Language of document : ECLI:EU:C:2020:79

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 6 février 2020(1)

Affaire C833/18

SI,

Brompton Bicycle Ltd

contre

Chedech/Get2Get

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal de l’entreprise de Liège (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle et industrielle – Droit des brevets – Dessins et modèles – Règlement (CE) no 6/2002 – Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins – Directive 2001/29/CE – Champ d’application – Cumul de droits – Objet utilitaire et fonctionnel – Notion d’“œuvre” – Apparence dictée par la fonction technique de l’objet – Critères d’appréciation du juge national – Mise en balance des intérêts – Proportionnalité – Vélo pliable »






1.        Le litige dont a été saisie la juridiction de renvoi oppose le créateur d’un système de pliage de vélos (et l’entreprise qui les fabrique) à une société coréenne produisant des vélos similaires, accusée d’enfreindre leurs droits d’auteur.

2.        La juridiction de renvoi doit déterminer si un vélo dont le système de pliage antérieurement protégé par un brevet désormais arrivé à expiration peut être considéré comme une œuvre susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. Concrètement, elle veut savoir si cette protection est exclue lorsque la forme de l’objet « est nécessaire pour aboutir à un résultat technique » et les critères à utiliser lors de cette appréciation.

3.        Cette demande de décision préjudicielle, bien qu’elle porte principalement sur les dispositions de l’Union européenne relatives au droit d’auteur, a une incidence sur une question (la compatibilité de la protection caractéristique du droit d’auteur avec celle qui découle de la propriété industrielle) sur laquelle la Cour s’est récemment prononcée (2).

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit international

1.      La convention de Berne (3)

4.        En vertu de l’article 2, paragraphes 1 et 7 de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), telle que modifiée le 28 septembre 1979 (ci-après la « convention de Berne »). :

« 1)      Les termes “œuvres littéraires et artistiques” comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, telles que : […] les œuvres des arts appliqués […]

[…]

7)      Il est réservé aux législations des pays de l’Union de régler le champ d’application des lois concernant les œuvres des arts appliqués et les dessins et modèles industriels, ainsi que les conditions de protection de ces œuvres, dessins et modèles, compte tenu des dispositions de l’article 7.4) de la présente Convention. Pour les œuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d’origine, il ne peut être réclamé dans un autre pays de l’Union que la protection spéciale accordée dans ce pays aux dessins et modèles ; toutefois, si une telle protection spéciale n’est pas accordée dans ce pays, ces œuvres seront protégées comme œuvres artistiques. »

2.      L’accord sur les ADPIC

5.        Conformément à l’article 7 de l’accord sur les ADPIC :

« La protection et le respect des droits de propriété intellectuelle devraient contribuer à la promotion de l’innovation technologique et au transfert et à la diffusion de la technologie, à l’avantage mutuel de ceux qui génèrent et de ceux qui utilisent des connaissances techniques et d’une manière propice au bien-être social et économique, et à assurer un équilibre de droits et d’obligations. »

6.        L’article 26 de l’accord sur les ADPIC dispose :

« 1.      Le titulaire d’un dessin ou modèle industriel protégé aura le droit d’empêcher des tiers agissant sans son consentement de fabriquer, de vendre ou d’importer des articles portant ou comportant un dessin ou modèle qui est, en totalité ou pour une part substantielle, une copie de ce dessin ou modèle protégé, lorsque ces actes seront entrepris à des fins de commerce.

[…] »

7.        L’article 27 prévoit de l’accord sur les ADPIC ce qui suit :

« 1.      […] un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle. […]

[…] » 

8.        L’article 29 de l’accord sur les ADPIC dispose :

« 1.      Les membres exigeront du déposant d’une demande de brevet qu’il divulgue l’invention d’une manière suffisamment claire et complète pour qu’une personne du métier puisse l’exécuter, et pourront exiger de lui qu’il indique la meilleure manière d’exécuter l’invention connue de l’inventeur à la date du dépôt […]

[…] »

B.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2001/29/CE

9.        Le considérant 60 de la directive 2001/29/CE (4) précise :

« La protection prévue par la présente directive n’affecte pas les dispositions légales nationales ou communautaires dans d’autres domaines, tels que la propriété industrielle, la protection des données, les services d’accès conditionnel et à accès conditionnel, l’accès aux documents publics et la règle de la chronologie des médias, susceptibles d’avoir une incidence sur la protection du droit d’auteur ou des droits voisins. »

10.      Les articles 2 à 4 de la directive 2001/29 imposent notamment aux États membres de garantir aux auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres [article 2, sous a)], d’en autoriser ou d’en interdire la communication au public (article 3, paragraphe 1) et d’en autoriser ou d’en interdire la distribution (article 4, paragraphe 1).

11.      L’article 9 de la directive 2001/29, intitulé « Maintien d’autres dispositions », prévoit :

« La présente directive n’affecte pas les dispositions concernant notamment les brevets, les marques, les dessins et modèles […] »

2.      Le règlement (CE) no 6/2002

12.      Le considérant 10 du règlement (CE) no 6/2002 (5), quant à lui, affirme :

« L’innovation technologique ne devrait pas être entravée par l’octroi de la protection des dessins ou modèles à des caractéristiques imposées exclusivement par une fonction technique […] »

13.      Le considérant 32 du règlement no 6/2002 se lit comme suit :

« Il importe, en l’absence d’une harmonisation complète du droit d’auteur, de consacrer le principe du cumul de la protection spécifique des dessins ou modèles communautaires et de la protection par le droit d’auteur, tout en laissant aux États membres toute liberté pour déterminer l’étendue de la protection par le droit d’auteur et les conditions auxquelles cette protection est accordée. »

14.      L’article 3, sous a), du règlement no 6/2002 donne la définition suivante de la notion de « dessin ou modèle » :

« […] l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui‑même et/ou de son ornementation ».

15.      L’article 8 du règlement no 6/2002, intitulé « Dessins ou modèles imposés par leur fonction technique et dessins ou modèles d’interconnexions », indique que :

« 1.      Un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique.

