Language of document : ECLI:EU:T:2019:87

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 février 2019 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative ALTUS – Marques nationales verbales antérieures ALTOS – Procédures de déchéance de certaines marques antérieures initiées devant les autorités nationales – Risque de confusion – Suspension de la procédure administrative – Règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement (CE) no 2868/95 [devenue article 71, paragraphe 1, du règlement délégué (UE) 2018/625] »

Dans l’affaire T‑162/18,

Beko plc, établie à Watford (Royaume-Uni), représentée par M. G. Tritton, barrister,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. J. Ivanauskas et H. O’Neill, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Acer, Inc., établie à Taipei (Taïwan),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 13 décembre 2017 (affaire R 1991/2016-5), relative à une procédure d’opposition entre Acer et Beko,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mmes V. Tomljenović, président, A. Marcoulli et M. A. Kornezov (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 7 mars 2018,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 25 mai 2018,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 6 décembre 2007, la requérante, Beko plc, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif reproduit ci-après :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 7, 9 et 11 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 032/2008, du 11 août 2008.

5        Le 11 novembre 2008, Acer, Inc. a formé opposition, au titre de l’article 42 du règlement no 40/94 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée pour des produits compris dans la classe 9. L’opposition était fondée sur 22 marques antérieures comportant le mot « altos ».

6        Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

7        Par décision du 27 juin 2013 (ci-après la « décision du 27 juin 2013 »), la division d’opposition a partiellement fait droit à l’opposition pour une partie des produits visés sur la base de deux marques nationales antérieures, à savoir la marque maltaise verbale ALTOS, enregistrée le 25 février 2004 sous le numéro 41702, désignant des produits relevant de la classe 9 (ci-après la « marque maltaise antérieure »), et la marque slovène verbale ALTOS, enregistrée le 31 août 2004 sous la référence Z-200470440, désignant des produits relevant de la classe 9 au sens de l’arrangement de Nice (ci-après la « marque slovène antérieure »).

8        Le 27 août 2013, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision du 27 juin 2013.

9        Dans son mémoire exposant les motifs du recours, déposé auprès de la chambre de recours le 25 octobre 2013, la requérante a demandé la suspension de la procédure devant la chambre de recours jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans les procédures pendantes entre elle-même et Acer devant, d’une part, l’Okrožno sodišče v Ljubljani (tribunal régional de Ljubljana, Slovénie) dans l’affaire enregistrée sous la référence IV Pg 5759/2013, ayant pour objet une action en déchéance engagée par la requérante à l’encontre de la marque slovène antérieure et, d’autre part, la Qorti Ċivili (tribunal civil, Malte) dans l’affaire enregistrée sous le numéro 88/2014 et ayant pour objet une action en déchéance engagée par la requérante à l’encontre de la marque maltaise antérieure.

10      Par décision du 19 juin 2014 de l’Okrožno sodišče v Ljubljani (tribunal régional de Ljubljana), Acer a été déchue de ses droits pour défaut d’usage sérieux de la marque slovène antérieure (avec effet au 12 juillet 2014).

11      Par décision du 15 juillet 2014 de la Qorti Ċivili (tribunal civil), Acer a été déchue de ses droits pour défaut d’usage sérieux de la marque maltaise antérieure (avec effet au 24 février 2008).

12      Par décision du 31 août 2015 (ci-après la « décision du 31 août 2015 »), la cinquième chambre de recours a annulé la décision de la division d’opposition au motif que les deux marques antérieures en cause avaient été annulées en cours de procédure et a renvoyé l’affaire devant la division d’opposition pour examen de l’opposition sur la base des autres droits antérieurs invoqués à l’appui de celle-ci.

13      Par décision du 2 septembre 2016 (ci-après la « décision du 2 septembre 2016 »), la division d’opposition a partiellement fait droit à l’opposition pour une partie des produits visés par la marque demandée au motif qu’il existait un risque de confusion, pour ces produits, entre la marque demandée et la marque slovaque verbale antérieure ALTOS, enregistrée le 9 juin 2005 sous le numéro 209958, désignant des produits relevant de la classe 9, laquelle figurait parmi les 22 marques invoquées dans l’opposition (ci-après la « marque slovaque antérieure »).

