Language of document : ECLI:EU:C:1997:344

ARRÊT DE LA COUR

9 juillet 1997(1)

«Directive 'télévision sans frontières‘ — Publicité télévisée diffusée à partir d'un État membre — Interdiction de la publicité trompeuse — Interdiction de la publicité visant les enfants»

Dans les affaires jointes C-34/95, C-35/95 et C-36/95,

ayant pour objet trois demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Marknadsdomstolen (Suède) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

Konsumentombudsmannen (KO)

et

De Agostini (Svenska) Förlag AB (C-34/95),

et entre
Konsumentombudsmannen (KO)

et

TV-Shop i Sverige AB (C-35/95 et C-36/95),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 30 et 59 du traité CE ainsi que de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23),

LA COUR,



composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, J. L. Murray (rapporteur) et L. Sevón, présidents de chambre, C. N. Kakouris, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et H. Ragnemalm, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

  • dans l'affaire C-34/95, par le Konsumentombudsman, M. Axel Edling,

  • dans les affaires C-35/95 et C-36/95, pour le Konsumentombudsman, par M. Per Eklund, Ställföreträdande konsumentombudsman,

  • pour De Agostini (Svenska) Förlag AB, par MM. Peter Danowsky et Ulf Isaksson, avocats à Stockholm,

  • pour TV-Shop i Sverige AB, par M. Lars-Erik Ström, avocat à Malmö,

  • pour le gouvernement suédois, par Mme Lotty Nordling, rättschef au département du commerce extérieur du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

  • pour le gouvernement belge, par M. Jan Devadder, directeur d'administration au service juridique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

  • pour le gouvernement hellénique, par M. Panagiotis Kamarineas, conseiller juridique auprès du Conseil juridique de l'État, et Mmes Ioanna Kiki, secrétaire au service spécial du contentieux communautaire du ministère des Affaires étrangères, et Sofia Chiniadou, conseiller juridique près le ministre de la Presse et des Médias, en qualité d'agents,

  • pour le gouvernement finlandais, par M. Holger Rotkirch, ambassadeur, chef du service des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

  • pour le gouvernement norvégien, par M. Didrik Tønseth, procureur général des affaires civiles, en qualité d'agent,

  • pour la Commission des Communautés européennes, par M. Berend Jan Drijber, membre du service juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du Konsumentombudsman, M. Axel Edling, de De Agostini (Svenska) Förlag AB, représentée par MM. Peter Danowsky et Ulf Isaksson, de TV-Shop i Sverige AB, représentée par M. Lars-Erik Ström, du gouvernement suédois, représenté par Mme Lotty Nordling, du gouvernement hellénique, représenté par M. Georgios Kanellopoulos, conseiller juridique adjoint auprès du Conseil juridique de l'État, en qualité d'agent, du gouvernement finlandais, représenté par Mme Tuula Pynnä, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement norvégien, représenté par M. Didrik Tønseth, et de la Commission, représentée par M. Berend Jan Drijber et Mme Karin Oldfelt, conseiller juridique principal, en qualité d'agents, à l'audience du 11 juin 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 17 septembre 1996,

rend le présent

Arrêt

  1. Par trois ordonnances du 7 février 1995, parvenues à la Cour le 13 février 1995, le Marknadsdomstolen a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 59 du traité CE ainsi que de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23, ci-après la «directive»).

  2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de trois demandes introduites par le Konsumentombudsman (ombudsman des consommateurs) et tendant à faire interdire à De Agostini (Svenska) Förlag AB (ci-après «De Agostini») et à TV-Shop i Sverige AB (ci-après «TV-Shop») le recours à certaines pratiques de commercialisation dans les messages publicitaires télévisés concernant respectivement un journal pour enfants (affaire C-34/95), des produits de soins de la peau (affaire C-35/95) et un détergent (affaire C-36/95).

