Language of document : ECLI:EU:C:2009:416

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Eleanor Sharpston

présentées le 2 juillet 2009 (1)

Affaires jointes C‑402/07 et C‑432/07

Christopher Sturgeon

Gabriel Sturgeon

Alana Sturgeon

contre

Condor Flugdienst GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Transport aérien – Distinction entre les notions de ‘retard’ et d’‘annulation’»

Stefan Böck

Cornelia Lepuschitz

contre

Air France SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Handelsgericht Wien (Autriche)]

«Transport aérien – Distinction entre les notions de ‘retard’ et d’‘annulation’ – Circonstances extraordinaires»





1.        Dans ces affaires jointes, la Cour a été sollicitée par le Bundesgerichtshof (Allemagne) et par le Handelsgericht Wien (Autriche) pour clarifier la distinction entre les notions de «retard» et d’«annulation» d’un vol dans le règlement (CE) n° 261/2004 (2) (ci‑après le «règlement»). Le Handelsgericht Wien souhaite également savoir quel est le sens à donner à la notion de «circonstances extraordinaires» visée à l’article 5, paragraphe 3, dudit règlement.

 Les dispositions légales pertinentes

 La convention de Montréal  (3)

2.        La convention de Montréal, à laquelle la Communauté est partie, modernise et refond la convention de Varsovie (4). Elle vise, notamment, à assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation (5).

3.        L’article 19 de la convention de Montréal, intitulé «Retard», dispose:

«Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.»

 Le traité CE

4.        L’article 3 CE dispose:

«1.      Aux fins énoncées à l’article 2 [(6)], l’action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité:

[…]

t)       une contribution au renforcement de la protection des consommateurs;

[…]»

 Le règlement

5.        Ce règlement comporte les considérants suivants:

«[…]

(2)      Le refus d’embarquement et l’annulation ou le retard important d’un vol entraînent des difficultés et des désagréments sérieux pour les passagers.

[…]

(12)      Il convient également d’atténuer les difficultés et les désagréments pour les passagers, occasionnés par les annulations de vols. Il y a lieu à cet effet d’inciter les transporteurs à informer les passagers des annulations avant l’heure de départ prévue et en outre, leur proposer un réacheminement raisonnable, de sorte que les passagers puissent prendre d’autres dispositions. S’ils n’y parviennent pas, les transporteurs aériens devraient indemniser les passagers, sauf lorsque l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

[…]

(17)      Les passagers dont le vol est retardé d’un laps de temps défini devraient bénéficier d’une prise en charge adéquate et avoir la possibilité d’annuler leur vol et de se faire rembourser le prix de leur billet ou de le poursuivre dans des conditions satisfaisantes.

[…]»

6.        L’article 2, paragraphe 1, définit l’«annulation» aux fins du règlement comme «le fait qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectué». Il n’y a pas de définition équivalente pour la notion de «retard».

7.        L’article 5, intitulé «Annulations», dispose:

«1.      En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés:

a)      se voient offrir par le transporteur aérien effectif une assistance conformément à l’article 8; [(7)]

b)      se voient offrir par le transporteur aérien effectif une assistance conformément à l’article 9, paragraphe 1, point a), et paragraphe 2, [(8)] de même que, dans le cas d’un réacheminement lorsque l’heure de départ raisonnablement attendue du nouveau vol est au moins le jour suivant le départ planifié pour le vol annulé, l’assistance prévue à l’article 9, paragraphe 1, points b) et c), et

c)      ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément là l’article 7, à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol:

i)      au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou

ii)      de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou

iii)      moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée.

2.      Lorsque les passagers sont informés de l’annulation d’un vol, des renseignements leur sont fournis concernant d’autres transports possibles.

3.      Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

4.      Il incombe au transporteur aérien effectif de prouver qu’il a informé les passagers de l’annulation d’un vol ainsi que le délai dans lequel il l’a fait.»

8.        L’article 6, intitulé «Retards», dispose:

«1.      Lorsqu’un transporteur aérien effectif prévoit raisonnablement qu’un vol sera retardé par rapport à l’heure de départ prévue:

a)      de deux heures ou plus pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins, ou

b)      de trois heures ou plus pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 km et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 km, ou

c)      de quatre heures ou plus pour tous les vols qui ne relèvent pas des points a) ou b),

les passagers se voient proposer par le transporteur aérien effectif:

i)      l’assistance prévue à l’article 9, paragraphe 1, point a), et paragraphe 2, [(9)] et

ii)      lorsque l’heure de départ raisonnablement attendue est au moins le jour suivant l’heure de départ initialement annoncée, l’assistance prévue à l’article 9, paragraphe 1, points b) et c), et

iii)      lorsque le retard est d’au moins cinq heures, l’assistance prévue à l’article 8, paragraphe 1, point a) [(10)].

2.      En tout état de cause, cette assistance est proposée dans les limites fixées ci-dessus compte tenu de la distance du vol.»

9.        L’article 7, intitulé «Droit à indemnisation», dispose:

«1.      Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à:

a)      250 euros pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins;

b)      400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres;

c)      600 euros pour tous les vols qui ne relèvent pas des points a) ou b).

Pour déterminer la distance à prendre en considération, il est tenu compte de la dernière destination où le passager arrivera après l’heure prévue du fait du refus d’embarquement ou de l’annulation.

2.      Lorsque, en application de l’article 8, un passager se voit proposer un réacheminement vers sa destination finale sur un autre vol dont l’heure d’arrivée ne dépasse pas l’heure d’arrivée prévue du vol initialement réservé:

a)      de deux heures pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins, ou

b)      de trois heures pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres, ou

c)      de quatre heures pour tous les vols ne relevant pas des points a) ou b),

le transporteur aérien effectif peut réduire de 50 % le montant de l’indemnisation prévue au paragraphe 1.

[…]»

10.      L’article 8, intitulé «Assistance: droit au remboursement ou au réacheminement», dispose:

«1.      Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers se voient proposer le choix entre:

a)       – le remboursement du billet, dans un délai de sept jours, selon les modalités visées à l’article 7, paragraphe 3, au prix auquel il a été acheté, pour la ou les parties du voyage non effectuées et pour la ou les parties du voyage déjà effectuées et devenues inutiles par rapport à leur plan de voyage initial, ainsi que, le cas échéant,

– un vol retour vers leur point de départ initial dans les meilleurs délais;

b)      un réacheminement vers leur destination finale, dans des conditions de transport comparables et dans les meilleurs délais, ou

c)      un réacheminement vers leur destination finale dans des conditions de transport comparables à une date ultérieure, à leur convenance, sous réserve de la disponibilité de sièges.

[…]»

11.      L’article 9, intitulé «Droit à une prise en charge», énonce les différentes prestations auxquelles peuvent prétendre les passagers:

«1.       Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers se voient offrir gratuitement:

a)      des rafraîchissements et des possibilités de se restaurer en suffisance compte tenu du délai d’attente;

b)      un hébergement à l’hôtel aux cas où:

–        un séjour d’attente d’une ou plusieurs nuits est nécessaire, ou

–        lorsqu’un séjour s’ajoutant à celui prévu par le passager est nécessaire;

c)      le transport depuis l’aéroport jusqu’au lieu d’hébergement (hôtel ou autre).

2.      En outre, le passager se voit proposer la possibilité d’effectuer gratuitement deux appels téléphoniques ou d’envoyer gratuitement deux télex, deux télécopies ou deux messages électroniques.

[…]»

 Les procédures au principal et les questions posées à la Cour

 Affaire C-402/07

12.      Christopher Sturgeon et son épouse ont réservé auprès de Condor Flugdienst GmbH (ci-après «Condor») un vol aller-retour Francfort‑sur‑le‑Main‑Toronto pour eux-mêmes et leurs deux enfants. Dans les développements qui suivent, je ferai référence aux membres de cette famille de manière collective (ci‑après la «famille Sturgeon»).

