Language of document : ECLI:EU:T:2019:506

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

11 juillet 2019 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑305/18,

Andriy Klyuyev, demeurant à Donetsk (Ukraine), représenté par MM. B. Kennelly, QC, J. Pobjoy, barrister, R. Gherson et T. Garner, solicitors,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme P. Mahnič et M. A. Vitro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2018/333 du Conseil, du 5 mars 2018, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2018, L 63, p. 48), et du règlement d’exécution (UE) 2018/326 du Conseil, du 5 mars 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2018, L 63, p. 5), dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Andriy Klyuyev, est l’ancien chef de l’administration du président ukrainien, M. Yanukovych.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.       Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures restrictives en cause et définit les modalités de celles-ci en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et par le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 ») apparaissent sur la liste figurant à l’annexe de ladite décision et à l’annexe I dudit règlement (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaît sur la liste avec les informations d’identification « ancien chef de l’administration du président ukrainien » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑340/14, ayant pour objet notamment l’annulation des actes de mars 2014 en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des personnes visées par le gel des fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.       Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)       pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)       pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

14      La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés ultérieurement, respectivement, par la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et par le règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 juin 2015. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien chef de l’administration du président ukrainien » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et en lien avec la mauvaise utilisation d’une charge par le titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour le budget public ukrainien ou les avoirs publics ukrainiens. »

16      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 15 mai 2015, le requérant a, sur le fondement de l’article 48 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, adapté la requête, dans l’affaire T‑340/14, de sorte que celle-ci visait également l’annulation des actes de mars 2015, en tant que ces actes le concernaient.

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑244/15, ayant pour objet une demande d’annulation des actes de mars 2015, en ce qu’ils le visaient.

18      Par ordonnance du 11 septembre 2015, Klyuyev/Conseil (T‑244/15, non publiée, EU:T:2015:706), le Tribunal a rejeté le recours visant à l’annulation des actes de mars 2015 comme manifestement irrecevable pour cause de litispendance.

19      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

20      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015.

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2016, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑240/16, ayant pour objet notamment une demande d’annulation des actes de mars 2016, en ce qu’ils le visaient.

22      Par arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil (T‑340/14, EU:T:2016:496), le Tribunal a annulé les actes de mars 2014, en ce qu’ils visaient le requérant, et rejeté le recours en ce qu’il concernait les actes de mars 2015.

23      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

24      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015 et de mars 2016.

25      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 14 mai 2017, le requérant a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, adapté la requête, dans l’affaire T‑240/16, de sorte que celle-ci visait également l’annulation des actes de mars 2017, en tant que ces actes le concernaient.

26      Par lettre du 20 octobre 2017, le bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») a informé le Conseil de l’état des procédures contre le requérant.

27      Par lettres des 28 et 30 novembre 2017, le requérant et ses représentants ont, respectivement, expliqué pourquoi sa désignation ne devait pas être renouvelée et demandé au Conseil de confirmer s’il entendait désigner une nouvelle fois le requérant et, dans l’affirmative, d’indiquer les motifs actualisés ainsi que les éléments de preuve les étayant.

28      Par lettre du 18 décembre 2017, le Conseil a communiqué aux représentants du requérant des attestations actualisées, datées du 20 octobre 2017, émanant du BPG. Par courrier du 10 janvier 2018, les représentants du requérant ont présenté leurs observations à cet égard, adressant également au Conseil un certain nombre de questions.

29      Le 16 janvier 2018, le Conseil a transmis la lettre du BPG du 5 janvier 2018, qui répondait à une demande d’information du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), aux représentants du requérant en les invitant à prendre position.

30      Le 25 janvier 2018, le requérant a envoyé au Conseil une lettre personnelle en réponse aux informations complémentaires fournies par ce dernier.

31      Le 5 février 2018, le Conseil a transmis la lettre du BPG du 31 janvier 2018, qui répondait à une demande d’information du SEAE, aux représentants du requérant en les invitant à prendre position.

32      Le 15 février 2018, le requérant a envoyé au Conseil une lettre personnelle en réponse aux informations complémentaires fournies par ce dernier.

33      Par lettre du 2 mars 2018, les représentants du requérant ont fait valoir que les motifs de l’arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil (T‑731/15, EU:T:2018:90), concernant son frère, s’appliquaient de manière similaire à sa situation et que le Conseil devait en tirer la conséquence de ne plus maintenir son nom sur la liste.

34      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63, p. 5) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

35      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015, de mars 2016 et de mars 2017.

