Language of document : ECLI:EU:C:2018:993

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 6 décembre 2018 (1)

Affaire C396/17

Martin Leitner

contre

Landespolizeidirektion Tirol

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Interdiction des discriminations fondées sur l’âge – Système national de rémunération et d’avancement des fonctionnaires – Réglementation d’un État membre jugée discriminatoire – Adoption d’une nouvelle réglementation en vue de remédier à cette discrimination – Modalités du transfert des personnes concernées vers le nouveau système – Perpétuation de la différence de traitement – Justifications – Droit à une protection juridictionnelle effective – Droit à réparation – Principe de primauté »






I.      Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) porte sur l’interprétation des articles 21 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que des articles 1er, 2, 6, 9, 16 et 17 de la directive 2000/78/CE, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (2).

2.        Cette demande s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant un fonctionnaire à l’administration autrichienne dont il dépend et ayant pour objet une décision prise par celle-ci en vertu du régime fédéral de rémunération et d’avancement des fonctionnaires qui a été adopté en Autriche au début de l’année 2015, pour mettre fin à une discrimination fondée sur l’âge, consécutivement à l’arrêt Schmitzer (3).

3.        En substance, la juridiction de renvoi interroge la Cour, tout d’abord, sur le point de savoir si les modalités suivant lesquelles les fonctionnaires déjà en service sont transférés de l’ancien régime de rémunération et d’avancement vers ce nouveau régime conduisent à maintenir une discrimination fondée sur l’âge qui est interdite par le droit de l’Union, en particulier au regard des articles 2 et 6 de la directive 2000/78 lus en combinaison avec l’article 21 de la Charte. Je considère que tel est le cas, pour les raisons que j’exposerai dans les présentes conclusions.

4.        Ensuite, en se référant à ces mêmes dispositions et au surplus à l’article 47 de la Charte, la juridiction de renvoi doute de la conformité au droit de l’Union de la réglementation nationale mise en cause qui, selon elle, n’éliminerait la discrimination concernée que de façon déclaratoire, non de façon concrète, et ne permettrait pas un droit de recours effectif. J’estime que ces considérations devraient être sans répercussions à l’égard dudit litige.

5.        Enfin, cette juridiction souhaite savoir si le droit de l’Union, plus spécifiquement l’article 17 de la directive 2000/78 et l’article 47 de la Charte, fait obstacle à la réglementation concernée. Dans l’affirmative, elle demande si le principe de primauté du droit de l’Union exige que les dispositions de l’ancienne réglementation, abrogées de façon rétroactive, continuent néanmoins à être appliquées pour remédier aux défaillances de la nouvelle réglementation. Je suis d’avis qu’une réponse nuancée devrait être apportée à ces deux questions, en se fondant plutôt sur l’article 16 de cette directive.

6.        Je souligne que des liens de connexité étroits existent entre la présente affaire et l’affaire C‑24/17, Österreichischer Gewerkschaftsbund, qui fait l’objet de conclusions distinctes mais datées du même jour que les présentes conclusions (4).

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

7.        L’article 1er de la directive 2000/78 énonce que celle-ci « a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur [...] l’âge [...], en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ».

8.        L’article 2 de cette directive, intitulé « Concept de discrimination », définit, à son paragraphe 1, le « principe de l’égalité de traitement » comme étant « l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er ». À son paragraphe 2, sous a), il énonce qu’« une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ».

9.        L’article 6 de ladite directive, intitulé « Justification des différences de traitement fondées sur l’âge », prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa, que « [n]onobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ». Son second alinéa précise que « [c]es différences de traitement peuvent notamment comprendre [...] la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi [...] ».

10.      L’article 9 de la même directive, intitulé « Défense des droits », prévoit, à son paragraphe 1, que « [l]es États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non‑respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées ».

11.      L’article 16 de la directive 2000/78, intitulé « Conformité », prévoit, à son point a), que « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires afin que [...] soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement ».

12.      L’article 17 de cette directive, intitulé « Sanctions », énonce que « [l]es États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues qui peuvent comprendre le versement d’indemnité à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives [...] ».

B.      Le droit autrichien

1.      Le GehG 2010

13.      Le classement des fonctionnaires dans le barème des salaires et leur avancement, lequel survient en principe tous les deux ans, sont régis par le Gehaltsgesetz 1956 (5) (loi sur les salaires de 1956, ci-après le « GehG 1956 »), tel qu’adapté à plusieurs reprises, en particulier pour tenir compte d’arrêts de la Cour rendus dans le cadre de litiges relatifs aux dispositions du droit autrichien en la matière.

14.      À la suite de l’arrêt Hütter (6), le GehG 1956 a été modifié par une loi fédérale publiée le 30 août 2010 (7) (GehG 1956 dans la version issue de cette loi, ci-après le « GehG 2010 »).

15.      L’article 8, paragraphe 1, du GehG 2010 énonçait que « [l]’avancement est déterminé en fonction d’une date de référence » et que « [s]auf disposition contraire dans le présent article, la période nécessaire à un avancement au deuxième échelon de chaque catégorie d’emploi est de cinq ans et de deux ans pour les autres échelons ».

16.      L’article 12, paragraphe 1, du GehG 2010 prévoyait que « [s]ous réserve des restrictions énoncées aux paragraphes 4 à 8, la date de référence à prendre en considération aux fins de l’avancement d’échelon se calcule en remontant dans le temps à partir du jour de l’engagement à raison de périodes postérieures au 30 juin de l’année durant laquelle neuf années scolaires ont été accomplies ou auraient été accomplies après admission dans le premier degré d’enseignement [...] ».

2.      Le GehG modifié

17.      À la suite de l’arrêt Schmitzer (8), la teneur des articles 8 et 12 du GehG 1956 a de nouveau été réformée, avec effet rétroactif, en vertu d’une loi fédérale publiée le 11 février 2015 (9) (GehG 1956 dans la version issue de cette loi, ci-après le « GehG 2015 »).

18.      Par ailleurs, afin de se conformer à un arrêt du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) (10), une loi fédérale publiée le 6 décembre 2016 (11) a modifié derechef le GehG 1956 (dans la version issue de cette loi, ci-après le « GehG 2016 » et, pris ensemble avec le GehG 2015, le « GehG modifié »), en ce qui concerne la date d’entrée en vigueur des articles 8 et 12 du GehG 2015.

19.      Sous l’intitulé « Classement et avancement », l’article 8, paragraphe 1, du GehG 2015 prévoit que « [l]e classement et l’avancement ultérieur sont déterminés en fonction de l’ancienneté dans le barème de rémunération ».

20.      Sous l’intitulé « Ancienneté dans le barème de rémunération (âge de référence) », l’article 12 du GehG 2015 énonce :

« 1.      L’ancienneté dans le barème de rémunération comprend la durée des périodes d’activité utiles pour l’avancement, augmentée de la durée des périodes d’activité antérieures devant être prises en compte.

2.      L’ancienneté dans le barème de rémunération doit prendre en compte, en tant que périodes d’activité antérieures, les périodes accomplies

1)      dans le cadre d’une relation de travail avec une collectivité territoriale ou une commune d’un État membre de l’Espace économique européen, de la République de Turquie ou de la Confédération suisse ;

2)      dans le cadre d’une relation de travail avec un organe de l’Union européenne ou une organisation intergouvernementale dont [la République d’]Autriche est membre ;

3)      les périodes pendant lesquelles le ou la fonctionnaire avait droit à une pension d’invalidité au titre du Heeresversorgungsgesetz (loi sur la protection des forces armées) [...], ainsi que

4)      les périodes accomplies [...] en service militaire [...], en service de formation militaire [...], en service civil [...], en service militaire obligatoire [...].

3.      Outre les périodes mentionnées au paragraphe 2, peuvent être prises en compte, en tant que périodes d’activité antérieures, les périodes d’exercice d’une activité professionnelle ou d’un stage auprès d’une administration pertinents, jusqu’à concurrence de dix ans au total. [...] »

21.      Sous l’intitulé « Transfert des relations de travail en cours », l’article 169 quater du GehG modifié énonce, à ses paragraphes 1 à 9 :

« 1.      Tous les fonctionnaires des catégories de rémunération et d’emploi visés à l’article 169 quinquies, qui sont en service au 11 février 2015, seront reclassés, conformément aux dispositions suivantes et sur la seule base de leur rémunération antérieure, dans le nouveau système de rémunération créé par la présente loi fédérale. Lors d’une première étape, les fonctionnaires seront classés, en raison de leur rémunération antérieure, à un échelon du nouveau système de rémunération dans lequel la rémunération antérieure est maintenue. [...]

2.      Le transfert du fonctionnaire dans le nouveau système de rémunération s’effectue par le biais d’une fixation globale de son ancienneté dans le barème de rémunération. Le montant de transfert est déterminant pour la fixation globale. Le montant de transfert correspond à l’intégralité du salaire sans éventuel avancement exceptionnel, tel qu’il a servi à calculer la rémunération du fonctionnaire pour le mois de février 2015 (mois du transfert). [...]

2 bis.      Le montant à retenir en tant que montant de transfert est celui de l’échelon de salaire qui était effectivement déterminant pour la rémunération versée pour le mois du transfert (classement conformément au bulletin de salaire). Un examen de la régularité de la rémunération est exclu tant en ce qui concerne son fondement que son montant. Une rectification ultérieure des salaires versés n’est à prendre en compte pour le calcul du montant de transfert que pour autant que

1)      cette rectification a pour objet des erreurs factuelles qui se sont produites à l’occasion de l’introduction des données dans un système automatique de traitement de l’information, et

2)      les données introduites par erreur divergent manifestement des données qui devaient être introduites, ainsi que le prouvent les documents déjà existants au moment de l’introduction.

[...]

2 quater.      Les paragraphes 2 bis et 2 ter transposent en droit autrichien, dans le domaine du statut des employés fédéraux et du personnel enseignant des Länder, les articles 2 et 6 de la directive 2000/78 [...] tels qu’ils ont été interprétés par l’arrêt [Specht e.a. (12)]. Les modalités de transfert des fonctionnaires nommés avant l’entrée en vigueur de la réforme fédérale des rémunérations de 2015 ont donc été fixées dans le nouveau régime de rémunération et prévoient que, d’une part, l’échelon de traitement auquel ils sont désormais rattachés est déterminé uniquement sur la base du traitement acquis sous l’ancien régime de rémunération, bien que ce régime reposait sur une discrimination en raison de l’âge du fonctionnaire et que, d’autre part, l’avancement ultérieur à un échelon de traitement supérieur est désormais calculé uniquement en fonction de l’expérience professionnelle acquise depuis l’entrée en vigueur de la réforme des rémunérations de 2015.