    Dispositions générales de la directive

  3. Comme la Cour l'a constaté dans l'arrêt du 9 février 1995, Leclerc-Siplec (C-412/93, Rec. p. I-179), l'objectif premier de la directive, qui a été adoptée sur le fondement des articles 57, paragraphe 2, et 66 du traité CEE, consiste à assurer la libre diffusion des émissions télévisées. Ainsi qu'il ressort de ses treizième et quatorzième considérants, elle édicte des prescriptions minimales pour les émissions qui émanent de la Communauté et qui sont destinées à être captées à l'intérieur de celle-ci (points 28 et 29).

  4. L'article 1er de la directive définit la «radiodiffusion télévisuelle» comme l'émission primaire, avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non, de programmes télévisés destinés au public. Il définit également la «publicité télévisée» comme incluant toute forme de message télévisé contre rémunération ou paiement similaire par une entreprise publique ou privée, notamment dans le cadre d'une activité commerciale, dans le but de promouvoir la fourniture, contre paiement, de biens ou de services. La même disposition ajoute enfin que, sauf pour les fins visées par l'article 18 de la directive, la publicité télévisée n'inclut pas les offres directes au public en vue de la vente, de l'achat ou de la location de produits ou en vue de la fourniture de services contre rémunération.

  5. L'article 2 de la directive dispose ensuite:

    «1. Chaque État veille à ce que toutes les émissions de radiodiffusion télévisuelle transmises:

    • par des organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence

    ...

    respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet État membre.

    2. Les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive. Ils peuvent suspendre provisoirement la retransmission d'émissions télévisées si les conditions suivantes sont remplies:

    1. une émission télévisée en provenance d'un autre État membre enfreint d'une manière manifeste, sérieuse et grave l'article 22;

    2. au cours des douze mois précédents, l'organisme de radiodiffusion télévisuelle a déjà enfreint, deux fois au moins, la même disposition;

    3. l'État membre concerné a notifié par écrit à l'organisme de radiodiffusion télévisuelle et à la Commission les violations alléguées et son intention de restreindre la retransmission au cas où une telle violation surviendrait de nouveau;

    4. les consultations avec l'État de transmission et la Commission n'ont pas abouti à un règlement amiable, dans un délai de quinze jours à compter de la notification prévue au point c), et la violation alléguée persiste.

    La Commission veille à la compatibilité de la suspension avec le droit communautaire. Elle peut demander à l'État membre concerné de mettre fin d'urgence à une suspension contraire au droit communautaire. Cette disposition n'affecte pas l'application de toute procédure, mesure ou sanction aux violations en cause dans l'État membre de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion télévisuelle concerné.

    ...»

  6. Enfin, l'article 3, paragraphe 1, de la directive donne aux États membres la faculté, en ce qui concerne les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées dans les domaines couverts par la directive. En application de l'article 3, paragraphe 2, les États membres sont tenus de veiller au respect, par les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence, des dispositions de la directive.

    Le droit suédois

  7. Selon l'article 2, premier alinéa, de la marknadsföringslag (1975:1418, ci-après la «loi sur les pratiques commerciales»), le Marknadsdomstolen peut interdire à un opérateur économique, qui, lors de la commercialisation d'un produit, d'un service ou de tout autre bien, se livre à une publicité ou à tout autre acte qui est contraire à la morale des affaires ou présente un caractère déloyal envers les consommateurs ou d'autres opérateurs économiques, de continuer d'agir de la sorte ou de se livrer à des pratiques analogues. Cette disposition s'applique également aux émissions de télévision pouvant être captées à partir de n'importe quel pays lié par l'accord sur l'Espace économique européen.

  8. En outre, l'article 3 de la loi sur les pratiques commerciales autorise le Marknadsdomstolen, notamment, à ordonner au commerçant de fournir dans sa publicité une information que cette juridiction considère comme pertinente pour le consommateur.

  9. Par ailleurs, l'article 11 de la radiolag (1966:755, ci-après la «loi sur la radiodiffusion») dispose qu'une séquence publicitaire diffusée au cours des plages horaires prévues pour la publicité télévisée ne doit pas viser à capter l'attention des enfants de moins de 12 ans.

