays, ces œuvres seront protégées comme œuvres artistiques. »
2. L’accord sur les ADPIC
5. Conformément à l’article 7 de l’accord sur les ADPIC :
« La protection et le respect des droits de propriété intellectuelle devraient contribuer à la promotion de l’innovation technologique et au transfert et à la diffusion de la technologie, à l’avantage mutuel de ceux qui génèrent et de ceux qui utilisent des connaissances techniques et d’une manière propice au bien-être social et économique, et à assurer un équilibre de droits et d’obligations. »
6. L’article 26 de l’accord sur les ADPIC dispose :
« 1. Le titulaire d’un dessin ou modèle industriel protégé aura le droit d’empêcher des tiers agissant sans son consentement de fabriquer, de vendre ou d’importer des articles portant ou comportant un dessin ou modèle qui est, en totalité ou pour une part substantielle, une copie de ce dessin ou modèle protégé, lorsque ces actes seront entrepris à des fins de commerce.
[…] »
7. L’article 27 prévoit de l’accord sur les ADPIC ce qui suit :
« 1. […] un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle. […]
[…] »
8. L’article 29 de l’accord sur les ADPIC dispose :
« 1. Les membres exigeront du déposant d’une demande de brevet qu’il divulgue l’invention d’une manière suffisamment claire et complète pour qu’une personne du métier puisse l’exécuter, et pourront exiger de lui qu’il indique la meilleure manière d’exécuter l’invention connue de l’inventeur à la date du dépôt […]
[…] »
B. Le droit de l’Union
1. La directive 2001/29/CE
9. Le considérant 60 de la directive 2001/29/CE (4) précise :
« La protection prévue par la présente directive n’affecte pas les dispositions légales nationales ou communautaires dans d’autres domaines, tels que la propriété industrielle, la protection des données, les services d’accès conditionnel et à accès conditionnel, l’accès aux documents publics et la règle de la chronologie des médias, susceptibles d’avoir une incidence sur la protection du droit d’auteur ou des droits voisins. »
10. Les articles 2 à 4 de la directive 2001/29 imposent notamment aux États membres de garantir aux auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres [article 2, sous a)], d’en autoriser ou d’en interdire la communication au public (article 3, paragraphe 1) et d’en autoriser ou d’en interdire la distribution (article 4, paragraphe 1).
11. L’article 9 de la directive 2001/29, intitulé « Maintien d’autres dispositions », prévoit :
« La présente directive n’affecte pas les dispositions concernant notamment les brevets, les marques, les dessins et modèles […] »
2. Le règlement (CE) no 6/2002
12. Le considérant 10 du règlement (CE) no 6/2002 (5), quant à lui, affirme :
« L’innovation technologique ne devrait pas être entravée par l’octroi de la protection des dessins ou modèles à des caractéristiques imposées exclusivement par une fonction technique […] »
13. Le considérant 32 du règlement no 6/2002 se lit comme suit :
« Il importe, en l’absence d’une harmonisation complète du droit d’auteur, de consacrer le principe du cumul de la protection spécifique des dessins ou modèles communautaires et de la protection par le droit d’auteur, tout en laissant aux États membres toute liberté pour déterminer l’étendue de la protection par le droit d’auteur et les conditions auxquelles cette protection est accordée. »
14. L’article 3, sous a), du règlement no 6/2002 donne la définition suivante de la notion de « dessin ou modèle » :
« […] l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui‑même et/ou de son ornementation ».
15. L’article 8 du règlement no 6/2002, intitulé « Dessins ou modèles imposés par leur fonction technique et dessins ou modèles d’interconnexions », indique que :
« 1. Un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique.
[…] »
16. L’article 96, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, intitulé « Rapports avec les autres formes de protection prévues par les législations nationales » précise :
« Un dessin ou modèle protégé par un dessin ou modèle communautaire bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur des États membres à partir de la date à laquelle il a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre. »
3. La directive 2006/116/CE
17. L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2006/116/CE (6), intitulé « Durée des droits d’auteur » prévoit :
« Les droits de l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique au sens de l’article 2 de la convention de Berne durent toute la vie de l’auteur et pendant soixante-dix ans après sa mort, quelle que soit la date à laquelle l’œuvre a été licitement rendue accessible au public. »
II. Les faits et les questions préjudicielles
18. En 1975, M. SI a créé un modèle de vélo pliable, qu’il a baptisé Brompton.
19. L’année suivante, il a constitué la société Brompton Ltd en vue de commercialiser son vélo pliable en collaboration avec une entreprise plus importante qui en assurerait la fabrication et la distribution. N’ayant trouvé aucune entreprise intéressée, il a continué à travailler seul.
