Language of document : ECLI:EU:C:2018:401

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

7 juin 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2001/42/CE – Article 2, sous a) – Notion de “plans et programmes” – Article 3 – Évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement – Périmètre de remembrement urbain – Possibilité de déroger aux prescriptions urbanistiques – Modification des “plans et programmes” »

Dans l’affaire C‑160/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 2 février 2015, parvenue à la Cour le 1er mars 2017, dans la procédure

Raoul Thybaut,

Johnny De Coster,

Frédéric Romain

contre

Région wallonne,

en présence de :

Commune d’Orp-Jauche,

Bodymat SA,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 novembre 2017,

considérant les observations présentées :

–        pour M. Thybaut, par Mes B. Cambier, F. Hans et J. Sambon, avocats,

–        pour MM. De Coster et Romain, par Mes B. Cambier et F. Hans, avocats,

–        pour Bodymat SA, par Mes F. Evrard, M. Scholasse et F. Haumont, avocats,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, L. Van den Broeck et J. Van Holm, en qualité d’agents, assistées de Me B. Hendrickx, avocate,

–        pour le gouvernement danois, par M. J. Nymann-Lindegren, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. C. Hermes, F. Thiran et C. Zadra, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 janvier 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous a), de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (JO 2001, L 197, p. 30, ci‑après la « directive ESIE »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MM. Raoul Thybaut, Johnny De Coster et Frédéric Romain à la Région wallonne, au sujet de la validité d’un arrêté du gouvernement de cette région, du 3 mai 2012, délimitant un périmètre de remembrement urbain relatif à une zone de la commune d’Orp-Jauche (Belgique) (Moniteur belge du 22 mai 2012, p. 29488, ci-après l’« arrêté attaqué »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes du considérant 4 de la directive ESIE :

« L’évaluation environnementale est un outil important d’intégration des considérations en matière d’environnement dans l’élaboration et l’adoption de certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement dans les États membres, parce qu’elle assure que ces incidences de la mise en œuvre des plans et des programmes sont prises en compte durant l’élaboration et avant l’adoption de ces derniers. »

4        L’article 1er de cette directive, intitulé « Objectifs », prévoit :

« La présente directive a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement, et de contribuer à l’intégration de considérations environnementales dans l’élaboration et l’adoption de plans et de programmes en vue de promouvoir un développement durable en prévoyant que, conformément à la présente directive, certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une évaluation environnementale. »

5        L’article 2 de ladite directive est rédigé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “plans et programmes” : les plans et programmes, y compris ceux qui sont cofinancés par [l’Union] européenne, ainsi que leurs modifications :

–        élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d’une procédure législative, et

–        exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ;

b)      “évaluation environnementale” : l’élaboration d’un rapport sur les incidences environnementales, la réalisation de consultations, la prise en compte dudit rapport et des résultats des consultations lors de la prise de décision, ainsi que la communication d’informations sur la décision, conformément aux articles 4 à 9 ;

[...] »

6        Aux termes de l’article 3 de la directive ESIE, intitulé « Champ d’application » :

« 1.      Une évaluation environnementale est effectuée, conformément aux articles 4 à 9, pour les plans et programmes visés aux paragraphes 2, 3 et 4 susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.

2.      Sous réserve du paragraphe 3, une évaluation environnementale est effectuée pour tous les plans et programmes :

a)      qui sont élaborés pour les secteurs de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l’énergie, de l’industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l’eau, des télécommunications, du tourisme, de l’aménagement du territoire urbain et rural ou de l’affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive [2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1)] pourra être autorisée à l’avenir [...].

3.      Les plans et programmes visés au paragraphe 2 qui déterminent l’utilisation de petites zones au niveau local et des modifications mineures des plans et programmes visés au paragraphe 2 ne sont obligatoirement soumis à une évaluation environnementale que lorsque les États membres établissent qu’ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.

