Language of document : ECLI:EU:C:2019:388

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

8 mai 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Sixième directive 77/388/CEE – Article 9, paragraphe 2, sous c) et e) – Directive 2006/112/CE – Article 52, sous a) – Article 56, paragraphe 1, sous k) – Prestations de services – Lieu des opérations imposables – Rattachement fiscal – Sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet – Activité de divertissement – Notion – Lieu où les prestations sont matériellement exécutées »

Dans l’affaire C‑568/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décision du 22 septembre 2017, parvenue à la Cour le 27 septembre 2017, dans la procédure

Staatssecretaris van Financiën

contre

L. W. Geelen,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, E. Regan (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 septembre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. S. Schillemans et M. Bulterman ainsi que par M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes E. de Moustier et A. Alidière, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. R. Troosters et R. Lyal, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 février 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous c), premier tiret, et sous e), douzième tiret, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2002/38/CE du Conseil, du 7 mai 2002 (JO 2002, L 128, p. 41) (ci‑après la « sixième directive »), de l’article 52, sous a), et de l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), ainsi que de l’article 11 durèglement (CE) no 1777/2005 du Conseil, du 17 octobre 2005, portant mesures d’exécution de la directive 77/388 (JO 2005, L 288, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays-Bas) à M. L. W. Geelen au sujet du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la fourniture de sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La sixième directive

3        Aux termes du septième considérant de la sixième directive :

« considérant que la détermination du lieu des opérations imposables a entraîné des conflits de compétence entre les États membres, notamment en ce qui concerne la livraison d’un bien avec montage et les prestations de services ; que, si le lieu des prestations de services doit en principe être fixé à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité professionnelle, il convient toutefois de fixer ce lieu dans le pays du preneur, notamment pour certaines prestations de services effectuées entre assujettis et dont le coût entre dans le prix des biens ».

4        Figurant au titre VI de cette directive, intitulé « Lieu des opérations imposables », l’article 9 de celle-ci, intitulé « Prestations de services », était libellé comme suit :

« 1.      Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

2.      Toutefois :

[...]

c)      le lieu des prestations de services ayant pour objet :

–        des activités culturelles, artistiques, sportives, scientifiques, d’enseignement, de divertissement ou similaires, y compris celles des organisateurs de telles activités ainsi que, le cas échéant, des prestations de services accessoires à ces activités,

[...]

est l’endroit où ces prestations sont matériellement exécutées ;

[...]

e)      le lieu des prestations de services suivantes, rendues à des preneurs établis en dehors de la Communauté ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable pour lequel la prestation de services a été rendue ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle :

[...]

–        les services fournis par voie électronique, entre autres ceux visés à l’annexe L ;

[...] »

 Le règlement no 1777/2005

5        L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1777/2005 disposait :

« Les services fournis par voie électronique, visés à l’article 9, paragraphe 2, point e), douzième tiret, et à l’annexe L de la [sixième directive] comprennent les services fournis sur l’internet ou sur un réseau électronique et dont la nature rend la prestation largement automatisée, accompagnée d’une intervention humaine minimale, et impossible à assurer en l’absence de technologie de l’information. »

 La directive TVA

6        À compter du 1er janvier 2007, la sixième directive a été abrogée et remplacée par la directive TVA.

7        L’article 43 de la directive TVA, qui figure à la section 1 de cette directive, intitulée « Règle générale », laquelle relève, au sein du titre V de celle-ci concernant le lieu des opérations imposables, du chapitre 3, intitulé « Lieu des prestations de services », est libellé comme suit :

« Le lieu d’une prestation de services est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable à partir duquel la prestation de services est fournie ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle. »

8        L’article 52, sous a), de cette directive, qui figure dans la section 2 dudit chapitre 3, intitulée « Dispositions particulières », dispose :

« Le lieu des prestations de services suivantes est l’endroit où la prestation est matériellement exécutée :

a)      les activités culturelles, artistiques, sportives, scientifiques, d’enseignement, de divertissement ou similaires, y compris celles des organisateurs de telles activités ainsi que, le cas échéant, les prestations de services accessoires à ces activités ».