20. En 1981, il a reçu une première commande de 30 vélos Brompton, qu’il a fabriqués avec une apparence légèrement différente de celle du modèle original.
21. À compter de cette date, il a développé l’activité de sa société pour faire connaître son vélo pliable, qu’il commercialise depuis 1987 sous la forme suivante :
22. Brompton Ltd était titulaire d’un brevet sur le mécanisme de pliage du vélo (sa caractéristique étant de pouvoir prendre trois positions : dépliée, « stand-by » et pliée), ce brevet est par la suite tombé dans le domaine public (7).
23. M. SI affirme également être titulaire des droits patrimoniaux découlant des droits d’auteur sur l’apparence du vélo Brompton.
24. La société coréenne Get2Get, spécialisée dans la production d’équipements sportifs, produit et commercialise un vélo pliable (Chedech), qui prend lui aussi trois positions, d’apparence similaire au vélo Brompton :
25. Brompton Ltd et M. SI, estimant que Get2Get avait enfreint leurs droits d’auteur sur le vélo Brompton, ont saisi la juridiction de renvoi, à laquelle ils ont demandé, notamment : a) de déclarer que les vélos Chedech, indépendamment des signes distinctifs qui leur sont apposés, portent atteinte aux droits d’auteur de Brompton Ltd et aux droits moraux de M. SI sur le vélo Brompton, et b) d’ordonner la cessation des activités portant atteinte à leurs droits et le rappel du produit du marché (8).
26. Get2Get a fait valoir que l’apparence de son vélo était dictée par la solution technique désirée et qu’elle avait volontairement adopté cette technique de pliage (antérieurement protégée par le brevet de Brompton Ltd, expiré depuis), car il s’agissait de la méthode la plus fonctionnelle. Elle soutient que cette restriction technique détermine l’apparence du vélo Chedech.
27. Brompton Ltd et M. SI ont répondu qu’il existe sur le marché d’autres vélos pliables en trois positions dont l’apparence est différente de celle du vélo Brompton, ce pourquoi ils détiennent des droits d’auteur sur celle‑ci. L’apparence du vélo Brompton démontre que des choix créatifs ont été réalisés et qu’il existe donc une originalité.
28. Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour des questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le droit de l’Union, et plus particulièrement la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, laquelle fixe notamment les différents droits exclusifs reconnus aux titulaires de droit d’auteur en ses articles 2 à 5, doit-il être interprété comme excluant de la protection par le droit d’auteur les œuvres dont la forme est nécessaire pour aboutir à un résultat technique ?
2) Afin d’apprécier le caractère nécessaire d’une forme pour aboutir à un résultat technique, faut-il avoir égard aux critères suivants :
– L’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique ?
– L’efficacité de la forme pour aboutir audit résultat ?
– La volonté du prétendu contrefacteur d’aboutir à ce résultat ?
– L’existence d’un brevet antérieur, aujourd’hui expiré, sur le procédé permettant d’aboutir au résultat technique recherché ? »
III. La procédure devant la Cour
29. La décision de renvoi est parvenue au greffe de la Cour le 14 juin 2018.
30. M. SI et Brompton Ltd, Get2Get, les gouvernements belge et polonais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Cette dernière et les parties au litige au principal se sont présentées à l’audience qui s’est tenue le 14 novembre 2019.
IV. Appréciation
A. Observations liminaires
31. La juridiction de renvoi pose ses questions au sujet de la protection conférée par le droit d’auteur à une œuvre « dont la forme est nécessaire pour aboutir à un résultat technique ». Seule l’interprétation de la Cour sur la directive 2001/29 lui importe.
32. L’« œuvre » sur laquelle porte le litige est, comme nous l’avons déjà expliqué, un vélo dont le système de pliage a été, par le passé, protégé par un brevet.
33. La lecture des observations de M. SI et de Brompton Ltd (9) fait apparaître que l’apparence initiale de ce vélo et celle du vélo dont la protection au titre du droit d’auteur est invoquée en l’espèce sont différentes, bien que toutes deux utilisent ce système de pliage (10).
34. Dans la décision de renvoi, rien n’indique que le vélo Brompton ait été protégé en tant que modèle en vue de son application industrielle. La juridiction de renvoi ne mentionne pas non plus les dispositions nationales ou de l’Union qui régissent les dessins et modèles (nationaux ou de l’Union).
