Language of document : ECLI:EU:C:2017:239

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

29 mars 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Accord d’association entre l’Union européenne et la Turquie – Décision n° 1/80 – Article 13 – Clause de standstill – Droit de séjour des membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre – Existence éventuelle d’une raison impérieuse d’intérêt général justifiant de nouvelles restrictions – Gestion efficace des flux migratoires – Obligation faite aux ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans de détenir un permis de séjour – Proportionnalité »

Dans l’affaire C‑652/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt, Allemagne), par décision du 1er décembre 2015, parvenue à la Cour le 7 décembre 2015, dans la procédure

Furkan Tekdemir, représenté légalement par Derya Tekdemir et Nedim Tekdemir,

contre

Kreis Bergstraße,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 octobre 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour Furkan Tekdemir, représenté légalement par Derya Tekdemir et Nedim Tekdemir, par Me R. Gutmann, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13 de la décision n° 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, jointe à l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685) (ci-après l’« accord d’association »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Furkan Tekdemir (ci-après l’« enfant Tekdemir »), représenté légalement par ses parents, Mme Derya Tekdemir et M. Nedim Tekdemir, au Kreis Bergstraße (arrondissement de Bergstraße, Allemagne), au sujet du rejet par ce dernier de sa demande de délivrance d’un permis de séjour en Allemagne.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 L’accord d’association

3        Il résulte de l’article 2, paragraphe 1, de l’accord d’association que celui-ci a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, en tenant pleinement compte de la nécessité d’assurer le développement accéléré de l’économie de la Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc.

4        Aux termes de l’article 12 de l’accord d’association, « les Parties contractantes conviennent de s’inspirer des articles [45, 46 et 47 TFUE] pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles ».

 La décision n° 1/80

5        L’article 13 de la décision n° 1/80 dispose :

« Les États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi. »

6        Aux termes de l’article 14 de la décision n° 1/80 :

« 1.      Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques.

2.      Elles ne portent pas atteinte aux droits et obligations découlant des législations nationales ou des accords bilatéraux existant entre la Turquie et les États membres de la Communauté, dans la mesure où ils prévoient, en faveur de leurs ressortissants, un régime plus favorable. »

 Le droit allemand

7        L’article 4 du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi sur le séjour, l’emploi et l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral), du 30 juillet 2004 (BGBl. 2004 I, p. 1950), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« AufenthG »), intitulé « Obligation de détenir un titre de séjour », dispose :

« (1) Pour entrer ou séjourner sur le territoire fédéral, les étrangers doivent détenir un titre de séjour, à moins qu’il n’en soit disposé autrement par le droit de l’Union européenne ou par un règlement ou à moins qu’il existe un droit de séjour en vertu de [l’accord d’association]. Les titres de séjour sont délivrés en tant que :

1.      visa au sens de l’article 6, paragraphes 1, point 1, et 3,

2.      permis de séjour (article 7),

2a.      carte bleue UE (article 19a),

3.      permis d’établissement (article 9) ou

4.      permis de séjour permanent UE (article 9a).

[...]

(5)      L’étranger qui jouit d’un droit de séjour en vertu de [l’accord d’association] est tenu de prouver l’existence du droit de séjour par la possession d’un permis de séjour, pour autant qu’il n’est en possession ni d’un permis d’établissement ni d’un permis de séjour permanent UE. Le permis de séjour est établi sur demande. »

8        L’article 33 de l’AufenthG, intitulé « Naissance d’un enfant sur le territoire fédéral », prévoit :

« Par dérogation aux articles 5 et 29, paragraphe 1, point 2, un permis de séjour peut être délivré d’office à un enfant qui naît sur le territoire fédéral lorsqu’un des parents est en possession d’un permis de séjour, d’un permis d’établissement ou d’un permis de séjour permanent UE. Si, à la date de la naissance, les deux parents ou le parent qui a l’autorité parentale exclusive sont en possession d’un permis de séjour, d’un permis d’établissement ou d’un permis de séjour permanent UE, un permis de séjour est délivré d’office à l’enfant né sur le territoire fédéral. Le séjour d’un enfant né sur le territoire fédéral dont le père ou la mère est en possession à la date de la naissance d’un visa ou qui est en droit de séjourner en étant exempté de visa est réputé permis jusqu’à l’expiration du visa ou du séjour régulier exempté de visa. »

9        L’article 81 de l’AufenthG, intitulé « Demande du titre de séjour », énonce :

« (1)      Un titre de séjour n’est délivré à un étranger que sur demande de celui-ci, sauf dispositions contraires.

