Language of document : ECLI:EU:T:2018:918

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

12 décembre 2018 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché du périndopril, médicament destiné au traitement des maladies cardiovasculaires, dans ses versions princeps et génériques – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets – Accord de licence – Accord d’acquisition de technologie – Restriction de concurrence par objet – Restriction de concurrence par effet – Conciliation entre droit de la concurrence et droit des brevets »

Dans l’affaire T‑684/14,

Krka Tovarna Zdravil d.d., établie à Novo Mesto (Slovénie), représentée par Mes T. Ilešič et M. Kocmut, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme F. Castilla Contreras, MM. B. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de M. D. Bailey, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application des articles 101 et 102 TFUE [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)], en tant qu’elle concerne la requérante,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni (rapporteur), président, L. Madise et R. da Silva Passos, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 juin 2017,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

A.      Sur le périndopril

1        Le groupe Servier, formé de Servier SAS et de plusieurs filiales (ci-après, pris individuellement ou ensemble, « Servier »), a mis au point le périndopril, médicament indiqué en médecine cardiovasculaire, principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque, par le biais d’un mécanisme d’inhibition de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.

2        L’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’« IPA ») du périndopril, c’est-à-dire la substance chimique biologiquement active qui produit les effets thérapeutiques visés, se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine (ou tert-butylamine), qui présente une forme cristalline en raison du procédé employé par Servier pour sa synthèse.

1.      Brevet de molécule

3        Le brevet relatif à la molécule du périndopril (brevet EP0049658) a été déposé devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres de l’Union européenne, dont le Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003, ainsi que le permettait le règlement (CEE) no 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO 1992, L 182, p. 1).

2.      Brevets secondaires

4        En 1988, Servier a, en outre, déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication de la molécule du périndopril, qui expiraient le 16 septembre 2008 : les brevets EP0308339, EP0308340 (ci-après le « brevet 340 »), EP0308341 (ci-après le « brevet 341 ») et EP0309324.

5        De nouveaux brevets relatifs à l’erbumine et à ses procédés de fabrication ont été déposés devant l’OEB par Servier en 2001, dont le brevet EP1294689 (dit « brevet beta »), le brevet EP1296948 (dit « brevet gamma ») et le brevet EP1296947 (dit « brevet alpha », ci-après le « brevet 947 »).

6        Le brevet 947, relatif à la forme cristalline alpha de l’erbumine et à son procédé de préparation, a été déposé le 6 juillet 2001 et délivré par l’OEB le 4 février 2004.

7        Servier a également déposé des demandes de brevets nationaux dans plusieurs États membres de l’Union avant que ceux-ci ne soient parties à la convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977 (ci-après la « CBE »). Servier a, par exemple, déposé des demandes de brevets correspondant au brevet 947 en Bulgarie (BG 107 532), en République tchèque (PV 2003-357), en Estonie (P 200 300 001), en Hongrie (HU 225340), en Pologne (P 348492) et en Slovaquie (PP 0149-2003). Toutes les demandes de brevets en question portaient la même date de dépôt : le 6 juillet 2001. Les brevets ont été délivrés le 16 mai 2006 en Bulgarie, le 17 août 2006 en Hongrie, le 23 janvier 2007 en République tchèque, le 23 avril 2007 en Slovaquie et le 24 mars 2010 en Pologne.

B.      Sur la requérante

8        Le groupe Krka comprend la société mère, Krka Tovarna Zdravil d.d., et plusieurs filiales en Slovénie et dans d’autres pays (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Krka » ou la « requérante »).

C.      Sur les litiges relatifs au périndopril

1.      Litiges devant l’OEB

9        Dix sociétés de génériques, dont Niche Generics Ltd, Krka, Lupin Ltd et Norton Healthcare Ltd, filiale d’Ivax Europe, qui a fusionné ultérieurement avec Teva Pharmaceuticals Ltd, ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB en 2004, en vue d’obtenir sa révocation dans sa totalité, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive et du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention. Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité de ce brevet à la suite de légères modifications des revendications initiales de Servier (ci-après la « décision de l’OEB du 27 juillet 2006 »). Sept sociétés ont formé un recours contre cette décision. Niche Generics s’est retirée de la procédure d’opposition le 9 février 2005, Krka le 11 janvier 2007 et Lupin le 5 février 2007. Par décision du 6 mai 2009, la chambre de recours technique de l’OEB a annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier à l’encontre de cette décision a été rejetée le 19 mars 2010.

2.      Litiges devant les juridictions nationales

10      La validité du brevet 947 a, en outre, été contestée par des sociétés de génériques devant les juridictions de certains États membres, notamment au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.

a)      Litige opposant Servier à Krka

11      Le 30 mai 2006, Servier a introduit en Hongrie une demande d’injonction provisoire tendant à interdire la commercialisation d’une version générique du périndopril mise sur le marché par Krka, en raison de la violation du brevet 947. Cette demande a été rejetée en septembre 2006.

12      Au Royaume-Uni, le 28 juillet 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 340 à l’encontre de Krka. Le 2 août 2006, il a également introduit une action en contrefaçon du brevet 947 contre Krka ainsi qu’une demande d’injonction provisoire. Le 1er septembre 2006, Krka a introduit une demande reconventionnelle en annulation du brevet 947 et, le 8 septembre 2006, une autre demande reconventionnelle en annulation du brevet 340. Le 3 octobre 2006, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et a rejeté la demande de procédure sommaire (motion of summary judgment) introduite par Krka le 1er septembre 2006, tendant à l’invalidation du brevet 947. Le 1er décembre 2006, l’instance en cours s’est éteinte à la suite du règlement amiable intervenu entre les parties et l’injonction provisoire a été levée.

b)      Litige opposant Servier à Apotex

13      Au Royaume-Uni, Servier a saisi la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon à l’encontre d’Apotex Inc. le 1er août 2006, en invoquant la violation du brevet 947, cette dernière ayant lancé une version générique du périndopril le 28 juillet 2006. Apotex a formé une demande reconventionnelle en annulation de ce brevet. Une injonction provisoire interdisant à Apotex d’importer, d’offrir à la vente ou de vendre du périndopril a été prononcée le 8 août 2006. Le 6 juillet 2007, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a jugé que le brevet 947 était invalide, en raison de l’absence de nouveauté et d’activité inventive par rapport au brevet 341. L’injonction a, par conséquent, été immédiatement levée et Apotex a pu reprendre les ventes de sa version générique du périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 9 mai 2008, la Court of Appeal (England and Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni] a rejeté le recours introduit par Servier contre l’arrêt de la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)].

14      Le 9 octobre 2008, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a accordé des dommages et intérêts à Apotex pour un montant de 17,5 millions de GBP, en raison de la perte de chiffre d’affaires subie pendant la mise en œuvre de l’injonction. Le 29 mars 2011, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a cependant demandé à Apotex de restituer cette somme à Servier sur le fondement du principe ex turpi causa, un brevet canadien valide protégeant la molécule du périndopril jusqu’en 2018 et Apotex fabriquant et vendant son médicament au Canada. La Court of Appeal (England and Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)] a cependant annulé cette décision par jugement du 3 mai 2012. Le 29 octobre 2014, la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) a rejeté le recours introduit par Servier contre l’arrêt de la Court of Appeal (England and Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)].

15      Aux Pays-Bas, Katwijk Farma BV, filiale d’Apotex, a saisi le Rechtbank Den Haag (tribunal de district de La Haye) d’une demande d’annulation du brevet 947, tel que validé aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007. Servier a déposé une demande d’injonction provisoire à l’encontre de Katwijk Farma le 7 décembre 2007, qui a été rejetée par le Rechtbank Den Haag (tribunal de district de La Haye, Pays-Bas) le 30 janvier 2008. À la suite de l’annulation du brevet 947 pour les Pays-Bas le 11 juin 2008 par le Rechtbank Den Haag (tribunal de district de La Haye) dans le cadre de l’action introduite par Pharmachemie BV, Servier et Katwijk Farma se sont retirés des procédures en cours.

D.      Sur les règlements amiables des litiges relatifs aux brevets

16      Servier a conclu une série d’accords de règlement amiable avec plusieurs sociétés de génériques avec lesquelles il avait des litiges relatifs à ses brevets.

17      S’agissant de Krka, Servier a conclu avec elle, le 27 octobre 2006, un accord de règlement amiable et un accord de licence, complété par un avenant conclu le 2 novembre 2006.

18      Dans l’accord de règlement amiable conclu avec Krka, il est prévu que le brevet 947 recouvre également les brevets nationaux équivalents (annexe B).

19      En vertu de l’accord de règlement amiable conclu avec elle, en vigueur jusqu’à l’expiration ou la révocation des brevets 947 ou 340, Krka s’est engagée à renoncer à toute prétention existant à l’encontre du brevet 947 dans le monde entier et du brevet 340 au Royaume-Uni et à ne contester aucun de ces deux brevets (ci-après les « brevets litigieux ») à l’avenir dans le monde entier [article I, sous ii) et iv)]. De plus, Krka et ses filiales n’étaient pas autorisées à lancer ou à commercialiser une version générique du périndopril violant le brevet 947 pendant la durée de validité de ce dernier et dans le pays où il était encore valable, sauf autorisation expresse de Servier (article V). De même, Krka ne pouvait fournir à aucun tiers une version générique du périndopril violant le brevet 947 sans l’autorisation expresse de Servier (article V, paragraphe 2). En contrepartie, Servier était tenu de se désister des instances en cours contre Krka dans le monde entier fondées sur la contrefaçon des brevets 947 et 340, y compris de ses demandes d’injonction provisoire [article I, sous i)].

20      En vertu de l’accord de licence conclu avec Krka pour une durée correspondant à la validité du brevet 947 (article 5), Servier a concédé une licence « exclusive » et irrévocable sur le brevet 947 permettant à Krka d’utiliser, de fabriquer, de vendre, de proposer à la vente, de promouvoir et d’importer ses propres produits contenant la forme cristalline alpha de l’erbumine (article 2) dans sept États membres (ci-après les « sept États membres » ou les « sept marchés »), à savoir la République tchèque, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie (article 1er). En contrepartie, Krka était tenue de verser à Servier une redevance de 3 % du montant net de ses ventes sur l’ensemble de ces territoires (article 3). Servier était autorisé, dans ces mêmes États, à utiliser directement ou indirectement (c’est-à-dire pour une de ses filiales ou pour un seul tiers par pays) le brevet 947 (article 2).