14      Le 2 novembre 2016, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009, contre la décision du 2 septembre 2016.

15      Le 3 janvier 2017, la requérante a demandé dans son mémoire exposant les motifs de son recours que la procédure soit suspendue en vertu de la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement no 40/94 (JO 1995, L 303, p. 1) [devenue article 71, paragraphe 1, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1)], au motif qu’elle avait l’intention d’initier une procédure de déchéance de la marque slovaque antérieure devant l’Office de la propriété industrielle slovaque (ci-après l’« instance nationale compétente »).

16      Le 31 mars 2017, la chambre de recours a demandé à Acer de produire les preuves du renouvellement de douze marques antérieures sur lesquelles l’opposition était fondée, dont la marque slovaque antérieure. Acer a déféré à cette demande le 18 avril 2017.

17      Le 11 mai 2017, la requérante a fourni à la chambre de recours une copie ainsi qu’une traduction en anglais de la demande en déchéance visant la marque slovaque antérieure qu’elle avait introduite le 4 avril 2017 devant l’instance nationale compétente.

18      Par décision du 13 décembre 2017 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a d’abord rejeté la demande de suspension. Ensuite, elle a relevé qu’il existait un risque de confusion entre la marque demandée et la marque slovaque antérieure. Enfin, la chambre de recours a considéré que les autres droits antérieurs invoqués à l’appui de l’opposition ne pouvaient pas aboutir à un résultat différent. Pour ces motifs, la chambre de recours a confirmé la décision du 2 septembre 2016 et a rejeté le recours.

19      Par décision du 2 mars 2018, jointe à la requête, l’instance nationale compétente a déclaré Acer déchue de ses droits sur la marque slovaque antérieure, avec effet au 4 avril 2017, faute d’usage sérieux de cette marque sur le territoire slovaque au cours de la période de cinq années précédant le début de la procédure de déchéance.

 Conclusions des parties

20      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et ordonner le renvoi de l’affaire à l’EUIPO pour qu’il réexamine la demande de suspension ; et/ou

–        ordonner la suspension de la procédure ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

21      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        « rejeter le recours si la chambre de recours n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en statuant sur la suspension de la procédure d’opposition »; ou

–        « confirmer le recours en annulation si la chambre de recours a commis une erreur manifeste d’appréciation en statuant sur la suspension de la procédure d’opposition. »

 En droit

 Sur la recevabilité des conclusions tendant à ce que le Tribunal ordonne le renvoi de l’affaire à l’EUIPO et/ou la suspension de la procédure

22      L’EUIPO fait valoir que les conclusions de la requérante visant à ce que le Tribunal ordonne le renvoi de l’affaire à l’EUIPO et/ou la suspension de la procédure sont irrecevables dans la mesure où elles visent à ce que le Tribunal lui adresse des injonctions.

23      Il convient de rappeler, à cet égard, qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le cadre d’un recours introduit devant le juge de l’Union européenne contre la décision d’une chambre de recours de l’EUIPO, ce dernier est tenu, conformément à l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du juge de l’Union. Dès lors, il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’EUIPO, auquel il incombe de tirer les conséquences du dispositif et des motifs des arrêts du juge de l’Union [voir arrêt du 11 juillet 2007, El Corte Inglés/OHMI – Bolaños Sabri (PiraÑAM diseño original Juan Bolaños), T‑443/05, EU:T:2007:219, point 20 et jurisprudence citée]. Partant, le premier chef de conclusion de la requérante, en ce qu’il tend à ce que le Tribunal ordonne le renvoi de l’affaire à l’EUIPO pour qu’il réexamine la demande de suspension de la procédure d’opposition, est irrecevable.

24      Le deuxième chef de conclusion est également irrecevable. En effet, si ce chef de conclusion doit être compris comme tendant à ce que le Tribunal ordonne lui-même la suspension de la procédure d’opposition, il est irrecevable pour les motifs exposés au point 23 ci-dessus. Si ce chef de conclusion doit être compris comme une demande adressée au Tribunal de suspendre la procédure juridictionnelle, il y aurait lieu de constater que les arguments développés dans la requête ne permettent pas d’en comprendre la portée juridique et qu’il devrait être, pour ce motif, rejeté comme irrecevable. Selon la jurisprudence, en effet, le Tribunal est tenu de rejeter comme irrecevable l’un des chefs de conclusions de la requête qui lui est présentée dès lors que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels ce chef de conclusions est fondé ne ressortent pas d’une façon cohérente et compréhensible du texte de cette requête elle-même (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2006, Rossi/OHMI, C‑214/05 P, EU:C:2006:494, point 37).

