Language of document : ECLI:EU:C:2019:637

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

29 juillet 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) no 261/2004 – Transport aérien – Refus d’embarquement – Notions d’“indemnisation” et d’“indemnisation complémentaire” – Type de préjudice indemnisable – Préjudice matériel ou moral – Déduction – Indemnisation complémentaire – Assistance – Informations fournies aux passagers »

Dans l’affaire C‑354/18,      

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Bacău (tribunal de grande instance de Bacău, Roumanie), par décision du 26 avril 2018, parvenue à la Cour le 30 mai 2018, dans la procédure

Radu-Lucian Rusu,

Oana-Maria Rusu

contre

SC Blue Air - Airline Management Solutions SRL,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour SC Blue Air - Airline Management Solutions SRL, par Me M. Popa, avocat,

–        pour le gouvernement roumain, par M. C.-R. Canţăr ainsi que par Mmes L. Liţu et A. Wellman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, initialement par MM. T. Henze, M. Hellmann et E. Lankenau ainsi que par Mme A. Berg, puis par ces trois derniers, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Nicolae et N. Yerrell, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4, 7, 8 et 12 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Radu-Lucian Rusu et Mme Oana-Maria Rusu à SC Blue Air – Airline Management Solutions SRL (ci-après « Blue Air ») au sujet de l’indemnisation des préjudices moral et matériel subis par eux en raison d’un refus d’embarquement.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’article 29 de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Montréal le 28 mai 1999, et approuvée au nom de l’Union européenne par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38), prévoit :

« Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation. »

 Le droit de l’Union

4        Les considérants 1, 10 et 20 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1)      L’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

[...] 

(10)      Les passagers refusés à l’embarquement contre leur volonté devraient avoir la possibilité d’annuler leur vol et de se faire rembourser leur billet ou de le poursuivre dans des conditions satisfaisantes, et devraient bénéficier d’une prise en charge adéquate durant l’attente d’un vol ultérieur.

[...]

(20)      Les passagers devraient être pleinement informés de leurs droits en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, afin d’être en mesure d’exercer efficacement ces droits. »

5        L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« Le présent règlement reconnaît, dans les conditions qui y sont spécifiées, des droits minimum aux passagers dans les situations suivantes :

a)      en cas de refus d’embarquement contre leur volonté ;

b)      en cas d’annulation de leur vol ;

c)      en cas de vol retardé. »

6        L’article 4, paragraphe 3, dudit règlement prévoit :

« S’il refuse des passagers à l’embarquement contre leur volonté, le transporteur aérien effectif indemnise immédiatement ces derniers conformément à l’article 7, et leur offre une assistance conformément aux articles 8 et 9. »

7        L’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement est libellé comme suit :

« Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :

[...]

b)      400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres ;

[...] »

8        L’article 8, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 dispose :

« Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers se voient proposer le choix entre :

a)      –      le remboursement du billet, dans un délai de sept jours, selon les modalités visées à l’article 7, paragraphe 3, au prix auquel il a été acheté, pour la ou les parties du voyage non effectuées et pour la ou les parties du voyage déjà effectuées et devenues inutiles par rapport à leur plan de voyage initial, ainsi que, le cas échéant,

–        un vol retour vers leur point de départ initial dans les meilleurs délais ;

b)      un réacheminement vers leur destination finale, dans des conditions de transport comparables et dans les meilleurs délais, ou

c)      un réacheminement vers leur destination finale dans des conditions de transport comparables à une date ultérieure, à leur convenance, sous réserve de la disponibilité de sièges. »

9        L’article 12, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« Le présent règlement s’applique sans préjudice du droit d’un passager à une indemnisation complémentaire. L’indemnisation accordée en vertu du présent règlement peut être déduite d’une telle indemnisation. »

 Le droit roumain

10      L’article 1350 du codul civil (code civil) est libellé comme suit :

« (1)      Toute personne doit exécuter les obligations qu’elle a contractées.

(2)      Lorsque, sans raison valable, elle n’exécute pas ses obligations, elle répond du préjudice causé à l’autre partie et est tenue de le réparer, dans les conditions de la loi.

