Language of document : ECLI:EU:C:2002:197

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JACOBS

présentées le 21 mars 2002 (1)

Affaire C-50/00 P

Unión de Pequeños Agricultores

contre

Conseil

Introduction

1.
    Dans la présente affaire, une association d'agriculteurs fait appel d'une ordonnance du Tribunal de première instance (2) ayant rejeté comme manifestement irrecevable son recours en annulation du règlement (CE) n° 1638/98 (3) qui a modifié de manière substantielle l'organisation commune du marché de l'huile d'olive, au motif que les membres de l'association n'étaient pas concernés de manière individuelle par les dispositions du règlement au sens de l'article 230, paragraphe 4, CE.

2.
    L'article 230, paragraphe 4, CE prévoit que «Toute personne physique ou morale peut former [...] un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.» Bien que cette disposition mette l'accent sur les recours formés contre des décisions, la Cour de justice a reconnu, à juste titre à notre sens, que les règlements peuvent également faire l'objet de recours par des particuliers lorsqu'ils les concernent individuellement, et que cela pourra être établi en vertu de critères identiques en substance à ceux permettant de déterminer si des particuliers sont individuellement concernés par une décision. Le concept de particulier individuellement concerné a, toutefois, été interprété de manière restrictive dans la jurisprudence. Des requérants ne seront considérés comme individuellement concernés que s'ils sont atteints dans leur position juridique en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle d'un destinataire (4). Il convient de noter que cet aspect de la jurisprudence a été largement critiqué, tant par les membres de la Cour à titre personnel (5) que par des auteurs de doctrine (6) et est souvent considéré comme ayant engendré une lacune importante dans le système des recours juridictionnels établi par le traité CE.

3.
    Le présent pourvoi, que la Cour a décidé d'examiner en session plénière dans l'optique de revoir sa jurisprudence sur la notion de particulier individuellement concerné, soulève une importante question de principe: une personne physique ou juridique (ci-après un «particulier»), directement mais non pas individuellement concernée par les dispositions d'un règlement au sens de l'article 230, paragraphe 4, CE tel qu'interprété dans la jurisprudence, devrait-elle toutefois être admise à agir lorsqu'elle ne pourrait sans cela bénéficier d'une protection juridictionnelle effective en raison des difficultés qu'elle rencontrerait pour contester ce règlement de manière indirecte devant les juridictions nationales ou convient-il de déterminer la qualité à agir au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE indépendamment de la possibilité d'introduire un tel recours indirect?

4.
    Nous nous attacherons à démontrer que la qualité à agir doit en effet être déterminée de manière indépendante et que, de surcroît, la seule solution qui garantit une protection juridictionnelle adéquate consiste à modifier la jurisprudence sur la notion de particulier individuellement concerné.

Le règlement attaqué

5.
    Le contexte juridique de l'affaire est exposé dans l'ordonnance attaquée (7), et un résumé succinct suffira dès lors aux fins des présentes conclusions.

6.
    L'organisation commune du marché dans le secteur des matières grasses prévu par le règlement n° 136/66 (8), a établi, en ce qui concerne le marché de l'huile d'olive, des régimes de prix d'intervention, d'aides à la production, d'aide à la consommation, de stockage ainsi que d'importations et d'exportations.

7.
    Le règlement n° 1638/98 (ci-après le «règlement attaqué») réforme, notamment, l'organisation commune des marchés de l'huile d'olive. À ce titre, le régime antérieur d'intervention a été aboli et remplacé par un régime d'aide aux contrats de stockage privé; l'aide à la consommation a été supprimée, ainsi que l'aide spécifique aux petits producteurs; le mécanisme de stabilisation de l'aide à la production basé sur une quantité maximale garantie pour toute la Communauté a été amendé par l'introduction d'une répartition de cette quantité maximale garantie entre les États membres producteurs sous la forme de quantités nationales garanties; enfin, les oliveraies plantées après le 1er mai 1998 sont exclues, sauf exception, de tout régime d'aide futur. Le règlement attaqué prévoit également que la Commission présentera au cours de l'année 2000 une proposition de règlement visant à mettre en place une réforme complète de l'organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses.

Les faits et l'ordonnance faisant l'objet du pourvoi

8.
    L'Unión de Pequeños Agricultores (ci-après l'«UPA»), la requérante en l'espèce, est une association professionnelle regroupant et assurant la défense des intérêts de petites entreprises agricoles espagnoles. En vertu du droit espagnol, elle dispose de la personnalité juridique.

9.
    Le 20 octobre 1998, l'UPA a introduit une demande devant le Tribunal de première instance, conformément à l'article 173, paragraphe 4, du traité CE (devenu, après modification, article 230, paragraphe 4, CE), visant à l'annulation du règlement attaqué, à l'exception du régime des aides à l'olive de table qui est institué par l'article 5, paragraphe 4, du règlement n° 136/66 tel que modifié par le règlement attaqué. La requérante fait valoir en substance que le règlement attaqué n'a pas satisfait aux obligations de motivation prévues par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), qu'il n'a pas contribué aux finalités poursuivies par la politique agricole commune, exposées à l'article 39 du traité CE (devenu article 33 CE), et qu'il viole le principe de l'égalité de traitement entre les producteurs et les consommateurs visé à l'article 40, paragraphe 3, du traité CE (devenu, après modification, article 34, paragraphe 3, CE), de même que le principe de proportionnalité, le droit d'exercer une profession et le droit à la propriété.

10.
    Par ordonnance motivée du 23 novembre 1999 (ci-après l'«ordonnance attaquée»), le Tribunal a rejeté le recours comme manifestement irrecevable.

11.
    Il a tout d'abord rappelé que «[l'article 230, paragraphe 4, CE] confère aux particuliers le droit d'attaquer toute décision qui, bien que prise sous l'apparence d'un règlement, les concerne directement et individuellement. L'objectif de cette disposition est notamment d'éviter que, par le simple choix de la forme d'un règlement, les institutions communautaires puissent exclure le recours d'un particulier contre une décision qui le concerne directement et individuellement» (9).

12.
    Le Tribunal a ensuite examiné la nature du règlement attaqué. Après avoir examiné les dispositions du règlement et l'argumentation détaillée avancée par l'UPA, il a conclu que ledit règlement était de nature législative dans la mesure où il s'appliquait de manière générale et abstraite à des situations objectivement déterminées (10). Toutefois, après avoir reconnu que «dans certaines circonstances, même un acte normatif s'appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés peut concerner individuellement certains d'entre eux» (11) lorsqu'ils «sont en mesure de démontrer qu'ils sont atteints, par l'acte en cause, en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne» (12), le Tribunal a examiné si l'UPA devait se voir reconnaître une qualité à agir contre le règlement attaqué.

13.
    À cet égard, il a relevé que des recours introduits par des associations peuvent être recevables dans trois types de situations au moins:

-    lorsqu'une disposition légale reconnaît expressément aux associations professionnelles une série de facultés à caractère procédural;

-    lorsque l'association représente les intérêts d'entreprises qui, elles, seraient recevables à agir;

-    lorsque l'association est individualisée parce que ses propres intérêts en tant qu'association sont affectés, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par les mesures dont l'annulation est demandée.

14.
    Toutefois, l'UPA ne saurait «se prévaloir d'aucune de ces trois situations pour justifier la recevabilité de son recours» (13). L'UPA ne disposait d'aucun droit de nature procédurale au titre de l'organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (14); elle n'a pas démontré que ses membres ont été atteints par le règlement attaqué en raison de certaines qualités qui leur étaient particulières ou d'une situation de fait qui les a caractérisés par rapport à toute autre personne (15); et le règlement attaqué n'a pas affecté certains intérêts spécifiques ou protections particulières dont l'UPA bénéficie en tant qu'association distincte de l'intérêt de ses membres (16).

15.
    Enfin, le Tribunal a relevé que l'UPA avait fait valoir «deux autres arguments pour établir qu'elle est, malgré cela, individuellement concernée par les dispositions du règlement attaqué, à savoir, d'une part, le caractère d'ordre public communautaire de l'examen de légalité du règlement attaqué qu'elle revendique dans son recours et, d'autre part, le risque de ne pas bénéficier d'une protection juridictionnelle effective» (17).

16.
    Le Tribunal n'a pas été convaincu par ces arguments. Il a jugé en réponse au premier argument, que «[l]e moyen tiré d'un détournement de pouvoir éventuel porte, en fait, sur le fond du litige. Examiner un tel moyen au niveau de la recevabilité du recours aurait pour conséquence de faire dépendre la recevabilité d'un recours en annulation dirigé contre une mesure de portée générale de la seule nature des griefs invoqués sur le fond pour en contester la légalité, ce qui reviendrait à déroger aux conditions de recevabilité posées par [l'article 230, paragraphe 4, CE], telles qu'elles ont été explicitées dans la jurisprudence» (18).

17.
    En réponse au second argument, le Tribunal a considéré que:

«61    En ce qui concerne l'argument tiré du défaut de protection juridictionnelle effective, il consiste à dénoncer l'absence de voies de recours internes permettant, le cas échéant, un contrôle de validité du règlement attaqué par la voie du renvoi préjudiciel fondé sur [l'article 234 CE].

62    À cet égard, il convient de souligner que le principe d'égalité de tous les justiciables quant aux conditions d'accès au juge communautaire par le biais du recours en annulation requiert que ces conditions ne soient pas fonction des circonstances propres au système juridictionnel de chaque État membre. À ce sujet, il y a d'ailleurs lieu de relever que, par application du principe de coopération loyale énoncé à [l'article 10 CE], les États membres sont tenus de contribuer au caractère complet du système de voies de recours et de procédures mis en place par le traité CE et destiné à confier au juge communautaire le contrôle de la légalité des actes des institutions communautaires (voir, à cet égard, l'arrêt Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23).

63    Ces éléments ne sauraient toutefois justifier que le Tribunal s'écarte du système des voies de recours instauré par [l'article 230, paragraphe 4, CE], tel qu'il a été explicité par la jurisprudence, et dépasse les limites de sa compétence posées par cette disposition.

64    La requérante ne saurait non plus tirer aucun argument de la longueur éventuelle d'une procédure fondée sur [l'article 234 CE]. Cette circonstance ne saurait en effet justifier une modification du système des voies de recours et des procédures établi par [les articles 230, 234 et 235 CE] et destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions. En aucun cas, un tel argument ne permet de déclarer recevable un recours en annulation formé par une personne physique ou morale qui ne satisfait pas aux conditions posées par [l'article 230, paragraphe 4, CE], (ordonnance de la Cour du 24 avril 1996, CNPAAP/Conseil, C-87/95 P, Rec. p. I-2003, point 38).»

18.
    Le Tribunal a conclu en conséquence que «la requérante ne saurait être considérée comme étant individuellement concernée par le règlement attaqué» et a rejeté le recours comme manifestement irrecevable (19).

Le pourvoi

19.
    Dans la présente affaire, l'UPA conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

-    annuler l'ordonnance rendue par le Tribunal;

-    déclarer recevable le recours principal formé le 20 octobre 1998 et renvoyer l'affaire au Tribunal pour qu'il puisse statuer sur le fond.

20.
    La Commission qui est intervenue au soutien du Conseil, a conclu à ce qu'il plaise à la Cour de:

-    déclarer le pourvoi irrecevable;

-    à titre subsidiaire, rejeter le pourvoi comme manifestement non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

21.
    Le Conseil n'a pas présenté de mémoire en défense écrit, mais a informé la Cour par lettre qu'à l'instar de ce que la Commission a soutenu dans son mémoire en intervention, il considérait que «le recours introduit par l'UPA était manifestement irrecevable». À l'audience, se fondant en substance sur des arguments similaires à ceux présentés par la Commission, le Conseil a conclu à ce qu'il plaise à la Cour de rejeter le pourvoi comme manifestement non fondé.

22.
    L'UPA fonde son pourvoi sur quatre moyens. Les trois premiers moyens font valoir que la motivation développée aux points 61 à 64 de l'ordonnance attaquée est insuffisante et contradictoire et qu'elle repose sur une mauvaise interprétation des arguments avancés par l'UPA.