35. Même si, en 1987, seule une protection en tant que modèle national pouvait lui être conférée, rien ne s’opposait à ce que le vélo Brompton bénéficie par la suite du régime juridique des modèles (11), que ce soit en vertu de la directive 98/71/CE (12) ou du règlement no 6/2002. Ce règlement prévoit même « une protection à court terme correspondant au dessin ou modèle non enregistré » (13).
36. La réponse à la question préjudicielle ne saurait faire abstraction des problèmes liés au cumul de protections (au titre de la propriété intellectuelle, d’une part, et de la propriété industrielle, de l’autre) que j’aborderai sans tarder. Je crois préférable, à cette fin, de les appréhender à la fois dans l’hypothèse où seul le système de pliage serait protégé par un brevet, et dans celle où l’apparence du vélo correspondrait à un modèle industriel.
37. Bien qu’ils portent sur un objet différent (14), ces deux cas de figure (brevets et modèles) présentent des caractéristiques communes qu’il convient de retenir :
– tous deux visent une application pratique : la protection du modèle industriel est associée à la réalisation d’actes à des fins commerciales, alors que celle de l’activité créative inhérente au brevet est liée à son aptitude à recevoir une application industrielle ;
– la publicité est inhérente à la fois aux brevets, qui doivent être enregistrés, et aux dessins et modèles, auxquels une protection n’est toutefois conférée que s’ils sont nouveaux, par l’enregistrement formel ou, s’ils n’ont pas été enregistrés, à compter de la date à laquelle ils ont été divulgués au public pour la première fois (article 5 du règlement no 6/2002) ;
– l’objectif de promouvoir l’innovation technologique est commun aux deux cas de figure (15), comme le soulignent le règlement no 6/2002 (16) pour les modèles et le règlement (UE) no 1257/2012 (17) pour les brevets.
38. La réponse aux questions du juge de renvoi doit s’insérer dans un contexte plus général, qui prenne en considération les différents objectifs et les finalités poursuivies, respectivement, par la protection de la propriété industrielle et celle du droit d’auteur, ainsi que les intérêts qui les sous-tendent toutes deux.
39. La promotion de l’innovation technologique et le développement de la concurrence figurent parmi les éléments d’intérêt général. Le principe du cumul en vigueur ne devrait pas entraîner une protection démesurée du droit d’auteur, qui serait préjudiciable à l’intérêt public, car elle freinerait le système de défense des droits de propriété industrielle.
40. L’octroi d’un droit d’exploitation exclusif au titulaire d’un brevet ou à l’auteur d’un dessin ou modèle vise précisément à établir un équilibre des intérêts entre le public et le privé :
– L’inventeur ou le concepteur sont récompensés en ce qu’eux seuls tireront un profit économique de leurs inventions ou dessins et modèles, pendant une période déterminée, ce qui stimule la concurrence dans le domaine technologique (18).
– La contrepartie pour l’intérêt public est que cette création sera divulguée, de sorte que les autres chercheurs pourront développer de nouvelles inventions pendant la période de protection ou, une fois écoulée cette période, l’appliquer dans leurs produits.
41. Cet équilibre prudent – dont la conséquence pratique la plus immédiate est une durée de la protection plus courte pour l’inventeur ou le concepteur – se briserait si l’on étendait tout simplement la période de protection jusqu’à ce qu’elle égale les conditions généreuses propres au droit d’auteur. Les concepteurs ne seraient plus incités à bénéficier du système de propriété industrielle si, avec moins de frais et d’exigences formelles (notamment l’absence d’enregistrement), leurs créations étaient protégées au titre du droit d’auteur et pour une période bien plus longue (19).
42. On ne saurait non plus négliger son incidence sur la sécurité juridique : la publicité officielle requise en matière de dessin industriel permet aux concurrents de connaître avec certitude les limites de leurs créations industrielles et la date jusqu’à laquelle celles‑ci sont protégées.
43. Indépendamment du modèle non enregistré (20), il semble légitime pour les concurrents de ceux qui ont formellement obtenu un droit de propriété industrielle de se fier à la publicité de l’enregistrement pour exploiter l’innovation technique enregistrée, après expiration des droits du titulaire de l’enregistrement. Le considérant 21 du règlement no 6/2002 reconnaît que « [l]a nature exclusive du droit conféré par le dessin ou modèle communautaire enregistré correspond à la volonté de lui donner une sécurité juridique plus grande » (21). En revanche, en l’absence de toute publication au registre, comme dans le cas des droits d’auteur, les opérateurs économiques n’ont pas de certitude quant à la teneur des créations intellectuelles à finalité industrielle.