9        Figurant à cette section 2, l’article 56, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Le lieu des prestations de services suivantes, fournies à des preneurs établis en dehors de la Communauté ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable pour lequel la prestation de services a été fournie ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle :

[...]

k)      les services fournis par voie électronique, notamment ceux visés à l’annexe II ».

 Le droit néerlandais

10      L’article 6, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous c), point 1, et sous d), point 10, de la Wet op de omzetbelasting 1968 (loi de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), dans sa version applicable pendant la période allant du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2009, a transposé, dans le droit néerlandais, l’article 9, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous c), premier tiret, et sous e), douzième tiret, de la sixième directive ainsi que l’article 43, l’article 52, sous a), et l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive TVA.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      M. Geelen, enregistré aux Pays-Bas en tant qu’assujetti à la TVA, fournit à titre onéreux des services consistant à proposer des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet. Les modèles qui sont filmés au cours de ces sessions se trouvent aux Philippines et travaillent pour M. Geelen. Ce dernier leur fournit le matériel et les logiciels nécessaires à la diffusion desdites sessions par Internet. Pour obtenir l’accès aux sessions en cause au principal, les clients de M. Geelen doivent créer un compte auprès de l’un des fournisseurs d’accès à Internet. Ces fournisseurs perçoivent les paiements afférents à ces sessions auprès desdits clients et en reversent une partie à M. Geelen. Lesdites sessions sont interactives, en ce sens que chaque client dispose de la possibilité de communiquer avec les modèles et de leur adresser des demandes particulières. Une même session peut être visionnée en direct par plusieurs clients, de manière simultanée.

12      M. Geelen n’ayant pas déposé de déclaration de TVA pour ces prestations de services et l’administration fiscale néerlandaise, estimant que ceux-ci étaient soumis à la TVA aux Pays‑Bas, lui a adressé un avis de redressement pour la période allant du 1er juin 2006 au 31 décembre 2009.

13      Le Rechtbank Zeeland-West-Brabant (tribunal de Zélande-Brabant occidental, Pays-Bas) a rejeté le recours introduit par M. Geelen contre cet avis de redressement.

14      Par un arrêt du 30 juillet 2015, le Gerechtshof’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc, Pays-Bas) a annulé ledit avis, au motif, en substance, que la prestation de services en cause constituait une activité de divertissement, qui devait être considérée comme étant matériellement exercée par les modèles concernés aux Philippines.

15      Le secrétaire d’État aux Finances a saisi le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas) d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt, en faisant valoir que le lieu de cette prestation de services était celui où les clients se trouvaient au moment où ils avaient acquis les services concernés, ce lieu étant, en l’occurrence, les Pays‑Bas.

16      La juridiction de renvoi considère que l’examen de ce pourvoi exige, tout d’abord, que soit examiné le point de savoir si la prestation de services en cause constitue une « activité de divertissement », au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous c), premier tiret, de la sixième directive et de l’article 52, sous a), de la directive TVA. Certes, les sessions en cause auraient clairement pour objet de divertir les clients et le coût des diverses prestations fournies à cette occasion serait inclus dans le prix payé pour accéder à ces sessions. Or, le législateur de l’Union aurait précisément adopté le régime spécial prévu à ces dispositions pour ce type de prestations de services complexes. Toutefois, il pourrait être déduit des arrêts du 9 mars 2006, Gillan Beach (C‑114/05, EU:C:2006:169), et du 27 octobre 2011, Inter-Mark Group (C‑530/09, EU:C:2011:697), que l’activité concernée doit être exercée pendant une période donnée, à un endroit où le prestataire et les preneurs de services se rencontrent physiquement. Néanmoins, se poserait la question de savoir si cette exigence s’impose à la suite du développement d’Internet, qui rend désormais possible qu’une prestation ne soit plus localisée à un endroit physique donné.

17      Ensuite, dans le cas où la prestation de services en cause au principal constituerait une « activité de divertissement », au sens desdites dispositions, cette juridiction constate qu’il est nécessaire de déterminer le lieu où cette prestation est « matériellement exécutée », au sens de celles-ci. Si ce lieu peut, selon ladite juridiction, être l’endroit où se produisent les modèles, il pourrait aussi être considéré qu’il correspond à l’endroit où le client bénéficie de l’activité de divertissement, à savoir celui où il se connecte à la session. Dans la présente affaire au principal, les clients se trouveraient tous aux Pays‑Bas. Toutefois, ces clients pouvant, en théorie, se trouver en tout lieu, se poserait la question de savoir si le rattachement au lieu où les clients se connectent à Internet offre une règle applicable en pratique et une solution rationnelle du point de vue fiscal.