21      Le 5 janvier 2007, Servier a, en outre, conclu avec Krka un accord de cession.

22      En vertu de l’accord de cession, Krka a transféré deux demandes de brevets à Servier, l’une concernant un procédé de synthèse du périndopril (WO 2005 113500) et l’autre la préparation de formulations de périndopril (WO 2005 094793) (article 1er). La technologie protégée par ces demandes de brevets était utilisée pour la production du périndopril de Krka.

23      Krka s’est engagée à ne pas contester la validité des brevets qui seraient délivrés sur la base des demandes en cause (article 3).

24      En contrepartie de cette cession, Servier a versé à Krka un montant de 15 millions d’euros pour chacune des demandes en cause (article 2).

25      Servier a concédé également à Krka une licence non exclusive, irrévocable, non cessible et exempte de redevances, sans droit de concéder des sous-licences (sinon à ses filiales), sur les demandes ou les brevets qui en résultaient, cette licence n’étant pas limitée dans le temps, dans l’espace ou dans les usages pouvant en être faits (article 4).

E.      Sur l’enquête sectorielle

26      Le 15 janvier 2008, la Commission des Communautés européennes a décidé d’ouvrir une enquête sur le secteur pharmaceutique sur le fondement des dispositions de l’article 17 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 [TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), dans le but d’identifier, d’une part, les causes du recul de l’innovation dans le secteur, mesurée par le nombre de nouveaux médicaments entrant sur le marché et, d’autre part, les raisons de l’entrée tardive sur le marché de certains médicaments génériques.

27      La Commission a publié un rapport préliminaire sur les résultats de son enquête le 28 novembre 2008, suivi d’une consultation publique. Le 8 juillet 2009, elle a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. La Commission a notamment indiqué, dans cette communication, qu’il convenait de continuer à surveiller les règlements amiables des litiges en matière de brevets conclus entre les sociétés de princeps et les sociétés de génériques, afin de mieux comprendre l’usage qui était fait de ces accords et d’identifier les accords retardant l’entrée des médicaments génériques sur le marché au détriment des consommateurs européens et pouvant être constitutifs d’infractions aux règles de concurrence. La Commission a, ensuite, rendu six rapports annuels relatifs à la surveillance des accords de règlement amiable liés aux brevets.

F.      Sur la procédure administrative

28      Le 24 novembre 2008, la Commission a procédé à des inspections inopinées, notamment, dans les locaux de la requérante. La Commission a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont la requérante, en janvier 2009.

29      Le 2 juillet 2009, la Commission a adopté une décision d’ouverture de la procédure contre Servier et plusieurs autres sociétés, dont la requérante.

30      En août 2009, puis de décembre 2009 à mai 2012, la Commission a adressé de nouvelles demandes de renseignements à la requérante. De 2009 à 2012, la requérante a été invitée à participer à plusieurs réunions-bilans.

31      Le 27 juillet 2012, la Commission a adopté une communication des griefs, adressée à plusieurs sociétés, dont la requérante, qui y a répondu le 5 décembre 2012.

32      À la suite de l’audition des sociétés concernées s’étant tenue du 15 au 18 avril 2013, de nouvelles réunions-bilans ont été organisées et de nouvelles demandes de renseignements ont été envoyées.

33      Le 18 décembre 2013, la Commission a donné accès aux éléments de preuve recueillis ou divulgués plus largement après la communication des griefs et a envoyé à la requérante un exposé des faits auquel elle a répondu le 17 janvier 2014.

34      Le conseiller-auditeur a présenté son rapport final le 7 juillet 2014.

35      Le 9 juillet 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 4955 final, relative à une procédure d’application des articles 101 et 102 TFUE [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci-après la « décision attaquée »).

36      En vertu de l’article 4 de la décision attaquée, la requérante a enfreint l’article 101 TFUE en participant à trois accords couvrant tous les États membres, à l’exception de la République tchèque, la Croatie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie, pour la période débutant le 27 octobre 2006, sauf en ce qui concerne la Bulgarie et la Roumanie, où l’infraction a commencé le 1er janvier 2007, Malte, où l’infraction a commencé le 1er mars 2007, et l’Italie, où l’infraction a commencé le 13 février 2009, et s’achevant le 6 mai 2009, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, où l’infraction a pris fin le 6 juillet 2007, et les Pays-Bas, où l’infraction a pris fin le 12 décembre 2007.

37      La Commission a infligé à Krka une amende d’un montant de 10 millions d’euros [article 7, paragraphe 4, sous a), de la décision attaquée]. Krka, qui a été destinataire de la décision attaquée (article 9 de ladite décision), a été par ailleurs contrainte de s’abstenir de renouveler l’infraction sanctionnée et de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire (article 8 de la décision attaquée).

II.    Procédure et conclusions des parties

38      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 septembre 2014, la requérante a introduit le présent recours.

39      Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, la Commission a été invitée à répondre par écrit à une question concernant des données relatives à l’accord de licence rendues confidentielles dans la décision attaquée. Elle a transmis sa réponse dans le délai qui lui était imparti.

40      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous a), du règlement de procédure, a posé aux parties des questions écrites, en les invitant à y répondre lors de l’audience.

41      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est tenue le 20 juin 2017.

42      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle concerne la requérante, en particulier son article 4, son article 7, paragraphe 4, sous a), son article 8 et son article 9 ;

–        ordonner toute mesure qui s’avérerait appropriée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

43      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

44      À titre liminaire, la requérante présente un certain nombre d’arguments généraux qu’elle entend développer plus en détail dans le cadre de ses moyens.

45      À cet égard, elle conteste, notamment, que l’octroi d’une licence unique soumise à redevance ordinaire dans le cadre d’un accord de règlement amiable en vertu duquel l’opposant au brevet obtient la possibilité d’entrer sur le marché avant l’expiration du brevet puisse être qualifié d’« accord de règlement amiable contre paiement inversé » et puisse relever de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

46      Elle ajoute que l’analyse de la Commission a pour effet de réduire à néant certains des principes juridiques fondamentaux sur lesquels le système juridique de l’Union est fondé, tels que le respect des droits de propriété intellectuelle et la légalité des règlements amiables qui portent sur de véritables litiges.

47      Enfin, elle estime que « seule une condamnation judiciaire stricte de la position de la Commission telle qu’elle est exposée dans la décision [attaquée] permettrait […] de confirmer la légalité générale des accords de règlement amiable (en matière de brevet) et […] de réaffirmer l’importance des lois sur la propriété intellectuelle, qui confèrent des droits exclusifs aux titulaires de brevets ».

48      La requérante développe ensuite les six moyens sur lesquels elle fonde ses prétentions. Le premier moyen est tiré de l’absence d’examen complet et impartial de la situation en cause, le deuxième moyen est tiré de l’absence de concurrence potentielle, le troisième moyen est tiré de l’absence de restriction par objet s’agissant des accords de règlement amiable et de licence, le quatrième moyen est tiré de l’absence de restriction par objet s’agissant de l’accord de cession, le cinquième moyen est tiré de l’absence de restriction par effet et le sixième moyen est relatif à l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

49      Il convient d’examiner tout d’abord le troisième moyen, relatif aux accords de règlement amiable et de licence, puis le quatrième moyen, relatif à l’accord de cession. Par ces deux moyens, la requérante soutient que la Commission n’a pas établi l’existence d’une restriction de concurrence par objet. Il conviendra ensuite d’examiner le cinquième moyen, par lequel la requérante fait valoir que la Commission n’a pas démontré l’existence d’une restriction de concurrence par effet.

A.      Sur le troisième moyen, tiré de l’absence de restriction de concurrence par objet s’agissant des accords de règlement amiable et de licence

1.      Arguments des parties

50      Par ce moyen, la requérante conteste, notamment, l’appréciation que la Commission a portée sur les faits en cause, laquelle l’a conduite à retenir l’existence d’une restriction de concurrence par objet.

51      La requérante se fonde essentiellement sur deux griefs distincts, tirés, le premier, de l’absence de restriction par objet du fait de l’absence d’incitation de la société de génériques à renoncer à ses efforts pour entrer sur plusieurs marchés de l’Union avec un produit générique et, le second, de l’absence de restriction de concurrence par objet du fait du caractère légitime du recours à un règlement amiable.

a)      Sur l’absence de restriction par objet du fait de l’absence d’incitation de la requérante à renoncer à ses efforts pour entrer sur plusieurs marchés de l’Union avec un produit générique

52      La requérante, en premier lieu, conteste l’existence, dans les accords de règlement amiable et de licence, d’une incitation à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur plusieurs marchés de l’Union avec un produit générique, laquelle prendrait la forme d’un transfert de valeur.

53      Elle indique que l’accord de règlement amiable n’impliquait aucune contrepartie financière.

54      La requérante soutient par ailleurs que les conditions d’octroi de la licence ne sauraient être regardées comme constituant une incitation à ne pas concurrencer Servier.

55      Elle rappelle que, en vertu de l’accord de licence passé avec Servier, Krka devait verser une redevance s’élevant à 3 % du montant net des ventes de périndopril de forme alpha réalisées sur l’ensemble du territoire sur lequel s’appliquait la licence.

56      Il s’agit, selon elle, d’un véritable accord commercial, avec une contrepartie ordinaire, en vertu duquel les deux parties se sont vu conférer des droits et des obligations d’égale valeur commerciale, sans qu’aucune valeur soit transférée dans un sens ou dans l’autre.

57      La requérante conteste l’argument de la Commission selon lequel la licence doit être perçue comme un accord de répartition du marché et une incitation, au motif qu’elle a été concédée en tant que licence unique, pour sept marchés seulement, qui revêtaient traditionnellement une importance particulière pour la requérante.

58      La requérante soutient également que les accords de règlement amiable et de licence ne sauraient être regardés comme étant constitutifs d’un accord de répartition de marché du fait qu’elle se livrait, avec Servier, à une vive concurrence sur les sept marchés couverts par l’accord de licence, ainsi que la Commission l’aurait d’ailleurs indiqué aux considérants 1725 et 2350 de la décision attaquée.