44. Ces arguments ne sont véritablement que des variations sur le thème déjà abordé dans les conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Cofemel, auxquelles je renvoie (22).
45. En définitive, la comparaison des finalités et des valeurs poursuivies par certains régimes juridiques (la propriété industrielle) et par d’autres (les droits d’auteur) doit se faire de manière proportionnée afin d’éviter qu’une protection démesurée de ces derniers vide les premiers de leur contenu.
B. Le cumul de protections et ses limites
46. Le droit de l’Union admet que la protection juridique d’un dessin ou d’un modèle puisse être complétée par celle que confère un droit d’auteur. C’est ce que prévoyait la directive 98/71, dont l’article 17 reconnaissait que les dessins et modèles (enregistrés dans chaque État membre) pouvaient bénéficier de la protection accordée par les dispositions relatives aux droits d’auteur. Cet article ajoutait cependant que « [l]a portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre » (23).
47. Le principe du « cumul » a ensuite été repris à l’article 96, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, qui doit être lu à la lumière du considérant 32 de ce règlement, en ce qui concerne les dessins et modèles communautaires protégés au niveau de l’Union.
48. Sous l’angle de la défense spécifique au droit d’auteur, le considérant 60 de la directive 2001/29 précise que « [l]a protection prévue par la présente directive n’affecte pas les dispositions légales nationales ou communautaires dans d’autres domaines ».
49. Ainsi, donc, « la directive 2001/29 maintient en l’état l’existence et la portée des dispositions en vigueur en matière de dessins et modèles, en ce compris le principe de “cumul” » (24).
50. Il subsistait cependant des doutes quant à la complémentarité de ces deux protections. Concrètement, la discussion portait sur le point de savoir si les États membres pouvaient exiger que les modèles industriels soient soumis à des exigences plus strictes quant à l’originalité, afin de bénéficier de la protection caractéristique des droits d’auteur.
51. Le point 52 de l’arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721) a confirmé la règle générale en vertu de laquelle « la protection des dessins et modèles et la protection associée au droit d’auteur [peuvent], en vertu du droit de l’Union, être accordées de façon cumulative à un même objet ».
52. Cet énoncé est toutefois suivi de certaines précisions qui atténuent, pour ainsi dire, ou qui relativisent la force du principe de cumul.
53. En premier lieu, « bien que la protection des dessins et modèles et la protection associée au droit d’auteur puissent, en vertu du droit de l’Union, être accordées de façon cumulative à un même objet, ce cumul ne saurait être envisagé que dans certaines situations » (25).
54. En deuxième lieu, la protection accordée n’a pas le même objet dans les deux cas. Alors que la protection des dessins et modèles vise à éviter l’imitation par les concurrents, le droit d’auteur a une autre fonction juridique et économique (26).
55. En troisième lieu, obtenir le droit d’auteur sur un objet qui bénéficie déjà de la protection propre aux dessins et modèles présente certains risques qu’il convient de ne pas ignorer (27). En particulier, « l’octroi d’une protection, au titre du droit d’auteur, à un objet protégé en tant que dessin ou modèle ne saurait aboutir à ce qu’il soit porté atteinte aux finalités et à l’effectivité respectives de ces deux protections » (28).
56. En quatrième lieu, il appartient à la juridiction nationale d’établir quand la situation soumise à son examen relève de « certaines situations » qui permettent le cumul de protections. Elle devra donc définir dans chaque cas l’équilibre entre la défense des droits de l’auteur et l’intérêt général.
C. Première question préjudicielle : la notion d’« œuvre », l’exigence relative à l’originalité et l’exclusion de la protection au titre du droit d’auteur lorsque la forme d’une œuvre est dictée par des exigences techniques.
57. Pour commencer, je renvoie de nouveau aux conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Cofemel, dans lesquelles il analyse à la fois la jurisprudence de la Cour relative à la notion d’« œuvre » et l’application de cette jurisprudence aux dessins et modèles (29).
58. Je crois que cette analyse est suffisamment complète pour ne pas nécessiter d’explications supplémentaires de ma part. En outre, elle est intégrée dans le raisonnement de l’arrêt Cofemel lorsqu’il précise les contours de la notion d’« œuvre » en tant que notion autonome du droit de l’Union (30).
59. L’élément qu’il m’intéresse à présent de faire ressortir de cette jurisprudence est celui de l’originalité (31), que la Cour avait déjà mentionné dans des arrêts précédents (32), en déclarant que l’œuvre doit refléter la personnalité de son créateur (33).
