Language of document : ECLI:EU:F:2012:160

ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

22 novembre 2012 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Rémunération – Refus d’accorder aux requérants le bénéfice d’une indemnité pour service continu ou par tours – Décision confirmative – Recours en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé »

Dans l’affaire F‑84/11,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Yvette Barthel, fonctionnaire de la Cour de justice de l’Union européenne, demeurant à Arlon (Belgique),

Marianne Reiffers, fonctionnaire de la Cour de justice de l’Union européenne, demeurant à Olm (Luxembourg),

Lieven Massez, fonctionnaire de la Cour de justice de l’Union européenne, demeurant à Luxembourg (Luxembourg),

représentés par Mes D. Abreu Caldas, S. Orlandi, A. Coolen, J.-N. Louis et É. Marchal, avocats,

parties requérantes,

contre

Cour de justice de l’Union européenne, représentée par M. A. V. Placco, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre),

composé de M. S. Van Raepenbusch, président, Mme I. Boruta et M. E. Perillo (rapporteur), juges,

greffier : Mme W. Hakenberg,

rend la présente

Ordonnance

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 29 août 2011, Mme Barthel, Mme Reiffers et M. Massez ont introduit le présent recours tendant, en premier lieu, à l’annulation de la décision du 17 mai 2011 par laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a rejeté leur réclamation dirigée contre la décision implicite de rejet de leur demande du 14 juillet 2010 visant à bénéficier, ex nunc, de l’indemnité pour service continu ou par tours. En second lieu, les requérants demandent la condamnation de la Cour de justice à leur verser, à chacun, 10 700,76 euros en réparation de leur préjudice matériel et la somme de 3 000 euros au titre de leur préjudice moral.

 Cadre juridique

2        Aux termes de l’article 56 bis du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») :

« Le fonctionnaire qui, dans le cadre d’un service continu ou par tour[s] décidé par l’institution en raison des nécessités du service ou des exigences des normes en matière de sécurité du travail et considéré par elle comme devant être habituel et permanent, est tenu d’effectuer de manière régulière des travaux la nuit, le samedi, le dimanche ou les jours fériés peut bénéficier d’indemnités.

Le Conseil [de l’Union européenne], statuant sur proposition de la Commission [européenne] faite après avis du comité du statut, détermine les catégories de bénéficiaires, les conditions d’attribution et les taux de ces indemnités.

La durée normale de travail d’un fonctionnaire assurant le service continu ou par tour[s] ne peut être supérieure au total annuel des heures normales de travail. »

3        Aux termes de l’article 56 ter du statut :

« Le fonctionnaire qui, par décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination prise en raison des nécessités de service ou des exigences des normes en matière de sécurité du travail, est régulièrement astreint à se tenir à la disposition de l’institution sur le lieu de travail ou à son domicile en dehors de la durée normale de travail peut bénéficier d’indemnités.

Le Conseil, statuant sur proposition de la Commission faite après avis du statut, détermine les catégories de bénéficiaires, les conditions d’attribution et les taux de ces indemnités. »

4        L’indemnité pour service continu ou par tours a été prévue par le règlement (CECA, CEE, Euratom) no 300/76 du Conseil, du 9 février 1976, déterminant les catégories de bénéficiaires, les conditions d’attribution et les taux des indemnités qui peuvent être accordées aux fonctionnaires appelés à exercer leurs fonctions dans le cadre d’un service continu ou par tours (JO L 38, p. 1). Par l’article 1er, paragraphe 1, second tiret, du règlement (CE, Euratom) no 1873/2006 du Conseil, du 11 décembre 2006, modifiant le règlement no 300/76 (JO L 360, p. 61), le bénéfice des indemnités prévues à l’article 56 bis du statut a été étendu à tout fonctionnaire affecté à un service de standard téléphonique et qui exerce ses fonctions dans le cadre d’un service continu ou par tours. Ainsi modifié, l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 300/76 prévoit :

« Le fonctionnaire

–        […]

–        rémunéré sur les crédits de fonctionnement et affecté à un service […] de standard téléphonique/d’information […] ou qui est affecté à des fonctions d’utilisation et de surveillance d’installations techniques,

qui exerce ses fonctions dans le cadre d’un service continu ou par tours conformément à l’article 56 bis du statut […] a droit à une indemnité […] »