[...] »

7        L’article 5 de la directive ESIE, intitulé « Rapport sur les incidences environnementales », précise, à son paragraphe 3 :

« Les renseignements utiles concernant les incidences des plans et programmes sur l’environnement obtenus à d’autres niveaux de décision ou en vertu d’autres instruments législatifs communautaires peuvent être utilisés pour fournir les informations énumérées à l’annexe I. »

8        L’article 6 de ladite directive, intitulé « Consultation », dispose :

« 1.      Le projet de plan ou de programme et le rapport sur les incidences environnementales élaboré en vertu de l’article 5 sont mis à la disposition des autorités visées au paragraphe 3 du présent article ainsi que du public.

2.      Une possibilité réelle est donnée, à un stade précoce, aux autorités visées au paragraphe 3 et au public visé au paragraphe 4 d’exprimer, dans des délais suffisants, leur avis sur le projet de plan ou de programme et le rapport sur les incidences environnementales avant que le plan ou le programme ne soit adopté ou soumis à la procédure législative.

3.      Les États membres désignent les autorités qu’il faut consulter et qui, étant donné leur responsabilité spécifique en matière d’environnement, sont susceptibles d’être concernées par les incidences environnementales de la mise en œuvre de plans et de programmes.

4.      Les États membres définissent le public aux fins du paragraphe 2, et notamment le public affecté ou susceptible d’être affecté par la prise de décision, ou intéressé par celle-ci, dans les limites de la présente directive, y compris les organisations non gouvernementales concernées, telles que celles qui encouragent la protection de l’environnement et d’autres organisations concernées.

5.      Les modalités précises relatives à l’information et à la consultation des autorités et du public sont fixées par les États membres. »

9        L’article 11 de la directive ESIE, intitulé « Lien avec d’autres dispositions législatives communautaires », énonce, à son paragraphe 1 :

« Une évaluation environnementale effectuée au titre de la présente directive est sans préjudice des exigences de la directive [85/337] ni d’aucune autre disposition législative communautaire. »

10      En vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2011/92 (ci-après la « directive EIE »), les États membres déterminent si les projets énumérés à l’annexe II de cette directive doivent être soumis à évaluation conformément aux articles 5 à 10 de ladite directive. Au nombre des projets relevant du titre 10 de cette annexe, intitulé « Projets d’infrastructure », figurent, au point b), les « [t]ravaux d’aménagement urbain, y compris la construction de centres commerciaux et de parkings ».

 Le droit belge

11      L’article 1er du code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, du patrimoine et de l’énergie, dans sa version applicable aux faits en cause au principal (ci-après le « CWATUPE »), dispose, à son paragraphe 3 :

« L’aménagement du territoire et l’urbanisme sont fixés par les plans et les règlements suivants :

1°       les plans de secteur ;

2°       les plans communaux d’aménagement ;

3°       les règlements régionaux d’urbanisme ;

4°       les règlements communaux d’urbanisme. »

12      L’article 127 de ce code précise :

« §1er.      [...] le permis [d’urbanisme] est délivré par le Gouvernement ou le fonctionnaire délégué :

[...]

8°      lorsqu’il concerne des actes et travaux situés dans un périmètre de remembrement urbain ; le périmètre est arrêté par le Gouvernement, d’initiative ou sur la proposition du conseil communal ou du fonctionnaire délégué ; sauf lorsqu’il propose le périmètre, le conseil communal transmet son avis dans le délai de quarante-cinq jours à dater de la demande du fonctionnaire délégué ; à défaut, l’avis est réputé favorable ; lorsque l’avis est défavorable, la procédure n’est pas poursuivie ; le périmètre vise tout projet d’urbanisme de requalification et de développement de fonctions urbaines qui nécessite la création, la modification, l’élargissement, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics ; le projet de périmètre et l’évaluation des incidences relatives au projet d’urbanisme sont soumis préalablement aux mesures particulières de publicité et à la consultation de la commission communale, si elle existe, selon les modalités visées à l’article 4 ; le collège des bourgmestre et échevins transmet son avis dans le délai de septante jours à dater de la réception de la demande du fonctionnaire délégué ; à défaut, l’avis est réputé favorable ; au terme de la réalisation du projet ou sur la proposition du conseil communal ou du fonctionnaire délégué, le Gouvernement abroge ou modifie le périmètre ; l’arrêté qui établit, modifie ou abroge le périmètre est publié par mention au Moniteur belge ;

[...]

