Language of document : ECLI:EU:C:2007:232

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

19 avril 2007(*)

«Sixième directive TVA – Exonérations – Article 13, B, sous d), point 2 – Notion de ‘prise en charge d’engagements’ – Prise en charge d’une obligation de rénovation d’un bien immobilier – Refus d’exonération»

Dans l’affaire C‑455/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Finanzgericht Hamburg (Allemagne), par décision du 1er décembre 2005, parvenue à la Cour le 23 décembre 2005, dans la procédure

Velvet & Steel Immobilien und Handels GmbH

contre

Finanzamt Hamburg-Eimsbüttel,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues, U. Lõhmus (rapporteur), A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et U. Forsthoff, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis et Mme Z. Chatzipavlou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et J.-C. Gracia, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de MM. G. Clohessy, SC, et C. Ramsay, BL,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement chypriote, par Mme D. Ergatoudi, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme T. Harris et M. T. Ward, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Triantafyllou, en qualité d’agent,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Velvet & Steel Immobilien und Handels GmbH (ci-après «Velvet & Steel») au Finanzamt Hamburg-Eimsbüttel (administration fiscale, ci-après le «Finanzamt») au sujet de l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») de la prise en charge de l’obligation de rénovation d’un immeuble par Velvet & Steel.

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

3        Aux termes de l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[…]

d)       les opérations suivantes:

[…]

2.       la négociation et la prise en charge d’engagements, de cautionnements et d’autres sûretés et garanties ainsi que la gestion de garanties de crédits effectuée par celui qui a octroyé les crédits».

 Le droit national

4        Selon l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz, ci-après l’«UStG»), dans sa version applicable au moment des faits au principal, sont soumises à la taxe sur le chiffre d’affaires les livraisons et autres prestations qu’un entrepreneur accomplit dans le pays à titre onéreux dans le cadre de son entreprise.

5        L’article 4, point 8, sous g), de l’UStG exonère de la taxe sur le chiffre d’affaires les opérations suivantes relevant de l’article 1er, paragraphe 1, points 1 à 3:

«la prise en charge d’engagements, de cautionnements et d’autres sûretés, ainsi que la négociation de ce type d’opérations.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

6        Burmeister Immobilien GmbH (ci-après «Burmeister») a vendu, en septembre 1998, un terrain sur lequel était bâti un immeuble collectif d’habitation donné en location. Deux particuliers ont réalisé une vente similaire en juillet 1999. Dans les deux contrats de vente relatifs à ces opérations, les vendeurs avaient pris l’engagement d’effectuer les travaux de rénovation requis sur les immeubles concernés. Les deux particuliers assumaient également une garantie locative.

7        À la suite desdites opérations de vente, les vendeurs ont conclu avec Velvet & Steel, respectivement les 25 septembre 1998 et 12 juillet 1999, des contrats intitulés «cession d’une partie du prix de vente moyennant reprise d’obligation».

8        Par ces contrats, Velvet & Steel a pris à sa charge les engagements de rénovation des immeubles souscrits par les vendeurs, ainsi que la garantie locative, en contrepartie d’une part du prix de vente de ces immeubles, à savoir 200 000 DEM dans le cadre du contrat conclu avec Burmeister et 250 000 DEM dans le cadre du contrat conclu avec les particuliers. Selon lesdits contrats, Velvet & Steel s’est engagée à libérer les vendeurs de tous frais et droits revenant aux acquéreurs des immeubles au titre des travaux de rénovation et de la garantie locative.

9        Ultérieurement, les deux acquéreurs des immeubles ont accepté de dispenser Velvet & Steel de ses obligations en contrepartie du versement à leur profit d’une partie de la fraction du prix de vente cédée à cette dernière. Le bénéfice résultant de cette opération, à savoir 11 000 et 13 750 DEM au titre des contrats conclus respectivement avec Burmeister et avec les particuliers concernés, devait rester acquis à Velvet & Steel à titre de «rémunération ou d’indemnisation/compensation forfaitaire du bénéfice éventuellement non réalisé». Ce bénéfice a été déclaré aux fins de la TVA par Velvet & Steel.

