Language of document : ECLI:EU:C:2019:331

ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

30 avril 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Aides d’État – Service sanitaire national –Exonération de l’impôt sur les immeubles – Immeuble donné en location à une société commerciale constituée de capitaux mixtes exerçant une activité sanitaire dans des conditions de concurrence avec d’autres établissements de soins constitués exclusivement de capitaux privés »

Dans l’affaire C‑26/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Commissione tributaria provinciale di Modena (commission fiscale provinciale de Modène, Italie), par décision du 25 octobre 2018, parvenue à la Cour le 15 janvier 2019, dans la procédure

Azienda Unità Sanitaria Locale di Modena

contre

Comune di Sassuolo,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Levits et P. G. Xuereb (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 107 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Azienda Unità Sanitaria Locale di Modena (agence sanitaire locale de Modène, Italie) (ci-après l’« AUSL ») au Comune di Sassuolo (commune de Sassuolo, Italie) au sujet de l’assujettissement de l’AUSL à la taxe municipale unique (ci-après l’« IMU ») portant sur un bien immobilier dont l’AUSL est propriétaire.

 Le cadre juridique

3        Le decreto legislativo n. 23 – Disposizioni in materia di federalismo fiscale municipale (décret législatif no 23, portant dispositions sur le fédéralisme fiscal municipal), du 14 mars 2011 (GURI no 67, du 23 mars 2011, dispose, à son article 8, paragraphe 2, que sont redevables de l’IMU les propriétaires d’immeubles autres que ceux correspondant à leur résidence principale.

4        L’article 9, paragraphe 8, de ce décret prévoit que sont exonérés de cet impôt les biens immobiliers dont sont propriétaires les « organismes du service national de santé, exclusivement affectés aux missions qui leur ont été confiées ».

5        La legge n. 212 – Disposizioni in materia di statuto dei diritti del contribuente (loi no 212, portant dispositions sur le statut des droits du contribuable), du 27 juillet 2000 (GURI no 177, du 31 juillet 2000, dispose, à son article 11, paragraphe 1, que le contribuable peut solliciter l’administration fiscale aux fins d’obtenir une réponse, notamment lorsqu’il y a une incertitude objective concernant l’application, dans un cas concret, d’une disposition fiscale (rescrit fiscal). Selon l’article 11, paragraphe 3, de cette loi, dans le cas où l’administration fiscale ne répond pas à cette sollicitation dans le délai imparti, cette administration est liée par la solution exposée par le contribuable concerné dans sa demande de rescrit fiscal.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

6        L’AUSL est propriétaire d’un bien immobilier dénommé « Nuovo Ospedale » (Nouvel Hôpital), situé dans la commune de Sassuolo, qui a été mis à la disposition d’Ospedale di Sassuolo SpA, société dont le capital est constitué de capitaux publics détenus par l’AUSL, à hauteur de 51 %, et de capitaux privés, à hauteur de 49 %, en contrepartie d’un loyer d’un montant annuel de 2 181 600 euros.

7        Ospedale di Sassuolo fournit, dans les locaux de ce bien immobilier, des services dans le domaine de la santé, à titre libéral ou en qualité de prestataire conventionné auprès de l’AUSL.

8        La commune de Sassuolo a notifié à l’AUSL, en sa qualité de propriétaire dudit bien immobilier, deux avis d’imposition, portant sur les années 2012 et 2013, relatifs au recouvrement de l’IMU dont l’AUSL ne s’était pas acquittée.

9        Par plusieurs recours introduits devant la juridiction de renvoi, l’AUSL a contesté ces avis d’imposition au motif qu’elle n’avait pas à s’acquitter de l’IMU, tant au regard de l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23 qu’en raison de l’absence de réponse de la commune de Sassuolo à sa demande de rescrit fiscal qu’elle avait présentée conformément à l’article 11 de la loi no 212, ce qui, selon l’AUSL, aurait dû conduire la commune de Sassuolo à interpréter l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23 en sa faveur.