(2)      Un titre de séjour qui [...] peut être obtenu après l’entrée sur le territoire doit être demandé immédiatement après celle-ci ou dans le délai fixé par le règlement. En ce qui concerne un enfant né sur le territoire fédéral auquel un titre de séjour n’a pas à être délivré d’office, la demande doit être présentée dans un délai de six mois après la naissance.

[...] »

10      L’article 2 de l’Ausländergesetz (loi sur les étrangers), du 28 avril 1965 (BGBl. 1965 I, p. 353), applicable à la date d’entrée en vigueur en Allemagne de la décision n° 1/80, prévoyait :

« (1) Les étrangers qui entrent sur le territoire sur lequel s’applique la présente loi et qui souhaitent y séjourner doivent détenir un permis de séjour. Un permis de séjour peut être délivré lorsque la présence de l’étranger ne porte pas atteinte aux intérêts de la République fédérale d’Allemagne.

(2)      Ne sont pas tenus de détenir un titre de séjour, les étrangers qui

1.      sont âgés de moins de 16 ans,

[...]

3.      en sont dispensés en vertu de conventions internationales,

(3)      Aux fins de faciliter le séjour des étrangers, le ministre fédéral de l’intérieur peut prévoir par voie de règlement que d’autres étrangers également ne sont pas tenus de détenir un permis de séjour.

(4)      Le ministre fédéral de l’intérieur peut prévoir par voie de règlement que les étrangers qui ne sont pas tenus de détenir un permis de séjour doivent déclarer leur séjour. »

11      Enfin, il ressort de la décision de renvoi que, en vertu de l’article 7, paragraphes 4 et 5, de cette loi, le permis de séjour accordé à un jeune étranger exempté de l’obligation de détenir un permis de séjour en raison de son âge pouvait être limité dans sa durée par l’autorité administrative agissant dans le cadre de son pouvoir d’appréciation.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      L’enfant Tekdemir, né en Allemagne le 16 juin 2014, est un ressortissant turc.

13      Le 1er novembre 2013, la mère de l’enfant Tekdemir, également ressortissante turque, est entrée en Allemagne sous couvert d’un visa Schengen pour touristes. Le 12 novembre 2013, elle a introduit auprès de l’antenne du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de la migration et des réfugiés) de Gieβen (Allemagne) une demande d’asile. Cette procédure était toujours en cours à la date de la décision de renvoi. La mère de l’enfant Tekdemir n’est pas titulaire d’un titre de séjour mais elle est en possession, en sa qualité de demandeur d’asile, d’une autorisation de séjour.

14      Le père de l’enfant Tekdemir, également ressortissant turc, est entré en Allemagne le 13 novembre 2005. À compter du 1er février 2009, il a exercé divers emplois salariés. Il travaille à plein temps depuis le 1er mars 2014.

15      Le père de l’enfant Tekdemir a obtenu pour la première fois, le 21 avril 2008, un permis de séjour à durée limitée pour raisons humanitaires qui a constamment été prorogé jusqu’au 30 octobre 2013. Depuis le 31 octobre 2013, il est en possession d’un permis de séjour valable jusqu’au 6 octobre 2016, délivré conformément à l’article 4, paragraphe 5, de l’AufenthG.

16      Les parents de l’enfant Tekdemir se sont mariés le 23 septembre 2015. Auparavant, ils exerçaient conjointement l’autorité parentale sur le requérant au principal.

17      Le 10 juillet 2014, l’enfant Tekdemir, dont la régularité du séjour en Allemagne dans les six mois suivant sa naissance a été constatée par la juridiction de renvoi, a sollicité la délivrance d’un permis de séjour en vertu de l’article 33 de l’AufenthG.

18      Par décision du 27 juillet 2015, l’arrondissement de Bergstraße a rejeté cette demande. Pour motiver son refus, celui-ci a notamment exposé que l’autorité compétente dispose d’une marge d’appréciation quant à la question de savoir si un titre de séjour doit être délivré et que, en l’espèce, elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu de faire usage de cette marge d’appréciation en faveur de l’enfant Tekdemir. L’arrondissement de Bergstraße a en effet relevé qu’il n’était pas intolérable d’exiger de l’enfant Tekdemir qu’il agisse a posteriori par la voie de la procédure de visa, même si cela devait inévitablement aboutir à ce que celui-ci et sa mère soient, tout au moins provisoirement, séparés, respectivement, de leur père et époux. De plus, il a considéré qu’il n’était pas déraisonnable d’attendre du père de l’enfant Tekdemir qu’il poursuive en Turquie sa communauté de vie familiale ou conjugale avec son fils et son épouse, étant donné qu’il n’était pas reconnu comme demandeur d’asile ou réfugié et que, tout comme son fils et son épouse, il a la nationalité turque. Enfin, l’arrondissement de Bergstraße a souligné que la présence de l’enfant Tekdemir en Allemagne était tolérée pendant la durée de la procédure d’asile engagée par sa mère.