59      La requérante conteste le fait que l’octroi de la licence puisse être perçu comme un accord de partage de marché au motif qu’il s’agissait d’une licence exclusive limitée à sept marchés nationaux. Elle indique ainsi que la décision prise par Servier de ne lui concéder une licence sur le brevet 947 que pour sept pays et non pour l’ensemble de l’Union n’est qu’une manifestation du caractère exclusif des droits conférés au titulaire d’un brevet par la législation sur la propriété intellectuelle. La requérante ajoute que « la règle illogique du “tout ou rien” (c’est-à-dire la concession de la licence pour tous les pays dans lesquels le titulaire du brevet s’est vu octroyer des brevets ou pour aucun d’entre eux), que la Commission introduit de toute évidence, est contraire aux principes défendus par les régimes juridiques du droit des brevets et de la propriété (en vertu desquels le titulaire de brevets/titulaire de droits est seul habilité à décider comment exploiter sa technologie brevetée) et n’est pas étayée par la jurisprudence […] de l’Union ». Selon la requérante, cette approche conduirait à une « expropriation au moins partielle ».

60      La requérante se prévaut également du paragraphe 156 des lignes directrices relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie »), selon lequel « [l]es parties à un accord de licence peuvent normalement, sans que cet accord […] entre dans le champ d’application de l’article [101], paragraphe 1, déterminer librement les redevances payables par le preneur ainsi que les modes de règlement ».

61      Elle se fonde aussi sur le fait que la Commission aurait indiqué, dans les notes en bas de page nos 2349 et 2354 de la décision attaquée, que le taux de redevance retenu était équitable.

62      La requérante critique le considérant 1738 de la décision attaquée, dans lequel la Commission s’est fondée sur l’existence d’un « coût d’opportunité à ne pas conclure l’accord de règlement amiable » qui aurait été évalué par Krka à plus de 10 millions d’euros de profits perdus sur une période de trois ans.

63      Elle critique l’interprétation faite par la Commission d’une de ses déclarations selon laquelle l’accord de règlement amiable serait équivalent, en trois ans, à « bien plus de 10 millions d’euros » de profits perdus.

64      La requérante ajoute que la valeur commerciale de toute licence, telle qu’appréciée ex ante, est, par essence, imprévisible.

65      Elle indique également que, même si la Commission parvenait à attribuer une valeur positive importante à la licence qui lui a été concédée, cela ne permettrait pas de qualifier l’accord de licence d’« incitation significative ». En effet, toujours selon la requérante, si tout avantage éventuel pour une partie découlant d’un règlement amiable était automatiquement considéré comme une incitation significative à conclure un règlement amiable, cela mettrait fin par définition à tous les règlements amiables.

66      La requérante se prévaut également des paragraphes 204 et 206 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, selon lesquels :

« 204. La concession de licences peut servir d’instrument de règlement des litiges ou à éviter que l’une des parties exerce ses droits de propriété intellectuelle en vue d’empêcher l’autre partie d’exploiter sa propre technologie. Les licences, y compris les licences croisées, dans le cadre d’accords de règlement ou de non-revendication ne constituent pas en soi une restriction de […] concurrence, puisqu’elles permettent aux parties d’exploiter leurs technologies après la conclusion de l’accord. Toutefois, certaines conditions énoncées dans de tels accords peuvent entrer dans le champ d’application de l’article 81, paragraphe 1 […]

206. Dans les cas où le preneur serait probablement exclu du marché si la licence n’existait pas, l’accord est généralement favorable à la concurrence […] »

67      La requérante soutient que la déclaration faite par Lupin et utilisée par la Commission au considérant 1730 de la décision attaquée ne lui a jamais été communiquée et que, au surplus, une telle déclaration émanant d’un tiers à l’accord est dépourvue de caractère probant.

68      La requérante soutient également que l’interprétation donnée par la Commission de déclarations qu’elle avait faites est erronée. Selon l’une de ses déclarations, Servier et Krka seraient parvenus à un accord sur « les principaux points » du règlement amiable, à savoir la portée géographique de la licence et certaines de ses conditions commerciales ainsi que l’engagement de Krka à renoncer aux procédures d’opposition concernant le brevet 947 et à s’abstenir de pénétrer le marché pendant la période de validité de ce brevet. La Commission, sur la base, notamment, de cette déclaration, avait conclu à l’existence d’une interdépendance entre la licence de Servier et l’engagement de Krka à renoncer à la concurrence sur certains marchés. La requérante objecte qu’elle avait seulement accepté de mettre fin à la procédure ouverte au Royaume-Uni, de retirer son opposition formée à l’encontre du brevet 947, de ne pas contester ce brevet et de ne pas commercialiser une version générique du périndopril violant ce brevet pendant sa durée de validité, mais qu’il ne s’agissait pas d’un « retrait de la concurrence ».

69      Elle ajoute également que l’accord de licence a eu pour effet, au contraire, d’augmenter la concurrence sur plusieurs marchés nationaux. À cet égard, elle relève que, selon le règlement (CE) no 772/2004 de la Commission, du 27 avril 2004, concernant l’application de l’article [101, paragraphe 3, TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2004, L 123, p. 11), les accords de transferts de technologie favorisent la concurrence.

70      En deuxième lieu, la requérante soutient que les accords de règlement amiable et de licence constituaient, dans le contexte dans lequel ils ont été adoptés, un compromis mutuellement acceptable. Ils ne résultaient donc pas d’une incitation de l’une des parties par une autre partie, mais du contexte dans lequel ils avaient été passés.

71      La requérante rappelle à cet égard que Servier disposait de plusieurs brevets valides, parmi lesquels le brevet 340 et le brevet 947, et que, s’agissant de ce dernier, la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 venait d’en confirmer la validité avant que l’accord ne soit signé. Selon la requérante, cela l’a d’ailleurs conduite à cesser toute activité en lien avec son périndopril générique de forme alpha.

72      La requérante rappelle également que, le 3 octobre 2006, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et a rejeté la demande en référé introduite par elle le 1er septembre 2006, tendant à l’invalidation du brevet 947.

73      Elle rappelle enfin que, à la date d’adoption des accords de règlement amiable et de licence, elle ne disposait que de périndopril de forme alpha, c’est-à-dire un produit qui ne pouvait être commercialisé qu’en violation des brevets de Servier. De plus, elle avait des stocks importants d’IPA et de produit fini.

74      La requérante conclut qu’il était indispensable pour elle, dans un tel contexte, de mettre fin aux litiges l’opposant à Servier.

75      En troisième lieu, la requérante soutient qu’elle a, indépendamment des accords de règlement amiable et de licence, poursuivi ses efforts aux fins d’entrer sur le marché du périndopril. Ceux-ci n’auraient donc pas été réduits du fait de ces accords.

76      La requérante indique ainsi qu’elle a débuté des efforts de recherche portant sur de nouvelles formes non alpha de périndopril. Elle ajoute qu’elle est parvenue, douze mois après l’adoption des accords de règlement amiable et de licence, à mettre au point une forme non alpha de périndopril, à mener les études réglementaires nécessaires, à constituer le dossier et à demander les autorisations de mise sur le marché (AMM).

77      Elle indique que le choix de ne pas contester les brevets de Servier et de préférer développer une forme non alpha du périndopril était tout aussi aléatoire que celui de poursuivre les litiges avec Servier. Par conséquent, une différence quant aux effets sur la concurrence de l’un ou l’autre choix n’apparaît pas de manière aussi évidente que ce que la Commission a retenu dans la décision attaquée.

78      La requérante ajoute, sur ce point, que, alors que la décision de l’OEB invalidant finalement le brevet 947 a été adoptée en mai 2009, elle est parvenue à inventer une forme de périndopril n’ayant pas la nature de contrefaçon et à recevoir des AMM quelques mois plus tard seulement, à l’automne de la même année.

79      Pour conclure sur l’ensemble de ce grief, la requérante rappelle que les éléments qu’elle a présentés confirment qu’elle n’a bénéficié d’aucun transfert de valeur de la part de Servier en vertu de l’accord de règlement amiable. Ils permettraient donc d’établir, selon elle, qu’aucun « paiement inversé » ou incitation significative n’a été prévu en sa faveur par l’accord de règlement amiable. En outre, toujours selon la requérante, une analyse adéquate de ces éléments confirmerait que la décision par laquelle elle a décidé de conclure l’accord de règlement amiable n’était fondée que sur son évaluation de la validité des brevets litigieux, sur la question de savoir si son périndopril générique violait les brevets de Servier et sur la solidité respective des arguments présentés par chacune des parties au contentieux. Enfin, la requérante conclut que les efforts indépendants qu’elle a fournis pour entrer sur le marché du périndopril n’ont pas été affectés par l’accord de règlement amiable.

80      La Commission soutient qu’il ressort des accords de règlement amiable et de licence, ainsi que du contexte dans lequel ils ont été adoptés, que Krka a été incitée à ne pas contester les brevets de Servier et à ne pas entrer sur les marchés nationaux de l’Union autres que ceux pour lesquels elle avait obtenu l’octroi d’une licence.

81      En premier lieu, la Commission souligne que le niveau de redevance de l’accord de licence n’était pas déterminant dans le constat d’une incitation pour Krka à accepter des restrictions de concurrence.

82      Selon elle, dans les circonstances particulières de la présente affaire, la licence a constitué le moyen illicite utilisé pour obtenir le consentement de Krka aux restrictions à son entrée dans l’ensemble des États qui étaient membres de l’Union au moment des faits, à l’exception des sept États pour lesquels elle bénéficiait d’un contrat de licence (ci-après les « 18 à 20 marchés » ou les « 18 à 20 États membres »).

83      Elle ajoute, s’agissant du montant de 10 millions d’euros contesté par la requérante (voir point 62 ci-dessus), que l’estimation approximative des perspectives de profits des parties découlant de la licence est pertinente, puisqu’elle contribue à expliquer les raisons pour lesquelles les parties ont accepté la licence dans le cadre du règlement amiable.

84      La Commission indique également qu’elle s’oppose aux affirmations de la requérante selon lesquelles l’accord de licence doit être apprécié isolément comme un accord commercial ordinaire.

