Language of document : ECLI:EU:T:2018:644

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

4 octobre 2018 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Adaptation des rémunérations – Règlement (UE) no 423/2014 – Bulletin de rémunération – Délai de recours – Forclusion – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑546/16,

Marina Tataram, fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représentée initialement par Me A. Salerno, puis par Me F. Moyse, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. J. Currall et G. Gattinara, puis par M. Gattinara et Mme L. Radu Bouyon, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par Mmes E. Taneva et M. Ecker, en qualité d’agents,

et par

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par M. M. Bauer et Mme M. Veiga, puis par MM. Bauer et R. Meyer, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de fixation de la rémunération de la requérante pour le mois de mai 2014, telle qu’elle s’est concrétisée dans le bulletin de rémunération pour ledit mois qui lui a été adressé le 15 mai 2014 et qui serait le premier bulletin à faire application du règlement (UE) no 423/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, adaptant, avec effet au 1er juillet 2012, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO 2014, L 129, p. 12),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. A. M. Collins, président, Mme M. Kancheva et M. R. Barents (rapporteur), juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 31 janvier 2018,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Mme Marina Tataram, est fonctionnaire de la Commission européenne, affectée depuis le 1er novembre 2010 à l’Office des publications de l’Union européenne (OP), à Luxembourg.

2        Le 16 avril 2014, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le règlement (UE) no 423/2014, adaptant, avec effet au 1er juillet 2012, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO 2014, L 129, p. 12). Le règlement est entré en vigueur le 1er mai 2014.

3        Aucun coefficient correcteur n’est appliqué à la rémunération de la requérante, l’article 3, paragraphe 5, de l’annexe XI du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») excluant cette application pour la Belgique et le Luxembourg.

4        Le 12 août 2014, la requérante a introduit une réclamation contre la décision de fixation de sa rémunération pour le mois de mai 2014, telle qu’elle s’est concrétisée dans le bulletin de rémunération pour ledit mois qui lui a été adressé le 15 mai 2014 et qui serait le premier bulletin à faire application du règlement no 423/2014, à savoir le premier bulletin de rémunération dans lequel aucun coefficient correcteur n’aurait été appliqué à sa rémunération.

5        Cette réclamation a été rejetée par la décision de la Commission du 12 décembre 2014.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal de la fonction publique le 10 mars 2015, la requérante a introduit le présent recours. Ce dernier a été enregistré sous le numéro F‑42/15.

7        Par courrier parvenu au greffe du Tribunal de la fonction publique le 9 juin 2015, le Parlement a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

8        Par courrier parvenu au greffe du Tribunal de la fonction publique le 12 juin 2015, le Conseil a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

9        Par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal de la fonction publique du 9 juin 2015, la procédure a été suspendue jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑456/14 (arrêt du 15 septembre 2016, TAO-AFI et SFIE-PE/Parlement et Conseil, T‑456/14, EU:T:2016:493).

10      En application de l’article 3 du règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2016, relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents (JO 2016, L 200, p. 137), la présente affaire a été transférée au Tribunal dans l’état où elle se trouvait au 31 août 2016. Cette affaire a ainsi été enregistrée sous le numéro T‑546/16 et attribuée à la huitième chambre.

11      Le 13 janvier 2017, le président de la huitième chambre du Tribunal a décidé d’accueillir les demandes d’intervention présentées respectivement par le Parlement et par le Conseil au soutien des conclusions de la Commission.

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision fixant sa rémunération pour le mois de mai 2014, en ce qu’elle ne l’a fait bénéficier d’aucun coefficient correcteur ;

–        condamner la Commission aux dépens.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

15      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé.

16      Les observations sur les mémoires en intervention ont été déposées au greffe du Tribunal, le 26 juin 2017, par la Commission et, le 5 juillet suivant, par la requérante.

17      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

18      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 31 janvier 2018.

 En droit

19      La requérante a introduit un recours contre la décision de fixation de sa rémunération pour le mois de mai 2014, telle qu’elle s’est concrétisée dans le bulletin de rémunération pour ledit mois qui lui a été adressé le 15 mai 2014 et qui serait le premier bulletin de rémunération qui lui a été adressé après l’entrée en vigueur du règlement no 423/2014 et qui constitue, selon elle, un acte lui faisant grief. Elle soulève une exception d’illégalité sur le fondement de l’article 277 TFUE à l’égard du règlement no 423/2014, de l’article 1er, points 43 et 44 du règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (JO 2013, L 287, p. 15), de l’article 64 du statut et de l’article 3, paragraphe 5 de l’annexe XI du statut.