19      Un recours a été formé par l’enfant Tekdemir, représenté par ses parents, contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

20      La juridiction de renvoi considère que l’obligation de détenir un permis de séjour pour les ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans constitue une nouvelle restriction, au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80.

21      Or, étant donné qu’une telle obligation poursuit l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si cet objectif constitue une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une telle restriction et, si tel est le cas, sur la question de savoir quelles sont les exigences qualitatives qu’il convient de poser à l’égard d’une raison impérieuse d’intérêt général en rapport avec cet objectif.

22      Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’objectif d’une gestion efficace des flux migratoires constitue-t-il une raison impérieuse d’intérêt général qui est de nature à refuser à un ressortissant turc, né sur le territoire fédéral, l’exemption de l’obligation de détenir un permis de séjour à laquelle il peut prétendre en vertu de la clause de standstill de l’article 13 de la décision n° 1/80 ?

2)      Pour le cas où la Cour répondrait par l’affirmative à cette question, quelles sont les exigences qualitatives devant être posées à l’égard d’une “raison impérieuse d’intérêt général” en rapport avec l’objectif d’une gestion efficace des flux migratoires ? »

 Sur les questions préjudicielles

23      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13 de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens que l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires constitue une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une mesure nationale, introduite après l’entrée en vigueur de cette décision dans l’État membre concerné, imposant aux ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans l’obligation de détenir un permis de séjour pour entrer et séjourner dans cet État membre et, dans l’affirmative, si une telle mesure est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

24      Afin de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi, il y a lieu de vérifier, en premier lieu, si la mesure nationale en cause au principal constitue une nouvelle restriction, au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80, ainsi que le considère la juridiction de renvoi.

25      À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante de la Cour que la clause de standstill énoncée à l’article 13 de la décision n° 1/80 prohibe de manière générale l’introduction de toute nouvelle mesure interne qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice par un ressortissant turc de la libre circulation des travailleurs sur le territoire national à des conditions plus restrictives que celles qui lui étaient applicables à la date d’entrée en vigueur de ladite décision à l’égard de l’État membre concerné (arrêt du 7 novembre 2013, Demir, C‑225/12, EU:C:2013:725, point 33 et jurisprudence citée).

26      Il ressort de la décision de renvoi que, en vertu de la réglementation nationale applicable aux faits au principal, les ressortissants d’États tiers, y compris ceux âgés de moins de 16 ans, ont l’obligation de détenir un permis de séjour pour entrer et séjourner en Allemagne. Toutefois, s’agissant des enfants ressortissants d’un État tiers nés dans cet État membre et dont l’un des parents détient un permis de séjour en Allemagne, tels que l’enfant Tekdemir, l’autorité compétente peut d’office leur délivrer un permis de séjour.

27      Il ressort également de la décision de renvoi que, en vertu de la réglementation nationale applicable à la date d’entrée en vigueur en Allemagne de la décision n° 1/80, les ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans étaient exemptés de l’obligation de détenir un permis de séjour pour entrer et séjourner dans cet État membre. Sur la base de cette exemption, ces enfants mineurs bénéficiaient d’un droit au séjour et étaient ainsi assimilés aux ressortissants d’États tiers titulaires d’un permis de séjour. Le droit au séjour ainsi reconnu à ces enfants mineurs pouvait néanmoins être limité a posteriori dans sa durée par l’autorité administrative dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

28      Après avoir procédé à une comparaison entre la réglementation nationale existant à la date d’entrée en vigueur de la décision n° 1/80 et la réglementation nationale en cause au principal, la juridiction de renvoi a constaté, sans être contredite sur ce point par le gouvernement allemand, que les conditions d’entrée et de séjour en Allemagne des ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans, prévues par cette dernière réglementation, sont plus rigoureuses que celles prévues par la première réglementation.