 Sur le fond

25      La requérante soulève un moyen unique, tiré de la violation de la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement no 2868/95, en ce que la chambre de recours aurait rejeté à tort la demande de suspension, en accueillant l’opposition sans attendre l’issue de la procédure en déchéance de la marque slovaque antérieure en cours devant l’instance nationale compétente.

26      En ce qui concerne la demande de suspension, la chambre de recours a, tout d’abord, reconnu, au point 36 de la décision attaquée, que, « en règle générale », une suspension de la procédure d’opposition devrait être considérée si, « au moment de la décision », l’existence de la marque antérieure sur laquelle est fondée l’opposition est mise en doute. Toutefois, selon la chambre de recours, l’octroi d’une suspension ne serait justifiée qu’à condition d’accepter que la procédure d’annulation en cours contre la marque slovaque antérieure ait, « quelle que soit l’issue de [cette] procédure », une incidence sur les effets juridiques de la marque antérieure aux fins de la procédure d’opposition (point 39 de la décision attaquée). Or, la marque slovaque antérieure ayant été enregistrée depuis moins de cinq ans « lors de la publication de la demande [d’enregistrement de la marque] contestée » et n’étant donc pas, à ce moment, soumise à l’exigence de la preuve d’usage sérieux conformément à l’article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, « rien n’indique que celle-ci ne puisse servir de base valable de l’opposition contre la marque contestée », et ce même si l’on tient compte des chances de succès de l’action en déchéance contre la marque slovaque antérieure (point 41 de la décision attaquée).

27      Au point 42 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré, en outre, que le fait d’accepter que la procédure d’opposition puisse devenir sans objet par suite du dépôt, au cours de la procédure, de demandes en déchéance pour non-usage aurait pour effet de rendre illusoire la protection initiale conférée par l’article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et, « de manière générale », de créer une incitation, pour les demandeurs d’une marque de l’Union européenne qui sont parties à une procédure d’opposition fondée sur une marque antérieure enregistrée depuis moins de cinq ans, à différer la procédure jusqu’à ce que cette marque dépasse le délai de cinq ans, dans l’attente de pouvoir déposer une demande en déchéance.

28      À la lumière de ces considérations, la chambre de recours a conclu, au point 43 de la décision attaquée, que la suspension de la procédure n’était pas justifiée.

29      En premier lieu, la requérante critique l’ensemble de ces considérations en faisant valoir que, contrairement à ce qu’affirme la chambre de recours, si, au moment de statuer sur l’opposition, la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition a été annulée ou qu’il existe de solides raisons qu’elle le soit, la procédure d’opposition est dépourvue de son objet quel que soit le moment de la déchéance de la marque antérieure, qu’elle prenne effet après ou avant la date de publication de la demande de marque de l’Union européenne. La date pertinente pour apprécier la validité de la marque antérieure ne serait donc pas, comme l’a estimé la chambre de recours, la date de la publication de la demande d’enregistrement de la marque contestée, mais la date à laquelle la chambre de recours statue sur l’opposition. La chambre de recours aurait donc dû, conformément à sa pratique bien établie, suspendre la procédure dans l’attente de l’issue de la procédure de déchéance qui était en cours au moment de statuer sur l’opposition, car il était possible qu’Acer soit prochainement déchue de ses droits à compter de la date de la demande en déchéance. De plus, selon la requérante, il ne serait justifié de protéger les marques antérieures que dans la mesure où celles-ci sont effectivement utilisées.