36      Par courrier du 8 mars 2018, le Conseil a informé les représentants du requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il a indiqué le délai pour lui présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien du nom du requérant sur la liste.

 Faits postérieurs à l’introduction du recours

37      Par arrêt du 11 juillet 2018, Klyuyev/Conseil (T‑240/16, non publié, EU:T:2018:433), le Tribunal a annulé les actes de mars 2017, en ce qu’ils visaient le requérant, et a rejeté le recours en ce qu’il concernait les actes de mars 2016.

38      Les actes attaqués ont été modifiés ultérieurement par la décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et par le règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1). La décision 2019/354 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, pour certaines des personnes dont les noms avaient été inscrits sur la liste, jusqu’au 6 mars 2020. Le règlement d’exécution 2019/352 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

39      À la suite de ces modifications, le nom du requérant n’apparaît plus sur la liste.

 Procédure et conclusions des parties

40      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 mai 2018, le requérant a introduit le présent recours tendant à l’annulation des actes attaqués en ce qu’ils le visaient.

41      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande en référé, enregistrée sous le numéro T‑305/18 R.

42      Le 26 juillet 2018, le Conseil a déposé le mémoire en défense.

43      La réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal, respectivement, les 14 septembre et 30 octobre 2018. Le 30 octobre 2018, la phase écrite de la procédure a été close.

44      Par ordonnance du 28 novembre 2018, Klyuyev/Conseil (T‑305/18 R, non publiée, EU:T:2018:849), la demande en référé a été rejetée pour défaut d’urgence et les dépens ont été réservés.

45      Par arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), la Cour a annulé l’arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479), ainsi que les actes de mars 2015, en ce qu’ils visaient la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt.

46      En raison de l’impact potentiel de la solution retenue par la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), dans la présente affaire, le Tribunal a décidé, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, d’adresser une question écrite aux parties afin de les inviter à préciser, par écrit, quelles étaient, selon elles, les conséquences à tirer dudit arrêt, en l’espèce. Les parties ont déféré à cette mesure dans le délai imparti.

47      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

48      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

49      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils visent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2018/333 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2018/326 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

50      À l’appui du recours, le requérant invoque quatre moyens, tirés, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation au motif que le Conseil a considéré que le critère de désignation était rempli, le deuxième, de la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») du fait que le Conseil a présumé que les procédures judiciaires en Ukraine respectaient les droits fondamentaux, le troisième, de la violation de ses droits de la défense, du principe de bonne administration et de son droit à une protection juridictionnelle effective et, le quatrième, de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation.

51      Tout d’abord, il convient d’examiner le deuxième moyen.

52      Selon le requérant, il découle de l’article 2, de l’article 3, paragraphe 5, et de l’article 6 TUE que l’Union européenne est tenue de promouvoir, dans toutes ses actions, le respect des droits fondamentaux énoncés dans la Charte. À cet égard, il tire argument de la jurisprudence pour faire valoir, en substance, que le Conseil aurait dû vérifier si les autorités ukrainiennes, lorsqu’elles ont décidé d’engager et de poursuivre l’enquête préliminaire pour détournement de fonds publics, qui constituait le fondement du maintien des mesures restrictives en cause à son égard, lui avaient assuré une protection des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective équivalente à celle garantie au niveau de l’Union. En revanche, le Conseil aurait supposé, sans aucune vérification, que les autorités ukrainiennes avaient respecté les droits fondamentaux du requérant, à savoir le droit à une protection juridictionnelle effective, à l’accès à un tribunal impartial et à la présomption d’innocence, et ce en dépit des éléments de preuve détaillés que le requérant lui avait transmis, établissant le contraire.

53      En renvoyant à certains passages du premier moyen, le requérant fait également valoir que, au regard des critères établis par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH »), la durée totale de l’enquête préliminaire dont il fait l’objet, qui a été par ailleurs suspendue la plupart du temps au cours des quatre dernières années, n’est pas justifiée et viole le principe d’être jugé dans un délai raisonnable, garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

54      En réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 46 ci-dessus), le requérant rappelle, tout d’abord, que sa position a toujours été de considérer applicable à toutes les affaires impliquant l’imposition de mesures restrictives la jurisprudence selon laquelle il incombe au Conseil, avant de se fonder sur une décision d’une autorité d’un État tiers, portant notamment sur l’engagement et la conduite d’enquêtes et de procédures judiciaires, de vérifier si celle-ci a été adoptée dans le respect des droits fondamentaux de l’Union. Ensuite, il fait valoir que les principes dégagés par l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), qui confirment l’obligation du Conseil d’effectuer ladite vérification, s’appliquent en l’espèce et que celui-ci n’a effectué aucune vérification du respect des droits fondamentaux de l’Union avant d’adopter la décision de maintien de son nom sur la liste, ni indiqué, dans l’exposé des motifs justifiant cette décision ou dans la lettre du 8 mars 2018, les éléments permettant de déduire que cette vérification avait été réalisée. D’ailleurs, le fait que le Conseil ait omis de procéder à toute vérification serait conforme à la position qu’il a adoptée tout au long de la procédure selon laquelle il n’était pas soumis à une telle obligation.