29      Par ailleurs, la juridiction de renvoi relève que, même si la réglementation nationale en cause au principal ne régit pas spécifiquement le regroupement familial, elle peut toutefois avoir une incidence sur le regroupement familial d’un travailleur turc, tel que le père de l’enfant Tekdemir, lorsque, comme en l’occurrence, l’application de cette réglementation rend plus difficile un tel regroupement. Ce constat n’est pas non plus contesté par le gouvernement allemand.

30      Il y a dès lors lieu de partir de la considération selon laquelle la réglementation nationale en cause au principal a durci les conditions du regroupement familial des travailleurs turcs, tels que le père de l’enfant Tekdemir, par rapport à celles existant à la date d’entrée en vigueur en Allemagne de la décision n° 1/80.

31      Dans ce contexte, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, une réglementation nationale durcissant les conditions du regroupement familial des travailleurs turcs résidant légalement dans l’État membre concerné, par rapport à celles applicables lors de l’entrée en vigueur dans cet État membre de la décision n° 1/80, constitue une nouvelle restriction, au sens de l’article 13 de cette décision, à l’exercice par ces travailleurs turcs de la libre circulation des travailleurs dans ledit État membre (voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2016, Genc, C‑561/14, EU:C:2016:247, point 50).

32      Dès lors, la réglementation nationale en cause au principal constitue une nouvelle restriction, au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80.

33      À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’une restriction qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice par un ressortissant turc de la libre circulation des travailleurs sur le territoire national à des conditions plus restrictives que celles applicables à la date d’entrée en vigueur de la décision n° 1/80 est prohibée sauf à ce qu’elle relève des limitations visées à l’article 14 de cette décision ou à ce qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, soit propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 12 avril 2016, Genc, C‑561/14, EU:C:2016:247, point 51 et jurisprudence citée).

34      En l’occurrence, il y a lieu de faire observer que la réglementation nationale en cause au principal ne relève pas des limitations visées à l’article 14 de la décision n° 1/80, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi et des observations du gouvernement allemand, cette réglementation poursuit l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires.

35      Il convient par conséquent de vérifier, en deuxième lieu, si la gestion efficace des flux migratoires constitue une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une nouvelle restriction, au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80, ainsi que le soutient le gouvernement allemand.

36      À cet égard, il y a lieu de relever l’importance que le droit de l’Union reconnaît à l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires, ainsi qu’il ressort de l’article 79, paragraphe 1, TFUE, qui vise explicitement cet objectif parmi ceux poursuivis par la politique commune de l’immigration développée par l’Union européenne.

37      Par ailleurs, il convient de constater qu’un tel objectif n’est contraire ni aux objectifs énoncés à l’article 2, paragraphe 1, de l’accord d’association ni à ceux visés dans les considérants de la décision n° 1/80.

38      En outre, la Cour a reconnu que l’objectif de prévenir l’entrée et le séjour irréguliers constitue une raison impérieuse d’intérêt général, aux fins de l’article 13 de la décision n° 1/80 (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2013, Demir, C‑225/12, EU:C:2013:725, point 41).

39      Dans ces conditions, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 17 de ses conclusions, l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier une nouvelle restriction, au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80.

40      En troisième lieu, il convient de vérifier si la mesure nationale en cause au principal est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

41      S’agissant du caractère approprié de cette mesure aux fins de l’objectif poursuivi, l’obligation faite aux ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans de détenir un permis de séjour pour entrer et séjourner dans l’État membre concerné permet, certes, de contrôler la légalité du séjour de ces ressortissants dans cet État membre. Ainsi, dans la mesure où la gestion efficace des flux migratoires requiert un contrôle de ces mêmes flux, une telle mesure est propre à garantir la réalisation de cet objectif. Elle est alors, en principe, de nature à justifier une restriction supplémentaire malgré la clause de standstill.

42      S’agissant du point de savoir si la mesure nationale en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, il y a lieu de relever que, en principe, l’obligation faite aux ressortissants d’États tiers, y compris à ceux âgés de moins de 16 ans, de détenir un permis de séjour pour entrer et séjourner en Allemagne ne saurait en elle-même être considérée comme étant disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

43      Toutefois, le principe de proportionnalité exige également que les modalités de mise en œuvre d’une telle obligation n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

44      À cet égard, il convient de faire observer que l’article 33 de l’AufenthG reconnaît à l’autorité compétente une large marge d’appréciation pour décider s’il y a lieu, dans des circonstances telles que celles au principal, de délivrer ou non un permis de séjour.