3.      L’ancienneté dans le barème de rémunération du fonctionnaire reclassé est fixée sur la base de la période nécessaire pour avancer du premier échelon de salaire (à partir du premier jour) à l’échelon de salaire de la même catégorie d’emploi pour lequel est prévu le salaire inférieur le plus proche du montant de transfert dans la version en vigueur le 12 février 2015. Si le montant de transfert correspond au montant le plus bas d’un échelon de salaire dans la même catégorie d’emploi, cet échelon est alors retenu. Tous les montants à comparer doivent être arrondis à l’unité en euros la plus proche.

[...]

6.      [...] Si le nouveau traitement du fonctionnaire est inférieur au montant de transfert, une prime de maintien à hauteur de la différence de montant, prise en considération pour le calcul de la pension de retraite, lui est versée en tant que prime complémentaire [...], jusqu’à ce qu’il atteigne un échelon de traitement supérieur au montant de transfert. La comparaison des montants inclut les éventuelles primes d’ancienneté ou les avancements exceptionnels.

[...]

9.      Afin de préserver les attentes liées au prochain avancement, à l’avancement exceptionnel ou à la prime d’ancienneté dans l’ancien régime de rémunération, une prime de maintien, prise en considération pour le calcul de la pension de retraite, est due au fonctionnaire en tant que prime complémentaire [...], dès qu’il atteint l’échelon transitoire [...]. »

22.      Aux termes de l’article 175, paragraphe 79, point 3, du GehG 2016, « [e]ntrent en vigueur dans la version issue de la loi fédérale publiée au BGBl. I, 32/2015 [...] les articles 8 et 12, y compris leurs intitulés, le 1er février 1956 ; toutes les versions de ces dispositions publiées avant le 11 février 2015 ne peuvent plus être appliquées dans les procédures en cours ou futures [... ] ».

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

23.      M. Martin Leitner a été soumis aux règles de l’ancien régime autrichien de rémunération et d’avancement des fonctionnaires jusqu’au mois de février 2015, puis il a fait l’objet d’un reclassement dans le cadre du nouveau régime alors adopté par le législateur autrichien.

24.      Le 27 janvier 2015, il a sollicité auprès de la Landespolizeidirektion Tirol (direction régionale de la police du Tyrol, Autriche, ci-après la « direction régionale ») une nouvelle fixation de la date de référence pertinente aux fins de son avancement et de sa position barémique ainsi que, le cas échéant, un rappel des rémunérations lui étant dues, eu égard à l’expérience qu’il a acquise avant l’âge de 18 ans.

25.      Le 30 avril 2015, la direction régionale a rejeté la demande de M. Leitner comme étant irrecevable, au motif que, par la réforme du GehG 1956 survenue au début de l’année 2015 (13), le législateur avait abrogé l’ensemble des dispositions relatives à l’ancienne date de référence aux fins de l’avancement, en précisant que les dispositions jusqu’alors pertinentes n’étaient plus applicables, avec effet rétroactif, également à l’égard des procédures en cours ou à venir.

26.      M. Leitner a introduit un recours devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral), en faisant valoir que cette décision de rejet ne serait pas conforme aux dispositions du droit de l’Union relatives à la non-discrimination, telles qu’interprétées par la Cour (14). Le 7 novembre 2016, cette juridiction a annulé la décision attaquée et a invité la direction régionale à statuer sur le fond de la demande en cause.

27.      Le 9 janvier 2017, la direction régionale a statué de nouveau sur cette demande et l’a rejetée, au motif que M. Leitner ne saurait tirer des droits de l’ancien régime de rémunération et d’avancement, dès lors que ce régime ne pouvait être appliqué dans aucune procédure à la suite de la réforme susmentionnée.

28.      Le 8 février 2017, M. Leitner a introduit un recours contre cette décision, devant la même juridiction, afin d’obtenir que son classement et les rémunérations qui en découlent soient fixés conformément à sa demande du 27 janvier 2015.

29.      Dans ce contexte, par ordonnance du 30 juin 2017 parvenue à la Cour le 3 juillet 2017, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le droit de l’Union, notamment les articles 1er, 2 et 6 de la directive 2000/78 [...] lus en combinaison avec l’article 21 de la Charte [...], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit, pour lutter contre la discrimination des fonctionnaires en service, un régime transitoire en vertu duquel le classement, à partir du système biennal jusqu’alors en vigueur, dans un nouveau système biennal (en soi fermé et non discriminatoire pour les nouveaux fonctionnaires) est effectué à l’aide d’un “montant de transfert”, qui bien que calculé en argent correspond toutefois à un classement attribuable de manière concrète, et qui maintient ainsi intacte la discrimination fondée sur l’âge des fonctionnaires en service ?

2)      Le droit de l’Union, notamment l’article 17 de la directive 2000/78 ainsi que l’article 47 de la Charte [...], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui empêche que, conformément à l’interprétation des articles 9 et 16 de [cette] directive adoptée dans l’arrêt [Schmitzer (15)], des fonctionnaires en service puissent faire constater leur position barémique en référence à l’article 2 de la directive 2000/78 à la date du transfert dans le nouveau régime de rémunération, en ce qu’elle déclare que les fondements juridiques n’étaient plus applicables, rétroactivement, à compter de l’entrée en vigueur de leur loi principale d’origine et qu’elle exclut notamment la possibilité de prendre en compte des périodes d’activité accomplies avant l’âge de 18 ans ?

3)      En cas de réponse affirmative à la [deuxième question] : [l]e principe de primauté du droit de l’Union affirmé, entre autres, dans l’arrêt [Mangold (16)], exige-t-il que les dispositions relatives aux fonctionnaires en service avant le transfert, abrogées rétroactivement, continuent à être appliquées afin que ces fonctionnaires puissent être classés rétroactivement et de manière non discriminatoire dans l’ancien régime et ainsi transférés, sans discrimination, dans le nouveau régime de rémunération ?

4)      Le droit de l’Union, et notamment les articles 1er, 2 et 6 de la directive 2000/78 lus en combinaison avec les articles 21 et 47 de la Charte [...], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne supprime que de manière déclarative une discrimination existante fondée sur l’âge (en ce qui concerne la prise en compte des périodes d’activité accomplies avant l’âge de 18 ans), en prévoyant que les périodes réellement accomplies sous l’empire de la discrimination ne sont rétroactivement plus considérées comme discriminatoires bien que la discrimination soit maintenue intacte dans les faits ? »

30.      Des observations écrites ont été déposées devant la Cour par M. Leitner, par le gouvernement autrichien ainsi que par la Commission.

31.      Par courriers transmis le 14 juin 2018, la Cour a adressé une demande d’éclaircissements, à laquelle la juridiction de renvoi a déféré, et elle a posé une question pour réponse écrite, à laquelle M. Leitner, le gouvernement autrichien et la Commission ont donné suite.

32.      Lors de l’audience du 12 septembre 2018, ces mêmes parties et intéressés ont présenté leurs observations orales.

IV.    Analyse

A.      Observations liminaires

33.      La présente affaire concerne la nouvelle réglementation autrichienne relative aux modalités suivant lesquelles l’expérience acquise avant l’entrée en service est prise en considération aux fins du classement et de l’avancement des fonctionnaires. Ce système de rémunération, issu de la réforme du GehG 1956 survenue au début de l’année 2015, est analogue à celui instauré concomitamment à l’égard des agents contractuels exerçant dans la fonction publique (17).

34.      En vertu de ce nouveau système, le classement d’un fonctionnaire dans le barème de rémunération et son avancement ultérieur dans les échelons sont déterminés en fonction non plus d’une « date de référence », point de départ fictif, mais de l’« ancienneté » dans ledit barème (18). Pour calculer cette dernière, il est tenu compte, outre de la durée de la relation de travail en cours, de la durée d’activités antérieures à la prise de fonction, pour autant que celles-ci soient expressément considérées comme pertinentes, et ce de façon variable selon le type d’employeur, à savoir dans leur intégralité lorsque ces activités ont été exercées auprès des entités publiques désignées, mais seulement à concurrence d’au maximum dix ans au total dans les autres cas (19).

35.      Les fonctionnaires qui étaient en service lors de l’entrée en vigueur de la réforme (20), laquelle est applicable de façon rétroactive (21), sont transférés vers le nouveau système de rémunération au moyen d’un reclassement s’opérant schématiquement de la façon suivante (22). Tout d’abord, l’ensemble des fonctionnaires concernés sont classés à un échelon de ce nouveau système sur la base de leur rémunération antérieure. Ensuite, leur ancienneté est fixée de façon globale dans le barème de rémunération, en fonction d’un « montant de transfert » qui correspond à l’échelon de salaire effectivement déterminant pour la rémunération ayant été versée par l’employeur au titre du mois de février 2015, dit « mois du transfert », étant précisé que la régularité de cette rémunération ne peut faire l’objet d’un examen qu’en cas d’erreurs matérielles et manifestes (23).

36.      Les questions posées par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) invitent la Cour, en substance, à déterminer si la nouvelle réglementation en cause perpétue la discrimination fondée sur l’âge contraire au droit de l’Union qui a été mise en exergue dans l’arrêt Schmitzer (24), comme M. Leitner l’affirme, ou bien si tel n’est pas le cas, comme la défenderesse au principal le soutient. Pour motiver sa demande de décision préjudicielle, ce tribunal précise que les avis ayant été émis à ce sujet par de hautes juridictions autrichiennes ne sont pas concordants (25).

37.      La juridiction de renvoi s’interroge, tout d’abord, sur la compatibilité avec le droit de l’Union des modalités suivant lesquelles s’opère le transfert des fonctionnaires de l’ancien régime de rémunération et d’avancement vers le nouveau régime, d’une part, s’agissant plus particulièrement du procédé choisi du « montant de transfert » et, d’autre part, s’agissant du caractère purement déclaratif de la suppression de la discrimination (section B). Ensuite, elle se demande, d’une part, s’il est contraire au droit de l’Union, et en particulier à l’article 17 de la directive 2000/78 ainsi qu’à l’article 47 de la Charte, que les fonctionnaires n’aient pas la possibilité d’invoquer cette directive afin de déterminer le « montant de transfert » et, d’autre part, en cas de réponse affirmative, si le principe de primauté du droit de l’Union impose de faire application du régime abrogé en vue d’un transfert non discriminatoire vers le nouveau système (section C).

