Language of document : ECLI:EU:C:2018:880

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

7 novembre 2018 (*)

« Pourvoi – Aides d’État – Recours en annulation – Recevabilité – Aide des autorités portugaises à la résolution de l’établissement financier Banco Espírito Santo SA – Création et capitalisation d’une banque relais – Décision de la Commission européenne déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Intérêt à agir – Recours devant les juridictions nationales tendant à l’annulation de la décision de résolution de Banco Espírito Santo »

Dans l’affaire C‑544/17 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 18 septembre 2017,

BPC Lux 2 Sàrl, établie à Senningerberg (Luxembourg), et les autres parties requérantes dont les noms figurent à l’annexe du pourvoi, représentées par M. J. Webber et M. Steenson, solicitors, ainsi que par M. B. Woolgar, barrister, et Mme K. Bacon, QC,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn et P.‑J. Loewenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

République portugaise,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot, E. Regan (rapporteur), C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, les requérantes demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 juillet 2017, BPC Lux 2 e.a./Commission (T‑812/14, non publiée, ci‑après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2017:560), par laquelle celui-ci a rejeté comme étant irrecevable leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2014) 5682 final de la Commission, du 3 août 2014, concernant l’aide d’État SA.39250 (2014/N) – Portugal – Résolution de Banco Espírito Santo (ci‑après la « décision litigieuse »).

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2        Les requérantes sont des créanciers subordonnés de Banco Espírito Santo SA (ci-après « BES »), titulaires de créances de catégorie 2 inférieure.

3        Au mois de mai 2014, un audit réalisé par Banco de Portugal (Banque du Portugal) auprès du groupe Espírito Santo International SA avait conclu que ce dernier se trouvait dans une situation financière difficile, susceptible d’avoir une incidence négative sur la solvabilité de BES dont il constituait l’actionnaire majoritaire.

4        Le 30 juillet 2014, BES a publié ses résultats pour le premier semestre de l’année 2014, qui indiquaient une perte financière élevée. S’en est ensuivie, au cours du mois de juillet 2014, une importante chute de ses dépôts.

5        Dans ce contexte, les autorités portugaises ont décidé de soumettre BES à une procédure de résolution, laquelle impliquait la création d’un établissement de crédit temporaire, la « banque relais », à laquelle étaient transférées les activités commerciales saines de BES. À l’issue de ces transferts d’actifs et de passifs à la banque relais, les autres actifs et passifs résiduels devaient rester au sein de BES, appelée à devenir la « structure de défaisance ».

6        Le 3 août 2014, les autorités portugaises ont notifié à la Commission européenne un projet d’aide d’État de 4 899 millions d’euros accordé par l’intermédiaire du Fundo de Resolução (Fonds de résolution, Portugal), destiné à fournir à la banque relais un capital initial. Conjointement à cette notification, les autorités portugaises ont transmis à la Commission deux rapports de la Banque du Portugal, à savoir, d’une part, une évaluation des options envisageables pour la résolution de BES, dont la conclusion était que la création d’une banque relais était la seule solution qui permettait de préserver la stabilité financière de la République portugaise, et, d’autre part, une description de la procédure à suivre pour la résolution de BES. À la suite de ce dernier rapport, les autorités portugaises ont présenté à la Commission des engagements relatifs tant à la banque relais qu’à la structure de défaisance, portant sur leur liquidation ordonnée. Les engagements communs à ces deux établissements avaient trait à la gestion des actifs existants, au plafonnement des salaires et à l’interdiction de l’acquisition de participations, du paiement de coupons ou de dividendes et de la publicité au moyen de l’aide de l’État.

7        Le même jour, la Commission a adopté à l’issue de la phase préliminaire d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la décision litigieuse, par laquelle elle concluait que la mesure notifiée, à savoir l’injection d’un capital de 4 899 millions d’euros par les autorités portugaises dans la banque relais assortie d’engagements pris par ces autorités, constituait une aide d’État compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (ci-après l’« aide d’État en cause »).