13.      La famille Sturgeon était censée rentrer par un vol décollant de Toronto le 9 juillet 2005 à 16h20. En réalité, elle n’est pas partie de Toronto avant le lendemain. En conséquence, elle n’est pas arrivée à Francfort‑sur‑le‑Main avant le 11 juillet 2005 à 7h00 ou 7h15, soit quelque 25 heures près l’heure d’arrivée initialement prévue.

14.      La famille Sturgeon allègue que, le 9 juillet 2005 vers 23h30, le commandant de bord a annoncé que le vol était annulé et que les mêmes informations ont été diffusées par les panneaux de l’aéroport affichant les départs. Les bagages qui avaient déjà été embarqués dans l’appareil ont été restitués aux passagers qui ont été transférés dans un hôtel pour y passer la nuit. Ils y sont arrivés à 2h30. Le jour suivant, les passagers ont procédé à un nouvel enregistrement au comptoir d’une autre compagnie aérienne. On leur a alloué des sièges différents et ils ont dû se soumettre, de nouveau, aux contrôles de sécurité. Toutefois, le numéro de leur vol retour, effectué en réalité un jour plus tard, correspondait bien au numéro de vol figurant sur leur réservation.

15.      La famille Sturgeon fait valoir que, compte tenu de ces circonstances, et notamment du retard de 25 heures, son vol n’a, en réalité, pas été retardé mais bien annulé et que chacun des membres de la famille a droit à une indemnité d’annulation de 600 euros (11).

16.      Condor maintient que le vol était simplement retardé.

17.      L’Amtsgericht Rüsselsheim a jugé que le vol avait été retardé et non annulé. Il a donc rejeté les demandes d’indemnisation de la famille Sturgeon.

18.      L’appel de la famille Sturgeon a été rejeté par le Landgericht Darmstadt qui a toutefois autorisé le pourvoi fondé sur un point de droit devant le Bundesgerichtshof au motif que la distinction entre les notions d’«annulation» et de «retard» n’est pas claire bien qu’elle soit fondamentale.

19.      Le Bundesgerichtshof a considéré que l’issue du pourvoi introduit par la famille Sturgeon dépendait de l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, et peut-être également de l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement. Il a donc sursi à statuer et a saisi la Cour d’une demande préjudicielle portant sur les questions suivantes:

«1)      L’interprétation du terme ‘annulation’ [des articles 2, point l, et 5, paragraphe 1, sous c), du règlement] dépend-elle de manière décisive de la question de savoir si la programmation initiale du vol est abandonnée de sorte qu’un retard, indépendamment de sa durée, ne représente pas une annulation, lorsque la compagnie aérienne n’abandonne pas la programmation du vol initial?

2)      Dans la négative, dans quels cas le retard du vol programmé doit-il être traité non plus comme un retard, mais comme une annulation? La réponse à cette question dépend-elle de la durée du retard?»

 Affaire C-432/07

20.      Stefan Böck et Cornelia Lepuschitz ont réservé auprès d’Air France SA (ci‑après «Air France») un vol Vienne-Mexico. Leur voyage se composait des trajets suivants: le 18 février 2005, vols de Vienne à Paris puis de Paris à Mexico; le 7 mars 2005, vols de Cancún à Mexico et de Mexico à Paris; le 8 mars 2005, vol de Paris à Vienne.

21.      Alors que Stephan Böck et Cornelia Lepuschitz allaient procéder à l’enregistrement sur le vol AF439 partant de Mexico le 7 mars 2005 à 21h30, ils ont été informés – avant l’enregistrement effectif – que ce vol avait été annulé en raison d’un problème technique. En réponse à la question de savoir s’il existait un vol alternatif, il leur a été proposé un vol opéré par Continental Airlines (ci-après «Continental») sous le numéro de vol CO1725Y, qui quittait Mexico le 8 mars 2005 à 12h20.

22.      Stephan Böck et Cornelia Lepuschitz ont accepté cette offre, mais ils devaient obtenir au préalable une confirmation par le bureau d’Air France de Mexico pour obtenir un billet au comptoir de Continental. Air France leur a fourni l’hébergement dans un hôtel, les repas et le transfert vers et depuis l’hôtel. Stephan Böck et Cornelia Lepuschitz sont finalement arrivés à Vienne 21 heures après l’heure d’arrivée initialement prévue.

23.      Le reste des passagers qui auraient dû être transportés le 7 mars 2005 sur le vol AF439 et qui n’avaient pas été transférés sur le vol de Continental ont pris le 8 mars 2005 un vol Mexico-Paris assuré par un avion portant le code d’identification FGSPV. Ce vol a décollé à 19h35 avec un numéro légèrement modifié (AF439A) et a atterri à Paris le 9 mars 2005 à 13h09. Ce vol a été effectué parallèlement au vol régulier prévu par Air France le 8 mars.

24.      Stefan Böck et Cornelia Lepuschitz allèguent qu’Air France leur est redevable de l’indemnité d’annulation de vol de 600 euros par personne en vertu de l’application combinée des articles 5 et 7, paragraphe 1, sous c), du règlement.

25.      En première instance, le Bezirksgericht für Handelssachen Wien a rejeté le recours au motif que le vol du 7 mars 2005 avait été retardé et non annulé au sens du règlement, et que, en cas de simple retard, il n’existait pas de droit à compensation.

26.      Stefan Böck et Cornelia Lepuschitz ont interjeté appel devant le Handelsgericht Wien qui a décidé de saisir la Cour d’une demande préjudicielle portant sur les questions suivantes:

«1)      L’article 5, combiné aux articles 2, sous l), et 6 du règlement […] doit-il être interprété en ce sens qu’un retard au décollage de 22 heures constitue un ‘retard’ au sens de l’article 6?

2)      L’article 2, sous l), du règlement […] doit-il être interprété en ce sens que dans les cas dans lesquels les passagers sont transportés avec un retard considérable (22 heures), sur un vol portant un numéro complémentaire (numéro de vol initial complété d’un «A»), sur lequel n’est cependant transportée qu’une partie – quand bien même importante – des passagers ayant une réservation sur le vol initial auxquels s’ajoutent des passagers supplémentaires, constitue une ‘annulation’ plutôt qu’un ‘retard’?

En cas de réponse positive à la deuxième question:

3)      L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 261/2004 doit-il être interprété en ce sens qu’un incident technique de l’appareil, et les modifications d’horaires de vol qui en découlent, constituent des circonstances extraordinaires (qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises)?»

27.      Des observations écrites ont été présentées par la famille Sturgeon, par Stefan Böck et Cornelia Lepuschitz, par Condor, par Air France, par les gouvernements autrichien, français, hellénique, italien, polonais, suédois et par le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que par la Commission des Communautés européennes.

28.      Lors de l’audience, des observations orales ont été présentées pour le compte de la famille Sturgeon, de Stefan Böck et Cornelia Lepuschitz, de Condor, du gouvernement hellénique et du gouvernement du Royaume-Uni ainsi que par les représentants de la Commission.

 La distinction entre «retard» et «annulation»

29.      Dans ses deux questions présentées dans l’affaire C‑402/07, la juridiction de renvoi demande des précisions sur le point de savoir s’il est essentiel pour qu’il y ait «annulation» que la planification du vol initial soit abandonnée et si, dans le cas contraire, un retard peut devenir une annulation au-delà d’un certain laps de temps. Les deuxième et troisième questions posées dans l’affaire C‑432/07 portent sur le point de savoir si un retard de 22 heures constitue toujours un «retard» au sens de l’article 6 du règlement ou si un tel retard, associé au transport des passagers sur un vol effectué sous un numéro différent et ne transportant pas tous les passagers qui disposaient d’une réservation sur le vol initial, ne peut pas constituer au contraire une annulation.

30.      Les deux juridictions de renvoi demandent donc en substance comment distinguer un «retard» d’une «annulation» au sens de l’article 2, paragraphe 1, du règlement et si un «retard» peut constituer une «annulation» au sens du règlement passé un certain laps de temps.

