Language of document : ECLI:EU:C:2018:383

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

30 mai 2018 (*)

« Procédure accélérée »

Dans l’affaire C‑191/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), par décision du 12 mars 2018, parvenue à la Cour le 16 mars 2018, dans la procédure

KN

contre

Minister for Justice and Equality,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

le juge rapporteur, M. C. G. Fernlund, et l’avocat général, M. H. Saugmandsgaard Øe, entendus,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 50 TUE et de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1, et rectificatif JO 2006, L 279, p. 30), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en Irlande, d’un mandat d’arrêt européen émis par une juridiction du Royaume-Uni à l’encontre de KN.

3        Il ressort de la décision de renvoi que KN a été jugé coupable, le 26 octobre 2006, de deux fraudes fiscales et condamné pour celles-ci, le 29 janvier 2007, à deux peines d’emprisonnement respectivement de quatre ans et de six mois qui ont été confondues.

4        KN a toutefois pris la fuite en Irlande alors qu’il était en liberté sous caution dans l’attente du prononcé de sa peine.

5        Un premier mandat d’arrêt européen a été émis au Royaume-Uni à l’encontre de KN en vue, d’une part, de l’exécution desdites peines et, d’autre part, de l’exercice de poursuites pénales fondées sur le refus, par l’intéressé, de se constituer prisonnier. La juridiction de renvoi indique que, pour des raisons non pertinentes dans le cadre de la présente affaire, la remise n’a pas eu lieu.

6        Le 13 juin 2011, un second mandat d’arrêt européen a été émis au Royaume-Uni à l’encontre de KN, fondé en substance sur les mêmes motifs que ceux à l’origine du premier mandat d’arrêt européen. Le 22 juin 2011, la High Court (Haute Cour, Irlande) a, en sa qualité d’autorité judiciaire d’exécution, décidé la remise de KN.

7        KN a introduit un recours en faisant valoir que le mécanisme d’aide juridictionnelle existant en Irlande était contraire à la constitution irlandaise. Il a également contesté sa remise comme étant contraire à la législation nationale mettant en œuvre le mandat d’arrêt européen. Par décision du 30 mars 2017, la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) a rejeté les recours introduits par KN.

8        La remise de KN a, tout d’abord, à sa demande, été reportée pour des raisons humanitaires, puis, le 5 mai 2017, KN a de nouveau contesté la légalité de cette remise, en soulevant la question du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

9        Le 25 juillet 2017, la High Court (Haute Cour) a considéré que cette question ne faisait pas obstacle à la remise de l’intéressé et décidé que celle-ci devait avoir lieu.

10      KN a toutefois été autorisé à introduire un recours contre cette décision devant la Supreme Court (Cour suprême), en raison de l’importance et de l’urgence de la question ainsi soulevée.

11      La Supreme Court (Cour suprême) souligne que, sous réserve de la question du retrait du Royaume-Uni de l’Union, il n’existe aucun fondement pour refuser la remise de KN et que, si l’argumentation de KN à ce sujet n’est pas fondée, sa remise doit être ordonnée.

12      Cette juridiction ajoute que, dans le cas où il devrait être procédé à la remise de KN, celui-ci sera, selon toute vraisemblance, encore en détention au Royaume-Uni après le 29 mars 2019, date prévue pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union.

13      Certes, des accords transitoires seront peut-être passés pour régir les situations de cette nature dans la période immédiatement postérieure à cette date. Plus généralement, il n’est pas exclu que des accords soient conclus entre l’Union et le Royaume-Uni afin de régir les futures relations entre les parties dans des domaines tels que celui couvert par la décision-cadre 2002/584.

14      Toutefois, une incertitude demeure à ce sujet et il n’est pas certain qu’un citoyen européen se trouvant au Royaume-Uni conservera le droit, après le retrait de cet État membre de l’Union, de demander à ce que la Cour statue en vertu de l’article 267 TFUE sur d’éventuelles questions de droit de l’Union qui pourraient se poser dans le cadre de recours juridictionnels.