B.      Sur les modalités du transfert des fonctionnaires de l’ancien régime de rémunération et d’avancement vers le nouveau régime (première et quatrième questions)

38.      Compte tenu des points communs existant entre les première et quatrième questions posées par la juridiction de renvoi, il convient, à mon sens, de les examiner ensemble, même si des réponses séparées m’apparaissent nécessaires.

1.      Sur la perpétuation de la discrimination engendrée par le système de transfert retenu (première question)

39.      Par la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, notamment les articles 1er, 2 et 6 de la directive 2000/78 lus en combinaison avec l’article 21 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle un régime de rémunération discriminatoire est remplacé par un nouveau régime, lorsque le transfert vers ce dernier de tous les fonctionnaires en service (26) est effectué de telle manière que le premier classement dans le nouveau régime s’opère en fonction d’un salaire versé pour un mois déterminé qui a été calculé conformément à l’ancien régime (27). D’emblée, je relève que, par les termes utilisés à la fin de sa question (28), cette juridiction indique explicitement qu’elle estime a priori que la discrimination antérieure est perpétuée par la réglementation en cause (29).

40.      À ce sujet, M. Leitner invoque que, dès lors que la réglementation faisant l’objet du litige au principal prévoit que le reclassement des fonctionnaires déjà en service est effectué sur la base de la rémunération versée au mois de février 2015, fixée de manière discriminatoire, la discrimination fondée sur l’âge provenant de l’ancien régime de rémunération persiste à cause de ce lien (30) et que les motifs invoqués pour justifier cette réglementation ne sont pas conformes au droit de l’Union. Le gouvernement autrichien ne dément pas que les effets de la discrimination créée par l’ancien régime puissent ainsi perdurer, mais il affirme que les modalités retenues pour opérer le transfert desdits fonctionnaires vers le nouveau régime de rémunération seraient non seulement justifiées par des objectifs légitimes, mais aussi appropriées et nécessaires pour atteindre ces derniers. En revanche, la Commission estime qu’une telle réglementation n’est pas compatible avec les exigences découlant des articles 2et 6 de la directive 2000/78, dans la mesure où elle maintient une différence de traitement fondée sur l’âge qui n’est pas dûment justifiée. Je suis également de cet avis, pour les motifs suivants.

41.      Tout d’abord, s’agissant des dispositions qui sont visées dans la présente question préjudicielle, je relève que le principe de non‑discrimination en fonction de l’âge est à la fois consacré à l’article 21 de la Charte et matérialisé par la directive 2000/78, mais qu’il convient d’examiner cette question au regard de cette dernière, dans le cadre d’un litige tel que celui au principal, étant donné que les mesures nationales en cause relèvent du champ d’application de ladite directive (31). Par ailleurs, dès lors que ni l’objet de la directive 2000/78 et ni les facteurs de discrimination interdits par celle‑ci, tels que définis à son article 1er, ne sont directement sondés dans la présente affaire, il ne me paraît pas nécessaire que la Cour se livre à une interprétation de cette disposition.

42.      Ensuite, s’agissant des griefs formulés à l’égard de la réglementation nationale en cause au principal, il m’apparaît que celle‑ci est contestée au regard des modalités suivant lesquelles les fonctionnaires qui étaient en service lors de l’adoption de la réforme datant de 2015 sont transférés de l’ancien régime de rémunération, jugé discriminatoire (32), vers le nouveau régime. En d’autres termes, il y a lieu de déterminer si les dispositions en question sont susceptibles de perpétuer la discrimination en fonction de l’âge qui découlait de cet ancien régime, avant d’examiner si ces dispositions sont objectivement et raisonnablement justifiées, de sorte qu’elles échapperaient à l’interdiction prévue par la directive 2000/78.

43.      Premièrement, en ce qui concerne l’existence d’une discrimination fondée sur l’âge, je note qu’aux termes de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78, une discrimination directe est constituée lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, en particulier, sur la base de l’âge.

44.      En outre, je rappelle que dans l’arrêt Schmitzer (33), à l’origine de la réforme ici en cause (34), la Cour a considéré que la réglementation autrichienne ayant précédé cette réforme contenait une différence de traitement directement fondée sur l’âge au sens de cette disposition et que cette différence n’était pas dûment justifiée par des objectifs légitimes, de sorte qu’elle relevait de l’interdiction énoncée audit article 2, paragraphe 2, sous a).

45.      Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que lorsque le reclassement d’une catégorie de personnes dans un nouveau système de rémunération s’effectue exclusivement en fonction d’un paramètre lié à l’âge qui est issu de l’ancien système, des dispositions nationales de ce type sont susceptibles de perpétuer la différence de traitement, fondée sur l’âge, au sein du nouveau système (35).

46.      En l’espèce, l’article 169 quater du GehG modifié prévoit que le reclassement des fonctionnaires en service est opéré « sur la seule base de leur rémunération antérieure » (36), laquelle était elle-même fondée sur l’âge. De la sorte, ces dispositions perpétuent une situation discriminatoire en vertu de laquelle les fonctionnaires qui étaient défavorisés par l’ancien système perçoivent une rémunération moindre que celle perçue par d’autres fonctionnaires, bien que leurs situations soient comparables, et cela uniquement en raison de l’âge qu’ils avaient lorsqu’ils ont accompli les activités antérieures à prendre en compte.

47.      La juridiction de renvoi se prononce dans le même sens. En se référant à la jurisprudence de la Cour ci-dessus mentionnée, le gouvernement autrichien reconnaît d’ailleurs que ces dispositions du nouveau système de rémunération sont de nature à prolonger les effets discriminatoires de l’ancien système (37). De surcroît, la Commission expose qu’il ressort de travaux préparatoires nationaux que c’est de façon tout à fait intentionnelle que le législateur autrichien a opté pour une méthode ayant de telles conséquences (38).

48.      Partant, il est à mes yeux indéniable qu’une réglementation telle que celle en cause perpétue une situation discriminatoire, à savoir la différence de traitement directement fondée sur l’âge au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 ayant été constatée par la Cour dans l’arrêt Schmitzer (39). Les discriminations qui existaient avant la réforme en cause sont ainsi appelées à se poursuivre, et ce, non pas simplement de façon provisoire, mais de façon durable voire définitive (40).

49.      Deuxièmement, en ce qui concerne l’éventuelle justification de la différence de traitement qui persiste ainsi, il y a lieu de rappeler que l’article 6 de la directive 2000/78 permet d’écarter la qualification de discrimination directe au sens de son article 2, et donc l’interdiction en résultant, lorsque les différences de traitement fondées sur l’âge sont « objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime », de la nature de ceux énumérés à cet article 6 (41), et que « les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ».

50.      Conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, s’il appartient en dernier lieu au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits, de déterminer si et dans quelle mesure la réglementation interne en cause au principal est conforme à ces exigences, la Cour, appelée à fournir au juge national des réponses utiles, est compétente pour donner des indications, tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations qui lui ont été soumises, susceptibles de permettre à ce même juge de statuer dans le litige dont il est saisi (42).

51.      Au sujet des objectifs susceptibles de justifier la teneur de la réglementation en cause, la juridiction de renvoi (43) et le gouvernement autrichien indiquent que les modalités de transfert retenues dans la réforme datant de 2015 tendaient, d’une part, à éviter les difficultés trop importantes qui auraient été occasionnées par une fixation propre à chacun des nombreux fonctionnaires concernés (44), d’autre part, à ce que l’opération reste neutre en termes de coûts pour l’État et, enfin, à prévenir des baisses importantes du niveau de rémunération pour ces fonctionnaires.

52.      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les justifications tirées d’éventuelles difficultés administratives et de l’augmentation des charges financières ne peuvent, en principe, fonder le non-respect des obligations découlant de l’interdiction des discriminations en raison de l’âge prévue par la directive 2000/78. Cependant, la Cour a admis qu’il ne saurait pour autant être requis de procéder à un examen de chaque cas particulier afin de déterminer individuellement les périodes d’expérience antérieures, dans la mesure où la gestion du régime concerné doit rester viable d’un point de vue technique et économique (45).

53.      Par ailleurs, il est constant que la volonté, explicitement exprimée par le législateur autrichien (46), d’offrir à une catégorie de personnes la garantie d’un transfert vers le nouveau système de rémunération sans perte financière, donc dans le respect des droits acquis et de la protection de la confiance légitime de ces personnes, constitue un objectif légitime de politique de l’emploi et du marché du travail (47), lequel peut justifier, pendant une période transitoire, le maintien des rémunérations antérieures et, partant, celui d’un régime discriminatoire en fonction de l’âge (48).

54.      Dès lors que la réglementation nationale en cause au principal poursuit effectivement un objectif légitime au sens de l’article 6 de la directive 2000/78, il convient ensuite d’examiner si les moyens mis en œuvre dans ce but sont appropriés et nécessaires pour l’atteindre, conformément à cette disposition.

55.      S’agissant du caractère approprié de telles dispositions, à l’instar de la juridiction de renvoi et de la Commission, je doute fortement que l’élément contesté de la réforme datant de 2015, à savoir le reclassement de l’ensemble des fonctionnaires en service opéré « sur la seule base de leur rémunération antérieure » (49), puisse être considéré comme étant propre à atteindre l’objectif de protection tant des droits acquis que de la confiance légitime de toutes les personnes qui sont concernées par ce dispositif.

56.      En effet, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que le législateur autrichien a adopté diverses mesures ayant pour but d’éviter à toutes ces personnes, qu’elles aient été favorisées ou non par l’ancien régime, de subir une importante perte de salaire à cause de ladite réforme (50). Or, le fait même que de telles mesures transitoires aient dû être adoptées, en supplément du dispositif fondé sur la rémunération antérieure qui est mis en cause, permet de supposer que celui-ci n’est pas apte à lui seul, et donc en soi, à préserver les droits acquis et les attentes légitimes des intéressés.

57.      De surcroît, s’agissant du caractère nécessaire de dispositions telles que celles en cause au principal, j’estime que le dispositif adopté en 2015 va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif susmentionné. Comme l’indique la Commission (51), et nonobstant l’opinion opposée du gouvernement autrichien, d’autres types de mesures, moins pénalisantes pour les personnes ayant été défavorisées par l’ancien régime (52), auraient pu être mises en œuvre pour préserver les droits acquis et la confiance légitime de l’ensemble des fonctionnaires concernés (53), sans pour autant selon moi que la gestion du nouveau régime devienne non viable d’un point de vue technique et économique (54).

