Language of document : ECLI:EU:F:2014:106

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

22 mai 2014 (*)

« Fonction publique – Agent temporaire – Contrat à durée indéterminée – Décision de résiliation du contrat »

Dans l’affaire F‑42/13,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

CU, agent temporaire du Comité économique et social européen, demeurant à Woluwé-Saint-Étienne (Belgique), représentée par Mes L. Levi et A. Blot, avocats,

partie requérante,

contre

Comité économique et social européen (CESE), initialement représenté par Mme M. Arsène et M. L. Camarena Januzec, en qualité d’agents, assistés de Mes F.‑M. Hislaire et M. Troncoso Ferrer, avocats, puis par Mme M. Pascua Mateo et M. L. Camarena Januzec, en qualité d’agents, assistés de Mes F.‑M. Hislaire et M. Troncoso Ferrer, avocats,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de MM. H. Kreppel, président, E. Perillo et R. Barents (rapporteur), juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 janvier 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 8 mai 2013, CU demande l’annulation de la décision du Comité économique et social européen (CESE), du 16 octobre 2012, de résilier son contrat d’agent temporaire à durée indéterminée et, pour autant que de besoin, l’annulation de la décision du 31 janvier 2013 et de la décision du 24 avril 2013, rejetant sa réclamation, ainsi que la condamnation du CESE à réparer le préjudice matériel subi et à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral.

 Cadre juridique

2        L’article 41, intitulé « Droit à une bonne administration », de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :

« 1.      Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union.

2.      Ce droit comporte notamment :

a)      le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ;

[…] 

c)      l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

[…] »

3        Le cadre juridique est également constitué des articles 47 à 50 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne dans sa version antérieure à l’adoption du règlement (CE, Euratom) no 723/2004 du Conseil du 22 mars 2004 (JO L 124, p. 1) (ci-après le « RAA » ou le « RAA en vigueur jusqu’au 30 avril 2004 »).

 Faits à l’origine du litige

4        La requérante a été engagée par le CESE le 1er février 1986 en tant qu’agent auxiliaire. Le 1er septembre 1988, elle a obtenu un contrat d’agent temporaire pour une durée indéterminée et a été affectée à la présidence, au secrétariat du groupe I (groupe des employeurs), afin d’exercer les fonctions de secrétaire sténodactylographe. Son contrat prévoyait que les conditions prévues aux articles 47 à 50 du RAA seraient applicables en cas de résiliation. Tout au long de sa carrière au sein du CESE, quatre avenants au contrat ont été adoptés. Le dernier avenant, daté du 19 mai 2009, prévoyait le classement de la requérante au grade AST 8, échelon 1.

5        Le 17 juillet 2012, M. M., alors président du groupe I, et qui deviendra président du CESE à compter du 1er avril 2013, a adressé une note confidentielle au directeur des ressources humaines et des services intérieurs du CESE faisant part de ses « interrogations sérieuses » relatives à la prolongation du contrat de la requérante, en invoquant d’une part, la « [p]erte du lien de confiance propre à un travail auprès d’un [g]roupe » et, d’autre part, une faute grave dans un dossier connu du service financier du CESE. Selon les termes de cette lettre, il indiquait être « en total accord avec [M. K.], qui devrait prendre la [p]résidence du [g]roupe I à partir du mois d’avril 2013 ».

6        Dans une seconde note au même directeur, datée du 17 septembre 2012, M. M., en rappelant la première note du 17 juillet 2012 et en invoquant « l’accumulation des problèmes rencontrés » avec la requérante, a demandé qu’il soit mis fin à son contrat dans les meilleurs délais.

7        Par lettre du 16 octobre 2012, remise lors de l’entretien du 18 octobre suivant (ci-après la « décision du 16 octobre 2012 »), le secrétaire général du CESE, agissant en qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC »), a informé la requérante que « [c]onformément aux dispositions de l’article 2 de [son] contrat régi par les dispositions du [RAA] en vigueur jusqu’au 30 avril 2004, [son] contrat p[ouvai]t être résilié par le CESE moyennant notification d’un délai de préavis prévu à l’article 47[, paragraphe] 2[, sous a),] dudit régime, fixé à trois mois ». Il ajoutait que « [son] engagement au CESE prendra[it] fin le 31 janvier 2013, dans le respect de ce délai de préavis débutant officiellement le 1er novembre 2012 » et précisait que « [l]e motif de résiliation de [son] contrat résid[ait] dans la rupture du lien de confiance avec le [p]résident du [g]roupe auprès duquel [elle] travaill[ait] ».

