Language of document : ECLI:EU:C:2019:954

Affaire C363/18

Organisation juive européenne
et
Vignoble Psagot Ltd

contre

Ministre de l’Économie et des Finances

[demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d’État (France)]

 Arrêt de la Cour (grande chambre) du 12 novembre 2019

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 1169/2011 – Information des consommateurs sur les denrées alimentaires – Mention obligatoire du pays d’origine ou du lieu de provenance d’une denrée alimentaire dans le cas où son omission est susceptible d’induire les consommateurs en erreur – Obligation, pour les denrées alimentaires originaires de territoires occupés par Israël, de porter la mention de leur territoire d’origine, accompagnée, dans le cas où elles proviennent d’une colonie israélienne à l’intérieur de ce territoire, de la mention d’une telle provenance »

Rapprochement des législations – Information des consommateurs sur les denrées alimentaires – Règlement no 1169/2011 – Informations obligatoires sur les denrées alimentaires – Mention obligatoire du pays d’origine ou du lieu de provenance d’une denrée alimentaire – Omission de cette mention pouvant induire les consommateurs en erreur – Denrées alimentaires originaires de territoires occupés par Israël – Obligation pour ces denrées de porter la mention de leur territoire d’origine, accompagnée, dans le cas des denrées provenant d’une colonie israélienne à l’intérieur de ce territoire, de la mention d’une telle provenance

[Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1169/2011, art. 9, § 1, i) et 26, § 2, a)]

(voir points 25, 28, 32, 36-38, 41, 43-45, 48-51, 53-58)


Résumé

Les denrées alimentaires originaires des territoires occupés par l’État d’Israël doivent porter la mention de leur territoire d’origine, accompagnée, lorsque ces denrées proviennent d’une colonie israélienne à l’intérieur de ce territoire, de la mention de cette provenance

Dans l’arrêt Organisation juive européenne et Vignoble Psagot (C‑363/18), prononcé le 12 novembre 2019 et portant sur l’interprétation du règlement (UE) no 1169/2011 (1), la Cour, réunie en grande chambre, a dit pour droit que les denrées alimentaires originaires de territoires occupés par l’État d’Israël doivent porter la mention de leur territoire d’origine, accompagnée, dans le cas où elles proviennent d’une localité ou d’un ensemble de localités constituant une colonie israélienne à l’intérieur de ce territoire, de la mention de cette provenance.

Le litige au principal opposait l’Organisation juive européenne et Vignoble Psagot Ltd au ministre de l’Économie et des Finances français au sujet de la légalité d’un avis relatif à l’indication de l’origine des marchandises issues des territoires occupés par l’État d’Israël depuis le mois de juin 1967 et exigeant que ces denrées alimentaires soient revêtues des mentions en question. Cet avis faisait suite à la publication, par la Commission européenne, d’une communication interprétative relative à l’indication de l’origine des marchandises issues de ces territoires (2).

En premier lieu, la Cour a observé que le pays d’origine ou le lieu de provenance d’une denrée alimentaire doit, conformément aux articles 9 et 26 du règlement no 1169/2011, être mentionné lorsque l’omission d’une telle mention est susceptible d’induire en erreur les consommateurs, en leur laissant penser que cette denrée alimentaire a un pays d’origine ou un lieu de provenance différent de son pays d’origine ou de son lieu de provenance réel. Par ailleurs, elle a noté que, lorsque la mention d’origine ou de provenance est indiquée sur une denrée alimentaire, elle ne doit pas être trompeuse.

En deuxième lieu, la Cour a précisé tant l’interprétation de la notion de « pays d’origine » (3) que celle des termes « pays » et « territoire » au sens du règlement no 1169/2011. À cet égard, elle a noté que cette notion est définie à l’article 2, paragraphe 3, dudit règlement, par renvoi au code des douanes de l’Union (4), aux termes duquel sont à considérer comme originaires d’un « pays » ou d’un « territoire » donné les marchandises qui soit ont été entièrement obtenues dans ce pays ou territoire, soit ont subi leur dernière transformation ou ouvraison substantielle dans ledit pays ou territoire (5).