58.      Ce constat s’impose à mes yeux, surtout, au regard de la durée illimitée du nouveau dispositif, qui ne permet pas une convergence progressive du traitement réservé aux fonctionnaires défavorisés par l’ancien régime vers le traitement accordé aux fonctionnaires favorisés, de sorte que les premiers bénéficient à moyen voire court terme, et en tout cas à l’issue d’une période prévisible, d’un rattrapage des avantages octroyés aux seconds (55).

59.      À cet égard, je rappelle que la Cour a déjà jugé que l’objectif en question ne saurait justifier une mesure qui, comme en l’espèce, maintient définitivement la différence de traitement en fonction de l’âge que la réforme d’un régime discriminatoire vise à éliminer. Une telle mesure, même si elle est susceptible d’assurer la protection des droits acquis et de la confiance légitime à l’égard des fonctionnaires favorisés par le régime antérieur, n’est pas apte à rétablir un régime non discriminatoire pour les fonctionnaires défavorisés par ce régime antérieur (56).

60.      Enfin, je précise que l’argument, avancé par le gouvernement autrichien, selon lequel le Gewerkschaft Öffentlicher Dienst (syndicat de la fonction publique, Autriche) a donné son accord à l’égard des modalités de la réforme en question ne saurait remettre en cause l’analyse qui précède. En effet, tout comme les États membres, les partenaires sociaux doivent agir dans le respect des obligations résultant de la directive 2000/78 (57), même si le rôle joué par ces derniers peut être central lors de l’élaboration de certaines normes (58).

61.      Partant, j’estime que, en dépit de la large marge d’appréciation reconnue aux États membres et aux partenaires sociaux dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser (59), le législateur autrichien n’a pas pu raisonnablement considérer comme approprié et nécessaire d’adopter des dispositions nationales telles que l’article 169 quater du GehG modifié.

62.      Au vu de l’ensemble de ces considérations, je suis d’avis que les articles 2et 6 de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des modalités suivant lesquelles les fonctionnaires en service sont transférés d’un ancien régime de rémunération discriminatoire vers un nouveau régime telles que celles prévues par la réglementation nationale en cause au principal.

2.      Sur l’impact des déclarations faites par le législateur national et le droit à une protection juridictionnelle effective (quatrième question)

63.      Par la quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi invite la Cour à dire si les articles 1er, 2 et 6 de la directive 2000/78 lus en combinaison avec l’article 21 de la Charte, dispositions déjà toutes visées dans la première question, ainsi que lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte, disposition aussi visée par ailleurs (60), font obstacle à la prise en compte de déclarations péremptoires, faites par le législateur national, selon lesquelles la réforme mise en cause mettrait dûment fin à la discrimination engendrée par le régime applicable antérieurement. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que ledit article 47 est mentionné afin que la Cour détermine, en outre, si le droit à une protection juridictionnelle effective qui y est consacré a été méconnu par le législateur lors de l’adoption de cette réforme.

64.      D’emblée, je précise que je centrerai ici mon propos sur l’interprétation de l’article 47 de la Charte, compte tenu des considérations développées ci-avant (61) en ce qui concerne les autres dispositions qui sont citées dans la présente question, aux fins d’une application combinée avec cet article.

65.      Avant cela, s’agissant de la valeur juridique à accorder au fait que le législateur autrichien a affirmé avoir éliminé la discrimination fondée sur l’âge, « de manière déclarative », je note que la juridiction de renvoi fait valoir que le modèle choisi n’éliminerait pas cette discrimination par des mesures permettant d’y remédier de façon concrète, mais tenterait de le faire rétroactivement par de simples déclarations (62), lesquelles seraient contredites par une comparaison de l’ancien régime et du nouveau, qui montrerait que le reclassement constitue un « déplacement parallèle » de la discrimination en question de l’ancien régime vers le nouveau.

66.      M. Leitner n’a pas présenté d’observations spécifiques sur le point de savoir s’il est admissible, au regard des dispositions susmentionnées du droit de l’Union, qu’une réglementation nationale se borne à déclarer qu’elle élimine une discrimination interdite, tout en la maintenant intacte en pratique.

67.      Le gouvernement autrichien relève que le point déterminant est de savoir non pas si une discrimination est éliminée de manière – prétendument – simplement déclarative, mais si les dispositions nationales applicables sont conformes au droit de l’Union, comme cela est débattu dans le cadre des précédentes questions préjudicielles. Dans le même esprit, la Commission estime que des mentions inscrites dans la législation nationale, telles que celles évoquées par la juridiction de renvoi, ne changent rien au fait qu’il est nécessaire de vérifier si l’application effective de cette législation est faite en conformité avec le droit de l’Union.

68.      Je partage leur point de vue en substance, étant rappelé que la Cour a pour mission, dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, de fournir tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union permettant à la juridiction de renvoi d’apprécier elle-même la conformité d’une réglementation nationale avec les dispositions du droit de l’Union, dont celles de la Charte (63), et ce nonobstant selon moi d’éventuelles déclarations du législateur national concernant cette conformité.

69.      S’agissant de l’incompatibilité éventuelle avec l’article 47 de la Charte (64), la juridiction de renvoi indique que, en vertu du nouveau régime de rémunération et d’avancement des fonctionnaires, le « montant de transfert », fixé sur la base de l’ancien régime, ne peut faire l’objet que d’un contrôle limité (65). Elle s’interroge sur le point de savoir si ces dispositions nationales privent d’effectivité tout recours fondé sur un classement incorrect qui se révélerait ne pas être dû à une simple erreur d’encodage (66).

70.      M. Leitner affirme que l’article 47 de la Charte interdit des dispositions, telles que celles de la réforme en cause, qui prévoient que l’ancien système de rémunération et d’avancement, jugé discriminatoire, ne peut plus être appliqué dans toutes les procédures, tant actuelles que futures (67). La Commission ne se prononce pas sur ce point. En revanche, le gouvernement autrichien soutient que de telles dispositions nationales satisfont aux exigences dudit article 47. Je suis également de cet avis, pour les motifs qui suivent.

71.      Tout d’abord, j’estime qu’il est incontestable que la présente affaire porte sur une situation dans laquelle un État membre a mis en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, de sorte que le législateur fédéral était tenu de respecter les droits fondamentaux garantis à l’article 47 de celle-ci, et plus spécifiquement le droit des justiciables à bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des prérogatives que le droit de l’Union leur octroie (68). Je relève qu’une telle protection est, au demeurant, aussi prévue de façon expresse par la directive 2000/78 (69), dont la transposition était explicitement visée aux termes de la réglementation ici en cause (70).

72.      En outre, je rappelle que chaque État membre dispose d’une certaine autonomie en la matière, qui lui permet de définir les modalités procédurales des actions en justice destinées à assurer la sauvegarde des droits que les particuliers tirent du droit de l’Union, pour autant que ces modalités respectent les deux limites fixées par une jurisprudence constante de la Cour, à savoir le principe d’équivalence et le principe d’effectivité (71). Comme cela a déjà été mis en lumière, les exigences découlant de l’article 47 de la Charte ayant pu être dégagées par la Cour sont tant circonscrites que dépendantes de multiples facteurs et, en particulier, il apparaît que le droit à un recours effectif n’implique pas que les juridictions nationales compétentes soient nécessairement en mesure, en toutes circonstances, de réformer les décisions attaquées quant à l’ensemble des éléments sur lesquels ces dernières sont fondées (72).

73.      Par ailleurs, en raison des liens qui existent entre l’article 47, premier alinéa, de la Charte et l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (73), il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à cette dernière disposition (74). Or, il ressort de cette jurisprudence que le droit à un recours effectif devant un tribunal doit permettre aux justiciables de s’y prévaloir des droits et libertés consacrés par ladite convention, étant précisé que ce droit fait peser sur les États une obligation dont la portée varie en fonction de la nature du grief du requérant et que le caractère effectif du recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour l’intéressé (75).

74.      En l’occurrence, je note que, dans le cadre du nouveau régime autrichien de rémunération et d’avancement, la portée du contrôle matériel que les juridictions nationales compétentes sont en mesure d’exercer à l’égard du « montant de transfert », qui détermine le reclassement des fonctionnaires concernés (76), est réduite (77). En effet, ce contrôle peut porter uniquement sur des inexactitudes résultant d’erreurs d’encodage des données pertinentes (78), et non sur une éventuelle irrégularité dans le calcul du salaire sur lequel se fonde ledit montant, calcul fait à partir de l’ancien régime de rémunération.

75.      Toutefois, comme l’indique le gouvernement autrichien, toutes les personnes affectées par la réforme litigieuse – à savoir les fonctionnaires déjà en service, qu’ils aient été favorisés ou défavorisés par l’ancien régime – disposent de voies de recours leur permettant de faire contrôler la légalité du système en vertu duquel elles sont transférées vers le nouveau régime de rémunération et d’avancement (79). Ce contrôle juridictionnel de la validité des normes en cause peut s’exercer, en particulier, au regard des exigences du droit de l’Union, de sorte qu’une éventuelle incompatibilité de la réforme avec ces exigences pourrait être décelée. L’action en justice ayant été introduite au principal, qui a conduit à la présente demande de décision préjudicielle, est d’ailleurs révélatrice de l’existence et de l’efficacité de ces voies de recours. Les intéressés disposent donc de la possibilité de saisir les juridictions autrichiennes pour faire valoir les droits qu’ils tirent du droit de l’Union, dans des conditions qui, selon moi, sont compatibles avec le contenu susmentionné du droit fondamental à un recours effectif, au sens de l’article 47 de la Charte, et permettent, plus spécifiquement, de faire respecter les obligations découlant de la directive 2000/78.

76.      Par conséquent, je propose de répondre à la quatrième question posée que l’article 47 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à des dispositions nationales telles que celles visées dans cette question.

C.      Sur l’incompatibilité éventuelle avec l’article 17 de la directive 2000/78 et ses conséquences potentielles au regard du principe de primauté du droit de l’Union (deuxième et troisième questions)

77.      Compte tenu du lien de corrélation établi par la juridiction de renvoi entre les deuxième et troisième questions qu’elle a soumises à la Cour, il y a lieu, selon moi, d’y répondre de façon conjointe.

1.      Sur l’incidence de l’article 17 de la directive 2000/78 (deuxième question)

78.      La deuxième question invite la Cour à déterminer, principalement, si « l’article 17 de la directive 2000/78 ainsi que l’article 47 de la Charte » (80) doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation telle que celle en cause au principal.