  10. Il ressort du dossier que, selon une jurisprudence constante du Marknadsdomstolen, des pratiques commerciales contraires à des dispositions législatives impératives, ainsi que la publicité trompeuse, sont considérées comme déloyales au sens de l'article 2 de la loi sur les pratiques commerciales.

    Les faits des litiges au principal

  11. TV3 est une société domiciliée au Royaume-Uni. Elle diffuse des programmes télévisés par satellite de cet État vers le Danemark, la Suède et la Norvège.

  12. TV4 et Homeshopping Channel sont des chaînes opérant en Suède sous licence conformément à la loi sur la radiodiffusion.

  13. Dans les trois affaires, la publicité télévisée en cause était retransmise en Suède par satellite à partir du Royaume-Uni et montrée sur TV3. Parallèlement, cette publicité était diffusée sur TV4 dans l'affaire C-34/95 et sur Homeshopping Channel dans les affaires C-35/95 et C-36/95, sans avoir été préalablement transmise d'un autre État membre.

    L'affaire C-34/95

  14. Au cours du mois de septembre 1993, De Agostini, une société suédoise faisant partie d'un groupe italien, Istituto Geografico De Agostini, dont l'activité principale consiste à publier des magazines, a présenté au public suédois, sur les chaînes de télévision TV3 et TV4, un message publicitaire pour le journal «Allt om dinosaurier!» («Tout sur les dinosaures!»).

  15. Il ressort du dossier au principal que ce journal pour enfants est un magazine encyclopédique qui contient, d'une part, des informations sur les dinosaures et, d'autre part, une maquette de dinosaure en rapport avec son contenu. Il est publié par séries, chacune se composant de plusieurs numéros. A chaque numéro est joint un élément de la maquette: lorsque l'ensemble de la série a été acheté, toutes les parties du modèle sont réunies. Le journal, qui est publié dans plusieurs langues, a été lancé dans plusieurs États membres depuis 1993. Il semble que toutes les versions linguistiques du magazine soient imprimées en Italie.

  16. L'ombudsman des consommateurs a, sur le fondement de l'article 2 de la loi sur les pratiques commerciales, demandé au Marknadsdomstolen d'interdire, sous peined'amende, à De Agostini de commercialiser le journal «Allt om dinosaurier!» de la manière décrite ci-dessus, au motif que cette publicité visait à capter l'attention des enfants de moins de 12 ans et, donc, qu'elle était contraire à l'article 11 de la loi sur la radiodiffusion. Au cas où le Marknadsdomstolen ne ferait pas droit à cette requête, l'ombudsman des consommateurs a demandé que, conformément à l'article 3 de la loi sur les pratiques commerciales, il soit ordonné, sous peine d'amende, à De Agostini d'indiquer, dans ses publicités télévisées ayant pour cible les enfants, le nombre de journaux nécessaires pour obtenir la maquette complète ainsi que le prix total de cette dernière. Enfin, l'ombudsman des consommateurs a demandé, conformément à l'article 2 de la loi sur les pratiques commerciales, qu'il soit interdit, sous peine d'amende, à De Agostini d'utiliser, dans ses publicités télévisées, l'affirmation «Toutes les deux semaines, tu peux collectionner les pièces d'une maquette de dinosaure fluorescente et collectionner tous les journaux qui formeront ensemble une encyclopédie; tout cela pour seulement 7,50 couronnes» ou toute autre affirmation ayant en substance la même signification.

    Les affaires C-35/95 et C-36/95

  17. Les affaires C-35/95 et C-36/95 concernent les activités de TV-Shop, filiale suédoise de la société TV-Shop Europe. Ces activités consistent à présenter des produits commercialisés dans le cadre d'une séquence télévisée, le client pouvant ensuite passer commande desdits produits par téléphone. Les services de vente et de contact avec le client se trouvent dans les différents pays de réception. La livraison des produits s'effectue par la poste.

  18. En 1993, TV-Shop a ainsi fait diffuser sur TV3 et sur Homeshopping Channel deux «infomercials» pour les produits de soins de la peau «Body de Lite» et les détergents «Astonish».

