Language of document : ECLI:EU:F:2016:70

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE
(troisième chambre)

11 avril 2016

Affaire F‑41/15 DISS II

FN et autres

contre

Collège européen de police (CEPOL)

« Fonction publique – Personnel du CEPOL – Agents temporaires – Agents contractuels – Lieu d’affectation correspondant au siège du CEPOL – Déménagement du CEPOL à Budapest (Hongrie) – Changement corrélatif du lieu d’affectation des agents – Conséquences contractuelles – Nécessité du consentement des agents – Coefficient correcteur applicable au nouveau lieu d’affectation – Confiance légitime – Principe de bonne administration »

Objet :      Recours, introduit au titre de l’article 270 TFUE, par lequel FN, FP, FQ et quatre autres requérants, à savoir FK, FL, FM et FO, demandent, notamment, l’annulation de la décision no 17/2014/DIR du directeur du Collège européen de police (CEPOL ou, ci-après, l’« Agence »), du 23 mai 2014, relative au déménagement du CEPOL à Budapest (Hongrie) (ci-après la « décision attaquée ») ; l’annulation des différentes décisions du CEPOL, du 28 novembre 2014, rejetant leurs réclamations, introduites individuellement entre les 8 et 21 août 2014, contre la décision attaquée ; l’indemnisation par le CEPOL de préjudices matériels et moraux.

Décision :      Le recours est rejeté. FN, FP et FQ supportent leurs propres dépens et sont condamnés à supporter les dépens exposés par le Collège européen de police.

Sommaire

1.      Recours des fonctionnaires – Intérêt à agir – Requérant ayant consenti à l’acte faisant l’objet du recours – Recevabilité

(Statut des fonctionnaires, art. 90 et 91)

2.      Fonctionnaires – Démission – Transfert du siège d’une agence de l’Union – Fait pour un agent de ne pas se présenter sur son nouveau lieu de travail – Comportement valant démission

(Statut des fonctionnaires, art. 7 et 20 ; régime applicable aux autres agents, art. 11, 47 et 81)

3.      Fonctionnaires – Agents temporaires et agents contractuels – Nature contractuelle de la relation de travail – Liberté contractuelle – Limites – Obligations découlant de la mission particulière d’intérêt général confiée aux institutions, organes et organismes de l’Union – Transfert du siège d’une agence de l’Union – Réaffectation des agents – Consentement non nécessaire

(Statut des fonctionnaires, art. 7 ; régime applicable aux autres agents, art. 10)

4.      Fonctionnaires – Organisation des services – Affectation du personnel – Réaffectation en cas de transfert du siège d’une agence de l’Union – Consentement des agents non exigé

(Statut des fonctionnaires, art. 7, § 1)

5.      Fonctionnaires – Rémunération – Coefficients correcteurs – Objet – Équivalence du pouvoir d’achat

(Statut des fonctionnaires, art. 64 ; régime applicable aux autres agents, art. 20)

1.      Le consentement de l’intéressé à un acte faisant grief n’est pas de nature à faire perdre à cet acte la qualité de faire grief à son destinataire.

Ensuite, un acte qui fixe le principe d’une prise de fonctions du personnel d’une agence de l’Union, alors même qu’il mettrait en œuvre un acte de portée générale du Conseil et du Parlement, doit être considéré comme un acte qui fait grief aux requérants en ce qu’il modifie leur lieu d’affectation dans des conditions qui seraient prétendument illégales.

(voir points 47 et 49)

Référence à :

Cour : arrêt du 24 février 1981, Carbognani et Coda Zabetta/Commission, 161/80 et 162/80, EU:C:1981:51, point 14

Tribunal de première instance : arrêt du 11 juillet 1996, Ortega Urretavizcaya/Commission, T‑587/93, EU:T:1996:100, point 28

2.      Le fait pour un agent de ne pas se présenter sur son lieu de travail peut être considéré comme traduisant, de la part de cet agent, un comportement démissionnaire valant, par conséquent, démission au sens de l’article 47 du régime applicable aux autres agents.

À cet égard, le fonctionnement de l’administration de l’Union comporte, pour tout fonctionnaire ou agent de la fonction publique européenne, l’obligation d’accepter toute affectation répondant au groupe de fonctions et au grade de son emploi, conformément aux exigences du service, dans l’ensemble de l’Union, en tout lieu de travail de l’institution ou agence auprès de laquelle il a pris ses fonctions. Par ailleurs, conformément à l’article 20 du statut, applicable par analogie aux agents temporaires et contractuels en vertu des articles 11 et 81 du régime applicable aux autres agents, les fonctionnaires et agents de l’Union sont tenus de résider au lieu de leur affectation ou à une distance telle de celui-ci qu’ils ne soient pas gênés dans l’exercice de leurs fonctions.