79.      Plus précisément, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir s’il est admissible, au regard de l’une et l’autre des dispositions susmentionnées, qu’une réglementation nationale empêche les fonctionnaires déjà en service d’invoquer l’article 2 de cette directive, lu en combinaison avec ses articles 9 et 16 conformément à l’arrêt Schmitzer (81), afin de « faire constater leur position barémique en référence [audit article 2] à la date du transfert dans le nouveau régime de rémunération », en ce que cette réglementation prévoit que les dispositions de l’ancien régime ne sont rétroactivement plus applicables.

80.      Même si la décision de renvoi ne l’indique pas de façon expresse, il me semble logique de considérer que la problématique soulevée par la présente question devrait être tranchée uniquement dans l’hypothèse où, en réponse à la première question préjudicielle, la Cour jugerait, comme je le propose, que la réglementation mise en cause n’est pas conforme aux exigences résultant des articles 2 et 6 de la directive 2000/78.

81.      S’agissant de l’interprétation ici sollicitée de l’article 47 de la Charte, je renvoie aux développements que j’ai consacrés à cette problématique dans le cadre de la réponse à la quatrième question (82), laquelle vise aussi cet article 47 mais en étant fondée sur des considérations plus claires et plus adéquates, à mes yeux, que celles relatives à la présente question, étant donné que celle-ci a pour objet central les dispositions susmentionnées de la directive 2000/78.

82.      S’agissant de l’interprétation de l’article 17 de la directive 2000/78, il ressort selon moi des motifs de sa décision que la juridiction de renvoi demande, en substance, si cet article impose ou non l’octroi d’une compensation financière (83) aux fonctionnaires déjà en service ayant été discriminés sur le fondement de l’âge par l’effet de l’ancien régime de rémunération et d’avancement, à la lumière de précédents arrêts de la Cour (84). Dans sa réponse à la demande d’éclaircissements, cette juridiction précise qu’elle déduit de l’arrêt Schmitzer (85) qu’un tel fonctionnaire « doit avoir la possibilité, en se référant à l’article 2 de cette directive, de contester l’effet discriminant de la réglementation pour y mettre fin, indépendamment du fait qu’une compensation financière lui est due à ce titre pour le passé ». Elle ajoute qu’il lui semble que le législateur autrichien n’a pas tenu suffisamment compte des exigences dudit article 17, en ce qu’il a opté pour des mesures visant la seule neutralité des coûts, et non pas aptes à éliminer efficacement la discrimination fondée sur l’âge.

83.      Sans viser explicitement l’article 17 de la directive 2000/78, M. Leitner soutient que, jusqu’à ce que le droit de l’Union soit mis en œuvre correctement, les personnes défavorisées devraient bénéficier des mêmes avantages que les personnes favorisées. En revanche, le gouvernement autrichien allègue que, en adoptant la réforme en cause au principal, le législateur autrichien a satisfait aux obligations découlant de l’article 16 de la directive 2000/78. Pour sa part, la Commission après avoir visé spécialement l’article 17 de cette directive dans ses observations et considéré qu’une compensation financière pourrait être due en l’espèce, suggère finalement de répondre qu’à défaut de système conforme à cette directive, les fonctionnaires défavorisés par le régime antérieur doivent se voir octroyer les mêmes avantages que ceux dont ont pu bénéficier les fonctionnaires favorisés par ce régime, en ce qui concerne la prise en compte des périodes de service accomplies avant l’âge de 18 ans, mais aussi l’avancement dans l’échelle des rémunérations.

84.      Si je suis d’un avis analogue en substance à la proposition finale de la Commission, je considère toutefois que l’article 17 de la directive 2000/78, qui est mentionné dans la présente question préjudicielle en lien avec d’autres dispositions de cette directive, n’est pas le fondement juridique approprié pour se prononcer sur la nécessité ou non d’octroyer une compensation financière aux personnes discriminées, dans de telles circonstances (86).

85.      En effet, je relève que cet article 17, qui est relatif aux sanctions que les États membres doivent imposer aux contrevenants en cas de violation des dispositions nationales adoptées afin de transposer cette directive (87), ne couvre pas le présent cas de figure, où il est question de la façon dont un État membre doit éventuellement remédier (88) à une discrimination générée non pas par une violation de ces dispositions nationales qui devrait être sanctionnée d’une façon adaptée (89), mais par le non-respect des exigences du droit de l’Union par ces dispositions nationales elles-mêmes.

86.      J’estime plus adéquat de se référer, dans ce cas de figure, aux dispositions de l’article 16 de la directive 2000/78, qui est relatif à l’obligation qu’ont les États membres de modifier leurs normes nationales afin de les mettre en conformité avec le principe de non‑discrimination, comme cela a été fait par la Cour, à plusieurs reprises dont tout récemment, dans des contextes similaires de refonte de régimes nationaux de rémunération pour cause de discrimination (90). Partant, je propose de répondre à la présente question en prenant en considération les dispositions de l’article 16 de cette directive (91).

87.      À cet égard, la Cour a déjà jugé que si ledit article 16 impose aux États membres de mettre en conformité leurs réglementations nationales avec le droit de l’Union, il leur laisse toutefois la liberté de choisir, parmi les différentes mesures propres à mettre fin à une discrimination prohibée, celle d’entre elles qui leur paraît la mieux adaptée à cet effet. Conformément à cette jurisprudence, la suppression d’une discrimination fondée sur l’âge, telle que celle en cause au principal, n’implique pas nécessairement que le travailleur ayant été discriminé sous le régime légal antérieur bénéficie automatiquement du droit de percevoir rétroactivement une compensation financière, qui serait constituée par la différence entre le salaire qu’il aurait perçu en l’absence de discrimination et celui qu’il a effectivement perçu, ou une augmentation des salaires à venir. Cela n’est le cas que si, et aussi longtemps que, des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées par le législateur national. En effet, dans ce cas de figure, le respect du principe d’égalité ne peut être assuré que par l’octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée, régime qui, à défaut de l’application correcte du droit de l’Union, reste le seul système de référence valable (92).

88.      Or, la réglementation en cause correspond, selon moi, à cette dernière hypothèse, puisque j’estime, pour les raisons exposées au titre de la première question préjudicielle (93), que les mesures qui ont été adoptées par le législateur autrichien, en vue du transfert des fonctionnaires en service vers le nouveau régime de rémunération et d’avancement, ne permettent pas de rétablir une égalité de traitement au profit des fonctionnaires ayant été défavorisés par l’ancien régime (94). Dès lors que la nouvelle réglementation maintient les effets discriminatoires de la réglementation antérieure (95), le respect du principe de l’égalité de traitement implique d’accorder à ces personnes les mêmes avantages que ceux dont ont bénéficié les fonctionnaires ayant été favorisés par l’ancien régime, en ce qui concerne tant la prise en compte de périodes de service accomplies avant l’âge de 18 ans que l’avancement dans l’échelle des rémunérations (96). Plus précisément, je comprends la jurisprudence mentionnée ci‑dessus comme signifiant que le rétablissement d’une égalité de traitement peut aller jusqu’à devoir octroyer une compensation financière aux fonctionnaires si un rééquilibrage à leur profit n’est pas atteint, dans les meilleurs délais (97), par tout autre moyen propre à assurer la convergence requise en vertu du droit de l’Union.

89.      C’est en ce sens qu’il convient, à mon avis, d’interpréter l’article 16 de la directive 2000/78 afin d’apporter une réponse utile à l’égard de la deuxième question préjudicielle.

2.      Sur l’incidence du principe de primauté du droit de l’Union (troisième question)

90.      Tout d’abord, je souligne que la troisième question est posée dans l’hypothèse où la Cour apporterait une réponse affirmative à la deuxième question, telle qu’énoncée par la juridiction de renvoi.

91.       Par sa troisième question, cette juridiction interroge la Cour, en substance, sur le point de savoir dans quelle mesure une application du principe de primauté du droit de l’Union (98) pourrait permettre de remédier à l’incompatibilité de la réglementation en cause au principal avec ce droit qui résulterait, en particulier, d’une contradiction avec les dispositions de l’article 17 de la directive 2000/78, visé dans sa précédente question. Cependant, je rappelle que je propose de procéder à une reformulation de la deuxième question, afin d’y apporter une réponse utile plutôt sur le fondement de l’article 16 de ladite directive (99).

92.      Plus particulièrement, cette juridiction demande si, en vertu de la primauté du droit de l’Union, les dispositions de l’ancien régime de rémunération ayant été abrogées rétroactivement (100) devraient néanmoins continuer à être appliquées aux fonctionnaires qui étaient déjà en service lors de l’adoption de la réforme, afin que ces derniers soient classés rétroactivement et de manière non discriminatoire dans cet ancien régime, et puissent donc être transférés sans discrimination dans le nouveau régime de rémunération.

93.      M. Leitner ne prend pas position sur cette troisième question préjudicielle. Le gouvernement autrichien considère qu’il n’y a pas lieu de l’examiner, au motif qu’il faudrait apporter une réponse négative à la deuxième question, en raison d’une conformité au droit de l’Union, mais il donne toutefois des indications subsidiaires, en se référant à la jurisprudence de la Cour portant sur le principe de primauté (101). Selon la Commission, il y a lieu de répondre de façon conjointe aux deuxième et troisième questions, car celles-ci viseraient en substance à déterminer s’il faut accorder, soit sur la base de la primauté du droit de l’Union, soit en vertu de l’article 17 de la directive 2000/78, une compensation financière aux fonctionnaires défavorisés par l’ancien régime jugé discriminatoire.

94.      Pour ma part, j’estime que le respect de la primauté du droit de l’Union, s’agissant de la suppression d’une discrimination interdite par celui-ci, peut déjà être assuré par une application de la jurisprudence relative à l’interprétation de l’article 16 de la directive 2000/78, que j’ai évoquée au titre de la deuxième question préjudicielle, jurisprudence dont il ressort que les personnes défavorisées par un régime discriminatoire doivent bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux personnes favorisées par ce régime (102). En effet, il m’apparaît que le principe de la primauté du droit de l’Union est matérialisé par les dispositions de la directive 2000/78, dans le domaine qu’elle couvre, et en particulier par les obligations énoncées à son article 16. Partant, il n’y a selon moi pas lieu de répondre spécifiquement à cette troisième question. Néanmoins, dans le souci d’être exhaustif, je présenterai les observations suivantes.