60. L’un des apports importants de l’arrêt Cofemel est qu’il ne permet pas de lier l’originalité de la prétendue « œuvre » (dans l’affaire que cet arrêt tranchait, qui concernait des vêtements) à ses éléments esthétiques. La Cour a exclu que l’esthétique puisse être invoquée en tant que motif de protection d’un modèle au titre du droit d’auteur, en précisant que « l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une législation nationale confère une protection, au titre du droit d’auteur, à des modèles […] au motif que, au-delà de leur objectif utilitaire, ceux‑ci génèrent un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique » (34).
61. En dehors des effets esthétiques, le doute porte sur le point de savoir si, en considérant l’originalité comme la prémisse pour qu’il existe une création intellectuelle propre à son auteur (35), il est possible que les impératifs découlant de la nécessité d’obtenir un résultat technique ou fonctionnel puissent entrer en ligne de compte, comme motif pour rejeter la protection d’une œuvre au titre du droit d’auteur. C’est à ce problème que se réfère spécifiquement la juridiction de renvoi.
62. La Cour s’est déjà penchée sur cette question en lien avec la protection du droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur (36).
63. La Cour a, plus précisément, déclaré que, lorsque l’expression des composantes d’un objet « est dictée par [sa] fonction technique, le critère de l’originalité n’est pas rempli, car les différentes manières de mettre en œuvre une idée sont si limitées que l’idée et l’expression se confondent » (37). Une telle situation ne permet pas « à l’auteur d’exprimer son esprit créateur de manière originale et d’aboutir à un résultat constituant une création intellectuelle propre » (38).
64. Dans le même sens, la Cour a affirmé que la création intellectuelle originale propre peut être protégée par le droit d’auteur, mais que cela n’est pas le cas lorsqu’elle est dictée par « des considérations techniques, des règles ou des contraintes qui ne laissent pas de place pour une liberté créative » (39).
65. On peut déduire de ces prononcés que le critère général veut qu’il ne soit pas possible de protéger par des droits d’auteur les œuvres (objets) des arts appliqués dont la forme est conditionnée par leur fonction. Si l’apparence de l’une de ces œuvres est dictée exclusivement par sa fonction technique en tant que facteur déterminant, celle‑ci ne pourra bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur (40).
66. La logique de l’application de ce critère aux droits d’auteur est la même que celle qui sous-tend les dessins et modèles et les marques :
– en ce qui concerne les dessins et modèles (régis soit par la directive 98/71, soit par le règlement no 6/2002) (41), ni l’article 7 de cette directive ni l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement ne confèrent de droits sur « les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique » (42) ;
– quant aux marques de l’Union européenne, l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 40/94 (43) instaure l’interdiction d’enregistrer comme marque tout signe constitué par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
67. En résumé, les dessins dont la conception est dictée par des raisons techniques qui ne laisseraient aucun espace à l’exercice de la liberté créative ne sauraient bénéficier de la protection du droit d’auteur. À l’inverse, le seul fait qu’un dessin fasse apparaître un certain nombre d’éléments fonctionnels ne l’empêche pas de bénéficier de ladite protection au titre du droit d’auteur.
68. Cette règle ne pose pas de problèmes majeurs lorsque lesdites raisons techniques annulent pratiquement la marge de créativité. Toutefois, des difficultés se présentent lorsque les dessins réunissent des caractéristiques fonctionnelles et artistiques. A priori, il n’y a pas de raisons d’exclure ces dessins mixtes de la protection par le droit d’auteur, mais cela est le cas lorsque les éléments fonctionnels priment sur les éléments artistiques au point que ces derniers perdent toute pertinence (44).
69. L’analyse de la jurisprudence de la Cour sur les formes associées aux éléments fonctionnels dans le domaine de la propriété industrielle et du droit des marques peut fournir quelques pistes d’interprétation valables, par analogie, pour les droits d’auteur.
70. Il est vrai que chacun de ces trois domaines (dessins et modèles, droit des marques et droit d’auteur) a ses propres caractéristiques, qui empêchent d’aborder leurs régimes juridiques de la même manière. Cependant je crois qu’il n’y a pas d’inconvénient à ce que, avec une certaine prudence, les réflexions faites par la Cour pour les uns soient extrapolées aux autres, lorsqu’il s’agit d’interpréter un critère applicable, quoiqu’en le nuançant, à l’ensemble de ces domaines (45).