20      La Commission soutient que la requérante aurait attaqué son bulletin de rémunération en prétendant que sa rémunération ne pouvait pas être fixée au même niveau que le niveau de celles des fonctionnaires affectés à Bruxelles (Belgique). Or, selon la Commission, faire droit à la demande de la requérante présupposerait l’abrogation de l’article 64, deuxième alinéa, du statut et de l’article 3, paragraphe 5, de l’annexe XI du statut, lesquels sont à l’origine de l’absence de coefficient correcteur pour le Luxembourg. Il s’ensuivrait qu’une telle demande excéderait manifestement le champ d’application de l’article 90 du statut, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») ne pouvant pas prendre position, par le biais d’une décision administrative, sur l’abrogation d’une disposition statutaire concernant les droits pécuniaires du personnel des institutions de l’Union. Le recours serait, par conséquent, irrecevable.

21      Le Conseil soutient que le recours serait manifestement irrecevable. Selon lui, un bulletin de rémunération peut constituer un acte faisant grief susceptible, en tant que tel, de faire l’objet d’une réclamation et éventuellement d’un recours. Cependant, tel ne serait pas le cas s’il ne fait que traduire en termes pécuniaires la portée de décisions juridiques antérieures, relatives à la situation administrative du fonctionnaire, ou, en d’autres termes, lorsqu’il n’apparaît que purement confirmatif de ces décisions administratives antérieures. En l’espèce, le recours de la requérante viserait à faire reconnaître l’illégalité de la persistance de la Commission à faire application de l’article 64 du statut, en invoquant l’illégalité de cette dernière disposition au regard du principe d’égalité de traitement. En effet, le bulletin de rémunération ne ferait que refléter une décision de l’AIPN mettant en œuvre, pour ce mois-là, le principe d’un coefficient correcteur unique pour tous les fonctionnaires affectés à Luxembourg et à Bruxelles, comme l’AIPN l’a fait depuis l’entrée en fonctions de la requérante et son premier bulletin de rémunération. La décision serait donc purement confirmative.

22      Le Conseil ajoute que le fait que ce bulletin de rémunération traduit la mise en œuvre, pour la première fois, du règlement no 423/2014 serait sans incidence à cet égard, car ce dernier n’aurait pas modifié l’article 64 du statut, mais aurait simplement adapté les rémunérations et les coefficients correcteurs applicables aux autres États membres, en application des principes énoncés à l’article 64 du statut.

23      Le Parlement soutient la Commission dans son analyse tendant au rejet du présent recours comme irrecevable.

24      Dans ses observations sur les mémoires en intervention, en premier lieu, la requérante soutient que le premier bulletin de rémunération, qui serait en l’espèce celui du mois de mai 2014, faisant suite à l’entrée en vigueur de l’acte de portée générale, à savoir le règlement no 423/2014, modifiant les droits pécuniaires d’une catégorie abstraite de fonctionnaires, traduirait nécessairement, à l’égard de son destinataire, l’adoption d’une décision administrative de portée individuelle produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du fonctionnaire ou du retraité concerné.

25      Le règlement no 423/2014 serait en effet fondé, pour ce qui concerne le bulletin de rémunération du mois de mai 2014, sur l’article 64 du statut, et donc sur le règlement no 1023/2013 ayant remplacé les anciens articles 64 et 65 du statut.

26      Il en résulterait donc, selon la requérante, que le bulletin de rémunération du mois de mai 2014 lui révélerait, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du règlement no 423/2014, que sa rémunération n’a pas été adaptée au coût de la vie de Luxembourg par le biais d’un coefficient correcteur.

27      En deuxième lieu, selon la requérante, l’argument tiré du prétendu caractère confirmatif du bulletin de rémunération du mois de mai n’affecterait pas cette conclusion. La réforme du statut et l’adaptation des rémunérations seraient constitutives d’une « novation juridique » qui équivaudrait à un réexamen de la situation sur le fondement de laquelle son bulletin de rémunération du mois de mai 2014 avait été établi, et ce même si le contenu des nouvelles dispositions 64 et 65 du statut serait en partie une reprise des anciennes dispositions. Il s’agirait d’un « acte nouveau », même si le législateur, après réexamen, aurait décidé de ne pas « innover » en matière de coefficient pour le Luxembourg.