55      Selon le Conseil, dans sa jurisprudence, le Tribunal a d’ores et déjà rejeté l’hypothèse selon laquelle il serait tenu, chaque fois qu’il se fonde sur des informations fournies par des autorités d’un État tiers, de vérifier que la législation nationale concernée protège suffisamment les droits de la défense et assure une protection juridictionnelle effective. Au demeurant, le requérant n’aurait pas démontré l’existence d’une atteinte réelle et concrète portée à ses droits, ni affirmé et démontré qu’il a cherché à remédier à ces prétendues violations dans le cadre du système judiciaire ukrainien.

56      Quant au grief du requérant selon lequel la procédure pénale le concernant se poursuivrait depuis trop longtemps, le Conseil rétorque que, selon la jurisprudence, d’une part, il n’est pas tenu, en principe, d’apprécier la conformité des procédures pénales aux règles procédurales applicables selon le droit ukrainien et, d’autre part, il ne relève pas de sa compétence de se prononcer sur la durée d’une enquête, alors que les autorités ukrainiennes confirment qu’une procédure pénale est un cours. Par ailleurs, la lettre du BPG du 31 janvier 2018 indiquerait clairement, en réponse à une demande d’information du SEAE, les périodes pendant lesquelles l’enquête visant le requérant a été suspendue à maintes reprises et les raisons de ces suspensions, à savoir le fait que lesdites autorités ignoraient où se trouvait le requérant et l’exécution de demandes d’entraide judiciaire internationale, et que, en tout état de cause, la période durant laquelle la procédure n’était pas suspendue n’aurait pas dépassé la durée maximale de douze mois prévue par le code de procédure pénale ukrainien.

57      En réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 46 ci‑dessus), le Conseil fait valoir que, même s’il ne l’a pas précisé dans l’exposé des motifs, il savait qu’un contrôle judiciaire avait été exercé en Ukraine durant la conduite des enquêtes pénales concernant le requérant. En effet, il ressortirait des lettres du BPG mentionnées aux points 26, 29 et 31 ci-dessus que des décisions judiciaires sont intervenues en Ukraine à l’égard du requérant, telles que des saisies de biens ainsi que la notification d’une modification de la suspicion précédemment notifiée et la notification d’une nouvelle suspicion dans la procédure pénale le concernant, ou encore la décision rendue par le tribunal du district de Petschersk (Kiev) le 12 février 2018 de renvoyer au BPG la demande d’autorisation d’une enquête préliminaire spéciale en l’absence du requérant. D’après le Conseil, ces éléments démontrent que, lorsqu’il s’est fondé sur les décisions des autorités ukrainiennes mentionnées dans les lettres du BPG, il a pu vérifier que celles-ci avaient été prises dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

58      Or, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 20 et 21 et jurisprudence citée).

59      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés (voir arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 22 et jurisprudence citée).

60      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers, reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 25).

61      Aussi, si, en vertu du critère d’inscription, tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 26, 27 et 35).

62      À cet égard, la Cour précise que l’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel des fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de telle sorte, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 28 et 34 et jurisprudence citée).

63      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la CEDH implique un contrôle, par la Cour EDH, des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 62 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 36).

64      La Cour considère également que le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 29 et 30 et jurisprudence citée).

65      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives, telles que celles en l’espèce, sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part de la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à la protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits.

66      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté ces obligations.

67      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le requérant fait l’objet de nouvelles mesures restrictives adoptées par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel qu’il a été précisé dans la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel qu’il a été précisé dans le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère prévoit le gel des fonds des personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

68      Il est constant que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives d’un détournement de fonds ou d’avoirs publics et en lien avec un abus de qualité, qui était établie par les lettres du BPG dont le requérant avait reçu copie (voir points 26, 29 et 31 ci‑dessus).