85      Enfin, elle précise que, selon elle, l’important est de savoir si la valeur transférée – que ce soit financièrement ou via un arrangement commercial – est en mesure d’inciter une société de génériques concurrente à conclure un accord anticoncurrentiel.

86      Par ailleurs, selon la Commission, l’un des principaux arguments de la requête – à savoir que Krka aurait été dans l’incapacité de vendre son périndopril de forme alpha – est infondé, puisque les brevets de Servier n’ont pas automatiquement empêché Krka d’essayer de vendre son périndopril et qu’à aucun moment un tribunal d’un État membre n’a statué à cet effet.

87      En deuxième lieu, la Commission soutient que le règlement amiable n’a pas été conclu sur la base d’une appréciation portée par les parties à cet accord sur la validité du brevet et sur le bien-fondé des contentieux le concernant.

88      En particulier, selon la Commission, rien ne justifiait l’octroi d’une licence exclusive si les brevets de Servier étaient valides.

89      Par ailleurs, selon la Commission, Krka exagère l’impact de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006.

90      En troisième lieu, la Commission soutient que le fait que la requérante ait pu mettre au point une forme non alpha de périndopril n’a pas modifié la nature anticoncurrentielle du partage des marchés.

91      En particulier, elle relève que, même si Krka avait concrétisé ses activités de recherche, de développement, de production et de commercialisation de son périndopril non alpha, il lui aurait quand même fallu trois ans pour le mettre sur le marché.

b)      Sur l’absence de restriction par objet du fait du caractère légitime du recours à un règlement amiable

92      Dans le cadre du présent grief, la requérante invoque quatre sous-griefs distincts, tirés, le premier, de l’existence de véritables différends entre les parties et d’une évaluation par celles-ci de ces différends pour conclure l’accord de règlement amiable, le deuxième, de l’impossibilité de qualifier la clause de non-contestation d’infraction au droit de la concurrence, le troisième, de l’impossibilité de qualifier la clause de non-commercialisation d’infraction au droit de la concurrence et, le quatrième, d’une application erronée des principes relatifs à la restriction de concurrence par objet.

1)      Sur l’existence de véritables différends entre les parties et d’une évaluation par celles-ci de ces différends pour conclure l’accord de règlement amiable

93      La requérante soutient que le règlement amiable concernait de véritables différends entre les parties et a été conclu sur la base de l’évaluation de l’issue probable de ces différends effectuée par les parties.

94      À cet égard, la requérante rappelle que plusieurs procédures contentieuses étaient ouvertes et en cours entre elle-même et Servier :

–        la procédure ouverte devant l’OEB à l’initiative de la requérante en 2004, par un acte d’opposition à l’encontre du brevet 947 ;

–        les procédures ouvertes en 2006 par Servier devant la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], à l’encontre de la requérante, c’est-à-dire des actions en contrefaçon du brevet 340 et du brevet 947 et une demande de mesures provisoires ;

–        les demandes reconventionnelles introduites en 2006 par la requérante en vue d’obtenir l’annulation du brevet 947 et du brevet 340.

95      La requérante soutient que sa décision de passer un accord avec Servier a été adoptée sur la base, en particulier, d’une évaluation de la validité, notamment, du brevet 947 et de la qualité des arguments présentés par chacune des parties au contentieux.

96      La requérante rappelle qu’elle ne pouvait pas entrer sur le marché du périndopril, non en raison des clauses de l’accord de règlement amiable, mais en raison des droits exclusifs octroyés à Servier par les autorités publiques conformément au droit de la propriété intellectuelle.

97      Selon la requérante, l’accord de règlement amiable n’est pas allé au-delà du champ d’application du brevet, puisqu’il n’imposait à la requérante aucune restriction concernant le périndopril non alpha.

98      La requérante rappelle à cet égard qu’elle a concentré ses efforts de recherche sur de nouvelles formes non alpha d’IPA et de formulation et donc qu’elle n’a pas renoncé à ses efforts concurrentiels. La requérante indique qu’elle est même parvenue à développer une nouvelle forme non alpha de périndopril.

99      La Commission soutient que ce grief doit être écarté. Elle indique, notamment, que, même un compromis mutuellement acceptable conclu pour régler de véritables litiges peut, dans certaines circonstances, enfreindre l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

2)      Sur l’impossibilité de qualifier la clause de non-contestation d’infraction au droit de la concurrence

100    La requérante soutient que la clause de non-contestation qui figure dans l’accord de règlement amiable qu’elle a passé avec Servier ne peut être qualifiée d’infraction au droit de la concurrence (ou d’élément participant à une telle infraction), parce qu’elle était intégrée à un accord de règlement amiable dont l’objectif était de mettre fin à de véritables litiges.

101    Cette conclusion serait, selon la requérante, conforme au principe exposé au considérant 1136 de la décision attaquée.

102    Selon la requérante, la clause de non-contestation incluse dans l’accord de règlement amiable qu’elle a passé avec Servier se rapportait exclusivement aux deux brevets qui faisaient l’objet d’un litige réglé à l’amiable par ledit accord et se limitait à leur champ d’application.

103    Selon la requérante, son périndopril violait incontestablement les brevets de Servier. Selon elle, la Commission se fonderait sur un raisonnement hypothétique pour conclure à la possibilité pour la requérante d’introduire une technique ne conduisant pas à une contrefaçon.

104    La requérante rappelle par ailleurs qu’elle a contesté la validité des brevets préalablement à l’accord de règlement amiable. Elle indique également que cet accord n’avait pas pour effet d’empêcher d’autres concurrents de contester la validité du brevet et que ces concurrents pouvaient se fonder sur les arguments qu’elle avait développés contre les brevets litigieux.

105    Selon la requérante, la Commission aurait indiqué dans la décision attaquée qu’il n’existait pas une obligation de poursuivre jusqu’à leur terme des actions en annulation ou en révocation à l’égard des brevets des concurrents.

106    La Commission s’est fondée, au considérant 1712 de la décision attaquée, sur le fait que la requérante considérait qu’elle avait une meilleure position contentieuse. Selon la requérante, les documents censés établir cela ne seraient pas probants, car ils seraient antérieurs à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006.

107    Par ailleurs, la requérante se prévaut du paragraphe 242 des lignes directrices concernant l’application de l’article 101 [TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2014, C 89 p. 3, ci-après les « lignes directrices de 2014 sur les accords de transfert de technologie »), lesquelles reconnaissent la possibilité d’une clause de non-contestation dans le cadre d’un accord de règlement amiable.

108    La Commission rétorque, en substance, que l’obligation de non-contestation a empêché Krka de faire établir que sa technologie ne contrefaisait pas les brevets de Servier et de tester la validité de ces derniers.

109    Elle ajoute que la requérante occupait une position particulière qui lui permettait, mieux que toute autre société de génériques, de contester les brevets de Servier.

3)      Sur l’impossibilité de qualifier la clause de non-commercialisation d’infraction au droit de la concurrence

110    La requérante soutient que, conformément au principe auquel la Commission se réfère au considérant 1136 de la décision attaquée, la clause de non-commercialisation qui figure dans l’accord de règlement amiable qu’elle avait passé avec Servier ne peut être qualifiée d’infraction au droit de la concurrence (ou d’élément participant à une telle infraction).

111    Selon la requérante, la clause de non-commercialisation figurant dans l’accord de règlement amiable se limitait au champ d’application du brevet 947, pendant la durée de validité de ce dernier et dans les pays où il était considéré comme valide.

112    De plus, toujours selon la requérante, cette clause constituait une partie essentielle d’un véritable règlement amiable dont l’objet était de mettre fin à de réels litiges.

113    La requérante rappelle qu’elle ne pouvait pas entrer sur le marché du périndopril, non en raison des clauses de l’accord de règlement amiable, mais en raison des droits exclusifs octroyés à Servier par les autorités publiques conformément au droit de la propriété intellectuelle.Elle soutient qu’il lui était légalement – et non pas contractuellement – interdit d’entrer sur le marché du périndopril alpha. La Commission aurait d’ailleurs admis cela au considérant 1720 de la décision attaquée.

114    De plus, au moment de la signature des accords conclus avec Servier, une stratégie de « lancement à risque » ne pouvait être considérée comme étant économiquement viable. Enfin, la requérante n’était pas obligée de poursuivre les procédures devant l’OEB ou devant les juridictions nationales jusqu’à leur terme avant de pouvoir procéder à un règlement amiable avec Servier.

115    La requérante rappelle par ailleurs que, immédiatement après que le brevet 947 a été déclaré invalide, elle a fourni du périndopril de forme alpha et elle est elle-même entrée sur des marchés. Elle rappelle également qu’elle est parvenue à développer une nouvelle forme non alpha de périndopril.

116    La Commission soutient que l’obligation de non-commercialisation avait pour objectif d’empêcher la requérante de commercialiser son périndopril dans les États membres où Servier ne l’avait pas autorisée à le faire.

117    La Commission ajoute que l’obligation de non-commercialisation a modifié la situation, puisqu’elle a dispensé Servier de la tâche qu’elle aurait dû sinon accomplir, à savoir prouver que Krka contrefaisait effectivement l’un de ses brevets valides.

4)      Sur une application erronée des principes relatifs à la restriction de concurrence par objet

118    Selon la requérante, la Commission, en omettant de prendre en compte les restrictions de concurrence qui découlaient des brevets valides de Servier, n’a pas examiné de manière adéquate le contexte économique et juridique de l’accord de règlement amiable et ne pouvait donc, sur la base de l’analyse qu’elle a poursuivie et au regard de la jurisprudence rendue par la Cour en matière de restriction par objet, conclure à l’existence d’une telle restriction en l’espèce.

119    La requérante conclut en indiquant que, au regard de quatre circonstances factuelles pertinentes, à savoir le fait que le règlement amiable ait été adopté après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, le fait qu’il ait été lié exclusivement à de véritables litiges en cours, qu’il n’ait pas comporté de contrepartie financière pour la requérante et que les clauses de non-contestation et de non-concurrence aient été limitées aux brevets en cause, ledit règlement amiable se distingue des autres règlements amiables conclus par Servier et ne constitue pas une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

120    La Commission soutient qu’elle a respecté les principes posés par la jurisprudence et renvoie, à cet égard, aux considérants 1104 à 1117 de la décision attaquée, dans lesquels il est précisé, notamment, que les restrictions « par objet » sont celles qui, « par leur nature même », peuvent être considérées comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence et que la prise en considération des effets réels d’un accord est superflue lorsqu’il apparaît que celui-ci a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.