28      En troisième lieu, selon la requérante, il conviendrait également de rejeter l’argument tiré de la présomption de légalité. Il serait permis à une partie requérante de soulever devant le juge de l’Union l’illégalité d’un texte de portée générale à l’occasion d’un recours contre une décision individuelle pour faire reconnaître cette illégalité qu’elle ne peut pas faire valoir autrement.

29      En dernier lieu, selon la requérante, il conviendrait de rejeter l’argument tiré de ce que sa demande excéderait le champ d’application de l’article 90 du statut. Une fois son bulletin de rémunération annulé, il appartiendrait à l’auteur de l’acte annulé d’exécuter l’arrêt et de tirer les conséquences des motifs soutenant le dispositif.

30      Dans ses observations sur les mémoires en intervention, la Commission soutient que le bulletin de rémunération ne contiendrait aucune nouvelle décision quant à la rémunération de la requérante, qui ne fait que contester une application des dispositions statutaires. Le recours serait donc irrecevable pour absence d’acte faisant grief, le bulletin n’étant qu’un acte purement confirmatif quant à la rémunération de la requérante.

31      À titre liminaire, il convient de relever que le recours a pour objet la légalité de la décision de fixation de la rémunération de la requérante pour le mois de mai 2014, telle qu’elle s’est concrétisée dans le bulletin de rémunération pour ledit mois qui lui a été adressé le 15 mai 2014 et qui serait le premier bulletin de rémunération qui lui a été adressé après l’entrée en vigueur du règlement no 423/2014. Au soutien du recours, elle soulève une exception d’illégalité, en vertu de l’article 277 TFUE, tendant à ce que le règlement no 423/2014, adopté sur le fondement de l’article 10 de l’annexe XI du statut, soit déclaré inapplicable à son égard, et ce au motif que celui-ci n’a pas introduit de coefficient correcteur pour le Luxembourg, alors que le coût de la vie y est bien plus élevé qu’en Belgique, ainsi que les dispositions statutaires qui interdisent l’introduction d’un tel coefficient correcteur et dont le règlement fait application.

32      Il convient de rappeler que l’article 277 TFUE prévoit que toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause la légalité d’un règlement visé par cette disposition, se prévaloir, en particulier à l’appui d’un recours contre une mesure d’application, des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, même après l’expiration du délai de recours contre le règlement. Il ressort d’une jurisprudence constante que cette voie de droit incidente constitue l’expression d’un principe général qui tend à garantir que toute personne dispose ou ait disposé d’une possibilité de contester un acte émanant de l’Union qui sert de fondement à une décision qui lui est opposée (arrêts du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, EU:C:1979:53, point 36 ; du 19 janvier 1984, Andersen e.a./Parlement, 262/80, EU:C:1984:18, point 6, et du 10 juillet 2003, Commission/BCE, C‑11/00, EU:C:2003:395, points 74 à 78). La règle posée à l’article 277 TFUE s’impose assurément dans le cadre du contentieux porté devant le Tribunal au titre de l’article 270 TFUE (arrêt du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission, F‑29/09, EU:F:2010:120, point 29).

33      Toutefois, il ressort également de la jurisprudence que la possibilité que donne l’article 277 TFUE d’invoquer l’inapplicabilité d’un règlement ne constitue pas un droit d’action autonome et ne peut être exercée que de manière incidente, de telle sorte que l’absence d’un droit de recours principal ou l’irrecevabilité du recours principal entraîne l’irrecevabilité de l’exception d’illégalité (voir arrêt du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission, F‑29/09, EU:F:2010:120, point 30 et jurisprudence citée).

34      Or, selon les articles 90 et 91 du statut, la réclamation et, par conséquent, le recours ne peuvent être dirigés que contre un acte faisant grief émanant de l’AIPN. Il est également de jurisprudence constante qu’un acte faisant grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, et de l’article 91, paragraphe 1, du statut, est celui qui produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (voir arrêt du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission, F‑29/09, EU:F:2010:120, point 31 et jurisprudence citée).

35      Il convient donc de vérifier si le recours, en tant qu’il est dirigé contre la décision de fixation de la rémunération de la requérante pour le mois de mai 2014, telle qu’elle s’est concrétisée dans le bulletin de rémunération pour ledit mois qui lui a été adressé le 15 mai 2014 et qui serait le premier bulletin de rémunération qui lui a été adressé après l’entrée en vigueur du règlement no 423/2014, répond aux exigences des articles 90 et 91 du statut.