30      En second lieu, la requérante relève, en substance, que le refus de la chambre de recours de suspendre la procédure est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation et d’un détournement de pouvoir en ce qu’il ne tient pas compte de l’ensemble des intérêts en présence et en ce qu’il ne les met pas correctement en balance, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence. En particulier, la chambre de recours se serait fondée sur des motifs de caractère abstrait sans évaluer les circonstances concrètes de l’espèce. Ainsi, si, au point 42 de la décision attaquée, la chambre de recours a invoqué, « de manière générale », le risque qu’une éventuelle suspension puisse inciter les demandeurs de marques de l’Union européenne à différer la procédure jusqu’à ce que la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition dépasse le délai de grâce de cinq ans afin de déposer une demande en déchéance, elle est restée en défaut d’examiner si, en l’espèce, la requérante a eu un comportement dilatoire. Or, tel ne serait manifestement pas le cas, puisque, en l’espèce, les parties seraient convenues d’une période de conciliation courant jusqu’au 15 novembre 2011, conformément à la règle 18, paragraphe 1, du règlement no 2868/95, date à laquelle la marque slovaque antérieure ne bénéficiait plus de la période de grâce quinquennale. En outre, ce serait Acer qui aurait cherché à prolonger la procédure en déchéance devant l’instance nationale compétente.

31      Par ailleurs, l’approche de la chambre de recours dans la présente procédure serait contradictoire, puisque, dans la décision du 31 août 2015, elle aurait rejeté l’opposition en tant qu’elle était fondée sur les marques slovène et maltaise antérieures en raison du fait que, en cours de procédure, celles-ci avaient été annulées par les instances nationales compétentes, et ce même si, à la date de la publication de la demande de marque de l’Union européenne, les deux marques antérieures étaient encore valables, car couvertes par la période de grâce quinquennale. Or, dans la décision attaquée, la chambre de recours aurait suivi une approche contraire à celle retenue dans la décision du 31 août 2015, pourtant rendue dans le cadre de la même procédure.

32      Dès lors que les conclusions présentées par l’EUIPO reposent sur l’appréciation du Tribunal relative à la question de savoir si la chambre de recours a commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a statué sur la demande de suspension de la procédure d’opposition et que, le cas échéant, l’EUIPO considère que l’appréciation du Tribunal pourrait conduire soit à l’annulation soit au rejet du recours, il convient de considérer qu’il s’en remet à la sagesse du Tribunal.

33      Il convient de rappeler que la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement no 2868/95, applicable aux procédures devant la chambre de recours conformément à la règle 50, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que l’EUIPO peut suspendre la procédure d’opposition lorsque les circonstances justifient une telle suspension.

34      Selon la jurisprudence, le pouvoir d’appréciation de la chambre de recours de suspendre ou non la procédure est large. La règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement no 2868/95, rappelée au point 33 ci-dessus, illustre ce large pouvoir d’appréciation. La suspension demeure une faculté pour la chambre de recours qui ne la prononce que lorsqu’elle l’estime justifiée. La procédure devant la chambre de recours n’est donc pas automatiquement suspendue à la suite d’une demande en ce sens par une partie devant ladite chambre [voir arrêt du 25 novembre 2014, Ryalton Overseas/OHMI – S.C. Romarose Invest (KAISERHOFF), T‑556/12, non publié, EU:T:2014:985, point 30 et jurisprudence citée].

35      Lors de l’exercice de son pouvoir d’appréciation relatif à la suspension de la procédure, la chambre de recours doit respecter les principes généraux régissant une procédure équitable au sein d’une Union de droit. Par conséquent, lors dudit exercice, elle doit non seulement tenir compte de l’intérêt de la partie dont la marque est contestée, mais également de celui des autres parties. La décision de suspendre ou de ne pas suspendre la procédure doit être le résultat d’une mise en balance des intérêts en cause [voir arrêt du 25 novembre 2014, KAISERHOFF, T‑556/12, non publié, EU:T:2014:985, point 33 et jurisprudence citée ; arrêt du 12 novembre 2015, Société des produits Nestlé/OHMI – Terapia (ALETE), T‑544/14, non publié, EU:T:2015:842, point 27].

36      La circonstance que la chambre de recours dispose d’un large pouvoir d’appréciation afin de suspendre la procédure en cours devant elle ne soustrait pas son appréciation au contrôle du juge de l’Union. Cette circonstance restreint cependant ledit contrôle quant au fond à la vérification de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir (arrêt du 25 novembre 2014, KAISERHOFF, T‑556/12, non publié, EU:T:2014:985, point 31).