10      À la suite d’un contrôle, le Finanzamt a considéré que la reprise de l’obligation de rénovation par Velvet & Steel constitue une prestation nécessairement assujettie à la TVA, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, première phrase, de l’UStG. Cette dernière a introduit une réclamation contre l’avis d’imposition établi par le Finanzamt, laquelle a été rejetée par celui-ci le 10 juin 2003.

11      Le 14 juillet 2003, Velvet & Steel a contesté cette décision devant le Finanzgericht Hamburg. Se fondant sur l’argumentation selon laquelle aucun des deux engagements qu’elle avait pris en charge n’avait été exécuté, elle a soutenu devant cette juridiction que les opérations en cause doivent être qualifiées de «prise en charge d’engagements» au sens de l’article 4, point 8, sous g), de l’UStG, qui constitue la transposition en droit national de l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive. Le Finanzamt a, au contraire, fait valoir que la disposition de droit communautaire invoquée vise uniquement la prise en charge d’engagements financiers, alors que la prise en charge de l’engagement de rénover un immeuble entre dans la catégorie des obligations de faire.

12      La juridiction de renvoi se demande si la reprise de l’obligation de rénovation de biens immobiliers constitue une opération exonérée de taxe sur le chiffre d’affaires au titre de l’article 4, point 8, sous g), de l’UStG. Elle considère que les termes dudit article excluent toute limitation de l’exonération aux obligations financières. Elle doute néanmoins de la conformité de cette interprétation avec l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive, car, contrairement aux versions en langues allemande et française, la version en langue anglaise de cette disposition de la sixième directive vise non pas la prise en charge d’engagements en général, mais uniquement des formes spéciales de garanties ou de sûretés. C’est dans ces conditions que le Finanzgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Faut-il interpréter l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive [...] à l’endroit de la notion de ‘prise en charge d’engagements’ en ce sens qu’il ne convient d’y ranger que les engagements financiers ou cette disposition couvre-t-elle aussi la prise en charge d’autres engagements, par exemple d’obligations de faire?»

 Sur la question préjudicielle

13      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la notion de «prise en charge d’engagements» exclut du champ d’application de cette disposition des engagements autres que financiers, tels que l’engagement de rénovation d’un bien immeuble.

14      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les termes employés pour désigner les exonérations visées à l’article 13 de la sixième directive sont d’interprétation stricte, étant donné que ces exonérations constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (voir, notamment, arrêts du 3 mars 2005, Arthur Andersen, C‑472/03, Rec. p. I‑1719, point 24; du 9 février 2006, Stichting Kinderopvang Enschede, C‑415/04, Rec. p. I‑1385, point 13, et du 13 juillet 2006, United Utilities, C‑89/05, Rec. p. I-6813, point 21).

15      Il est également de jurisprudence constante que lesdites exonérations constituent des notions autonomes du droit communautaire ayant pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre (arrêts du 20 novembre 2003, Taksatorringen, C‑8/01, Rec. p. I‑13711, point 37, et du 1er décembre 2005, Ygeia, C‑394/04 et C‑395/04, Rec. p. I‑10373, point 15).

16      Ainsi, les dispositions communautaires doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme à la lumière des versions établies dans toutes les langues de la Communauté (voir arrêts du 7 décembre 1995, Rockfon, C‑449/93, Rec. p. I‑4291, point 28, et du 8 décembre 2005, Jyske Finans, C‑280/04, Rec. p. I‑10683, point 31).

17      À cet égard, force est de constater que la sixième directive ne comporte aucune définition de la notion de «prise en charge d’engagements» contenue à son article 13, B, sous d), point 2.