8        Au titre des engagements présentés par les autorités portugaises, il était prévu, notamment, qu’aucun des avoirs des actionnaires et des détenteurs de titres de créance subordonnés, ni aucun instrument hybride ne pourrait être transféré à la banque relais. Il était également précisé que la liquidation de BES devrait avoir lieu au plus tard le 31 décembre 2016.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 2014, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

10      Le 7 décembre 2016, le Tribunal a interrogé les requérantes sur l’existence, dans leur chef, d’un intérêt à agir contre la décision litigieuse.

11      Le 23 janvier 2017, les requérantes ont répondu à la question du Tribunal.

12      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours comme étant irrecevable après avoir relevé, d’office, l’absence d’intérêt des requérantes à agir contre la décision litigieuse. Le Tribunal a considéré qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la fin de non‑recevoir soulevée par la Commission et tirée de l’absence, dans le chef des requérantes, de qualité pour agir contre cette même décision.

 Les conclusions des parties

13      Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour une nouvelle appréciation du fond, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

14      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner les requérantes aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Argumentation des parties

15      Les requérantes soulèvent un moyen unique tiré de ce que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu’elles n’avaient pas d’intérêt à l’annulation de la décision litigieuse.

16      Ainsi qu’il ressortirait des points 27 et 33 de l’ordonnance attaquée, les requérantes auraient fait valoir devant le Tribunal que l’annulation de la décision litigieuse accroîtrait de façon très significative la probabilité d’un succès du recours en annulation qu’elles avaient introduit devant les juridictions nationales contre la décision de résolution de BES et qu’un tel succès aurait pour conséquence soit l’annulation de la résolution de BES, soit un droit de réclamer des indemnités. En particulier, les requérantes auraient produit une attestation d’un avocat portugais, dans laquelle celui-ci exposait en détail les raisons pour lesquelles l’annulation de la décision litigieuse aurait une incidence sur ladite procédure nationale, bien que l’objet de celle‑ci soit différent de l’objet du recours devant le Tribunal. De surcroît, cette preuve n’aurait pas été contestée en première instance.

17      Par ailleurs, ainsi que la Cour l’aurait jugé aux points 68, 69 et 79 de l’arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission (C‑33/14 P, EU:C:2015:609), le fait que l’annulation par le juge de l’Union d’une décision soit de nature à procurer un bénéfice dans le cadre d’un recours intenté devant les juridictions nationales, y compris un recours indemnitaire, suffirait en principe à fonder un tel intérêt à agir devant les juridictions de l’Union. L’ordonnance attaquée ne contredirait pas ce principe.

18      Pourtant, le Tribunal a conclu, aux points 34 et 35 de l’ordonnance attaquée, que, dès lors que la procédure introduite devant lui et celle introduite devant les juridictions portugaises n’avaient pas le même objet, l’annulation de la décision litigieuse n’aurait pas d’incidence sur l’interprétation par ces dernières des règles constitutionnelles portugaises. Or, selon les requérantes, il appartenait aux seules juridictions portugaises, sur la base du droit portugais, de tirer une telle conclusion, et non au juge de l’Union de le faire, sur la base du droit de l’Union. Ainsi, le Tribunal se serait, à tort, substitué aux juridictions nationales aux fins de l’appréciation du bien‑fondé du recours national.

19      À titre subsidiaire, les requérantes soutiennent que, quand bien même le Tribunal aurait été en droit d’apprécier le bien-fondé des arguments juridiques de droit portugais exposés dans l’attestation de leur avocat portugais, son appréciation aurait manifestement dénaturé les preuves qui lui avaient été soumises.

20      En défense, la Commission fait valoir, tout d’abord, que, dans la mesure où les requérantes contestent l’interprétation du droit portugais effectuée par le Tribunal, une telle interprétation constitue une question de fait échappant, en principe, au contrôle de la Cour. La Cour ne serait compétente que pour vérifier s’il y a eu dénaturation du droit national par le Tribunal. Cette dénaturation devrait ressortir de façon manifeste des pièces du dossier dont dispose la Cour, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves.