S’agissant du terme « pays », utilisé à de nombreuses reprises par les traités UE et FUE en tant que synonyme du terme « État », la Cour a relevé que, afin d’assurer une interprétation cohérente du droit de l’Union, il faut conférer le même sens à ce terme dans le code des douanes de l’Union et, partant, dans le règlement no 1169/2011. Or, l’« État » désigne une entité souveraine exerçant, à l’intérieur de ses frontières géographiques, la plénitude des compétences reconnues par le droit international. En ce qui concerne le terme « territoire », la Cour a noté qu’il résulte de la formulation même du code des douanes de l’Union (6) qu’il désigne des entités autres que des « pays » et, par suite, autres que des « États ». Dans ce contexte, la Cour a précisé que le fait d’apposer, sur des denrées alimentaires, la mention selon laquelle l’État d’Israël est leur « pays d’origine », alors que ces denrées sont en réalité originaires de territoires disposant chacun d’un statut international propre et distinct de celui de cet État, tout en étant occupés par ce dernier et soumis à une juridiction limitée de celui-ci, en tant que puissance occupante au sens du droit international humanitaire, serait de nature à induire les consommateurs en erreur. Par conséquent, la Cour a dit pour droit que la mention du territoire d’origine des denrées alimentaires en cause est obligatoire, au sens du règlement no 1169/2011, afin d’éviter que les consommateurs ne puissent être induits en erreur quant au fait que l’État d’Israël est présent dans les territoires concernés en tant que puissance occupante et non pas en tant qu’entité souveraine.

S’agissant, en troisième et dernier lieu, de la notion de « lieu de provenance » (7), la Cour a énoncé qu’elle doit être comprise comme renvoyant à tout espace géographique déterminé situé à l’intérieur du pays ou du territoire d’origine d’une denrée alimentaire, à l’exclusion d’une adresse de producteur. Ainsi, la mention selon laquelle une denrée alimentaire est issue d’une « colonie israélienne » située dans un des « territoires occupés par l’État d’Israël » peut être regardée comme une mention de « lieu de provenance » pour autant que le terme « colonie » renvoie à un lieu géographiquement déterminé.

Par ailleurs, s’agissant de la question de savoir si la mention « colonie israélienne » revêt un caractère obligatoire, la Cour a tout d’abord souligné que les colonies de peuplement installées dans certains des territoires occupés par l’État d’Israël se caractérisent par la circonstance qu’elles concrétisent une politique de transfert de population menée par cet État en dehors de son territoire, en violation des règles du droit international humanitaire (8). La Cour a ensuite jugé que l’omission de cette mention, impliquant que seul le territoire d’origine serait mentionné, est susceptible d’induire les consommateurs en erreur. En effet, ceux-ci ne peuvent pas savoir, en l’absence de toute information de nature à les éclairer à ce sujet, qu’une denrée alimentaire a pour lieu de provenance une localité ou un ensemble de localités constituant une colonie de peuplement installée dans l’un desdits territoires en méconnaissance des règles de droit international humanitaire. Or, la Cour a noté que, en vertu des dispositions du règlement no 1169/2011 (9), l’information des consommateurs doit permettre à ces derniers de se décider en toute connaissance de cause et dans le respect non seulement de considérations sanitaires, économiques, écologiques ou sociales, mais également de considérations d’ordre éthique ou ayant trait au respect du droit international. La Cour a souligné à cet égard que de telles considérations pouvaient influencer les décisions d’achat des consommateurs.


1      Règlement (UE) no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) no 1924/2006 et (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) no 608/2004 de la Commission (JO 2011, L 304, p. 18).


2      Communication interprétative relative à l’indication de l’origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 (JO 2015, C 375, p. 4).


3      Articles 9, paragraphe 1, sous i), et 26, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1169/2011.


4      Règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1).


5      Article 60 du règlement no 952/2013.


6      Article 60 du règlement n952/2013.


7      Articles 9, paragraphe 1, sous i), et 26, paragraphe 2, sous a), du règlement n1169/2011.


8      Article 49, 6e alinéa de la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, conclue le 12 août 1949.


9      Considérants 3 et 4 et article 3, paragraphe 1, du règlement no 1169/2011.