8        Le 18 octobre 2012, la requérante a été convoquée à un entretien avec le chef de l’unité compétente au sein de la direction des ressources humaines et des services intérieurs. Au cours de cet entretien, elle a été informée de la résiliation de son contrat et des raisons ayant motivé la fin de son engagement. Également lors de cet entretien, le chef d’unité lui a indiqué que son départ à la retraite constituerait une solution alternative à la résiliation dudit contrat. Un second entretien a été fixé au 25 octobre 2012.

9        La requérante a été en congé de maladie du 22 octobre 2012 jusqu’au 30 avril 2013.

10      Le 6 décembre 2012, la requérante a introduit une réclamation contre la décision du 16 octobre 2012.

11      Par courrier du 31 janvier 2013 (ci-après la « décision du 31 janvier 2013 »), l’AHCC a annoncé à la requérante que sa réclamation ferait l’objet d’une réponse par un prochain courrier séparé et que, afin de prendre en compte ses congés de maladie, la fin de son engagement serait reportée au 30 avril 2013. Cette lettre contenait également le passage suivant :

« [C]ompte tenu de l’évolution des circonstances depuis la notification de votre préavis au 1er novembre 2012 et la fin de votre engagement au 31 janvier 2013, l’administration du CESE est amenée à modifier les termes de sa lettre du 16 octobre 2012 annulée et remplacée par la présente lettre.

[…]

[L]a décision de licenciement trouve sa justification dans la rupture du lien de confiance – élément essentiel d’un poste de nature politique. En outre, en vue du changement de la présidence du [g]roupe des [e]mployeurs, le successeur à la tête de ce [g]roupe dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant au personnel dont il souhaite s’entourer. L’administration du CESE regrette de [ne pas être] en mesure de vous réintégrer à votre poste et ne dispose pas de la disponibilité budgétaire pour vous réaffecter dans un autre service dans les conditions équivalentes à celles de votre contrat actuel. »

12      Le 6 mars 2013, la requérante a envoyé une lettre à l’AHCC contestant la décision du 31 janvier 2013.

13      Le 24 avril 2013, l’AHCC a rejeté la réclamation du 6 décembre 2012 (ci-après la « décision du 24 avril 2013 »).

14      Le 3 juillet 2013, l’AHCC a répondu au courrier de la requérante du 6 mars 2013, indiquant dans son objet : « [v]otre réclamation du 6 mars 2013 introduite au titre de l’article 90[, paragraphe 2,] du [s]tatut des fonctionnaires de l’Union européenne […] contre la décision du 31 janvier 2013 ».

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 16 octobre 2012 ;

–        en tant que de besoin, annuler la décision du 31 janvier 2013 et celle du 24 avril 2013 ;

–        réparer le préjudice matériel subi ;

–        lui octroyer la somme fixée ex æquo et bono et à titre provisoire à 15 000 euros, au titre du préjudice moral subi ;

–        condamner le CESE aux dépens.

16      Le CESE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, déclarer le recours irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du recours

 Arguments des parties

17      Selon le CESE, le recours est irrecevable dans la mesure où il est formé contre la décision du 16 octobre 2012, celle-ci ayant été annulée et remplacée par la décision du 31 janvier 2013. Ainsi, au moment de l’introduction du présent recours, la procédure précontentieuse relative à cette dernière décision n’aurait pas encore été terminée, le CESE disposant d’un délai allant jusqu’au 6 juillet 2013 pour répondre à la seconde réclamation du 6 mars 2013.

18      La requérante soutient que la décision du CESE du 31 janvier 2013 n’aurait qu’un caractère purement confirmatif par rapport à la décision du 16 octobre 2012. Cette dernière décision ne serait fondée sur aucun fait nouveau et concernerait toujours la même résiliation de contrat avec le même préavis.