69      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, à l’instar de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), sur la décision du BPG d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

70      Or, en premier lieu, force est de constater que, ainsi que le Conseil l’a admis dans sa réponse à la question visée au point 46 ci-dessus, la motivation des actes attaqués relative au requérant (voir points 15 et 35 ci-dessus) ne comporte pas la moindre référence au fait que le Conseil aurait vérifié le respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant et que, dès lors, une telle absence de motivation constitue une première indication de ce que le Conseil n’a pas procédé à une telle vérification.

71      En deuxième lieu, il convient de relever qu’aucune information contenue dans la lettre du 8 mars 2018 par laquelle le Conseil a notifié au requérant les actes attaqués ne permet de considérer que le Conseil disposait d’éléments relatifs au respect des droits en question par les autorités ukrainiennes en ce qui concernait la procédure pénale visant le requérant et, encore moins, que le Conseil ait apprécié de tels éléments, afin de vérifier si lesdits droits avaient été suffisamment respectés par l’administration judiciaire ukrainienne, lors de l’adoption de la décision d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale portant sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part du requérant. En effet, dans la lettre du 8 mars 2018, à l’instar de ce qu’il avait fait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 24), le Conseil s’est borné à indiquer que les lettres du BPG, communiquées préalablement au requérant (voir points 28, 29 et 31 ci-dessus), établissaient que ce dernier continuait à faire l’objet d’une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics.

72      En troisième lieu, il doit être observé que, contrairement à ce que prétend le Conseil, celui-ci était tenu d’effectuer la vérification du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, sa situation personnelle avait été affectée par les problèmes qu’il identifiait concernant le fonctionnement du système judiciaire en Ukraine. Or, dans ses écritures, le Conseil a, en substance, indiqué que toute prétendue violation du droit à une protection juridictionnelle effective et des droits de la défense du requérant par les autorités ukrainiennes ne pouvait être invoquée que devant les juridictions de ce pays. En tout état de cause, bien que le requérant ait fait valoir à maintes reprises, en apportant des éléments de preuve spécifiques, que l’administration judiciaire ukrainienne n’avait pas respecté ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective et que la situation prévalant en Ukraine était généralement incompatible avec l’existence de garanties suffisantes à cet égard, le Conseil n’a pas fait état de ce qu’il avait vérifié le respect de tels droits.

73      En quatrième lieu, dans la réponse à la question ayant trait à l’incidence de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), sur la présente affaire, le Conseil n’a avancé que les arguments résumés au point 57 ci-dessus.

74      À cet égard, premièrement, il doit être constaté que le Conseil admet que la motivation des actes attaqués ne traite pas la question du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective au regard de la décision d’engager et de mener la procédure pénale ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste.

75      Deuxièmement, il y a lieu de relever que le Conseil prétend qu’il ressort clairement du dossier de la présente affaire qu’un contrôle judiciaire était exercé en Ukraine durant la conduite des enquêtes pénales. Plus particulièrement, selon le Conseil, l’existence de plusieurs décisions judiciaires adoptées dans le contexte de la procédure pénale visant le requérant démontre que, lorsqu’il s’est fondé sur la décision des autorités ukrainiennes mentionnée dans les lettres du BPG, d’une part, il a pu vérifier que celle-ci avait été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective et, d’autre part, il s’est assuré qu’un certain nombre de décisions judiciaires prises dans le cadre desdites procédures pénales l’avaient été dans le respect de ces droits.

76      Or, toutes les décisions judiciaires mentionnées par le Conseil s’insèrent dans le cadre de la procédure pénale ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes au regard de celle-ci, dans la mesure où elles sont de nature soit conservatoire soit procédurale. Il est vrai que ces décisions sont susceptibles de corroborer la thèse du Conseil concernant l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, à savoir le fait que, conformément au critère d’inscription, le requérant faisait l’objet de procédures pénales portant, notamment, sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien. Toutefois, de telles décisions ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer, ainsi que le prétend le Conseil, que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener lesdites procédures pénales, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

77      En tout état de cause, le Conseil n’est pas en mesure de mentionner la moindre pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné les décisions des juridictions ukrainiennes qu’il invoque à présent et qu’il a pu en conclure que les droits de la défense du requérant et son droit à une protection juridictionnelle effective avaient été respectés dans leur substance.

78      D’ailleurs, le Conseil ne cherche même pas à expliquer comment l’existence de ces décisions permet de considérer que la protection des droits en question a été garantie, alors que, comme le requérant l’avait fait valoir à maintes reprises dans les lettres envoyées au Conseil, la procédure pénale le concernant, qui a été ouverte en mai 2014 et se référait à des faits prétendument commis en 2010, se trouvait encore au stade de l’enquête préliminaire et n’avait pas été soumise à un tribunal ukrainien sur le fond, mais l’avait été, tout au plus, seulement pour des questions procédurales.