23.
    Dans son quatrième moyen, l'UPA soutient que l'ordonnance attaquée viole son droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, principe de droit communautaire reconnu et inhérent au système des voies de recours prévu par le traité CE, et qu'elle est dès lors entachée d'une erreur de droit. Selon elle, ce principe exige que le Tribunal, lorsqu'il décide d'autoriser ou non un particulier à contester un règlement au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE, examine - à la lumière des circonstances de droit et de fait spécifiques à l'affaire - si l'application des conditions relatives à la qualité à agir prévues à l'article 230, paragraphe 4, CE et interprétées dans la jurisprudence, empêcherait ce particulier de bénéficier d'une protection juridictionnelle effective. Sans un tel examen des circonstances spécifiques à chaque cas d'espèce, le droit à une protection juridictionnelle effective ne serait pas garanti de façon efficace. Ainsi, selon l'UPA, les juridictions communautaires ne peuvent déclarer un recours en annulation irrecevable que si un examen des dispositions pertinentes de droit national révèle qu'il existe des procédures permettant au requérant de faire valoir l'illégalité présumée de la mesure attaquée devant la Cour de justice par l'intermédiaire d'une demande de décision préjudicielle présentée par une juridiction nationale.

24.
    Le Conseil et la Commission contestent ces arguments.

25.
    À titre liminaire, la Commission soutient que le pourvoi est manifestement irrecevable dès lors que l'UPA ne peut se prévaloir d'aucun intérêt à ce que l'ordonnance contestée soit annulée (20). Selon elle, l'UPA reconnaît qu'elle n'est pas individuellement concernée par le règlement attaqué au sens de l'article 230, paragraphe 4, CE. D'après la Commission, les quatre moyens invoqués par l'UPA visent en substance à démontrer que l'ordonnance attaquée a violé le principe de la protection juridictionnelle effective. Toutefois, même si la Cour devait annuler l'ordonnance attaquée en se fondant sur ce motif, l'UPA ne se verrait pas reconnaître une qualité pour agir par le Tribunal - et ses arguments sur le fond ne seraient de ce fait pas examinés - dès lors que la qualité à agir doit être déterminée exclusivement sur la base des critères prévus par l'article 230, paragraphe 4, CE. Dans ce contexte, la Commission soutient que la motivation développée aux paragraphes 61 à 64 de l'ordonnance attaquée doit être considérée comme l'expression d'une simple opinion, le motif réel pour lequel le Tribunal a décidé de rejeter la demande de l'UPA étant que cette dernière n'était pas concernée de manière individuelle.

26.
    Ainsi qu'il apparaîtra plus tard, il n'est selon nous pas nécessaire d'examiner cet argument liminaire sur la recevabilité de manière séparée. L'argument présenté par la Commission a trait au fond du pourvoi et doit être examiné en même temps que les autres arguments.

27.
    Le Conseil et la Commission considèrent que le pourvoi est également non fondé. Ils font valoir, en réponse aux trois premiers moyens invoqués par l'UPA, que la motivation dans l'ordonnance attaquée n'est pas insuffisante ou contradictoire et qu'elle repose sur une interprétation correcte des arguments de la requérante.

28.
    En réponse au quatrième moyen, la Commission fait valoir que bien que le droit à la protection juridictionnelle effective soit un principe reconnu de droit communautaire, ce principe n'entre pas en ligne de compte chaque fois qu'un particulier entend contester un acte de portée générale directement devant le juge communautaire. Le traité a prévu un régime complet de voies de recours qui permet aux particuliers de contester des actes de portée générale au moyen de procédures introduites devant les juridictions nationales (qui peuvent déférer des demandes de décision préjudicielle à la Cour) lorsque ces actes sont mis en oeuvre par des autorités nationales ou par les institutions communautaires. Refuser au particulier la possibilité de contester directement une mesure de portée générale sur le fondement de l'article 230, paragraphe 4, CE ne porte donc pas en soi atteinte au principe de la protection juridictionnelle effective.

29.
    En outre, lorsque des dispositions de droit national empêchent, à titre exceptionnel, un particulier de contester une mesure de portée générale devant les juridictions nationales, ou d'obtenir une décision à titre préjudiciel de la Cour portant sur l'illégalité supposée de cette mesure, la solution n'est pas de modifier le régime des voies de recours prévu par le traité ou d'adopter une interprétation contra legem de l'article 230 CE, mais d'amender lesdites dispositions de droit national afin de s'assurer que le principe de protection juridictionnelle effective soit respecté et que l'État membre en question se conforme à l'obligation de coopération qui lui incombe au titre de l'article 10 CE. La Commission conclut dès lors que la Cour devrait confirmer sa jurisprudence en ce sens que la qualité à agir de particuliers doit être déterminée en fonction de la question de savoir s'ils sont directement et individuellement concernés au sens de l'article 230 CE.

30.
    Enfin, la Commission réfute l'affirmation de l'UPA selon laquelle il n'est pas possible de contester la validité du règlement attaqué devant les juridictions espagnoles. À cet égard, la Commission fait valoir que l'UPA pourrait i) soumettre à l'administration espagnole une demande pour l'un des régimes d'aide abolis par le règlement attaqué dans l'optique de contester le refus explicite ou implicite par l'administration de répondre à cette demande; ii) soulever la prétendue violation de son droit fondamental à une protection juridictionnelle effective devant le Tribunal Constitucional (tribunal constitutionnel) (Espagne); ou iii) attaquer l'administration espagnole en dommages et intérêts pour le préjudice résultant de la violation de ce droit.

Délimitation des problèmes

31.
    C'est le quatrième moyen invoqué par l'UPA qui soulève l'importante question de principe que nous avons soulevée au point 3 ci-dessus. Lors de l'audience, les parties et la Commission se sont concentrées sur cette question et il nous paraît dès lors approprié d'examiner tout d'abord le quatrième moyen.

32.
    Afin de déterminer si ce moyen est fondé, il y a lieu d'examiner, tout d'abord, si l'approche suggérée par l'UPA trouve un soutien dans la jurisprudence et dans l'affirmative, d'examiner ensuite si cette approche devrait en l'espèce être confirmée par la Cour.

L'arrêt Greenpeace

33.
    Ainsi que l'UPA le souligne, l'arrêt de la Cour dans l'affaire Greenpeace (21) doit constituer le point de départ pour l'examen du problème soulevé par la présente espèce. Dans l'affaire Greenpeace, un certain nombre de particuliers et d'organisations environnementales ont contesté la validité d'une décision de la Commission octroyant un financement communautaire pour la construction de deux centrales électriques aux îles Canaries. Le Tribunal a rejeté cette demande au motif que les requérants n'étaient pas concernés de manière individuelle par la décision attaquée. En appel, la Cour a jugé que «l'interprétation de [l'article 230, paragraphe 4, CE] retenue par le Tribunal pour conclure au défaut de qualité pour agir des requérants, [était] conforme à la jurisprudence constante de la Cour» (22). Elle a ensuite rejeté les arguments des requérants visant à démontrer que cette jurisprudence ne pouvait pas être appliquée à des recours fondés essentiellement sur des arguments environnementaux (23). Enfin, elle a examiné un argument - présenté par les requérants - visant à établir que la décision attaquée ne pouvait faire l'objet d'un recours devant les juridictions nationales et qu'ils devaient dès lors se voir reconnaître une qualité pour agir au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE. La Cour a rejeté cet argument de la manière suivante (24):

«S'agissant de l'argument des requérants selon lequel l'application de la jurisprudence de la Cour aurait comme conséquence que, en l'espèce, les droits qu'ils tirent de la directive 85/337 seraient privés de toute protection juridictionnelle effective, il y a lieu de relever que, ainsi qu'il ressort du dossier, Greenpeace a [formé un recours] devant les juridictions nationales [...] Bien que ces recours ainsi que celui introduit devant le Tribunal aient des objets différents, ils se fondent cependant sur les mêmes droits résultant pour les particuliers de la directive 85/337, en sorte que ces droits se trouvent, en l'espèce, pleinement protégés par les juridictions nationales qui, le cas échéant, peuvent saisir la Cour d'une question préjudicielle en vertu de l'article [234 CE] [...] Dès lors, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en appréciant la qualité pour agir des requérants au regard des critères développés par la jurisprudence de la Cour rappelée au point 7 du présent arrêt.»

34.
    Ainsi que le souligne l'UPA, il est permis d'interpréter ces paragraphes comme suggérant qu'un particulier doit se voir reconnaître la possibilité de contester une mesure communautaire lorsque l'application de la jurisprudence traditionnelle de la Cour aurait pour conséquence de le priver d'une protection juridictionnelle effective du fait de l'impossibilité de contester la mesure devant les juridictions nationales. Toutefois, comme le fait valoir la Commission, il ne s'agit pas là de la seule lecture possible de l'arrêt Greenpeace, précité. À cet égard, la Commission met en avant l'affaire Federación de Cofradías de Pescadores e.a., (25) dans laquelle le président de la Cour a jugé:

«Dans la présente affaire, premièrement, en ce qui concerne l'argument liminaire avancé par les requérants, tiré de l'impossibilité de soumettre la validité du règlement n° 2742/1999 à l'appréciation de la Cour autrement que par un recours direct en annulation, il convient de souligner que cette circonstance, à supposer qu'elle soit établie, ne saurait autoriser une modification du système des voies de recours et des procédures établi par les articles 230 CE, 234 CE et 235 CE et destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions. En aucun cas, elle ne permet de déclarer recevable un recours en annulation formé par une personne physique ou morale qui ne satisfait pas aux conditions posées par l'article 230, quatrième alinéa, CE (voir ordonnances du 23 novembre 1995, Asocarne/Conseil, C-10/95 P, Rec. p. I-4149, point 26, et du 24 avril 1996, CNPAAP/Conseil, C-87/95 P, Rec. p. I-2003, point 38)» (26).

35.
    Bien qu'il nous semble évident que l'arrêt Greenpeace n'exclut pas la possibilité de reconnaître aux particuliers une qualité pour agir, plus spécifiquement lorsque l'application de l'article 230, paragraphe 4, CE, tel qu'interprété dans la jurisprudence, les priverait d'une protection juridictionnelle effective, nous ne nous proposons pas d'approfondir la question de savoir si la Cour avait l'intention de souscrire à cette possibilité. Il suffit de noter que l'arrêt de la Cour part de l'hypothèse que les particuliers devraient en principe introduire leurs recours contre des mesures communautaires de portée générale devant les juridictions nationales (27), et que lesdits particuliers bénéficient d'une protection juridictionnelle effective contre des mesures illégales parce que les juridictions nationales peuvent demander à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur la validité des mesures communautaires (28). Nous examinerons tout d'abord la proposition selon laquelle la procédure préjudicielle confère une protection juridictionnelle effective contre des mesures de portée générale. Bien que nous exposerons que cette hypothèse est pour plusieurs raisons incorrecte, et qu'il est dès lors souhaitable d'assouplir les conditions relatives à la qualité pour agir devant le Tribunal, il existe d'autres arguments plus décisifs pour aboutir à une telle conclusion. Nous évoquons ces autres arguments ci-après (points 59 à 99).

Est-il correct de dire que la procédure préjudicielle confère une protection juridictionnelle effective et complète contre des mesures communautaires de portée générale?

36.
    À l'audience, l'UPA a déclaré qu'elle ne demandait pas à la Cour de modifier sa jurisprudence sur l'interprétation de l'article 230, paragraphe 4, CE. Toutefois, son argumentation comporte de manière implicite une forte critique de la jurisprudence qui, selon elle, pourrait entraîner un déni de justice, sauf s'il y est dérogé dans des cas spécifiques.