18      Par ailleurs, ladite juridiction se demande si le régime particulier applicable aux services fournis par voie électronique, prévu à l’article 9, paragraphe 2, sous e), douzième tiret, de la sixième directive et à l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive TVA, peut également être pris en compte. À cet égard, il pourrait être déduit de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1777/2005 que seules les opérations qui nécessitent une intervention humaine minimale et qui ne peuvent être exécutées en l’absence d’une technologie de l’information relèvent de cette catégorie de services. Il s’ensuivrait que la prestation de services en cause au principal ne constitue pas un service fourni par voie électronique, puisque l’exécution des sessions, en raison de leur diffusion en direct et de leur caractère interactif, nécessiterait une intervention humaine et l’utilisation d’Internet.

19      Enfin, dans le cas où cette prestation de services relèverait des deux régimes susmentionnés, il conviendrait de déterminer, lorsque ceux-ci conduisent à désigner des lieux de rattachement différents, celui qui doit être retenu. Si, selon la juridiction de renvoi, il semble ressortir de l’arrêt du 6 mars 1997, Linthorst, Pouwels en Scheres (C‑167/95, EU:C:1997:105), que l’ordre de l’énumération figurant à l’article 9, paragraphe 2, de la sixième directive est déterminant, aucune certitude ne pourrait en être déduite, dès lors que la prestation de services en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ne pouvait être rattachée à aucun des cas visés à cette disposition.

20      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      a)      L’article 9, paragraphe 2, sous c), premier tiret, de la sixième directive [...] et l’article 52, sous a), de la [...] directive [TVA] doivent-ils être interprétés en ce sens que relève également de ces dispositions la fourniture, contre rémunération, de sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet ?

b)      Si la [première question, sous a),] appelle une réponse affirmative, les termes “l’endroit où ces prestations sont matériellement exécutées” et “l’endroit où la prestation est matériellement exécutée” figurant, respectivement, à l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive et à l’article 52, partie introductive, de la directive [TVA] doivent-ils être interprétés en ce sens que l’endroit déterminant est celui où les modèles se produisent devant la webcam ou bien celui où les [clients] regardent les images, ou doit-on même envisager un autre endroit ?

2)      L’article 9, paragraphe 2, sous e), douzième tiret, de la sixième directive et l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive [TVA], lus en combinaison avec l’article 11 du règlement [no 1777/2005] doivent‑ils être interprétés en ce sens que la fourniture, contre rémunération, de sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet peut être considérée comme étant un “service fourni par voie électronique” ?

3)      Si la [première question, sous a),] et la [deuxième question] appellent toutes deux une réponse affirmative et que les dispositions des directives en question désignent des lieux différents, comment faut-il alors déterminer le lieu de la prestation de services ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

21      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 2, sous c), premier tiret, de la sixième directive et l’article 52, sous a), de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation de services, telle que celle en cause au principal, consistant à proposer des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet constitue une « activité de divertissement », au sens de ces dispositions, et, dans l’affirmative, à quel endroit une telle prestation doit être considérée comme étant « matériellement exécutée », au sens de celles‑ci.

22      Cette question étant posée dans le cadre d’un redressement fiscal relatif à la période comprise entre le 1er juin 2006 et le 31 décembre 2009, tant les dispositions de la sixième directive que celles de la directive TVA sont applicables ratione temporis dans un litige tel que celui en cause au principal.