10      La juridiction de renvoi émet des doutes quant au droit de l’AUSL de bénéficier de l’exonération prévue à l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23. D’une part, elle indique qu’il est discutable de considérer que le bien immobilier en cause au principal est affecté aux missions qui ont été confiées à l’AUSL, alors que celle-ci perçoit un loyer annuel de 2 181 600 euros de la part d’une société commerciale qui fournit, dans les locaux de ce bien immobilier, des services dans le domaine de la santé. D’autre part, les doutes de la juridiction de renvoi seraient également nourris par la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) relative à la taxe municipale sur les biens immobiliers, laquelle aurait, en substance, remplacé l’IMU et aurait, comme elle, un caractère foncier.

11      Toutefois, la juridiction de renvoi relève que, dans la mesure où la commune de Sassuolo n’a pas répondu à la demande de rescrit fiscal introduite par l’AUSL, elle serait tenue de faire droit aux recours au principal, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, de la loi no 212, sans vérifier si l’AUSL remplit les conditions pour bénéficier de l’exonération prévue à l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23.

12      Selon la juridiction de renvoi, la prise en compte des circonstances de l’affaire au principal, conjuguée à l’application des dispositions mentionnées au point précédent, pourrait donner lieu à une violation de l’article 107 TFUE. Elle indique, à cet égard, que, s’il était fait droit aux recours au principal en vertu de l’article 11, paragraphe 3, de la loi no 212, il serait accordé à une société commerciale à participation publique une exonération fiscale à laquelle elle pourrait, théoriquement, ne pas avoir droit, constitutive d’un avantage concurrentiel au détriment des centres de soins gérés par des sociétés commerciales dont le capital est exclusivement constitué de capitaux privés.

13      Dans ces conditions, la Commissione tributaria provinciale di Modena (commission fiscale provinciale de Modène, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23, qui prévoit que les organismes du service national de santé italien sont exonérés de l’IMU pour les biens immobiliers qu’ils possèdent qui sont exclusivement affectés aux missions qui leur ont été confiées, s’il est interprété en ce sens que l’avantage est également accordé à une agence sanitaire locale qui a loué un bien immobilier à une société commerciale à capital mixte – dont 51 % est détenu par cette même agence – laquelle y fournit des services dans le domaine de la santé dans des conditions de concurrence avec d’autres centres de soins à capital exclusivement privé, avec pour conséquence un avantage fiscal qui devrait être qualifié d’aide d’État portant atteinte aux règles du libre marché, est-il compatible avec l’article 107 TFUE qui interdit les aides d’État “sous quelque forme que ce soit” ?

2)      La demande de rescrit fiscal prévue à l’article 11 de la loi no 212, qui empêche d’interpréter l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23 de manière analogue à la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) portant sur la taxe municipale sur les biens immobiliers, en ce sens qu’une agence sanitaire locale ne bénéficie pas de l’exonération d’IMU lorsque le bien immobilier est utilisé par une société anonyme – quand bien même le capital de cette dernière serait en partie détenu par ce même organisme public – qui y offre des services dans le domaine de la santé dans des conditions de concurrence avec d’autres sociétés commerciales à capital exclusivement privé fournissant également des services dans le domaine de la santé, avec pour conséquence un avantage fiscal qui devrait être qualifié d’aide d’État portant atteinte aux règles du libre marché, est-elle compatible avec le traité, à savoir avec l’article 107 TFUE qui interdit les aides d’État “sous quelque forme que ce soit” ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

14      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

15      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

16      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instaurée à l’article 267 TFUE, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En effet, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (ordonnance du 7 juin 2018, easyJet Airline, C‑241/18, non publiée, EU:C:2018:421, point 11 et jurisprudence citée).

17      Ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, selon lequel toute demande de décision préjudicielle contient « un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées », « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente », ainsi que « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ».

18      Lesdites exigences sont également reflétées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2016, C 439, p. 1).