§3.      Pour autant que la demande soit préalablement soumise aux mesures particulières de publicité déterminées par le Gouvernement ainsi qu’à la consultation obligatoire visée à l’article 4, alinéa 1er, 3°, lorsqu’il s’agit d’actes et travaux visés au § 1er, alinéa 1er, 1°, 2°, 4°, 5°, 7° et 8°, et qui soit respectent, soit structurent, soit recomposent les lignes de force du paysage, le permis peut être accordé en s’écartant du plan de secteur, d’un plan communal d’aménagement, d’un règlement communal d’urbanisme ou d’un plan d’alignement. »

13      L’article 181, premier et quatrième alinéas, du CWATUPE dispose :

« Le Gouvernement peut décréter d’utilité publique l’expropriation de biens immobiliers compris :

[...]

5°      dans un périmètre de remembrement urbain ;

[...]

Dans un périmètre de remembrement urbain, nonobstant l’absence d’un plan communal d’aménagement, il peut être fait application de l’article 58, alinéas 3 à 6 ».

14      L’article 58, troisième à sixième alinéas, de ce code précise :

« Peuvent agir comme pouvoir expropriant : la Région, les provinces, les communes, les régies communales autonomes, les intercommunales ayant dans leur objet social l’aménagement du territoire ou le logement et les établissements publics et organismes habilités par la loi ou le décret à exproprier pour cause d’utilité publique.

Lorsque l’expropriation envisagée a pour but de réaliser l’aménagement d’une partie du territoire destinée au permis de lotir ou permis d’urbanisation en vue de la construction d’immeubles à l’usage d’habitation ou de commerce, le propriétaire ou les propriétaires possédant en superficie plus de la moitié des terrains repris dans ce territoire, sont en droit de demander à être chargés, dans les délais et conditions fixés par le pouvoir expropriant et pour autant qu’ils justifient des ressources nécessaires, de l’exécution des travaux que postule cet aménagement, ainsi que des opérations de relotissement et de remembrement.

Cette demande doit, à peine de forclusion, être introduite dans les trois mois de la publication au Moniteur belge de l’arrêté du Gouvernement approuvant le plan d’expropriation.

Lorsque l’expropriation a pour but d’organiser l’aménagement d’une partie du territoire affecté à une destination particulière en vertu de l’article 49, alinéa 1er, 2°, le ou les propriétaires peuvent, dans les conditions fixées ci-avant, demander à être chargés de l’exécution des travaux d’aménagement. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

15      Le 27 avril 2009, le ministre wallon du Logement, des Transports et du Développement territorial (Belgique) a arrêté un périmètre de remembrement urbain (ci-après le « PRU ») concernant le centre d’Orp-le-Petit, localité dépendant de la commune d’Orp-Jauche (Belgique). Saisi de trois recours dirigés contre cet arrêté, le Conseil d’État (Belgique) a annulé celui-ci par un arrêt du 3 juin 2010.

16      À la suite de cette annulation, un nouveau projet pour la zone envisagée de 40 000 m2 de PRU a été soumis par Bodymat. Cette société proposait que les anciens bâtiments industriels situés au centre d’Orp-le-Petit soient « reconditionnés » autour d’un commerce de bricolage, d’un commerce alimentaire et d’autres petits commerces complémentaires, et que cet ensemble commercial soit complété par des « logements attachés » ainsi que par une nouvelle voirie reliée au réseau existant et à un espace de parking.

17      Il ressort de l’arrêté attaqué que le projet de PRU était accompagné d’une évaluation des incidences sur l’environnement réalisée sur la base du format d’une étude d’incidences par un bureau d’études et de conseils en environnement.