2.      Appréciation du Tribunal

121    Aux fins de répondre au moyen invoqué par la requérante, il convient de déterminer dans quelle mesure un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet peut être constitutif d’une restriction de concurrence par objet, ce qui suppose, au préalable, de rappeler le droit applicable en matière de restriction de concurrence par objet, de droits de propriété intellectuelle et de règlement amiable. Il y a lieu ensuite de préciser comment la conciliation entre règlement amiable en matière de brevet et droit de la concurrence peut s’opérer lorsqu’un accord commercial, en principe autonome, est associé, comme en l’espèce, à l’accord de règlement amiable. Il appartiendra alors au Tribunal, au regard de l’ensemble des considérations ainsi exposées, d’apprécier les faits de l’espèce compte tenu des arguments invoqués par la requérante.

a)      Sur les restrictions de concurrence par objet

122    L’article 101, paragraphe 1, TFUE dispose que sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui ont « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur. Selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38, p. 359), le caractère alternatif de ces conditions, marqué par l’emploi de la conjonction « ou », conduit à la nécessité de considérer en premier lieu l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. Cependant, dans l’hypothèse où l’analyse de la teneur de l’accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait d’en examiner les effets et, pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible (voir arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 116 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2015, ING Pensii, C‑172/14, EU:C:2015:484, point 30 et jurisprudence citée). En revanche, il n’est pas nécessaire d’examiner les effets d’un accord sur la concurrence dès lors que son objet anticoncurrentiel est établi (voir arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 25 et jurisprudence citée).

123    La notion de restriction de concurrence par objet ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant, par leur nature même, un degré suffisant de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 359 ; du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 49, 50 et 58 et jurisprudence citée ; du 16 juillet 2015, ING Pensii, C‑172/14, EU:C:2015:484, point 31, et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20).

124    Selon la jurisprudence de la Cour, il convient, afin d’apprécier si un accord entre entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère (voir arrêt du 16 juillet 2015, ING Pensii, C‑172/14, EU:C:2015:484, point 33 et jurisprudence citée). Dans le cadre de l’appréciation du contexte juridique et économique, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 117 et jurisprudence citée). Néanmoins, il importe de rappeler que l’examen des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché en cause ne saurait conduire le Tribunal à apprécier les effets de la coordination concernée (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 72 à 82), sous peine de faire perdre son effet utile à la distinction prévue par les dispositions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

b)      Sur les droits de propriété intellectuelle et, en particulier, les brevets

125    Selon une jurisprudence constante, le droit de propriété, dont font partie les droits de propriété intellectuelle, constitue un principe général du droit de l’Union (arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae, C‑275/06, EU:C:2008:54, point 62 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a., C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449, point 126 et jurisprudence citée).

126    De plus, il importe de souligner que les droits de propriété intellectuelle sont protégés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, à laquelle le traité de Lisbonne a conféré une valeur juridique égale à celle des traités (article 6, paragraphe 1, TUE), « [t]oute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer », « [n]ul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte », et « [l]’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général ». L’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux précise, en outre, que « [l]a propriété intellectuelle est protégée ». Par conséquent, les garanties prévues à l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux s’appliquent également à la propriété intellectuelle. Or, la Cour considère que la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle dans la charte des droits fondamentaux implique une exigence de protection élevée de ces derniers et qu’il convient de mettre en balance, d’une part, la préservation du libre jeu de la concurrence au titre duquel le droit primaire et notamment les articles 101 et 102 TFUE prohibent les ententes et les abus de position dominante et, d’autre part, la nécessaire garantie des droits de propriété intellectuelle du titulaire du brevet, qui résulte de l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Huawei Technologies, C‑170/13, EU:C:2015:477, points 42 et 58).

127    S’agissant de la conciliation du droit des brevets avec le droit de la concurrence, la Cour a dit pour droit qu’il n’était pas exclu que les dispositions de l’article 101 TFUE puissent trouver application au droit de la propriété intellectuelle si l’utilisation d’un ou de plusieurs brevets, concertée entre entreprises, devait aboutir à créer une situation susceptible de tomber sous les notions d’accords entre entreprises, décisions d’association d’entreprises ou pratiques concertées au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 29 février 1968, Parke, Davis and Co., 24/67, EU:C:1968:11, p. 110). Elle a à nouveau considéré, en 1974, que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle n’étaient pas affectés dans leur existence par l’article 101 TFUE, les conditions de leur exercice pouvaient cependant relever des interdictions édictées par cet article et que tel pouvait être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaissait comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

128    Enfin, il convient de souligner que l’objet spécifique de l’attribution d’un brevet est d’assurer à son titulaire, afin de récompenser l’effort créatif de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, point 9). Lorsqu’il est accordé par une autorité publique, un brevet est normalement présumé être valide et sa détention par une entreprise est supposée être légitime. La seule possession par une entreprise d’un tel droit exclusif a normalement pour conséquence de tenir les concurrents à l’écart, ces derniers étant tenus de respecter, en vertu de la réglementation publique, ce droit exclusif (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362).

c)      Sur les règlements amiables des litiges en matière de brevets

129    Il importe de relever qu’il est a priori légitime, pour les parties à un litige relatif à un brevet, de conclure un accord de règlement amiable plutôt que de poursuivre un contentieux devant une juridiction. Ainsi que l’a indiqué à juste titre la Commission au considérant 1102 de la décision attaquée, les entreprises sont généralement habilitées à régler à l’amiable les contentieux, y compris en matière de brevets, ces règlements amiables bénéficiant souvent aux deux parties au litige et permettant une allocation des ressources plus efficace que si le contentieux s’était poursuivi jusqu’à un jugement. Une partie requérante n’est, en effet, pas tenue de poursuivre un contentieux qu’elle a librement porté en justice. Il convient d’ajouter que le règlement juridictionnel des litiges, outre le fait qu’il occasionne un coût pour la collectivité, ne peut être considéré comme constituant la voie privilégiée et idéale de résolution des conflits. La multiplication des litiges devant les tribunaux peut être le reflet de dysfonctionnements ou d’insuffisances, qui peuvent trouver d’autres formes de remèdes ou faire l’objet d’actions de prévention adaptées. À supposer que les systèmes nationaux de délivrance des brevets ou celui de l’OEB connaissent de telles difficultés, par exemple en accordant trop libéralement une protection à des procédés dénués de caractère inventif, ces problèmes ne sauraient justifier une obligation, ni même un encouragement des entreprises, de poursuivre les litiges en matière de brevets jusqu’à une issue juridictionnelle.

130    De plus, les paragraphes 204 et 209 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, applicables à tout le moins à des accords portant sur la concession de licences de technologie, reconnaissent la possibilité de conclure des accords de règlement et de non-revendication incluant la concession de licences et indiquent que, dans le cadre d’un tel accord de règlement et de non-revendication, des clauses de non-contestation sont généralement considérées comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le paragraphe 235 des lignes directrices de 2014 sur les accords de transfert de technologie, qui ont remplacé celles de 2004, énonce également que « les accords de règlement dans le cadre des litiges technologiques constituent en principe, comme dans beaucoup d’autres secteurs des litiges commerciaux, un moyen légitime de trouver un compromis mutuellement acceptable en cas de litige juridique de bonne foi ». Ce paragraphe précise, en outre, que « les parties peuvent préférer mettre un terme au différend ou au litige parce qu’il s’avère trop coûteux en ressources ou en temps et/ou parce que son issue est incertaine » et que « le règlement peut également éviter aux tribunaux et/ou aux organismes administratifs compétents d’avoir à statuer sur le litige et peut donc engendrer des avantages augmentant le bien-être ».

131    Il résulte de tout ce qui précède que, aux fins de concilier le droit des brevets et le droit de la concurrence dans le cadre particulier de la conclusion de règlements amiables entre des parties à un litige relatif à un brevet, il convient de trouver un point d’équilibre entre, d’une part, la nécessité de permettre aux entreprises de procéder à des règlements amiables dont le développement est favorable à la collectivité et, d’autre part, la nécessité de prévenir le risque d’un usage détourné des accords de règlement amiable, contraire au droit de la concurrence, conduisant au maintien de brevets dépourvus de toute validité et, en particulier dans le secteur des médicaments, à une charge financière injustifiée pour les budgets publics (voir, en ce sens, arrêt de ce jour, Servier e.a./Commission, T‑691/14, points 219 à 252).

d)      Sur la conciliation entre les accords de règlement amiable en matière de brevets et le droit de la concurrence

132    Il convient de rappeler que le recours au règlement amiable d’un litige en matière de brevets n’exonère pas les parties de l’application du droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, EU:C:1988:448, point 15, et du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 118 ; voir, par analogie, arrêt du 30 janvier 1985, BAT Cigaretten-Fabriken/Commission, 35/83, EU:C:1985:32, point 33 ; voir également paragraphe 204 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie ainsi que paragraphe 237 des lignes directrices de 2014 sur les accords de transfert de technologie).

133    La Cour a ainsi jugé, en particulier, qu’une clause de non-contestation d’un brevet, y compris lorsqu’elle était insérée dans un accord visant à mettre fin à un litige pendant devant une juridiction, pouvait avoir, eu égard au contexte juridique et économique, un caractère restrictif de concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, EU:C:1988:448, points 14 à 16).

134    Il y a lieu dès lors d’identifier les éléments pertinents qui permettent de conclure au caractère restrictif de concurrence par objet d’une clause de non-contestation d’un brevet et, plus largement, d’un accord de règlement amiable en matière de brevets, étant rappelé que la détermination de l’existence d’une restriction par objet suppose l’examen de la teneur de l’accord en cause, des objectifs qu’il vise à atteindre et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 53).

135    À titre liminaire, il convient de relever qu’un accord de règlement amiable d’un litige en matière de brevets peut n’avoir aucune incidence négative sur la concurrence. Tel est le cas, par exemple, si les parties s’accordent pour estimer que le brevet litigieux n’est pas valide et prévoient, de ce fait, l’entrée immédiate de la société de génériques sur le marché.