(3)      Si la loi n’en dispose pas autrement, aucune des parties ne peut écarter l’application des règles de la responsabilité contractuelle pour d’autres règles qui lui seraient plus favorables. »

11      L’article 1530 du code civil prévoit :

« Le créancier a droit aux dommages-intérêts pour la réparation du préjudice que le débiteur lui a causé et qui est la conséquence directe et nécessaire de l’inexécution de l’obligation, lorsque cette inexécution est injustifiée ou fautive. »

12      L’article 1531 du code civil dispose :

« (1)      Le créancier a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a subi du fait de l’inexécution.

(2)      Le préjudice comprend la perte effectivement subie par le créancier et le bénéfice dont il est privé. Pour déterminer l’étendue du préjudice, il est également tenu compte des dépenses que le créancier a engagées, dans une limite raisonnable, pour éviter ou limiter le préjudice.

(3)      Le créancier a également droit à la réparation du préjudice extrapatrimonial. »

13      L’article 1533 du code civil prévoit :

« Le débiteur répond uniquement des préjudices qu’il a prévus ou qu’il aurait pu prévoir au moment de la conclusion du contrat et qui sont la suite de l’inexécution, sauf lorsque l’inexécution est intentionnelle ou résulte d’une faute grave du débiteur. Même dans ce dernier cas, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est la conséquence directe et nécessaire de l’inexécution de l’obligation. »

14      L’article 1534 du code civil dispose :

« (1)      Si, par son action ou son omission fautive, le créancier a contribué à causer le préjudice, la réparation due par le débiteur est réduite en conséquence. Cette disposition s’applique également lorsque le préjudice est causé en partie par un évènement dont le risque a été assumé par le créancier.

(2)      Aucune réparation n’est due par le débiteur pour les préjudices que le créancier aurait pu éviter avec une diligence minimale. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      Les requérants au principal ont réservé, auprès de Blue Air, deux billets d’avion leur permettant de se rendre, le 6 septembre 2016, de Bacău (Roumanie) à Londres (Royaume-Uni), lieu où ils sont établis et où ils travaillent.

16      Au moment de l’embarquement, les requérants au principal ont été informés que le vol serait assuré par un appareil autre que celui prévu initialement et que, en raison de la capacité réduite des places disponibles à bord de ce deuxième appareil, leur embarquement n’était plus possible.

17      Par conséquent, le transport des requérants au principal a été programmé sur un autre vol assuré par Blue Air, et ceux-ci sont ainsi arrivés à Londres le 11 septembre 2016.

18      À la suite de ces évènements, Blue Air a offert à chacun des requérants au principal un billet d’avion gratuit utilisable jusqu’au 24 mars 2017, offre qui a été refusée par ceux-ci au motif que le préjudice subi dépassait la valeur d’un billet d’avion.

19      Ensuite, Blue Air a offert aux requérants au principal, sur le fondement du règlement no 261/2004, une compensation de 400 euros par personne. À ce titre, les requérants au principal ont estimé que cette compensation vise uniquement à réparer le préjudice moral subi, et non le préjudice matériel, lequel relève de la notion d’« indemnisation complémentaire ».

20      Les requérants au principal ont alors saisi la Judecătoria Bacău (tribunal de première instance de Bacău, Roumanie). Devant celle-ci, ils ont demandé que Blue Air soit condamnée à leur payer respectivement 437 euros et 386 euros à titre de préjudice matériel, résultant d’une retenue sur salaire. Par la suite, les requérants au principal ont apporté des précisions sur les montants des pertes de salaire réellement subies. En outre, les requérants au principal ont demandé 1 500 euros chacun à titre de préjudice moral. Ils ont fait valoir, par ailleurs, qu’une procédure de licenciement avait été ouverte à l’encontre de M. Rusu, mais que celui–ci ne s’était finalement vu infliger qu’un blâme.

21      Blue Air a soutenu que les requérants au principal n’avaient pas le droit à une indemnisation au-delà des 400 euros prévus à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 au motif qu’ils n’avaient pas expressément demandé à être acheminés plus rapidement, avec une autre compagnie aérienne et un autre itinéraire, et avaient accepté le vol prévu pour le 11 septembre 2016. Par ailleurs, Blue Air a allégué que, si un vol alternatif avait été demandé par les requérants au principal, elle en aurait recherché un qui leur aurait permis d’arriver à leur destination.