95.      Dans une situation telle que celle de l’espèce, où un recours est exercé contre une autorité administrative d’un État membre, il ressort d’une jurisprudence constante que, si la juridiction nationale saisie est dans l’impossibilité de procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale qui soit conforme à la directive 2000/78 sans pour autant être contra legem, le principe de primauté du droit de l’Union requiert de laisser inappliquée la réglementation se heurtant aux exigences du droit de l’Union (103). En l’occurrence, le respect dudit principe impliquerait, afin de garantir le plein effet du droit de l’Union, d’évincer les dispositions du nouveau régime de rémunération qui ne respectent pas les obligations découlant de cette directive, plus particulièrement au regard de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge.

96.      Selon les indications subsidiaires du gouvernement autrichien, cela nécessiterait de laisser inappliquée la règle en vertu de laquelle le transfert vers ce régime doit s’effectuer de manière globale (104), et donc de fixer l’ancienneté d’échelon de manière individuelle pour chaque agent déjà en service, en recalculant ses périodes d’activité antérieures et son classement dans la grille de rémunération qui en résulte (105).

97.      À mon sens, le juge national dispose d’une marge d’appréciation en ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre dans ce contexte, pour autant que ceux-ci permettent de remédier effectivement à la discrimination fondée sur l’âge qui est en cause au principal. Le procédé le plus adéquat selon moi serait d’écarter l’élément de la réglementation concernée qui engendre une perpétuation de cette discrimination, à savoir le dispositif en vertu duquel le transfert s’opère sur la base d’un salaire fixé conformément à l’ancien régime de rémunération jugé discriminatoire. Ensuite, il conviendrait d’identifier les avantages dont ont pu bénéficier les fonctionnaires ayant été favorisés par celui-ci, afin d’octroyer le même traitement aux fonctionnaires ayant été défavorisés, ainsi que je l’ai indiqué au sujet de l’interprétation de l’article 16 de la directive 2000/78 (106).

98.      Je précise que, contrairement à ce que la troisième question préjudicielle peut laisser entendre, la mise en œuvre de la jurisprudence relative au principe de primauté ne devrait selon moi pas aboutir à appliquer l’ancien régime de rémunération, par une sorte de régénérescence des dispositions abrogées rétroactivement (107). En effet, le respect de la primauté du droit de l’Union ne va pas jusqu’à imposer qu’une juridiction nationale applique une réglementation ayant disparu de par la volonté du législateur d’un État membre. De surcroît, cet ancien régime contient des dispositions dont la Cour a jugé qu’elles engendraient une discrimination fondée sur l’âge (108), de sorte qu’il ne saurait être appliqué en tant que tel précisément en vue de mettre fin à cette discrimination.

V.      Conclusion

99.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) de la manière suivante :

1)      Les articles 2 et 6 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, aux fins de la prise en compte des périodes d’activité accomplies avant l’âge de 18 ans, remplace un système de rémunération jugé discriminatoire en raison de l’âge par un nouveau système de rémunération, mais prévoit que le transfert vers celui-ci de toutes les personnes déjà en service s’opère en déterminant leur premier classement dans ce nouveau système sur la base d’un salaire versé pour un mois déterminé et calculé conformément à l’ancien système, de sorte que la discrimination fondée sur l’âge est maintenue dans ses effets financiers.

2)      L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui limite le contrôle matériel que les juridictions nationales compétentes sont en mesure d’exercer à l’égard des décisions attaquées devant elles, mais permet qu’elles exercent un contrôle de la légalité de ces décisions et, dans ce cadre, un contrôle de la conformité de ladite réglementation avec le droit de l’Union.

3)      L’article 16 de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que, dans un cas tel que celui en cause au principal, où un système procédant à la suppression de la discrimination en fonction de l’âge d’une manière conforme à ce que prévoit cette directive n’a pas encore été adopté, le rétablissement de l’égalité de traitement implique l’octroi aux personnes défavorisées par le régime antérieur des mêmes avantages que ceux dont ont pu bénéficier les personnes favorisées par ce régime, en ce qui concerne non seulement la prise en compte de périodes de service accomplies avant l’âge de 18 ans, mais également l’avancement dans l’échelle des rémunérations.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Conseil du 27 novembre 2000 (JO 2000, L 303, p. 16).


3      Arrêt du 11 novembre 2014 (C‑530/13, EU:C:2014:2359). Sur les étapes de l’évolution suivie, en corrélation avec des arrêts de la Cour, par le droit autrichien en matière de rémunération et d’avancement dans la fonction publique, voir, notamment, points 13 et suiv. des présentes conclusions.


4      Plus particulièrement, les première, deuxième et quatrième questions ici soumises sont analogues aux deux premières questions préjudicielles qui sont posées par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) dans l’affaire C‑24/17, Österreichischer Gewerkschaftsbund, laquelle porte sur le régime autrichien de rémunération et d’avancement des agents contractuels exerçant dans la fonction publique, tandis que la présente affaire concerne celui applicable aux fonctionnaires, deux régimes complémentaires et équivalents. Je précise que, dans ces deux affaires, tant les requérants respectifs des litiges au principal, qui ont le même représentant, que le gouvernement autrichien et la Commission européenne ont présenté des observations en substance similaires au sujet de ces aspects communs, ce qui se reflétera dans les présentes conclusions.


5      BGBl. 54/1956.


6      Arrêt du 18 juin 2009 (C‑88/08, EU:C:2009:381), dans lequel la Cour a interprété les articles 1er, 2 et 6 de la directive 2000/78 en ce sens qu’ils « s’opposent à une réglementation nationale qui, afin de ne pas défavoriser l’enseignement général par rapport à l’enseignement professionnel et de promouvoir l’insertion des jeunes apprentis sur le marché de l’emploi, exclut la prise en compte des périodes d’emploi accomplies avant l’âge de 18 ans aux fins de la détermination de l’échelon auquel sont placés les agents contractuels de la fonction publique d’un État membre » (point 51, souligné par mes soins). Les dispositions autrichiennes en cause dans cette affaire Hütter, qui concernaient les agents contractuels de la fonction publique, étaient parallèles à celles concernant les fonctionnaires dans la présente affaire.


7      BGBl. I, 82/2010.


8      Arrêt du 11 novembre 2014 (C‑530/13, EU:C:2014:2359), dans lequel la Cour a, notamment, interprété l’article 2, paragraphes 1 et 2, sous a), ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 en ce sens qu’ils « s’opposent à une réglementation nationale qui, pour mettre fin à une discrimination fondée sur l’âge, prend en compte des périodes de formation et de service antérieures à l’âge de 18 ans mais qui, simultanément, introduit à l’égard des seuls fonctionnaires victimes de cette discrimination un allongement de trois ans de la durée nécessaire pour pouvoir passer du premier au deuxième échelon de chaque catégorie d’emploi et de chaque catégorie salariale » (point 45, souligné par mes soins). Les dispositions du GehG telles que réformées en 2010 étaient précisément en cause dans cette affaire Schmitzer.


9      BGBl. I, 32/2015.


10      Arrêt du 9 septembre 2016 (Ro 2015/12/0025‑3).


11      BGBl. I, 104/2016.


12      Arrêt du 19 juin 2014 (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005).


13      Voir points 17 et suiv. des présentes conclusions.


14      M. Leitner a expressément visé les arrêts du 18 juin 2009, Hütter (C‑88/08, EU:C:2009:381) ; du 11 novembre 2014, Schmitzer (C‑530/13, EU:C:2014:2359), ainsi que du 28 janvier 2015, Starjakob (C‑417/13, EU:C:2015:38).


15      Arrêt du 11 novembre 2014 (C‑530/13, EU:C:2014:2359).


16      Arrêt du 22 novembre 2005 (C‑144/04, EU:C:2005:709).


17      À ce dernier égard, voir note en bas de page 4 des présentes conclusions.


18      Voir article 8, paragraphe 1, du GehG 2015, par opposition à sa version du GehG 2010.


19      Voir article 12, paragraphes 1 à 3, du GehG 2015.


20      Plus précisément, ceux en service au 11 février 2015.


21      Conformément à l’article 175, paragraphe 79, point 3, du GehG 2016, les effets des articles 8 et 12 du GehG 2015 rétroagissent au 1er février 1956, date d’entrée en vigueur du GehG 1956, également à l’égard des procédures en cours ou futures.


22      Les détails du processus de transfert figurent à l’article 169 quater du GehG modifié.


23      Comme l’énoncent les paragraphes 1 à 2 bis de l’article 169 quater du GehG modifié, où il est notamment mentionné qu’il s’agit là d’un « classement conformément au bulletin de salaire ».


24      Arrêt du 11 novembre 2014 (C‑530/13, EU:C:2014:2359), dont la teneur est rappelée à la note en bas de page 8 des présentes conclusions.


25      À cet égard, la juridiction de renvoi évoque l’arrêt rendu le 9 septembre 2016 par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), précité à la note en bas de page 10 des présentes conclusions, ainsi que la décision de renvoi de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) dans l’affaire pendante Österreichischer Gewerkschaftsbund (C‑24/17), qui fait l’objet de mes conclusions aussi datées de ce jour.


26      Dans sa question, la juridiction de renvoi précise que ce nouveau régime est « en soi fermé et non discriminatoire pour les nouveaux fonctionnaires ».


27      Je précise qu’une problématique similaire est soulevée par la première question, sous a), posée dans l’affaire connexe C‑24/17, Österreichischer Gewerkschaftsbund, qui fait l’objet de mes conclusions portant la même date que les présentes.


28      À savoir « une réglementation nationale [...] qui maintient ainsi intacte la discrimination fondée sur l’âge des fonctionnaires en service ».


29      Néanmoins, elle s’interroge, notamment, sur la possibilité de tirer des enseignements, dans la présente affaire, des arrêts de la Cour concernant l’évolution similaire qui a été suivie par le droit allemand en la matière. Elle vise, en particulier, les arrêts du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560) ; du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005), ainsi que du 9 septembre 2015, Unland (C‑20/13, EU:C:2015:561). Dans ses conclusions relatives à l’affaire Stollwitzer (C‑482/16, EU:C:2017:893, point 6 et note en bas de page 18), M. l’avocat général Mengozzi expose que lesdites affaires « portaient, d’une part, sur le régime salarial applicable, au niveau tant fédéral que régional [en Allemagne], aux agents contractuels du secteur public ou aux fonctionnaires et fondé principalement sur des critères d’âge et, d’autre part, sur les modalités de passage de ce régime de rémunération à un régime non basé sur des critères discriminatoires ».