136    Les accords en cause en l’espèce ne relèvent pas de cette catégorie, car ils comportent des clauses de non-contestation de brevets et de non-commercialisation de produits, lesquelles ont, par elles-mêmes, un caractère restrictif de concurrence. En effet, la clause de non-contestation porte atteinte à l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, EU:C:1986:75, point 92) et la clause de non-commercialisation entraîne l’exclusion du marché d’un des concurrents du titulaire du brevet.

137    Cependant, l’insertion de telles clauses peut être légitime, mais seulement dans la mesure où elle se fonde sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet en cause (et, accessoirement, du caractère contrefaisant des produits génériques concernés).

138    En effet, d’une part, les clauses de non-commercialisation et de non-contestation sont nécessaires au règlement amiable de certains litiges relatifs aux brevets. Si les parties à un litige étaient mises dans l’impossibilité de faire usage de telles clauses, le règlement amiable du litige perdrait tout intérêt pour les litiges dans lesquels les deux parties s’accordent sur la validité du brevet. Il importe au demeurant de rappeler à cet égard que la Commission a indiqué, au paragraphe 209 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, qu’« [u]ne caractéristique propre [aux accords de règlement] est que les parties conviennent de ne pas contester a posteriori les droits de propriété intellectuelle qu’ils couvrent[, car] le véritable objectif de l’accord est de régler les litiges existants et/ou d’éviter des litiges futurs ». Or, il est tout autant nécessaire, aux fins d’atteindre cet objectif, que les parties conviennent qu’aucun produit contrefaisant ne puisse être commercialisé.

139    D’autre part, l’insertion de clauses de non-commercialisation se borne, pour partie, à conforter les effets juridiques préexistants d’un brevet dont les parties reconnaissent explicitement ou implicitement la validité. En effet, le brevet a normalement pour conséquence, au profit de son titulaire, d’empêcher la commercialisation par des concurrents du produit objet du brevet ou du produit obtenu par le procédé objet du brevet (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362). Or, en se soumettant à une clause de non-commercialisation, la société de génériques s’engage à ne pas vendre de produits susceptibles d’être contrefaisants à l’égard du brevet en cause. Cette clause, si elle se limite au champ d’application du brevet litigieux, peut alors être regardée comme reproduisant, en substance, les effets de ce brevet, dans la mesure où elle se fonde sur la reconnaissance de la validité de celui-ci. S’agissant des clauses de non-contestation, le brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection contre les actions visant à contester la validité d’un brevet (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, EU:C:1986:75, point 92). Les effets de ces clauses ne se confondent donc pas avec les effets du brevet. Cependant, lorsqu’une clause de non-contestation est adoptée dans le cadre du règlement amiable d’un véritable litige dans lequel le concurrent a déjà eu l’opportunité de contester la validité du brevet en cause et reconnaît finalement cette validité, une telle clause ne peut être regardée, dans un tel contexte, comme portant atteinte à l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (voir point 136 ci-dessus).

140    La Commission a elle-même indiqué, dans la décision attaquée, que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation étaient généralement inhérentes à tout règlement amiable. Elle a ainsi considéré qu’il était « peu probable qu’un règlement amiable conclu dans le cadre d’un litige ou d’un contentieux en matière de brevets sur la base de l’appréciation par chaque partie du contentieux auquel elle est confrontée enfreigne le droit de la concurrence, quand bien même l’accord prévoirait l’obligation pour la société de génériques de s’abstenir d’utiliser l’invention couverte par le brevet pendant la durée de protection de celui-ci (par exemple par une clause de non-commercialisation) et/ou de ne pas contester le brevet en cause devant les tribunaux (par exemple par une clause de non-contestation) » (considérant 1136 de la décision attaquée).

141    Ainsi, la seule présence, dans des accords de règlement amiable, de clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont la portée se limite à celle du brevet en cause ne permet pas, malgré le fait que ces clauses ont, par elles-mêmes, un caractère restrictif (voir point 136 ci-dessus), de conclure à une restriction de concurrence présentant un degré suffisant de nocivité pour être qualifiée de restriction par objet lorsque ces accords se fondent sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet (et, accessoirement, du caractère contrefaisant des produits génériques concernés).

142    La présence de clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont la portée se limite à celle du brevet en cause est, en revanche, problématique lorsqu’il apparaît que la soumission de la société de génériques à ces clauses n’est pas fondée sur la reconnaissance par celle-ci de la validité du brevet. Comme le relève à juste titre la Commission, « même si les limitations contenues dans l’accord [de règlement amiable] [à] l’autonomie commerciale de la société de génériques ne vont pas au-delà du champ d’application matériel du brevet, elles constituent une violation de l’article 101 [TFUE] lorsque ces limitations ne peuvent être justifiées et ne résultent pas de l’évaluation par les parties du bien-fondé du droit exclusif lui-même » (considérant 1137 de la décision attaquée).

143    À cet égard, il convient de relever que l’existence d’un « paiement inversé », c’est-à-dire d’un paiement de la société de princeps vers la société de génériques, est doublement suspecte dans le cadre d’un accord de règlement amiable. En effet, en premier lieu, il importe de rappeler que le brevet vise à récompenser l’effort créatif de l’inventeur en lui permettant de tirer un juste profit de son investissement (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, point 9) et qu’un brevet valide doit donc, en principe, permettre un transfert de valeur vers son titulaire – par exemple, par le biais d’un accord de licence – et non l’inverse. En second lieu, l’existence d’un paiement inversé introduit une suspicion quant au fait que le règlement amiable est fondé sur la reconnaissance par les parties à l’accord de la validité du brevet en cause.

144    Cependant, la seule présence d’un paiement inversé ne saurait permettre de conclure à l’existence d’une restriction par objet. En effet, il n’est pas exclu que certains paiements inversés, lorsqu’ils sont inhérents au règlement amiable du litige en cause, soient justifiés. En revanche, dans l’hypothèse où un paiement inversé non justifié intervient dans la conclusion du règlement amiable, la société de génériques doit être alors regardée comme ayant été incitée par ce paiement à se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation et il y a lieu de conclure à l’existence d’une restriction par objet. Dans cette hypothèse, les restrictions à la concurrence qu’introduisent les clauses de non-commercialisation et de non-contestation ne sont plus liées au brevet et au règlement amiable, mais s’expliquent par le versement d’un avantage incitant la société de génériques à renoncer à ses efforts concurrentiels.

145    Il convient de relever que, si ni la Commission ni le juge de l’Union ne sont compétents pour statuer sur la validité du brevet, il n’en demeure pas moins que ces institutions peuvent, dans le cadre de leurs compétences respectives et sans statuer sur la validité intrinsèque du brevet, constater l’existence d’un usage anormal de celui-ci, lequel est sans rapport avec son objet spécifique (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 1968, Parke, Davis and Co., 24/67, EU:C:1968:11, p. 109 et 110, et du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, points 7 et 8 ; voir également, par analogie, arrêts du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98, point 50, et du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 104 à 106 ).

146    Or, le fait d’inciter un concurrent à accepter des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, au sens décrit au point 144 ci-dessus, ou son corollaire, le fait de se soumettre à de telles clauses en raison d’une incitation, constituent un usage anormal du brevet.

147    Ainsi que l’a indiqué à juste titre la Commission au considérant 1137 de la décision attaquée, « le droit des brevets ne prévoit pas un droit de payer ses concurrents réels ou potentiels afin qu’ils restent en dehors du marché ou qu’ils s’abstiennent de contester un brevet avant d’entrer sur le marché ». De même, toujours selon la Commission, « les titulaires de brevets ne sont pas autorisés à payer des sociétés de génériques pour les maintenir en dehors du marché et réduire les risques dus à la concurrence, que ce soit dans le cadre d’un accord de règlement amiable en matière de brevets ou par un autre moyen » (considérant 1141 de la décision attaquée). Enfin, la Commission a ajouté à bon droit que « payer ou inciter autrement des concurrents potentiels à rester en dehors du marché ne f[ais]ait partie d’aucun droit lié aux brevets et ne correspond[ait] à aucun des moyens prévus par le droit des brevets pour faire respecter les brevets » (considérant 1194 de la décision attaquée).

148    Lorsque l’existence d’une incitation est constatée, les parties ne peuvent plus se prévaloir de leur reconnaissance, dans le cadre du règlement amiable, de la validité du brevet. Le fait que la validité du brevet soit confirmée par une instance juridictionnelle ou administrative est, à cet égard, indifférent.

149    C’est alors l’incitation, et non la reconnaissance par les parties au règlement amiable de la validité du brevet, qui doit être considérée comme étant la véritable cause des restrictions de concurrence qu’introduisent les clauses de non-commercialisation et de non-contestation (voir point 136 ci-dessus), lesquelles, étant dépourvues dans ce cas de toute légitimité, présentent dès lors un degré de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence suffisant pour qu’une qualification de restriction par objet puisse être retenue.

150    En présence d’une incitation, les accords en cause doivent ainsi être regardés comme étant des accords d’exclusion du marché, dans lesquels les restants indemnisent les sortants. Or, de tels accords consistent en réalité en un rachat de concurrence et doivent par conséquent être qualifiés de restrictions de concurrence par objet, ainsi que cela ressort de l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643, points 8 et 31 à 34), et des conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:467, point 75), cités, notamment, aux considérants 1139 et 1140 de la décision attaquée. De plus, l’exclusion de concurrents du marché est une forme extrême de répartition de marché et de limitation de la production (arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 435) qui présente, dans un contexte tel que celui des accords litigieux, un degré de nocivité d’autant plus élevé que les sociétés exclues sont des sociétés de génériques dont l’entrée sur le marché est, en principe, favorable à la concurrence et contribue par ailleurs à l’intérêt général d’assurer des soins de santé à moindre coût. Enfin, cette exclusion est confortée, dans les accords litigieux, par l’impossibilité pour la société de génériques de contester le brevet litigieux.