5        Par le règlement (CE, Euratom) no 1945/2006 du Conseil, du 11 décembre 2006 (JO L 367, p. 25), modifiant le règlement (CEE, Euratom, CECA) no 495/77 déterminant les catégories de bénéficiaires, les conditions d’attribution et les taux des indemnités qui peuvent être accordées aux fonctionnaires régulièrement soumis à des astreintes, le bénéfice des indemnités prévues à l’article 56 ter du statut a été étendu à tout fonctionnaire affecté à un service de technologies de l’information et de la communication. L’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 495/77 modifié prévoit :

« Le fonctionnaire

[…]

a droit à une indemnité lorsqu’il est régulièrement soumis à des astreintes conformément à l’article 56 ter du statut […] »

6        L’article 41, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est ainsi libellé :

« Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union. »

 Faits à l’origine du litige

7        Les requérants, fonctionnaires du groupe de fonctions des assistants (AST) de la Cour de justice et affectés à l’unité « Support informatique » de la direction des technologies de l’information, exercent des fonctions de téléphoniste.

8        Le standard téléphonique de la Cour de justice devant fonctionner de 8 h à 20 h du lundi au vendredi, les téléphonistes travaillent dans le cadre d’un service par tours (soit de 8 h à 14 h, soit de 14 h à 20 h).

9        Par arrêt du 18 mai 2009 (De Smedt e.a./Parlement, F‑66/08), le Tribunal a annulé les décisions individuelles du Parlement européen refusant d’attribuer aux requérants dans cette affaire, agents exerçant des fonctions de téléphoniste au sein de cette institution, l’indemnité bénéficiant aux fonctionnaires travaillant dans le cadre d’un service continu ou par tours prévue par l’article 56 bis du statut.

10      Le 8 juin 2009, les requérants, ayant pris connaissance de l’arrêt De Smedt e.a./Parlement, précité, ont demandé à la Cour de justice, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut :

–        « qu’elle reconnaisse la pleine applicabilité du [r]èglement [no ]300/76, tel que modifié par le [r]èglement [no ]1873/2006, et en particulier de son article 1, paragraphe 1, premier tiret, à [leur] cas ;

–        de [leur] verser l’indemnité fixée dans cet article à compter du 20 décembre 2006 » (ci-après la « première demande »).

11      Par mémorandum du 28 octobre 2009, le directeur général du personnel et des finances de la Cour de justice a informé les requérants que le greffier de la Cour de justice, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN »), avait décidé de rejeter la première demande au motif que « [leur] travail n’[était] effectué, sauf cas strictement exceptionnel, ni la nuit, ni le samedi, ni le dimanche, ni les jours fériés » et que, de ce fait, ils ne remplissaient pas la condition prévue à l’article 56 bis du statut.

12      Le 14 janvier 2010, les requérants ont présenté une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, à l’encontre de la décision de l’AIPN rejetant la première demande. Le comité chargé des réclamations de la Cour de justice a rejeté cette demande comme étant irrecevable. En effet, il a estimé, par décision du 20 avril 2010, qu’une décision implicite de rejet de la première demande était intervenue le 8 octobre 2009. Il en a déduit que le délai de réclamation avait expiré le 8 janvier 2010 et que la réclamation était donc tardive. Le comité a également précisé que la décision de l’AIPN communiquée aux requérants par mémorandum du 28 octobre 2009 constituait un acte purement confirmatif de la décision implicite de rejet précédemment intervenue.

13      Saisi par les requérants, le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable (ordonnance du Tribunal du 10 mai 2011, Barthel e.a./Cour de justice, F‑59/10). Le Tribunal a notamment considéré que la décision explicite de rejet communiquée aux requérants par mémorandum du 28 octobre 2009 était purement confirmative de la décision implicite de rejet (point 25). Le pourvoi formé contre l’ordonnance du Tribunal a été rejeté (ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 mars 2012, Barthel e.a./Cour de justice, T‑398/11 P).

14      Le 14 juillet 2010, les requérants ont présenté une nouvelle demande, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, à l’AIPN (ci-après la « nouvelle demande »). Cette demande comportait, en particulier, les trois chefs suivants :

–        l’octroi ex nunc de l’indemnité prévue à l’article 1er du règlement no 300/76 modifié pour les fonctionnaires exerçant leurs fonctions dans le cadre d’un service par tours ;

–        l’octroi d’une indemnité pour heures supplémentaires en application du règlement no 495/77 modifié ;

–        l’indemnisation du préjudice que les requérants estiment avoir subi du fait des fautes que la Cour de justice aurait commises dans le cadre du rejet de la première demande.