15      La Supreme Court (Cour suprême) souligne que KN n’a pu identifier que deux aspects du régime qui lui serait appliqué pour lesquels le droit de l’Union pourrait théoriquement être invoqué. Le premier est la « règle de la spécialité », visée à l’article 27 de la décision-cadre 2002/584. Le second concerne le droit à la déduction de la période de détention effectuée dans l’État membre d’exécution, prévue à l’article 26 de la décision-cadre 2002/584. La juridiction de renvoi mentionne à cet égard le fait que KN a été brièvement détenu en Irlande dans le cadre du premier mandat d’arrêt européen émis au Royaume-Uni contre lui.

16      La juridiction de renvoi se demande si, aux fins de statuer sur la remise d’une personne, il est nécessaire d’apprécier dans quelle mesure cette dernière court un risque significatif ou seulement théorique qu’un des droits dont elle dispose sur le fondement du droit de l’Union soit affecté à la suite du retrait du Royaume-Uni de l’Union.

17      C’est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour à titre préjudiciel d’une demande d’interprétation de la décision-cadre 2002/584 à la lumière de l’article 50 TUE.

18      La juridiction de renvoi demande également à la Cour de soumettre la présente affaire à une procédure accélérée, en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

19      Tout en reconnaissant que la nature du litige au principal ne suffit pas en soi à justifier une telle procédure, que la circonstance que KN demeure en liberté ne milite pas en faveur de l’application de cette procédure, et que le souci de sécurité juridique ou encore le nombre d’affaires concernées ne constituent pas non plus des circonstances exceptionnelles, cette juridiction souligne néanmoins le caractère nécessaire et pressant de sa demande de décision préjudicielle. Elle explique à cet égard que, dans un futur très proche, en particulier si la présente affaire n’est pas soumise à la procédure accélérée, d’autres affaires similaires, dont plusieurs mettant en cause des personnes détenues, actuellement pendantes devant la High Court (Haute Cour), pourraient être portées devant elle-même et justifier une nouvelle question préjudicielle.

20      À cet égard, il y a lieu de constater que la Supreme Court (Cour suprême) a rappelé à juste titre que l’application de la procédure accélérée ne dépend pas de la nature du litige en tant que telle ni du nombre de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par les questions posées à titre préjudiciel, mais des circonstances exceptionnelles propres à l’affaire concernée, lesquelles doivent établir l’urgence extraordinaire de statuer sur ces questions (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 20 décembre 2017, M .A. e.a., C‑661/17, non publiée, EU:C:2017:1024, points 17 et 20).

21      Or, s’agissant de l’affaire au principal, la Supreme Court (Cour suprême) n’a pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles propres à la situation de KN de nature à démontrer une urgence extraordinaire. Tout d’abord, la circonstance que le Royaume-Uni pourrait, dans un terme proche, ne plus faire partie de l’Union et, le cas échéant, ne plus être soumis au droit de l’Union, en particulier aux dispositions de la décision-cadre 2002/584, n’est pas par elle-même de nature à créer une situation d’urgence pour les parties au principal (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 20 décembre 2017, M .A. e.a., C‑661/17, non publiée, EU:C:2017:1024, point 19). Ensuite, il ressort de la décision de renvoi que KN est actuellement en liberté. Enfin, l’intéressé n’a apporté aucune précision sur la manière dont les droits qu’il tire de la décision-cadre 2002/584 pourraient être concrètement affectés, à l’avenir, par le retrait du Royaume-Uni de l’Union.

22      Au surplus, la circonstance, mentionnée par la Supreme Court (Cour suprême), que des affaires analogues à celle au principal, impliquant le cas échéant des personnes en détention, pourraient donner lieu à un nouveau renvoi préjudiciel, n’est pas pertinente pour apprécier si la présente affaire mérite une réponse urgente.

23      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater qu’aucun des motifs présentés par la juridiction de renvoi à l’appui de sa demande tendant à ce que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée justifie qu’il soit fait droit à cette demande. Dans ces conditions, ladite demande doit être rejetée.

24      Il importe encore de souligner qu’un tel rejet ne préjuge en aucune manière de la décision qui serait prise par la Cour dans le cadre d’une nouvelle affaire soulevant des questions de droit similaires, en ce qui concerne l’application de cette procédure.

Par ces motifs, le président de la Cour ordonne :

La demande de la Supreme Court (Cour Suprême, Irlande) tendant à ce que l’affaire C191/18 soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour est rejetée.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.