18      L’examen comparé des différentes versions linguistiques de cette disposition de la sixième directive fait apparaître des divergences terminologiques en ce qui concerne la notion de «prise en charge d’engagements». En effet, dans certaines versions linguistiques, telles que les versions en langues allemande, française et italienne, cette expression a un sens général, tandis que d’autres versions, telles que les langues anglaise et espagnole, font clairement référence aux engagements financiers.

19      Selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans une des versions linguistiques d’une disposition communautaire ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Une telle approche serait en effet incompatible avec l’exigence d’uniformité d’application du droit communautaire (voir arrêt du 12 novembre 1998, Institute of the Motor Industry, C‑149/97, Rec. p. I‑7053, point 16).

20      Or, en présence de divergences linguistiques, on ne saurait apprécier la portée de l’expression concernée sur la base d’une interprétation exclusivement textuelle. Il y a lieu, dès lors, d’interpréter cette expression à la lumière du contexte dans lequel elle s’inscrit, des finalités et de l’économie de la sixième directive (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 1997, SDC, C‑2/95, Rec. p. I‑3017, point 22; du 3 mars 2005, Fonden Marselisborg Lystbådehavn, C‑428/02, Rec. p. I‑1527, point 42, et Jyske Finans, précité, point 31).

21      S’agissant du contexte dans lequel ladite expression s’inscrit, il convient de relever que l’exonération prévue à l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive concerne, outre la prise en charge d’engagements, la négociation et la prise en charge de cautionnements et d’autres sûretés et garanties ainsi que la gestion de garanties de crédits. Il est constant que toutes ces opérations constituent, par leur nature, des services financiers.

22      La même conclusion vaut pour les autres opérations indiquées aux points 1 et 3 à 6 de l’article 13, B, sous d), de la sixième directive. Ainsi, le point 1 porte sur les crédits; le point 3, sur les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce; le point 4, sur les moyens de paiement, le point 5, sur les actions et autres titres, et le point 6, sur la gestion de fonds communs de placement. Bien que ces opérations, définies en fonction de la nature des prestations de services fournies, ne doivent pas nécessairement être effectuées par les banques ou les établissements financiers (voir, en ce cens, arrêts SDC, précité, point 32; du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring, C‑305/01, Rec. p. I‑6729, point 64, et du 4 mai 2006, Abbey National, C‑169/04, Rec. p. I‑4027, point 66), elles relèvent, néanmoins, dans leur ensemble, du domaine des opérations financières.

23      En l’espèce, la prise en charge de l’engagement de rénovation d’un immeuble ne constitue pas, par sa nature, une opération financière au sens de l’article 13, B, sous d), de la sixième directive et, dès lors, elle n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition.

24      Cette interprétation est d’ailleurs corroborée par la finalité de l’exonération des opérations financières, ainsi que l’explique la Commission des Communautés européennes dans ses observations écrites, à savoir pallier les difficultés liées à la détermination de la base d’imposition ainsi que du montant de la TVA déductible et éviter une augmentation de coût du crédit à la consommation. Étant donné que l’assujettissement à la TVA de la prise en charge d’une obligation de rénovation d’un bien immobilier ne présente pas de telles difficultés, cette opération n’a pas vocation à être exonérée.

25      Par conséquent, ni le libellé, ni le contexte, ni la finalité de l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive ne permettent d’établir que l’intention du législateur communautaire était d’exonérer de la TVA la prise en charge d’engagements ayant un caractère non financier. Il s’ensuit que la prise en charge de tels engagements est soumise à la TVA.

26      Dès lors, il convient de répondre à la question posée que l’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la notion de «prise en charge d’engagements» exclut du champ d’application de cette disposition des engagements autres que financiers, tels que l’engagement de rénovation d’un bien immeuble.

 Sur les dépens

27      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 13, B, sous d), point 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que la notion de «prise en charge d’engagements» exclut du champ d’application de cette disposition des engagements autres que financiers, tels que l’engagement de rénovation d’un bien immeuble.

Signatures


* Langue de procédure: l'allemand.