18      Par délibération du 22 décembre 2010, le conseil communal d’Orp-Jauche a adopté le PRU pour le centre d’Orp-le-Petit et a transmis l’ensemble du dossier y afférent au fonctionnaire délégué (Belgique) afin que soit poursuivie la procédure d’élaboration conformément à l’article 127, paragraphe 1, premier alinéa, point 8, du CWATUPE.

19      Par avis du 6 juin 2011, le fonctionnaire délégué a proposé l’approbation du PRU.

20      Le 3 mai 2012, le gouvernement wallon (Belgique) a, par l’arrêté attaqué, approuvé le PRU en cause.

21      Les requérants au principal, qui sont des particuliers habitant à proximité de la zone concernée par ce PRU, ont saisi le Conseil d’État d’un recours tendant à l’annulation de l’arrêté attaqué. Ils considèrent que l’étude des incidences sur l’environnement réalisée en l’espèce ne répond pas aux conditions requises par la directive ESIE en ce qu’elle est incomplète, erronée et irrégulière. Ils estiment qu’un PRU relève de la notion de « plans et programmes », au sens de cette directive, et que ladite directive a fait l’objet d’une transposition incorrecte dans le droit belge.

22      En réponse, Bodymat, partie intervenante au principal, fait valoir qu’un PRU a pour seul objet de déterminer un périmètre et qu’il ne compte pas parmi les instruments devant faire l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement prévue par la directive ESIE.

23      La juridiction de renvoi considère que l’examen du bien-fondé du recours au principal rend nécessaire la détermination préalable de la nature et de la portée d’un PRU.

24      Cette juridiction souligne que la seule fonction d’un PRU est de déterminer un périmètre, c’est-à-dire le contour d’une zone géographique susceptible de voir réaliser un « projet d’urbanisme de requalification et de développement de fonctions urbaines qui nécessite la création, la modification, l’élargissement, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics ».

25      Ladite juridiction signale encore qu’un PRU est distinct d’un projet d’urbanisme, même si ce dernier constitue une condition d’adoption d’un PRU. De la sorte, un projet d’urbanisme pourrait, ultérieurement à l’adoption d’un PRU, être modifié ou adapté, mais continuerait de nécessiter une évaluation des incidences sur l’environnement conformément à la réglementation en la matière.

26      À la suite de ces indications, la juridiction de renvoi expose les conséquences juridiques qu’emporte l’adoption d’un PRU. En premier lieu, l’autorité habilitée à délivrer les permis d’urbanisme est modifiée. En deuxième lieu, l’article 127, paragraphe 3, du CWATUPE prévoit que ces permis délivrés pour la zone géographique ainsi délimitée peuvent s’écarter du plan de secteur, du plan communal d’aménagement, d’un règlement communal d’urbanisme ou d’un plan d’alignement. En troisième lieu, le gouvernement peut décréter d’utilité publique l’expropriation des biens immobiliers compris dans un PRU, selon les modalités fixées par le CWATUPE.

27      Cette juridiction indique que les nuisances que les requérants au principal craignent de voir se produire ne pourraient se concrétiser qu’avec la réalisation du projet d’urbanisme. Or, l’arrêté attaqué n’autoriserait pas directement ce projet, ce dernier devant faire l’objet d’autorisations distinctes, à l’occasion desquelles une évaluation des incidences devrait être réalisée. Ladite juridiction relève toutefois que l’arrêté attaqué serait un préalable indispensable à la mise en œuvre dudit projet. En effet, grâce à l’adoption du PRU, les autorisations relatives au projet d’urbanisme qui le sous-tend pourraient être délivrées en application d’une procédure spécifiquement déterminée par le CWATUPE.

28      Ainsi, selon ladite juridiction, l’adoption d’un PRU a pour effet de modifier l’ordonnancement juridique, dès lors que celui-ci permet l’aménagement d’un quartier en application d’une procédure particulière, susceptible de causer des griefs à des personnes telles que les requérants au principal.