  19. Dans l'affaire C-35/95, l'ombudsman des consommateurs a, sur le fondement de l'article 2 de la loi sur les pratiques commerciales, demandé au Marknadsdomstolen d'interdire à TV-Shop, dans le cadre de la commercialisation des produits de soins de la peau,

    • de faire des déclarations au sujet des effets de ces produits sans pouvoir les étayer au moment de la commercialisation,

    • d'affirmer que les produits ont des effets curatifs ou thérapeutiques, alors qu'ils n'ont pas été autorisés en tant que médicaments selon la procédure prévue à cet effet,

    • d'affirmer ou de laisser entendre que, à l'achat d'un lot de produits de soins de la peau, le consommateur reçoit d'autres produits sans frais supplémentaires, si le lot en question n'est pas habituellement vendu au même prix que celui auquel il est vendu lorsqu'il n'est pas accompagné des produits additionnels,

    • de comparer le prix du lot de produits de beauté avec des produits d'autres marques si la société n'est pas en mesure de démontrer que la comparaison porte sur des produits identiques ou analogues, et

    • d'indiquer que, pour recevoir certains produits additionnels, le consommateur doit passer sa commande dans les 20 minutes ou dans un délai tout aussi court.



  20. L'ombudsman des consommateurs a également, sur la base de l'article 3 de la loi sur les pratiques commerciales, demandé au Marknadsdomstolen d'ordonner, sous peine d'amende, à TV-Shop d'indiquer en couronnes, lors de la commercialisation des produits à la télévision, les frais supplémentaires de port et de paiement à la livraison ainsi que tous frais analogues.

  21. De même, dans l'affaire C-36/95, l'ombudsman des consommateurs a, sur le fondement de l'article 2 de la loi sur les pratiques commerciales, demandé au Marknadsdomstolen d'interdire, sous peine d'amende, à TV-Shop,

    • de faire des déclarations au sujet de l'efficacité des produits détergents sans pouvoir prouver leur exactitude au moment de la commercialisation,

    • d'utiliser les termes «ne nuit pas à l'environnement» ou d'employer des formules tout aussi imprécises impliquant que le détergent présente des avantages pour l'environnement, et

    • d'utiliser l'expression «biodégradable» ou des formules analogues à propos du détergent sans pouvoir prouver leur exactitude au moment de la commercialisation.



  22. Dans ces circonstances, le Marknadsdomstolen a demandé à la Cour de justice des Communautés européennes de statuer sur les questions suivantes:

    «Y a-t-il lieu d'interpréter l'article 30 ou l'article 59 du traité ou la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 en ce sens qu'ils

    a)    font obstacle à ce qu'un État membre prenne des mesures à l'égard d'une publicité télévisée diffusée par un annonceur à partir d'un autre État membre (dans les affaires C-34/95, C-35/95 et C-36/95);

    b)    font obstacle à l'application de la règle figurant à l'article 11, paragraphe 1, de la radiolag qui interdit la publicité visant les enfants (dans l'affaire C-34/95).»

  23. Par ordonnance du 20 mars 1995, le président de la Cour a, conformément à l'article 43 du règlement de procédure, ordonné la jonction des affaires C-34/95, C-35/95 et C-36/95 aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l'arrêt.

    Sur la première question

    S'agissant de la directive

  24. Quant à une éventuelle application de la directive, il y a lieu tout d'abord de rappeler que, en dépit d'une rédaction défectueuse, il ressort de son intitulé que celle-ci vise à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle en vue de la suppression des entraves à la libre diffusion à l'intérieur de la Communauté.

  25. Il ressort par ailleurs des huitième, neuvième et dixième considérants de la directive que les entraves que le législateur communautaire a entendu abolir sont celles qui résultent des disparités existant entre les dispositions des États membres en ce qui concerne l'exercice de l'activité de diffusion et de distribution des programmes de télévision.

  26. Il s'ensuit que les domaines coordonnés par la directive ne le sont que pour ce qui concerne la radiodiffusion télévisuelle proprement dite telle qu'elle se trouve définie à l'article 1er, sous a).