71. Selon moi, dans cette jurisprudence, l’arrêt du 14 septembre 2010, Lego Iuris/OAMI (46), rendu par la grande chambre, qui a interprété l’interdiction d’enregistrer en tant que marque un signe constitué par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique (47) est particulièrement remarquable.
72. Cette interdiction, a déclaré la Cour, « assure que des entreprises ne puissent utiliser le droit des marques pour perpétuer, sans limitation dans le temps, des droits exclusifs portant sur des solutions techniques » (48).
73. La Cour a également soutenu que, « en limitant le motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 aux signes constitués “exclusivement” par la forme du produit “nécessaire” à l’obtention d’un résultat technique, le législateur a dûment considéré que toute forme de produit est, dans une certaine mesure, fonctionnelle et qu’il serait, par conséquent, inapproprié de refuser à l’enregistrement en tant que marque une forme de produit au simple motif qu’elle présente des caractéristiques utilitaires. Par les termes “exclusivement” et “nécessaire”, ladite disposition assure que seules les formes de produit qui ne font qu’incorporer une solution technique et dont l’enregistrement en tant que marque gênerait donc réellement l’utilisation de cette solution technique par d’autres entreprises soient refusées à l’enregistrement » (49).
74. Une fois cette prémisse établie, la Cour a formulé plusieurs précisions d’importance en ce qui concerne « la présence d’un ou de quelques éléments arbitraires mineurs dans un signe tridimensionnel dont tous les éléments essentiels sont dictés par la solution technique à laquelle ce signe donne expression » :
– d’une part, ce facteur « est sans incidence sur la conclusion selon laquelle ledit signe est constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique » (50) ;
– d’autre part, « […] l’enregistrement d’un tel signe en tant que marque ne peut pas être refusé sur la base de cette disposition si la forme de produit en cause incorpore un élément non fonctionnel majeur, tel qu’un élément ornemental ou fantaisiste qui joue un rôle important dans ladite forme » (51).
75. En ce qui concerne la notion de forme nécessaire pour obtenir le résultat technique prévu, la Cour a confirmé la thèse du Tribunal, à savoir « que cette condition ne signifie pas que la forme en cause doive être la seule permettant d’obtenir ce résultat » (52). Elle a ajouté que « l’existence d’autres formes permettant d’obtenir le même résultat technique ne constitue pas […] une circonstance de nature à écarter le motif de refus d’enregistrement » (53).
76. Il est possible de répondre à la juridiction de renvoi à la lumière de ces arguments, dont l’application par analogie au présent litige me paraît opportune. Celle-ci semble soutenir que l’apparence du vélo litigieux était nécessaire à l’obtention du résultat technique (54), ce qui constitue une appréciation de fait qui lui appartient exclusivement. Si, par cette considération, la juridiction de renvoi entend qu’il existe, entre l’apparence et la fonctionnalité, la relation d’exclusivité à laquelle je me suis référé ci‑dessus, la réponse à sa première question devrait être que la protection conférée par le droit d’auteur ne saurait être octroyée.
D. Sur la seconde question préjudicielle
77. La juridiction de renvoi cherche, en particulier, à connaître l’incidence, sur l’appréciation de la relation entre la conception de la forme de l’objet et l’obtention du résultat technique désiré, de quatre facteurs spécifiques, qu’elle énumère.
1. L’existence d’un brevet antérieur
78. En inversant l’ordre de ces facteurs tels qu’ils sont présentés dans la décision de renvoi, je commencerai par examiner l’incidence que peut avoir l’existence d’un brevet antérieur, expiré depuis.
79. Compte tenu de l’applicabilité du principe de cumul, cette circonstance à elle seule ne devrait pas supposer la prévalence du droit de propriété industrielle (surtout s’il a déjà expiré et n’est plus efficace) au point d’empêcher la protection au titre du droit d’auteur. Les considérations formulées sur la proximité entre les brevets et les dessins et modèles industriels, en ce qui concerne cette question (55), militent en faveur de l’extension de ce principe également aux objets protégés par un brevet.
80. Toutefois, sur le plan des éléments d’appréciation, je pense que la juridiction de renvoi a raison de mettre l’accent sur cette circonstance, qui peut avoir une double incidence :
– d’une part, un brevet enregistré peut servir à déterminer si des éléments techniques ont conditionné la forme du produit. Il est naturel que, dans la documentation d’inscription du brevet (qui, par définition, est destinée à une application industrielle), la description du dessin et de sa fonctionnalité soit la plus exhaustive possible, car l’étendue de la protection en dépend ;
– d’autre part, le choix du brevet, en tant qu’instrument de protection de l’activité de celui qui l’enregistre, permet de présumer qu’il existe un lien étroit entre la forme brevetée et le résultat proposé : la première est précisément celle que l’inventeur a considérée comme efficace pour obtenir la fonctionnalité recherchée.