[…] »

16.      L’article 96, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, intitulé « Rapports avec les autres formes de protection prévues par les législations nationales » précise :

« Un dessin ou modèle protégé par un dessin ou modèle communautaire bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur des États membres à partir de la date à laquelle il a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre. »

3.      La directive 2006/116/CE

17.      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2006/116/CE (6), intitulé « Durée des droits d’auteur » prévoit :

« Les droits de l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique au sens de l’article 2 de la convention de Berne durent toute la vie de l’auteur et pendant soixante-dix ans après sa mort, quelle que soit la date à laquelle l’œuvre a été licitement rendue accessible au public. »

II.    Les faits et les questions préjudicielles

18.      En 1975, M. SI a créé un modèle de vélo pliable, qu’il a baptisé Brompton.

19.      L’année suivante, il a constitué la société Brompton Ltd en vue de commercialiser son vélo pliable en collaboration avec une entreprise plus importante qui en assurerait la fabrication et la distribution. N’ayant trouvé aucune entreprise intéressée, il a continué à travailler seul.

20.      En 1981, il a reçu une première commande de 30 vélos Brompton, qu’il a fabriqués avec une apparence légèrement différente de celle du modèle original.

21.      À compter de cette date, il a développé l’activité de sa société pour faire connaître son vélo pliable, qu’il commercialise depuis 1987 sous la forme suivante :

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22.      Brompton Ltd était titulaire d’un brevet sur le mécanisme de pliage du vélo (sa caractéristique étant de pouvoir prendre trois positions : dépliée, « stand-by » et pliée), ce brevet est par la suite tombé dans le domaine public (7).

23.      M. SI affirme également être titulaire des droits patrimoniaux découlant des droits d’auteur sur l’apparence du vélo Brompton.

24.      La société coréenne Get2Get, spécialisée dans la production d’équipements sportifs, produit et commercialise un vélo pliable (Chedech), qui prend lui aussi trois positions, d’apparence similaire au vélo Brompton :

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25.      Brompton Ltd et M. SI, estimant que Get2Get avait enfreint leurs droits d’auteur sur le vélo Brompton, ont saisi la juridiction de renvoi, à laquelle ils ont demandé, notamment : a) de déclarer que les vélos Chedech, indépendamment des signes distinctifs qui leur sont apposés, portent atteinte aux droits d’auteur de Brompton Ltd et aux droits moraux de M. SI sur le vélo Brompton, et b) d’ordonner la cessation des activités portant atteinte à leurs droits et le rappel du produit du marché (8).

26.      Get2Get a fait valoir que l’apparence de son vélo était dictée par la solution technique désirée et qu’elle avait volontairement adopté cette technique de pliage (antérieurement protégée par le brevet de Brompton Ltd, expiré depuis), car il s’agissait de la méthode la plus fonctionnelle. Elle soutient que cette restriction technique détermine l’apparence du vélo Chedech.

27.      Brompton Ltd et M. SI ont répondu qu’il existe sur le marché d’autres vélos pliables en trois positions dont l’apparence est différente de celle du vélo Brompton, ce pourquoi ils détiennent des droits d’auteur sur celle‑ci. L’apparence du vélo Brompton démontre que des choix créatifs ont été réalisés et qu’il existe donc une originalité.

28.      Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le droit de l’Union, et plus particulièrement la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, laquelle fixe notamment les différents droits exclusifs reconnus aux titulaires de droit d’auteur en ses articles 2 à 5, doit-il être interprété comme excluant de la protection par le droit d’auteur les œuvres dont la forme est nécessaire pour aboutir à un résultat technique ?

2)      Afin d’apprécier le caractère nécessaire d’une forme pour aboutir à un résultat technique, faut-il avoir égard aux critères suivants :

–        L’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique ?

–        L’efficacité de la forme pour aboutir audit résultat ?

–        La volonté du prétendu contrefacteur d’aboutir à ce résultat ?

–        L’existence d’un brevet antérieur, aujourd’hui expiré, sur le procédé permettant d’aboutir au résultat technique recherché ? »

III. La procédure devant la Cour

29.      La décision de renvoi est parvenue au greffe de la Cour le 14 juin 2018.

30.      M. SI et Brompton Ltd, Get2Get, les gouvernements belge et polonais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Cette dernière et les parties au litige au principal se sont présentées à l’audience qui s’est tenue le 14 novembre 2019.

IV.    Appréciation

A.      Observations liminaires

31.      La juridiction de renvoi pose ses questions au sujet de la protection conférée par le droit d’auteur à une œuvre « dont la forme est nécessaire pour aboutir à un résultat technique ». Seule l’interprétation de la Cour sur la directive 2001/29 lui importe.

32.      L’« œuvre » sur laquelle porte le litige est, comme nous l’avons déjà expliqué, un vélo dont le système de pliage a été, par le passé, protégé par un brevet.

33.      La lecture des observations de M. SI et de Brompton Ltd (9) fait apparaître que l’apparence initiale de ce vélo et celle du vélo dont la protection au titre du droit d’auteur est invoquée en l’espèce sont différentes, bien que toutes deux utilisent ce système de pliage (10).

34.      Dans la décision de renvoi, rien n’indique que le vélo Brompton ait été protégé en tant que modèle en vue de son application industrielle. La juridiction de renvoi ne mentionne pas non plus les dispositions nationales ou de l’Union qui régissent les dessins et modèles (nationaux ou de l’Union).

35.      Même si, en 1987, seule une protection en tant que modèle national pouvait lui être conférée, rien ne s’opposait à ce que le vélo Brompton bénéficie par la suite du régime juridique des modèles (11), que ce soit en vertu de la directive 98/71/CE (12) ou du règlement no 6/2002. Ce règlement prévoit même « une protection à court terme correspondant au dessin ou modèle non enregistré » (13).

36.      La réponse à la question préjudicielle ne saurait faire abstraction des problèmes liés au cumul de protections (au titre de la propriété intellectuelle, d’une part, et de la propriété industrielle, de l’autre) que j’aborderai sans tarder. Je crois préférable, à cette fin, de les appréhender à la fois dans l’hypothèse où seul le système de pliage serait protégé par un brevet, et dans celle où l’apparence du vélo correspondrait à un modèle industriel.

37.      Bien qu’ils portent sur un objet différent (14), ces deux cas de figure (brevets et modèles) présentent des caractéristiques communes qu’il convient de retenir :

–        tous deux visent une application pratique : la protection du modèle industriel est associée à la réalisation d’actes à des fins commerciales, alors que celle de l’activité créative inhérente au brevet est liée à son aptitude à recevoir une application industrielle ;

–        la publicité est inhérente à la fois aux brevets, qui doivent être enregistrés, et aux dessins et modèles, auxquels une protection n’est toutefois conférée que s’ils sont nouveaux, par l’enregistrement formel ou, s’ils n’ont pas été enregistrés, à compter de la date à laquelle ils ont été divulgués au public pour la première fois (article 5 du règlement no 6/2002) ;

–        l’objectif de promouvoir l’innovation technologique est commun aux deux cas de figure (15), comme le soulignent le règlement no 6/2002 (16) pour les modèles et le règlement (UE) no 1257/2012 (17) pour les brevets.