15      La Cour de justice n’ayant pas répondu à la nouvelle demande dans le délai de quatre mois, les requérants ont déposé, le 17 janvier 2011, une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre le rejet implicite de la nouvelle demande. Dans cette réclamation, les requérants n’ont pas repris le chef de la nouvelle demande concernant l’indemnité pour heures supplémentaires. Par décision du 17 mai 2011, le comité chargé des réclamations a rejeté la réclamation (ci-après le « rejet de la réclamation »).

 Conclusions des parties

16      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le rejet de la réclamation ;

–        condamner la partie défenderesse à leur verser, à chacun, la somme de 10 700,76 euros en réparation de leur préjudice matériel et la somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;

–        condamner la partie défenderesse aux dépens.

17      La Cour de justice conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

18      En vertu de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal, lorsqu’un recours est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

19      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer par voie d’ordonnance motivée sans poursuivre la procédure.

 Sur l’objet du recours

20      Il convient de rappeler que des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet, dans le cas où cette décision est dépourvue de contenu autonome, de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, point 8).

21      Or, comme le soutient la Cour de justice, le rejet de la réclamation étant en l’espèce dépourvu de contenu autonome, le recours doit être regardé comme dirigé contre l’acte visé par la réclamation, c’est-à-dire contre la décision implicite rejetant la nouvelle demande.

 Sur les conclusions à fin d’annulation

 Arguments des parties

22      Les requérants soutiennent qu’à la différence de la première demande, la nouvelle demande tendrait à l’octroi ex nunc de l’indemnité prévue à l’article 1er du règlement no 300/76 modifié, et non pas rétroactivement. Ils ajoutent que, même si l’AIPN a répondu négativement à la première demande, elle serait tenue d’examiner la nouvelle demande au regard de leur situation spécifique au jour de son introduction. Suivre l’argumentation du comité chargé des réclamations reviendrait, selon les requérants, à interdire à l’AIPN, dès qu’elle a répondu négativement à une demande, de revenir sur sa position à l’occasion d’une autre demande qui remettrait en cause une décision antérieure, même devenue définitive.

23      La Cour de justice rétorque que la faculté donnée au fonctionnaire, en vertu de l’article 90, paragraphe 1, du statut, de demander à l’AIPN de prendre, à son égard, une décision ne permet pas au fonctionnaire d’écarter les délais de recours administratif et contentieux pour remettre en cause une décision devenue définitive, à moins que des faits nouveaux substantiels justifient la réouverture des délais. Or, la première demande aurait déjà été rejetée par une décision implicite devenue définitive le 8 janvier 2010. La Cour de justice ajoute que la première demande aurait déjà eu pour objet la reconnaissance de l’applicabilité à la situation des requérants du règlement no 300/76 et que l’AIPN aurait exclu d’une manière générale, et non pour une période déterminée, la possibilité d’octroyer aux requérants l’indemnité prévue par cette disposition. La Cour de justice soutient, par ailleurs, que les requérants n’auraient invoqué aucun fait nouveau pouvant justifier la recevabilité de la nouvelle demande.

 Appréciation du Tribunal

24      Il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que les délais de réclamation ainsi que les délais prévus pour l’introduction d’un recours, tels que fixés respectivement par les articles 90 et 91 du statut, ont été institués précisément dans le but d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques existant entre les institutions de l’Union et leur personnel. Ces délais étant d’ordre public, ils ne sont à la disposition ni des parties ni du juge.

25      Il s’ensuit qu’il n’est pas permis à un fonctionnaire d’écarter les délais prévus par les articles 90 et 91 du statut en mettant indirectement en cause, par le biais d’une demande, une décision antérieure qu’il n’a pas contestée dans les délais. Seule l’existence de faits nouveaux substantiels peut justifier l’éventuel réexamen d’une décision devenue définitive (ordonnance du Tribunal de première instance du 11 juillet 1997, Chauvin/Commission, T‑16/97, point 37, et la jurisprudence citée).