 Appréciation du Tribunal

19      Tout d’abord, il est constant qu’après l’introduction de la réclamation du 6 décembre 2012 contre la décision du 16 octobre 2012, laquelle résiliait le contrat de la requérante au 31 janvier 2013, mais non en réponse à celle-ci, le CESE a, le 31 janvier 2013, annulé ladite décision et l’a remplacée par une décision reportant la date de la résiliation du contrat au 30 avril 2013. Il est également constant que la décision du 31 janvier 2013 est fondée sur les mêmes considérations de fait et de droit que la décision du 16 octobre 2012.

20      Ensuite, il y a lieu d’observer que dans la décision du 24 avril 2013, rejetant la réclamation du 6 décembre 2012, le secrétaire général du CESE a déclaré maintenir sa décision du 31 janvier 2013. Il convient également d’observer que, dans sa lettre du 3 juillet 2013, le secrétaire général du CESE se limite à confirmer sa lettre du 24 avril 2013 et, à titre purement conservatoire, eu égard à l’existence du présent recours, à faire part à la requérante d’observations complémentaires quant au motif de la résiliation du contrat et quant à la durée du préavis.

21      Enfin, il y a lieu d’observer que, dans ses conclusions, la requérante demande, en tant que de besoin, l’annulation de la décision du 31 janvier 2013 et de celle du 24 avril 2013.

22      Dans les circonstances particulières de l’espèce, il y a d’abord lieu de considérer que l’objet de la réclamation du 6 décembre 2012, à savoir la décision du 16 octobre 2012, coïncide substantiellement avec l’objet de la décision du 31 janvier 2013, ces deux décisions portant sur la résiliation du contrat de la requérante et étant fondées, l’une comme l’autre, exactement sur le même motif, à savoir la rupture du lien de confiance, le but exclusif de la seconde décision étant en effet celui de reporter la fin de l’engagement de la requérante du 31 janvier 2013 au 30 avril suivant pour prendre en compte ses congés de maladie.

23      Dès lors, considérer que la réclamation du 6 décembre 2012 serait devenue sans objet à cause de la décision de l’AHCC de remplacer sa première décision par une seconde ayant, s’agissant de la résiliation, le même contenu aboutirait à reconnaître à l’administration le pouvoir d’obliger l’agent concerné à introduire autant de réclamations que de décisions prises par l’administration pour régulariser certaines irrégularités, alors que l’acte faisant grief dont il s’agit, son objet et sa cause restent précisément les mêmes.

24      Par conséquent, les conclusions en annulation de la décision du 16 octobre 2012 sont recevables, et celles en annulation de la décision du 31 janvier 2013 sont également recevables dans la mesure où cette décision, en ce qui concerne la résiliation du contrat de la requérante en tant qu’acte lui faisant grief, n’annule et ne remplace la décision du 16 octobre 2012 que de façon fictive.

 Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision du 24 avril 2013

25      Selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont, dans le cas où cette décision est dépourvue de contenu autonome, pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, point 8 ; arrêt du Tribunal du 9 juillet 2009, Hoppenbrouwers/Commission, F‑104/07, point 31). Dans ces conditions, la décision du 24 avril 2013 étant dépourvue de contenu autonome, les conclusions en annulation doivent être regardées comme dirigées seulement contre les décisions des 16 octobre 2012 et 31 janvier 2013 (ci-après les « décisions litigieuses »).

 Sur les conclusions en annulation des décisions litigieuses

 Arguments des parties

26      À l’appui de son recours, la requérante invoque trois moyens, tirés, premièrement et à titre principal, d’une motivation erronée, de motifs entachés d’erreurs manifestes et du détournement de pouvoir, deuxièmement et à titre subsidiaire, de la violation du devoir de sollicitude, du principe de bonne administration et de l’obligation de réaffectation, troisièmement et à titre encore plus subsidiaire, de la violation de la durée du préavis.

27      En ce qui concerne son moyen principal, la requérante fait valoir, premièrement, que la motivation de la décision de résilier son contrat en raison de la prétendue rupture du lien de confiance avec le président du groupe auprès duquel elle travaillait serait changeante et erronée, dans la mesure où les motifs invoqués dans les décisions des 16 octobre 2012, 31 janvier 2013 et 24 avril 2013 auraient évolué.