21      Or, en l’espèce, les requérantes n’indiqueraient pas quels faits ou éléments de preuve ont pu être dénaturés par le Tribunal, pas plus qu’elles ne démontreraient l’existence d’erreurs commises par le Tribunal qui auraient pu l’amener à dénaturer les faits ou les preuves. Contrairement à ce que prétendraient les requérantes, le Tribunal n’aurait pas conclu de sa propre initiative que les arguments exposés par leur avocat portugais dans son attestation n’étaient pas fondés. Il aurait en effet considéré que, puisque l’objet de la procédure introduite devant lui était différent de l’objet de la procédure introduite devant les juridictions portugaises, ce qui ne serait pas contesté par les requérantes, l’annulation de la décision litigieuse ne saurait avoir d’incidence sur l’interprétation du droit portugais effectuée par la juridiction nationale. En conséquence, le pourvoi des requérantes serait manifestement irrecevable, puisqu’il concernerait une question de fait.

22      Ensuite, la Commission rappelle que c’est à la partie requérante qu’il incombe d’apporter la preuve de son intérêt à agir. Il n’appartiendrait pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, celles-ci ayant une fonction purement probatoire et instrumentale.

23      En l’espèce, si les requérantes font valoir que l’annulation de la décision litigieuse viendrait au soutien de leur argument selon lequel la résolution de BES était disproportionnée en vertu du droit portugais, aucune explication n’aurait été donnée à l’appui de cette affirmation dans leur réponse relative à leur intérêt à agir. En particulier, les explications que les requérantes avaient avancées à cet égard devant le Tribunal se trouvaient non pas dans le texte même de cette réponse, mais seulement dans une attestation rédigée par un avocat portugais, figurant à l’annexe de celle-ci.

24      Dans la réponse des requérantes relative à leur intérêt à agir, celles‑ci auraient, en outre, fait valoir que l’annulation de la décision litigieuse leur permettrait également de soutenir que la mesure de résolution de BES, en l’absence de capitalisation de la banque relais par l’octroi de l’aide d’État en cause, n’était pas de nature à éviter l’insolvabilité de BES. Or, aucune explication n’aurait été donnée dans cette réponse quant à la manière dont l’annulation de la décision litigieuse était susceptible d’entraîner l’annulation de la décision de résolution de BES ou de fonder un recours en responsabilité ultérieur contre l’État portugais ou la Banque du Portugal.

25      Enfin, et en tout état de cause, pour qu’il existe un intérêt à agir contre une décision de la Commission, le succès du recours en responsabilité formé dans le cadre d’une procédure judiciaire nationale devrait dépendre du succès du recours en annulation contre cette décision, ainsi que cela aurait été le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission (C‑33/14 P, EU:C:2015:609). Or, les requérantes n’auraient pas établi de lien comparable entre la procédure d’annulation qu’elles ont introduite devant le Tribunal contre la décision litigieuse et le recours en responsabilité hypothétique qu’elles affirment être en droit d’intenter contre l’État portugais et la Banque du Portugal, au cas où leur recours dans le cadre de la procédure judiciaire nationale contre la décision de résolution serait accueilli.

26      En particulier, comme le Tribunal l’aurait expliqué aux points 28 à 31 de l’ordonnance attaquée, ce serait la décision de résolution de BES, et non la décision litigieuse, qui a pu avoir une incidence concrète sur la valeur des créances des requérantes, de sorte qu’une éventuelle annulation de la décision litigieuse n’aurait pas pour effet d’imposer à l’État portugais de revenir sur cette décision de résolution. Par conséquent, les requérantes ne seraient pas nécessairement fondées à introduire un recours en responsabilité contre l’État portugais ou la Banque du Portugal devant les juridictions nationales.

27      En outre, même si l’annulation de la décision litigieuse pouvait avoir pour conséquence l’annulation de la décision de résolution de BES et si l’annulation de cette dernière décision pouvait fonder un recours en responsabilité contre l’État portugais et la Banque du Portugal, un tel recours futur ne saurait constituer la base sur laquelle les requérantes pourraient invoquer un intérêt à l’annulation de la décision litigieuse. En effet, ainsi qu’il ressortirait des points 56, 69 et 79 de l’arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission (C‑33/14 P, EU:C:2015:609), un tel recours en indemnité serait purement hypothétique car il dépendrait du succès de la procédure nationale.