37.
    À l'instar de l'UPA, nous pensons que la jurisprudence sur la qualité à agir de particuliers pose des problèmes. Ainsi que nous l'évoquerons ci-après, le fait qu'un particulier ne puisse (dans la plupart des cas) former directement un recours contre une mesure qui lui cause un préjudice, s'il s'agit d'une mesure de portée générale, semble inacceptable pour essentiellement deux raisons. Tout d'abord, l'article 230, paragraphe 4, CE doit être interprété en conformité avec le principe de la protection juridictionnelle effective. Les procédures devant les juridictions nationales ne garantissent toutefois pas toujours une protection juridictionnelle effective aux particuliers et parfois ne garantissent aucune protection juridique quelle qu'elle soit. Ensuite, la jurisprudence de la Cour sur l'interprétation de l'article 230, paragraphe 4, CE encourage les particuliers à porter de manière indirecte devant la Cour, par l'intermédiaire des juridictions nationales, des questions de validité de mesures communautaires. Les recours formés directement devant le Tribunal permettent toutefois de trancher les questions de validité de manière plus adéquate que les procédures introduites devant la Cour au titre de l'article 234 CE et sont également moins susceptibles d'engendrer une insécurité juridique pour les particuliers et pour les institutions communautaires. Outre ce qui précède, il peut être ajouté que l'attitude restrictive de la Cour à l'égard des particuliers est anormale compte tenu de sa jurisprudence sur d'autres aspects relatifs au contrôle juridictionnel et étant donné l'évolution récente des droits administratifs des États membres.

Les procédures devant les juridictions nationales pourraient ne pas conférer une protection juridictionnelle effective aux particuliers

38.
    Ainsi qu'il est unanimement reconnu dans la présente affaire, la jurisprudence de la Cour reconnaît le principe selon lequel un particulier qui s'estime lésé par un acte qui le prive d'un droit ou d'un avantage tiré de la réglementation communautaire doit pouvoir disposer d'un recours contre cet acte et bénéficier d'une protection juridictionnelle complète (29).

39.
    Ainsi que la Cour l'a à maintes reprises affirmé, ce principe est ancré dans les traditions constitutionnelles communes aux États membres et dans les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (30). En outre, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (31) bien qu'elle ne soit en tant que telle pas juridiquement contraignante, proclame un principe généralement reconnu dans son article 47 selon lequel «toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal».

40.
    À notre sens, les procédures devant les juridictions nationales ne permettent toutefois pas de garantir aux particuliers qui contestent la validité de mesures communautaires une protection juridictionnelle totalement effective.

41.
    Il convient tout d'abord de rappeler que les juridictions nationales ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l'invalidité de mesures communautaires (32). Dans une affaire relative à la validité d'une mesure communautaire, la juridiction nationale n'est compétente que pour évaluer si les arguments du requérant soulèvent suffisamment de doutes sur la validité de la mesure attaquée pour justifier qu'une question préjudicielle soit déférée à la Cour. Il nous semble dès lors artificiel de soutenir que les juridictions nationales constituent le forum adéquat pour connaître de telles affaires. La compétence strictement limitée des juridictions nationales dans des affaires relatives à la validité de mesures communautaires peut être mise en contraste avec le rôle important qu'elles jouent dans des affaires relatives à l'interprétation, l'application et la mise en oeuvre du droit communautaire. Dans de telles affaires, les juridictions nationales peuvent, ainsi que la Commission l'a déclaré lors de l'audience, être décrites comme les juridictions ordinaires du droit communautaire. Cette description n'est toutefois pas appropriée dans des cas qui ne concernent pas des questions d'interprétation, mais qui ne soulèvent que des questions de validité de mesures communautaires puisque les juridictions nationales ne sont pas habilitées à trancher de telles questions.

42.
    Ensuite, le principe de la protection juridictionnelle effective exige que les requérants puissent s'adresser à une juridiction qui est en mesure de leur offrir des solutions susceptibles de les protéger des effets des mesures illégales. L'accès à la Cour par l'intermédiaire de l'article 234 CE ne constitue toutefois pas une voie ouverte de plein droit aux particuliers. Les juridictions nationales peuvent refuser de déférer des questions à la Cour et bien que les juridictions de dernière instance soient tenues de saisir la Cour en vertu de l'article 234, paragraphe 3, CE, les recours existant au sein des systèmes juridictionnels nationaux sont de nature à entraîner des retards considérables qui peuvent en tant que tels être incompatibles avec le principe de la protection juridictionnelle effective et avec l'exigence d'une sécurité juridique (33). Les juridictions nationales - même au plus haut niveau - peuvent également se fourvoyer dans leur examen préalable de la validité de mesures communautaires de portée générale et décider dès lors de ne pas déférer de questions sur la validité à la Cour de justice. En outre, lorsque la juridiction saisit la Cour d'une question préjudicielle, il lui revient en principe de formuler les questions auxquelles elle souhaite que la Cour réponde. Il est dès lors possible que les demandes de particuliers soient reformulées dans les questions soumises à la Cour. Les questions formulées par les juridictions nationales pourraient, par exemple, limiter le nombre de mesures communautaires contre lesquelles un requérant s'est pourvu en justice ou les moyens d'annulation sur lesquels il s'est fondé.

43.
    De plus, il peut être difficile, et dans certains cas même impossible, pour des particuliers de contester des mesures communautaires qui - ainsi que cela semble être le cas pour le règlement attaqué - n'appellent pas de mesures d'exécution par les autorités nationales. Dans de tels cas, il pourrait ne pas y avoir de mesure susceptible de constituer le fondement d'une action devant les juridictions nationales. Le fait qu'un particulier affecté par une mesure communautaire puisse, dans certains cas, en contester la validité devant les juridictions nationales en violant les dispositions prévues par ladite mesure et en se prévalant de l'illégalité de celles-ci dans le cadre des procédures pénales ou civiles ouvertes à son encontre, ne lui offre pas une protection juridictionnelle adéquate. Il ne peut être demandé à des particuliers d'enfreindre la loi afin de pouvoir accéder à la justice.

44.
    Enfin, comparées à une action directe devant le Tribunal, les actions devant les juridictions nationales présentent certains désavantages majeurs pour les particuliers. Une procédure devant les juridictions nationales, à laquelle s'ajoute la saisine de la Cour au titre de l'article 234 CE, est susceptible d'entraîner des coûts et des retards additionnels considérables. Les retards inhérents aux procédures introduites devant les juridictions nationales, auxquels s'ajoute la possibilité de recours au sein du système national, rendent des mesures provisoires nécessaires dans bon nombre de cas. Toutefois, bien que les juridictions nationales soient investies du pouvoir de suspendre une mesure nationale basée sur une mesure communautaire ou de prescrire des mesures provisoires dans l'attente d'une décision de la Cour (34), l'exercice de cette compétence est soumis à bon nombre de conditions et dépend - malgré les efforts de la Cour pour fournir des lignes directrices quant à l'application de ces conditions - dans une certaine mesure de l'appréciation discrétionnaire des juridictions nationales. En tout état de cause, des mesures provisoires octroyées par une juridiction nationale seraient limitées à l'État membre en question et des requérants pourraient dès lors se voir contraints à introduire des actions dans plus d'un État membre. Compte tenu de la possibilité que les juridictions de différents États membres rendent des décisions contradictoires, cela pourrait porter préjudice à l'application uniforme du droit communautaire et dans des cas extrêmes, la subvertir.

Les procédures devant le Tribunal fondées sur l'article 230 CE sont en général plus appropriées pour trancher des questions de validité que les procédures préjudicielles introduites au titre de l'article 234 CE

45.
    Nous considérons, en outre, que des recours formés devant le Tribunal au titre de l'article 230 CE sont en général plus adéquats pour résoudre des questions de validité que des procédures préjudicielles fondées sur l'article 234 CE.

46.
    Le recours direct est plus adéquat parce que l'institution qui adopte la mesure attaquée est partie à la procédure du début à la fin et parce qu'une telle action directe implique un débat contradictoire complet et non pas le dépôt d'un jeu unique d'observations suivi par des observations orales devant la Cour. La possibilité d'obtenir des mesures provisoires au titre des articles 242 et 243 CE, qui existe dans tous les États membres, présente un avantage majeur pour les particuliers et pour l'uniformité du droit communautaire.

47.
    En outre, lorsqu'une action directe est introduite, le public en est informé par l'intermédiaire d'une communication publiée au Journal officiel et les tiers peuvent, pour autant qu'ils justifient d'un intérêt suffisant, intervenir conformément à l'article 37 du statut de la Cour. Dans les procédures préjudicielles, les particuliers intéressés ne peuvent présenter leurs observations au titre de l'article 20 du statut que s'ils sont également intervenus dans le cadre de la procédure introduite devant la juridiction nationale. Cela peut s'avérer difficile, car bien que les informations relatives à la procédure préjudicielle soient publiées au Journal officiel, les particuliers peuvent ne pas être informés des procédures introduites devant les juridictions nationales suffisamment tôt pour intervenir.

48.
    Un élément de plus grande importance encore est qu'il est clairement souhaitable, pour des raisons de sécurité juridique, que des actions relatives à la validité d'actes communautaires soient introduites aussi tôt que possible après leur adoption. Alors que les recours directs doivent être introduits dans le délai de deux mois prévu par l'article 230, paragraphe 5, CE, la validité de mesures communautaires peut, en principe, être contestée devant les juridictions nationales à tout moment (35). Le critère strict appliqué pour déterminer la qualité à agir de particuliers en vertu de la jurisprudence existante relative à l'article 230 CE contraint lesdits particuliers à soumettre à la Cour des questions de validité de mesures communautaires par l'intermédiaire de l'article 234 et peut dès lors avoir pour conséquence de réduire la sécurité juridique.

Conclusion préliminaire

49.
    Compte tenu de ce qui précède, nous considérons que la jurisprudence relative à la qualité à agir de particuliers telle que revue dans l'arrêt Greenpeace, précité, est, quelle que soit la façon d'interpréter cet arrêt, incompatible avec le principe de la protection juridictionnelle effective. Bien que le contrôle de mesures communautaires par le biais d'actions introduites devant les juridictions nationales puisse être approprié lorsqu'une affaire soulève à la fois des questions d'interprétation et de validité du droit communautaire, les demandes portées devant le Tribunal au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE, sont clairement plus appropriées lorsqu'une affaire concerne exclusivement la validité d'une mesure communautaire. Puisque de telles affaires soulèveront par définition des questions de droit, la possibilité d'un recours sur des points de droit prévue par l'article 225 CE permettrait de garantir l'exercice par la Cour d'un contrôle effectif ultime sur la décision adoptée par le Tribunal.

L'approche privilégiée par l'UPA

50.
    Contrairement à l'UPA, nous ne pensons pas qu'il résulte de cette conclusion qu'un requérant qui n'est pas individuellement concerné au sens de l'article 230, paragraphe 4, CE, tel qu'interprété à ce jour dans la jurisprudence, devrait se voir reconnaître la possibilité de contester un règlement lorsqu'un examen du cas d'espèce montre qu'il serait sinon privé d'une protection juridictionnelle effective.

51.
    Tout d'abord, ainsi que le souligne la Commission, rien dans le libellé de l'article 230, paragraphe 4, CE ne permet de soutenir cette thèse. Les conditions nécessaires à l'existence d'une qualité pour agir prévues par cette disposition sont définies de manière objective (le requérant doit être «directement et individuellement concerné») et ne font aucunement référence à l'existence ou à l'absence, dans des cas particuliers, de voies de recours alternatives devant les juridictions nationales.

52.
    Deuxièmement, le traité confère aux juridictions communautaires la charge de se prononcer sur l'interprétation et la validité du droit communautaire; ainsi que la Cour l'a à maintes reprises répété, elles ne sont pas habilitées à se prononcer sur l'interprétation et la validité de règles de droit national. Le fait pour les juridictions communautaires d'examiner, au cas par cas, l'existence en droit national de procédures et de voies de recours permettant à des particuliers de contester des mesures communautaires, se rapprocherait à notre sens dangereusement d'un rôle qui ne leur a pas été conféré par le traité. Les juridictions communautaires sont en outre mal placées pour entreprendre ce qui dans certains cas pourrait constituer une analyse complexe et longue des détails du droit procédural national. Le cas qui nous occupe illustre bien cette hypothèse puisque les parties sont en désaccord quant à la situation de la requérante au regard du droit espagnol et puisqu'il est difficile, voire impossible, de déterminer sur la base des éléments du dossier et des arguments développés à l'audience, si la requérante dispose d'une voie de recours en vertu du droit national.