38.      La réponse aux questions du juge de renvoi doit s’insérer dans un contexte plus général, qui prenne en considération les différents objectifs et les finalités poursuivies, respectivement, par la protection de la propriété industrielle et celle du droit d’auteur, ainsi que les intérêts qui les sous-tendent toutes deux.

39.      La promotion de l’innovation technologique et le développement de la concurrence figurent parmi les éléments d’intérêt général. Le principe du cumul en vigueur ne devrait pas entraîner une protection démesurée du droit d’auteur, qui serait préjudiciable à l’intérêt public, car elle freinerait le système de défense des droits de propriété industrielle.

40.      L’octroi d’un droit d’exploitation exclusif au titulaire d’un brevet ou à l’auteur d’un dessin ou modèle vise précisément à établir un équilibre des intérêts entre le public et le privé :

–        L’inventeur ou le concepteur sont récompensés en ce qu’eux seuls tireront un profit économique de leurs inventions ou dessins et modèles, pendant une période déterminée, ce qui stimule la concurrence dans le domaine technologique (18).

–        La contrepartie pour l’intérêt public est que cette création sera divulguée, de sorte que les autres chercheurs pourront développer de nouvelles inventions pendant la période de protection ou, une fois écoulée cette période, l’appliquer dans leurs produits.

41.      Cet équilibre prudent – dont la conséquence pratique la plus immédiate est une durée de la protection plus courte pour l’inventeur ou le concepteur – se briserait si l’on étendait tout simplement la période de protection jusqu’à ce qu’elle égale les conditions généreuses propres au droit d’auteur. Les concepteurs ne seraient plus incités à bénéficier du système de propriété industrielle si, avec moins de frais et d’exigences formelles (notamment l’absence d’enregistrement), leurs créations étaient protégées au titre du droit d’auteur et pour une période bien plus longue (19).

42.      On ne saurait non plus négliger son incidence sur la sécurité juridique : la publicité officielle requise en matière de dessin industriel permet aux concurrents de connaître avec certitude les limites de leurs créations industrielles et la date jusqu’à laquelle celles‑ci sont protégées.

43.      Indépendamment du modèle non enregistré (20), il semble légitime pour les concurrents de ceux qui ont formellement obtenu un droit de propriété industrielle de se fier à la publicité de l’enregistrement pour exploiter l’innovation technique enregistrée, après expiration des droits du titulaire de l’enregistrement. Le considérant 21 du règlement no 6/2002 reconnaît que « [l]a nature exclusive du droit conféré par le dessin ou modèle communautaire enregistré correspond à la volonté de lui donner une sécurité juridique plus grande » (21). En revanche, en l’absence de toute publication au registre, comme dans le cas des droits d’auteur, les opérateurs économiques n’ont pas de certitude quant à la teneur des créations intellectuelles à finalité industrielle.

44.      Ces arguments ne sont véritablement que des variations sur le thème déjà abordé dans les conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Cofemel, auxquelles je renvoie (22).

45.      En définitive, la comparaison des finalités et des valeurs poursuivies par certains régimes juridiques (la propriété industrielle) et par d’autres (les droits d’auteur) doit se faire de manière proportionnée afin d’éviter qu’une protection démesurée de ces derniers vide les premiers de leur contenu.

B.      Le cumul de protections et ses limites

46.      Le droit de l’Union admet que la protection juridique d’un dessin ou d’un modèle puisse être complétée par celle que confère un droit d’auteur. C’est ce que prévoyait la directive 98/71, dont l’article 17 reconnaissait que les dessins et modèles (enregistrés dans chaque État membre) pouvaient bénéficier de la protection accordée par les dispositions relatives aux droits d’auteur. Cet article ajoutait cependant que « [l]a portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre » (23).

47.      Le principe du « cumul » a ensuite été repris à l’article 96, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, qui doit être lu à la lumière du considérant 32 de ce règlement, en ce qui concerne les dessins et modèles communautaires protégés au niveau de l’Union.

48.      Sous l’angle de la défense spécifique au droit d’auteur, le considérant 60 de la directive 2001/29 précise que « [l]a protection prévue par la présente directive n’affecte pas les dispositions légales nationales ou communautaires dans d’autres domaines ».

49.      Ainsi, donc, « la directive 2001/29 maintient en l’état l’existence et la portée des dispositions en vigueur en matière de dessins et modèles, en ce compris le principe de “cumul” » (24).

50.      Il subsistait cependant des doutes quant à la complémentarité de ces deux protections. Concrètement, la discussion portait sur le point de savoir si les États membres pouvaient exiger que les modèles industriels soient soumis à des exigences plus strictes quant à l’originalité, afin de bénéficier de la protection caractéristique des droits d’auteur.

51.      Le point 52 de l’arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721) a confirmé la règle générale en vertu de laquelle « la protection des dessins et modèles et la protection associée au droit d’auteur [peuvent], en vertu du droit de l’Union, être accordées de façon cumulative à un même objet ».

52.      Cet énoncé est toutefois suivi de certaines précisions qui atténuent, pour ainsi dire, ou qui relativisent la force du principe de cumul.

53.      En premier lieu, « bien que la protection des dessins et modèles et la protection associée au droit d’auteur puissent, en vertu du droit de l’Union, être accordées de façon cumulative à un même objet, ce cumul ne saurait être envisagé que dans certaines situations » (25).

54.      En deuxième lieu, la protection accordée n’a pas le même objet dans les deux cas. Alors que la protection des dessins et modèles vise à éviter l’imitation par les concurrents, le droit d’auteur a une autre fonction juridique et économique (26).

55.      En troisième lieu, obtenir le droit d’auteur sur un objet qui bénéficie déjà de la protection propre aux dessins et modèles présente certains risques qu’il convient de ne pas ignorer (27). En particulier, « l’octroi d’une protection, au titre du droit d’auteur, à un objet protégé en tant que dessin ou modèle ne saurait aboutir à ce qu’il soit porté atteinte aux finalités et à l’effectivité respectives de ces deux protections » (28).

56.      En quatrième lieu, il appartient à la juridiction nationale d’établir quand la situation soumise à son examen relève de « certaines situations » qui permettent le cumul de protections. Elle devra donc définir dans chaque cas l’équilibre entre la défense des droits de l’auteur et l’intérêt général.