29      La juridiction de renvoi s’interroge simultanément, bien que pour des motifs différents, sur la conformité de l’article 127, paragraphe 1, point 8, du CWATUPE, tant à la Constitution belge qu’au droit de l’Union.

30      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et, par une même décision, de poser à la Cour constitutionnelle (Belgique) et à la Cour, respectivement, la question de savoir si la législation en cause au principal méconnaît la Constitution belge et celle de savoir si le PRU constitue un plan ou un programme, au sens de la directive ESIE, tout en précisant que la question posée à la Cour ne sera effectivement soumise à cette dernière qu’après l’éventuelle confirmation, par la Cour constitutionnelle, de l’absence de violation de la Constitution belge.

31      Par arrêt du 16 juin 2016, la Cour constitutionnelle a dit pour droit que l’article 127, paragraphe 1, premier alinéa, point 8, l’article 127, paragraphe 3, l’article 181, premier alinéa, point 5, et l’article 181, quatrième alinéa, du CWATUPE ne violent pas la Constitution belge, sous la réserve que les « dispositions dérogatoires autorisées par l’article 127, §3, [soient interprétées] de manière restrictive et [que] leur application [soit] dûment motivée, et ce, quand bien même le législateur décrétal n’a pas inscrit dans la disposition en cause, s’agissant des permis accordés en application d’un PRU, que c’est à titre exceptionnel que ces dérogations peuvent être consenties ».

32      À la suite du prononcé de cet arrêt, le Conseil d’État a fait parvenir à la Cour la question préjudicielle qui lui était destinée.

33      La question préjudicielle adressée à la Cour est rédigée en ces termes :

« L’article 2, [sous] a), de la directive [ESIE] s’interprète-t-il comme intégrant dans la notion de “plan ou de programme” un périmètre prévu par une disposition de nature législative et adopté par une autorité régionale :

–        qui a pour seul objet de déterminer le contour d’une zone géographique susceptible de voir se réaliser un projet d’urbanisme, étant entendu que ce projet, qui doit poursuivre un objectif déterminé – en l’occurrence, porter sur la requalification et le développement de fonctions urbaines et qui nécessite la création, la modification, l’élargissement, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics –, fonde l’adoption du périmètre, qui emporte donc l’acceptation de son principe, mais qu’il doit encore faire l’objet de permis qui nécessitent une évaluation des incidences ; et

–        qui a pour effet, du point de vue procédural, de faire bénéficier les demandes de permis pour des actes ou des travaux situés dans ce périmètre d’une procédure dérogatoire, étant entendu que les prescriptions urbanistiques applicables pour les sols concernés avant l’adoption du périmètre demeurent d’application, mais que le bénéfice de cette procédure peut permettre d’obtenir plus aisément une dérogation à ces prescriptions ;

–        et qui bénéficie d’une présomption d’utilité publique pour la réalisation d’expropriations dans le cadre du plan d’expropriation y annexé ? »

 Sur la question préjudicielle

34      Il convient d’emblée de relever que, si la question préjudicielle se réfère uniquement à l’article 2, sous a), de la directive ESIE, ainsi que le font valoir plusieurs participants à la procédure devant la Cour, la demande de décision préjudicielle vise autant à déterminer si un PRU, tel que celui en cause au principal, relève de la notion de « plans et programmes », au sens de cette disposition, qu’à savoir si un tel acte est au nombre de ceux devant être soumis à une évaluation des incidences environnementales, au sens de l’article 3 de cette directive.

35      Or, la circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé sa demande préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 22 juin 2017, E.ON Biofor Sverige, C‑549/15, EU:C:2017:490, point 72 et jurisprudence citée).

36      À ce propos, l’article 3, paragraphe 2, de la directive ESIE énonce la règle selon laquelle une évaluation environnementale doit être effectuée pour tous les plans et programmes, visés par cette disposition, tandis que l’exception figurant à l’article 3, paragraphe 3, de cette directive subordonne une telle évaluation à la condition que les États membres aient déterminé, pour les plans y visés, s’ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2013, L, C‑463/11, EU:C:2013:247, point 32).