53.
    Troisièmement, accepter que la qualité pour agir au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE puisse dépendre du droit national - qui est susceptible de différer entre les États membres et d'évoluer au cours du temps - entraînerait inévitablement des inégalités et porterait atteinte à la sécurité juridique dans un domaine du droit déjà très complexe. Il serait à notre sens peu satisfaisant que, par exemple, un particulier en Espagne puisse contester un règlement au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE alors qu'un particulier au Royaume-Uni, affecté de la même manière par le règlement, ne pourrait introduire de recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes en raison des différences existant entre les réglementations relatives à la qualité à agir en vigueur dans les deux États membres. Un tel résultat serait contraire au principe de l'égalité de traitement et pourrait aboutir à une situation où la légalité de la même mesure serait soulevée à la fois devant la Cour et devant le Tribunal.

L'approche privilégiée par le Conseil et par la Commission

54.
    La question est dès lors de savoir comment faire en sorte - dans les limites imposées par le texte et l'économie du traité - que des requérants particuliers se voient conférer une protection juridictionnelle effective. Le Conseil et la Commission ont essentiellement suggéré de modifier les règles de droit national qui rendent les recours contre des mesures communautaires devant les juridictions nationales difficiles ou impossibles.

55.
    Nous ne pouvons pas non plus accepter cette suggestion.

56.
    L'accès à la Cour de justice par l'intermédiaire de l'article 234 CE ne constitue pas, ainsi que nous l'avons exposé ci-dessus, une voie de recours ouverte de plein droit aux particuliers. Les particuliers ne peuvent, en vertu du droit communautaire, contrôler si une demande de décision préjudicielle est déférée à la Cour, ni quelles mesures sont soumises au contrôle de la Cour. Ils ne peuvent davantage contrôler quels moyens d'annulation sont soulevés dans les questions déférées à la Cour par la juridiction nationale. Ces caractéristiques sont inhérentes au système de la coopération judiciaire prévue par l'article 234 CE et ne peuvent être changées par des modifications apportées au droit procédural national. L'approche privilégiée par le Conseil et la Commission ne résoudrait pas non plus les autres problèmes liés à la procédure préjudicielle identifiés ci-dessus: les requérants se verraient toujours confrontés à des retards sérieux, ils connaîtraient toujours des problèmes pour obtenir des mesures provisoires et les avantages - en termes de procédure et de sécurité juridique - des recours directs ne seraient pas concrétisés.

57.
    La proposition selon laquelle une protection juridictionnelle efficace pourrait être garantie par une décision déclarant contraires au droit communautaire des dispositions nationales qui rendent tout recours contre des mesures communautaires difficiles ou impossibles, pourrait également sous-estimer les difficultés liées à une modification du fonctionnement des systèmes juridiques nationaux. Il serait, ainsi que le souligne l'UPA, très difficile - tant pour les particuliers que pour la Commission agissant au titre de l'article 226 CE - de contrôler et d'assurer le respect d'une obligation d'octroyer à des particuliers la possibilité de contester des mesures communautaires de portée générale devant les juridictions nationales.

58.
    Outre ces points, il convient de noter que, pour garantir à des particuliers un accès à la justice dans tous les États membres, la Cour aurait à se prononcer, peut-être à plusieurs reprises, sur des questions qui sont intrinsèquement sensibles et qui jusqu'à ce jour ont été considérées comme relevant à part entière de l'autonomie procédurale nationale.

Solution proposée: une nouvelle interprétation de la notion de personne individuellement concernée

59.
    La solution au problème de la protection juridictionnelle contre des actes communautaires illégaux peut être trouvée, à notre sens, dans la notion de personne individuellement concernée prévue à l'article 230, paragraphe 4, CE. Aucun argument impérieux ne permet de soutenir que cette notion comporte l'obligation pour un particulier désireux de contester une mesure générale d'être individualisé d'une manière analogue à celle d'un destinataire. Si tel devait en être la lecture, plus le nombre de personnes affectées par une mesure serait grand, plus les chances d'un contrôle juridictionnel au titre de l'article 230, paragraphe 4, seraient faibles. Le fait qu'une mesure affecte un grand nombre de particuliers, causant un préjudice étendu plutôt que limité, constitue toutefois à notre sens une raison indiscutable pour accepter qu'un ou plusieurs de ces particuliers intentent une action directe devant le Tribunal.

60.
    À notre avis, il conviendrait dès lors d'accepter qu'une personne soit considérée comme individuellement concernée par une mesure communautaire lorsque, en raison de la situation dans laquelle elle se trouve, la mesure nuit, ou est susceptible de nuire, à ses intérêts de manière substantielle.

Les avantages que présente l'interprétation proposée de la notion de personne individuellement concernée

61.
    Une évolution de la jurisprudence relative à l'interprétation de l'article 230 CE dans le sens préconisé présenterait plusieurs avantages très substantiels.

62.
    Premièrement, si l'on rejette les solutions défendues par l'UPA ainsi que par le Conseil et la Commission - et il existe de sérieuses raisons de le faire - la solution que nous préconisons semble être la seule manière d'éviter ce qui dans certains cas pourrait constituer une absence totale de protection juridictionnelle - un déni de justice.

63.
    Deuxièmement, l'interprétation proposée de la notion de personne individuellement concernée améliorerait de manière considérable la protection juridictionnelle. Le fait de prévoir des conditions plus généreuses que celles adoptées par la Cour dans sa jurisprudence existante pour reconnaître à un particulier une qualité pour agir, permettrait, d'une part, de garantir que les particuliers qui sont directement affectés par des mesures communautaires ne se retrouvent jamais sans protection juridictionnelle et, d'autre part, de faire en sorte que les questions de validité de mesures de portée générale soient examinées dans le cadre de la procédure la plus adaptée à les résoudre et qui prévoit la possibilité d'obtenir des mesures provisoires.

64.
    Troisièmement, cette interprétation présenterait également l'immense avantage de clarifier une jurisprudence qui a souvent, et à juste titre à notre sens, été critiquée pour sa complexité et son manque de cohérence (36). Cette jurisprudence pourrait compliquer la tâche des praticiens dans leur rôle de conseil quant au choix de la juridiction dans laquelle introduire une affaire, voire même les entraîner à introduire des procédures parallèles à la fois devant les juridictions nationales et devant le Tribunal de première instance.

65.
    Quatrièmement, en jugeant que des particuliers sont individuellement concernés par des mesures de portée générale leur faisant grief, la Cour encouragerait le recours à des actions directes pour résoudre des questions de validité, limitant de ce fait le nombre de recours préjudiciels introduits au titre de l'article 234 CE. Cela serait bénéfique, ainsi qu'exposé ci-dessus, pour la sécurité juridique et l'application uniforme du droit communautaire. Il peut être noté à cet égard que la jurisprudence TWD Textilwerke Deggendorf (37) - selon laquelle un particulier ne peut se prévaloir de l'article 234 CE pour contester une mesure lorsque, bien qu'il n'existe aucun doute quant à sa qualité à agir au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE, il a omis d'introduire une action dans le délai prévu par le paragraphe 5 de cet article - ne s'étend normalement pas, selon nous, à des mesures de portée générale. Cette jurisprudence n'empêcherait pas des particuliers de contester devant les juridictions nationales des mesures de portée générale qui leur ont fait grief. Néanmoins, si la notion de personne individuellement concernée est interprétée conformément à ce que nous avons suggéré, et que les conditions relatives à la qualité à agir pour les particuliers sont assouplies, on peut s'attendre à ce que bon nombre de recours soient introduits directement devant le Tribunal.

66.
    Un point tout aussi important, voire même plus important encore, est que l'interprétation de l'article 230 que nous proposons aurait pour conséquence de concentrer le contrôle juridictionnel non pas sur des questions de recevabilité mais sur des questions de fond. Bien que l'on puisse accepter que le processus législatif communautaire doive être mis à l'abri d'interventions juridictionnelles excessives, une telle protection pourrait être garantie de manière plus adéquate en prévoyant des conditions de fond pour que puisse s'exercer un contrôle juridictionnel conférant aux institutions une «marge d'appréciation» appropriée dans l'exercice de leurs pouvoirs (38) plutôt qu'en appliquant des règles strictes sur la recevabilité qui ont pour effet d'exclure «aveuglément» des requérants sans égard au bien-fondé des moyens qu'ils font valoir.

67.
    Enfin, l'interprétation de la notion de personne individuellement concernée que nous suggérons supprimerait un certain nombre d'anomalies de la jurisprudence de la Cour sur le contrôle juridictionnel. Les anomalies les plus importantes proviennent du fait que la Cour a adopté des approches différentes quant à la notion de personne individuellement concernée et quant à d'autres dispositions de l'article 173 du traité.

68.
    Ainsi, la Cour a adopté un point de vue généreux quant aux catégories d'actes qui sont susceptibles de faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. En vertu de l'article 173, paragraphe 1, du traité, la Cour était originellement compétente pour contrôler la légalité «des actes du Conseil et de la Commission, autres que les recommandations ou avis». L'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE) définissait les actes communautaires contraignants comme étant les règlements, les directives et les décisions. Il était permis de penser, sur la base de ces dispositions, que la Cour n'était compétente que pour contrôler la légalité des règlements, des directives et des décisions adoptés par le Conseil ou par la Commission. Toutefois, dans l'arrêt Commission/Conseil (39), la Cour a souhaité contrôler la légalité de la délibération du Conseil relative à la négociation et à la conclusion par les États membres d'un accord relatif au travail des équipages de véhicules effectuant des transports internationaux par route (40) au motif, essentiellement, que la finalité de la procédure de contrôle juridictionnel prévue à l'article 173 du traité CE - qui est d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité - ne serait atteinte que si le recours en annulation était ouvert à l'égard de toutes les dispositions prises par les institutions quelles qu'en soient la nature ou la forme qui visent à produire des effets de droit (41). Dans l'affaire Les Verts (42) il a été demandé à la Cour de contrôler la légalité de deux mesures adoptées par le Parlement européen relatives au remboursement des dépenses exposées par les parties participant aux élections de 1984. En déclarant cette action recevable, elle a jugé que «l'article 173 du traité ne cite que les actes du Conseil et de la Commission [...] une interprétation [de cette disposition] qui exclurait les actes du Parlement européen de ceux qui peuvent être attaqués aboutirait à un résultat contraire tant à l'esprit du traité tel qu’il a été exprimé dans l’article 164 du traité CE [(devenu article 220 CE)] qu'à son système» (43).

69.
    En décidant quelles institutions sont en droit d'introduire des recours en annulation en vertu du traité, la Cour n'a pas non plus procédé à une lecture stricte du traité. Avant l'entrée en vigueur du traité sur l'union européenne, l'article 173, paragraphe 1, du traité CE disposait que la Cour était compétente pour se prononcer sur «des recours [...] formés par un État membre, le Conseil ou la Commission». L'absence d'une quelconque référence au Parlement européen dans cette disposition n'a cependant pas empêché la Cour de juger dans l'affaire Tchernobyl (44) que «le Parlement est recevable à saisir la Cour d'un recours en annulation dirigé contre un acte du Conseil ou de la Commission, à condition que ce recours ne tende qu'à la sauvegarde de ses prérogatives» (45), car tandis que «l'absence, dans les traités, d'une disposition prévoyant le droit de recours en annulation en faveur du Parlement peut constituer une lacune procédurale [...] elle ne saurait prévaloir à l'encontre de l'intérêt fondamental qui s'attache au maintien et au respect de l'équilibre institutionnel défini par les traités constitutifs des Communautés européennes» (46).