45      En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’arrondissement de Bergstraße, en faisant usage du pouvoir d’appréciation dont il dispose, a rejeté la demande de délivrance d’un permis de séjour à l’enfant Tekdemir, en estimant, d’une part, qu’il n’était pas intolérable d’exiger que celui-ci agisse a posteriori par la voie de la procédure de visa, même si cela devait aboutir inévitablement à ce que celui-ci et sa mère soient, tout au moins provisoirement, séparés respectivement de leur père et époux, ainsi que, d’autre part, qu’il n’était pas non plus déraisonnable d’attendre du père de l’enfant Tekdemir qu’il poursuive en Turquie sa communauté de vie familiale ou conjugale avec son fils et son épouse.

46      Ainsi, il est constant que l’application de la réglementation nationale en cause au principal à un travailleur turc, tel que le père de l’enfant Tekdemir, a pour effet que celui-ci devra choisir entre poursuivre son activité salariée en Allemagne et voir sa vie familiale profondément perturbée, ou renoncer à ladite activité sans garantie de réinsertion professionnelle à son éventuel retour de Turquie.

47      Or, le gouvernement allemand précise que le droit national n’exclut nullement la possibilité d’un regroupement familial du requérant au principal avec son père lorsqu’il prévoit l’obligation d’engager a posteriori une procédure de visa dans le cadre de laquelle l’existence des conditions d’un tel regroupement familial pourra être examinée. Ainsi, le requérant au principal devra engager une telle procédure depuis la Turquie, en vue d’obtenir un permis de séjour pour entrer et séjourner en Allemagne au titre du regroupement familial.

48      Toutefois, aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet de considérer qu’il soit nécessaire, aux fins de contrôler la légalité du séjour des ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans dans l’État membre concerné et, par suite, de garantir la réalisation de l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires, que les enfants ressortissants d’États tiers nés dans cet État membre et qui y séjournent régulièrement depuis leur naissance doivent rentrer dans l’État tiers dont ils ont la nationalité et engager depuis cet État tiers une procédure dans le cadre de laquelle de telles conditions seront examinées.

49      À cet égard, il n’est pas allégué et moins encore établi que seul le départ du requérant au principal du territoire allemand et l’engagement a posteriori d’une procédure de visa mettrait l’autorité compétente en état d’apprécier la légalité de son séjour au titre du regroupement familial.

50      Au contraire, rien ne permet de considérer que l’autorité compétente ne disposerait pas d’ores et déjà de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le droit de séjour en Allemagne du requérant au principal au titre du regroupement familial et que cet examen ne pourrait être effectué par l’autorité compétente, en évitant les inconvénients évoqués au point 46 du présent arrêt, dans le cadre de la décision concernant la délivrance du permis de séjour au titre de l’article 33 de l’AufenthG.

51      Ainsi, dans la mesure où, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’application de la réglementation nationale entraîne des conséquences telles que celles décrites au point 46 du présent arrêt, il y a lieu de considérer qu’une telle application est disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

52      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que, aux fins de l’article 13 de la décision n° 1/80, les modalités de mise en œuvre de l’obligation faite aux ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans de détenir un permis de séjour pour entrer et séjourner dans l’État membre concerné, en ce qui concerne les enfants ressortissants d’États tiers nés dans l’État membre concerné et dont l’un des parents est un travailleur turc bénéficiant d’un permis de séjour dans cet État membre, tels que le requérant au principal, vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires.

53      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi que l’article 13 de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens que l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une mesure nationale, introduite après l’entrée en vigueur de cette décision dans l’État membre concerné, imposant aux ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans l’obligation de détenir un permis de séjour pour entrer et séjourner dans cet État membre. Une telle mesure n’est toutefois pas proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, dès lors que ses modalités de mise en œuvre en ce qui concerne les enfants ressortissants d’un État tiers nés dans l’État membre concerné et dont l’un des parents est un travailleur turc résidant légalement dans cet État membre, tels que le requérant au principal, vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 13 de la décision n° 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, jointe à l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963, doit être interprété en ce sens que l’objectif tenant à une gestion efficace des flux migratoires peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une mesure nationale, introduite après l’entrée en vigueur de cette décision dans l’État membre concerné, imposant aux ressortissants d’États tiers âgés de moins de 16 ans l’obligation de détenir un permis de séjour pour entrer et séjourner dans cet État membre.

Une telle mesure n’est toutefois pas proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, dès lors que ses modalités de mise en œuvre en ce qui concerne les enfants ressortissants d’un État tiers nés dans l’État membre concerné et dont l’un des parents est un travailleur turc résidant légalement dans cet État membre, tels que le requérant au principal, vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.