2. L’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique
81. La juridiction de renvoi demande quelle incidence pourrait avoir l’existence d’autres formes permettant d’aboutir au même résultat technique. Elle évoque plus précisément deux approches opposées, fondées sur la théorie dite « de la multiplicité des formes » et sur ce que l’on appelle la « théorie de la causalité ».
82. L’avocat général Saugmandsgaard Øe a récemment effectué une analyse complète de ces deux théories appliquées aux dessins et modèles, dans ses conclusions dans l’affaire DOCERAM (56). J’adhère à ses considérations, auxquelles je renvoie donc.
83. Dans l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172), par lequel elle s’est, pour l’essentiel, ralliée aux conclusions de l’avocat général (la juridiction de renvoi cite à la fois cet arrêt et les conclusions de l’avocat général) (57), la Cour s’est prononcée à cet égard dans les termes suivants :
– « pour apprécier si des caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui‑ci, il y a lieu d’établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l’existence de dessins ou modèles alternatifs n’étant pas déterminante à cet égard » (58) ;
– toutefois, rien ne s’oppose à ce que le juge prenne en considération « l’existence de dessins ou modèles alternatifs permettant de réaliser la même fonction technique » (59). Ce dernier facteur n’est donc pas concluant, mais il s’agit d’un simple élément supplémentaire de l’appréciation.
84. La lecture de l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172), fait donc apparaître que l’existence de solutions alternatives est dépourvue de pertinence aux fins de déterminer si les caractéristiques de l’apparence sont exclusivement liées à la fonction technique du produit. Elle n’autorise cependant pas à considérer que ces solutions alternatives n’ont aucune incidence, en ce qu’elles constituent un élément permettant de reconnaître que la création intellectuelle dispose d’une marge pour aboutir au même résultat technique.
85. Dans les modèles dans lesquels le chevauchement entre l’art et le design est particulièrement remarquable, il existera plus de possibilités pour que la liberté créative (60) façonne l’apparence du produit. Comme l’a proposé la Commission lors de l’audience, la fusion des aspects formels et des aspects fonctionnels dans les œuvres des arts appliqués devrait être analysée en détail afin de déterminer si l’apparence de ces œuvres n’est pas entièrement dictée par les exigences techniques. Il sera possible, dans certains cas, de séparer, au moins en théorie, les éléments qui répondent à des considérations fonctionnelles de ceux qui obéissent à de libres choix (originaux) de leur créateur, et qui pourraient être protégés au titre du droit d’auteur (61).
86. Je comprends que ces réflexions puissent être considérées comme plutôt théoriques et qu’elles n’aideront peut-être guère la juridiction de renvoi dans la tâche difficile de déterminer quels éléments créatifs pourraient être protégés dans un vélo dont la fonctionnalité nécessite la présence de roues, d’une chaîne, d’un cadre et d’un guidon, quelle que soit sa forme (62).
87. En toute hypothèse, dans une perspective liée à l’interprétation de la règle, plus qu’à son application à un cas de figure donné, il importe de rappeler que, pour la Cour, la réponse à cette partie de la seconde question préjudicielle peut être déduite de l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172).
88. La solution exposée pour les dessins et modèles peut être extrapolée, mutatis mutandis, pour discerner le degré d’originalité des « œuvres » à application industrielle dont les créateurs demandent la protection au titre du droit d’auteur.
3. La volonté du prétendu contrefacteur d’aboutir au même résultat technique
89. Pour que le juge puisse apprécier l’existence d’une infraction, d’un point de vue objectif, la volonté de celui qui commercialise un objet protégé par un droit d’auteur sans y être autorisé n’est, en principe, pas pertinente.
90. En revanche, la volonté d’obtenir un résultat technique peut être prise en considération lors de l’appréciation de la relation entre la forme et la fonctionnalité. Il est logique que le fabricant d’un objet protégé par un brevet expiré n’ait pas d’autre but que d’obtenir le résultat technique attendu (63).
91. Néanmoins, en réponse à l’affirmation selon laquelle la forme du modèle obéit à une décision purement esthétique et non fonctionnelle, rien n’empêche celui qui maintient le contraire (à savoir qu’il a utilisé cette forme, car la technique ou la fonction le lui imposaient) de le démontrer (64).