37      Il convient donc de comprendre la question préjudicielle comme demandant, en substance, si l’article 2, sous a), ainsi que l’article 3 de la directive ESIE doivent être interprétés en ce sens qu’un PRU, tel que celui en cause au principal, qui a pour seul objet de déterminer une zone géographique, à l’intérieur de laquelle pourra être réalisé un projet d’urbanisme visant à la requalification et au développement de fonctions urbaines et nécessitant la création, la modification, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics en vue de la réalisation duquel il sera permis de déroger à certaines prescriptions urbanistiques, relève de la notion de « plans et programmes », susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, au sens de cette directive, et doit être soumis à une évaluation des incidences environnementales.

38      À titre liminaire, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort du considérant 4 de la directive ESIE, l’évaluation environnementale est un outil important d’intégration des considérations en matière d’environnement dans l’élaboration et l’adoption de certains plans et programmes.

39      Ensuite, aux termes de son article 1er, cette directive a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement et de contribuer à l’intégration de considérations environnementales dans l’élaboration et l’adoption de plans et de programmes en vue de promouvoir un développement durable en prévoyant que, conformément à ladite directive, certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une évaluation environnementale (arrêt du 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, C‑444/15, EU:C:2016:978, point 47).

40      Enfin, compte tenu de la finalité de la même directive consistant à garantir un tel niveau élevé de protection de l’environnement, les dispositions qui délimitent son champ d’application, et notamment celles énonçant les définitions des actes envisagés par celle-ci, doivent être interprétées d’une manière large (arrêt du 27 octobre 2016, D’Oultremont e.a., C‑290/15, EU:C:2016:816, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

41      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la question préjudicielle.

42      En premier lieu, l’article 2, sous a), de la directive ESIE définit les « plans et programmes » qu’il vise comme étant ceux qui satisfont à deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, avoir été élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d’une procédure législative et, d’autre part, être exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives.

43      La Cour a interprété cette disposition en ce sens que doivent être regardés comme étant « exigés » au sens et pour l’application de la directive ESIE et, dès lors, soumis à l’évaluation de leurs incidences sur l’environnement dans les conditions qu’elle fixe les plans et les programmes dont l’adoption est encadrée par des dispositions législatives ou réglementaires nationales, lesquelles déterminent les autorités compétentes pour les adopter ainsi que leur procédure d’élaboration (arrêt du 22 mars 2012, Inter-Environnement Bruxelles e.a., C‑567/10, EU:C:2012:159, point 31).

44      En l’occurrence, il résulte des constatations de la juridiction de renvoi que l’arrêté attaqué a été adopté par une autorité régionale sur le fondement de l’article 127 du CWATUPE.

45      Il s’ensuit que les conditions rappelées au point 42 du présent arrêt sont remplies.

46      En deuxième lieu, il convient de relever que, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE, sont soumis à une évaluation environnementale systématique les plans et les programmes qui, d’une part, sont élaborés pour certains secteurs et qui, d’autre part, définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive EIE pourra être autorisée à l’avenir (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Terre wallonne et Inter-Environnement Wallonie, C‑105/09 et C‑110/09, EU:C:2010:355, point 43).

47      S’agissant de la première de ces conditions, il résulte du libellé de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE que cette disposition vise notamment le secteur « de l’aménagement du territoire urbain et rural ou de l’affectation des sols ».

48      La circonstance que cette disposition se réfère tant à l’« aménagement du territoire » qu’à l’« affectation des sols » indique clairement que le secteur visé ne se limite pas à l’affectation du sol, entendue au sens strict, à savoir le découpage du territoire en zones et la définition des activités permises à l’intérieur de ces zones, mais que ce secteur couvre nécessairement un domaine plus large.

49      Un PRU, tel que celui en cause au principal, en raison à la fois de son libellé et de son objet, lequel est de permettre de dévier des prescriptions urbanistiques concernant des constructions et l’aménagement du territoire, relève du secteur « de l’aménagement du territoire urbain et rural ou de l’affectation des sols », au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de ladite directive.