36      À cet égard, il importe de souligner qu’un bulletin de rémunération, par sa nature et son objet, ne présente pas les caractéristiques d’un acte faisant grief dès lors qu’il ne fait que traduire en termes pécuniaires la portée de décisions administratives antérieures, relatives à la situation personnelle et juridique du fonctionnaire (arrêts du 23 avril 2008, Pickering/Commission, F‑103/05, EU:F:2008:45, point 72, et du 23 avril 2008, Bain e.a./Commission, F‑112/05, EU:F:2008:46, point 73). Toutefois, dans la mesure où il fait apparaître clairement l’existence et le contenu d’une décision administrative de portée individuelle, passée jusqu’alors inaperçue, dès lors qu’elle n’avait pas été formellement notifiée à l’intéressé, le bulletin de rémunération, contenant le décompte des droits pécuniaires, peut être considéré comme un acte faisant grief, susceptible de faire l’objet d’une réclamation et, le cas échéant, d’un recours (voir, en ce sens, ordonnance du 24 mars 1998, Meyer e.a./Cour de justice, T‑181/97, EU:T:1998:64, point 25, et arrêt du 16 février 2005, Reggimenti/Parlement, T‑354/03, EU:T:2005:54, points 38 et 39). Dans ces conditions, la communication du bulletin de rémunération a pour effet de faire courir les délais de réclamation et de recours contre la décision administrative prise à l’égard du fonctionnaire concerné et reflétée dans le bulletin (voir arrêt du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission, F‑29/09, EU:F:2010:120, point 33 et jurisprudence citée).

37      Il en va de même lorsque le bulletin de rémunération matérialise, pour la première fois, la mise en œuvre d’un nouvel acte de portée générale concernant la fixation de droits pécuniaires, tels une décision modifiant la méthode de calcul des frais de voyage, une décision modifiant un barème de contributions parentales pour les services de crèche, un règlement modifiant des coefficients correcteurs (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2000, Bareyt e.a./Commission, T‑175/97, EU:T:2000:259), un règlement adaptant le montant des rémunérations ou un règlement instaurant une contribution exceptionnelle de crise ou une contribution temporaire (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission, F‑29/09, EU:F:2010:120, point 34 et jurisprudence citée).

38      Dans ces dernières hypothèses, le premier bulletin de rémunération faisant suite à l’entrée en vigueur d’un acte de portée générale, modifiant les droits pécuniaires d’une catégorie abstraite de fonctionnaires, traduit nécessairement, à l’égard de son destinataire, l’adoption d’une décision administrative de portée individuelle produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du fonctionnaire concerné. Aussi, à supposer même qu’il puisse être considéré qu’une nouvelle décision administrative de portée individuelle est adoptée mensuellement par l’AIPN quant à la fixation des droits pécuniaires du fonctionnaire et se trouve reflétée dans le bulletin de rémunération correspondant, ces décisions successives ne seraient-elles que confirmatives de la première décision ayant modifié de façon caractérisée la situation juridique de l’intéressé en application du nouvel acte de portée générale (arrêt du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission, F‑29/09, EU:F:2010:120, point 35).

39      En conséquence, un fonctionnaire ayant omis d’attaquer, dans les délais de réclamation et de recours, le bulletin de rémunération matérialisant, pour la première fois, la mise en œuvre d’un acte de portée générale portant fixation des droits pécuniaires ne saurait valablement, après le dépassement desdits délais, attaquer les fiches ultérieures, en invoquant à leur égard la même illégalité que celle dont serait entachée le premier bulletin (voir arrêt du 30 septembre 2010, Lebedef et Jones/Commission, F‑29/09, EU:F:2010:120, point 36 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, selon la requérante, le bulletin du mois de mai 2014, qui lui a été adressé le 15 mai 2014, lui aurait révélé, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du règlement no 423/2014, que sa rémunération n’avait pas été adaptée au coût de la vie de Luxembourg par application d’un coefficient correcteur.

41      À cet égard, il y a lieu de relever que, le 11 mars 2014, le Parlement a adopté en séance plénière sa position sur un texte de compromis résultant du trilogue du 4 mars 2014, selon lequel s’appliqueraient un taux d’adaptation des rémunérations et des pensions de 0 % pour 2011 et de 0,8 % pour 2012 et un gel des rémunérations et des pensions pour les années 2013 et 2014. Ensuite, le Conseil a approuvé la position du Parlement et, conformément à l’article 294, paragraphe 4, TFUE, les règlements no 423/2014 et (UE) no 422/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, adaptant, avec effet au 1er juillet 2011, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO 2014, L 129, respectivement p. 5), ont été adoptés (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, TAO-AFI et SFIE-PE/Parlement et Conseil, T‑456/14, EU:T:2016:493, point 31).