37      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si les facteurs que la chambre de recours a pris en considération lui permettaient de conclure, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, qu’il n’y avait pas lieu de suspendre la procédure devant elle en l’espèce.

38      À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que le fait qu’une action en déchéance mettant en cause la marque antérieure sur laquelle se fondait l’opposition était pendante ne suffit pas, à lui seul, à qualifier d’erreur manifeste d’appréciation le refus, par la chambre de recours, de suspendre la procédure (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, KAISERHOFF, T‑556/12, non publié, EU:T:2014:985, point 33 et jurisprudence citée).

39      La chambre de recours pouvait donc considérer qu’une mise en balance des intérêts en présence appelait, nonobstant l’existence d’une action en déchéance, le rejet de la demande de suspension (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, KAISERHOFF, T‑556/12, non publié, EU:T:2014:985, point 34).

40      À cet égard, en premier lieu, la chambre de recours a estimé, en substance, que, quelles que soient l’issue de ladite action en déchéance et les chances de succès de celle-ci, cela n’aurait pas d’effet sur la validité de l’opposition, étant donné que, à la date de la publication de la demande d’enregistrement de la marque contestée, elle n’était pas soumise à l’exigence de la preuve d’usage sérieux conformément à l’article 47, paragraphes 2 et 3, du règlement 2017/1001 (points 38 à 41 et 43 de la décision attaquée).

41      Ces considérations sont entachées d’une erreur de droit. En effet, premièrement, le seul fait que, lors de la publication de la demande d’enregistrement de la marque contestée, la marque antérieure servant de base à l’opposition était valide ne prive pas de pertinence, aux fins de la procédure d’opposition, une action en déchéance contre la marque antérieure introduite en cours de procédure. En effet, la marque antérieure servant de base à l’opposition doit être valide non seulement au moment de la publication de la demande d’enregistrement de la marque contestée, mais également au moment où l’EUIPO statue sur l’opposition.

42      En effet, si la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition perd sa validité en cours de procédure, cette dernière devient sans objet. À cet égard, le Tribunal a déjà eu l’occasion de relever qu’une procédure de déchéance engagée postérieurement à une opposition pouvait donner lieu à une suspension de la procédure d’opposition puisque, dans l’hypothèse où la déchéance de la marque antérieure serait prononcée, la procédure d’opposition serait dépourvue de son objet [arrêt du 10 décembre 2009, Stella Kunststofftechnik/OHMI – Stella Pack (Stella), T‑27/09, EU:T:2009:492, point 38].

43      C’est également pour cette raison que, selon la jurisprudence, les divisions d’opposition et les chambres de recours doivent tenir compte des changements de circonstances qui interviennent entre le dépôt de l’opposition et la décision statuant sur l’opposition et que, pour être en mesure d’apprécier si la marque antérieure peut perdre sa fonction d’identification d’origine en raison de la coexistence dans le temps avec la marque demandée, avec laquelle elle serait susceptible d’être confondue, l’EUIPO doit avoir connaissance de la durée de validité de la marque antérieure [arrêt du 13 septembre 2006, MIP Metro/OHMI – Tesco Stores (METRO), T‑191/04, EU:T:2006:254, points 34 et 38].

44      Deuxièmement, le Tribunal a déjà eu l’occasion de juger que le fait de ne pas avoir évalué les chances de succès d’une procédure engagée contre la marque antérieure, sur laquelle l’opposition est fondée, pouvait constituer une erreur manifeste d’appréciation [voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2017, Unilever/EUIPO – Technopharma (Fair & Lovely), non publié, T‑811/14, EU:T:2017:98, point 67], puisque cela signifie que la chambre de recours n’a pas tenu compte de tous les éléments caractérisant la situation de la partie requérante, de sorte que l’intérêt de celle-ci n’a pas été appréhendé par la chambre de recours dans un contexte global et qu’elle n’a pas mis en balance les différents intérêts en présence alors qu’elle est tenue de le faire (arrêt du 25 novembre 2014, KAISERHOFF, T‑556/12, non publié, EU:T:2014:985, point 49). Il appartenait donc à la chambre de recours de vérifier prima facie les probabilités de succès d’une demande en déchéance aux fins de la mise en balance des différents intérêts en présence [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 octobre 2015, Petco Animal Supplies Stores/OHMI – Gutiérrez Ariza (PETCO), T‑664/13, EU:T:2015:791, point 33].