 Observations liminaires – les antécédents historiques du règlement

31.      Au point 20 de l’exposé des motifs explicatifs de sa proposition initiale de règlement (12), la Commission relève que «[l’]annulation d’un vol par un opérateur constitue également un refus […] de fournir le service pour lequel il s’est engagé par contrat, sauf dans des circonstances exceptionnelles dans lesquelles sa responsabilité ne peut être engagée, notamment en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques extrêmement défavorables, de conditions de sûreté inadéquates ou de défaillance technique inattendue compromettant la sécurité. Pour le passager, l’annulation d’un vol dans des circonstances normales, pour raisons commerciales entraîne des désagréments et des retards inacceptables, surtout s’il n’est pas prévenu à l’avance». Au point 23, la Commission indique que «[b]ien que les retards entraînent pour les passagers des désagréments et une frustration comparables à ce qu’ils subissent en cas de refus d’embarquement ou d’annulation d’un vol, la différence entre les deux situations est que l’opérateur est responsable du refus d’embarquement et de l’annulation (sauf circonstances exceptionnelles indépendantes de sa volonté), alors qu’il ne l’est pas toujours dans le cas d’un retard. Les autres causes courantes sont les dysfonctionnements des systèmes de gestion du trafic aérien ou les limites de capacité des aéroports. Comme elle l’a indiqué dans sa communication sur la protection des passagers aériens, la Commission considère que, dans les circonstances actuelles, les opérateurs ne devraient pas être tenus à l’indemnisation des passagers subissant un retard.»

32.      Il n’est pas très aisé de discerner la logique qui sous-tend la distinction ainsi établie par la Commission. L’exposé des motifs indique tout d’abord que les compagnies aériennes sont toujours responsables des annulations sauf lorsque des circonstances exceptionnelles les exonèrent de leur responsabilité (un principe que l’on retrouve ensuite dans le texte de l’article 5 du règlement tel qu’il a été adopté et où les «circonstances exceptionnelles» mentionnées par la Commission sont rebaptisées «circonstances extraordinaires») (13). L’exposé des motifs a ensuite identifié un certain nombre de circonstances dans lesquelles les compagnies aériennes ne sont (objectivement) pas responsables des retards. Il s’agit là – comme dans le cas des «circonstances exceptionnelles» identifiées auparavant à propos des annulations – de circonstances dans lesquelles les compagnies aériennes ne sont (objectivement) pas responsables. Logiquement, on pourrait s’attendre à ce que l’exposé des motifs propose (à la fois pour les vols annulés et ceux retardés) que les compagnies aériennes ne soient pas tenues de verser des indemnités si le retard ou l’annulation ne leur est, objectivement, pas imputable. Au lieu de cela, l’exposé des motifs se contente de constater simplement que «la Commission considère que, dans les circonstances actuelles, les opérateurs ne devraient pas être tenus à l’indemnisation des passagers subissant un retard».

33.      La compensation proposée dans la proposition de la Commission en cas d’annulation était la même que celle offerte en cas de refus d’embarquement et qui, selon le point 11 de l’exposé des motifs, devait être fixée à «un niveau dissuasif». Le calcul était en outre expliqué au point 14 qui stipule que, «[a]fin de protéger tous les passagers contre le refus d’embarquement, quelle que soit la classe dans laquelle ils voyagent, la Commission propose un taux fixe d’indemnisation égal à deux fois le montant de la plupart des tarifs de la classe affaires».

34.      Il est possible que la distinction entre «annulation» et «retard» envisagée par la Commission dans sa proposition ne reposait pas sur l’effet sur les passagers, mais sur le degré de responsabilité de l’opérateur – la différence entre une décision délibérée d’annuler un vol pour des raisons commerciales («annulation»), qui doit être découragée par des indemnités dissuasives, et une véritable tentative de conduire les passagers à destination, bien qu’avec retard, face à des difficultés extérieures («retard») à l’occasion desquelles les opérateurs ne devraient être tenus que de fournir un certain degré d’assistance. Si tel est le cas, il semble exister un certain degré de confusion entre la «cause» et la «faute». Il n’est pas difficile d’imaginer des exemples de situations dans lesquelles une véritable tentative d’amener les passagers à destination aussi vite que possible peut impliquer l’annulation du vol prévu (parce qu’il est évident qu’il ne pourra jamais décoller à temps) et de s’assurer que les passagers sont transportés sur un autre vol (14). Inversement, un retard d’un vol pour lequel seuls quelques passagers possèdent une réservation peut être prolongé pour des raisons de nature commerciale parce que la compagnie aérienne utilise le premier avion de remplacement disponible pour régler en premier le cas d’un autre vol sur lequel davantage de passagers possèdent une réservation (15). Si le principe qui sous-tendait la proposition de la Commission était que «les compagnies aériennes ne doivent verser une indemnité que si elles sont en tort», on pourrait s’attendre à ce que la Commission ait adopté des dispositions pour identifier (et sanctionner) les retards imputables à des décisions commerciales.

35.      Toutefois, il ne semble pas que, au cours du processus législatif, l’accent ait été mis sur cette distinction, notamment une fois que les montants de l’indemnisation ont été diminués. Il est difficile de déduire du texte qui a été finalement adopté les critères permettant de distinguer l’«annulation» du «retard».

 Pourquoi la distinction entre «retard» et «annulation» est-elle importante?

36.      L’article 2, paragraphe 1, du règlement définit comme «annulation» «le fait qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectué». Le règlement ne comporte pas de définition équivalente de la notion de «retard». Cette dernière n’est pas non plus définie dans les conventions de Varsovie et de Montréal. L’article 19 de la convention de Montréal dispose simplement, en termes plutôt généraux, que le transporteur est responsable du dommage résultant d’un «retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises». Cette expression semble couvrir de nombreux cas – voire l’ensemble d’entre eux – qui relèvent de l’«annulation d’un vol», et être bien plus large que le «retard d’un vol» au sens du règlement.

37.      En vertu du règlement, la distinction entre «retard» et «annulation» revêt cependant une importance. L’article 5 du règlement prévoit un droit à une indemnisation spécifique des passagers dont le vol a été annulé. L’article 6 du règlement ne prévoit pas de disposition équivalente en cas de retard.

38.      Le règlement a le mérite considérable d’accorder une indemnité automatique aux passagers dont le vol a été annulé. Toutefois, comme le relève le gouvernement polonais dans ses observations écrites, la distinction introduite par le règlement entre retard et annulation peut aboutir à un traitement différent de passagers objectivement placés dans des situations similaires.

39.      Cela soulève inévitablement la question (fondamentale) d’une éventuelle violation du principe de l’égalité de traitement par le règlement.

 L’effet du principe de l’égalité de traitement

40.      Selon une jurisprudence constante, le principe de l’égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (16).

41.      Dans l’arrêt IATA et ELFAA, la légalité des articles 5 à 7 du règlement était contestée à la lumière du principe de l’égalité de traitement, mais du point de vue des compagnies aériennes et non du point de vue des passagers.

42.      Dans cette affaire, l’ELFAA alléguait que les compagnies aériennes à bas coûts qu’elle représentait faisaient l’objet d’un traitement discriminatoire puisque les mesures prescrites par ces articles imposent les mêmes obligations à tous les transporteurs aériens, sans établir de distinction sur la base de la politique des prix et des services qu’ils proposent. L’ELFAA a en outre fait valoir que le droit communautaire ne prévoyait pas d’obligations identiques dans le cas des autres moyens de transport et que, de manière implicite, il était alors discriminatoire d’opérer une distinction de la sorte dans le cas du secteur du transport aérien.