23      Il y a lieu de rappeler que l’article 9 de la sixième directive contient des règles qui déterminent le lieu de rattachement fiscal des prestations de services. Alors que le paragraphe 1 de cet article édicte à ce sujet une règle de caractère général, le paragraphe 2 dudit article énumère une série de rattachements spécifiques. L’objectif de ces dispositions est d’éviter, d’une part, des conflits de compétence susceptibles de conduire à des doubles impositions et, d’autre part, la non-imposition de recettes (arrêts du 26 septembre 1996, Dudda, C‑327/94, EU:C:1996:355, point 20 ; du 9 mars 2006, Gillan Beach, C‑114/05, EU:C:2006:169, point 14 ; du 6 novembre 2008, Kollektivavtalsstiftelsen TRR Trygghetsrådet, C‑291/07, EU:C:2008:609, point 24, et du 3 septembre 2009, RCI Europe, C‑37/08, EU:C:2009:507, point 20).

24      Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, il n’existe aucune prééminence du paragraphe 1 de l’article 9 de la sixième directive sur le paragraphe 2 de cet article. Il y a lieu, dans chaque situation, de se demander si celle-ci correspond à l’un des cas mentionnés à l’article 9, paragraphe 2, de cette directive. À défaut, ladite situation relève de l’article 9, paragraphe 1, de celle-ci [arrêts du 12 mai 2005, RAL (Channel Islands) e.a., C‑452/03, EU:C:2005:289, point 24 ; du 9 mars 2006, Gillan Beach, C‑114/05, EU:C:2006:169, point 15, ainsi que du 6 novembre 2008, Kollektivavtalsstiftelsen TRR Trygghetsrådet, C‑291/07, EU:C:2008:609, point 25].

25      Il s’ensuit que les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, de la sixième directive ne doivent pas être considérées comme constituant une exception à une règle générale devant recevoir une interprétation stricte (arrêt du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank, C‑41/04, EU:C:2005:649, point 34).

26      L’article 9, paragraphe 2, sous c), premier tiret, de la sixième directive fixe le lieu des prestations de services ayant pour objet, notamment, des « activités de divertissement ou similaires », y compris, le cas échéant, des prestations de services accessoires à ces activités, à l’endroit où ces prestations sont matériellement exécutées. Le législateur de l’Union a en effet considéré que, dans la mesure où le prestataire fournit ses services dans l’État dans lequel de telles prestations sont matériellement exécutées et que l’organisateur de la manifestation perçoit dans ce même État la TVA acquittée par le consommateur final, la TVA ayant pour assiette l’ensemble des prestations dont le coût entre dans le prix de la prestation globale payée par ce consommateur devait être versée à cet État, quel que soit le lieu où le prestataire a établi le siège de son activité économique (voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 1996, Dudda, C‑327/94, EU:C:1996:355, point 24, ainsi que du 9 mars 2006, Gillan Beach, C‑114/05, EU:C:2006:169, points 18 et 22).

27      Le paragraphe 1 de l’article 9 de la sixième directive et le paragraphe 2, sous c), premier tiret, de cet article 9 correspondent, respectivement, à l’article 43 et à l’article 52, sous a), de la directive TVA.

28      Dès lors que le libellé de ces dernières dispositions est, en substance, identique à celui des dispositions correspondantes de la sixième directive, elles doivent être interprétées de manière identique (voir, par analogie, arrêt du 6 novembre 2008, Kollektivavtalsstiftelsen TRR Trygghetsrådet, C‑291/07, EU:C:2008:609, point 23).

29      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient de répondre à la première question posée par la juridiction de renvoi.

30      En ce qui concerne, en premier lieu, la nature des prestations, il convient de relever qu’il ressort des termes même de l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive que, comme la Cour l’a déjà jugé, pour relever du champ d’application de cette disposition, une prestation de services doit avoir comme objectif principal, notamment, le divertissement [voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 1996, Dudda, C‑327/94, EU:C:1996:355, point 26, ainsi que du 12 mai 2005, RAL (Channel Islands) e.a., C‑452/03, EU:C:2005:289, point 31].

31      À cet égard, la Cour a précisé qu’aucun niveau artistique particulier n’est exigé et que non seulement des prestations ayant pour objet des activités, notamment, de divertissement, mais également celles ayant pour objet des activités simplement similaires relèvent de l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive [arrêts du 26 septembre 1996, Dudda, C‑327/94, EU:C:1996:355, point 25 ; du 12 mai 2005, RAL (Channel Islands) e.a., C‑452/03, EU:C:2005:289, point 32, ainsi que du 9 mars 2006, Gillan Beach, C‑114/05, EU:C:2006:169, point 19].

