Language of document : ECLI:EU:C:2015:675

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

6 octobre 2015 (*)

«Pourvoi – Intervention – Intérêt à la solution du litige – Rejet»

Dans l’affaire C‑20/15 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 19 janvier 2015,

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal, B. Stromsky et C. Urraca Caviedes ainsi que par Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Autogrill España SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes J. Buendía Sierra, E. Abad Valdenebro et R. Calvo Salinero, abogados,

partie demanderesse en première instance,

soutenue par:

Royaume d’Espagne, représenté par M. M. A. Sampol Pucurull, en qualité d’agent,

Irlande, représentée par Mmes G. Hodge et E. Creedon, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

parties intervenantes au pourvoi,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

vu la proposition de Mme A. Prechal, juge rapporteur,

l’avocat général, M. M. Wathelet, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Autogrill España/Commission (T‑219/10, EU:T:2014:939, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé les articles 1er, paragraphe 1, et 4 de la décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48, ci‑après la «décision litigieuse»).

2        Par décisions du président de la Cour du 19 mai 2015, le Royaume d’Espagne, l’Irlande et la République fédérale d’Allemagne ont été admis à intervenir au soutien des conclusions d’Autogrill España SA.

3        Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 avril 2015, Telefónica SA (ci-après «Telefónica»), société de droit espagnol établie à Madrid (Espagne), a demandé, sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions d’Autogrill España SA.

4        Par ses observations déposées le 26 mai 2015, la Commission a contesté cette demande en soutenant que Telefónica n’a pas un intérêt direct et actuel à la solution du litige faisant l’objet du pourvoi.

5        À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, d’abord, que, par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, la Commission a déclaré incompatible avec le marché commun, pour ce qui est des aides octroyées aux bénéficiaires lors de la prise de participations intracommunautaires, le régime d’aides exécuté par le Royaume d’Espagne conformément à l’article 12, paragraphe 5, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, telle que modifiée par la loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social (ley 24/2001, de medidas fiscales, administrativas y del orden social), du 27 décembre 2001 (BOE n° 313, du 31 décembre 2001, p. 50493). Le décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés (real decreto legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la ley del impuesto sobre sociedades), du 5 mars 2004 (BOE n° 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci-après le «TRLIS»), a consolidé les modifications apportées à cette loi et maintenu la rédaction de ce paragraphe 5. Cette dernière disposition prévoit qu’une entreprise espagnole peut déduire de l’assiette imposable de l’impôt sur les sociétés, à titre d’amortissement fiscal, la survaleur financière résultant d’une prise de participations significative dans une société étrangère.

6        Cependant, la Commission a également considéré que, à la suite des déclarations de certains de ses membres au Parlement européen, elle avait offert des garanties spécifiques, inconditionnelles et concordantes portant sur le fait que le régime d’amortissement de la survaleur était légal et qu’aucun des avantages découlant de ce régime ne pouvait faire l’objet d’une procédure de récupération. Aussi, par l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision litigieuse, la Commission a-t-elle admis que les bénéficiaires des déductions fiscales pouvaient se prévaloir d’une confiance légitime en faveur de l’application dudit régime fiscal aux prises de participations énoncées dans ces dispositions et intervenues avant le 21 décembre 2007, date de publication au Journal officiel de l’Union européenne de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE.

7        Par l’article 4 de la décision litigieuse, la Commission a ordonné la récupération, sous certaines conditions, des aides visées à l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci.

8        Ensuite, par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO L 135, p. 1, ci‑après la «deuxième décision de la Commission»), cette institution a déclaré incompatible avec le marché intérieur le régime d’aides mis en œuvre par le Royaume d’Espagne conformément à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS pour ce qui est des aides octroyées aux bénéficiaires lors de prises de participations en dehors de l’Union européenne.

9        Par l’article 1er, paragraphes 2 à 5, de la deuxième décision de la Commission, celle‑ci a également reconnu l’existence d’une confiance légitime en faveur des personnes qui ont bénéficié des déductions fiscales lors des prises de participations énoncées dans ces dispositions et intervenues, selon le cas, avant le 21 décembre 2007 ou avant la date de la publication de cette décision au Journal officiel de l’Union européenne, à savoir le 21 mai 2011.

10      Par l’article 4 de ladite décision, la Commission a ordonné la récupération, sous certaines conditions, des aides visées à l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci.

11      Enfin, par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision (UE) 2015/314 de la Commission, du 15 octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne – Régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères (JO 2015, L 56, p. 38, ci-après la «troisième décision de la Commission»), cette institution a déclaré incompatible avec le marché intérieur la nouvelle interprétation administrative adoptée par le Royaume d’Espagne, qui élargit le champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, afin de couvrir les prises de participations indirectes dans des entreprises étrangères par l’intermédiaire d’une prise de participations directes dans des sociétés holdings étrangères.

12      Par l’article 4 de la troisième décision de la Commission, cette institution a ordonné la récupération des aides visées à l’article 1er de celle-ci.

13      À l’appui de sa demande d’intervention, Telefónica fait valoir, en substance, deux arguments.

14      En premier lieu, elle soutient que le sort du présent litige a des conséquences directes et immédiates sur l’application de la troisième décision de la Commission à son égard.