Dans ces conditions, il ne peut être reproché à l’autorité habilitée de conclure les contrats engagement d’une agence de l’Union d’avoir, en exécution de la décision du législateur de l’Union de transférer le siège de ladite agence, demandé à son personnel de prendre ses fonctions dans ce nouveau lieu.

Par conséquent, compte tenu également du large pouvoir d’appréciation de l’agence dans l’organisation et la structuration de ses services, ladite autorité peut, face à l’éventuel refus de l’un des agents de l’agence de prendre ses fonctions auprès du nouveau siège fixé par le législateur de l’Union, décider, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, que pareil refus équivaut à une démission.

(voir points 58 et 60 à 62)

Référence à :

Cour : arrêts du 24 février 1981, Carbognani et Coda Zabetta/Commission, 161/80 et 162/80, EU:C:1981:51, points 23 et 37, et du 6 juillet 1983, Geist/Commission, 285/81, EU:C:1983:192, point 15

Tribunal de première instance : arrêt du 9 avril 2003, Walton/Commission, T‑155/01, EU:T:2003:105, points 31 à 34

Tribunal de la fonction publique : arrêt du 10 septembre 2014, Tzikas/AFE, F‑120/13, EU:F:2014:197, point 82 et jurisprudence citée

3.      La base du rapport d’emploi d’un agent, temporaire ou contractuel, avec l’institution ou l’agence concernée est constituée par un contrat d’engagement. Ainsi, l’échange des volontés des parties contractantes, matérialisé notamment par la signature du contrat d’engagement, fait naître des obligations de nature contractuelle qui limitent le pouvoir de l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement d’agir unilatéralement en dehors des hypothèses expressément prévues par le régime applicable aux autres agents.

Cependant, la portée et les conditions d’exercice de cette liberté contractuelle sont encadrées et limitées par les droits et obligations prévus dans ledit régime, résultant le cas échéant d’une application par analogie des dispositions du statut, de sorte que les co-contractants ne sauraient, par la voie contractuelle, s’affranchir des obligations découlant de la mission particulière d’intérêt général confiée aux institutions, organes et organismes de l’Union.

S’agissant du point de savoir si le lieu d’affectation, lorsqu’il est mentionné dans le contrat d’engagement d’un agent temporaire ou contractuel, peut être modifié unilatéralement par ladite autorité, il convient de souligner que le législateur de l’Union ou les chefs d’État ou de gouvernement des États membres peuvent modifier à tout moment les sièges des différentes institutions et agences de l’Union. Il y a également lieu de rappeler que l’obligation incombant aux institutions et agences de l’Union d’affecter leur personnel dans le seul intérêt du service s’applique même lorsqu’elle est susceptible d’entraîner une modification du lieu d’affectation non voulue par l’intéressé.

Par ailleurs, l’autorité habilité à conclure les contrats d’engagement peut, dans l’intérêt du service, modifier le lieu d’affectation d’un agent temporaire sans que le consentement de l’intéressé, qui doit toutefois être entendu, soit nécessaire.

S’agissant des agents contractuels, indépendamment de la question de savoir si l’article 7 du statut leur est applicable par analogie, l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement peut également décider de leur affectation et réaffectation dans un autre lieu, puisque seuls les agents locaux, qui sont recrutés par contrat précisément dans un lieu déterminé, sont en droit de s’opposer à un changement du lieu de leur affectation, car, dans leur cas, la stabilité du lieu de travail fait partie des conditions mêmes de l’emploi.

(voir points 68 à 70, 72 et 73)

Référence à :

Cour : arrêts du 18 octobre 1977, Schertzer/Parlement, 25/68, EU:C:1977:158, point 40 ; du 24 février 1981, Carbognani et Coda Zabetta/Commission, 161/80 et 162/80, EU:C:1981:51, points 28 et 34 ; du 14 juillet 1988, Aldinger et Virgili/Parlement, 23/87 et 24/87, EU:C:1988:406, point 17, et du 19 juin 1992, V./Parlement, C‑18/91 P, EU:C:1992:269, point 39

Tribunal de première instance : arrêt du 11 juillet 1996, Aubineau/Commission, T‑102/95, EU:T:1996:104, point 29

Tribunal de la fonction publique : arrêts du 4 juin 2009, Plasa/Commission, F‑52/08, EU:F:2009:54, point 77 ; du 12 février 2014, Bodson e.a./BEI, F‑73/12, EU:F:2014:16, point 52 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2015, Murariu/AEAPP, F‑116/14, EU:F:2015:89, points 101 et 103

4.      La réaffectation d’un fonctionnaire ou d’un agent de l’Union, si elle peut causer pour l’intéressé des inconvénients familiaux et des gênes économiques, ne constitue pas un événement anormal et imprévisible dans sa carrière, étant entendu que le pouvoir hiérarchique peut être amené à faire face à des exigences de service le mettant dans l’obligation de décider d’une telle réaffectation.