26      Par ailleurs, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, la jurisprudence mentionnée au point précédent n’a pas pour effet d’interdire à l’AIPN d’adopter une nouvelle décision après la décision initiale n’ayant pas fait l’objet d’un recours dans les délais et étant ainsi devenue définitive. En effet, l’AIPN peut toujours prendre, pour l’avenir, une nouvelle décision – sous réserve, le cas échéant, du respect des droits acquis –, tout comme elle est en droit de confirmer sa décision initiale. Or, dans cette dernière hypothèse, la nouvelle décision étant purement confirmative de la décision initiale devenue définitive, elle ne saurait être valablement contestée devant le juge.

27      La jurisprudence citée au point 25 de la présente ordonnance a déjà reçu application dans des cas similaires au cas d’espèce, s’agissant en particulier de l’indemnité de dépaysement (ordonnance du Tribunal du 12 septembre 2011, Cervelli/Commission, F‑98/10). Il convient de souligner que le caractère périodique d’une indemnité ne constitue pas un motif suffisant permettant à un fonctionnaire, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, du statut, de présenter à l’AIPN une nouvelle demande tendant à ce que l’AIPN revienne sur sa décision, qui est entre-temps devenue définitive, au motif de régler de façon différente les effets dans le temps de ladite décision, à savoir non plus rétroactivement mais exclusivement pour l’avenir.

28      En l’espèce, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’objet de la première demande ne se limitait pas à solliciter l’octroi de l’indemnité pour service continu ou par tours avec effet rétroactif. En effet, les intéressés appelaient l’AIPN, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, du statut, à prendre une décision de principe et formelle sur l’existence dans leur chef du droit à cette indemnité. L’AIPN a donc bien adopté une décision rejetant, en ce qui concerne les requérants, la possibilité d’un tel octroi, décision dont la motivation figure dans la décision explicite communiquée aux requérants par mémorandum du 28 octobre 2009.

29      Par ailleurs, par rapport à cette décision de rejet, les requérants n’invoquent la survenance d’aucun fait nouveau.

30      En conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d’annulation de la décision implicite rejetant la nouvelle demande comme étant manifestement irrecevables.

 Sur les conclusions indemnitaires

 Arguments des parties

31      Premièrement, les requérants soutiennent que l’AIPN aurait commis une faute en n’indiquant pas les voies et les délais de recours dans le mémorandum du 28 octobre 2009 par lequel elle leur a notifié sa décision du 26 octobre 2009 rejetant la première demande. L’AIPN aurait ainsi méconnu le principe de bonne administration consacré à l’article 41 de la Charte. Deuxièmement, selon les requérants, l’AIPN aurait commis une faute en rejetant implicitement leurs deux demandes, la première demande et la nouvelle demande, alors que l’article 296, dernier alinéa, TFUE et l’article 25, deuxième alinéa, du statut imposent que tout acte faisant grief soit communiqué par écrit, sans délai, et soit motivé. Contrairement à ce qui est affirmé dans le rejet de la réclamation, un rejet implicite ne permettrait jamais de comprendre la portée dudit rejet. Troisièmement, l’argumentation suivie dans le rejet de la réclamation méconnaîtrait les droits de la défense et le principe du contradictoire en réduisant illégalement le droit de tout fonctionnaire ou agent de disposer d’un délai de trois mois, à compter de sa notification, pour apprécier le bien-fondé d’une décision de rejet et l’opportunité de saisir l’administration d’une réclamation. Enfin, eu égard à son devoir de loyauté et de cohérence, la Cour de justice aurait commis une faute de service en adoptant un comportement différent en tant qu’institution participant aux procédures complexes d’adoption des règlements d’exécution des articles 56 bis et 56 ter du statut et en tant qu’employeur à l’égard des requérants.

32      La Cour de justice rétorque que, étant donné que les requérants n’ont pas contesté, dans la seconde réclamation, le fait que la première demande d’indemnisation ait été rejetée implicitement, les conclusions indemnitaires relatives au rejet implicite de la première demande seraient donc irrecevables faute de réclamation préalable. En ce qui concerne le fait que l’AIPN a omis d’adresser aux requérants une réponse explicite à la seconde demande dans le délai statutaire, ce comportement serait dépourvu de caractère décisionnel. Les requérants auraient donc dû présenter une demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut aux fins d’obtenir réparation du préjudice que ce comportement leur aurait causé. Faute de l’avoir fait, les conclusions indemnitaires seraient irrecevables. En ce qui concerne la prétendue absence de motivation du refus d’octroi de l’indemnité pour service par tours sollicitée dans la nouvelle demande, il s’agirait d’une illégalité qui, à la supposer établie, entacherait précisément l’acte contre lequel sont dirigées les conclusions en annulation. Or, les conclusions à fin d’annulation étant irrecevables, les conclusions indemnitaires étroitement liées aux dites conclusions devraient être également rejetées comme telles.