22      La Judecătoria Bacău (tribunal de première instance de Bacău) a en partie fait droit au recours, en condamnant Blue Air à verser à chacun des requérants au principal 400 euros à titre de réparation du préjudice moral et en rejetant les autres demandes présentées par ceux-ci.

23      Tant les requérants au principal que Blue Air ont formé un appel contre la décision de la Judecătoria Bacău (tribunal de première instance de Bacău) devant la juridiction de renvoi, qui estime nécessaire de clarifier certains aspects liés à l’interprétation des articles 4, 7, 8 et 12 du règlement no 261/2004.

24      Dans ces conditions, le Tribunalul Bacău (tribunal de grande instance de Bacău, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La somme de 400 euros prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 vise-t-elle principalement à réparer le préjudice matériel, le préjudice moral devant être examiné au regard de l’article 12 de ce règlement, ou l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 couvre-t-il principalement le préjudice moral, le préjudice matériel relevant de cet article 12 ?

2)      Le montant de la perte de salaire qui dépasse la somme de 400 euros visée à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 relève-t-il de la notion d’“indemnisation complémentaire”, au sens de l’article 12 de ce règlement ?

3)      En vertu de l’article 12, [paragraphe 1,] seconde phrase, du règlement no 261/2004, “[l]’indemnisation accordée en vertu du présent règlement peut être déduite d’une telle indemnisation”. Cet article doit-il être interprété en ce sens qu’il laisse à la discrétion du juge national la décision de déduire la somme accordée sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 de l’indemnisation complémentaire ou cette déduction est-elle obligatoire ?

4)      Au cas où la déduction de cette somme n’est pas obligatoire, quels sont les éléments sur la base desquels le juge national décide de déduire la somme prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 de l’indemnisation complémentaire ?

5)      Le préjudice résultant de la perte de salaire causée par l’impossibilité pour le travailleur de se présenter à son poste en conséquence d’une arrivée tardive à destination, à la suite d’un réacheminement, doit-il être analysé au regard du respect des obligations visées à l’article 8 du règlement no 261/2004 ou de celles visées à l’article 12 de celui-ci en relation avec l’article 4 de ce règlement ?

6)      Le respect de l’obligation du transporteur aérien d’offrir une assistance, conformément à l’article 4, paragraphe 3, et à l’article 8 du règlement no 261/2004, implique-t-il de présenter au passager des informations complètes sur toutes les possibilités [de réacheminement], telles que prévues à l’article 8, paragraphe 1, sous a) à c), du règlement no 261/2004 ?

7)      Sur qui repose, aux fins de l’article 8 du règlement no 261/2004, la charge de prouver que le réacheminement a été effectué dans les meilleurs délais ?

8)      Le règlement no 261/2004 impose-t-il aux passagers une obligation d’effectuer des recherches afin d’identifier d’autres vols vers leur destination et de demander à la compagnie aérienne de trouver des places sur ces vols ou la compagnie aérienne est-elle tenue de rechercher d’office l’option la plus avantageuse pour les passagers, afin d’acheminer ceux-ci à leur destination ?

9)      Le fait que les passagers aient accepté la proposition de la compagnie aérienne qui leur offrait un vol le 11 septembre 2016, alors qu’ils pouvaient supposer qu’ils ne seraient pas payés pour la période durant laquelle ils seraient absents de leur travail, présente-t-il une importance aux fins de la détermination du préjudice qu’ils ont subi ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première, deuxième, cinquième et neuvième questions

25      Par ses première, deuxième, cinquième et neuvième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que le montant prévu à cette disposition vise à indemniser un préjudice tel qu’une perte de salaire, ou si un tel préjudice peut faire l’objet de l’indemnisation complémentaire prévue à l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement. Elle demande, par ailleurs, comment déterminer ce préjudice au regard dudit règlement.

26      Il convient de relever, à titre liminaire, que le règlement no 261/2004 vise à garantir un niveau élevé de protection aux passagers aériens, indépendamment du fait qu’ils se trouvent dans une situation de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard de vol, puisqu’ils sont tous victimes de difficultés et de désagréments sérieux similaires liés au transport aérien (arrêt du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a., C‑402/07, EU:C:2009:716, point 44).

27      Dans ce cadre, en premier lieu, l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 prévoit une indemnisation des passagers, dont le montant varie, notamment, en fonction de la distance du vol. Plus particulièrement, cet article 7, paragraphe 1, sous b), prévoit une indemnisation de 400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres.