43.      La Cour a jugé que la situation des entreprises opérant dans les différents secteurs des transports n’était pas comparable et que les passagers dont les vols sont annulés ou qui subissent des retards importants se trouvent dans une situation objectivement différente de celle des passagers d’autres moyens de transports en cas d’incidents de même nature. De plus, le préjudice subi par les passagers des transporteurs aériens en cas d’annulation de vol ou de retard prolongé de celui-ci est semblable, quelle que soit la compagnie aérienne avec laquelle ils ont contracté et il n’est pas lié à la politique des prix pratiquée par la compagnie (17). La Cour en a conclu que «sauf à porter atteinte au principe d’égalité, par rapport au but recherché par le règlement visant à accroître la protection de tous les passagers des transporteurs aériens, il incombe au législateur communautaire de traiter de manière identique toutes les compagnies aériennes» (18).

44.      Dans l’arrêt IATA et ELFAA, la Cour a explicitement confirmé que l’objectif premier du règlement était d’améliorer la protection de l’ensemble des passagers du transport aérien. En effet, cette déclaration constitue le socle de l’analyse de la Cour et de son rejet des arguments présentés par l’ELFAA. L’ELFAA a fait valoir que le transport aérien et les autres formes de transport étaient comparables. La Cour a estimé que ce n’était pas le cas pour les passagers victimes d’annulations ou de retards importants. L’ELFAA a également fait valoir qu’on ne pouvait pas comparer les compagnies régulières et les compagnies à bas coûts. La Cour a déclaré que, pour les passagers victimes d’annulations ou de retards importants, ces compagnies sont comparables. En résumé, l’ELFAA a invité la Cour à examiner le règlement du point de vue des compagnies aériennes. La Cour a rejeté cette approche et a examiné l’argument de l’ELFAA (ainsi que le règlement) du point de vue des passagers.

45.      Il convient en outre de relever que, au cours de son analyse, la Cour a considéré que les passagers dont le vol est annulé et ceux dont le vol subit un retard prolongé constituent une seule et même catégorie.

46.      Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., une «violation du principe de l’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose que les situations visées sont comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent». Ces éléments, et ainsi leur caractère comparable, «doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte communautaire qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause […]» (19).

47.      Dans l’arrêt IATA et ELFAA, la Cour a constaté, sans équivoque, que les objectifs poursuivis par l’article 5 (annulation) et l’article 6 (retard) du règlement ressortent clairement des premier et deuxième considérants de ce règlement, aux termes desquels l’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait, notamment, viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers et tenir compte des exigences de protection des consommateurs en général, dès lors que l’annulation d’un vol entraîne des désagréments sérieux pour les passagers (20).

48.      Dans l’arrêt IATA et ELFAA, la Cour a donc clairement identifié la protection des passagers comme l’«objectif immédiat» ou l’«objectif direct, explicitement exposé par le législateur communautaire», tout en reconnaissant que le règlement puisse implicitement comporter d’autres objectifs secondaires (tels que celui de réduire, en amont, le nombre des annulations et des retards importants de vols) (21).

49.      Cette approche est corroborée par le fait que la Cour a relevé que l’étendue des différentes mesures retenues par le législateur communautaire varie «en fonction de l’importance des préjudices subis par les passagers, laquelle est appréciée en fonction soit de la durée du retard et de l’attente du prochain vol, soit du délai mis à informer les intéressés de l’annulation du vol» (22). Bien que le point de référence utilisé pour calculer la durée soit différent, l’importance du préjudice est appréciée en référence au temps écoulé dans le cas d’une annulation comme dans celui d’un retard important.

50.      Le renforcement de la protection des consommateurs constitue, en outre, l’une des activités explicitement mentionnées à l’article 3, paragraphe 1, sous t), CE que l’activité de la Communauté doit comporter aux fins des objectifs généraux de la Communauté énoncés à l’article 2 CE (23).

51.      Toutefois, indépendamment de la gravité du désagrément occasionné, le règlement prévoit que l’annulation d’un vol fait naître automatiquement un droit à indemnisation (au titre de l’article 7) alors que ce n’est jamais le cas pour un retard. Ainsi que le suggère la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑402/07 et comme l’a indiqué la Commission lors de l’audience, le règlement semble reposer sur la supposition qu’une annulation entraîne un désagrément plus important pour les passagers et mérite, par conséquent, une forme de protection plus poussée qu’un «simple» délai (24).

52.      Je ne comprends absolument pas pourquoi il devrait en être ainsi. En effet, la Commission l’a admis dans ses observations écrites en reconnaissant que, dans les faits, les annulations n’entraînent pas toujours plus de désagréments que les retards.

53.      Supposons qu’un passager A et un passager B aient chacun réservé une place sur des vols Bruxelles-New York opérés par différents transporteurs aériens et décollant tous les deux à 8h30. Lorsque le passager A arrive à l’aéroport, on lui annonce que son vol a été annulé. On lui propose une place sur un autre vol vers New York avec un décollage le jour suivant à 8h30. Le passager B est informé à son arrivée à l’aéroport que son vol a été retardé. Son vol décolle finalement au même moment que le nouveau vol du passager A, c’est-à-dire un jour après l’heure de départ initialement prévue. Les deux passagers arrivent à New York au même moment. Dans les faits, les deux passagers se trouvent dans des situations identiques. Pourtant, seul le passager A aura droit à une indemnisation automatique en vertu du règlement.

54.      La distinction entre l’annulation et le délai telle qu’elle existe dans le règlement apparaît donc être en contradiction avec sa finalité.

55.      Cela est encore plus patent lorsque l’on considère que le règlement peut avoir pour effet (pervers) que des passagers qui ont subi le désagrément le plus important se voient privés d’indemnisation automatique alors que ceux qui ont subi un désagrément de moindre importance peuvent la percevoir. Supposons que les passagers A et B précités (manifestement des «voyageurs fréquents») aient réservé des vols allant de Bruxelles à New York auprès de différents transporteurs aériens partant tous les deux à 10h30. Lorsque le passager A arrive à l’aéroport, il découvre que son vol a été annulé. Toutefois, le transporteur aérien propose immédiatement un vol alternatif opéré par un autre transporteur aérien et décollant à 11h00. Lorsque le passager B arrive à l’aéroport, il est informé que son vol est retardé. Son avion décolle finalement à 22h30 soit 12 heures après l’heure de départ initialement prévue. Il va de soi que le passager B a subi le désagrément le plus important.

56.      Le passager A (qui a été à peine affecté) aura la possibilité de réclamer une indemnité au titre des articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7 du règlement. Les heures passant, le passager B pourra uniquement réclamer la prise en charge de repas et de boissons (25), de quelques appels téléphoniques (ou bien encore de quelques télexes, télécopies ou courriels) gratuits (26), et (au terme de cinq heures) il pourra réclamer le remboursement de son billet si l’attente ne présente plus d’intérêt pour lui (27). Aussi précieux que puisse être le droit à la prise en charge, il est difficilement équivalent à l’indemnité que le passager A percevra.

57.      Dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement, compte tenu du fait que la mesure est destinée à améliorer la protection des consommateurs, la Commission a fait le commentaire suivant à propos de la distinction entre annulation et retard:

«Bien que les retards entraînent pour les passagers des désagréments et une frustration comparables à ce qu’ils subissent en cas de refus d’embarquement ou d’annulation d’un vol, la différence entre les deux situations est que l’opérateur est responsable du refus d’embarquement et de l’annulation (sauf circonstances exceptionnelles indépendantes de sa volonté), alors qu’il ne l’est pas toujours dans le cas d’un retard» (28).

58.      Cette explication ne résiste pas à un examen plus approfondi.

59.      La Commission a explicitement admis que les désagréments subis par les passagers étaient analogues, que leur vol soit annulé ou qu’il fasse l’objet d’un retard important. Si cela est exact (et il semble effectivement que ce soit le cas), on pourrait s’attendre à ce que les deux catégories de passagers soient traitées de la même manière parce qu’elles nécessitent et méritent tout autant l’une que l’autre d’être protégées (mais tel n’est pas le cas). La Commission indique ensuite que la différence entre l’annulation et le retard (et, du moins implicitement, la justification de cette différence de traitement) est que l’opérateur est toujours responsable des annulations (sauf quand il ne l’est pas) alors qu’il n’est pas toujours responsable des retards (sauf, sans doute, quand il l’est). Il s’agit là d’une distinction sans différence.