50      En ce qui concerne la seconde des conditions mentionnées au point 46 du présent arrêt, afin d’établir si un PRU, tel que celui en cause au principal, définit le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets énumérés aux annexes I et II de la directive EIE pourra être autorisée à l’avenir, il y a lieu d’examiner le contenu et la finalité de cet acte, compte tenu de la portée de l’évaluation environnementale des projets, telle qu’elle est prévue par ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Terre wallonne et Inter-Environnement Wallonie, C‑105/09 et C‑110/09, EU:C:2010:355, point 45).

51      Parmi les projets énumérés à l’annexe II de la directive EIE figurent, sous le titre 10 de celle-ci, les projets d’infrastructure, lesquels comprennent, au point b) de ce titre, les travaux d’aménagement urbain.

52      Il résulte du libellé de l’article 127 du CWATUPE qu’un PRU, tel que celui en cause au principal, a pour objet de déterminer le contour d’une zone géographique susceptible de voir se réaliser un « projet d’urbanisme de requalification et de développement de fonctions urbaines qui nécessite la création, la modification, l’élargissement, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics ».

53      Ainsi, eu égard à son contenu et à sa finalité, un tel acte, en ce qu’il suppose la réalisation de projets d’infrastructure, en général, et des travaux d’aménagement urbain, en particulier, contribue à la mise en œuvre de projets énumérés à ladite annexe.

54      S’agissant du point de savoir si un acte, tel que l’acte attaqué, définit le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets pourra être autorisée à l’avenir, il convient de rappeler que la Cour a déjà dit pour droit que la notion de « plans et programmes » se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures de contrôle applicables au secteur concerné, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre d’un ou de plusieurs projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (arrêt du 27 octobre 2016, D’Oultremont e.a., C‑290/15, EU:C:2016:816, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

55      À cet égard, la notion d’« ensemble significatif de critères et de modalités » doit être entendue de manière qualitative et non pas quantitative. En effet, il y a lieu d’éviter de possibles stratégies de contournement des obligations énoncées par la directive ESIE pouvant se matérialiser par une fragmentation des mesures, réduisant ainsi l’effet utile de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2016, D’Oultremont e.a., C‑290/15, EU:C:2016:816, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

56      En l’occurrence, il ressort des constatations de la juridiction de renvoi que, si un PRU, tel que celui en cause au principal, ne contient pas lui-même des prescriptions positives, il permet toutefois de déroger à des prescriptions urbanistiques existantes. Cette juridiction précise, en effet, que la délimitation du PRU par l’arrêté attaqué emporte acceptation de principe du projet d’urbanisme à venir, lequel pourra être réalisé moyennant un octroi plus aisé de dérogations aux prescriptions urbanistiques en vigueur. Elle relève dans ce contexte que, en vertu de l’article 127, paragraphe 3, du CWATUPE et aux conditions y fixées, les permis d’urbanisme délivrés pour la zone géographique délimitée par le PRU peuvent s’écarter du plan de secteur, d’un plan d’aménagement communal et d’un règlement communal d’urbanisme.

57      À cet égard, dans la mesure où le plan de secteur, le plan d’aménagement communal et le règlement communal d’urbanisme constituent eux-mêmes des plans et des programmes, au sens de la directive ESIE, un PRU, tel que celui en cause au principal, en ce qu’il modifie le cadre établi par ces plans, doit recevoir la même qualification et être soumis au même régime juridique.

58      Il s’ensuit que, bien qu’un tel acte ne contienne pas et ne puisse contenir de prescriptions positives, la faculté qu’il institue de permettre d’obtenir plus aisément des dérogations aux prescriptions urbanistiques en vigueur modifie l’ordonnancement juridique et a pour effet de faire relever le PRU en cause au principal du champ d’application de l’article 2, sous a), et de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE.