151    Il résulte de tout ce qui précède que, dans le contexte des accords de règlement amiable de litiges relatifs à des brevets, la qualification de restriction de concurrence par objet suppose la présence, au sein de l’accord de règlement amiable, à la fois d’un avantage incitatif à l’égard de la société de génériques et d’une limitation corrélative des efforts de celle-ci à faire concurrence à la société de princeps. Lorsque ces deux conditions sont remplies, un constat de restriction de concurrence par objet s’impose eu égard au degré de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence de l’accord ainsi conclu.

152    Ainsi, en présence d’un accord de règlement amiable en matière de brevets comportant des clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont le caractère intrinsèquement restrictif (voir point 136 ci-dessus) n’a pas été valablement mis en cause, l’existence d’une incitation de la société de génériques à se soumettre à ces clauses permet de fonder le constat d’une restriction par objet, et ce alors même qu’il existerait un véritable litige, que l’accord de règlement amiable inclurait des clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont la portée ne dépasserait pas celle du brevet litigieux et que ce brevet pouvait, eu égard, en particulier, aux décisions adoptées par les autorités administratives ou les juridictions compétentes, légitimement être estimé valide par les parties à l’accord en cause au moment de l’adoption de celui-ci.

153    Or, dans la décision attaquée, la Commission a à juste titre examiné si les accords en cause comportaient un transfert de valeur de la société de princeps vers la société de génériques représentant une incitation « significative », c’est-à-dire de nature à conduire cette dernière société à accepter de se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, pour en déduire, en présence d’une telle incitation, l’existence d’une restriction de concurrence par objet.

154    La Commission a ainsi retenu le critère de l’incitation, critère qui sera désigné ci-après comme étant celui de l’« incitation » ou de l’« avantage incitatif », aux fins de distinguer les accords de règlement amiable constituant des restrictions par objet de ceux qui ne constituent pas de telles restrictions.

155    Dans certains cas, l’accord de règlement amiable du litige peut prévoir un paiement inversé, c’est-à-dire un transfert de valeur financier sans contrepartie visant, notamment, à offrir une compensation à la société de génériques concernée. Un tel paiement constitue alors une incitation dans la mesure où il ne couvre pas des coûts inhérents au règlement amiable du litige (voir point 144 ci-dessus). Dans d’autres cas, comme en l’espèce, l’accord de règlement amiable peut être accompagné d’un accord commercial qualifié d’« accessoire » dans la mesure où il est associé au règlement amiable du litige. Il convient de préciser, dans cette seconde hypothèse, de quelle manière l’existence d’une incitation peut être établie par la Commission.

e)      Sur les accords accessoires

156    Il ressort de l’article 2 du règlement no 1/2003 ainsi que d’une jurisprudence constante que, dans le domaine du droit de la concurrence, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, EU:C:1998:608, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 86 ; voir, également, arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, EU:T:2013:188, point 91 et jurisprudence citée).

157    Dans ce contexte, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, EU:T:2013:188, point 92 et jurisprudence citée).

158    En effet, il est nécessaire de tenir compte de la présomption d’innocence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui peuvent s’y rattacher, la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, EU:T:2013:188, point 93 et jurisprudence citée).

159    En outre, il convient de tenir compte de l’atteinte non négligeable à la réputation que représente, pour une personne physique ou morale, la constatation qu’elle a été impliquée dans une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, EU:T:2013:188, point 95 et jurisprudence citée).

160    Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, EU:T:2013:188, point 96 et jurisprudence citée).

161    Il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. En effet, le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, peut répondre à cette exigence (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, EU:T:2013:188, point 97 et jurisprudence citée).

162    L’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit parfois même être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 57).

163    Par exemple, si un parallélisme de comportement ne peut être à lui seul identifié à une pratique concertée, il est cependant susceptible d’en constituer un indice sérieux, lorsqu’il aboutit à des conditions de concurrence qui ne correspondent pas aux conditions normales du marché (arrêt du 14 juillet 1972, Farbenfabriken Bayer/Commission, 51/69, EU:C:1972:72, point 25).

164    De même, la présence d’un accord accessoire, selon l’expression utilisée par la Commission au considérant 1190 de la décision attaquée, est susceptible de constituer, s’agissant du règlement amiable d’un litige en matière de brevet, un indice sérieux de l’existence d’une incitation et, par conséquent, d’une restriction de concurrence par objet (voir points 144 à 152 ci-dessus).

165    Il y a lieu de préciser à cet égard qu’un accord accessoire est un accord commercial usuel « associé » à un accord de règlement amiable d’un litige qui comporte des clauses ayant par elles-mêmes un caractère restrictif (voir point 136 ci-dessus). Une telle association existe notamment lorsque les deux accords sont passés le même jour, lorsqu’ils sont juridiquement liés, le caractère contraignant de l’un des accords étant conditionné à la conclusion de l’autre accord, ou encore lorsque, eu égard au contexte dans lequel ils sont passés, la Commission est en mesure d’établir qu’ils sont indissociables.Il peut être ajouté que, plus la proximité temporelle entre la conclusion des accords est importante, plus il sera aisé pour la Commission d’établir ce caractère indissociable.

166    Il convient encore de relever que le fait que l’accord de règlement amiable et l’accord accessoire soient conclus le même jour ou qu’il existe un lien contractuel entre eux est révélateur du fait que ces accords s’intègrent dans un même ensemble contractuel. En effet, si ces accords n’étaient pas conclus le même jour (et en l’absence de lien contractuel entre eux), l’une des parties à la négociation accorderait à l’autre partie tout ce qu’elle souhaite sans aucune certitude quant au fait que la contrepartie attendue lui revienne finalement. Ce lien temporel ou juridique entre les deux accords constitue également un indice du fait qu’ils ont fait l’objet d’une négociation commune.

167    Or, l’accord accessoire est un accord commercial usuel qui pourrait exister de façon autonome sans qu’un règlement amiable d’un litige soit en cause. Réciproquement, la conclusion d’un accord de règlement amiable n’impose pas la conclusion concomitante d’un accord commercial. Ainsi, l’association des deux accords n’est pas nécessaire. De plus, elle ne peut être justifiée par le règlement amiable d’un litige, car l’accord accessoire n’a pas pour objet de parvenir à un tel règlement mais de réaliser une transaction commerciale.

168    Par ailleurs, l’accord accessoire implique des transferts de valeur, de nature financière ou non, entre les parties. Il peut impliquer, notamment, des transferts de valeur allant du titulaire du brevet vers la société de génériques.

169    Il existe ainsi un risque que l’association d’un accord commercial à un accord de règlement amiable comportant des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, lesquelles ont, par elles-mêmes, un caractère restrictif de concurrence (voir point 136 ci-dessus), vise, en réalité, sous couvert d’une transaction commerciale, prenant la forme, le cas échéant, d’un montage contractuel complexe, à inciter la société de génériques à se soumettre, au moyen d’un transfert de valeur prévu par l’accord accessoire, à ces clauses.

170    Par conséquent, la circonstance qu’un accord commercial qui n’a normalement pas pour objet le règlement amiable d’un litige (voir point 167 ci-dessus) et par lequel transite un transfert de valeur allant de la société de princeps vers la société de génériques soit, dans les conditions exposées au point 165 ci-dessus, associé à un accord de règlement amiable d’un litige comportant des clauses restrictives de concurrence constitue un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé (voir point 143 ci-dessus).

171    Cependant, l’indice sérieux mentionné au point 170 ci-dessus n’est pas suffisant et la Commission doit donc le conforter en apportant d’autres éléments concordants permettant de conclure à l’existence d’un paiement inversé. Un tel paiement, dans le contexte spécifique des accords accessoires, correspond à la partie du paiement opéré par la société de princeps qui excède la valeur « normale » du bien échangé (ou, le cas échéant, à la partie de la valeur « normale » du bien échangé qui excède le paiement versé par la société de génériques).

172    Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission a indiqué, à plusieurs reprises, dans la décision attaquée, que certains accords accessoires conclus par Servier avec des sociétés de génériques n’avaient pas été négociés « à des conditions de marché » ou n’avaient pas été conclus « dans des conditions commerciales de pleine concurrence » (considérants 1351, 1950 et 1952).

173    Il y a lieu de relever que la notion de « conditions de concurrence normales », à laquelle s’apparente celle de « conditions normales du marché », même si elle n’est pas utilisée en matière d’entente, n’est pas inconnue en droit de la concurrence, puisqu’elle est utilisée, certes dans le domaine particulier des aides d’État, aux fins de déterminer si un État s’est comporté comme un investisseur privé (arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 68), c’est-à-dire si l’avantage octroyé aux entreprises en cause constitue la rémunération normale d’une contrepartie obtenue par l’État.Cette notion peut donc constituer, par analogie, un paramètre de référence pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer si deux entreprises qui ont conclu une transaction commerciale l’ont fait sur la base de considérations limitées à la valeur économique du bien échangé, c’est-à-dire, par exemple, à ses perspectives de rentabilité, et, donc, aux conditions normales du marché.

174    En présence d’indices ou d’éléments de preuve avancés par la Commission permettant à celle-ci de considérer que l’accord accessoire n’a pas été conclu à des conditions normales de marché, les parties aux accords peuvent présenter leur version des faits, en étayant leurs allégations par les éléments qu’elles sont en mesure de fournir et qui permettent de considérer que l’accord commercial, bien qu’associé à l’accord de règlement amiable, est justifié par d’autres raisons que l’exclusion d’un concurrent au moyen d’un paiement inversé. Les parties aux accords peuvent ainsi faire valoir que l’accord accessoire a été conclu aux conditions du marché en mettant en avant des éléments appropriés tirés par exemple des usages industriels et commerciaux du secteur ou des circonstances particulières du cas d’espèce.

175    Au vu de l’ensemble des éléments dont elle dispose et, le cas échéant, de l’absence d’explication ou de l’absence d’explication plausible apportée par les parties aux accords en cause, la Commission peut être fondée à constater, au terme d’une appréciation globale, que l’accord accessoire n’a pas été conclu à des conditions normales de marché, c’est-à-dire que le paiement opéré par la société de princeps excède la valeur du bien échangé (ou que la valeur du bien cédé à la société de génériques excède le paiement versé par celle-ci). La Commission peut alors conclure qu’il existe un paiement inversé (voir point 171 ci-dessus).

