Language of document : ECLI:EU:C:2008:143

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

6 mars 2008 (*)

«Communications électroniques – Réseaux et services – Articles 3, paragraphe 2, et 10, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE (directive ‘cadre’) – Plans nationaux de numérotation – Autorité réglementaire spécifique»

Dans l’affaire C‑82/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 23 janvier 2007, parvenue à la Cour le 15 février 2007, dans la procédure

Comisión del Mercado de las Telecomunicaciones

contre

Administración del Estado,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. L. Bay Larsen, K. Schiemann, P. Kūris (rapporteur) et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour la Comisión del Mercado de las Telecomunicaciones, par M. F. Ramos Cea, procurador, et Me M. Sánchez Blanco, abogado,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. M. Muñoz Pérez, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement belge, initialement par Mme A. Hubert, puis par Mme C. Pochet, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement grec, par M. S. Spyropoulos ainsi que Mmes I. Pouli et S. Trekli, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels et M. M. de Grave, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. R. Vidal Puig, en qualité d’agent,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, paragraphe 2, et 10, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre») (JO L 108, p. 33, ci-après la «directive ‘cadre’»), lus en combinaison avec le onzième considérant de celle-ci.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours par lequel la Comisión del Mercado de las Telecomunicaciones (ci-après la «CMT») demande l’annulation de tout ou partie du décret royal 2296/2004 portant adoption du règlement relatif aux marchés des communications électroniques, à l’accès aux réseaux et à la numérotation (Real Decreto 2296/2004 por el que se aprueba el Reglamento sobre mercados de comunicaciones electrónicas, acceso a las redes y numeración), du 10 décembre 2004 (BOE n° 314, du 30 décembre 2004, p. 42372), ainsi que de certains points du plan national de numérotation téléphonique annexé audit décret royal, au motif que ceux-ci seraient contraires à la loi générale 32/2003 sur les télécommunications (Ley General 32/2003 de Telecomunicaciones), du 3 novembre 2003 (BOE n° 264, du 4 novembre 2003, p. 38890, ci-après la «LGT»), qui a transposé en droit national la directive «cadre».

 Le cadre juridique communautaire

3        Le onzième considérant de la directive «cadre» dispose:

«Conformément au principe de la séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation, les États membres devraient garantir l’indépendance de la ou des autorités réglementaires nationales, afin d’assurer l’impartialité de leurs décisions. Cette exigence d’indépendance ne porte pas atteinte à l’autonomie institutionnelle, ni aux obligations constitutionnelles des États membres, ni au principe de neutralité, établi à l’article 295 du traité, à l’égard des règles régissant le régime de la propriété applicables dans les États membres. Il convient que les autorités réglementaires nationales soient en possession de toutes les ressources nécessaires, en termes de personnel, de compétences et de moyens financiers, pour l’exécution de leurs missions.»

4        Le vingtième considérant de cette directive expose:

«L’accès aux ressources de numérotation selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires est essentiel à la concurrence entre les entreprises dans le secteur des communications électroniques. Il convient que tous les éléments du plan national de numérotation soient gérés par les autorités réglementaires nationales, y compris les codes de points utilisés pour l’adressage sur le réseau. […]»

5        L’article 2, sous g), de la directive «cadre» définit «l’autorité réglementaire nationale» comme «l’organisme ou les organismes chargés par un État membre d’une quelconque des tâches de réglementation assignées dans la présente directive et dans les directives particulières».

6        En vertu de l’article 2, sous m), de cette directive, la «fourniture d’un réseau de communications électroniques» est définie comme étant la mise en place, l’exploitation, la surveillance ou la mise à disposition d’un tel réseau.

7        L’article 3 de la directive «cadre», intitulé «Autorités réglementaires nationales», se lit comme suit:

«1.      Les États membres veillent à ce que chacune des tâches assignées aux autorités réglementaires nationales dans la présente directive et dans les directives particulières soit accomplie par un organisme compétent.