45      Troisièmement, il importe de relever, à l’instar de la requérante, que la chambre de recours a elle-même, dans sa décision du 31 août 2015 rendue dans le cadre de la présente procédure, rejeté l’opposition fondée sur les marques slovène et maltaise antérieures au motif qu’elles avaient été annulées en cours de procédure, et ce même si elles étaient valides lors de la publication de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

46      En deuxième lieu, la chambre de recours a également considéré que le fait d’accepter que la procédure d’opposition puisse devenir sans objet à la suite du dépôt, au cours de la procédure, d’une demande en déchéance pour non-usage aurait pour effet de « rendre illusoire la protection initiale conférée par l’article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 » (point 42 de la décision attaquée).

47      Cette considération est cependant erronée. Certes, il ressort du libellé et de la finalité de l’article 18, paragraphe 1, et de l’article 58, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement no 2017/1001 que, jusqu’à l’expiration du délai de cinq ans après l’enregistrement de la marque de l’Union européenne, le titulaire ne saurait être déclaré déchu de ses droits. Ces dispositions confèrent ainsi au titulaire un délai de grâce pour entamer un usage sérieux de sa marque, au cours duquel il peut se prévaloir du droit exclusif conféré par celle-ci, au titre de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement, pour l’ensemble des produits et des services couverts par cette marque, sans devoir démontrer un tel usage (arrêt du 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C‑654/15, EU:C:2016:998, point 26).

48      Toutefois, premièrement, il convient de relever, à l’instar de l’EUIPO, que, dès la fin de ce délai, le titulaire d’une marque de l’Union européenne peut se voir déchu de ses droits si, sur demande de toute personne, il ne rapporte pas la preuve de l’usage sérieux de sa marque pendant une période ininterrompue de cinq ans pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage. Il s’ensuit que le fait qu’une procédure d’opposition puisse devenir sans objet dans l’hypothèse de la déchéance, au cours de la procédure, de la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition ne rend aucunement illusoire le délai de grâce conféré par l’article 18, paragraphe 1, et l’article 57, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001, ce délai restant intact pendant la durée quinquennale prévue à cette fin.

49      Deuxièmement, la considération de la chambre de recours reprise au point 47 ci-dessus se trouve également, en l’espèce, ébranlée sur le plan factuel. En effet, la période de grâce dont bénéficiait la marque slovaque antérieure s’étendait, en l’occurrence, du 9 juin 2005 au 9 juin 2010, tandis que la demande en déchéance a été déposée le 4 avril 2017 (point 17 ci-dessus) et visait la preuve d’usage de la marque slovaque antérieure au cours de la période allant du 4 avril 2012 au 4 avril 2017 (annexe A 8 de la requête), de sorte que l’éventuelle suspension de la procédure d’opposition à la suite de cette demande n’aurait aucunement empiété sur la période de grâce susvisée.

50      En troisième lieu, la chambre de recours a considéré qu’une éventuelle suspension de la procédure d’opposition créerait, « de manière générale », une incitation, pour les demandeurs d’une marque de l’Union européenne qui sont parties à une procédure d’opposition fondée sur une marque antérieure enregistrée depuis moins de cinq ans, à différer la procédure jusqu’à ce que cette marque dépasse le délai de cinq ans, dans l’attente de pouvoir déposer une demande en déchéance (point 42 de la décision attaquée).

51      À cet égard, premièrement, il convient de relever que, lorsqu’elle apprécie le contexte global dans lequel s’inscrit la demande de suspension aux fins de la mise en balance des différents intérêts en présence, la chambre de recours peut, certes, tenir compte du stade de la procédure auquel la demande de suspension a été présentée et du comportement éventuellement dilatoire de la partie demandant la suspension.

52      Toutefois, la chambre de recours ne saurait se fonder à cet égard sur des considérations d’ordre général, mais doit examiner de façon concrète les circonstances dans lesquelles la demande de suspension a été présentée. Or, force est de constater que la chambre de recours s’est contentée d’évoquer, en des termes généraux, l’existence d’une éventuelle incitation à différer la procédure sans pour autant examiner in concreto le déroulement de celle-ci et le comportement des parties.