60.      Il me semble que la logique qui sous-tend cette distinction (compte tenu, là encore, de la protection accrue des consommateurs) est que lorsque l’opérateur n’est pas responsable des désagréments (qu’ils soient induits par une annulation ou par un délai important), il ne devrait pas être tenu de verser l’indemnité et que, à l’opposé, lorsqu’il est responsable, il doit payer. En d’autres termes, le critère de l’indemnisation n’est pas la relation de cause à effet mais la faute (définie largement) de l’opérateur.

61.      Si cela est correct, cela n’explique toujours pas la raison pour laquelle les passagers qui subissent les désagréments d’une annulation et ceux qui subissent les désagréments d’un retard important sont traités différemment. Un délai important, tout comme une annulation, peut relever (ou non) de la responsabilité de l’opérateur. Toutefois, la différence de traitement prévue par le règlement ne dépend pas de la faute de l’opérateur. Elle dépend simplement de la classification de l’incident comme retard ou comme annulation. On ne peut pas trouver d’autre explication objective à la différence de traitement dans les travaux préparatoires.

62.      Cette différence de traitement semble donc être en contradiction avec le principe de l’égalité de traitement.

63.      Cela est corroboré par le fait que, dans l’arrêt IATA et ELFAA, précité, la Cour a considéré, de manière claire et sans ambiguïté, que la protection des consommateurs est l’objectif premier du règlement. Du point de vue des passagers, des personnes placées dans des situations comparables sont traitées de manière différente au bénéfice d’une catégorie (les passagers dont le vol est annulé) et au détriment d’une autre (celle des passagers dont le vol fait l’objet d’un retard important).

64.      Il semble également, du moins à première vue, que l’objectif premier du règlement (une protection accrue des consommateurs) pourrait être atteint par des mesures respectueuses du principe d’égalité. Il appartient bien entendu au législateur communautaire d’examiner et d’adopter de telles mesures (29).

65.      Dans la présente procédure, à l’exception d’une remarque succincte du gouvernement polonais, la Cour n’a pas entendu d’argument sur l’effet possible, sur les questions soulevées par les juridictions de renvoi, du principe de l’égalité de traitement. La possibilité qu’un examen de la distinction entre retard et annulation puisse aboutir à la conclusion que la manière dont le règlement régit ces deux notions viole ce principe fondamental du droit communautaire n’a donc pas été examinée de manière adéquate. Je suis consciente qu’on pourrait opposer des contre‑arguments que je ne suis pas parvenue à identifier. Tant les institutions que les États membres devraient avoir l’opportunité de présenter des observations sur l’analyse que j’ai présentée et d’avancer des arguments ayant trait à une justification objective.

66.      Je suggère donc à la Cour de rouvrir la procédure orale et d’inviter les États membres, la Commission, le Parlement européen et le Conseil à présenter des observations sur cette question.

67.      Pour le cas où la Cour ne devait pas donner suite à cette suggestion, j’examine dans les considérations qui suivent s’il est possible d’interpréter le règlement conformément au principe d’égalité (30).

 Indications qu’un vol a été annulé

68.      Parmi les indices possibles de l’annulation d’un vol cités devant la Cour ainsi que dans la jurisprudence nationale et la doctrine (31), on trouve: le changement de transporteur aérien, le changement d’avion, la modification du numéro de vol, le changement d’aéroport de départ ou d’arrivée, la restitution des bagages aux passagers, le renouvellement de l’enregistrement des passagers, l’attribution de nouveaux numéros de sièges, le transfert des passagers sur un ou plusieurs autres avions, l’émission de nouvelles cartes d’embarquement, et le fait que le pilote (ou un autre membre de l’équipage) annonce l’«annulation» du vol ou que cette information figure sur le panneau des départs.

69.      Le bon sens laisse à pense que tous ces facteurs peuvent constituer des indices d’une annulation de vol plutôt qu’un simple retard de celui-ci. Plus ces facteurs se cumulent, et plus la probabilité qu’il s’agisse effectivement d’une annulation augmente. De même, je ne pense pas que l’un de ces facteurs pris individuellement soit concluant.

70.      Par exemple, la mise hors service d’un avion n’aboutit pas automatiquement à l’annulation du vol que devait effectuer cet appareil. Le vol peut être effectué si un avion de remplacement est mis en service (32). Il me parait sans importance que les passagers soient transférés sur un ou plusieurs avions de remplacement (33).

71.      Une analyse analogue peut s’appliquer à la plupart des autres facteurs avancés. Ils sont partie intégrante d’un voyage aérien. Ils peuvent se retrouver dans le contexte d’un vol sans incident par ailleurs (pas même nécessairement un vol retardé).

72.      La Commission, soutenue à l’audience par les conseils de Stefan Böck et Cornelia Lepuschitz et de Condor ainsi que par les représentants du gouvernement hellénique, a suggéré, dans ses observations écrites, qu’une modification du numéro de vol (34) constitue un indice fort que le vol a été annulé (35). Je partage cet avis.

73.      Cela étant dit, un nouveau numéro de vol ne constitue pas un indice infaillible permettant de distinguer les vols retardés des vols annulés. Le numéro de vol peut avoir été modifié pour des raisons purement techniques en dehors de la sphère de contrôle du transporteur aérien, même si aucun des autres paramètres du vol n’est modifié (36). Dans ces circonstances, la modification du numéro de vol ne saurait constituer un indice probant de l’annulation. À l’inverse, le maintien du numéro de vol initial n’indique pas nécessairement que le vol n’a pas été annulé.

74.      Il en va de même pour les déclarations du personnel du transporteur aérien ou de celui de l’aéroport indiquant que le vol a été annulé. Il n’est pas difficile d’imaginer les querelles sans fin devant la juridiction nationale sur le point de savoir si les membres du personnel harassés, qui ont indiqué à un passager au sein d’un groupe de personnes qui jouent des coudes, à un comptoir pris d’assaut, dans l’attente que l’on traite leur cas, que le vol avait été annulé, étaient compétents à cet effet (ou si d’ailleurs le personnel et les passagers parlaient suffisamment bien la même langue pour que toute déclaration ait une signification sans équivoque). Une annonce faite par le pilote ou une mention officielle sur le tableau des départs aurait davantage d’autorité mais ne serait pas nécessairement déterminante.

75.      Puisque aucun des facteurs cités ne saurait en lui-même être probant, les juridictions nationales doivent apprécier, dans chaque cas d’espèce, l’importance de chacun d’entre eux dès lors qu’ils sont combinés. Cela peut conduire à des problèmes significatifs de sécurité juridique (37).

76.      Il est également évident que les transporteurs aériens ont une influence significative sur nombre des facteurs susceptibles de permettre une distinction entre retard et annulation. Il est dans l’intérêt économique de ces transporteurs aériens de prendre des mesures pour veiller à ce qu’un incident soit classé comme retard plutôt que comme annulation, quelque soit l’ampleur du retard, et de rejeter (lorsque cela est possible) la réclamation des passagers invoquant une annulation (38).

 Le temps comme facteur d’identification de l’annulation

77.      À la différence des facteurs mentionnés ci-dessus, l’écoulement du temps n’est pas susceptible de manipulation (39). Un retard «excessif» peut-il devenir de facto une annulation qui ouvre droit à une indemnité au titre de l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement?