 Appréciation de la Cour

28      La Cour a jugé à maintes reprises qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 4 juin 2015, Andechser Molkerei Scheitz/Commission, C‑682/13 P, non publié, EU:C:2015:356, point 25 et jurisprudence citée).

29      En outre, l’intérêt à un recours en annulation doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé (voir, en ce sens, arrêts du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina, C‑519/07 P, EU:C:2009:556, point 65, et du 4 juin 2015, Andechser Molkerei Scheitz/Commission, C‑682/13 P, non publié, EU:C:2015:356, point 26).

30      En l’espèce, il convient, tout d’abord, de rejeter l’argumentation avancée par la Commission selon laquelle le pourvoi est irrecevable en ce qu’il conteste l’appréciation factuelle effectuée par le Tribunal relative à l’éventuelle incidence du recours porté devant lui sur le recours en annulation introduit par les requérantes devant les juridictions nationales.

31      Certes, le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits et, en principe, pour examiner les éléments de preuve qu’il retient à l’appui de ces faits. Cependant, il appartient à la Cour d’exercer son contrôle, dès lors que le Tribunal procède à leur qualification juridique et en tire des conséquences en droit. Partant, la question de savoir si, eu égard à de tels faits et éléments de preuve, l’annulation de la décision litigieuse par le juge de l’Union est de nature à procurer aux requérantes un bénéfice dans le cadre d’un recours intenté devant les juridictions nationales, pouvant établir leur intérêt à agir devant le juge de l’Union, est une question de droit qui relève du contrôle que la Cour exerce dans le cadre d’un pourvoi (voir, par analogie, arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 68).

32      Ensuite, il y a lieu, également, de rejeter l’argumentation de la Commission selon laquelle les requérantes n’avaient pas suffisamment justifié de leur intérêt à agir, dès lors que les explications qu’elles avaient avancées à cet égard devant le Tribunal se trouvaient non pas dans le texte même de leur réponse relative à leur intérêt à agir, mais seulement dans une annexe de celle‑ci.

33      Certes, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, il appartient au requérant d’apporter la preuve de son intérêt à agir, qui constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice (arrêt du 4 juin 2015, Andechser Molkerei Scheitz/Commission, C‑682/13 P, non publié, EU:C:2015:356, point 27 et jurisprudence citée).

34      En particulier, pour qu’un recours en annulation d’un acte, présenté par une personne physique ou morale, soit recevable, il faut que la partie requérante justifie de façon pertinente l’intérêt que présente pour elle l’annulation de cet acte (arrêts du 4 juin 2015, Andechser Molkerei Scheitz/Commission, C‑682/13 P, non publié, EU:C:2015:356, point 28, et du 20 décembre 2017, Binca Seafoods/Commission, C‑268/16 P, EU:C:2017:1001, point 45).

35      Or, ainsi qu’il ressort des points 27 et 33 de l’ordonnance attaquée, les requérantes, en réponse à une question posée à cet égard par le Tribunal, ont fait valoir que l’annulation de la décision litigieuse accroîtrait de façon très significative la probabilité d’un succès de la procédure de contrôle juridictionnel qu’elles avaient introduite devant les juridictions portugaises contre la décision de résolution de BES. En particulier, elles ont précisé qu’un tel succès aurait pour conséquence soit l’annulation de cette décision de résolution de BES, soit un droit dans leur chef de réclamer des indemnités pour les pertes subies en raison de la résolution illégale de BES.