70.
    De même, en examinant les motifs sur le fondement desquels la validité de mesures communautaires adoptées peut être contestée, la Cour a jugé que même si l'article 173 du traité CEE prévoyait que la Cour était compétente pour se prononcer sur des recours introduits pour «violation du présent traité ou de toute règle de droit relative à son application», «la nécessité d'un contrôle complet et cohérent de la légalité exige[ait] d'interpréter cette disposition en ce sens qu'elle ne saurait exclure la compétence de la Cour pour examiner, dans le cadre d'un recours visant à l'annulation d'un acte fondé sur une disposition du traité CEE, un grief tiré de la violation d'une règle du traité CEEA ou CECA» (47).

71.
    L'attitude restrictive que la Cour a adoptée envers des particuliers dans le contexte de l'article 230, paragraphe 4, CE - et qu'elle n'a, malgré l'élargissement des pouvoirs de la Communauté suite aux amendements successifs du traité, pas souhaité reconsidérer - semble difficile à justifier à la lumière des affaires tranchées en vertu des autres paragraphes de l'article 173 du traité CE, dans lesquelles la Cour a adopté une interprétation généreuse et dynamique du traité, voire même une position contraire au texte, pour faire en sorte que l'évolution des pouvoirs dévolus aux institutions communautaires ne compromette pas l'État de droit et l'équilibre institutionnel.

72.
    Une autre anomalie dans ce domaine résulte de ce que, en vertu du droit communautaire, il n'existe pas de restrictions quant à la possibilité pour des particuliers d'introduire des litiges relatifs à la réparation de dommages au titre des articles 235 et 288 CE. La catégorie des particuliers recevables à introduire une action en dommages et intérêts pour un préjudice causé par des mesures communautaires est donc illimitée. Dans le contexte des règles strictes relatives à la qualité à agir appliquées en vertu de l'article 230, paragraphe 4, CE, cela semble paradoxal dès lors que les actions en dommages et intérêts concernent souvent, ou concernent effectivement, des contestations de la légalité de mesures communautaires de portée générale. Ainsi, le Tribunal est déjà compétent pour contrôler la légalité de mesures de portée générale dans des actions en dommages et intérêts (ou sur une exception d'illégalité soulevée en vertu de l'article 241 CE) introduites par une catégorie illimitée de particuliers.

Objections à l'interprétation proposée de la notion de personne individuellement concernée

73.
    Quelles sont dès lors les objections à ce qu'un particulier puisse être considéré comme individuellement concerné lorsque, en raison de la situation dans laquelle il se trouve, la mesure nuit, ou est susceptible de nuire, à ses intérêts de manière substantielle? Selon le Conseil et la Commission, une interprétation de la notion de personne individuellement concernée plus large que celle adoptée par la Cour dans sa jurisprudence existante serait contraire à l'article 230, paragraphe 4, CE et entraînerait un flot de recours additionnels contre les actes communautaires.

74.
    Nous ne sommes pas convaincus par ces arguments.

75.
    Premièrement, il convient de reconnaître que le libellé de l'article 230 CE pose certaines limites qui doivent être respectées. Tous les particuliers n'ont pas qualité pour agir contre tous les actes communautaires. Toutefois, nous ne pouvons accepter la proposition selon laquelle le libellé de l'article 230, paragraphe 4, CE s'oppose à ce que la Cour reconsidère sa jurisprudence sur la notion de personne individuellement concernée. Il est évident, et l'on ne saurait trop le répéter, que la notion de personne individuellement concernée est susceptible de donner lieu à diverses interprétations et que, au moment de choisir l'une de ces interprétations, la Cour peut prendre en considération la finalité de l'article 230 CE et le principe de la protection juridictionnelle effective des particuliers (48). En tout état de cause, la jurisprudence de la Cour dans d'autres domaines (49) reconnaît qu'une interprétation évolutive de l'article 230 CE est nécessaire afin de palier aux lacunes procédurales existant au sein du régime des voies de recours prévu par le traité et de s'assurer que la portée de la protection juridictionnelle est étendue en réponse à l'accroissement des pouvoirs des institutions communautaires. Bien que cette jurisprudence reconnaisse qu'il pourrait même être nécessaire de s'écarter du libellé du traité afin de garantir une protection juridictionnelle effective, il n'est pas demandé à la Cour d'agir de la sorte dans la présente affaire puisque l'interprétation que nous suggérons est totalement compatible avec le libellé du traité.

76.
    Deuxièmement, le libellé de l'article 173, paragraphe 2, du traité diffère du libellé de l'article 33 du traité CECA et est plus restrictif que ce dernier. Il a été avancé que cette différence reflète l'intention des auteurs du traité de se détacher de la jurisprudence plus permissive sur la qualité à agir qui s'était développée en vertu du traité CECA depuis son entrée en vigueur en 1952 (50) et d'imposer des limites strictes à la portée de la notion de qualité à agir en vertu du traité CE (51) de sorte à éviter que les nombreuses actions introduites par des particuliers mettent en péril la législation adoptée à grand-peine par le Conseil des ministres statuant à l'unanimité (52).

77.
    Cet argument n'a, selon nous, jamais été très convaincant (53). Le fait d'isoler des mesures potentiellement illégales du contrôle juridictionnel peut rarement, voire jamais, être justifié pour des raisons d'efficacité administrative ou législative. Cela vaut tout particulièrement lorsque les limitations relatives à la qualité à agir peuvent entraîner un déni de justice dans le chef de particuliers. Les arguments tirés d'une comparaison entre le traité CECA et le traité CE sont, en outre, beaucoup moins convaincants aujourd'hui que lorsque la Cour a été saisie pour la première fois d'une question relative à la portée de la notion de personne individuellement concernée (54). L'article 173, paragraphe 2, du traité CEE a été renuméroté mais jamais modifié sur le fond depuis l'entrée en vigueur du traité le 1er janvier 1958. Il ne peut être admis que des conclusions tirées du contexte historique d'une disposition aussi ancienne permettent de figer à jamais l'interprétation de la notion de personne individuellement concernée. Ce point est souligné par le fait que les raisons qui ont prétendument motivé les auteurs du traité à limiter la possibilité pour des particuliers de se pourvoir en justice en vertu du traité CEE sont, en tout état de cause, de peu d'intérêt aujourd'hui. D'une part, la Communauté européenne est maintenant fermement établie et son processus législatif est, dans une large mesure, basé sur l'adoption de mesures à la majorité des voix au Conseil des ministres et au Parlement, et suffisamment robuste pour supporter un contrôle juridictionnel à l'instigation de particuliers. D'autre part, le droit communautaire affecte aujourd'hui les intérêts de particuliers de manière directe, fréquente et importante; il existe, dès lors, en conséquence un plus grand besoin d'une protection juridictionnelle efficace contre des actes illégaux.

78.
    Il convient également de noter que bien que les Communautés européennes soient à la base le fruit d'un ensemble de traités conclus par les États membres dans le contexte du droit international public, l'ordre juridique communautaire s'est développé de telle sorte qu'il ne serait actuellement plus correct de le décrire comme constituant un système de coopération intergouvernemental pas plus qu'il ne serait approprié de décrire la Cour de justice comme un tribunal international. Le fait que traditionnellement, les particuliers ne se sont pas vu reconnaître, ou alors de manière exceptionnelle, une qualité à agir devant des entités juridictionnelles internationales n'est dès lors d'aucune pertinence pour l'interprétation qu'il convient de donner aujourd'hui à l'article 230, paragraphe 4, CE.

79.
    Troisièmement, nous ne sommes pas convaincus qu'un assouplissement des exigences relatives à la notion de personne individuellement concernée entraînerait un flot d'affaires susceptible de noyer le mécanisme juridictionnel. Rien n'indique qu'un tel phénomène se soit produit dans les systèmes juridiques, qu'ils fassent ou non partie de l'Union européenne, qui ont récemment assoupli de manière progressive leurs conditions relatives à la qualité pour agir (55). L'introduction d'un recours par un particulier conformément à l'article 230 CE est, en outre, soumise à bon nombre de conditions. En plus de démontrer qu'ils sont individuellement concernés, les particuliers doivent apporter la preuve qu'ils sont concernés de manière directe. Les actions doivent de surcroît être introduites dans un délai de deux mois. Bien que par le passé ces conditions n'aient joué qu'un rôle très limité dans la jurisprudence, leur importance augmenterait plus que probablement en réponse à l'assouplissement des exigences relatives à la notion de personne individuellement concernée. Il est dès lors permis de penser qu'un assouplissement des exigences relatives à la qualité à agir entraînerait une augmentation du nombre de demandes introduites au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE, qui, bien qu'appréciable, ne serait pas insurmontable.

80.
    Une augmentation du nombre d'affaires ne devrait pas ébranler la capacité des juridictions communautaires à remplir leur rôle et à rendre justice avec célérité. L'augmentation du nombre de recours concernerait sans doute dans une large mesure des actions introduites par différents particuliers et associations contre les mêmes mesures communautaires. De telles affaires pourraient être traitées, sans mobilisation additionnelle significative des ressources du Tribunal, en joignant certaines d'entre elles ou en isolant des affaires pilotes. Dans le cas d'affaires manifestement non fondées en droit, le Tribunal pourrait, au titre de l'article 111 de son règlement de procédure, les rejeter par voie d'ordonnance motivée. Compte tenu de la complexité de la jurisprudence actuelle relative à la notion de qualité à agir et de la motivation détaillée des ordonnances du Tribunal en particulier sur les questions relatives au concept de personne individuellement concernée, rejeter de telles demandes pour des raisons de fond ne demanderait probablement que très peu d'efforts supplémentaires.

81.
    En outre, l'efficacité avec laquelle le Tribunal règle les affaires qui lui sont soumises pourrait, si nécessaire, être améliorée par des réformes procédurales et juridictionnelles. Certaines modifications au règlement de procédure du Tribunal, visant à accélérer les procédures, ont déjà été introduites (56). Le traité de Nice (57) prévoit une procédure de modification des règlements de procédure du Tribunal et de la Cour plus souple (58). De manière plus importante, les modifications du traité proposées par le traité de Nice envisagent également la création de chambres juridictionnelles chargées de connaître de recours formés dans des matières spécifiques (59) - telles que les contestations de fonctionnaires et, peut-être, les marques. En outre, il restera possible, si nécessaire, d'augmenter le nombre de juges ainsi que le personnel du Tribunal.

Le temps est-il venu pour une évolution de l'interprétation de la notion de personne individuellement concernée?

82.
    À l'audience, le Conseil a souligné que la jurisprudence sur la notion de personne individuellement concernée était bien établie et qu'il serait dès lors inapproprié de s'en écarter dans la présente affaire. Il est vrai que pour des raisons de sécurité juridique, la Cour ne devrait s'écarter de sa jurisprudence établie que s'il existe des arguments convaincants en faveur d'une telle démarche et que le moment est venu pour ce faire. Dans les paragraphes précédents, nous avons exposé qu'il existait effectivement des arguments convaincants en faveur d'une révision de la jurisprudence actuelle sur la notion de personne individuellement concernée. Quatre éléments permettent selon nous de conclure que le moment est venu pour la Cour de répondre à ces arguments.

83.
    Premièrement, l'affirmation du Conseil selon laquelle la jurisprudence relative à la notion de personne individuellement concernée est bien établie et totalement cohérente n'est pas exacte. La Cour a, dans un nombre important d'arrêts rendus au cours des dix dernières années, assoupli dans une certaine mesure les exigences relatives à la qualité à agir. Dans les arrêts Extramet Industries/Conseil (60) et Codorniu (61), la Cour a reconnu que des mesures de portée générale prises sous la forme de règlements peuvent faire l'objet de recours par des particuliers dès lors que «la portée générale d'un acte n'exclut pas pour autant qu'il puisse concerner directement et individuellement certains opérateurs économiques intéressés» (62). En outre, la Cour a jugé qu'un particulier sera admis à contester une mesure de portée générale non seulement lorsque la mesure n'affecte qu'un cercle restreint de particuliers auquel le requérant appartient, mais également lorsque, en raison d'une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne, le requérant peut être considéré comme individuellement concerné (63). Ainsi, dans l'affaire Codorniu, un producteur espagnol de vins mousseux a contesté une disposition réglementaire réservant l'utilisation de la mention «crémant» à des vins produits dans des régions déterminées de France et du Luxembourg. Cette disposition était de nature à affecter la situation de tous les producteurs de vins mousseux dans la Communauté utilisant ou souhaitant utiliser la mention «crémant». La Cour a, néanmoins, jugé que «Codorniu a enregistré la marque graphique ‘Gran Cremant de Codorniu’ en Espagne en 1924 et qu'elle a utilisé traditionnellement cette marque tant avant qu'après cet enregistrement. En réservant le droit d'utiliser la mention ‘crémant’ aux seuls producteurs français et luxembourgeois, la disposition litigieuse aboutit à empêcher Codorniu d'utiliser sa marque graphique» (64), et elle a conclu que Codorniu avait dès lors «établi l'existence d'une situation qui la caractéris[ait], au regard de la disposition litigieuse, par rapport à tout autre opérateur économique» (65).