78.      La famille Sturgeon, Stefan Böck et Cornelia Lepuschitz, les gouvernements autrichien, français, hellénique, italien, polonais et suédois ainsi que la Commission considèrent que, passé un certain laps de temps, un retard peut être qualifié d’annulation. Le gouvernement du Royaume-Uni estime en revanche que seul le législateur communautaire pourrait introduire le temps écoulé comme un moyen de distinguer les deux types d’incidents. Condor fait valoir que l’article 19 de la convention de Montréal reconnaît aux passagers un droit à indemnisation en cas de retard. Les considérations de protection des passagers n’exigeraient donc pas qu’un retard important soit qualifié d’annulation au sens de l’article 5 du règlement.

79.      Je peux examiner ce dernier argument de façon sommaire. Il est vrai que la convention de Montréal s’applique dans la Communauté. Elle prévoit une indemnisation fondée sur le principe de réparation. Dans certains cas, cette indemnisation peut être plus avantageuse pour le passager que l’indemnisation forfaitaire automatique, sans preuve du préjudice réel, pour annulation de vol prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement. Les modalités du règlement sont différentes du régime mis en place par l’article 19 de la convention de Montréal et le complètent (40). Les passagers dont le vol a été annulé perçoivent une indemnité au titre de l’article 7, paragraphe 1, du règlement, «sans […] [avoir] à supporter les inconvénients inhérents à la mise en œuvre d’actions en dommages-intérêts devant les juridictions» (41). Si le retard important et l’annulation entraînent pour les passagers des désagréments analogues, la protection des passagers appelle une application analogue aux deux catégories d’incident d’un régime convenable d’indemnisation forfaitaire automatique. Il est ainsi répondu de manière suffisante à l’argument avancé par Condor.

80.      Qu’en est-il de l’argument central selon lequel, passé un certain laps de temps, le retard devient de facto une annulation?

81.      Il relève du bon sens que le temps écoulé est manifestement un facteur permettant d’identifier si un vol a été annulé. Si l’on est en présence d’une combinaison de plusieurs des facteurs précités et/ou que le vol a été retardé pour une durée excessive, il s’agit là d’un indice fort de l’annulation du vol.

82.      De plus, ainsi que la Commission l’a indiqué à l’audience, lorsqu’un passager fait une réservation sur un vol, un contrat implicite est passé avec le transporteur aérien pour le transport entre deux points à une heure donnée. Si l’heure de départ du vol est retardée de manière excessive, on peut difficilement affirmer qu’il est toujours question du «vol qui était prévu initialement» (42). Par conséquent, si, par exemple, un vol régulier est effectué quotidiennement à la même heure, dans des circonstances normales, le fait que ce vol n’ait pas décollé après le vol du jour suivant constitue un indice fort que le premier vol a été annulé (43).

83.      En l’absence de toute définition, la notion de «retard» doit être interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions du règlement et de ses objectifs (44). Considérer l’écoulement du temps comme un paramètre important pour identifier une annulation renforcerait clairement l’objectif du règlement d’améliorer la protection des passagers. Toutefois, cette approche présente deux difficultés. Premièrement, que convient-il d’entendre par «retard excessif»? Deuxièmement, est-il admis d’interpréter le règlement de manière à classer les retards excessifs comme des annulations de fait?

 À partir de quand un retard devient-il «excessif»?

84.      La Commission indique à juste titre que le règlement ne comporte aucun élément permettant d’identifier un moment dans le temps à partir duquel un retard peut être qualifié d’annulation. Le règlement indique clairement qu’un retard peut dépasser 5 heures [article 6, paragraphe 1, point iii)] et qu’il peut se prolonger au moins jusqu’au jour suivant, voire au-delà [application combinée de l’article 6, paragraphe 1, sous iii), et de l’article 9, paragraphe 1, sous b), premier tiret, du règlement].

85.      Le gouvernement français relève que le règlement comporte un certain nombre d’éléments qui peuvent servir d’indices. En vertu de l’article 6, paragraphe 1, du règlement, le délai entraînant l’obligation de proposer des formes spécifiques d’assistance varie en fonction de la distance du vol: de deux heures ou plus pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins (45), de trois heures ou plus pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 km et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 km (46), et de quatre heures ou plus pour tous les autres vols (47). Le législateur communautaire a donc fait dépendre le droit à une prise en charge de la distance du vol: plus les passagers voyagent loin, plus ils doivent attendre avant de pouvoir prétendre à la prise en charge (48).

86.      Une appréciation du point de savoir à partir de quand un retard devient «excessif» et qu’il peut être qualifié d’annulation pourrait prendre en compte les différents délais indiqués dans ces dispositions. Toutefois, pour être «excessif», un retard devrait nécessairement être nettement plus long que chacune de ces données de référence. La question serait alors: de combien de temps?

87.      Il me parait impossible d’identifier exactement, avec un degré de précision acceptable, combien de temps doit s’écouler avant qu’un retard ne devienne «excessif».

88.      Il appartiendrait donc à la juridiction nationale, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier les faits et de décider – sur le fondement d’une combinaison de la tradition juridique nationale, du bon sens et de l’instinct plutôt que sur la base d’une norme communautaire précise – si, dans ce cas, le retard était «excessif» et devrait donc être considéré comme une annulation de fait. La jurisprudence rendue jusqu’à présent suggère que les juridictions nationales adoptent des positions très différentes quant à la prise en compte du temps écoulé lorsqu’elles décident s’il y a eu une annulation et, le cas échéant, dans quelle mesure (49). En dehors de la confirmation que la durée peut être un facteur important dans l’identification d’une annulation, et que la distance parcourue par le vol doit être prise en compte lorsque l’on apprécie le caractère excessif d’un retard, la Cour ne peut être que d’une aide limitée pour les juridictions nationales en leur fournissant des instructions spécifiques utiles.

89.      La diversité des résultats qui en découlent est susceptible d’être contraire au principe de sûreté juridique.

90.      Il ressort d’une jurisprudence constante que le principe de sécurité juridique, qui est l’un des principes généraux du droit communautaire, exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (50). Les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique font donc partie de l’ordre juridique communautaire. À ce titre, ils doivent être respectés par les institutions communautaires (51). Il importe à l’évidence que tant les passagers que les transporteurs aériens connaissent l’étendue de leurs droits et de leurs responsabilités. Si on laisse aux juridictions des États membres le soin de décider à quel moment un retard est «excessif», la clarté, la précision ou le caractère prévisible de la conclusion seront très limités pour toutes les parties.

 Est-il admis de considérer un retard comme une annulation de fait?

91.      S’il était possible soit d’identifier avec précision un point dans le temps à compter duquel le retard devient excessif, soit d’établir un ensemble de critères susceptibles de servir d’instructions aux juridictions nationales, la réponse à cette question impliquerait de choisir entre une approche très téléologique de la protection des consommateurs et le seul libellé littéral du règlement.

92.      Dans le cas présent, il me semble que le choix est plus simple.

93.      Tout seuil numérique qui ouvre un droit délimite deux groupes, les chanceux et les malchanceux, et en déterminant ce seuil, le législateur doit prendre soin de ne pas méconnaître le principe de l’égalité de traitement. Le législateur est en droit de retenir un chiffre et de le défendre, dans la mesure où son choix est contesté pour infraction à ce principe, comme objectivement justifié. Le choix effectif du chiffre magique constitue une prérogative du législateur. Dans la mesure où tout chiffre est arbitraire jusqu’à un certain degré, ce caractère arbitraire est couvert par cette prérogative (la marge d’appréciation discrétionnaire du législateur).

94.      Le législateur communautaire peut donc choisir une certaine durée de retard (que ce soit 23 heures et demie, 24 heures, 25 heures ou 48 heures) ouvrant droit à indemnisation. La Cour n’a pas cette possibilité. Retenir un chiffre reviendrait à inclure dans le règlement un élément qu’il ne contient manifestement pas et constituerait une usurpation juridictionnelle d’une prérogative législative.