2.      Les États membres garantissent l’indépendance des autorités réglementaires nationales en faisant en sorte que celles-ci soient juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes de toutes les organisations assurant la fourniture de réseaux, d’équipements ou de services de communications électroniques. Les États membres qui conservent la propriété ou le contrôle d’entreprises qui assurent la fourniture de réseaux et/ou de services de communications électroniques veillent à la séparation structurelle effective de la fonction de réglementation d’une part, et des activités inhérentes à la propriété ou à la direction de ces entreprises d’autre part.

3.      Les États membres veillent à ce que les autorités réglementaires nationales exercent leurs pouvoirs de manière impartiale et transparente.

4.      Les États membres publient les tâches à accomplir par les autorités réglementaires nationales d’une manière aisément accessible, en particulier lorsque ces tâches sont confiées à plusieurs organismes. Les États membres assurent, le cas échéant, la consultation et la coopération entre ces autorités, ainsi qu’entre ces autorités et les autorités nationales chargées de l’application du droit de la concurrence et les autorités nationales chargées de l’application de la législation en matière de protection des consommateurs, sur des sujets d’intérêt commun. Lorsque plus d’une autorité est compétente pour traiter ces questions, les États membres veillent à ce que les tâches respectives de chaque autorité soient publiées d’une manière aisément accessible.

[…]

6.      Les États membres notifient à la Commission toutes les autorités réglementaires nationales chargées d’accomplir des tâches en application de la présente directive et des directives particulières, ainsi que leurs responsabilités respectives.»

8        Pour sa part, l’article 10 de la directive «cadre», intitulé «Numérotation, nommage et adressage», énonce à son paragraphe 1:

«Les États membres veillent à ce que les autorités réglementaires nationales aient la maîtrise de l’assignation de toutes les ressources nationales de numérotation ainsi que de la gestion des plans nationaux de numérotation. Les États membres veillent à ce que des numéros et des séries de numéros adéquats soient fournis pour tous les services de communications électroniques accessibles au public. Les autorités réglementaires nationales établissent des procédures d’assignation des ressources nationales de numérotations objectives, transparentes et non discriminatoires.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Le 9 décembre 2005, la CMT a introduit, auprès du Tribunal Supremo, un recours tendant à obtenir l’annulation et à laisser sans effet les articles 27, paragraphes 1 et 3, 28, paragraphe 2, 34, 36, 38, 40, paragraphes 1 et 3, 49 et 55 du décret royal 2296/2004 ainsi que les points 5.4 et 10.1 du plan national de numérotation téléphonique annexé audit décret, en ce qu’ils seraient contraires aux dispositions de la LGT.

10      La CMT a fait valoir que ces dispositions ne respectent pas la répartition des compétences en matière de gestion des ressources de numérotation prévue aux articles 16 et 48 de la LGT. En effet, la compétence résiduelle du ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce en la matière, prévue par les précédentes dispositions législatives et par celles de la LGT, aurait été tellement précisée par les dispositions du décret royal 2296/2004 que les fonctions de la CMT se réduiraient à une simple exécution des décisions prises par ledit ministère. De plus, la CMT a soutenu que ce décret royal outrepasse la LGT en violant les principes de légalité, de hiérarchie des normes et de sécurité juridique et méconnaît les dispositions de l’article 10, paragraphe 1, de la directive «cadre».

11      Par jugement du 23 janvier 2007, le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      En vertu des articles 3, paragraphe 2, et 10, paragraphe 1, de la directive [‘cadre’], lus en liaison avec le onzième considérant de celle-ci, les États membres sont-ils tenus d’attribuer à des autorités distinctes les ‘fonctions de réglementation’, d’une part, et celles d’‘exploitation’, d’autre part, en matière d’assignation des ressources nationales de numérotation et de gestion des plans nationaux de numérotation?