  27. Il convient ensuite de relever que, aux fins d'assurer la libre diffusion des émissions télévisées, l'article 2 de la directive prévoit que toutes les émissions émanant de la Communauté et destinées à être captées à l'intérieur de celle-ci, notamment celles destinées à un autre État membre, doivent respecter la législation de l'État membre d'origine applicable aux émissions destinées au public dans cet État membre, ainsi que les dispositions de la directive. Corrélativement, les États membres sont, sous réserve de la faculté qui leur est reconnue à l'article 2, paragraphe 2, tenus d'assurer la liberté de réception et de ne pas entraver la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la directive.

  28. Il y a également lieu de souligner qu'il ressort du treizième considérant de la directive que celle-ci prévoit les dispositions minimales nécessaires pour assurer la libre diffusion des émissions et, de ce fait, n'affecte pas les compétences que possèdent les États membres en ce qui concerne l'organisation et le financement des émissions ainsi que le contenu des programmes. Il résulte du dix-septième considérant que la directive, en se limitant à une réglementation visant spécifiquement la radiodiffusion télévisuelle, ne préjuge pas les actes communautaires d'harmonisation en vigueur ou futurs ayant notamment pour objet de faire respecter les impératifs concernant la défense des consommateurs, la loyauté des transactions commerciales et la concurrence.

  29. Il convient encore de rappeler qu'il résulte de l'arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Royaume-Uni (C-222/94, Rec. p. I-4025, point 42), que la compétence rationae personae d'un État membre à l'égard d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle ne peut être fondée que sur son rattachement à l'ordre juridique de cet État, ce qui recouvre en substance la notion d'établissement au sens de l'article 59, premier alinéa, du traité, dont les termes présupposent que le prestataire et le destinataire d'un service sont «établis» dans deux États membres différents.

  30. En ce qui concerne plus particulièrement la question de la publicité, il y a lieu d'observer que la directive pose, dans son chapitre IV relatif à la publicité télévisée et au parrainage, un certain nombre de principes relatifs aux modalités de diffusion, à l'utilisation de certaines techniques de publicité et au temps d'antenne qui peut être consacré à ce type d'activité (articles 10, 11, 17, 18).

  31. La directive vise également le contenu de la publicité télévisée. Ainsi, l'article 12 prévoit que celle-ci ne doit pas porter atteinte au respect de la dignité humaine, comporter de discrimination en raison de la race, du sexe ou de la nationalité, attenter à des convictions religieuses ou politiques, encourager des comportements préjudiciables à la santé ou à la sécurité ni encourager des comportements préjudiciables à la protection de l'environnement. Les articles 13 et 14 édictent une interdiction absolue de publicité télévisée en ce qui concerne les cigarettes et les autres produits de tabac, ainsi que les médicaments et traitements médicaux qui sont seulement disponibles sur prescription médicale dans l'État membre de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion télévisuelle. L'article 15 prévoit un certain nombre de restrictions en matière de publicité télévisée pour les boissons alcooliques. Quant à l'article 16, il pose plusieurs principes en ce qui concerne plus particulièrement la protection des mineurs, par ailleurs visée au chapitre V par l'article 22.

  32. Force est donc de constater que la directive réalise, en ce qui concerne l'activité de radiodiffusion et de distribution des programmes de télévision, une coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la publicité télévisée et au parrainage, mais que celle-ci n'est cependant que partielle.

  33. Si la directive prévoit que les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons relatives à la publicité télévisée et au parrainage, elle n'a toutefois pas pour effet d'exclure complètement et automatiquement l'application de règles autres que celles visant spécifiquement la diffusion et la distribution des programmes.

  34. Ainsi, la directive ne s'oppose en principe pas à l'application d'une réglementation nationale qui, de façon générale, poursuit un objectif de protection des consommateurs sans toutefois instaurer un second contrôle des émissions de radiodiffusion télévisuelle s'ajoutant à celui que l'État membre d'émission est tenu d'effectuer.