32      Dans la présente affaire, il ressort des éléments figurant dans la décision de renvoi que la prestation de services en cause au principal revêt une nature complexe, dès lors qu’elle consiste en plusieurs activités. En effet, d’une part, des modèles se trouvant aux Philippines participent à des spectacles à caractère érotique. D’autre part, ces derniers font l’objet de sessions interactives, accessibles en direct par Internet, organisées par M. Geelen depuis l’endroit, aux Pays-Bas, où il a établi le siège de ses activités économiques, et dont l’objet est de permettre aux clients non seulement de visionner ces sessions, mais également d’interagir avec les modèles, de telle sorte qu’ils puissent influer sur le déroulement desdits spectacles et les faire évoluer selon leurs souhaits.

33      À cet égard, il est constant que ces spectacles sont accomplis par les modèles dans le cadre d’une relation d’emploi entre ces derniers et l’organisateur de ceux-ci. Par ailleurs, étant donné que c’est par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès à Internet, auprès desquels les clients doivent créer un compte, que cet organisateur perçoit le paiement exigé pour le visionnage des sessions interactives, il apparaît que celui‑ci a mis en place également le cadre technique, organisationnel et contractuel requis pour permettre un accès auxdites sessions, qui est restreint à de tels clients payants. En particulier, il ressort des éléments dont dispose la Cour que ledit organisateur fournit à cette fin aux modèles le logiciel nécessaire à la diffusion par Internet.

34      Il en ressort que les sessions interactives en cause au principal ne sont pas comparables à des manifestations culturelles classiques, telles qu’un concert, une foire ou une exposition, dès lors que, par le service qu’il propose, M. Geelen ne cherche pas à fournir un accès à une prestation de services effectuée à un endroit précis pendant une période déterminée, mais organise et permet, à la fois, la création et la diffusion d’une catégorie de spectacles qui peuvent avoir lieu à tout moment et en tout lieu, cela dans le cadre des sessions interactives accessibles par Internet.

35      Partant, afin de déterminer la nature de la prestation de services en cause au principal, il convient d’apprécier le service concerné, tel qu’il est fourni par M. Geelen.

36      En l’occurrence, il est constant que ce service a pour objectif de procurer à ses destinataires une source de divertissement.

37      Il s’ensuit que, comme le font valoir tant les gouvernements néerlandais et français que la Commission européenne, une telle prestation de services doit être considérée comme une « activité de divertissement » relevant de l’article 9, paragraphe 2, sous c), premier tiret, de la sixième directive.

38      Est dépourvu de pertinence, à cet égard, le fait que cette prestation de services de divertissement n’est pas fournie en la présence physique des destinataires de celle-ci et que ces derniers ne bénéficient pas de ladite prestation à partir d’un lieu unique.

39      Certes, la Cour a déjà jugé que les différentes catégories de prestations de services figurant à l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive ont, notamment, pour caractéristique commune d’être fournies, en règle générale, à l’occasion de manifestations ponctuelles et que le lieu où ces prestations sont matériellement exécutées est, en principe, facile à identifier, lesdites manifestations se déroulant dans un endroit précis (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 2006, Gillan Beach, C‑114/05, EU:C:2006:169, points 24 et 25, ainsi que du 27 octobre 2011, Inter‑Mark Group, C‑530/09, EU:C:2011:697, point 23).

40      Toutefois, si tel est le cas en règle générale, rien dans le libellé de l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive n’est de nature à suggérer que l’application de cette disposition serait nécessairement limitée aux seules prestations de services fournies à l’occasion de telles manifestations.

41      Au contraire, ainsi qu’il ressort du point 30 du présent arrêt, une prestation de services relève du champ d’application de ladite disposition en raison du seul fait que l’objectif principal recherché par celle-ci est, notamment, le divertissement et, partant, en raison de sa nature propre.

42      Dès lors, en l’absence de précision explicite à l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive quant au caractère facilement identifiable ou précis de l’endroit où l’activité de divertissement est matériellement exercée, il y a lieu de considérer que ni le fait qu’une prestation de services n’est pas fournie en la présence physique de ses destinataires ni le fait que ces derniers ne bénéficient pas de ladite prestation à partir d’un lieu unique ne sont de nature à faire obstacle à l’application de cette disposition.