2)      Lorsqu’un État membre, en transposant dans l’ordre interne la directive [‘cadre’], a chargé une autorité réglementaire spécifique de l’assignation des ressources nationales de numérotation et de la gestion des plans nationaux de numérotation, peut-il simultanément réduire les compétences de cette autorité réglementaire en la matière en les attribuant à d’autres ou à l’administration étatique elle-même, de sorte qu’il y a en réalité une gestion partagée desdites ressources entre plusieurs autorités?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

12      À titre liminaire, il convient de constater que, selon le premier considérant de la directive «cadre», le nouveau cadre réglementaire applicable aux télécommunications, à savoir les directives «cadre» 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive «autorisation») (JO L 108, p. 21), 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (JO L 108, p. 51), et 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive «accès») (JO L 108, p. 7), a été adopté alors que le cadre réglementaire précédent avait permis la création des conditions d’une concurrence effective dans le secteur des télécommunications au cours de la transition d’une situation de monopole à la pleine concurrence.

13      C’est dans ce contexte que doit être apprécié le onzième considérant de la directive «cadre», selon lequel, conformément au principe de séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation, les États membres doivent garantir l’indépendance de la ou des autorités réglementaires nationales (ci-après la ou les «autorités réglementaires») afin d’assurer l’impartialité de leurs décisions.

14      L’article 3, paragraphe 2, de la directive «cadre» précise les modalités devant permettre de garantir l’indépendance des autorités réglementaires, en prévoyant que celles-ci doivent être juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes de toutes les organisations assurant la fourniture de réseaux, d’équipements ou de services de communications électroniques. Lorsque les États membres conservent la propriété ou le contrôle d’entreprises qui assurent la fourniture de réseaux et/ou de services de communications électroniques, ils doivent particulièrement veiller à la séparation structurelle effective de la fonction de réglementation, d’une part, et des activités inhérentes à la propriété ou à la direction de ces entreprises, d’autre part.

15      S’agissant des fonctions d’assignation des ressources nationales de numérotation et de gestion des plans nationaux de numérotation, il y a lieu d’emblée de préciser qu’elles ne font pas partie des fonctions exercées par des entités assurant la fourniture de services et/ou de réseaux, telle que cette dernière est définie à l’article 2, point m), de la directive «cadre». Dès lors, elles doivent non pas être considérées comme des «fonctions d’exploitation» au sens du onzième considérant de ladite directive, mais comme des «fonctions de réglementation».

16      Par ailleurs, la juridiction de renvoi semble s’interroger sur le point de savoir si la directive «cadre» permet aux États membres d’attribuer à des autorités réglementaires distinctes, d’une part, les fonctions de réglementation et, d’autre part, celles de gestion en matière d’assignation des ressources nationales de numérotation et de plans nationaux de numérotation.

17      À cet égard, il ressort de la lecture combinée des articles 10, paragraphe 1, et 3, paragraphe 2, de la directive «cadre» que les États membres doivent attribuer à une ou plusieurs autorités réglementaires la maîtrise de l’assignation de toutes les ressources nationales de numérotation ainsi que la gestion des plans nationaux de numérotation, que ces autorités réglementaires doivent être juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes de toutes les organisations assurant la fourniture de réseaux, d’équipements et de services de communications électroniques et que les États membres qui conservent la propriété ou le contrôle des entreprises assurant la fourniture de réseaux et/ou de services de communications électroniques doivent garantir une séparation structurelle effective des activités associées à la propriété et au contrôle de ces entreprises, d’une part, et des fonctions de réglementation, y compris celles de l’assignation des ressources nationales de numérotation et de la gestion des plans nationaux de numérotation, d’autre part.

18      Cette constatation est corroborée tant par le onzième considérant de la directive «cadre», qui oblige les États membres à garantir l’indépendance de la ou des autorités réglementaires, que par l’article 3, paragraphe 4, de la même directive, qui dispose que les États membres doivent publier les tâches à accomplir par ces autorités réglementaires, en particulier lorsqu’elles sont confiées à plusieurs organismes.