84.
    L'évolution graduelle vers un accès plus large des particuliers aux juridictions communautaires au titre de l'article 230 CE témoigne de l'acceptation progressive de l'idée que subordonner la possibilité pour des particuliers de se pourvoir en justice au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE, à des conditions strictes n'est plus acceptable. Le fait que, dans l'arrêt Greenpeace, précité, la Cour a apparemment laissé ouverte la possibilité d'accorder un accès aux juridictions communautaires dans des situations particulières où la jurisprudence entraînerait autrement un déni de justice (66), peut également être considéré comme une reconnaissance du caractère problématique de cette jurisprudence. Une reconnaissance plus explicite de ce point de vue peut être trouvée dans la contribution de la Cour à la conférence intergouvernementale qui a conduit à l'adoption du traité d'Amsterdam (67). La Cour y a indiqué que «l'on peut toutefois se demander si le recours en annulation prévu par l'article 173 du traité CE et par les dispositions correspondantes des autres traités, qui n'est ouvert aux particuliers qu'à l'égard des actes qui les concernent directement et individuellement, est suffisant pour leur garantir une protection juridictionnelle effective contre les atteintes à leurs droits fondamentaux pouvant résulter de l'activité législative des institutions» (68).

85.
    Deuxièmement, la jurisprudence relative à la qualité à agir de particuliers est, ainsi que différents auteurs l'ont souligné, de plus en plus en décalage avec les droits administratifs des États membres (69). Ainsi, le droit français, et les régimes qui s'en inspirent, ont appliqué la notion d'«acte faisant grief», de sorte que pratiquement toute personne affectée par une mesure soit admise à la contester; et la notion d'«intérêt à agir» a été interprétée de manière très large (70). En droit anglais, l'exigence juridictionnelle d'un «intérêt suffisant» pour qu'un requérant puisse intenter un recours constituera rarement un obstacle à la recevabilité de son action (71).

86.
    Dans d'autres domaines, les principes fondamentaux du contrôle juridictionnel ont été modelés sur les lois des États membres. Ainsi, le droit communautaire protège effectivement des principes fondamentaux issus des droits nationaux tels que la proportionnalité, l'égalité, la confiance légitime, la sécurité juridique et les droits de l'homme. En ce qui concerne la qualité à agir, toutefois, la position du particulier est beaucoup plus limitée que dans bon nombre, si pas tous, les régimes juridiques nationaux. Il s'agit là d'une situation paradoxale, tout particulièrement compte tenu de l'inquiétude persistante relative à l'absence d'une légitimité démocratique complète de la législation communautaire exposant la Communauté à un risque de résistance par les juridictions nationales qui, il convient de le rappeler, ont souvent répété leur détermination à ce que l'évolution du droit communautaire n'ébranle pas la protection juridictionnelle des particuliers (72).

87.
    Il pourrait être objecté que certains systèmes de droit national établissent une distinction entre les mesures législatives et administratives et n'autorisent un contrôle juridictionnel à l'initiative des particuliers que pour des mesures administratives. Dès lors que les mesures communautaires sont analogues à la législation quant à leurs effets, un contrôle juridictionnel à l'instigation de particuliers ne serait pas requis.

88.
    Nous ne pouvons pas accepter cette objection.

89.
    Bien qu'il soit sans doute exact que l'accès au contrôle juridictionnel de la légalité est en général soumis à des conditions plus strictes que le contrôle juridictionnel de mesures administratives, les législations des États membres n'excluent en général pas la possibilité pour des particuliers de contester une loi qui viole des droits constitutionnels ou des principes fondamentaux de droit (73). Dans certains États membres tels que l'Autriche, la Belgique, l'Allemagne et l'Espagne (ainsi que dans certains des États candidats à l'adhésion à l'Union européenne) (74), les particuliers sont autorisés à contester directement des actes de loi devant les juridictions constitutionnelles. Dans d'autres États membres, tels que le Danemark, la Grèce, l'Irlande (75), le Portugal et la Suède, des recours sur la légalité d'actes législatifs peuvent être portés devant les juridictions ordinaires et ces dernières peuvent y faire droit.

90.
    Les limitations à l'accès au contrôle juridictionnel d'actes législatifs qui existent dans les États membres sont, en outre, basées sur deux prémisses essentielles: les droits nationaux établissent généralement une distinction claire entre les mesures législatives et administratives et les actes législatifs sont systématiquement adoptés dans le cadre de procédures garantissant une plus grande légitimité démocratique que les mesures administratives. Les traités communautaires n'établissent au contraire pas de «hiérarchie des normes» claire (76), et bien que le traité CE établisse une distinction entre les mesures communautaires de base et les mesures d'exécution (77), les premières ne sont pas nécessairement adoptées dans le cadre de procédures démocratiquement plus légitimes que les dernières. Par exemple, un règlement de base adopté par le Conseil et le Parlement européen peut confier la tâche d'adopter des mesures d'exécution au Conseil ou à la Commission. Le choix de l'autorité d'exécution peut avoir un impact sur les procédures d'adoption de ces mesures d'exécution ainsi que sur leur légitimité démocratique. En outre, bien que le Parlement européen joue un rôle d'une importance croissante dans le processus législatif communautaire, ses pouvoirs varient en fonction du domaine du traité concerné.

91.
    Il n'est pas davantage permis de soutenir, par analogie avec la position suivie dans certains États membres où le contrôle de légalité est réservé aux juridictions constitutionnelles, que le contrôle juridictionnel de mesures de portée générale devrait être réservé à la Cour, à l'exclusion du Tribunal. Ce dernier est déjà compétent pour assurer le contrôle juridictionnel de mesures de portée générale, que ce soit dans le cadre d'actions en dommages et intérêts ou sur des exceptions d'illégalité.

92.
    En outre, dans le préambule de la décision instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (78), le législateur communautaire a indiqué que «pour maintenir la qualité et l'efficacité du contrôle juridictionnel dans l'ordre juridique communautaire, il y a lieu de permettre à la Cour de justice de concentrer son activité sur sa tâche essentielle, qui est d'assurer une interprétation uniforme du droit communautaire» (79), et que la tâche du Tribunal était «d'améliorer la protection juridictionnelle des justiciables» (80). Il ressort de ces déclarations que le législateur communautaire a envisagé une répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal: alors que le Tribunal axerait son travail sur le contrôle de légalité des mesures communautaires à la demande de particuliers, la Cour concentrerait son activité sur les questions d'interprétation qui lui sont soumises par voie préjudicielle et sur le contrôle de légalité des arrêts du Tribunal, garantissant dès lors le contrôle ultime de la légalité des mesures communautaires.

93.
    Bien que la Cour ait pu avoir l'impression que la décision instaurant un Tribunal de première instance n'a pas fourni les moyens nécessaires pour mettre en oeuvre cette vision des choses dans sa totalité, puisqu'elle n'a originellement donné au Tribunal une compétence relative aux actions introduites par des particuliers conformément à l'article 230, paragraphe 4, CE, que dans des domaines liés au droit de la concurrence, le législateur communautaire a depuis lors transféré au Tribunal une compétence relative à toutes les actions introduites par les particuliers au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE (81). En outre, les amendements proposés par le traité de Nice (82) au libellé de l'article 220 CE reconnaissent que le Tribunal n'est pas simplement «adjoint à la Cour de justice» (article 225 CE), mais qu'il lui incombe, au même titre qu'à la Cour, d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité.

94.
    Le traité de Nice envisage, dans le nouvel article 225 CE, de conférer au Tribunal une compétence pour connaître en première instance des recours visés aux articles 230, 232, 235, 236 et 238, à l'exception de ceux qui sont attribués à une chambre juridictionnelle et de ceux que le statut réserve à la Cour. Ainsi, le Tribunal sera en principe compétent pour examiner tous les recours en annulation, qu'ils soient introduits par des particuliers, des États membres ou les institutions communautaires. Le rôle du Tribunal comme juridiction principale du contrôle de légalité, moyennant la possibilité d'un pourvoi devant la Cour, sera dès lors accru de manière significative.

95.
    En vue de mettre en oeuvre ces dispositions, la Cour a proposé, dans un document de travail récent, que parmi les recours en annulation introduits par un État membre, une institution communautaire ou la Banque centrale européenne, seuls ceux introduits contre le Parlement et le Conseil, ou contre le Parlement et le Conseil conjointement, soient réservés à la Cour en vertu du statut. Ces recours doivent, selon la proposition de la Cour, lui être réservés de sorte à préserver son «rôle quasi constitutionnel» de contrôle de l'activité normative de base des Communautés. Toutefois, «de sorte à éviter de revenir sur le transfert au Tribunal de première instance des recours introduits par des particuliers et des entreprises, la proposition est limitée aux recours introduits par les États membres, les institutions communautaires et la Banque centrale européenne».

96.
    À notre sens toutefois, quels que soient les arrangements relatifs à la répartition entre la Cour et le Tribunal des recours introduits par un État membre, une institution communautaire ou la Banque centrale européenne, il convient de veiller à ce que cette répartition n'affecte pas l'exigence distincte et prééminente selon laquelle le particulier devrait avoir la possibilité de contester toutes les mesures communautaires lui faisant grief. Si, ainsi qu'il nous semble approprié, de tels recours devaient être introduits devant le Tribunal, le rôle «quasi constitutionnel» de la Cour sera préservé du fait de sa qualité de juridiction d'appel. En effet, ce rôle s'amplifiera si des particuliers sont autorisés à contester des mesures de portée générale devant le Tribunal, avec une possibilité d'appel devant la Cour.

97.
    Un dernier fait qui, à notre sens, témoigne de la nécessité de revoir la jurisprudence de la Cour sur la notion de personne individuellement concernée est son actuelle jurisprudence sur le principe de la protection effective des droits tirés du droit communautaire par les juridictions nationales. Bien que ce principe ait été énoncé en 1986 dans l'affaire Johnston (83), ses implications n'ont été formulées que progressivement dans la jurisprudence de la Cour qui a suivi (84). Il ressort à présent clairement des arrêts rendus dans les affaires Factortame e.a. (85) et Verholen e.a. (86) que le principe d'une protection juridictionnelle effective peut exiger que les juridictions nationales assurent le contrôle juridictionnel de toutes les mesures législatives nationales, accordent des mesures provisoires, et reconnaissent aux particuliers qualité à agir, même dans les cas où le droit national ne les y autoriserait pas.

98.
    Certains auteurs ont mis en contraste les exigences élevées que la jurisprudence de la Cour impose aux systèmes juridictionnels nationaux avec l'accès limité des particuliers aux juridictions communautaires (87). Bien qu'il soit peut-être trop fort de parler de l'existence de deux poids et deux mesures à cet égard, on ne peut nier que les règles très strictes relatives à la qualité à agir au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE, telles qu'interprétées actuellement par la Cour ainsi que les arguments textuels et historiques invoqués par le Conseil et la Commission pour les justifier, semblent de plus en plus indéfendables à la lumière de la jurisprudence de la Cour sur le principe de protection juridictionnelle effective (88).