42      Les considérants 1 à 5 du règlement no 423/2014 se lisent comme suit :

« (1)      Dans son arrêt dans l’affaire C‑63/12, Commission/Conseil, la [Cour] a précisé que les institutions [étaient] obligées de statuer chaque année sur l’adaptation des rémunérations, soit en procédant à l’adaptation “mathématique” selon la méthode prévue à l’article 3 de l’annexe XI du statut, soit en s’écartant de ce calcul “mathématique” conformément à l’article 10 de ladite annexe.

(2)       L’article 19 de l’annexe XIII du statut, tel que modifié par le règlement [no 1023/2013], vise à permettre aux institutions de prendre les mesures nécessaires pour régler leurs différends portant sur les adaptations des rémunérations et pensions pour les années 2011 et 2012 en se conformant à un arrêt de la [Cour], en tenant compte des attentes légitimes des membres du personnel de voir les institutions statuer chaque année sur l’adaptation de leurs rémunérations et pensions.

(3)       Afin de se conformer à l’arrêt rendu par la [Cour] dans l’affaire C‑63/12, lorsque le Conseil constate qu’il existe une détérioration grave et soudaine de la situation économique et sociale à l’intérieur de l’Union, la Commission doit présenter une proposition selon la procédure prévue à [l’article 336 TFUE] pour associer le [Parlement] au processus législatif. Le 25 octobre 2012, le Conseil a considéré que l’évaluation de la Commission contenue dans son rapport sur la clause d’exception ne [reflétait] pas la détérioration grave et soudaine de la situation économique et sociale dans l’Union en 2012, telle qu’elle [ressortait] des données économiques objectives publiquement disponibles. Le Conseil a dès lors demandé à la Commission de présenter, conformément à l’article 10 de l’annexe XI du statut, une proposition appropriée d’adaptation des rémunérations pour l’année 2012.

(4)       La [Cour] a confirmé que le [Parlement] et le Conseil disposaient, au titre de la clause d’exception, d’une large marge d’appréciation en matière d’adaptation des rémunérations et des pensions. Sur la base des données économiques et sociales pour la période allant du 1er juillet 2011 au 31 décembre 2012, telles que les retombées de la crise économique de l’automne 2011, qui a provoqué une récession économique dans l’Union et une détérioration de la situation sociale, ainsi que les niveaux toujours élevés du chômage, du déficit public et de la dette publique dans l’Union, il est approprié de fixer l’adaptation des rémunérations et des pensions en Belgique et au Luxembourg à 0,8 % pour l’année 2012. Cette adaptation s’inscrit dans le cadre d’une approche globale visant à régler les différends concernant les adaptations des rémunérations et des pensions pour les années 2011 et 2012, laquelle comporte également une adaptation de 0 % pour l’année 2011.

(5)       Par conséquent, sur une période de cinq ans (2010-2014), les adaptations des rémunérations et des pensions des fonctionnaires et autres agents de l’[Union] sont les suivantes : en 2010, l’application de la méthode prévue à l’article 3 de l’annexe XI du statut a conduit à une adaptation de 0,1 %. En 2011 et 2012, dans le cadre d’une approche globale visant à régler les différends concernant les adaptations des rémunérations et des pensions pour les années 2011 et 2012, les adaptations sont de 0 % et de 0,8 % respectivement. En outre, dans le cadre du compromis politique sur la réforme du statut et du régime applicable aux autres agents, un gel des rémunérations et des pensions a été décidé pour les années 2013 et 2014. »

43      Le règlement no 423/2014 fait donc application des principes dégagés dans l’arrêt du 19 novembre 2013, Commission/Conseil (C‑63/12, EU:C:2013:752), sur le fondement de l’article 64 du statut tel qu’il était en vigueur avant sa modification par le règlement no 1023/2013.

44      Le règlement no 423/2014 ne fait aucunement état de l’absence d’application de coefficients correcteurs s’agissant du Luxembourg ou de la Belgique.

45      Dans la mesure où l’article 277 TFUE n’a pas pour but de permettre à une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de caractère général que ce soit à la faveur d’un recours quelconque, la portée d’une exception d’illégalité doit être limitée à ce qui est indispensable à la solution du litige. Il en résulte que l’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et qu’il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 1993, Reinarz/Commission, T‑6/92 et T‑52/92, EU:T:1993:89, point 57 et jurisprudence citée).