19      De plus, cette pluralité éventuelle d’autorités réglementaires ressort de la définition même de l’«autorité réglementaire nationale» formulée à l’article 2, sous g) de ladite directive.

20      En revanche, il convient de constater qu’aucune disposition de la directive «cadre» n’impose que l’autorité réglementaire à laquelle sont attribuées les fonctions d’assignation des ressources nationales de numérotation et de gestion des plans nationaux de numérotation soit distincte ou indépendante des autres autorités réglementaires et, en particulier, de celle à laquelle incombe l’adoption du plan national de numérotation ou des procédures de contrôle et de gestion dudit plan.

21      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question posée que les articles 3, paragraphes 2 et 4, ainsi que 10, paragraphe 1, de la directive «cadre», lus en combinaison avec le onzième considérant de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens que les fonctions d’assignation des ressources nationales de numérotation et de gestion des plans nationaux de numérotation doivent être considérées comme des fonctions de réglementation. Les États membres ne sont pas tenus d’attribuer ces différentes fonctions à des autorités réglementaires distinctes.

 Sur la seconde question

22      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si un État membre peut attribuer les fonctions de réglementation, visées à l’article 10, paragraphe 1, de la directive «cadre», à plusieurs autorités réglementaires.

23      Il ressort clairement des termes des articles 2, sous g), et 10, paragraphe 1, de la directive «cadre» que plusieurs autorités réglementaires peuvent avoir la maîtrise de l’assignation des ressources nationales de numérotation ainsi que de la gestion des plans nationaux de numérotation.

24      Si les États membres jouissent en la matière d’une autonomie institutionnelle dans l’organisation et la structuration de leurs autorités réglementaires au sens de l’article 2, sous g), de la directive «cadre», celle-ci ne peut toutefois être exercée que dans le plein respect des objectifs et des obligations fixés par cette directive.

25      Ainsi, conformément à l’article 3, paragraphes 2, 4 et 6, de ladite directive, les États membres doivent non seulement assurer l’indépendance fonctionnelle des autorités réglementaires par rapport aux organisations assurant la fourniture de réseaux, d’équipements ou de services de communications électroniques, mais également publier d’une manière aisément accessible les tâches à accomplir par lesdites autorités réglementaires et notifier à la Commission le nom des autorités réglementaires chargées d’accomplir ces fonctions ainsi que leurs responsabilités respectives.

26      Par conséquent, lorsque ces attributions relèvent, même partiellement, d’autorités ministérielles, il incombe à chaque État membre de veiller à ce que ces dernières ne soient pas directement ou indirectement impliquées dans des «fonctions d’exploitation» au sens de la directive «cadre».

27      Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la seconde question posée que les articles 10, paragraphe 1, ainsi que 3, paragraphes 2, 4 et 6, de la directive «cadre» doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que les fonctions d’assignation des ressources nationales de numérotation ainsi que celles de gestion des plans nationaux de numérotation soient partagées entre plusieurs autorités réglementaires indépendantes, sous réserve que la répartition des tâches soit rendue publique, aisément accessible et notifiée à la Commission.

 Sur les dépens

28      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      Les articles 3, paragraphes 2 et 4, ainsi que 10, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre»), lus en combinaison avec le onzième considérant de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens que les fonctions d’assignation des ressources nationales de numérotation et de gestion des plans nationaux de numérotation doivent être considérées comme des fonctions de réglementation. Les États membres ne sont pas tenus d’attribuer ces différentes fonctions à des autorités réglementaires nationales distinctes.

2)      Les articles 10, paragraphe 1, ainsi que 3, paragraphes 2, 4 et 6 de la directive 2002/21 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que les fonctions d’assignation des ressources nationales de numérotation ainsi que celles de gestion des plans nationaux de numérotation soient partagées entre plusieurs autorités réglementaires indépendantes, sous réserve que la répartition des tâches soit rendue publique, aisément accessible et notifiée à la Commission des Communautés européennes.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.