33      La Cour de justice souligne, par ailleurs, que l’absence d’indication des voies de recours lors de la notification de la décision rejetant explicitement la première demande ne serait pas fautive car aucune charge ne reposerait, dans ce domaine, sur les institutions. Elle ajoute que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et l’application de l’article 41 de la Charte n’auraient eu, en l’espèce, aucune incidence. La Cour de justice fait valoir que la décision implicite de rejet de la nouvelle demande serait intervenue dans un contexte connu des requérants et que le silence gardé par l’AIPN ne serait pas cause d’inquiétude et d’incertitude pour eux. Enfin, les requérants n’établiraient pas avoir subi de préjudice moral.

 Appréciation du Tribunal

34      Les conclusions indemnitaires sont, en substance, fondées sur les quatre allégations suivantes :

–        le fait que, dans le mémorandum du 28 octobre 2009 notifiant le rejet explicite de la première demande, l’AIPN aurait commis une faute en ne mentionnant pas les voies et les délais de recours ;

–        le fait qu’en rejetant implicitement, et non par une décision explicite, la première demande l’AIPN aurait commis une illégalité fautive ;

–        le fait qu’en rejetant implicitement, et non par une décision explicite, la nouvelle demande l’AIPN aurait commis une illégalité fautive ;

–        le fait que l’AIPN aurait commis une faute en rejetant leur demande d’octroi de l’indemnité alors que les représentants de la Cour de justice au sein du comité du statut avaient été favorables à l’adoption du règlement no 1873/2006 modifiant le règlement no 300/76.

–       Sur l’absence de mention des voies et des délais de recours

35      Il est constant qu’il n’existe pas, à ce jour, dans le droit de l’Union applicable en la matière, une obligation générale à la charge des institutions d’informer les fonctionnaires et les agents destinataires de leurs actes des voies de recours disponibles, ni d’indiquer les délais applicables dans lesquels ceux-ci peuvent être exercés (ordonnance de la Cour du 27 novembre 2007, Diy-Mar Insaat Sanayi ve Ticaret et Akar/Commission, C‑163/07 P, point 41, et la jurisprudence citée).

36      Aussi, en ce qui concerne l’article 41 de la Charte, le libellé de cette disposition n’impose pas aux institutions l’obligation spécifique d’indiquer aux fonctionnaires et aux autres agents en service auprès d’elles les voies et les délais de recours prévus par le statut.

37      Ainsi, en ne mentionnant pas les voies et les délais de recours dans son mémorandum du 28 octobre 2009, le directeur général du personnel et des finances de la Cour de justice n’a manifestement commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’institution.

–       Sur le fait que la Cour de justice aurait commis une faute en rejetant implicitement, et non par une décision explicite, la première demande

38      Comme l’affirme à bon droit la Cour de justice, les requérants, dans leur réclamation du 17 janvier 2011, n’ont pas soutenu que la Cour de justice aurait commis une faute en rejetant implicitement leur première demande. En effet, dans cette réclamation, les requérants se sont bornés à soutenir que la Cour de justice aurait commis une faute en rejetant implicitement leur nouvelle demande.

39      De ce fait, les conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice causé par la faute que la Cour de justice aurait commise en rejetant implicitement la première demande doivent être rejetées pour irrecevabilité manifeste, faute de concordance entre la réclamation et la requête.

–       Sur le fait que la Cour de justice aurait commis une faute en rejetant implicitement, et non par une décision explicite, la nouvelle demande

40      L’existence d’un préjudice qui pourrait découler du choix de l’AIPN de recourir au rejet implicite plutôt qu’au rejet explicite d’une demande présentée par un fonctionnaire au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut dépend nécessairement de la question de savoir si ledit rejet est ou non illégal, dès lors que le rejet implicite est, comme tel, prévu par l’article 90, paragraphe 2, du statut. Dans ces conditions, les conclusions indemnitaires sont nécessairement accessoires des conclusions à fin d’annulation du rejet en cause, avec lesquelles elles sont étroitement liées.