36      Par ailleurs, il ressort de cette même réponse des requérantes relative à leur intérêt à agir que celles‑ci ont développé, sur plusieurs pages, leur argumentation à cet égard. En particulier, elles se sont appuyées sur des arrêts de la Cour et du Tribunal en la matière et ont expliqué, brièvement mais suffisamment, les raisons pour lesquelles, selon l’attestation d’un avocat portugais annexé à cette réponse, l’annulation de la décision litigieuse augmenterait significativement leurs chances de succès dans le cadre du recours national en annulation de la décision de résolution de BES. En particulier, selon elles, l’annulation de la décision litigieuse par le Tribunal permettrait, d’une part, d’appuyer les arguments qu’elles avaient déjà avancés dans le cadre du recours national selon lesquels la résolution de BES était disproportionnée en droit portugais et, d’autre part, d’avancer, toujours dans le cadre dudit recours, l’argument selon lequel, en l’absence de l’aide d’État en cause, la résolution de BES n’aurait pas pu atteindre l’objectif consistant à éviter son insolvabilité.

37      S’il est vrai, d’une part, que les détails de l’argumentation des requérantes relatifs à leur intérêt à agir figuraient non pas dans le texte même de la réponse qu’elles avaient adressée au Tribunal, mais dans l’annexe de celle-ci et, d’autre part, que les requérantes ont ajouté, dans leur pourvoi, des éléments qui ne figuraient pas dans ladite réponse, il n’en reste pas moins que les grandes lignes de l’argumentation des requérantes à cet égard se trouvaient dans cette réponse elle‑même.

38      En outre, eu égard tant à la longueur qu’au caractère probatoire de l’attestation de l’avocat portugais annexée à la réponse des requérantes relative à leur intérêt à agir et des autres preuves y relatives, il ne saurait être reproché aux requérantes de les avoir annexées à ladite réponse, cette dernière visant, en outre, à approfondir leur argumentation relative à leur qualité pour agir, également en réponse à une invitation du Tribunal en ce sens.

39      Pour le reste, dans la mesure où, par son argumentation, la Commission entend établir l’insuffisance même des éléments avancés par les requérantes en première instance aux fins d’établir leur intérêt à agir contre la décision litigieuse, cette argumentation concerne la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu dans l’ordonnance attaquée selon laquelle les requérantes étaient dépourvues d’intérêt à agir à cet égard. Ladite argumentation doit donc être traitée dans le cadre de l’appréciation du bien‑fondé du moyen unique soulevé dans le cadre du présent pourvoi.

40      Il convient ainsi d’examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit aux points 34 à 36 de l’ordonnance attaquée, en jugeant que, dès lors que la procédure devant lui et la procédure devant les juridictions nationales n’avaient pas le même objet, une éventuelle annulation de la décision litigieuse n’aurait aucune incidence sur ladite procédure nationale et ne procurerait donc aucun bénéfice aux requérantes.

41      Il ressort de ces points de l’ordonnance attaquée que le Tribunal a relevé que la procédure nationale portait sur la seule question de la conformité avec le droit national du recours à une procédure de résolution, tandis que le recours devant lui concernait seulement la compatibilité avec le droit de l’Union du financement de cette procédure de résolution. Il en a conclu qu’une éventuelle appréciation, par lui-même, du respect par la Commission du droit de l’Union n’aurait pas d’incidence sur l’interprétation par les juridictions portugaises de leur droit national, en particulier sur la question de savoir si le principe de proportionnalité tel que protégé par le droit constitutionnel portugais avait été violé.

42      À cet égard, la Cour a jugé que, en principe, une partie conserve son intérêt à poursuivre un recours en annulation, dès lors que ce dernier peut constituer la base d’un recours éventuel en responsabilité (arrêt du 20 juin 2013, Cañas/Commission, C‑269/12 P, non publié, EU:C:2013:415, point 17).

43      L’éventualité d’un recours en indemnité suffit à fonder un tel intérêt à agir, pour autant que celui‑ci n’est pas hypothétique (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 79).

44      La Cour a également jugé que l’intérêt à agir peut découler de toute action devant les juridictions nationales dans le cadre de laquelle l’éventuelle annulation de l’acte attaqué devant le juge de l’Union est susceptible de procurer un avantage au requérant (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 81).