15      Telefónica expose que ses recours contre la décision litigieuse et contre la deuxième décision de la Commission ont été rejetés comme irrecevables par, respectivement, l’ordonnance Telefónica/Commission (T‑228/10, EU:T:2012:140) et l’ordonnance Telefónica/Commission (T‑430/11, EU:T:2013:489). Elle indique que les pourvois contre ces ordonnances ont été également rejetés par, respectivement, l’arrêt Telefónica/Commission (C‑274/12 P, EU:C:2013:852) et l’ordonnance Banco Bilbao Vizcaya Argentaria et Telefónica/Commission (C‑587/13 P et C‑588/13 P, EU:C:2015:18). Elle rappelle que, dans les deux décisions dont elle avait demandé l’annulation, la Commission avait reconnu l’existence, sous certaines conditions, d’une confiance légitime dans le chef des bénéficiaires du régime fiscal en cause. Selon elle, les participations qu’elle a prises relèvent du champ d’application de la décision litigieuse et peuvent continuer à bénéficier des déductions fiscales, en application de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de celle‑ci, au titre du principe de protection de la confiance légitime.

16      En revanche, Telefónica considère que la troisième décision de la Commission n’accorde pas le bénéfice de la confiance légitime aux bénéficiaires du régime en cause. Or, une part importante des prises de participations dans des sociétés étrangères pour lesquelles elle amortit la survaleur financière seraient des prises de participations indirectes dans des sociétés opérationnelles, au moyen de la prise de participations dans des sociétés holdings non résidentes. De ce fait, ces prises de participations seraient de nature à relever du champ d’application de cette dernière décision.

17      Il existerait cependant un lien étroit entre les deux premières décisions de la Commission, d’une part, et la troisième décision, d’autre part. En effet, la dernière renverrait aux motifs retenus par la Commission dans les deux premières pour qualifier la prétendue nouvelle mesure d’aide d’État et la Commission aurait elle‑même accepté de suspendre la récupération des aides concernées par la troisième décision, dans l’attente du prononcé des arrêts de la Cour dans la présente affaire et dans l’affaire Commission/Banco Santander et Santusa (C‑21/15 P), pendante devant la Cour.

18      Dans ces conditions, le fait pour la Cour de rejeter le pourvoi dans la présente affaire aurait pour effet de rendre caduque la troisième décision de la Commission, dans la mesure où la confirmation de l’invalidité de la décision litigieuse affectera nécessairement la validité de la troisième décision quant à la qualification du régime en cause d’aide d’État. À l’inverse, le fait pour la Cour d’accueillir le pourvoi dans la présente affaire impliquerait la reprise immédiate, par la Commission, de l’exécution de l’ordre de récupération des aides visées par la troisième décision. Dans ce dernier cas, Telefónica serait également exposée au risque que des recours soient introduits contre elle par ses concurrents devant les juridictions nationales.

19      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en application de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis à la Cour, autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre ces États et lesdites institutions, est en droit d’intervenir dans ce litige.

20      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion d’«intérêt à la solution du litige», au sens de cet article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles‑mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes «solution du litige» renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt. À cet égard, il convient notamment de vérifier que l’intervenant est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à l’issue du litige est certain (ordonnance du président de la Cour Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:135, point 7 ainsi que jurisprudence citée).

21      Toutefois, par son premier argument, Telefónica ne démontre pas qu’elle est touchée directement par l’arrêt attaqué et que son intérêt à l’issue du présent litige est certain.

22      En effet, il y a lieu de rappeler que, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a annulé les articles 1er, paragraphe 1, et 4 de la décision litigieuse. Or, Telefónica n’est pas touchée directement par cet arrêt, dès lors que, ainsi qu’il ressort de ses propres explications, reprises au point 15 de la présente ordonnance, ses prises de participations relevant du champ d’application de cette décision pourraient continuer à bénéficier de l’avantage fiscal en cause, en application de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de celle‑ci. Dans ces conditions, la solution du litige dont la Cour est saisie dans le cadre du présent pourvoi est sans incidence sur la possibilité pour Telefónica de continuer à procéder à l’amortissement fiscal de la survaleur financière résultant de ces prises de participations.

23      Par ailleurs, si Telefónica fonde son intérêt à l’issue de ce litige sur le prétendu effet de celui-ci sur la troisième décision de la Commission, il y a lieu de relever que cet intérêt ne saurait être qualifié de certain, dès lors qu’il dépend de circonstances qui restent à établir, telles que l’application effective de cette dernière décision à des prises de participations effectuées par Telefónica et l’incidence exacte de cette même décision et de la décision litigieuse l’une sur l’autre, voire qui sont purement aléatoires, tel le fait que des recours puissent être introduits par des tiers contre Telefónica.

24      En second lieu, Telefónica fait valoir qu’elle a un intérêt direct et actuel à l’issue du présent litige, parce qu’elle est soumise au risque qu’il soit fait droit aux prétentions de la partie requérante dans l’affaire Deutsche Telekom/Commission (T‑207/10), pendante devant le Tribunal, visant à l’annulation de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision litigieuse, qui prévoit que les prises de participations relevant du champ d’application de cette décision peuvent continuer à bénéficier des déductions fiscales, au titre du principe de protection de la confiance légitime.

25      Toutefois, cet argument n’est pas de nature à remettre en cause la constatation, déjà effectuée au point 22 de la présente ordonnance, selon laquelle Telefónica n’est pas touchée directement par l’arrêt attaqué.

26      Par ailleurs, l’intérêt à l’issue du présent litige qu’aurait Telefónica en raison du recours auquel il est fait référence au point 24 de la présente ordonnance ne saurait être considéré comme certain, dès lors qu’un tel intérêt ne pourrait, le cas échéant, exister que si ce recours était effectivement accueilli et si l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision litigieuse était annulé. Or, une telle issue ne peut, en tout état de cause, être présumée.

27      Il résulte de ce qui précède que la demande d’intervention de Telefónica doit être rejetée.

 Sur les dépens

28      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Telefónica ayant succombé en sa demande d’intervention, mais aucune partie n’ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de décider qu’elle supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, le président de la Cour ordonne:

1)      La demande d’intervention présentée par Telefónica SA est rejetée.

2)      Telefónica SA supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.