30      M. Leitner invoque que, aux termes de l’arrêt cité à la note en bas de page 10 des présentes conclusions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a considéré, au sujet de la réforme des rémunérations datant de 2015, qu’« il n’est pas [...] concevable que le transfert collectif – tout au plus compatible avec le droit de l’Union – de fonctionnaires existants vers le nouveau système, sur la base d’une position qu’ils occupaient dans l’ancien système discriminatoire puisse simplement effacer la discrimination intervenue durant les périodes antérieures ».


31      En effet, les États membres et les partenaires sociaux doivent agir dans le respect de la directive 2000/78 lorsqu’ils adoptent des mesures entrant dans le champ d’application de celle-ci, laquelle concrétise, dans le domaine de l’emploi et du travail, le principe de non-discrimination en fonction de l’âge (voir, notamment, arrêts du 21 janvier 2015, Felber, C‑529/13, EU:C:2015:20, points 15 à 17, ainsi que du 19 juillet 2017, Abercrombie & Fitch Italia, C‑143/16, EU:C:2017:566, points 16 et 17).


32      Conformément à l’arrêt du 11 novembre 2014, Schmitzer (C‑530/13, EU:C:2014:2359), dont la teneur est rappelée à la note en bas de page 8 des présentes conclusions.


33      Arrêt du 11 novembre 2014 (C‑530/13, EU:C:2014:2359, points 35 et 44).


34      Voir points 17 et suiv. des présentes conclusions.


35      Voir arrêts du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, points 84 à 86) ; du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 57 à 60), ainsi que du 9 septembre 2015, Unland (C‑20/13, EU:C:2015:561, points 38 à 40).


36      Plus précisément, aux termes du paragraphe 2, dudit article 169 quater, le reclassement est effectué sur la base d’un « montant de transfert » correspondant à l’intégralité du salaire versé au titre du « mois de transfert », à savoir le mois de février 2015, salaire qui est calculé conformément à l’ancien système de rémunération.


37      Selon ce gouvernement, « la République d’Autriche est consciente du fait qu’une réglementation qui, pour le transfert d’employés existants d’un système de rémunération discriminatoire en raison de l’âge vers un nouveau système, prévoit que le classement dans le nouveau système de rémunération soit opéré uniquement sur la base du salaire qui leur revient conformément à l’ancien système de rémunération – discriminatoire en raison de l’âge –, est propre à perpétuer une discrimination causée par l’ancien système de rémunération ».


38      Aux termes de l’extrait cité par la Commission, tiré des explications concernant le projet du gouvernement relatif à la loi qui devait modifier l’article 169 quater du GehG 2015, loi ultérieurement publiée au BGBl. I, 104/2016 (voir annexes au compte‑rendu sténographique du Conseil national 1296 de la XXVe législature, p. 2, accessible à l’adresse Internet suivante : https://www.parlament.gv.at/PAKT/VHG/XXV/I/I_01296/fname_564847.pdf) : « Le législateur [autrichien] choisit donc sciemment ce mode de transfert et perpétue ainsi délibérément et explicitement la discrimination, afin d’éviter des pertes de revenus pour les employés en service et de leur garantir un niveau de revenu et des perspectives de revenu sur lesquels ils comptaient depuis de nombreuses années ».


39      Arrêt du 11 novembre 2014 (C‑530/13, EU:C:2014:2359).


40      Je reviendrai sur ce dernier aspect, aux points 58 et 59 des présentes conclusions.


41      À savoir, aux termes du paragraphe 1 dudit article 6, justifiées « notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle ».


42      Voir, notamment, arrêts du 14 mars 2017, G4S Secure Solutions (C‑157/15, EU:C:2017:203, point 36), ainsi que du 25 juillet 2018, Dyson (C‑632/16, EU:C:2018:599, point 54).


43      Cette juridiction vise spécifiquement les éléments de motivation figurant dans des travaux préparatoires de la réforme (Bericht des Verfassungsausschusses, 457 BlgNR XXV. GP, 2).


44      Plus précisément, ce gouvernement fait valoir que, ne serait-ce qu’au niveau fédéral, environ 160 000 cas auraient dû être examinés dans le cadre du transfert vers le nouveau régime de rémunération, de sorte qu’un examen individuel n’aurait pas pu être effectué dans un bref délai.


45      Voir, notamment, arrêts du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 77 à 80), ainsi que du 28 janvier 2015, Starjakob (C‑417/13, EU:C:2015:38, point 36 et jurisprudence citée).


46      Comme le révèle l’extrait des travaux préparatoires nationaux cités à la note en bas de page 38 des présentes conclusions.


47      Voir, notamment, arrêts du 9 septembre 2015, Unland (C‑20/13, EU:C:2015:561, point 42), ainsi que du 14 mars 2018, Stollwitzer (C‑482/16, EU:C:2018:180, point 41).


48      Voir, notamment, arrêt du 28 janvier 2015, Starjakob (C‑417/13, EU:C:2015:38, point 37 et jurisprudence citée).


49      Suivant les modalités rappelées à la note en bas de page 36 des présentes conclusions.


50      Au vu de la décision de renvoi et des éclaircissements apportés ensuite par cette juridiction, il m’apparaît que plusieurs mécanismes ont été prévus, aux différentes étapes du processus de transfert, afin d’éviter une éventuelle diminution significative de la rémunération des personnes reclassées (en particulier, un échelon usuellement dit « de maintien » et deux primes de maintien successives, conformément aux paragraphes 6 et 9 de l’article 169 quater du GehG modifié). Cette juridiction précise que les mécanismes en question « ne vise[nt] pas à compenser les salaires discriminatoires en raison de l’âge qui servent de référence au montant de transfert ».


51      La Commission relève que « pour satisfaire au critère de la protection de la confiance légitime à l’égard d’un certain niveau de rémunération, il suffit, semble‑t‑il, de maintenir le traitement perçu auparavant. On pourrait ainsi imaginer d’aligner pour tous les fonctionnaires l’avancement d’échelon de rémunération de manière identique ; afin de respecter le principe de protection de la confiance légitime, on pourrait cependant verser aux fonctionnaires subissant de ce fait une perte de revenus le traitement qu’ils percevaient jusqu’alors en le découplant de l’échelon de rémunération dans lequel ils devraient effectivement être classés, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’échelon correspondant à ce traitement. Ce mécanisme maintiendrait certes certains effets de l’ancienne discrimination, à savoir ceux qui concernent les revenus, mais uniquement pour une période transitoire d’une durée prévisible » (souligné par mes soins).


52      Je note que dans le cadre de la précédente réforme, datant de 2010, le législateur autrichien avait opté pour un examen au cas par cas, au lieu d’opérer un reclassement automatique et global, ainsi que M. Leitner le met en exergue.


53      Je souligne qu’une méthodologie différente a été adoptée par la République d’Autriche, et récemment jugée conforme au droit de l’Union par la Cour, dans un contexte similaire de transfert vers un nouveau régime de rémunération datant aussi de 2015. Voir arrêt du 14 mars 2018, Stollwitzer (C‑482/16, EU:C:2018:180, point 45), où il est souligné que « le législateur autrichien a, dans le cadre du processus d’adoption de l’article 53a de la loi fédérale sur les chemins de fer de 2015, respecté un équilibre entre, d’une part, la suppression de la discrimination en raison de l’âge et, d’autre part, le maintien des droits acquis sous l’ancien régime légal ».


54      Au sens de la jurisprudence évoquée au point 52 des présentes conclusions.


55      Voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 83 à 85), où il a été mis en exergue que « l’écart de rémunération s’atténuerait, voire, dans certains cas, s’effacerait au bout de quelques années ».


56      Voir arrêt du 11 novembre 2014, Schmitzer (C‑530/13, EU:C:2014:2359, points 43 et 44).


57      L’accord d’un syndicat pourrait selon moi être déterminant lorsqu’une différence de traitement fondée sur l’âge est maintenue provisoirement, mais pas si ses effets perdurent définitivement.


58      Voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2018, Bedi (C‑312/17, EU:C:2018:734, points 68 à 70 et jurisprudence citée).


59      Voir, notamment, arrêts du 19 juillet 2017, Abercrombie & Fitch Italia (C‑143/16, EU:C:2017:566, points 31 et 46), ainsi que du 19 septembre 2018, Bedi (C‑312/17, EU:C:2018:734, point 59).


60      La Cour est interrogée sur l’incidence potentielle de l’article 47 de la Charte en l’espèce aussi dans le cadre de la deuxième question (voir points 78 et suiv. des présentes conclusions), mais il m’apparaît plus opportun d’y répondre dans le cadre de la présente quatrième question.


61      Au titre de la réponse à la première question (voir points 39 et suiv. des présentes conclusions).


62      La juridiction de renvoi se réfère, spécifiquement, aux dispositions de l’article 169 quater, paragraphe 1, première phrase, et paragraphe 2 quater, première phrase, du GehG modifié. Dans cette dernière disposition, il est décrété que les paragraphes 2 bis et 2 ter dudit article transposent, en droit autrichien, les articles 2 et 6 de la directive 2000/78 tels qu’ils ont été interprétés par l’arrêt du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005).


63      Voir, notamment, arrêts du 26 juin 2008, Burda (C‑284/06, EU:C:2008:365, point 39) ; du 28 juin 2012, Erny (C‑172/11, EU:C:2012:399, point 32), ainsi que du 6 mars 2014, Siragusa (C‑206/13, EU:C:2014:126, point 21).


64      Je précise que l’interprétation de l’article 47 de la Charte est également demandée au titre de la première question préjudicielle, sous c), dans l’affaire connexe C‑24/17, Österreichischer Gewerkschaftsbund, qui fait l’objet de mes conclusions aussi datées de ce jour.


65      Il résulte de l’article 169 quater, paragraphes 1 à 2 bis, du GehG modifié que les fonctionnaires en service au 11 février 2015 sont reclassés dans le nouveau système « sur la seule base de leur rémunération antérieure », en fonction d’un « montant de transfert » qui correspond au salaire versé au titre du « mois de février 2015 (mois de transfert) » et donc fixé en application de l’ancien système. En vertu de ce paragraphe 2 bis, « un examen de la régularité [dudit salaire] est exclu tant en ce qui concerne son fondement que son montant » et une rectification n’est possible qu’en cas d’erreurs matérielles et manifestes lors de la saisie des données.