41      Or, pour les raisons indiquées ci-dessus, les conclusions à fin d’annulation ont été considérées comme manifestement irrecevables et, par suite, rejetées. Dès lors, les conclusions indemnitaires accessoires doivent être rejetées par voie de conséquence.

42      En tout état de cause, à supposer même qu’il faille considérer que le choix de la Cour de justice de rejeter implicitement la nouvelle demande, en gardant le silence sur cette demande, plutôt que de la rejeter par une décision explicite révélerait un comportement de l’administration détachable de la décision implicite de rejet de la nouvelle demande, les conclusions indemnitaires ne seraient pas recevables.

43      Il y a lieu, en effet, de constater que les requérants n’ont pas respecté la procédure en deux étapes prévue à l’article 90 du statut. En réalité, les requérants auraient dû d’abord présenter une nouvelle demande spécifique au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut visant à obtenir, de la part de la Cour de justice, la réparation de leur préjudice. C’est seulement après avoir présenté cette demande qu’ils auraient pu introduire, en cas de rejet de cette demande indemnitaire, une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut et, le cas échéant, saisir le juge (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 13 avril 2011, Wilk/Commission, F‑32/10, point 44).

–       Sur la faute résultant de l’incohérence des positions prises par la Cour de justice

44      Les requérants font valoir qu’au sein du comité du statut les représentants de la Cour de justice ont émis un avis favorable à la proposition de la Commission d’édicter le règlement no 1873/2006, modifiant le règlement no 300/76. Ainsi, la Cour de justice aurait fait preuve d’un comportement fautif en refusant à son propre personnel le bénéfice de l’indemnité telle que prévue par ce règlement et devrait réparation à ce titre.

45      Toutefois, ces conclusions indemnitaires sont liées aux conclusions à fin d’annulation de la décision implicite de rejet de la nouvelle demande et doivent dès lors être rejetées.

46      Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir tirée de ce que la requête ne serait pas suffisamment motivée au sens de l’article 35, paragraphe 1, du règlement de procédure, que le recours doit être rejeté, pour partie, comme manifestement irrecevable et, pour partie, comme manifestement non fondé.

 Sur les dépens

47      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

48      Par ailleurs, en vertu de l’article 88 du règlement de procédure, une partie, même gagnante, peut être condamnée partiellement, voire totalement, aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction du recours. Or, selon la jurisprudence, la mise des dépens à la charge de l’institution, partie gagnante, peut être justifiée par le manque de diligence de celle-ci lors de la procédure précontentieuse (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 juin 2006, Le Maire/Commission, F‑27/05, point 53).

49      En l’espèce, le Tribunal constate que la Cour de justice a laissé s’écouler, après l’introduction de la nouvelle demande, le délai de quatre mois, prévu à l’article 90, paragraphe 1, du statut, et n’a pas non plus adopté, une fois ce délai écoulé, de décision explicite de rejet de la nouvelle demande.

50      Même si cette circonstance n’est pas susceptible de donner lieu à une indemnisation des requérants pour la raison indiquée aux points 40 à 43 de la présente ordonnance, le Tribunal relève néanmoins qu’à aucun moment, au cours de la procédure précontentieuse ou contentieuse, les instances concernées de la Cour de justice n’ont fourni aux requérants une explication plausible quant au fait qu’au sein du comité du statut les représentants de la Cour de justice avaient approuvé l’avis favorable émis par ce dernier sur la proposition de modification du règlement no 300/76, devenue ensuite le règlement no 1873/06, alors que ces mêmes instances ont considéré par la suite ne pas pouvoir appliquer les dispositions dudit règlement au cas d’espèce.

51      Dans ces circonstances, il y a lieu de faire application de l’article 88 du règlement de procédure et de condamner la Cour de justice à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par les requérants.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours de Mme Barthel, de Mme Reiffers et de M. Massez est rejeté, pour partie, comme manifestement irrecevable et, pour partie, comme manifestement non fondé.

2)      La Cour de justice de l’Union européenne supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par Mme Barthel, par Mme Reiffers et par M. Massez.

Fait à Luxembourg, le 22 novembre 2012.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.