43      Dans ces conditions, il convient de déterminer, en second lieu, à quel endroit une prestation de services, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme étant « matériellement exécutée », au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive.

44      Selon la Commission, le lieu de l’exécution matérielle de sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet, telles que celles en cause au principal, correspond nécessairement à l’endroit où le spectacle est physiquement réalisé par les modèles. En revanche, les gouvernements néerlandais et français estiment que ce lieu, compte tenu de l’évolution de la technologie, doit être considéré comme étant celui où le client est en mesure d’accéder à ce spectacle. Cette dernière interprétation serait conforme à la logique qui sous‑tend les règles de la TVA relatives au lieu des prestations de services, selon laquelle l’imposition doit avoir lieu, dans la mesure du possible, à l’endroit où les services sont utilisés par leurs destinataires.

45      Certes, les modèles qui participent au spectacle faisant l’objet des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet en cause au principal se trouvent physiquement aux Philippines.

46      Toutefois, ainsi qu’il a été relevé aux points 32 à 34 du présent arrêt, la prestation de services en cause au principal consistant à organiser et à proposer des sessions interactives à caractère érotique est une prestation complexe effectuée non pas par les modèles, mais par M. Geelen, l’organisateur de ces sessions.

47      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 50 de ses conclusions, dès lors que les activités nécessaires à la fourniture de cette prestation de services complexe se concentrent à l’endroit à partir duquel le prestataire, d’une part, organise les sessions interactives ayant pour objet le spectacle à caractère érotique accompli par les modèles et, d’autre part, donne la possibilité aux clients de visionner ces sessions par Internet, à partir du lieu de leur choix, ainsi que d’interagir avec ces modèles, une telle prestation de services complexe doit être considérée comme étant « matériellement exécutée », au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive, à l’endroit à partir duquel celle-ci est fournie par ledit prestataire, à savoir, dans l’affaire au principal, au lieu du siège de ses activités économiques aux Pays‑Bas.

48      S’il est vrai que ce lieu de rattachement correspond, en l’occurrence, à celui prévu à l’article 9, paragraphe 1, de cette directive, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 25 du présent arrêt, l’article 9, paragraphe 2, de ladite sixième ne doit pas être considéré comme énonçant une exception à une règle générale.

49      Partant, même si la dernière de ces dispositions, ainsi qu’il ressort du septième considérant de la sixième directive, et comme l’ont relevé l’ensemble des intéressés ayant présenté des observations dans le cadre de la présente procédure, permet, le cas échéant, d’assurer que les services concernés soient soumis au régime de la TVA dans l’État membre sur le territoire duquel les services sont utilisés par leurs destinataires [voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2005, RAL (Channel Islands) e.a., C‑452/03, EU:C:2005:289, point 33], il demeure que rien n’exclut que le lieu d’exécution matérielle des services en cause au principal puisse correspondre, compte tenu des circonstances de l’espèce, à l’État membre dans lequel le prestataire de services est établi.

50      Cette interprétation s’impose a fortiori dans les circonstances de la présente affaire au principal dans la mesure où elle fournit un point de rattachement utile, qui conduit à une solution rationnelle du point de vue fiscal (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 1985, Berkholz, 168/84, EU:C:1985:299, points 17 et 18).

51      En effet, une telle interprétation s’accorde avec l’objectif poursuivi par l’article 9 de la sixième directive, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 23 du présent arrêt, est celui d’une règle de conflit visant à éviter les risques de double imposition ainsi que de non-imposition, et facilite la mise en œuvre de la règle de conflit édictée à l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive, en permettant une gestion simple, sur le lieu de la prestation de services, des règles de perception de la taxe (voir, par analogie, arrêt du 6 novembre 2008, Kollektivavtalsstiftelsen TRR Trygghetsrådet, C‑291/07, EU:C:2008:609, points 30 et 31).