99.
    Ainsi, le moment est maintenant venu d'améliorer la protection juridictionnelle des particuliers et de revoir l'interprétation stricte de l'article 230, paragraphe 4, CE qui, en encourageant les particuliers à soulever des questions de validité devant la Cour par l'intermédiaire de l'article 234 CE, a pour effet de retirer au Tribunal des affaires qu'il a cependant vocation à examiner.

Conclusion

100.
    La jurisprudence relative à la qualité à agir de particuliers devant la Cour (maintenant devant le Tribunal) a, au cours des années, donné lieu à bon nombre de commentaires, dont la plupart étaient très critiques. Il ne peut être nié que la recevabilité limitée des recours formés par des particuliers est largement considérée comme un des aspects les moins satisfaisants de l'ordre juridique communautaire (89). Ce n'est pas simplement la restriction quant à l'accès aux juridictions qui est critiquée; mais également la complexité et l'apparente incohérence qui ont résulté des tentatives de la Cour d'admettre des actions lorsque l'approche traditionnelle aurait mené à un «déni de justice» manifeste. Ainsi, l'une des études récentes la plus complète et faisant autorité en la matière, fait référence à «la tache dans le paysage du droit communautaire que constitue la jurisprudence sur la recevabilité» (90). Bien qu'il existe des doutes sur l'importance des critiques qui peuvent être formulées à l'égard de la jurisprudence, il est certainement indiscutable que l'accès à la Cour est l'un des domaines qui, plus que tout autre, exige que le droit soit clair, cohérent et aisément compréhensible.

101.
    Dans les présentes conclusions, nous avons fait valoir que la Cour devrait - plutôt qu'envisager, sur la base de l'arrêt Greenpeace, précité, une autre exception limitée à sa jurisprudence restrictive sur la qualité à agir - revoir cette jurisprudence et adopter une interprétation plus satisfaisante de la notion de personne individuellement concernée.

102.
    Il peut être utile de résumer les arguments à l'appui de ce point de vue de la manière suivante:

1)    La proposition fondamentale soutenue par la Cour, selon laquelle la possibilité pour un particulier de susciter une demande de décision préjudicielle confère une protection juridictionnelle complète et effective contre des mesures de portée générale, soulève des objections sérieuses:

    - au titre de la procédure préjudicielle, le requérant n'a pas le droit de décider s'il y a lieu de soumettre ou non une question à la Cour ni de déterminer les mesures qui seront déférées ou les motifs d'invalidité qui seront invoqués. Il n'a dès lors aucun droit d'accès à la Cour. D'autre part, la juridiction nationale ne peut elle-même faire droit à la demande et déclarer la mesure de portée générale attaquée invalide;

    - il existe un risque de déni de justice dans les affaires où il est difficile ou impossible pour un particulier de contester indirectement une mesure de portée générale (par exemple, lorsqu'il n'existe pas de mesures d'exécution pouvant constituer le fondement d'un recours ou lorsqu'il faudrait que le particulier enfreigne la loi pour pouvoir contester les sanctions qui en découlent);

    - la sécurité juridique plaide en faveur de ce qu'une mesure de portée générale puisse faire l'objet d'un recours dans les meilleurs délais et non pas seulement après l'adoption de mesures d'exécution;

    - des recours indirects formés contre des mesures de portée générale par l'intermédiaire de demandes de décisions préjudicielles au titre de l'article 234 CE portant sur la validité desdites mesures présentent bon nombre de désavantages procéduraux par rapport aux recours directs introduits au titre de l'article 230 CE devant le Tribunal. Ces désavantages concernent, par exemple, la participation de l'institution (ou des institutions) ayant adopté la mesure, les retards et les coûts, l'octroi de mesures provisoires et la possibilité d'une intervention de tiers.

2)    Il ne peut être pallié à ces objections par voie d'exception, en reconnaissant à un requérant une qualité à agir dans les cas où, en vertu du droit national, il ne disposerait d'aucun moyen de susciter une demande de décision préjudicielle sur la validité des mesures contestées. Une telle approche:

    - ne trouve aucun fondement dans le texte du traité;

    - obligerait inévitablement les juridictions communautaires à interpréter et à appliquer les règles de droit national, un rôle pour lequel elles ne sont ni correctement préparées ni même compétentes;

    - entraînerait des inégalités entre les opérateurs de différents États membres ainsi qu'une diminution accrue de la sécurité juridique.

3)    Il ne peut davantage être pallié à ces objections en considérant qu'il existe une obligation pour les États membres de faire en sorte de prévoir dans leurs ordres juridiques respectifs la possibilité de déférer des demandes portant sur la validité de mesures communautaires de portée générale. Une telle approche:

    - laisserait non résolus la plupart des problèmes liés à la situation actuelle, tels que l'absence de voies de recours de plein droit, les retards inutiles et les coûts pour le particulier ou l'octroi de mesures provisoires;

    - serait difficile à contrôler et à mettre en oeuvre, et

    - impliquerait des interférences importantes avec l'autonomie procédurale nationale.

4)    La seule solution satisfaisante consiste dès lors à reconnaître qu' un particulier est individuellement concerné par une mesure communautaire lorsque la mesure nuit, ou est susceptible de nuire à ses intérêts, de manière substantielle. Cette solution présente les avantages suivants:

    - elle résout tous les problèmes exposés ci-dessus: les requérants se voient octroyer un droit réel d'accès direct à une juridiction qui peut octroyer une réparation. Les cas de déni de justice potentiel sont évités, et la protection juridictionnelle est améliorée de différentes manières;

    - elle supprime également l'anomalie existant en vertu de la jurisprudence actuelle et qui fait que plus le nombre de personnes affectées est important, moins elles ont de chances d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif;

    - les règles de plus en plus complexes et imprévisibles relatives à la qualité à agir sont remplacées par des conditions beaucoup plus simples qui, dans les affaires devant les juridictions communautaires, placent l'accent non plus sur des questions purement formelles de recevabilité, mais sur des questions de fond;

    - une telle réinterprétation est conforme à la tendance générale de la jurisprudence d'étendre la portée de la protection juridictionnelle en réponse à l'augmentation des pouvoirs des institutions communautaires (AETR, Les Verts, Tchernobyl);

5)    Les objections à l'assouplissement des conditions relatives à la qualité à agir ne sont pas convaincantes. En particulier:

    - le libellé de l'article 230 CE ne l'empêche pas;

    - isoler des mesures potentiellement illégales d'un contrôle juridictionnel ne peut être justifié par des motifs d'efficacité administrative ou législative: la protection du processus législatif doit se faire par des moyens de contrôle de fond appropriés;

    - les craintes de surcharger le Tribunal semblent exagérées dès lors que le délai fixé à l'article 230, paragraphe 5, CE et l'exigence selon laquelle la personne doit être directement concernée empêcheraient une augmentation insurmontable du volume des affaires; il existe des moyens procéduraux permettant de juguler l'augmentation du nombre d'affaires.

6)    L'objection majeure peut être que la jurisprudence existe depuis un certain temps. Plusieurs éléments portent toutefois à croire que le moment est maintenant venu pour un changement. En particulier:

    - la jurisprudence dans de nombreux cas limites n'est pas stable, et a d'ailleurs été assouplie au cours de ces dernières années, avec pour conséquence que les décisions relatives à la recevabilité sont devenues de plus en plus complexes et imprévisibles;

    - la jurisprudence est de plus en plus en décalage avec les évolutions plus libérales des droits des États membres;

    - l'instauration du Tribunal de première instance et le transfert progressif à cette juridiction de toutes les actions introduites par des particuliers rendent l'assouplissement des conditions relatives à la qualité à agir des particuliers contre des mesures de portée générale de plus en plus approprié;

    - la jurisprudence de la Cour sur le principe de la protection juridictionnelle effective au sein des juridictions nationales rend la justification de restrictions étroites sur la qualité à agir devant les juridictions communautaires de plus en plus difficile.

103.
    Pour toutes ces raisons, nous concluons qu'un particulier devrait être considéré comme individuellement concerné par une mesure communautaire au sens de l'article 230, paragraphe 4, CE lorsque, en raison de la situation dans laquelle il se trouve, la mesure nuit, ou est susceptible de nuire, à ses intérêts de manière substantielle.

104.
    Puisque l'ordonnance attaquée du Tribunal est fondée sur une interprétation plus restrictive de la notion de personne individuellement concernée, nous considérons qu'elle devrait être annulée. La question de savoir si l'action introduite par l'UPA est recevable doit, toutefois, être tranchée - en conformité avec l'arrêt à intervenir dans la présente affaire - par le Tribunal.

105.
    À la lumière de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres arguments défendus par l'UPA selon lesquels la motivation développée aux points 61 à 64 de l'ordonnance contestée est insuffisante ou contradictoire, et est fondée sur une mauvaise interprétation des arguments avancés par l'UPA.

106.
    L'UPA précise qu'elle ne demande pas que ses dépens soient pris en charge par la partie adverse et nous estimons dès lors que la Cour de justice devrait:

1)    annuler l'ordonnance attaquée;

2)    condamner l'UPA, le Conseil et la Commission à supporter leurs dépens respectifs.


1: -     Langue originale: l'anglais.


2: -     Ordonnance du 23 novembre 1999, Unión de Pequeños Agricultores (UPA)/Conseil (T-173/98, Rec. p. II-3357).


3: -     Règlement du Conseil, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 136/66/CEE portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO L 210, p. 32).


4: -     Voir arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197), et, très récemment, du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills (C-451/98, Rec. p. I-8949).


5: -     Pour des commentaires critiques relatifs à cette jurisprudence formulés par les membres de la Cour de justice et du Tribunal de première instance, voir Schockweiler, F., «L'accès à la justice dans l'ordre juridique communautaire», Journal des tribunaux, Droit européen, n° 25, 1996, p. 1, p. 6 à 8; Moitinho de Almeida, J., «Le recours en annulation des particuliers (article 173, deuxième alinéa, du traité CE): nouvelles réflexions sur l'expression ‘la concernent [...] individuellement’», Festschrift für Ulrich Everling, vol. I, 1995, p. 849, aux p. 857 à 866; Mancini, G., «The role of the supreme courts at the national and international level: a case study of the Court of Justice of the European Communities», The Role of the Supreme Courts at the National and International Level, P. Yessiou-Faltsi ed., 1998, p. 421, p. 437 à 438; Lenaerts, K., «The legal protection of private parties under the EC Treaty: a coherent and complete system of judicial review?», Scritti in onore di Giuseppe Federico Mancini, vol. II, 1998, p. 591 à 617; Saggio, A., «Appunti sulla ricevibilità dei ricorsi d'annullamento proposti da persone fisiche o giuridiche in base all'Art. 173, quarto comma, del Trattato CE», Scritti in onore di Giuseppe Federico Mancini, vol. II, 1998, p. 879, p. 903 à 904; et notre article «Access to justice as a fundamental right in European Law», Mélanges en hommage à Fernand Schockweiler, 1999, p. 197.

    Voir en outre, les arguments formulés au soutien de voies de recours plus étendues pour les particuliers dans les conclusions des avocats généraux, par exemple les conclusions de l'avocat général Slynn présentées le 6 mai 1982, dans l'affaire Bethel (246/81, Rec. p. 2277 à 2299), les conclusions que nous avons présentées le 8 avril 1992 dans l'affaire Extramet Industrie/Conseil (C-358/89, Rec. p. I-3813, points 71 à 74), et les conclusions que nous avons présentées le 15 septembre 1993 dans l'affaire TWD Textilwerke Deggendorf (C-188/92, Rec. p. I-833, points 20 à 23), et les conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 12 septembre 1996 dans l'affaire Associazione agricoltori della provincia di Rovigo e.a./Commission e.a. (C-142/95 P, Rec. 1996, p. I-6669, points 40 et 41).