92. Lorsqu’il examine l’existence ou non d’un droit à la protection de l’objet en tant qu’œuvre, le juge peut en priorité enquêter sur la volonté initiale de l’inventeur ou du créateur, avant de s’interroger sur celle de la personne qui reproduit son invention ou son modèle.
93. À cet effet, le juge devra tenir compte du moment de la conception initiale (65) afin d’apprécier si son auteur voulait réellement réaliser une création intellectuelle propre ou s’il cherchait plutôt exclusivement à défendre une idée applicable à l’élaboration d’un produit industriel original, aux fins de sa fabrication et de sa vente en masse sur le marché. La circonstance qu’il a fait une application industrielle ou tiré un bénéfice commercial de son invention ou de son modèle peut donner des indices dignes d’attirer l’attention.
94. Le fait que la reconnaissance postérieure obtenue par le design lui fasse même mériter d’être exposé dans les musées ne me semble pas pertinent dans cette perspective. Ce facteur, ou d’autres facteurs analogues, comme l’obtention de prix dans le cadre du design industriel confirme plutôt que sa nature est celle d’un objet industriel digne d’éloges, voire d’admiration, dans son secteur, ou qu’il présente des éléments esthétiques pertinents.
4. L’efficacité de la forme pour aboutir à un résultat technique
95. La juridiction de renvoi n’apporte pas suffisamment d’éléments d’appréciation pour comprendre le sens exact de cette partie de la seconde question préjudicielle, sur laquelle elle ne donne aucune explication.
96. Dès lors, et dans la mesure où je considère que les raisonnements qui précèdent suffisent pour décrire la relation entre la forme du produit et sa fonction ou le résultat technique obtenu, il me reste bien peu à ajouter.
97. En toute logique, si la forme que le concepteur du produit (en l’espèce, un vélo) a conçue n’était pas apte à obtenir la fonctionnalité recherchée, c’est la condition même de sa future application industrielle qui ferait défaut. Il convient donc de présumer que la forme proposée est efficace à cette fin (en l’espèce, pour fabriquer un vélo qui peut à la fois circuler et être replié).
98. En toute hypothèse, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier ce facteur à la lumière des éléments (en particulier des expertises) qui lui seraient soumis.
E. Considération finale
99. Les critères d’appréciation de la relation d’exclusivité entre l’apparence du produit et le résultat technique obtenu ne se limitent probablement pas aux quatre critères analysés jusqu’ici. Toutefois, comme l’a soutenu l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans ses conclusions dans l’affaire DOCERAM (66), il ne serait pas approprié d’énumérer ces critères dans l’abstrait, de manière exhaustive ou non, lorsque, en réalité, cette évaluation (de nature factuelle) est liée à un ensemble de circonstances qui sont difficiles à reconnaître a priori.
100. Enfin, j’ajouterai que le rejet éventuel de la protection par le droit d’auteur n’empêcherait pas le recours à d’autres dispositions prévues pour lutter contre les imitations serviles ou parasitaires. Comme la Commission l’a souligné à l’audience, la législation en matière de concurrence déloyale, même si elle n’est pas pleinement harmonisée à l’échelle de l’Union (67), peut offrir des voies de recours contre ce phénomène indésirable (68).
101. Par cette dernière réflexion, comme je l’ai précisé à une autre occasion, « je ne cherche pas à m’immiscer dans les possibilités dont peut disposer la juridiction de renvoi dans son droit national pour qualifier le comportement en cause en l’espèce. Je me limite à ouvrir la perspective en apportant des éléments de réponse de nature procédurale à un comportement éventuellement illicite, au-delà du cadre circonscrit du droit des marques » (69).
V. Conclusion
102. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le tribunal de l’entreprise de Liège (Belgique) de la manière suivante :
1) Les articles 2 à 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ne protègent pas par des droits d’auteur les créations de produits ayant une application industrielle dont la forme est déterminée exclusivement par leur fonction technique.
2) Pour établir si les caractéristiques spécifiques de la forme d’un produit sont exclusivement dictées par sa fonction technique, le juge compétent doit tenir compte de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque affaire, y compris l’existence d’un brevet ou d’un modèle antérieur portant sur le même produit, l’efficacité de la forme pour obtenir le résultat technique et la volonté d’obtenir celui‑ci.
3) Lorsque la fonction technique est le seul facteur qui détermine l’apparence du produit, l’existence d’autres formes alternatives est dépourvue de pertinence. Par contre, le fait que la forme choisie comporte des éléments non fonctionnels importants, obéissant à un libre choix de son auteur, peut être pertinent.