Il en est notamment ainsi lorsque les lieux de travail de l’institution ou de l’agence auprès de laquelle le fonctionnaire ou l’agent est affecté sont répartis entre plusieurs États membres ou dans des États tiers. Ceci vaut également et a fortiori lorsque c’est le législateur de l’Union qui a décidé de transférer le siège d’une agence de l’Union d’un État membre vers un autre État membre. L’obligation pour les institutions et agences de l’Union d’affecter leur personnel dans le seul intérêt du service et leur droit corollaire d’imposer d’office des modifications du lieu d’affectation non voulues par l’intéressé s’appliquent non seulement à l’égard des fonctionnaires, mais également à l’égard des agents temporaires.

En outre, le fonctionnement de l’administration de l’Union comporte, pour tout fonctionnaire ou agent de l’Union, l’obligation d’accepter toute affectation répondant au groupe de fonctions et au grade de son emploi, conformément aux exigences du service, dans l’ensemble de l’Union, en tout lieu de travail de l’institution auprès de laquelle il a pris ses fonctions, étant entendu que les contraintes de caractère personnel et familial, que l’exécution du service peut entraîner dans ces conditions, sont compensées par les avantages et prérogatives que comporte la fonction publique européenne.

(voir points 81 à 84)

Référence à :

Cour : arrêts du 14 juillet 1977, Geist/Commission, 61/76, EU:C:1977:127, point 34 ; du 24 février 1981, Carbognani et Coda Zabetta/Commission, 161/80 et 162/80, EU:C:1981:51, points 23 et 37 ; du 23 janvier 1986, Rasmussen/Commission, 173/84, EU:C:1986:29, point 25 ; du 14 juillet 1988, Aldinger et Virgili/Parlement, 23/87 et 24/87, EU:C:1988:406, point 17, et ordonnance du 11 février 1999, Costacurta/Commission, C‑75/98 P, EU:C:1999:73, non publiée, point 49

Tribunal de première instance : arrêts du 11 juillet 1996, Aubineau/Commission, T‑102/95, EU:T:1996:104, point 30

Tribunal de l’Union européenne : arrêt du 14 septembre 2011, Marcuccio/Commission, T‑236/02, EU:T:2011:465, point 248

5.      Le bénéfice d’un coefficient correcteur donné ne fait pas partie, en tant que tel, de la rémunération des fonctionnaires et agents et il est précisément variable au cours du temps en fonction de l’environnement économique du lieu d’affectation ou de résidence. En effet, le principe d’équivalence de pouvoir d’achat, auquel répond l’application d’un coefficient correcteur, repose sur le constat d’une différence importante entre les situations économiques des différents États membres et États tiers en tant que lieux d’affectation et implique que les droits pécuniaires des fonctionnaires et agents de l’Union devraient procurer, à situations professionnelles et familiales équivalentes, un pouvoir d’achat identique quel que soit le lieu d’affectation ou de résidence. Ce principe, inspiré du principe d’égalité de traitement, est mis en œuvre par l’application au montant nominal de la rémunération ou, partiellement ou totalement, à celui de certaines pensions du coefficient correcteur exprimant le rapport entre le coût de la vie à Bruxelles (Belgique) et à Luxembourg (Luxembourg), villes de référence, et celui du lieu d’affectation ou de résidence.

En outre, l’application des coefficients correcteurs aux traitements des agents temporaires et contractuels d’une agence de l’Union ne résulte pas d’un choix de l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement, mais d’une application automatique, en fonction du seul lieu d’affectation des intéressés, des dispositions statutaires, à savoir celles prévues dans un règlement d’effet direct au sens de l’article 288, deuxième alinéa, TFUE.

(voir points 95, 96 et 98)

Référence à :

Tribunal de l’Union européenne : arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑241/14 P, EU:T:2016:103, point 98

Tribunal de la fonction publique : arrêts du 5 février 2016, Barnett et Mogensen/Commission, F‑56/15, EU:F:2016:11, points 73 et 74, et jurisprudence citée ; Clausen et Kristoffersen/Parlement, F‑62/15, EU:F:2016:12, point 59, et Barnett e.a./CESE, F‑66/15, EU:F:2016:13, point 60