52      De surcroît, eu égard à la circonstance relevée par la juridiction de renvoi, mentionnée au point 17 du présent arrêt, selon laquelle tous les clients de M. Geelen se trouvent aux Pays-Bas, il apparaît que, en l’occurrence, ladite interprétation permet, en outre, d’assurer que les services concernés soient soumis au régime de la TVA dans l’État membre sur le territoire duquel les services sont utilisés par leurs destinataires.

53      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 9, paragraphe 2, sous c), premier tiret, de la sixième directive et l’article 52, sous a), de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation de services complexe, telle que celle en cause au principal, consistant à proposer des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet constitue une « activité de divertissement », au sens de ces dispositions, qui doit être considérée comme étant « matériellement exécutée », au sens de celles‑ci, à l’endroit où le prestataire a établi le siège de ses activités économiques ou un établissement stable à partir duquel cette prestation de services est fournie ou, à défaut, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

 Sur la deuxième question

54      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 2, sous e), douzième tiret, de la sixième directive et l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive TVA, lus en combinaison avec l’article 11 du règlement no 1777/2005, doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation de services, telle que celle en cause au principal, consistant à proposer des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet doit être considérée comme ayant pour objet un « service fourni par voie électronique », au sens de ces dispositions.

55      Il convient de relever que l’article 9, paragraphe 2, sous e), douzième tiret, de la sixième directive détermine le lieu des prestations de services fournies par voie électronique, en ce qui concerne les services visés à l’annexe L de cette directive et à l’article 11 du règlement no 1777/2005, lorsque celles-ci sont fournies à des bénéficiaires établis en dehors de l’Union européenne ou à des assujettis établis dans l’Union, mais en dehors du pays du prestataire de services.

56      Cet article 9, paragraphe 2, sous e), douzième tiret, correspond à l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive TVA. Ces dispositions, ayant des libellés en substances identiques, doivent, conformément à la jurisprudence rappelée au point 28 du présent arrêt, être interprétées de manière identique.

57      Il ressort cependant des éléments figurant dans la décision de renvoi, mentionnés au point 17 du présent arrêt, que la prestation de services en cause au principal a été fournie à des clients se trouvant tous aux Pays‑Bas.

58      Dans ces conditions, sans qu’il soit besoin de déterminer si un service tel que celui en cause au principal doit être considéré comme un « service fourni par voie électronique » visé à l’annexe L de la sixième directive et à l’article 11 du règlement no 1777/2005, il convient de constater que l’article 9, paragraphe 2, sous e), douzième tiret, de cette directive n’a pas vocation à s’appliquer dans une affaire telle que celle au principal.

59      En conséquence, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 9, paragraphe 2, sous e), douzième tiret, de la sixième directive et l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive TVA, lus en combinaison avec l’article 11 du règlement no 1777/2005, doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation de services, telle que celle en cause au principal, consistant à proposer des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet ne relève pas, lorsque cette prestation a été fournie à des bénéficiaires se trouvant tous dans l’État membre du prestataire de ces services, du champ d’application de ces dispositions.

 Sur la troisième question

60      Eu égard à la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

 Sur les dépens

61      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’article 9, paragraphe 2, sous c), premier tiret, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 2002/38/CE du Conseil, du 7 mai 2002, et l’article 52, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation de services complexe, telle que celle en cause au principal, consistant à proposer des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet constitue une « activité de divertissement », au sens de ces dispositions, qui doit être considérée comme étant « matériellement exécutée », au sens de cellesci, à l’endroit où le prestataire a établi le siège de ses activités économiques ou un établissement stable à partir duquel cette prestation de services est fournie ou, à défaut, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

2)      L’article 9, paragraphe 2, sous e), douzième tiret, de la sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 2002/38, et l’article 56, paragraphe 1, sous k), de la directive 2006/112, lus en combinaison avec l’article 11 du règlement (CE) no 1777/2005 du Conseil, du 17 octobre 2005, portant mesures d’exécution de la directive 77/388, doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation de services, telle que celle en cause au principal, consistant à proposer des sessions interactives à caractère érotique filmées et diffusées en direct par Internet ne relève pas, lorsque cette prestation a été fournie à des bénéficiaires se trouvant tous dans l’État membre du prestataire de ces services, du champ d’application de ces dispositions.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.