53      Deuxièmement, la chambre de recours ne saurait valablement se fonder sur le seul fait que l’action en déchéance contre la marque antérieure qui fondait l’opposition avait été introduite postérieurement au dépôt du recours et au mémoire exposant les motifs du recours, autrement dit, alors que la procédure d’opposition était encore pendante, pour rejeter la demande de suspension. En effet, ce seul fait ne démontre pas la mauvaise foi du titulaire de la marque demandée (arrêt du 25 novembre 2014, KAISERHOFF, T‑556/12, non publié, EU:T:2014:985, point 42).

54      Troisièmement, la chambre de recours n’a pas pris en considération plusieurs éléments pertinents ressortant du dossier devant elle. En effet, il y a lieu de relever, à l’instar de la requérante, que, en l’espèce, la procédure était interrompue par une période de conciliation convenue d’un commun accord entre les parties, conformément à la règle 18, paragraphe 1, du règlement no 2868/95. Cette période de conciliation courait jusqu’au 15 novembre 2011, date à laquelle la marque slovaque antérieure ne bénéficiait plus de la période de grâce quinquennale. Or, la chambre de recours n’a pas tenu compte de cette circonstance et notamment du fait que l’écoulement du temps pendant la période de conciliation résultait de l’accord des deux parties à l’instance.

55      En outre, il convient également de relever que l’opposition était fondée sur 22 marques antérieures, la marque slovaque antérieure n’étant retenue, pour la première fois, comme base pour rejeter partiellement la demande d’enregistrement de la marque contestée que dans la décision du 2 septembre 2016. Or, la chambre de recours n’a pas non plus examiné la question de savoir si cette circonstance pourrait justifier le stade de la procédure auquel la demande de suspension a été présentée.

56      Enfin, il convient de rejeter l’argument soulevé par l’EUIPO selon lequel, en cas de rejet de l’opposition et d’enregistrement de la marque contestée, un éventuel conflit entre celle-ci et la marque antérieure pourrait résulter du fait de leur validité simultanée durant la période comprise entre la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée et la date de déchéance de la marque antérieure. Il suffit de relever à cet égard que, en vertu de l’article 11 du règlement 2017/1001, le droit conféré par une marque de l’Union européenne n’est opposable aux tiers qu’à compter de la date de publication de l’enregistrement de celle-ci. Par conséquent, la fonction d’identification d’origine d’une marque antérieure ne peut être menacée par une autre marque qui n’est enregistrée qu’après la déchéance de la marque antérieure. Aucun conflit ne peut donc émerger entre la marque de l’Union européenne demandée et une marque antérieure annulée pendant la procédure d’opposition, étant donné que la marque demandée ne peut être enregistrée qu’après la fin de la procédure d’opposition (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 septembre 2006, METRO, T‑191/04, EU:T:2006:254, points 32 et 33).

57      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la chambre de recours n’a pas tenu compte de tous les éléments caractérisant la situation de la requérante, de sorte que l’intérêt de celle-ci n’a pas été appréhendé par la chambre de recours dans un contexte global et qu’elle n’a pas correctement mis en balance les différents intérêts en présence (voir, par analogie, arrêts du 25 novembre 2014, KAISERHOFF, T‑556/12, non publié, EU:T:2014:985, point 49, et du 12 novembre 2015, ALETE, T‑544/14, non publié, EU:T:2015:842, point 39). Partant, la décision attaquée, en ce qu’elle refuse de suspendre la procédure d’opposition, est entachée d’une erreur de droit ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation.

58      Par conséquent, il convient d’accueillir le moyen unique du recours.

59      L’examen de la question de la suspension de la procédure étant préalable à celui de l’existence d’un risque de confusion entre la marque demandée et la marque antérieure, il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans son intégralité.

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

61      L’EUIPO ayant succombé, dans la mesure où la décision attaquée est annulée, il y a lieu, compte tenu du fait que ce dernier n’a pas présenté de conclusions sur les dépens, de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière, et ce nonobstant l’un des deux chefs de conclusions de l’EUIPO tendant à ce que le recours soit accueilli.

Par ces motifs,


LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 13 décembre 2017 (affaire R 1991/2016-5) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de Beko plc.

Tomljenović

Marcoulli

Kornezov

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 février 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.