C.      Première question préjudicielle : la notion d’« œuvre », l’exigence relative à l’originalité et l’exclusion de la protection au titre du droit d’auteur lorsque la forme d’une œuvre est dictée par des exigences techniques.

57.      Pour commencer, je renvoie de nouveau aux conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Cofemel, dans lesquelles il analyse à la fois la jurisprudence de la Cour relative à la notion d’« œuvre » et l’application de cette jurisprudence aux dessins et modèles (29).

58.      Je crois que cette analyse est suffisamment complète pour ne pas nécessiter d’explications supplémentaires de ma part. En outre, elle est intégrée dans le raisonnement de l’arrêt Cofemel lorsqu’il précise les contours de la notion d’« œuvre » en tant que notion autonome du droit de l’Union (30).

59.      L’élément qu’il m’intéresse à présent de faire ressortir de cette jurisprudence est celui de l’originalité (31), que la Cour avait déjà mentionné dans des arrêts précédents (32), en déclarant que l’œuvre doit refléter la personnalité de son créateur (33).

60.      L’un des apports importants de l’arrêt Cofemel est qu’il ne permet pas de lier l’originalité de la prétendue « œuvre » (dans l’affaire que cet arrêt tranchait, qui concernait des vêtements) à ses éléments esthétiques. La Cour a exclu que l’esthétique puisse être invoquée en tant que motif de protection d’un modèle au titre du droit d’auteur, en précisant que « l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une législation nationale confère une protection, au titre du droit d’auteur, à des modèles […] au motif que, au-delà de leur objectif utilitaire, ceux‑ci génèrent un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique » (34).

61.      En dehors des effets esthétiques, le doute porte sur le point de savoir si, en considérant l’originalité comme la prémisse pour qu’il existe une création intellectuelle propre à son auteur (35), il est possible que les impératifs découlant de la nécessité d’obtenir un résultat technique ou fonctionnel puissent entrer en ligne de compte, comme motif pour rejeter la protection d’une œuvre au titre du droit d’auteur. C’est à ce problème que se réfère spécifiquement la juridiction de renvoi.

62.      La Cour s’est déjà penchée sur cette question en lien avec la protection du droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur (36).

63.      La Cour a, plus précisément, déclaré que, lorsque l’expression des composantes d’un objet « est dictée par [sa] fonction technique, le critère de l’originalité n’est pas rempli, car les différentes manières de mettre en œuvre une idée sont si limitées que l’idée et l’expression se confondent » (37). Une telle situation ne permet pas « à l’auteur d’exprimer son esprit créateur de manière originale et d’aboutir à un résultat constituant une création intellectuelle propre » (38).

64.      Dans le même sens, la Cour a affirmé que la création intellectuelle originale propre peut être protégée par le droit d’auteur, mais que cela n’est pas le cas lorsqu’elle est dictée par « des considérations techniques, des règles ou des contraintes qui ne laissent pas de place pour une liberté créative » (39).

65.      On peut déduire de ces prononcés que le critère général veut qu’il ne soit pas possible de protéger par des droits d’auteur les œuvres (objets) des arts appliqués dont la forme est conditionnée par leur fonction. Si l’apparence de l’une de ces œuvres est dictée exclusivement par sa fonction technique en tant que facteur déterminant, celle‑ci ne pourra bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur (40).

66.      La logique de l’application de ce critère aux droits d’auteur est la même que celle qui sous-tend les dessins et modèles et les marques :

–        en ce qui concerne les dessins et modèles (régis soit par la directive 98/71, soit par le règlement no 6/2002) (41), ni l’article 7 de cette directive ni l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement ne confèrent de droits sur « les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique » (42) ;

–        quant aux marques de l’Union européenne, l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 40/94 (43) instaure l’interdiction d’enregistrer comme marque tout signe constitué par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

67.      En résumé, les dessins dont la conception est dictée par des raisons techniques qui ne laisseraient aucun espace à l’exercice de la liberté créative ne sauraient bénéficier de la protection du droit d’auteur. À l’inverse, le seul fait qu’un dessin fasse apparaître un certain nombre d’éléments fonctionnels ne l’empêche pas de bénéficier de ladite protection au titre du droit d’auteur.

68.      Cette règle ne pose pas de problèmes majeurs lorsque lesdites raisons techniques annulent pratiquement la marge de créativité. Toutefois, des difficultés se présentent lorsque les dessins réunissent des caractéristiques fonctionnelles et artistiques. A priori, il n’y a pas de raisons d’exclure ces dessins mixtes de la protection par le droit d’auteur, mais cela est le cas lorsque les éléments fonctionnels priment sur les éléments artistiques au point que ces derniers perdent toute pertinence (44).

69.      L’analyse de la jurisprudence de la Cour sur les formes associées aux éléments fonctionnels dans le domaine de la propriété industrielle et du droit des marques peut fournir quelques pistes d’interprétation valables, par analogie, pour les droits d’auteur.

70.      Il est vrai que chacun de ces trois domaines (dessins et modèles, droit des marques et droit d’auteur) a ses propres caractéristiques, qui empêchent d’aborder leurs régimes juridiques de la même manière. Cependant je crois qu’il n’y a pas d’inconvénient à ce que, avec une certaine prudence, les réflexions faites par la Cour pour les uns soient extrapolées aux autres, lorsqu’il s’agit d’interpréter un critère applicable, quoiqu’en le nuançant, à l’ensemble de ces domaines (45).

71.      Selon moi, dans cette jurisprudence, l’arrêt du 14 septembre 2010, Lego Iuris/OAMI (46), rendu par la grande chambre, qui a interprété l’interdiction d’enregistrer en tant que marque un signe constitué par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique (47) est particulièrement remarquable.

72.      Cette interdiction, a déclaré la Cour, « assure que des entreprises ne puissent utiliser le droit des marques pour perpétuer, sans limitation dans le temps, des droits exclusifs portant sur des solutions techniques » (48).

73.      La Cour a également soutenu que, « en limitant le motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 aux signes constitués “exclusivement” par la forme du produit “nécessaire” à l’obtention d’un résultat technique, le législateur a dûment considéré que toute forme de produit est, dans une certaine mesure, fonctionnelle et qu’il serait, par conséquent, inapproprié de refuser à l’enregistrement en tant que marque une forme de produit au simple motif qu’elle présente des caractéristiques utilitaires. Par les termes “exclusivement” et “nécessaire”, ladite disposition assure que seules les formes de produit qui ne font qu’incorporer une solution technique et dont l’enregistrement en tant que marque gênerait donc réellement l’utilisation de cette solution technique par d’autres entreprises soient refusées à l’enregistrement » (49).