  35. Dès lors, n'apparaît pas comme constitutive d'une entrave prohibée par la directive l'application, à l'égard d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres, d'une réglementation d'un État membre comme celle qui est discutée dans les affaires au principal qui, ayant pour objet la protection des consommateurs, prévoit à cet effet un système d'interdictions et d'injonctions à l'encontre des annonceurs, sous peine de sanctions financières.

  36. Selon De Agostini, TV-Shop et la Commission, le principe du contrôle des émissions par l'État, de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion télévisuelle, serait sérieusement miné tant dans son objet que dans ses effets si cette directive devait être tenue pour inapplicable aux annonceurs. Une restriction relative à la publicité aurait en effet un impact sur les émissions de radiodiffusion télévisuelle, même si elle ne concerne que la publicité.

  37. Pour répondre à cette objection, il suffit d'observer que la directive 84/450/CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse (JO L 250, p. 17), qui prévoit notamment en son article 4, paragraphe 1, que les États membres veillent à ce qu'il existe des moyens adéquats et efficaces pour contrôler la publicité trompeuse dans l'intérêt des consommateurs aussi bien que des concurrents et du public en général, risquerait d'être vidée de sa substance dans le domaine de la publicité télévisée si l'État membre de réception était privé de toute possibilité de prendre des mesures à l'encontre d'un annonceur et que cela serait en contradiction avec la volonté exprimée par le législateur communautaire (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de l'Association européenne de libre-échange du 16 juin 1995, E-8/94 et E-9/94, Forbrukerombudet/Mattel Scandinavia et Lego Norge, Report of the EFTA Court1 January 1994 — 30 June 1995, 113, points 54 à 56, ainsi que 58).

  38. Il résulte de ce qui précède que la directive ne fait pas obstacle à ce qu'un État membre prenne, en application d'une réglementation générale relative à la protection des consommateurs contre la publicité trompeuse, des mesures à l'égard d'un annonceur en raison d'une publicité télévisée diffusée à partir d'un autre État membre, pourvu que ces mesures n'empêchent pas la retransmission proprement dite sur son territoire des émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance de cet autre État membre.

    S'agissant de l'article 30 du traité

  39. Dans l'arrêt Leclerc-Siplec, précité, point 22, la Cour a jugé qu'une législation qui interdit la publicité télévisée dans un secteur particulier concerne des modalités de vente des produits qui en font partie en ce qu'elle interdit une forme de promotion d'une certaine méthode de commercialisation de produits.

  40. Dans l'arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, Rec. p. I-6097, point 16), la Cour a considéré que des mesures nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente ne relèvent pas de l'article 30 du traité, pourvu que, d'une part, elles s'appliquent à tous les opérateurs agissant sur le territoire national et que, d'autre part, elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation de produits nationaux et de produits en provenance d'autres États membres.

  41. La première condition est manifestement remplie dans les litiges au principal.

  42. Quant à la seconde, il ne saurait être exclu qu'une interdiction totale, dans un État membre, d'une forme de promotion d'un produit, qui y est licitement vendu, ait un impact plus important sur les produits en provenance d'autres États membres.

  43. Même si l'efficacité des différents modes de promotion est une question de fait dont l'appréciation incombe, en principe, à la juridiction de renvoi, il convient de relever à cet égard que, dans ses observations, De Agostini a soutenu que la publicité télévisée était la seule forme de promotion efficace qui lui permettait de pénétrer le marché suédois, étant donné qu'elle ne disposait pas d'autres procédés publicitaires pour atteindre les enfants et leurs parents.

  44. Dès lors, l'interdiction totale de la publicité visant les enfants de moins de 12 ans et de la publicité trompeuse au sens de la législation suédoise ne relève pas de l'article 30 du traité, à moins qu'il ne soit démontré que cette interdiction n'affecte pas de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres.

  45. Dans cette dernière hypothèse, il appartiendrait à la juridiction de renvoi de vérifier si l'interdiction est nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant à l'intérêt général ou à l'un des objectifs énumérés à l'article 36 du traité CE, si elle est proportionnée à cet effet et si ces objectifs ou exigences impératives n'auraient pu être atteints par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires.