59      Au regard de ces éléments, dont il revient néanmoins à la juridiction de renvoi d’apprécier la réalité et la portée eu égard à l’acte concerné, il convient de considérer qu’un acte, tel que celui en cause au principal, relève de la notion de « plans et programmes », au sens de l’article 2, sous a), de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 3, paragraphe 2, de la directive ESIE, et doit être soumis à une évaluation des incidences environnementales.

60      En troisième et dernier lieu, la juridiction de renvoi précise que, si la délimitation du PRU emporte acceptation de principe du projet d’urbanisme, celui-ci devra encore faire l’objet de permis qui nécessiteront une évaluation des incidences, au sens de la directive EIE.

61      Il importe de rappeler que l’objectif essentiel de la directive ESIE consiste à soumettre les « plans et les programmes » susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement à une évaluation environnementale lors de leur élaboration et avant leur adoption (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne, C‑41/11, EU:C:2012:103, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

62      À ce titre, comme l’a relevé Mme l’avocat général au point 39 de ses conclusions, il ressort de l’article 6, paragraphe 2, de cette directive que l’évaluation environnementale est censée être réalisée aussi tôt que possible afin que ses conclusions puissent encore influer sur d’éventuelles décisions. C’est en effet à ce stade que les différentes branches de l’alternative peuvent être analysées et que les choix stratégiques peuvent être effectués.

63      En outre, si l’article 5, paragraphe 3, de la directive ESIE prévoit la possibilité d’utiliser les renseignements utiles obtenus à d’autres niveaux de décision ou en vertu d’autres instruments législatifs de l’Union, l’article 11, paragraphe 1, de cette directive précise qu’une évaluation environnementale effectuée au titre de celle-ci est sans préjudice des exigences de la directive EIE.

64      De surcroît, une évaluation des incidences sur l’environnement effectuée au titre de la directive EIE ne saurait dispenser de l’obligation d’effectuer l’évaluation environnementale qu’exige la directive ESIE afin de répondre aux aspects environnementaux spécifiques à celle-ci.

65      Dans la mesure où un arrêté, tel que celui en cause au principal, emporte, comme décrit au point 58 du présent arrêt, une modification du cadre juridique de référence offrant, sans limitation, la possibilité de s’écarter de règles urbanistiques pour tous les projets réalisés ultérieurement dans la zone géographique concernée, une telle possibilité est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Ainsi, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, l’altération des incidences préalablement évaluées rend nécessaire une nouvelle évaluation des incidences environnementales.

66      Une telle considération préserve l’effet utile de la directive ESIE en garantissant que de possibles incidences notables sur l’environnement fassent l’objet d’une évaluation environnementale.

67      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE doivent être interprétés en ce sens qu’un arrêté adoptant un PRU, qui a pour seul objet de déterminer une zone géographique à l’intérieur de laquelle pourra être réalisé un projet d’urbanisme visant à la requalification et au développement de fonctions urbaines et nécessitant la création, la modification, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics, en vue de la réalisation duquel il sera permis de déroger à certaines prescriptions urbanistiques, relève, en raison de cette faculté de dérogation, de la notion de « plans et programmes », susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, au sens de cette directive, nécessitant une évaluation environnementale.

 Sur les dépens

68      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, doivent être interprétés en ce sens qu’un arrêté adoptant un périmètre de remembrement urbain, qui a pour seul objet de déterminer une zone géographique à l’intérieur de laquelle pourra être réalisé un projet d’urbanisme visant à la requalification et au développement de fonctions urbaines et nécessitant la création, la modification, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics, en vue de la réalisation duquel il sera permis de déroger à certaines prescriptions urbanistiques, relève, en raison de cette faculté de dérogation, de la notion de « plans et programmes », susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, au sens de cette directive, nécessitant une évaluation environnementale.

Ilešič

Rosas

Toader

Prechal

 

Jarašiūnas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juin 2018.

Le greffier

Le président de la IIème chambre

A. Calot Escobar

 

M. Ilešič


*      Langue de procédure : le français.