74.      Une fois cette prémisse établie, la Cour a formulé plusieurs précisions d’importance en ce qui concerne « la présence d’un ou de quelques éléments arbitraires mineurs dans un signe tridimensionnel dont tous les éléments essentiels sont dictés par la solution technique à laquelle ce signe donne expression » :

–        d’une part, ce facteur « est sans incidence sur la conclusion selon laquelle ledit signe est constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique » (50) ;

–        d’autre part, « […] l’enregistrement d’un tel signe en tant que marque ne peut pas être refusé sur la base de cette disposition si la forme de produit en cause incorpore un élément non fonctionnel majeur, tel qu’un élément ornemental ou fantaisiste qui joue un rôle important dans ladite forme » (51).

75.      En ce qui concerne la notion de forme nécessaire pour obtenir le résultat technique prévu, la Cour a confirmé la thèse du Tribunal, à savoir « que cette condition ne signifie pas que la forme en cause doive être la seule permettant d’obtenir ce résultat » (52). Elle a ajouté que « l’existence d’autres formes permettant d’obtenir le même résultat technique ne constitue pas […] une circonstance de nature à écarter le motif de refus d’enregistrement » (53).

76.      Il est possible de répondre à la juridiction de renvoi à la lumière de ces arguments, dont l’application par analogie au présent litige me paraît opportune. Celle-ci semble soutenir que l’apparence du vélo litigieux était nécessaire à l’obtention du résultat technique (54), ce qui constitue une appréciation de fait qui lui appartient exclusivement. Si, par cette considération, la juridiction de renvoi entend qu’il existe, entre l’apparence et la fonctionnalité, la relation d’exclusivité à laquelle je me suis référé ci‑dessus, la réponse à sa première question devrait être que la protection conférée par le droit d’auteur ne saurait être octroyée.

D.      Sur la seconde question préjudicielle

77.      La juridiction de renvoi cherche, en particulier, à connaître l’incidence, sur l’appréciation de la relation entre la conception de la forme de l’objet et l’obtention du résultat technique désiré, de quatre facteurs spécifiques, qu’elle énumère.

1.      L’existence d’un brevet antérieur

78.      En inversant l’ordre de ces facteurs tels qu’ils sont présentés dans la décision de renvoi, je commencerai par examiner l’incidence que peut avoir l’existence d’un brevet antérieur, expiré depuis.

79.      Compte tenu de l’applicabilité du principe de cumul, cette circonstance à elle seule ne devrait pas supposer la prévalence du droit de propriété industrielle (surtout s’il a déjà expiré et n’est plus efficace) au point d’empêcher la protection au titre du droit d’auteur. Les considérations formulées sur la proximité entre les brevets et les dessins et modèles industriels, en ce qui concerne cette question (55), militent en faveur de l’extension de ce principe également aux objets protégés par un brevet.

80.      Toutefois, sur le plan des éléments d’appréciation, je pense que la juridiction de renvoi a raison de mettre l’accent sur cette circonstance, qui peut avoir une double incidence :

–        d’une part, un brevet enregistré peut servir à déterminer si des éléments techniques ont conditionné la forme du produit. Il est naturel que, dans la documentation d’inscription du brevet (qui, par définition, est destinée à une application industrielle), la description du dessin et de sa fonctionnalité soit la plus exhaustive possible, car l’étendue de la protection en dépend ;

–        d’autre part, le choix du brevet, en tant qu’instrument de protection de l’activité de celui qui l’enregistre, permet de présumer qu’il existe un lien étroit entre la forme brevetée et le résultat proposé : la première est précisément celle que l’inventeur a considérée comme efficace pour obtenir la fonctionnalité recherchée.

2.      L’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique

81.      La juridiction de renvoi demande quelle incidence pourrait avoir l’existence d’autres formes permettant d’aboutir au même résultat technique. Elle évoque plus précisément deux approches opposées, fondées sur la théorie dite « de la multiplicité des formes » et sur ce que l’on appelle la « théorie de la causalité ».

82.      L’avocat général Saugmandsgaard Øe a récemment effectué une analyse complète de ces deux théories appliquées aux dessins et modèles, dans ses conclusions dans l’affaire DOCERAM (56). J’adhère à ses considérations, auxquelles je renvoie donc.

83.      Dans l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172), par lequel elle s’est, pour l’essentiel, ralliée aux conclusions de l’avocat général (la juridiction de renvoi cite à la fois cet arrêt et les conclusions de l’avocat général) (57), la Cour s’est prononcée à cet égard dans les termes suivants :

–        « pour apprécier si des caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui‑ci, il y a lieu d’établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l’existence de dessins ou modèles alternatifs n’étant pas déterminante à cet égard » (58) ;

–        toutefois, rien ne s’oppose à ce que le juge prenne en considération « l’existence de dessins ou modèles alternatifs permettant de réaliser la même fonction technique » (59). Ce dernier facteur n’est donc pas concluant, mais il s’agit d’un simple élément supplémentaire de l’appréciation.

84.      La lecture de l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172), fait donc apparaître que l’existence de solutions alternatives est dépourvue de pertinence aux fins de déterminer si les caractéristiques de l’apparence sont exclusivement liées à la fonction technique du produit. Elle n’autorise cependant pas à considérer que ces solutions alternatives n’ont aucune incidence, en ce qu’elles constituent un élément permettant de reconnaître que la création intellectuelle dispose d’une marge pour aboutir au même résultat technique.

85.      Dans les modèles dans lesquels le chevauchement entre l’art et le design est particulièrement remarquable, il existera plus de possibilités pour que la liberté créative (60) façonne l’apparence du produit. Comme l’a proposé la Commission lors de l’audience, la fusion des aspects formels et des aspects fonctionnels dans les œuvres des arts appliqués devrait être analysée en détail afin de déterminer si l’apparence de ces œuvres n’est pas entièrement dictée par les exigences techniques. Il sera possible, dans certains cas, de séparer, au moins en théorie, les éléments qui répondent à des considérations fonctionnelles de ceux qui obéissent à de libres choix (originaux) de leur créateur, et qui pourraient être protégés au titre du droit d’auteur (61).