19      En outre, il est important de souligner que les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (ordonnance du 7 juin 2018, easyJet Airline, C‑241/18, non publiée, EU:C:2018:421, point 14 et jurisprudence citée).

20      En l’occurrence, force est de constater que la décision de renvoi ne répond manifestement pas aux exigences rappelées aux points 16 à 19 de la présente ordonnance.

21      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’interprétation de l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23, selon laquelle le bénéfice de l’exonération prévue à cette disposition peut être accordé à une agence sanitaire locale qui loue un bien immobilier à une société commerciale dont le capital majoritaire est détenu par cette agence, est compatible avec l’article 107 TFUE, dès lors que cette société fournit dans les locaux de ce bien des services dans le domaine de la santé dans des conditions de concurrence avec d’autres centres de soins dont le capital est exclusivement constitué de fonds privés.

22      La juridiction de renvoi se limite à faire valoir ses doutes quant au fait que l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23 puisse être ainsi interprété et à relever qu’elle se trouve dans l’obligation de faire droit aux recours au principal sans pouvoir vérifier si, en l’occurrence, les conditions d’application de l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23 sont remplies. Ce faisant, la juridiction de renvoi n’expose pas avec la précision et la clarté requises les raisons pour lesquelles elle considère qu’une réponse de la Cour à la première question lui serait nécessaire ou utile aux fins de la résolution de l’affaire au principal.

23      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le bénéfice, au profit d’une agence sanitaire locale, de l’exonération prévue à l’article 9, paragraphe 8, du décret législatif no 23, au motif de l’absence de réponse de l’administration fiscale à une demande de rescrit fiscal, au sens de l’article 11, paragraphe 3, de la loi no 212, est constitutif d’une aide d’État contraire à l’article 107 TFUE.

24      À cet égard, il y a lieu de relever, en premier lieu, que la juridiction de renvoi ne fournit pas de précisions quant au contenu de la demande de rescrit fiscal adressée par l’AUSL à la commune de Sassuolo sur le fondement de l’article 11 de la loi no 212. La juridiction de renvoi n’explique pas davantage les raisons qui l’ont amenée à considérer que les dispositions de l’article 11, paragraphe 3, de cette loi seraient applicables dans l’affaire au principal.

25      En deuxième lieu, selon la juridiction de renvoi, le bénéfice de l’exonération de l’IMU, en faveur de l’AUSL, pourrait être constitutif, dans les circonstances de l’affaire au principal, d’une aide d’État en faveur d’Ospedale di Sassuolo. Or, les avis d’imposition relatifs au recouvrement de l’IMU, notifiés par la commune de Sassuolo, avaient pour destinataire l’AUSL et non Ospedale di Sassuolo. À cet égard, la juridiction de renvoi n’explique pas les raisons pour lesquelles le non-assujettissement de l’AUSL à l’IMU devrait être considéré comme étant constitutif d’un avantage fiscal bénéficiant à ladite société.

26      En troisième lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la qualification d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, que la mesure en cause doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire, qu’elle doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et qu’elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53).

27      Or, la juridiction de renvoi n’a soumis aucune explication concernant l’affectation potentielle des échanges entre les États membres. En outre, en ce qui concerne l’effet de l’aide présumée sur la concurrence, cette juridiction s’est limitée à faire référence à un avantage concurrentiel, sans expliquer comment le fait que l’AUSL ne s’acquitte pas de l’IMU pût avoir un effet sur la situation concurrentielle d’Ospedale di Sassuolo.

28      Partant, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi n’a pas fourni de description adéquate du cadre factuel ni d’explication suffisante permettant de comprendre les raisons pour lesquelles une réponse à ses questions lui serait nécessaire ou utile afin de trancher le litige au principal.

29      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de constater que, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

30      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par la Commissione tributaria provinciale di Modena (commission fiscale provinciale de Modène, Italie), par décision du 25 octobre 2018, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.