79      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et ses obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Ce droit est afférent au principe de protection juridictionnelle effective, qui, par ailleurs, a été consacré à l’article 47 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, EU:C:2009:456, points 177 et 179).

80      En outre, la Cour EDH a relevé, d’une part, que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, celui de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort ainsi que les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, point 126 et jurisprudence citée), et, d’autre part, que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de phases d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, points 58 à 62).

81      Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, de la même enquête préliminaire menée par le BPG, le Conseil est tenu d’approfondir la question de la violation éventuelle des droits fondamentaux de cette personne par les autorités ukrainiennes (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2019, Stavytskyi/Conseil, T‑290/17, EU:T:2019:37, point 132).

82      En l’espèce, ainsi que cela a été souligné par le requérant dans ses lettres et dans ses écritures, la procédure sur laquelle le Conseil se fondait à son égard était la procédure no 42015000000000748, qui avait été scindée, le 21 avril 2015, de la procédure no 42014000000000368 (ci-après la « procédure no 368 »), ouverte en mai 2014. La procédure no 42015000000000748, qui a été suspendue, exception faite de deux jours, pendant toute la période allant du 21 avril 2015 au 9 octobre 2017, a été jointe à nouveau à la procédure no 368 à cette dernière date, à la suite de la décision du BPG de modifier la suspicion initialement notifiée au requérant et d’en notifier une nouvelle. La procédure no 368 a, ensuite, été suspendue le 17 novembre 2017, rouverte le 30 novembre 2017, puis à nouveau suspendue le 1er décembre 2017, avant d’être rouverte le 9 décembre 2017, puis suspendue une dernière fois le 11 janvier 2018, et ce jusqu’à l’adoption des actes attaqués.

83      Or, bien que le Conseil ait effectué des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes afin d’être éclairé sur les raisons ayant justifié les suspensions mentionnées au point 82 ci-dessus, il n’en reste pas moins qu’il s’est contenté des explications fournies par le BPG, à savoir que les raisons de ces suspensions étaient liées à la recherche du requérant et à l’exécution de demandes d’entraide judiciaire, alors que celui-ci l’avait informé, d’une part, que, dans le cadre de la procédure no 42014000000001025, qui n’avait pas trait au détournement de fonds publics, le tribunal de district de Petschersk avait rejeté, le 25 janvier 2017, une demande d’autorisation d’une enquête préliminaire spéciale le concernant, en estimant que le fait qu’il se cachait pour se soustraire à sa responsabilité pénale, et ce depuis plus de six mois, n’était pas confirmé par les documents fournis à l’appui de ladite demande. D’autre part, le requérant a également informé le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, du fait que le même tribunal avait rejeté, le 12 février 2018, la demande du BPG de mener une enquête préliminaire spéciale par défaut dans la procédure no 368. Les périodes d’inactivité de l’enquête étaient donc imputables, d’après le requérant, aux autorités ukrainiennes compétentes.

84      Dès lors, en l’espèce, le Conseil aurait dû à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, en dépit des arguments du requérant repris aux points 78 et 83 ci-dessus, il pouvait considérer que le droit de celui‑ci à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne, qui est, à l’évidence, un droit fondamental, avait été respecté en ce qui concerne la question de savoir si sa cause avait été entendue dans un délai raisonnable.

85      Il ne saurait donc être conclu que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne avait été prise en respectant les droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

86      Par ailleurs, à cet égard, il convient également de relever, ainsi qu’il a été précisé dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), que la jurisprudence de la Cour selon laquelle, notamment, en cas d’adoption d’une décision de gel des fonds telle que celle concernant le requérant, il appartient au Conseil ou au Tribunal de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 77 ; du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑599/16 P, non publié, EU:C:2017:785, point 69, et du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786, point 72), ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption de mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 40 et jurisprudence citée).

87      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, a vérifié le respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

88      Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués, en ce qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments soulevés par ce dernier.

89      Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 49, deuxième tiret, ci-dessus), tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2018/333 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi et, au cas où un pourvoi serait présenté, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2018/333 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2019. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2018, Arbuzov/Conseil, T‑258/17, EU:T:2018:331, point 107 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

90      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure de référé, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2018/333 du Conseil, du 5 mars 2018, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2018/326 du Conseil, du 5 mars 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Andriy Klyuyev a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.


2)      Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Klyuyev, y compris ceux relatifs à la procédure de référé.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.