86.      Je comprends que ces réflexions puissent être considérées comme plutôt théoriques et qu’elles n’aideront peut-être guère la juridiction de renvoi dans la tâche difficile de déterminer quels éléments créatifs pourraient être protégés dans un vélo dont la fonctionnalité nécessite la présence de roues, d’une chaîne, d’un cadre et d’un guidon, quelle que soit sa forme (62).

87.      En toute hypothèse, dans une perspective liée à l’interprétation de la règle, plus qu’à son application à un cas de figure donné, il importe de rappeler que, pour la Cour, la réponse à cette partie de la seconde question préjudicielle peut être déduite de l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172).

88.      La solution exposée pour les dessins et modèles peut être extrapolée, mutatis mutandis, pour discerner le degré d’originalité des « œuvres » à application industrielle dont les créateurs demandent la protection au titre du droit d’auteur.

3.      La volonté du prétendu contrefacteur d’aboutir au même résultat technique

89.      Pour que le juge puisse apprécier l’existence d’une infraction, d’un point de vue objectif, la volonté de celui qui commercialise un objet protégé par un droit d’auteur sans y être autorisé n’est, en principe, pas pertinente.

90.      En revanche, la volonté d’obtenir un résultat technique peut être prise en considération lors de l’appréciation de la relation entre la forme et la fonctionnalité. Il est logique que le fabricant d’un objet protégé par un brevet expiré n’ait pas d’autre but que d’obtenir le résultat technique attendu (63).

91.      Néanmoins, en réponse à l’affirmation selon laquelle la forme du modèle obéit à une décision purement esthétique et non fonctionnelle, rien n’empêche celui qui maintient le contraire (à savoir qu’il a utilisé cette forme, car la technique ou la fonction le lui imposaient) de le démontrer (64).

92.      Lorsqu’il examine l’existence ou non d’un droit à la protection de l’objet en tant qu’œuvre, le juge peut en priorité enquêter sur la volonté initiale de l’inventeur ou du créateur, avant de s’interroger sur celle de la personne qui reproduit son invention ou son modèle.

93.      À cet effet, le juge devra tenir compte du moment de la conception initiale (65) afin d’apprécier si son auteur voulait réellement réaliser une création intellectuelle propre ou s’il cherchait plutôt exclusivement à défendre une idée applicable à l’élaboration d’un produit industriel original, aux fins de sa fabrication et de sa vente en masse sur le marché. La circonstance qu’il a fait une application industrielle ou tiré un bénéfice commercial de son invention ou de son modèle peut donner des indices dignes d’attirer l’attention.

94.      Le fait que la reconnaissance postérieure obtenue par le design lui fasse même mériter d’être exposé dans les musées ne me semble pas pertinent dans cette perspective. Ce facteur, ou d’autres facteurs analogues, comme l’obtention de prix dans le cadre du design industriel confirme plutôt que sa nature est celle d’un objet industriel digne d’éloges, voire d’admiration, dans son secteur, ou qu’il présente des éléments esthétiques pertinents.

4.      L’efficacité de la forme pour aboutir à un résultat technique

95.      La juridiction de renvoi n’apporte pas suffisamment d’éléments d’appréciation pour comprendre le sens exact de cette partie de la seconde question préjudicielle, sur laquelle elle ne donne aucune explication.

96.      Dès lors, et dans la mesure où je considère que les raisonnements qui précèdent suffisent pour décrire la relation entre la forme du produit et sa fonction ou le résultat technique obtenu, il me reste bien peu à ajouter.

97.      En toute logique, si la forme que le concepteur du produit (en l’espèce, un vélo) a conçue n’était pas apte à obtenir la fonctionnalité recherchée, c’est la condition même de sa future application industrielle qui ferait défaut. Il convient donc de présumer que la forme proposée est efficace à cette fin (en l’espèce, pour fabriquer un vélo qui peut à la fois circuler et être replié).

98.      En toute hypothèse, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier ce facteur à la lumière des éléments (en particulier des expertises) qui lui seraient soumis.

E.      Considération finale

99.      Les critères d’appréciation de la relation d’exclusivité entre l’apparence du produit et le résultat technique obtenu ne se limitent probablement pas aux quatre critères analysés jusqu’ici. Toutefois, comme l’a soutenu l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans ses conclusions dans l’affaire DOCERAM (66), il ne serait pas approprié d’énumérer ces critères dans l’abstrait, de manière exhaustive ou non, lorsque, en réalité, cette évaluation (de nature factuelle) est liée à un ensemble de circonstances qui sont difficiles à reconnaître a priori.

100. Enfin, j’ajouterai que le rejet éventuel de la protection par le droit d’auteur n’empêcherait pas le recours à d’autres dispositions prévues pour lutter contre les imitations serviles ou parasitaires. Comme la Commission l’a souligné à l’audience, la législation en matière de concurrence déloyale, même si elle n’est pas pleinement harmonisée à l’échelle de l’Union (67), peut offrir des voies de recours contre ce phénomène indésirable (68).

101. Par cette dernière réflexion, comme je l’ai précisé à une autre occasion, « je ne cherche pas à m’immiscer dans les possibilités dont peut disposer la juridiction de renvoi dans son droit national pour qualifier le comportement en cause en l’espèce. Je me limite à ouvrir la perspective en apportant des éléments de réponse de nature procédurale à un comportement éventuellement illicite, au-delà du cadre circonscrit du droit des marques » (69).

V.      Conclusion

102. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le tribunal de l’entreprise de Liège (Belgique) de la manière suivante :

1)      Les articles 2 à 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ne protègent pas par des droits d’auteur les créations de produits ayant une application industrielle dont la forme est déterminée exclusivement par leur fonction technique.

2)      Pour établir si les caractéristiques spécifiques de la forme d’un produit sont exclusivement dictées par sa fonction technique, le juge compétent doit tenir compte de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque affaire, y compris l’existence d’un brevet ou d’un modèle antérieur portant sur le même produit, l’efficacité de la forme pour obtenir le résultat technique et la volonté d’obtenir celui‑ci.

3)      Lorsque la fonction technique est le seul facteur qui détermine l’apparence du produit, l’existence d’autres formes alternatives est dépourvue de pertinence. Par contre, le fait que la forme choisie comporte des éléments non fonctionnels importants, obéissant à un libre choix de son auteur, peut être pertinent.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721).


3      L’Union n’est pas partie à cette convention, mais elle est partie à l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, figurant à l’annexe 1 C de l’accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech le 15 avril 1994 (ci‑après l’« accord sur les ADPIC ») qui a été approuvé au nom de l’Union par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986‑1994) (JO 1994, L 336, p. 1), dont l’article 9, paragraphe 1, impose aux parties contractantes de respecter les articles 1 à 21 de la convention de Berne.