28      S’agissant des montants que fixe l’article 7, paragraphe 1, du règlement n o 261/2004, ceux-ci visent à indemniser, d’une manière standardisée et immédiate, les préjudices que constituent les désagréments dus, notamment, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, aux refus d’embarquement dans le transport aérien de passagers, sans que ces derniers aient à supporter les inconvénients inhérents à la mise en œuvre d’actions en dommages–intérêts devant les juridictions compétentes (voir, par analogie, arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, EU:C:2006:10, point 45).

29      En effet, le libellé même de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n o 261/2004, qui renvoie à l’article 7 de ce dernier, impose au transporteur aérien concerné d’indemniser les passagers qu’il a refusés à l’embarquement contre leur volonté de manière immédiate.

30      De tels montants forfaitaires ne visent à indemniser que les préjudices qui sont quasiment identiques pour tous les passagers concernés (voir, par analogie, arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, EU:C:2006:10, point 43, ainsi que du 23 octobre 2012, Nelson e.a., C‑581/10 et C‑629/10, EU:C:2012:657, point 52).

31      En revanche, ni l’article 7, paragraphe 1, du règlement n o 261/2004 ni ce règlement dans son ensemble ne prévoient l’indemnisation des préjudices individuels, inhérents au motif du déplacement des passagers concernés, dont la réparation exige forcément une appréciation au cas par cas de l’ampleur des dommages causés et ne peut, en conséquence, que faire l’objet d’une indemnisation a posteriori et individualisée (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, EU:C:2006:10, point 43).

32      Dans l’affaire au principal, les requérants au principal ont subi, à la suite d’un refus d’embarquement, une perte de salaire causée par l’impossibilité de se présenter à leur poste de travail en conséquence d’une arrivée tardive à leur destination.

33      Or, une telle perte de salaire doit être considérée comme un préjudice individuel, inhérent à la situation propre des passagers concernés et elle exige une appréciation au cas par cas de l’ampleur des dommages ainsi causés.

34      Par conséquent, un tel préjudice ne relève pas de l’indemnisation forfaitaire prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004.

35      En deuxième lieu, il convient de relever que, selon l’article 12, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 261/2004, ce dernier s’applique sans préjudice du droit d’un passager à une indemnisation complémentaire.

36      Il ressort de ce libellé que le règlement no 261/2004 ne saurait faire obstacle à ce qu’un passager lésé puisse être indemnisé pour un préjudice qui lui est propre, et qui a vocation à être apprécié individuellement et a posteriori, dans la mesure où le droit national ou le droit international lui accordent le droit à une telle indemnisation, à condition que celle-ci soit complémentaire à l’indemnisation forfaitaire prévue par ce règlement.

37      Or, une indemnisation doit être considérée comme complémentaire, au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, lorsqu’elle a son origine dans l’une des situations, prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, et étant à la source des désagréments qui sont indemnisés de manière immédiate et standardisée en vertu dudit règlement.

38      En l’occurrence, il est constant que la perte de salaire, d’une part, est propre aux requérants au principal, ayant vocation à être appréciée individuellement et a posteriori, et, d’autre part, trouve son origine dans un refus d’embarquement contre leur volonté, dont les désagréments sont indemnisables de manière immédiate et standardisée en vertu du règlement no 261/2004.

39      Dans ces conditions, une telle perte de salaire doit être considérée comme un préjudice pouvant faire l’objet de l’indemnisation complémentaire prévue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 261/2004.

40      En troisième lieu, ainsi qu’il résulte du point 31 du présent arrêt, le règlement no 261/2004 ne prévoyant pas l’indemnisation des préjudices individualisés tels qu’une perte de salaire, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer et d’apprécier les différents éléments constitutifs de ce préjudice y compris, le cas échéant, le comportement des passagers lésés, ainsi que l’ampleur de l’indemnisation dudit préjudice, sur la base juridique pertinente.

41      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première, deuxième, cinquième et neuvième questions, en premier lieu, que l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que le montant prévu à cette disposition ne vise pas à indemniser un préjudice tel qu’une perte de salaire, en deuxième lieu, que ce préjudice peut faire l’objet de l’indemnisation complémentaire prévue à l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement, et, en troisième lieu, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer et d’apprécier les différents éléments constitutifs dudit préjudice, ainsi que l’ampleur de l’indemnisation de celui-ci, sur la base juridique pertinente.