45      Enfin, la persistance d’un intérêt à agir doit être appréciée in concreto en tenant compte, notamment, des conséquences de l’illégalité alléguée et de la nature du préjudice prétendument subi (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 70 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, dans leur pourvoi, les requérantes soutiennent que le préjudice qu’elles subissent consiste en ce que, du fait que leurs obligations sont restées dans la structure de défaisance, la procédure de résolution a eu pour conséquence de les faire passer de détentrices d’obligations de BES à détentrices d’obligations d’une banque qui n’avait pas d’actif de valeur, qui ne pouvait pas avoir de nouvelles affaires et dont l’agrément bancaire devait être retiré après une courte période de liquidation. Elles auraient donc subi des pertes substantielles et leur situation juridique aurait été modifiée. En outre, ainsi qu’il ressort de leur réponse au Tribunal relative à leur intérêt à agir et des annexes de cette réponse, les requérantes font valoir que, compte tenu du montant de leurs pertes financières, leur situation ne serait pas comparable à la situation qui prévaut lorsque s’appliquent les règles normales d’insolvabilité du droit portugais, puisque ces dernières prévoient le remboursement de tous les créanciers d’une entreprise, y compris les détenteurs de créances subordonnées, sur la base des actifs de l’entreprise et conformément à l’ordre de remboursement. Dans ladite réponse, les requérantes en ont conclu qu’elles avaient perdu leur droit de réclamation à l’encontre de tous les actifs de BES, y compris les actifs sains, selon les règles normales portugaises en la matière.

47      S’agissant des conséquences de l’illégalité alléguée, ainsi qu’il ressort du point 35 du présent arrêt, les requérantes ont fait valoir devant le Tribunal, tout comme elles le soutiennent devant la Cour, qu’un succès dans le cadre du recours en annulation introduit devant les juridictions portugaises contre la décision de résolution de BES aurait pour conséquence soit l’annulation de cette décision, soit un droit dans leur chef de réclamer des indemnités pour les pertes qu’elles ont subies en raison de la résolution illégale de BES.

48      Pour sa part, la Commission souligne, en substance, que le futur recours national en indemnité sur lequel les requérantes s’appuient afin d’établir leur intérêt à agir contre la décision litigieuse est hypothétique, dès lors qu’il n’est pas certain que ce recours national sera effectivement introduit et que les requérantes n’ont pas établi de lien suffisant entre ledit recours national et le recours en première instance devant le Tribunal.

49      Toutefois, quand bien même la possibilité pour les requérantes d’introduire dans le futur un recours en indemnité ne puisse leur conférer un intérêt né et actuel à demander l’annulation de la décision litigieuse, il convient de rappeler qu’un tel intérêt peut néanmoins découler, ainsi qu’il ressort du point 44 du présent arrêt, de toute action devant les juridictions nationales dans le cadre de laquelle l’éventuelle annulation de l’acte attaqué est susceptible de procurer un avantage au requérant.

50      Or, il est constant que les requérantes ont déjà introduit un recours en annulation contre la décision de résolution de BES devant les juridictions portugaises. En outre, il ressort des éléments dont dispose la Cour que ce recours est, en lui‑même, susceptible de conférer un bénéfice aux requérantes.

51      Il y a donc lieu d’examiner si, ainsi que le soutiennent les requérantes, l’annulation par le Tribunal de la décision litigieuse serait susceptible d’avoir une incidence sur le recours en annulation qu’elles ont introduit devant les juridictions nationales contre la décision de résolution de BES.

52      Il est vrai, et n’est d’ailleurs pas non plus contesté dans le cadre du présent pourvoi, que, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 34 de l’ordonnance attaquée, le recours introduit devant ce dernier n’avait pas le même objet que celui introduit devant les juridictions portugaises, puisque le premier visait à faire constater l’incompatibilité de l’aide d’État en cause avec le droit de l’Union, tandis que le second tend à faire constater l’incompatibilité de la décision de résolution de BES avec le droit portugais.