  46. Il convient encore de relever que, selon une jurisprudence constante, la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs en général constituent des exigences impératives d'intérêt général pouvant justifier des entraves à la libre circulation des marchandises (arrêt du 20 février 1979, dit «Cassis de Dijon», Rewe-Zentral, 120/78, Rec. p. 649, point 8).

  47. En conséquence, il y a lieu de répondre que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'un État membre prenne, sur la base des dispositions de sa législation nationale, des mesures à l'encontre d'un annonceur en raison d'une publicité télévisée, à moins que ces dispositions n'affectent pas de la même manière, en droit ou en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux provenant d'autres États membres, qu'elles ne soient pas nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant à l'intérêt général ou à l'un des objectifs énoncés à l'article 36 du traité, qu'elles ne soient pas proportionnées à cet effet ou que ces objectifs ou exigences impératives puissent être atteints par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires.

    S'agissant de l'article 59 du traité

  48. Ainsi qu'il a été jugé dans l'arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a. (352/85, Rec. p. 2085), la publicité diffusée par un organisme de radiodiffusion télévisuelle établi dans un État membre au profit d'un annonceur établi dans un autre État membre contre rémunération constitue une prestation de service au sens de l'article 59 du traité.

  49. Partant, il convient d'examiner si des règles nationales telles que celles en cause dans les affaires au principal constituent des restrictions à la libre prestation de services prohibées par l'article 59 du traité.

  50. A cet égard, il y a lieu de constater que, dès lors qu'elles limitent la possibilité pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle établis dans l'État d'émission de diffuser au profit des annonceurs établis dans l'État de réception des publicités télévisées destinées spécialement au public de ce dernier État, des dispositions telles que celles en cause dans les affaires au principal comportent une restriction à la libre prestation des services.

  51. En l'absence d'harmonisation des règles applicables aux services, des entraves à la liberté garantie par le traité dans ce domaine peuvent provenir de l'application de réglementations nationales qui touchent toute personne établie sur le territoire national à des prestataires établis sur le territoire d'un autre État membre, lesquels doivent déjà satisfaire aux prescriptions de la législation de cet État (arrêt du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda e.a., C-288/89, Rec. I-4007, point 12).

  52. Dans une telle hypothèse, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces dispositions sont nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant à l'intérêt général ou à l'un des objectifs énoncés à l'article 56 du traité CE, si elles sont proportionnées à cet effet et si ces objectifs ou exigences impératives n'auraient pu être atteints par d'autres moyens moins restrictifs.

  53. Il convient encore de relever que, selon une jurisprudence constante, la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs en général constituent des exigences impératives d'intérêt général pouvant justifier des entraves à la libre prestation de services (voir notamment les arrêts Collectieve Antennevoorziening Gouda e.a., précité, point 14, et du 10 mai 1995, Alpine Investments, C-384/93, Rec. p. I-1141).

  54. Il y a donc lieu de répondre que l'article 59 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'un État membre prenne, sur la base des dispositions de sa législation nationale, des mesures à l'égard d'un annonceur en raison d'une publicité télévisée. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si ces dispositions sont nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant à l'intérêt général ou à l'un des objectifs énoncés à l'article 56 du traité, si elles sont proportionnées à cet effet et si ces objectifs ou exigences impératives ne pourraient être atteints par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires.

    Sur la seconde question

  55. Par sa seconde question, la juridiction nationale interroge la Cour sur l'interprétation du droit communautaire au regard d'une disposition d'une loi nationale sur la radiodiffusion qui dispose qu'une séquence publicitaire diffusée au cours des plages horaires prévues pour la publicité télévisée ne doit pas viser à capter l'attention des enfants de moins de 12 ans.

  56. Il y a lieu, à titre liminaire, de souligner que l'application d'une telle disposition nationale aux publicités transmises par un organisme de radiodiffusion télévisuelle établi dans le même État n'est pas contraire à la directive, puisque l'article 3, paragraphe 1, de cette disposition ne contient pas de restriction quant aux intérêts que les États membres peuvent prendre en considération lorsqu'ils fixent des règles plus strictes pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle établis sur leur territoire. Il n'en va cependant pas de même pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle établis dans un autre État membre.