 Sur les troisième et quatrième questions

42      Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 261/2004, et notamment son article 12, paragraphe 1, seconde phrase, doit être interprété en ce sens qu’il permet au juge national compétent d’effectuer la déduction de l’indemnisation accordée en vertu de ce règlement de l’indemnisation complémentaire, mais ne l’oblige pas à le faire. En outre, elle s’interroge sur le point de savoir quelles sont les conditions sur la base desquelles le juge national compétent pourrait procéder à cette déduction.

43      À cet égard, l’article 12, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 261/2004 prévoit que l’indemnisation accordée en vertu de ce règlement peut être déduite de l’indemnisation complémentaire.

44      Il découle ainsi de ce libellé clair que l’article 12, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 261/2004 n’impose pas de procéder à une telle déduction, tout en ne s’opposant pas non plus à ce que celle-ci soit éventuellement effectuée.

45      En effet, ainsi qu’il a été dit aux points 35 et 36 du présent arrêt, c’est le droit national ou le droit international qui peuvent accorder au passager concerné un droit à une indemnisation complémentaire, le règlement no 261/2004 s’appliquant, quant à lui et ainsi qu’il résulte de son article 12, paragraphe 1, première phrase, sans préjudice de ce droit.

46      Par ailleurs, il ressort de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, ses deux phrases étant lues conjointement, que ce règlement ne saurait être interprété comme imposant de quelconques conditions susceptibles de limiter le pouvoir du juge national compétent d’opérer une éventuelle déduction de l’indemnisation accordée par ce règlement d’une indemnisation complémentaire. L’existence de telles conditions serait donc incompatible avec l’article 12, paragraphe 1, seconde phrase, dudit règlement.

47      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que le règlement no 261/2004, et notamment son article 12, paragraphe 1, seconde phrase, doit être interprété en ce sens qu’il permet au juge national compétent d’effectuer la déduction de l’indemnisation accordée en vertu de ce règlement de l’indemnisation complémentaire, mais ne l’oblige pas à le faire, ledit règlement n’imposant pas au juge national compétent de conditions sur la base desquelles il pourrait procéder à cette déduction.

 Sur les sixième et huitième questions

48      Par ses sixième et huitième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il impose au transporteur aérien effectif de présenter aux passagers concernés des informations complètes sur toutes les possibilités prévues à la seconde de ces dispositions, ou si cette disposition impose également aux passagers concernés de contribuer activement à la recherche des informations à cet effet.

49      À cet égard, tout d’abord, l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 prévoit notamment que, si le transporteur aérien effectif refuse des passagers à l’embarquement contre leur volonté, il leur offre une assistance conformément à l’article 8 de ce règlement.

50      Ensuite, l’article 8 du règlement no 261/2004, intitulé « Assistance : droit au remboursement ou au réacheminement », énonce, à son paragraphe 1, que les passagers se voient proposer le choix entre trois possibilités qui y sont précisées, à savoir, en substance, premièrement, le remboursement du billet et, le cas échéant, un vol retour vers leur point de départ initial dans les meilleurs délais, deuxièmement, un réacheminement vers leur destination finale, dans des conditions de transport comparables et dans les meilleurs délais, et, troisièmement, un réacheminement vers cette destination dans des conditions de transport comparables à une date ultérieure, à leur convenance, sous réserve de la disponibilité de sièges.

51      Par ailleurs, le considérant 10 du règlement no 261/2004 résume l’essentiel dudit choix en indiquant que les passagers refusés à l’embarquement contre leur volonté devraient avoir la possibilité d’annuler leur vol et de se faire rembourser leur billet ou de poursuivre leur transport aérien dans des conditions satisfaisantes.

52      Enfin, il ressort du considérant 20 du règlement no 261/2004, notamment, que les passagers ayant subi un refus d’embarquement devraient être pleinement informés de leurs droits, afin d’être en mesure d’exercer efficacement ces droits.

53      Il découle de la lecture combinée de l’ensemble de ces dispositions et considérants du règlement no 261/2004, en premier lieu, qu’il incombe au transporteur aérien qui a refusé des passagers à l’embarquement d’offrir à ces derniers une assistance, en particulier en leur proposant un choix, dans les conditions que l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement fixe respectivement sous a), b) et c).