95.      Plus fondamentalement, quel que soit le seuil retenu, en vertu de l’économie actuelle du règlement, tous les passagers dont le vol a été annulé continueraient de jouir d’un droit automatique à indemnisation alors que seuls les passagers de vols ayant un retard excessif (quelle que soit la manière dont la Cour choisira de définir cette notion) auraient ce droit. Certains passagers placés dans des situations objectivement analogues continueraient d’être traités différemment. Des passagers qui n’ont subi que des désagréments mineurs bénéficieraient encore d’une indemnisation automatique alors que d’autres qui ont subi des désagréments bien plus importants ne seraient pas indemnisés (52).

 Conclusion concernant les questions liées au retard et à l’annulation

96.      Il me semble que, en cherchant à éviter Scylla (une discrimination manifeste des passagers dont le vol est retardé de manière excessive comparés à ceux qui obtiennent une indemnité automatique pour l’annulation de leur vol), on va immédiatement vers Charybde (l’insécurité juridique). De plus, les difficultés sous-jacentes que j’ai identifiées précédemment à propos du principe de l’égalité de traitement ne sont malheureusement pas résolues en adoptant une approche téléologique du «retard excessif». Ces difficultés me semblent inhérentes à l’économie actuelle du règlement.

97.      Dans la mesure où je ne pense pas que les problèmes sous-jacents puissent être résolus par le biais d’une interprétation, aussi constructive soit-elle, je suggère que la Cour rouvre la procédure orale conformément à l’article 61 du règlement de procédure de la Cour de justice et invite les États membres, la Commission, le Parlement européen et le Conseil à présenter des observations sur le point de savoir si les articles 5 et 7 ainsi que l’article 6 du règlement, et notamment la distinction qu’ils introduisent entre annulation et retard, sont contraires au principe de l’égalité de traitement.

 La notion de «circonstances extraordinaires»

98.      La troisième question posée dans l’affaire C‑432/07 vise à clarifier si les problèmes techniques subis par un avion et les modifications de l’horaire de vol qui en découlent relèvent de la définition des circonstances extraordinaires.

99.      J’ai examiné cette question de manière circonstanciée dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Kramme (53), mais la juridiction nationale s’est désistée de sa demande de décision préjudicielle avant que la Cour ne rende son arrêt. Une demande préjudicielle analogue a ensuite été présentée dans l’affaire Wallentin-Hermann (54).

100. Dans son arrêt, la Cour a jugé que l’article 5, paragraphe 3, du règlement «doit être interprété en ce sens qu’un problème technique survenu à un aéronef qui entraîne l’annulation d’un vol ne relève pas de la notion de ‘circonstances extraordinaires’ au sens de cette disposition, sauf si ce problème découle d’événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à sa maîtrise effective» (55).

101. Il va de soi qu’il convient d’apporter la même réponse à la troisième question posée dans l’affaire C‑432/07.

 Conclusion

102. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère ce qui suit:

1)      Avant de statuer sur les questions posées par le Bundesgerichtshof et sur la première et la deuxième question posées par le Handelsgericht Wien, la Cour rouvre la procédure orale conformément à l’article 61 du règlement de procédure de la Cour de justice et invite les États membres, la Commission des Communautés européennes, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne à présenter des observations sur le point de savoir si les articles 5 et 7 ainsi que l’article 6 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, dans la mesure où ils établissent une distinction entre annulation et retard (indépendamment de la durée de celui-ci), sont invalides à la lumière du principe de l’égalité de traitement.

2)      Lorsque l’arrêt sera rendu, il y aura lieu de répondre à la troisième question du Handelsgericht Wien:

«L’article 5, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’un problème technique survenu à un aéronef qui entraîne l’annulation d’un vol ne relève pas de la notion de ‘circonstances extraordinaires’ au sens de cette disposition, sauf si ce problème découle d’événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à sa maîtrise effective».


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 (JO L 46, p. 1).


3 – Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Montréal le 28 mai 1999 et approuvée pour le compte de la Communauté par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001, concernant la conclusion par la Communauté européenne de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (convention de Montréal) (JO L 194, p. 38). Dans le cas de la Communauté, la convention est entrée en vigueur le 28 juin 2004.


4 – Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie le 12 octobre 1929, Société des Nations – Recueil des traités, vol. CXXXVII, p. 12.


5 – Voir deuxième et troisième considérants du règlement.


6 –      «La Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché commun, d’une Union économique et monétaire et par la mise en œuvre des politiques ou des actions communes visées aux articles 3 et 4, de promouvoir dans l’ensemble de la Communauté [un ensemble d’objectifs comprenant par exemple un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques].»


7 –      Voir point 10 infra.


8 –      Voir point 11 infra.


9 –      Voir point 11 infra.


10 –      Voir point 10 infra.


11 – La famille Sturgeon demande en outre des dommages et intérêts pour perte de revenus et pour les billets et les réservations de train devenus superflus. À titre subsidiaire, elle allègue qu’il y a lieu de lui rembourser 30 % du prix de ces billets. Aucune de ces questions n’est toutefois pertinente pour les questions dont est saisie la Cour.


12 – Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière d’indemnisation des passagers aériens et d’assistance en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, COM(2001) 784 final («exposé des motifs de la proposition initiale de la Commission»).


13 – Voir points 98 à 101 infra.


14 – Compte tenu du fait que l’annulation implique une indemnisation des passagers en vertu de l’article 7 du règlement, le résultat pervers dans cet exemple est qu’il est «plus avantageux» pour la compagnie aérienne (mais pas pour les passagers) de «simplement» retarder le vol.


15 – Voir les faits à l’origine de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C-396 Kramme exposés dans mes conclusions dans cette affaire (disponibles sur le site Internet de la Cour). La juridiction de renvoi s’est désistée de sa demande de décision préjudicielle avant qu’un arrêt ne soit rendu.


16 – Voir, notamment, arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C-344/04, Rec. p. I-403, point 95) et du 10 juillet 2008, Emirates Airlines (C-173/07, non encore publié au Recueil, point 39).


17 – En ce qui concerne la nature de ce préjudice, la Cour a considéré au point 43 de l’arrêt que tout retard dans le transport aérien des passagers, et en particulier s’il est important, peut causer sur un plan général deux types de préjudice. D’une part, un retard trop important va causer des préjudices, quasiment identiques pour tous les passagers, dont la réparation peut prendre la forme d’une assistance ou d’une prise en charge, standardisées et immédiates, pour tous les intéressés par la fourniture, par exemple, de rafraîchissements, de repas, d’hébergements et d’appels téléphoniques. D’autre part, les passagers sont susceptibles de subir des préjudices individuels, inhérents au motif de leur déplacement, dont la réparation exige une appréciation au cas par cas de l’ampleur des dommages causés et ne peut, en conséquence, que faire l’objet d’une indemnisation a posteriori et individualisée.


18 – Arrêt IATA et ELFAA, précité (points 94 à 98); voir, également, arrêt Emirates Airlines, précité (point 35).


19 – Arrêt du 16 décembre 2008 (C-127/07, non encore publié au Recueil, points 25 et 26. Soulignements ajoutés) avec une référence aux arrêts du 27 octobre 1971, Rheinmühlen Düsseldorf (6/71, Rec. p. 823, point 14); du 19 octobre 1977, Ruckdeschel e.a. (117/76 et 16/77, Rec. p. 1753, point 8); du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, point 74), ainsi que du 10 mars 1998, T. Port (C-364/95 et C-365/95, Rec. p. I-1023, point 83).


20 – Arrêt IATA et ELFAA (cité à la note 16, point 69); arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C-549/07, non encore publié au Recueil, point 18). Le deuxième considérant du règlement mentionne dans la même phrase «l’annulation ou le retard important» et n’établit pas de distinction entre les deux.


21 – Arrêt IATA et ELFAA (cité à la note 16, points 82 et 83), et conclusions de l’avocat général Geelhoed présentées le 8 septembre 2005 dans la même affaire (points 121 et 122).


22 – Arrêt IATA et ELFAA (cité à la note 16, point 85).