28      Deuxièmement, ces différents motifs seraient manifestement erronés. À cet égard, elle observe tout d’abord que son poste et ses fonctions ne seraient nullement de nature politique dès lors que le premier avenant à son contrat de recrutement précise qu’elle est affectée « à un emploi de secrétaire au secrétariat des groupes » et que les avenants suivants se sont limités à tenir compte de l’évolution de sa carrière. De plus, elle n’aurait pas travaillé directement pour le président du groupe I, mais sous la responsabilité d’un chef d’unité, d’un chef d’unité adjoint et de deux administrateurs. Ensuite, la requérante observe que, depuis 1988, elle aurait travaillé pour six présidents du groupe I et que ces changements n’auraient jamais entraîné la moindre remise en cause de son emploi et de son contrat. Selon la requérante, le futur président du groupe I n’aurait pas exprimé le souhait ou l’intention de mettre en cause sa présence. Enfin, toujours selon la requérante, elle n’aurait jamais été avertie de ce que ses prestations ne donnaient plus satisfaction. Au contraire, selon les rapports d’évaluation pour les années 2011 et 2012, l’appréciation de ses mérites serait tout à fait satisfaisante. Elle n’aurait jamais été destinataire de la note de M. M. du 17 septembre 2012, qui suivait sa note confidentielle du 17 juillet 2012, toutes deux invoquées dans la décision du 24 avril 2013.

29      En troisième lieu, la requérante prétend que la résiliation de son contrat serait entachée d’un détournement de pouvoir en ce que le président sortant du groupe I, devenu président du CESE, aurait souhaité récupérer son poste pour l’affecter budgétairement à sa nouvelle équipe, ce qui serait démontré par l’évolution des organigrammes, son nouveau cabinet comptant depuis une personne supplémentaire.

30      Dans un moyen subsidiaire, la requérante observe que le CESE aurait manqué à son devoir de sollicitude et au principe de bonne administration en ce qu’il n’aurait pas examiné les possibilités de la réaffecter à un autre poste.

31      Dans son dernier moyen, encore plus subsidiaire, la requérante reproche au CESE d’avoir calculé la période du préavis de résiliation de son contrat en application de l’article 47, paragraphe 2, sous a), du RAA en vigueur jusqu’au 30 avril 2004.

32      Le CESE conclut au rejet des deux premiers moyens et fait valoir, en ce qui concerne le dernier moyen, qu’il n’avait pas d’autre choix que d’appliquer la disposition précitée du RAA, du fait que l’article 2 du contrat de la requérante du 1er septembre 1988 stipulait que le préavis prévu à l’article 47, paragraphe 2, sous a), du RAA était fixé à trois mois.

 Appréciation du Tribunal

33      Selon l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, toute personne a le droit d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2013, CH/Parlement, F‑129/12, point 33). Cette même disposition prévoit, sous c), l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions (arrêt du Tribunal 11 juillet 2013, Tzirani/Commission, F‑46/11, point 136).

34      S’agissant en particulier du droit d’être entendu, il n’est pas contesté que, dans le cas d’espèce, la décision de résiliation du contrat constitue une mesure individuelle qui affecte défavorablement la requérante (arrêt CH/Parlement, précité, point 34).

35      Or, il ressort du dossier que l’AHCC n’a pas entendu la requérante avant l’adoption de la décision du 16 octobre 2012 et que celle-ci n’a été informée de l’existence de cette décision que le 18 octobre 2012, lors d’un entretien avec le chef de l’unité compétente au sein de la direction des ressources humaines et des services intérieurs. Interrogé à cet égard lors de l’audience, le CESE l’a explicitement confirmé.

36      Selon le CESE, il ressort de la jurisprudence en matière de résiliation de contrats d’agents temporaires au titre de l’article 2, sous c), du RAA que le simple constat de l’existence d’une rupture de confiance peut suffire à justifier l’adoption d’une décision de licenciement, à condition d’apporter des précisions suffisantes quant à la personne avec laquelle le lien de confiance a été rompu.

37      Dans la mesure où le CESE entend invoquer la jurisprudence du Tribunal de l’Union européenne et du Tribunal, selon laquelle, lorsqu’une décision de licenciement intervient au motif d’une perte de confiance, l’intéressé ne dispose pas de garanties procédurales, telles que le droit d’être entendu durant la procédure administrative, il suffit d’observer que depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, il y a lieu de tenir compte des dispositions de la Charte, qui ont la même valeur juridique que les traités (arrêt CH/Parlement, précité, point 37).