53      Il ressort, cependant, tant de l’ordonnance attaquée que du dossier soumis à la Cour que la décision litigieuse et la décision de résolution de BES sont inextricablement liées. En particulier, il découle des points 4 à 7 de cette ordonnance que la procédure de résolution « impliquait » la création d’un établissement de crédit temporaire, auquel étaient transférées les activités commerciales saines de BES. Il ressort également de ces points que, selon une évaluation transmise à la Commission par les autorités portugaises relative aux options envisageables pour la résolution, la création d’une banque relais était vue comme étant la « seule solution » permettant de préserver la stabilité financière de la République portugaise, et que la Commission a jugé compatible avec le marché intérieur l’aide d’État en cause en tenant compte des engagements présentés par les autorités portugaises, lesquels concernaient tant la banque relais que la structure de défaisance et portaient sur leur liquidation ordonnée. Était, notamment, prévue parmi les engagements l’interdiction de transférer à la banque relais les avoirs des actionnaires et des détenteurs de titres de créance subordonnés.

54      Certes, il est constant, ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 28 de l’ordonnance attaquée, que la diminution de valeur des obligations dont les requérantes sont titulaires trouve son origine dans la décision de résolution de BES. De même, comme le Tribunal l’a énoncé au point 31 de l’ordonnance attaquée, lequel n’est pas contesté par les requérantes, une éventuelle annulation de la décision litigieuse n’aurait pas pour effet d’imposer à la République portugaise de revenir sur sa décision de créer une banque relais et de ne pas inclure dans son patrimoine les obligations du type de celles détenues par les requérantes.

55      Toutefois, eu égard aux liens indissociables existant entre la décision litigieuse et la décision de résolution de BES, tels qu’exposés au point 53 du présent arrêt, lesquels démontrent, notamment, que l’aide d’État en cause a été accordée dans le cadre de la résolution de BES, force est de constater que, ainsi que le soutiennent les requérantes, il n’était pas permis au Tribunal de conclure, sans se substituer aux juridictions portugaises aux fins de l’appréciation du bien‑fondé du recours en annulation qu’elles avaient introduit contre la décision de résolution de BES, que, du fait que l’objet de ce dernier recours n’était pas le même que celui du recours introduit devant le Tribunal, une éventuelle annulation de la décision litigieuse ne pourrait aucunement affecter l’appréciation par les juridictions portugaises du recours porté devant elles, en particulier de la manière esquissée par les requérantes tant dans leurs écrits devant le Tribunal que dans leur pourvoi devant la Cour.

56      En effet, il n’appartient pas au juge de l’Union, aux fins de l’examen de l’intérêt à agir devant lui, d’apprécier la probabilité du bien-fondé d’un recours introduit devant les juridictions nationales en vertu du droit interne et, partant, de se substituer à celles‑ci en vue d’une telle appréciation. Il est, en revanche, nécessaire, mais suffisant, que, par son résultat, le recours en annulation introduit devant le juge de l’Union soit susceptible de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 76). Or, tel est le cas en l’espèce, ainsi qu’il résulte des points 42 à 55 du présent arrêt.

57      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 34 à 36 de l’ordonnance attaquée, que, étant donné que la procédure devant lui et la procédure nationale n’avaient pas le même objet, l’éventuelle annulation de la décision litigieuse n’aurait pas d’incidence sur cette dernière procédure et ne procurerait donc aucun bénéfice aux requérantes, au sens de la jurisprudence pertinente.

58      Par conséquent, c’est également à tort que le Tribunal a conclu, au point 37 de cette ordonnance, que le recours des requérantes devait être rejeté comme étant irrecevable pour absence d’intérêt à agir contre la décision litigieuse.

59      Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le pourvoi et, en conséquence, d’annuler l’ordonnance attaquée.

 Sur le renvoi de l’affaire au Tribunal

60      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

61      En l’espèce, la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission dans le cadre de la procédure de première instance, tirée de l’absence de droit d’agir des requérantes contre la décision litigieuse. Il en va de même s’agissant du fond du recours, cet aspect du litige impliquant également l’examen d’éléments qui n’ont été ni appréciés par le Tribunal dans l’ordonnance attaquée ni débattus devant la Cour.

62      Par conséquent, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il se prononce sur l’exception d’irrecevabilité tirée par la Commission de ce que les requérantes ne répondraient pas aux exigences de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

 Sur les dépens

63      L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1)      L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 juillet 2017, BPC Lux 2 e.a./Commission (T812/14, non publiée, EU:T:2017:560), est annulée.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.