23 – Voir, également, conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire IATA et ELFAA (citée à la note 16, points 117 à 119), dans lesquelles l’avocat général se réfère à l’article 153, paragraphe 2, CE (qui prévoit que les exigences de la protection des consommateurs sont prises en considération dans la mise en œuvre des autres politiques et actions de la Communauté) et à l’article 95, paragraphe 3, CE (qui exige un niveau de protection élevé des consommateurs) et conclut que la protection des consommateurs constitue indubitablement un objectif légitime expressément prévu par le traité.


24 – Comparer douzième (annulation) et dix-septième (retard) considérants du règlement. Les différentes solutions qu’ils proposent contredisent directement le deuxième considérant qui reconnaît que «[l]e refus d’embarquement et l’annulation ou le retard important d’un vol entraînent des difficultés et des désagréments sérieux pour les passagers».


25 – Article 6, paragraphe 1, sous c), i), du règlement qui fait une référence croisée à l’article 9, paragraphe 1, sous a). Compte tenu du fait que, dans mon exemple, le vol est un vol transatlantique, le passager B devra attendre quatre heures avant de pouvoir prétendre à la moindre «prise en charge» au titre de l’article 9 du règlement.


26 – Idem, référence croisée à l’article 9, paragraphe 2, du règlement.


27 – Article 6, paragraphe 1, sous c), iii), référence croisée à l’article 8, paragraphe 1, sous a), du règlement.


28 –      Exposé des motifs de la proposition initiale de la Commission (citée à la note 12, point 23).


29 – À titre d’exemple uniquement: on pourrait adopter des dispositions limitant l’indemnisation automatique au cas d’annulation sans transfert sur un vol de substitution dans un certain laps de temps (par exemple deux heures) et prévoyant l’indemnisation automatique en cas de retard dépassant le même laps de temps. En cas d’annulation (comme c’est actuellement le cas), le transporteur aérien ne serait pas tenu d’indemniser le passager s’il peut apporter la preuve que le retard ou l’annulation résulte de circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées, même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. Une disposition équivalente serait nécessaire pour les retards pour lesquels la compagnie aérienne pourrait apporter la preuve qu’elle n’est pas responsable. S’il y a lieu, le laps de temps prévu pourrait varier en fonction de la distance du vol (comme c’est le cas dans les actuels articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 2, du règlement). De telles dispositions respecteraient également, selon moi, les exigences de proportionnalité (invoquées explicitement au point 79 de l’arrêt IATA et ELFAA, cité à la note 16).


30 – Un texte du droit communautaire dérivé doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions du traité et les principes généraux du droit communautaire. Voir, notamment, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C-413/06 P, non encore publié au Recueil, point 174 et jurisprudence citée).


31 – Voir, notamment, R. Schmid «Die Bewährung der neuen Fluggastrechte in der Praxis – Ausgewählte Probleme bei der Anwendung der Verordnung (CE) Nr. 261/2004» (2006) NJW 26, p. 1843; E. Gaedtke, «Fluggastrechte: Praktische Schwierigkeiten bei der Anwendung der Verordnung (CE) Nr. 261/2004», (2007) Verbraucher und Recht, p. 203 et 204; B. Wagner «Verbesserung der Fluggastrechte durch die Verordnung (CE) Nr. 261/2004», (2006) VuR, p. 338 et 339, et jurisprudence citée dans ces articles.


32 – Voir mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kramme (citée à la note 15, point 39).


33 – Un facteur cité dans la décision de renvoi dans l’affaire C‑432/07.


34 – Également cité comme un facteur dans la décision de renvoi dans l’affaire C‑432/07.


35 – Dans son document d’information sur le règlement, la Commission indique de même que, selon elle, un vol «peut généralement être considéré comme annulé lorsque le numéro de vol est modifié sur le même trajet pour lequel le passager avait un contrat pour un jour et une heure définis»: Document d’information de la direction générale de l’énergie et des transports: Réponses aux questions concernant l’application du règlement (CE) n° 261/2004, p. 3, disponible en anglais sur http://ec.europa.eu/transport/air_portal/passenger_rights/ doc/2008/q_and_a_en.pdf.


36 – Par exemple, sur une liaison opérée quotidiennement par un transporteur aérien régulier, il est assez probable que les vols du lundi et du mardi portent le même numéro. Si tel est le cas, et que le vol du lundi était retardé de 24 heures, il conviendrait impérativement de modifier son numéro de vol pour éviter une possible confusion dans les instructions du contrôle aérien parce que le pilote du vol du lundi et celui du vol du mardi se prépareraient à partir et demanderaient un créneau de décollage ainsi que la permission de rouler au sol (etc) au même moment ou presque.


37 – Voir points 89 et 90 infra.


38 – Dans un rapport sur les effets pratiques du règlement, la Commission a exprimé l’inquiétude que des compagnies aériennes puissent requalifier des annulations en retards importants pour échapper aux demandes d’indemnisation sans pouvoir trouver toutefois des éléments de preuve statistiques clairs de cette pratique (une baisse par rapport au nombre d’annulations et une augmentation correspondante du nombre des retards). Voir communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil conformément à l’article 17 du règlement (CE) nº 261/2004 relative à la mise en œuvre et aux résultats du règlement précité du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière d’indemnisation des passagers aériens et d’assistance en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, COM(2007) 168 final, point 4.1.2. Les renvois préjudiciels en cause en l’espèce attestent de l’existence d’un problème potentiel.


39 – Comparer avec l’observation perspicace de Screwtape (un démon expérimenté initiant son neveu à l’art de la tentation) selon laquelle les être humains affirment toujours posséder «leur» temps: «Les humains ont toujours, en matière de possession, des prétentions qui paraissent aussi drôles au paradis qu’en enfer» [C. S. Lewis, The Screwtape Letters (1942), p. 112 et 113].


40 – L’article 12, paragraphe 1, du règlement indique clairement que l’indemnité forfaitaire visée à l’article 7, paragraphe 1, n’est pas destinée à remplacer l’indemnité prévue par la convention de Montréal.


41 – Voir arrêt IATA et ELFAA (cité à la note 16, point 45), dans lequel la Cour explique la différence entre le régime de la convention de Montréal et le droit automatique à l’assistance en cas de retard en vertu de l’article 6 du règlement.


42 – Voir la définition de l’«annulation» à l’article 2, paragraphe 1, du règlement.


43 – Je ne suggère pas que lorsqu’un vol est opéré sur une base hebdomadaire, l’application de ces indications implique que l’indemnité d’annulation ne peut être réclamée qu’une fois que le vol de la semaine suivante a décollé.


44 – Voir, par analogie, arrêt Emirates Airlines (cité à la note 16, points 27 et 28).


45 – Point a).


46 – Point b).


47 – Point c).


48 – Voir, dans le même sens, article 7, paragraphe 2, et, par analogie, article 5, paragraphe 1, sous c), ii) et iii), du règlement. Les considérants du règlement ne donnent pas d’explication quant au droit échelonné à la prise en charge qui relève peut‑être davantage d’une appréciation pragmatique d’une charge économique acceptable pour les transporteurs aériens (compte tenu des habitudes de retards connues pour les vols court, moyen et long courrier) que d’une logique plus poussée concernant les besoins relatifs des passagers.


49 – Voir, notamment, la jurisprudence citée dans les ouvrages mentionnés à la note 31.


50 – Voir arrêt du 18 décembre 2008, Altun (C-337/07, non encore publié au Recueil, point 60 et jurisprudence citée). Concernant ce principe et le principe de la confiance légitime de manière générale, voir, notamment, Schønberg, S., Legitimate Expectations in Administrative Law (2000).


51 – Arrêt du 19 mars 2009, Mitsui & Co. Deutschland (C-256/07, non encore publié au Recueil, point 31 et jurisprudence citée).


52 – Voir exemples donnés aux points 53, 55 et 56 supra.


53 – Citée à la note 15.


54 – Arrêt cité à la note 20.


55 – Cité à la note 20, point 34.