38      Ceci étant, pour qu’une violation du droit d’être entendu puisse aboutir, en l’espèce, à l’annulation de la décision de licenciement, il est encore nécessaire d’examiner si, en l’absence de cette irrégularité, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent (arrêt CH/Parlement, précité, point 38).

39      À cet égard, le CESE fait valoir que, bien que la requérante n’ait pas été formellement entendue avant l’adoption de la décision du 16 octobre 2012, elle a été mise en mesure d’exprimer son point de vue lors de l’entretien ultérieur du 18 octobre 2012 et qu’à cette occasion son départ à la retraite a été proposé comme solution alternative à la résiliation du contrat pour rupture de confiance.

40      Cet argument ne peut qu’être écarté. Si le CESE avait le choix entre la résiliation du contrat de la requérante ou son départ à la retraite, celui-ci avait d’autant plus de raisons d’entendre préalablement la requérante avant de lui imposer l’une ou l’autre solution. En effet, en invoquant cet argument, le CESE admet que, s’il avait respecté l’obligation d’entendre la requérante avant l’adoption de la décision de résilier son contrat, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.

41      L’argument du CESE revient à vider de sa substance le droit fondamental d’être entendu, c’est-à-dire la possibilité donnée à la requérante d’exprimer son point de vue sur une mesure l’affectant défavorablement et l’obligation faite au CESE d’en prendre connaissance avant d’arrêter sa décision, garantissant ainsi que la décision à adopter n’est pas entachée par des erreurs matérielles et constitue le résultat d’une mise en balance appropriée de l’intérêt du service et de l’intérêt de la personne concernée.

42      S’agissant ensuite de l’obligation de l’administration de motiver ses décisions, consacrée à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, il y a lieu de rappeler que celle-ci constitue un principe essentiel du droit de l’Union auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses. Cette obligation a pour but de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d’un vice permettant d’en contester la légalité et de permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision litigieuse (arrêt Tzirani/Commission, précité, points 137 et 139).

43      Or, il est constant que les décisions litigieuses se limitent à invoquer comme motif de résiliation du contrat de la requérante la rupture du lien de confiance avec le président du groupe auprès duquel elle travaillait.

44      S’il est vrai que le simple constat de l’existence d’une rupture du lien de confiance peut suffire à justifier l’adoption d’une décision de licenciement et que, si une telle décision ne se fonde que sur un tel constat, l’exigence de précision quant à la présentation, dans les motifs de la décision, des circonstances factuelles révélant ou justifiant cette rupture du lien de confiance ne peut être que restreinte (arrêt du Tribunal du 24 février 2010, P/Parlement, F‑89/08, point 73), il n’en demeure pas moins que la simple référence à la rupture du lien de confiance, sans aucune précision quelconque quant aux circonstances factuelles révélant ou justifiant cette rupture, n’est pas suffisante pour faire savoir à la requérante si cette décision est bien fondée et pour permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle de légalité.

45      À cet égard, il y a lieu d’observer, ainsi que le CESE l’a reconnu à l’audience, que la requérante, avant que la décision du 16 octobre 2012 ne soit adoptée, n’avait pas connaissance des notes confidentielles des 17 juillet et 17 septembre 2012 de M. M., adressées au directeur des ressources humaines et des services intérieurs. Ce n’est que le 18 octobre 2012, après que la décision de résilier son contrat a été adoptée, que la requérante a été informée des raisons ayant motivé la fin de son engagement.

46      Il y a également lieu d’observer qu’à l’audience les représentants du CESE n’ont pas été en mesure de donner le moindre détail révélant ou justifiant la rupture du lien de confiance.

47      L’argument du CESE selon lequel la requérante était au courant « des problèmes rencontrés » avec elle ne suffit pas, en l’absence de toute autre précision, pour révéler ou justifier la rupture du lien de confiance.

48      En ce qui concerne la prétendue faute grave dans un dossier connu du service financier du CESE, à laquelle il est fait référence dans la note confidentielle de M. M. du 17 juillet 2012, il suffit d’observer qu’à l’audience les représentants du CESE ont écarté cet élément des débats.