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).


5      Règlement du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).


6      Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO 2006, L 372, p. 12).


7      La demande de brevet a été déposée le 3 octobre 1979, et son octroi a été publié le 15 avril 1981 sous le numéro EP0026800 A1 (annexe 12 des observations de M. SI et de Brompton Ltd).


8      Plus précisément, leur demande de cessation concernait les vélos Chedech litigieux et tout autre vélo pliable reprenant les caractéristiques originales suivantes du vélo Brompton :


      « i) En position dépliée :


      la forme du cadre principal se caractérisant par un tube courbé principal et une section triangulaire arrière ; et/ou


      la forme du cadre arrière se caractérisant par un triangle droit et fin, incurvé à un coin inférieur et présentant un élément de suspension dans le coin supérieur ; et/ou


      l’apparence du mécanisme de tendeur de chaîne ; et/ou


      les câbles lâches ;


      ii) En position “stand-by” :


      la position du cadre arrière triangulaire plié au-dessous du cadre principal et de la roue arrière qui épouse la courbe du cadre principal ; et/ou


      l’apparence du tendeur de chaîne plié reprenant le jeu dans la chaîne ;


      iii) En position pliée :


      l’apparence du cadre arrière dans lequel la roue arrière est fixée de sorte à ce que cette roue arrière touche la partie inférieure du tube courbé principal ; et/ou


      l’apparence de la roue avant, parallèle au cadre principal et reposant au sol ; et/ou


      le guidon plié vers le bas, vers l’extérieur du vélo,


      […] »


9      Points 148 et 153 et annexe 12 (documentation relative au brevet EP0026800 A1).


10      À l’audience, ces parties ont confirmé qu’elles ne cherchaient pas à étendre la protection de la fonctionnalité technique du pliage, qui a par le passé été protégée par le brevet.


11      À l’audience, les requérants ont reconnu ne pas avoir demandé la protection de l’apparence du vélo en tant que modèle.


12      Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles (JO 1998, L 289, p. 28).


13      Considérant 17 et article 11 du règlement no 6/2002. Dans la directive 98/71, la protection des modèles non enregistrés n’était pas harmonisée, même si l’article 16 de cette directive contenait un renvoi aux droits nationaux.


14      Alors que le droit des brevets est axé sur les inventions de produits ou de procédés, le droit des modèles porte sur « l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui‑même et/ou de son ornementation », aux termes de l’article 3, sous a), du règlement no 6/2002.


15      L’article 7 de l’accord sur les ADPIC souligne que les droits de propriété intellectuelle devront contribuer « à la promotion de l’innovation technologique et au transfert et à la diffusion de la technologie, à l’avantage mutuel de ceux qui génèrent et de ceux qui utilisent des connaissances techniques et d’une manière propice au bien-être social et économique, et à assurer un équilibre de droits et d’obligations ».


16      Son considérant 7 indique qu’« [u]ne protection accrue de l’esthétique industrielle a pour effet […] de favoriser l’innovation et le développement de nouveaux produits et l’investissement dans leur production ».


17      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2012 mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet (JO 2012, L 361, p. 1). Selon son considérant 4, « [l]a protection unitaire conférée par un brevet favorisera le progrès scientifique et technique ainsi que le fonctionnement du marché intérieur ».


18      Sans cette exclusivité, les incitations économiques à investir dans la recherche appliquée pourraient diminuer.


19      À l’audience, la Commission a soutenu qu’une protection excessive des œuvres industrielles par le droit d’auteur aurait pour effet de « phagocyter » le régime juridique des dessins et modèles, qui perdrait en réalité son sens.


20      Je rappelle que, même dans le régime instauré par le règlement no 6/2002, qui protège les dessins ou modèles non enregistrés, ceux‑ci doivent être publiés pour être protégés.


21      Le considérant 4 du règlement no 1257/2012 renvoie expressément au caractère « juridiquement sûr » en tant qu’objectif de la protection unitaire conférée par un brevet. La directive 2001/29 fait également référence à la sécurité juridique dans son exposé des motifs.


22      C-683/17, EU:C:2019:363.


23      Dans le même sens, voir le considérant 8 de la directive 98/71.


24      Arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721, point 47).


25      Arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721, point 52).


26      Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:363, point 55) : « le droit d’auteur ignore cette protection contre la concurrence. Bien au contraire, le dialogue, l’inspiration, la reformulation sont inhérents à la création intellectuelle et le droit d’auteur n’a pas vocation à les entraver Ce que le droit d’auteur protège, en tout cas au moyen des droits patrimoniaux, c’est la possibilité d’une exploitation économique sans entrave de l’œuvre en tant que telle ».


27      Dans ces conclusions dans l’affaire Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:363), l’avocat général Szpunar souligne, au point 52, le « risque de voir le régime du droit d’auteur évincer le régime sui generis destiné aux dessins et modèles ». Il ajoute que « cette éviction aurait plusieurs effets négatifs : la dévaluation du droit d’auteur, sollicité pour protéger des créations en fait banales, l’entrave à la concurrence du fait de la durée excessive de la protection ou encore l’insécurité juridique, en ce que les concurrents ne sont pas en mesure de prévoir si un dessin ou modèle dont la protection sui generis a expiré n’est pas également protégé par le droit d’auteur ».


28      Arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721, point 51).


29      C‑683/17, EU:C:2019:363, points 23 à 32.


30      Arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721, points 27 et 28).


31      Arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721, point 30). L’originalité est l’un des deux éléments indispensables pour qualifier une création en tant qu’œuvre. L’autre est l’existence d’un « objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité ». Voir point 32 de cet arrêt.


32      Au point 29 de l’arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721), la Cour cite les arrêts du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465, points 37 et 39), et du 13 novembre 2018, Levola Hengelo (C‑310/17, EU:C:2018:899, points 33 et 35 à 37).


33      Arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721, point 30) : « [P]our qu’un objet puisse être regardé comme original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui‑ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. » Voir, à cet égard, les arrêts du 1er décembre 2011, Painer (C‑145/10, EU:C:2011:798, points 88, 89 et 94), et du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634, point 14).