54      Il en découle, en deuxième lieu, qu’une telle proposition doit fournir aux passagers ayant subi un refus d’embarquement les informations nécessaires pour leur permettre de faire un choix efficace, et ce afin, soit d’annuler leur vol et de se faire rembourser leur billet, soit de poursuivre leur transport vers leur destination finale, dans des conditions de transport comparables, dans les meilleurs délais ou à une date ultérieure.

55      Il en résulte, en troisième lieu, que le passager refusé à l’embarquement ayant le droit à l’assistance du transporteur aérien concerné, en ce compris le droit de se voir offrir les données nécessaires pour lui permettre de faire un choix efficace et informé, le bénéfice d’un tel droit ne saurait impliquer une quelconque obligation de sa part de contribuer activement à la recherche des données que doit contenir la proposition de ce transporteur.

56      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux sixième et huitième questions que l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il impose au transporteur aérien effectif de présenter aux passagers concernés des informations complètes sur toutes les possibilités prévues à la seconde de ces dispositions, les passagers en question n’ayant aucune obligation de contribuer activement à la recherche des informations à cet effet.

 Sur la septième question

57      Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que, aux fins de cette disposition, la charge de prouver que le réacheminement a été effectué dans les meilleurs délais repose sur le transporteur aérien effectif ou s’il doit être interprété en ce sens que cette charge repose sur les passagers concernés.

58      Ainsi qu’il ressort des points 53 et 54 du présent arrêt, le transporteur aérien qui a refusé des passagers à l’embarquement a l’obligation d’offrir à ces derniers une assistance pour leur permettre de faire un choix efficace et informé entre les différentes possibilités que l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement précise respectivement sous a), b) et c).

59      Il incombe dès lors au transporteur aérien effectif de proposer aux passagers concernés également la variante d’un réacheminement vers leur destination finale, dans des conditions de transport comparables et dans les meilleurs délais, conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004.

60      En faisant une proposition concrète, le transporteur aérien effectif doit prendre en considération et conjuguer plusieurs éléments pertinents qui la déterminent, en particulier l’heure d’arrivée à la destination finale au terme du réacheminement envisagé, les conditions dans lesquelles le réacheminement envisagé peut se réaliser ainsi que le fait de savoir si le réacheminement en cause est réalisable par ses propres soins ou nécessite l’aide d’un autre transporteur aérien, le cas échéant selon les disponibilités de celui-ci.

61      Or, la responsabilité de proposer et d’organiser un réacheminement selon l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004, qui pèse sur le transporteur aérien concerné, implique la charge de prouver que le réacheminement ainsi organisé s’est effectué dans les meilleurs délais.

62      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la septième question que l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que, aux fins de cette disposition, la charge de prouver que le réacheminement a été effectué dans les meilleurs délais repose sur le transporteur aérien effectif.

 Sur les dépens

63      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

1)      En premier lieu, l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprété en ce sens que le montant prévu à cette disposition ne vise pas à indemniser un préjudice tel qu’une perte de salaire, en deuxième lieu, ce préjudice peut faire l’objet de l’indemnisation complémentaire prévue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, et en troisième lieu, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer et d’apprécier les différents éléments constitutifs dudit préjudice, ainsi que l’ampleur de l’indemnisation de celui-ci, sur la base juridique pertinente.

2)      Le règlement no 261/2004, et notamment son article 12, paragraphe 1, seconde phrase, doit être interprété en ce sens qu’il permet au juge national compétent d’effectuer la déduction de l’indemnisation accordée en vertu de ce règlement de l’indemnisation complémentaire, mais ne l’oblige pas à le faire, ledit règlement n’imposant pas au juge national compétent de conditions sur la base desquelles il pourrait procéder à cette déduction.

3)      L’article 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il impose au transporteur aérien effectif de présenter aux passagers concernés des informations complètes sur toutes les possibilités prévues à la seconde de ces dispositions, les passagers en question n’ayant aucune obligation de contribuer activement à la recherche des informations à cet effet.

4)      L’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que, aux fins de cette disposition, la charge de prouver que le réacheminement a été effectué dans les meilleurs délais repose sur le transporteur aérien effectif.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.