49      Il résulte de tout ce qui précède que la motivation de la décision de résilier le contrat de la requérante en constatant la rupture du lien de confiance n’est qu’une formulation de nature générale et stéréotypée et ne comporte aucun élément d’information spécifique au cas de l’intéressée. Or, une telle motivation équivaut, en réalité, à une absence totale de motivation (arrêts du Tribunal de première instance du 20 février 2002, Roman Parra/Commission, T‑117/01, point 31, et du 29 septembre 2005, Napoli Buzzanca/Commission, T‑218/02, point 74).

50      Partant, les décisions litigieuses ne respectent pas non plus les exigences de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte.

51      Il s’ensuit qu’en adoptant la décision de résilier le contrat de la requérante le CESE a porté atteinte aux droits fondamentaux prévus à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et c), de la Charte. Partant, il y a lieu d’annuler les décisions litigieuses.

52      Il n’y a dès lors plus lieu d’examiner les autres moyens.

 Sur les conclusions en indemnité

 Arguments des parties

53      La requérante demande, à titre principal, à être réintégrée dans son ancien poste et à ce que lui soit versée la rémunération qui aurait été la sienne depuis la date d’effet de la résiliation de son contrat jusqu’à la date de sa réintégration, augmentée des intérêts de retard et déduction faite des indemnités de chômage. À titre subsidiaire, elle demande à être réaffectée à un poste similaire et, à titre encore plus subsidiaire, le versement de sa rémunération depuis la date d’effet de son licenciement jusqu’à la date où elle aurait atteint l’âge de la retraite, augmentée des intérêts de retard, déduction faite des indemnités de chômage et en tenant compte de la progression normale de sa carrière. En réparation de son préjudice moral, elle demande d’évaluer ce préjudice ex æquo et bono et à titre provisoire à la somme de 15 000 euros.

54      Le CESE conclut au rejet de la demande indemnitaire. Il ajoute que, si le Tribunal devait considérer que la durée du préavis à prester par la requérante devait être de dix mois, la requérante pourrait tout au plus prétendre au versement d’une indemnité compensatoire de préavis pour la durée de sept mois qu’elle n’a pas dû prester.

 Appréciation du Tribunal

55      S’agissant du préjudice matériel, il suffit de constater que, conformément à l’article 266 TFUE, il incombe à l’institution dont émane l’acte annulé « de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt » dont elle est destinataire.

56      Par suite, les conclusions tendant à la condamnation du CESE à réparer le préjudice matériel que la requérante aurait subi doivent être rejetées comme prématurées.

57      S’agissant des conclusions tendant à la condamnation du CESE à réparer le préjudice moral résultant de l’illégalité des décisions litigieuses, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé (arrêt de la Cour du 9 juillet 1987, Hochbaum et Rawes/Commission, 44/85, 77/85, 294/85 et 295/85, point 22 ; arrêt du Tribunal de première instance du 9 novembre 2004, Montalto/Conseil, T‑116/03, point 127 ; arrêt du Tribunal du 8 mai 2008, Suvikas/Conseil, F‑6/07, point 151), à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 février 1990, Culin/Commission, C‑343/87, points 27 et 28 ; arrêt du Tribunal de première instance du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, point 131).

58      En l’espèce, compte tenu des conditions d’illégalité manifeste dans lesquelles la résiliation du contrat est intervenue, à savoir la violation par le CESE de l’article 41, paragraphe 2, sous a) et c), de la Charte, l’annulation des décisions litigieuses est insusceptible de constituer en elle-même une réparation adéquate et suffisante du préjudice moral causé par ces décisions, le préjudice tenant à l’état grave d’incertitude et d’inquiétude engendré par l’illégalité de ces décisions.

59      Il résulte de ce qui précède que le CESE doit être condamné à verser à la requérante la somme de 25 000 euros.

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

61      Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que le CESE a succombé pour l’essentiel en son recours. En outre, la requérante a, dans ses conclusions, expressément demandé que le CESE soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, le CESE doit supporter ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions du Comité économique et social européen du 16 octobre 2012 et du 31 janvier 2013, résiliant le contrat d’agent temporaire à durée indéterminée de CU, sont annulées.

2)      Le Comité économique et social européen est condamné à payer à CU la somme de 25 000 euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Le Comité économique et social européen supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par CU.

Kreppel

Perillo

Barents

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 mai 2014.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      H. Kreppel


* Langue de procédure : le français.