  57. Il convient ensuite de relever que la directive comprend, en ses articles 16 et 22, un ensemble complet de dispositions spécifiquement consacrées à la protection des mineurs à l'égard des programmes télévisuels en général et de la publicité télévisée en particulier.

  58. Le respect de ces dispositions doit être assuré par l'État d'émission.

  59. Cette circonstance n'a certes pas pour effet d'interdire l'application de réglementations de l'État de réception qui ont pour objet général la protection des consommateurs ou des mineurs pourvu que cette application n'empêche pas la retransmission proprement dite sur son territoire des émissions de radiodiffusion en provenance d'un autre État membre.

  60. Cependant, l'État membre de réception n'est, en toute hypothèse, plus autorisé à appliquer des dispositions ayant spécifiquement pour objet de contrôler le contenu de la publicité télévisuelle à l'égard des mineurs.

  61. En effet, l'application à des émissions en provenance d'autres États membres de dispositions de l'État de réception réglementant le contenu des émissions de radiodiffusion télévisuelle pour des raisons relatives à la protection des mineurs à l'égard de la publicité reviendrait à instaurer un second contrôle s'ajoutant à celui que l'État membre d'émission est tenu d'effectuer conformément à la directive.

  62. Il en résulte que la directive doit être interprétée comme faisant obstacle à l'application aux émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres d'une disposition d'une loi nationale sur la radiodiffusion qui dispose qu'une séquence publicitaire diffusée au cours des plages horaires prévues pour la publicité télévisée ne doit pas viser à capter l'attention des enfants de moins de 12 ans.

    Sur les dépens

  63. Les frais exposés par les gouvernements suédois, belge, hellénique, finlandais et norvégien, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

    Par ces motifs,

    LA COUR

    statuant sur les questions à elle soumises par le Marknadsdomstolen, par ordonnances du 7 février 1995, dit pour droit:

    1. La directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, ne fait pas obstacle à ce qu'un État membre prenne, en application d'une réglementation générale relative à la protection des consommateurs contre la publicité trompeuse, des mesures à l'égard d'un annonceur en raison d'une publicité télévisée diffusée à partir d'un autre État membre, pourvu que ces mesures n'empêchent pas la retransmission proprement dite sur son territoire des émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance de cet autre État membre.

    2. L'article 30 du traité CE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'un État membre prenne, sur la base des dispositions de sa législation nationale, des mesures à l'encontre d'un annonceur en raison d'une publicité télévisée, à moins que ces dispositions n'affectent pas de la même manière, en droit ou en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux provenant d'autres États membres, qu'elles ne soient pas nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant à l'intérêt général ou à l'un des objectifs énoncés à l'article 36 du traité CE, qu'elles ne soient pas proportionnées à cet effet ou que ces objectifs ou exigences impératives puissent être atteints par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires.

    3. L'article 59 du traité CE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'un État membre prenne, sur la base des dispositions de sa législation nationale, des mesures à l'égard d'un annonceur en raison d'unepublicité télévisée. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si ces dispositions sont nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant à l'intérêt général ou à l'un des objectifs énoncés à l'article 56 du traité CE, si elles sont proportionnées à cet effet et si ces objectifs ou exigences impératives ne pourraient être atteints par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires.

    4. La directive 89/552 doit être interprétée comme faisant obstacle à l'application aux émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres d'une disposition d'une loi nationale sur la radiodiffusion qui dispose qu'une séquence publicitaire diffusée au cours des plages horaires prévues pour la publicité télévisée ne doit pas viser à capter l'attention des enfants de moins de 12 ans.

    Rodríguez Iglesias Mancini Moitinho de Almeida
    Murray Sevón
    Kakouris Kapteyn Gulmann
    Edward Puissochet
    Hirsch Jann Ragnemalm

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 1997.

    Le greffier

    Le président

    R. Grass

    G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: le suédois.