46      Il est également de jurisprudence constante que l’existence d’un tel lien peut se déduire du constat que la décision individuelle attaquée repose essentiellement sur une disposition de l’acte dont la légalité est contestée, même si cette dernière n’en constituait pas formellement la base juridique (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2007, Ianniello/Commission, T‑308/04, EU:T:2007:347, point 33 et jurisprudence citée).

47      À cet égard, il convient de constater qu’il découle également de la réponse donnée par les parties à une question posée lors de l’audience que le règlement no 423/2014 n’a aucun lien avec le règlement no 1023/2013.

48      À cet effet, il convient de rappeler que, le 23 octobre 2013, le Parlement et le Conseil ont, à l’issue d’une négociation en trilogue, adopté la proposition de modification du statut de décembre 2011, sous la forme du règlement no 1023/2013. Le règlement no 1023/2013 a, notamment, introduit à l’annexe XI du statut une nouvelle méthode relative à l’adaptation annuelle des rémunérations visée à l’article 65, paragraphe 1, du statut (arrêt du 15 septembre 2016, TAO-AFI et SFIE-PE/Parlement et Conseil, T‑456/14, EU:T:2016:493, point 19).

49      Il y a donc lieu de constater que l’absence d’application d’un coefficient correcteur pour le Luxembourg repose sur l’article 64 du statut tel qu’il a été modifié par le règlement no 1023/2013. En l’espèce, l’exception d’illégalité, pour autant qu’elle vise le règlement no 423/2014, s’étend à un règlement sans incidence pour la solution du litige et ne présentant aucun lien juridique direct avec ce dernier. Elle doit, dès lors, être rejetée comme irrecevable.

50      En effet, l’article 64 du statut, tel qu’il était en vigueur avant sa modification par le règlement no 1023/2013, prévoyait :

« La rémunération du fonctionnaire exprimée en euros, après déduction des retenues obligatoires visées au présent statut ou aux règlements pris pour son application, est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d’affectation.

Ces coefficients sont fixés par le Conseil statuant, sur proposition de la Commission, à la majorité qualifiée prévue au paragraphe 2 second alinéa, premier tiret, des articles 205 du traité instituant la Communauté économique européenne et 118 du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique. Le coefficient correcteur applicable à la rémunération des fonctionnaires affectés aux sièges provisoires des Communautés est, à la date du 1er janvier 1962, égal à 100 %. »

51      L’article 64 du statut, tel qu’il a été modifié par le règlement no 1023/2013, prévoit :

« La rémunération du fonctionnaire exprimée en euros, après déduction des retenues obligatoires visées au présent statut ou aux règlements pris pour son application, est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie dans les différents lieux d’affectation.

Ces coefficients correcteurs sont créés ou retirés et actualisés chaque année conformément à l’annexe XI. En ce qui concerne cette actualisation, toutes les valeurs s’entendent comme étant des valeurs de référence. La Commission publie les valeurs actualisées, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne à des fins d’information.

Aucun coefficient correcteur n’est appliqué en Belgique et au Luxembourg, étant donné le rôle spécial de référence joué par ces lieux d’affectation en tant que sièges principaux et d’origine de la plupart des institutions. »

52      Or, force est de constater que le règlement no 1023/2013 est entré en vigueur le 1er janvier 2014 et que, par conséquent, c’est à partir de cette date que, en vertu du règlement no 1023/2013, aucun coefficient correcteur n’est applicable pour le Luxembourg.

53      Il s’ensuit que le bulletin de rémunération du mois de janvier 2014 révélait déjà que la rémunération de la requérante n’avait pas été adaptée au coût de la vie à Luxembourg par application d’un coefficient correcteur.

54      Or, c’est seulement le 12 août 2014 que la requérante a introduit une réclamation contre la décision de fixation de sa rémunération pour le mois de mai 2014, telle qu’elle s’est concrétisée dans le bulletin de rémunération pour ledit mois qui lui a été adressé le 15 mai 2014.

55      Il s’ensuit que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 39 ci-dessus, en n’ayant pas introduit une réclamation contre le bulletin de rémunération du mois de janvier 2014 dans un délai de trois mois à compter de la réception de celui-ci, le délai statutaire pour contester l’absence d’application d’un coefficient correcteur tel qu’il est prévu par le règlement no 1023/2013 a expiré.

56      Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

57      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

58      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

59      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Marina Tataram est condamnée aux dépens.

3)      Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supporteront leurs propres dépens.

Collins

Kancheva

Barents


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 octobre 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

A. M. Collins


*      Langue de procédure : le français.