34      Arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721). Dans leurs observations, M. SI et Brompton Ltd soutiennent qu’il suffit que le choix de l’œuvre ait été déterminé, au moins dans une certaine mesure, par une ou plusieurs autres considérations que des considérations purement fonctionnelles, comme des considérations esthétiques (point 67). Les points 3, 5, 69 et 155 de ces observations mentionnent également l’esthétique pour affirmer qu’elle est le résultat d’une intention allant au-delà des considérations techniques. Selon eux, la forme du vélo Brompton n’a pas été exclusivement imposée par des causes techniques liées à la mécanique du pliage, mais par des raisons purement esthétiques.


35      Arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465, point 37).


36      Arrêt du 22 décembre 2010, Bezpečnostní softwarová asociace (C‑393/09, EU:C:2010:816).


37      Arrêt du 22 décembre 2010, Bezpečnostní softwarová asociace (C‑393/09, EU:C:2010:816, point 49).


38      Arrêt du 22 décembre 2010, Bezpečnostní softwarová asociace (C‑393/09, EU:C:2010:816, point 50).


39      Arrêt du 1er mars 2012, Football Dataco e.a. (C‑604/10, EU:C:2012:115, point 39).


40      Les termes utilisés pour décrire cette relation peuvent varier. Les apparences ou formes « prédéterminées », « imposées », « dictées exclusivement » ou « conditionnées » par leur fonction technique sont celles dans lesquelles ladite fonction technique est absolument prépondérante.


41      Il est logique d’appliquer le même critère à l’un ou l’autre modèle, étant donné que, conformément au considérant 9 du règlement no 6/2002, « [l]es dispositions matérielles du présent règlement relatives à la législation sur les dessins ou modèles devraient être alignées sur les dispositions correspondantes de la directive 98/71/CE ».


42      Dans le même sens, le considérant 10 du règlement no 6/2002 dispose que « [l]’innovation technologique ne devrait pas être entravée par l’octroi de la protection des dessins ou modèles à des caractéristiques imposées exclusivement par une fonction technique » (mise en italique par mes soins).


43      Règlement du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1).


44      Arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172).


45      Dans ses conclusions dans l’affaire DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2017:779), l’avocat général Saugmandsgaard Øe a préconisé la même méthode en ce qui concerne la règle applicable aux dessins et modèles et l’interdiction d’enregistrer en tant que marques les signes constitués par la forme du produit nécessaire pour obtenir un résultat technique.


46       C‑48/09 P, EU:C:2010:516.


47      Motif de refus d’enregistrement prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94.


48      Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 45).


49      Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 48).


50      Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 52).


51      Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 52).


52      Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 53).


53      Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 83).


54      À la fin de la décision de renvoi, la Cour affirme que « [l]a solution au présent litige dépend par conséquent de la question de savoir si l’existence d’un droit d’auteur […] est exclue lorsque l’apparence que l’on entend protéger est nécessaire pour atteindre un effet technique précis ».


55      Point 37 des présentes conclusions.


56      C‑395/16, EU:C:2017:779.


57      Même si la Cour n’a pas utilisé, par analogie, les critères applicables à l’interdiction d’enregistrement des marques et s’est limitée à l’analyse du règlement no 6/2002, ses considérations de fond coïncident, en réalité, avec celles qui sont exposées dans l’arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516).


58      Arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172, point 32 et dispositif) (mise en italique par mes soins).


59      Arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172, point 37).


60      L’étendue de cette protection au titre du droit d’auteur ne dépend pas du degré de liberté créative dont a disposé son auteur. Voir arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721, point 35).


61      En principe, l’originalité de l’œuvre est suffisante pour que celle‑ci puisse bénéficier de la protection du droit d’auteur, et il n’est pas nécessaire qu’elle remplisse des exigences supplémentaires. La marge d’appréciation des États pour déterminer le « degré d’originalité requis » (article 17 de la directive 98/71) peut être qualifiée de très limitée, voire d’inexistante, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, dont le dernier exemple est l’arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721).


62      Dans leurs observations écrites, les requérants ont invoqué trois arrêts d’autant de juridictions [de Groningue (Pays-Bas), du 24 mai 2006 ; de Bruges (Belgique), du 10 juin 2009 ; et de Madrid (Espagne), du 10 février 2010], qui ont octroyé la protection au titre du droit d’auteur au vélo Brompton et rejeté l’argument selon lequel son apparence est exclusivement déterminée par sa fonction technique.


63      Sous cet angle, les modèles non enregistrés posent plus de problèmes, car la description propre à la demande d’enregistrement est absente.


64      Dans la présente affaire, il serait nécessaire d’établir que la courbe de la barre de cadre du vélo permet aux roues de se replier de manière plus compacte, ou qu’elle augmente la résistance. Cette argumentation ressort du point III, lettre A, sous (3), quatrième alinéa, des observations de Get2Get.


65      C’est le point de vue adopté par les requérants au principal, qui indiquent que les années 1975 et 1987 sont des années de référence (point 89 de leurs observations). Cette observation est également celle de la Cour dans l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172, point 37), lorsqu’elle se réfère aux « circonstances objectives révélatrices des motifs qui ont présidé au choix des caractéristiques de l’apparence du produit concerné ».


66      C‑395/16, EU:C:2017:779, point 65 : « Il n’y a, selon moi, pas lieu d’établir une liste, même non exhaustive, des critères pertinents à cet égard, sachant que le législateur de l’Union n’a pas envisagé de recourir à ce procédé et qu’il m’apparaît que la Cour ne l’a pas estimé utile s’agissant de l’appréciation, également d’ordre factuel, qui doit être effectuée […] »


67      Le droit de l’Union a harmonisé partiellement le droit de la concurrence déloyale en ce qui concerne les pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs. Voir la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22).


68      J’ai mentionné cette possibilité dans mes conclusions dans l’affaire Mitsubishi Shoji Kaisha et Mitsubishi Caterpillar Forklift Europe (C‑129/17, EU:C:2018:292, points 90 à 95). La Cour s’y est également référée dans un obiter dictum dans l’arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 61) : « [L]a situation d’une entreprise ayant développé une solution technique à l’égard de concurrents mettant sur le marché des copies serviles de la forme de produit incorporant exactement la même solution ne saurait être protégée en conférant un monopole à ladite entreprise par l’enregistrement en tant que marque du signe tridimensionnel constitué par ladite forme, mais peut, le cas échéant, être examinée à la lumière des règles en matière de concurrence déloyale. Un tel examen n’est cependant pas l’objet du présent litige. »


69      Conclusions dans l’affaire Mitsubishi Shoji Kaisha et Mitsubishi Caterpillar Forklift Europe (C‑129/17, EU:C:2018:292, point 95).