6: -     Pour des critiques formulées dans une doctrine récente voir, entre autres, Arnull, A., «Private applicants and the action for annulment under Article 173 of the EC Treaty», Common Market Law Review, 1995, p. 7, et «Private applicants and the action for annulment since Codorniu», Common Market Law Review, 2001, p. 7; Waelbroeck, D., et Verheyden, A.-M., «Les conditions de recevabilité des recours en annulation des particuliers contre les actes normatifs communautaires: à la lumière du droit comparé et de la convention des droits de l'homme», Cahiers de droit européen, 1995, p. 399; Vandersanden, G., «Pour un élargissement du droit des particuliers d'agir en annulation contre des actes autres que les décisions qui leur sont adressées», Cahiers de droit européen, 1995, p. 535; Allkemper, L., Der Rechtsschutz des einzelnen nach dem EG-Vertrag: Möglichkeiten seiner Verbesserung, 1995, p. 39 et 40; Heukels, T., «Collectief actierecht ex artikel 173 lid 4 EG: een beperkte actieradius voor grote belangen», Nederlands Tijdschrift voor Europees Recht 1999, p. 16; Boni, D., «Il ricorso di annullamento delle persone fisiche e giuridiche», in Il ricorso di annullamento nel Trattato istitutivo della Comunità, 1998, p. 53; Ortega, M., El acceso de los particulares a la justicia comunitaria, 1999, p. 225 à 230; Cavallin, S., «Direct ogiltighetstalan inför EG-Domstolen i ljuset av svensk förvaltnings- och konkurrensträtt», Europarättslig tidskrift, 2000, p. 622, p. 635 à 636.


7: -     Points 1 à 6.


8: -     Règlement n° 136/66/CEE du Conseil, du 22 septembre 1966, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO n° P 172 du 30 septembre 1966, p. 3025).


9: -     Point 34.


10: -     Points 35 à 44.


11: -     Point 45.


12: -     Point 46.


13: -     Point 48.


14: -     Point 49.


15: -     Point 50.


16: -     Points 52 à 57.


17: -    Point 59.


18: -     Point 60.


19: -     Points 63 et 64.


20: -     La Commission se réfère, à cet égard, à l'arrêt du 30 avril 1998, Cityflyer Express (T-16/96, Rec p. II-757, points 30 à 35).


21: -     Arrêt du 2 avril 1998 (C-321/95 P, Rec. p. I-1651, points 32 à 34).


22: -     Point 27 de l'arrêt.


23: -     Points 30 et 31 de l'arrêt.


24: -     Points 32 à 34 de l'arrêt.


25: -     Ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000 [C-300/00 P(R), Rec. p. I-8797, point 37].


26: -     Voir également ordonnance du 1er février 2001, Area Cova e.a./Conseil et Commission (C-301/99 P, Rec. p. I-1005, point 47).


27: -     Voir, dans le même sens, arrêt du 15 février 1996, Buralux e.a./Conseil (C-209/94 P, Rec. p. I-615, points 35 et 36).


28: -     Arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, (294/83, Rec. p. 1339, point 23).


29: -     Voir, dans le même sens, les conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 9 juin 1992 dans l'affaire Oleificio Borelli/Commission (C-97/91, Rec. p. I-6313, point 31).


30: -     Voir, par exemple, arrêt du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, point 18).


31: -     Proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1).


32: -     Arrêt du 22 octobre 1987, Foto-Frost (314/85, Rec. p. 4199).


33: -     En outre, en relation avec le titre IV, troisième partie, du traité CE, seules les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel peuvent déférer à la Cour une demande de décision préjudicielle: voir article 68, paragraphe 1, CE.


34: -     Voir arrêts du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen (C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415); du 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft (C-465/93, Rec. p. I-3761).


35: -     La seule exception étant celle où le particulier a omis de demander l'annulation de la mesure en question lorsqu'il n'existe aucun doute quant à sa qualité pour le faire au titre de l'article 230 CE, voir arrêts TWD Textilwerke Deggendorf, cité note 5; du 30 janvier 1997, Wiljo (C-178/95, Rec. p. I-585), et du 15 février 2001, Nachi Europe (C-239/99, Rec. p. I-1197).


36: -     Voir, par exemple, Arnull, A., «Private applicants and the action for annulment since Codorniu», cité note 6, p. 52, et d'autres articles cités note 5 ci-dessus.


37: -     Voir les arrêts cités note 35.


38: -     Voir à cet égard, en particulier, arrêt du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C-331/88, Rec. p. I-4023, point 14).


39: -     Arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR» (22/70, Rec. p. 263, points 39 à 42).


40: -     Accord européen relatif au travail des équipages de véhicules effectuant des transports internationaux par route (AETR).


41: -     Pour l'application de ce principe à une communication de la Commission, voir arrêt du 20 mars 1997, France/Commission (C-57/95, Rec. p. I-1627).


42: -     Citée note 28, points 24 et 25.


43: -     Voir également ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld (C-2/88 Imm., Rec. p. I-3365, points 23 et 24).


44: -     Arrêt du 22 mai 1990, Parlement/Conseil (C-70/88, Rec. p. I-2041).


45: -     Point 27.


46: -     Point 26.


47: -     Arrêt du 29 mars 1990, Grèce/Conseil (C-62/88, Rec. p. I-1527, point 8).


48: -     Voir Schockweiler, F., «L'accès à la justice dans l'ordre juridique communautaire», Journal des tribunaux, Droit européen, n° 25, 1996, p. 1, 7.


49: -     Voir ci-dessus points 68 à 70.


50: -     Arrêts du 23 avril 1956, groupement des industries sidérurgiques luxembourgeoises/Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (7/54 et 9/54, Rec. p. 53); du 29 novembre 1956, Fédération charbonnière de Belgique/Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (8/55, Rec. p. 291).


51: -     Voir, en particulier, les conclusions jointes de l'avocat général Lagrange présentées le 20 novembre 1962 dans l'affaire Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil (16/62 et 17/62, Rec. p. 901, 916); Hartley, T., «The Foundations of European Community Law» (quatrième éd., 1998), p. 376.


52: -     Voir, à cet égard, les inquiétudes exprimées par l'avocat général Lagrange dans l'affaire Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil, citée note 51, p. 916 des conclusions.


53: -     Cet argument n'a jamais été appliqué aux règlements et aux directives de la Commission adoptés par un vote à la majorité à l'origine de la CE, ni aux règlements et aux directives de la Commission.


54: -     Voir Arnull, A., «The action for annulment: a case of double standards?», Judicial Review in European Union Law: Liber Amicorum in Honour of Lord Slynn of Hadley, vol. I, 2000, p. 177, p. 189.


55: -     Voir ci-après point 85.


56: -     Ces amendements, qui sont entrés en vigueur le 1er février 2001, ont été publiés au JO 2000, L 322, p. 1.


57: -     JO 2001, C 80, p. 1.


58: -     En vertu de l'article 245 CE, des modifications proposées par la Cour et par le Tribunal exigeaient une approbation unanime du Conseil. La proposition de modification des articles 224 et 225 CE prévoit une approbation du Conseil, statuant à la majorité qualifiée.


59: -     Proposition d'un nouvel article 225, sous a), CE.


60: -     Affaire C-358/89, citée note 5.


61: -     Arrêt du 18 mai 1994, Codorniu (C-309/89, Rec. p. I-1853).


62: -     Arrêt Antillean Rice Mills, cité note 4, point 46.


63: -     Ibidem, point 49.


64: -     Point 21.


65: -     Point 22.


66: -     Voir ci-dessus point 35.


67: -     Rapport de la Cour de justice sur certains aspects de l'application du traité sur l'Union européenne, Luxembourg, mai 1995.


68: -     Point 20.


69: -     Voir, en particulier, Arnull, A., «Private applicants and the action for annulment under Article 173 of the EC Treaty», cité note 6, p. 7 à 9; Waelbroeck, D., et Verheyden, A-M, «Les conditions de recevabilité des recours en annulation des particuliers contre les actes normatifs communautaires: à la lumière du droit comparé et de la Convention des droits de l'homme», cité note 6, p. 403 à 425; Albors-Llorens, A., «Private Parties in EC Law, 1996», p. 30 à 40; Harlow, C., «Access to justice as a human right», in The EU and Human Rights, P. Alston (ed.), 1999, p. 187 à 193.


70: -     Voir Chapus, R., Droit du contentieux administratif, 9e éd., 2001, p. 419 à 457.


71: -     Voir De Smith, Woolf et Jowell, Judicial Review of Administrative Action, 1995, p. 106 à 127.


72: -     Voir, en particulier, les arrêts de la Højesteret danoise dans Hanne Norup Carlsen v Statsminister Poul Nyrup Rasmussen (UfR 1999 H 800); arrêt du Bundesverfassungsgericht allemand dans Brunner v Le traité sur l'Union européenne (2 BvR 2134/92 et BvR 2159/92, BVerfGE 89, p. 155), et arrêt de la Corte Costituzionale (Italie) dans Fragd SpA v Amministrazione delle Finanze [décision 232 du 21 avril 1989, (1989) 72 RDI].


73: -     Voir Favoreu, L., et Jolowicz, J., (eds.), Le contrôle juridictionnel des lois, 1986; Brewer-Carias, A., Judicial Review in Comparative Law, 1989.


74: -     Brunner, G., «Development of a constitutional judiciary in Eastern Europe», Review of Central and East European Law, 1992, p. 535; Schwartz, H., «The new East European constitutional courts», Michigan journal of international law, 1992, p. 741; Verdussen, M., (ed.), La justice constitutionnelle en Europe centrale, 1997.


75: -     En vertu de l'article 34 de la constitution irlandaise, la High Court est compétente pour assurer le contrôle de constitutionnalité des actes de loi, avec une possibilité d'appel à la Supreme Court.


76: -     L'absence d'une hiérarchie des normes en droit communautaire a été soulignée, lorsque le traité sur l'Union européenne a été adopté, dans une déclaration annexée à l'acte final. La déclaration n° 16 relative à la hiérarchie des actes communautaires prévoit que «[...] la conférence intergouvernementale qui sera convoquée en 1996 examinera dans quelle mesure il serait possible de revoir la classification des actes communautaires en vue d'établir une hiérarchie appropriée entre les différentes catégories de normes.»


77: -     Article 202 CE.


78: -     Décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1).


79: -     Cinquième considérant du préambule.


80: -     Quatrième considérant du préambule.


81: -     Voir décision 93/350/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, (JO L 144, p. 21); décision 94/149/CECA, CE du Conseil, du 7 mars 1994, portant modification de la décision 93/350/Euratom, CECA, CE modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 66, p. 29).


82: -     Cité note 57.


83: -     Arrêt Johnshon, cité note 30.


84: -     Voir, en particulier, arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a. (222/86, Rec. p. 4097); du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli (C-97/91, Rec. p. I-6313); du 11 janvier 2001, Kofisa Italia (C-1/99, Rec. p. I-207), et du 11 janvier 2001, Siples (C-226/99, Rec. p. I-277).


85: -     Arrêt du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C-213/89, Rec. p. I-2433, points 19 à 22).


86: -     Arrêt du 11 juillet 1991, Verholen e.a. (C-87/90, C-88/90 et C-89/90, Rec. p. I-3757, points 23 à 24).


87: -    Voir Caranta, R., «Judicial protection against Member States: a new jus commune takes shape», Common Market Law Review, 1995, p. 703, 724 et 725. Voir, dans le même sens, Harlow, C., «Towards a theory of access for the European Court of Justice», Yearbook of European Law, 1992, p. 213, 223 à 229; Kilpatrick, C., «The future of remedies in Europe», The Future of Remedies in Europe, Kilpatrick, C., Novitz T., et Skidmore, P., (eds.) 2000, p. 9; Ward, A., Judicial Review and the Rights of Private Parties in EC Law, 2000, p. 242; Arnull, A., article cité note 54.


88: -     À cet égard, il peut être souligné que la Cour a explicitement rejeté la possibilité d'appliquer deux poids et deux mesures dans le contexte de mesures provisoires: voir arrêt Suckerfabrik Süderdithmarschen, cité note 34, point 20.


89: -     Voir ci-dessus, note 5.


90: -     Arnull, A., «Private applicants and the action for annulment since Codorniu, cité note 6, p. 52.