66      Dans sa présentation du contexte du litige au principal, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) cite des extraits de l’arrêt du 9 septembre 2016, précité, aux termes duquel le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a considéré que le fait d’enlever toute possibilité de contrôle juridictionnel de l’application effective du droit antérieur, comme prévu par la réforme des rémunérations adoptée en début d’année 2015, enfreignait l’article 47 de la Charte et l’article 9 de la directive 2000/78. Je rappelle que des modifications législatives ont été effectuées à la suite de cet arrêt (voir point 18 des présentes conclusions).


67      En l’occurrence, en application de l’article 175, paragraphe 79, point 3, du GehG 2016 (voir aussi note en bas de page 21 des présentes conclusions).


68      Voir, par analogie, arrêts du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 49), ainsi que du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a. (C‑358/16, EU:C:2018:715, points 51 et 52).


69      Voir considérants 29 et suiv. ainsi qu’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78.


70      Voir article 169 quater, paragraphe 2 quater, première phrase, du GehG modifié.


71      Conformément à cette jurisprudence, lesdites modalités « ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de droit interne (principe d’équivalence) ni aménagées de manière à rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) » [voir, notamment, arrêt du 26 septembre 2018, Belastingdienst/Toeslagen (effet suspensif de l’appel), C‑175/17, EU:C:2018:776, point 39].


72      Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Banger (C‑89/17, EU:C:2018:225, points 77 à 80, 91 et 102 à 107, ainsi que arrêts et conclusions y cités), où il est souligné, notamment, que « [l]’étendue et l’intensité du contrôle juridictionnel exigées par le principe d’effectivité dépendent du contenu et de la nature des règles et principes pertinents du droit de l’Union mis en œuvre par la décision nationale contestée » (point 102).


73      Convention signée à Rome le 4 novembre 1950.


74      Voir, notamment, mes conclusions dans l’affaire Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2017:395, points 70 et 71), ainsi que arrêt du 26 septembre 2018, Belastingdienst/Toeslagen (effet suspensif de l’appel) (C‑175/17, EU:C:2018:776, point 35).


75      Voir, notamment, Cour EDH, 13 décembre 2012, De Souza Ribeiro c. France (CE:ECHR:2012:1213JUD002268907, § 79), ainsi que Cour EDH, 13 avril 2017, Tagayeva e.a. c. Russie (CE:ECHR:2017:0413JUD002656207, § 618).


76      Voir la teneur des dispositions exposée à la note en bas de page 65 des présentes conclusions.


77      De même qu’est limité l’objet des contestations de même nature qui sont susceptibles d’être portées, au préalable, devant les autorités administratives compétentes.


78      Il me semble que cette restriction a pour but de permettre que le transfert vers le nouveau régime s’opère de façon automatique et d’éviter une multiplication de recours éventuellement exercés à l’égard du salaire retenu comme base, recours qui auraient pu émaner non seulement des personnes ayant été défavorisées par l’ancien régime, mais aussi des personnes ayant été favorisées.


79      Je rappelle que la Cour a déjà souligné l’importance, au regard du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte, que le juge national puisse contrôler la légalité de la décision attaquée devant lui (voir, notamment, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, points 56, 59, 84 et 89).


80      Je note que l’interprétation de l’article 17 de la directive 2000/78 est également demandée au titre de la première question préjudicielle, sous b), posée dans l’affaire connexe C‑24/17, Österreichischer Gewerkschaftsbund, qui fait l’objet de mes conclusions aussi datées de ce jour, étant rappelé que l’interprétation de l’article 47 de la Charte est également demandée au titre de la première question préjudicielle, sous c), de cette affaire.


81      Arrêt du 11 novembre 2014 (C‑530/13, EU:C:2014:2359). Il me semble que la question posée fait implicitement référence, en particulier, aux points 46 à 51 de cet arrêt.


82      Voir points 63 et suiv. des présentes conclusions.


83      Il m’apparaît, au vu du libellé de cette question et des éléments de la décision de renvoi y afférents, que la juridiction de renvoi demande si le législateur autrichien aurait dû prévoir une compensation financière dans la réglementation en cause elle‑même, et non si la responsabilité de l’État pourrait éventuellement être engagée en raison du défaut d’une telle mesure.


84      Cette juridiction mentionne plus particulièrement les arrêts du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005), ainsi que du 9 septembre 2015, Unland (C‑20/13, EU:C:2015:561).


85      Et plus spécifiquement le dispositif 2 de cet arrêt du 11 novembre 2014 (C‑530/13, EU:C:2014:2359), dans lequel « [l]es articles 9 et 16 de la directive 2000/78 [sont] interprétés en ce sens qu’un fonctionnaire ayant été victime d’une discrimination fondée sur l’âge, résultant du mode de fixation de la date de référence prise en considération pour le calcul de son avancement, doit pouvoir se prévaloir de l’article 2 de cette directive afin de contester les effets discriminatoires de l’allongement des délais d’avancement, alors même qu’il a obtenu, à sa demande, la révision de cette date ».


86      Même si je n’omets pas que la Cour avait visé ledit article 17 dans son arrêt du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, point 87 et dispositif 4), en réponse à la quatrième question qui lui était posée dans cette affaire, lequel arrêt est évoqué dans les motifs de la décision de renvoi qui portent sur la question ici examinée.


87      Ledit article 17 précise que ces sanctions « peuvent comprendre le versement d’indemnité à la victime », mais « doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».


88      Je souligne qu’il s’agit là de l’État en tant que législateur, même si, en l’espèce, il se trouve être aussi l’employeur des personnes concernées.


89      Comme tel était l’enjeu, par exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 73).


90      Voir, notamment, arrêts du 28 janvier 2015, Starjakob (C‑417/13, EU:C:2015:38, points 41 à 43, où la Cour différencie précisément les objets respectifs des articles 16 et 17 de la directive 2000/78 et déclare que ce dernier n’est pas pertinent au regard de la question, semblable à la présente, posée dans ladite affaire) ; du 9 septembre 2015, Unland (C‑20/13, EU:C:2015:561, point 48), ainsi que du 14 mars 2018, Stollwitzer (C‑482/16, EU:C:2018:180, points 28 et suiv.).


91      En effet, conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut être amenée, dans un esprit de coopération et en vue de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, à prendre en considération des normes de droit de l’Union auxquelles celle-ci n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question préjudicielle (voir, notamment, arrêt du 7 août 2018, Smith, C‑122/17, EU:C:2018:631, point 34 et jurisprudence citée).


92      Voir, notamment, arrêts du 28 janvier 2015, Starjakob (C‑417/13, EU:C:2015:38, points 44 à 49 et jurisprudence citée), ainsi que du 14 mars 2018, Stollwitzer (C‑482/16, EU:C:2018:180, points 28 à 34).


93      Voir points 39 et suiv. des présentes conclusions.


94      À savoir les fonctionnaires ayant été traités moins favorablement, dans le cadre de cet ancien régime, en ce qui concerne la prise en compte des périodes d’activité accomplies avant l’âge de 18 ans aux fins de la fixation de leur rémunération et de leur avancement.


95      Comme tel était le cas, à titre de comparaison, de la réglementation nationale en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt 28 janvier 2015, Starjakob (C‑417/13, EU:C:2015:38, voir spécialement point 48) et contrairement à celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 mars 2018, Stollwitzer (C‑482/16, EU:C:2018:180, voir spécialement points 31 à 34).


96      Je souligne que la présente situation se distingue de celles ayant donné lieu aux deux arrêts évoqués par la juridiction de renvoi, en ce que, dans ces affaires contrairement à ici, il n’était pas possible de désigner une catégorie de personnes ayant été favorisées par la réglementation nationale en cause, de sorte qu’il n’y avait pas de système de référence valable (voir arrêts du 19 juin 2014, Specht e.a., C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 81 et 93 à 97, ainsi que du 9 septembre 2015, Unland, C‑20/13, EU:C:2015:561, point 47).


97      Voir, par analogie, arrêt du 21 juin 2007, Jonkman e.a. (C‑231/06 à C‑233/06, EU:C:2007:373, point 38 et jurisprudence citée), où il est précisé que, à la suite d’un arrêt rendu sur demande de décision préjudicielle dont découle l’incompatibilité d’une législation nationale avec le droit de l’Union, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de prendre les mesures propres à assurer le respect du droit de l’Union sur leur territoire et que, tout en conservant le choix des mesures à prendre, ces autorités doivent veiller à ce que, dans les meilleurs délais, le droit national soit mis en conformité avec le droit de l’Union et qu’il soit donné plein effet aux droits que les intéressés tirent de ce dernier. Voir, également, conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Winner Wetten (C‑409/06, EU:C:2010:38, point 119).


98      Dans sa question, cette juridiction rappelle que ledit principe a été affirmé, notamment, dans l’arrêt du 22 novembre 2005, Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709).


99      Pour les raisons indiquées aux points 84 et suiv. des présentes conclusions.


100      Conformément à l’article 175, paragraphe 79, point 3, du GehG modifié.


101      Ce gouvernement vise, en particulier, l’arrêt du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278, points 32 et 35).


102      Voir points 86 et suiv. des présentes conclusions.


103      Voir, notamment, arrêts du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 88 et 89) ; du 7 août 2018, Smith (C‑122/17, EU:C:2018:631, points 39 à 46), ainsi que du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N (C‑384/17, EU:C:2018:810, points 57 à 62).


104      Règle énoncée à l’article 169 quater du GehG modifié.


105      Ce gouvernement ajoute que si un tel reclassement individuel pourrait certes assurer une égalité de traitement, il conduirait cependant à des pertes considérables tant pour les fonctionnaires favorisés par l’ancien régime que pour les fonctionnaires défavorisés, ce qui méconnaîtrait l’objectif de garantie des droits acquis ayant conduit le législateur national à opter pour un transfert général. À cet égard, je noterai simplement qu’il ressort des informations dont dispose la Cour, notamment à la suite de sa demande d’éclaircissements, que la réglementation en cause contient divers mécanismes tendant à éviter des pertes importantes de revenus (voir note en bas de page 50 des présentes conclusions).


106      Voir points 86 et suiv. des présentes conclusions.


107      Je précise que le gouvernement autrichien comprend cette question comme signifiant que la juridiction de renvoi considère que les dispositions de l’ancien régime, discriminatoire sur le fondement de l’âge, devraient être appliquées, une fois rectifiées pour être conformes au droit de l’Union, interprétation du principe de primauté qui est réfutée par ce gouvernement.


108      Voir arrêt du 11 novembre 2014, Schmitzer (C‑530/13, EU:C:2014:2359, point 45).