176    Or, un paiement inversé, s’il n’a pas pour objet de compenser des coûts inhérents au règlement amiable, est alors constitutif d’un avantage incitatif (voir point 144 ci-dessus). Tel est le cas d’un paiement résultant d’un accord accessoire qui n’a pas pour objet le règlement amiable d’un litige mais la réalisation d’une transaction commerciale (voir point 167 ci-dessus).

177    Cependant, les parties aux accords peuvent encore invoquer le caractère insignifiant de l’avantage en cause, dont le montant serait insuffisant pour qu’il soit regardé comme correspondant à une incitation significative à accepter les clauses restrictives de concurrence prévues par l’accord de règlement (voir point 153 ci-dessus).

178    Il convient encore de relever que, parmi les accords accessoires, l’accord de licence présente des spécificités qui impliquent une analyse particulière des conditions dans lesquelles un tel accord peut constituer une incitation conduisant au constat d’une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101 TFUE.

f)      Sur les accords de licence

179    Par exception aux considérations relatives aux accords accessoires développées aux points 164 à 170 ci-dessus, l’association d’un accord commercial usuel à un accord de règlement amiable comportant des clauses de non-commercialisation et de non-contestation ne constitue plus un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé lorsque l’accord commercial en cause est un accord de licence portant sur le brevet en litige.

180    Une telle exception s’explique par le fait que, s’il est vrai qu’un accord de licence relatif à un brevet n’a pas pour objet le règlement amiable d’un litige, mais l’octroi d’une autorisation de faire usage de ce brevet, il peut néanmoins être justifié, contrairement à ce qu’il en est s’agissant des autres accords commerciaux (voir point 167 ci-dessus), d’associer cet accord de licence à un accord de règlement amiable concernant un litige relatif au brevet qui fait l’objet de la licence.

181    En effet, un litige en matière de brevet a, en principe, pour origine le souhait de la société de génériques d’entrer sur le marché auquel s’oppose le souhait du titulaire du brevet de préserver les droits qu’il tire de ce brevet. Le fait d’autoriser une telle entrée par l’adoption d’un accord de licence apparaît alors comme un moyen particulièrement approprié de mettre fin au litige, dès lors que cela permet de faire droit aux prétentions des deux parties à ce litige.

182    Il est d’ailleurs admis que le recours à un accord de licence constitue un moyen approprié de mettre fin à un litige. Cela ressort du paragraphe 204 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, selon lequel la « concession de licences peut servir d’instrument de règlement des litiges ». Ce paragraphe est repris au paragraphe 205 des lignes directrices de 2014 sur les accords de transfert de technologie.

183    Il est d’autant plus justifié d’associer un accord de licence à un accord de règlement amiable que la présence, dans un accord de règlement amiable, de clauses de non-commercialisation et de non-contestation n’est légitime que lorsque cet accord se fonde sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet (voir points 137 à 140 ci-dessus). Or, la passation d’un accord de licence, laquelle n’a de raison d’être pour tout preneur qu’à la condition que la licence soit effectivement exploitée, se fonde également sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet. Dans cette mesure, l’accord de licence conforte donc la légitimité de l’accord de règlement amiable, ce qui justifie pleinement qu’il lui soit associé.

184    Étant donné qu’il apparaît justifié d’associer à un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet un accord de licence portant sur ce même brevet, une telle association, contrairement à ce qu’il en est pour les autres accords accessoires, ne constitue pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé (au sens de cette expression en matière d’accords accessoires, voir point 171 ci-dessus).

185    Il appartient donc à la Commission de se fonder sur d’autres indices que la simple association de l’accord de licence et de l’accord de règlement amiable aux fins d’établir que l’accord de licence n’a pas été conclu aux conditions normales de marché et qu’il masque en réalité un paiement inversé incitant la société de génériques à accepter de se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation (voir points 170 à 175 ci-dessus).

186    Il y a lieu de relever que le constat de l’existence d’un paiement inversé est d’autant moins évident s’agissant d’un accord de licence qu’un tel accord ne donne pas lieu à un transfert financier de la société de princeps vers la société de génériques, mais de la société de génériques vers la société de princeps. Ainsi, en matière d’accord de licence, le preneur verse une redevance au titulaire du brevet.

187    Cependant, il existe un transfert de valeur de la société de princeps vers la société de génériques, dès lors que la redevance versée au titulaire du brevet constitue la contrepartie du bénéfice que la société de génériques tire de l’accord de licence, à savoir l’autorisation de faire usage du brevet pour entrer sans risque sur le marché.

188    Il appartient donc à la Commission de démontrer que cette contrepartie est anormalement basse, c’est-à-dire dans une mesure telle qu’elle ne saurait s’expliquer par des considérations limitées à la valeur économique du bien objet du contrat (voir point 173 ci-dessus), et que l’accord de licence implique ainsi un paiement inversé au profit de la société de génériques.

189    L’absence de conclusion de la transaction en cause aux conditions normales de marché doit ressortir avec d’autant plus d’évidence pour établir un degré de nocivité suffisant aux fins de qualifier l’accord de règlement amiable de restriction de concurrence par objet que le caractère restrictif de concurrence des clauses de non-commercialisation et de non-contestation qu’il comporte est atténué par l’accord de licence.

190    En effet, la clause de non-commercialisation est privée, en partie au moins, de ses effets. L’accord de licence va même au-delà d’une simple neutralisation partielle des effets de cette clause, dès lors qu’il favorise l’entrée du médicament générique sur le marché en supprimant le risque contentieux lié au brevet.

191    Quant à la clause de non-contestation, si ses effets restrictifs persistent, ils sont limités par le fait que la licence permet une entrée sur le marché sans risque contentieux. Or, s’il est essentiel pour la société de génériques de pouvoir contester la validité du brevet lorsqu’elle entre à risque sur le marché, tel est moins le cas lorsqu’elle est autorisée par la société de princeps à entrer sur ce marché grâce à un accord de licence.

192    À ce stade de l’analyse, il y a lieu de rappeler que, dans le contexte des accords de règlement amiable de litiges relatifs à des brevets, la qualification de restriction de concurrence par objet suppose la présence, au sein de l’accord de règlement amiable, à la fois d’un avantage incitatif à l’égard de la société de génériques et d’une limitation corrélative des efforts de celle-ci à faire concurrence à la société de princeps (voir point 151 ci-dessus). Or, il résulte des développements qui précèdent que, en présence d’un accord de licence, ces deux éléments sont atténués, voire absents, de sorte qu’un degré suffisant de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 49 et 50 et jurisprudence citée) ne peut aisément être constaté.

193    Il convient d’ajouter que l’exception mentionnée au point 179 ci-dessus n’est contraire ni au fait que l’association d’un accord de licence et d’une clause de non-contestation fait partie des restrictions exclues de l’exemption prévue à l’article 2 du règlement no 772/2004, ni à la jurisprudence de la Cour, telle qu’initiée dans l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75, points 89 et 92), et précisée dans l’arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke (65/86, EU:C:1988:448).

194    En effet, premièrement, selon l’article 5 du règlement no 772/2004, l’association d’un accord de licence et d’une clause de non-contestation fait partie des restrictions exclues de l’exemption prévue à l’article 2 de ce même règlement. Cependant, cette exemption comme cette exclusion ne s’appliquent, aux termes des articles 2 et 5 dudit règlement, que dans la mesure où les accords en cause contiennent des restrictions de concurrence tombant sous le coup de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Par suite, le fait que l’association d’un accord de licence et d’une clause de non-contestation fasse partie des restrictions exclues de l’exemption prévue à l’article 2 du règlement no 772/2004 ne permet pas de conclure qu’une telle association constitue, en toute hypothèse, une restriction de concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et, en particulier, une restriction par objet.

195    À cet égard, la Cour a jugé que, si l’octroi du bénéfice de l’article 101, paragraphe 3, TFUE à un accord déterminé suppose la reconnaissance préalable que cet accord tombe sous l’interdiction instituée par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la possibilité prévue au paragraphe 3 d’octroyer ce même bénéfice par catégories ne saurait impliquer qu’un accord déterminé relevant de ces catégories réunirait nécessairement de ce fait les conditions du paragraphe 1. Ainsi, l’octroi d’une exemption par catégories ne saurait comporter quelque préjugé que ce soit, fût-ce implicitement, à l’encontre d’aucun accord individuellement considéré (arrêt du 13 juillet 1966, Italie/Conseil et Commission, 32/65, EU:C:1966:42, p. 590).

196    Deuxièmement, la Cour a certes jugé qu’une clause d’un accord de licence imposant de ne pas contester la validité du brevet était incompatible avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Elle a ajouté qu’une telle clause ne relevait manifestement pas de l’objet spécifique du brevet, qui ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité d’un brevet, compte tenu de ce qu’il est de l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, EU:C:1986:75, points 89 et 92).

197    Cependant, dans un arrêt adopté deux ans plus tard, dans une affaire concernant un accord de règlement amiable d’un litige, la Cour a nuancé la position qu’elle avait retenue dans l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75), en jugeant seulement cette fois qu’une clause de non-contestation pouvait avoir, eu égard au contexte juridique et économique, un caractère restrictif de concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, EU:C:1988:448, point 16). Si elle a par ailleurs écarté, dans ce même arrêt, la proposition de la Commission selon laquelle l’insertion d’une clause de non-contestation ne relevait plus de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE lorsque l’accord en cause visait à mettre fin à un litige pendant devant une juridiction, elle n’a pas pour autant conclu que tout accord de règlement amiable comportant une telle clause relevait de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

198    Il est vrai que les preneurs, dans le cadre d’un accord de licence, sont, ainsi qu’il ressort du point 112 des lignes directrices de 2004 sur les accords de transfert de technologie, « normalement les mieux placés pour déterminer si un droit de propriété intellectuelle est valable ou non » et donc pour le contester. C’est ce motif qui justifie que l’association d’un accord de licence et d’une clause de non-contestation soit, en principe, prohibée (conclusions de l’avocat général Darmon dans l’affaire Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, EU:C:1987:336, point 8). Cependant, lorsqu’un accord de licence est conclu dans le cadre du règlement amiable d’un véritable litige opposant les parties concernées en justice, le preneur a déjà eu l’opportunité de contester la validité du brevet en cause et si, en définitive, il accepte, sans y être incité, de se soumettre à une clause de non-contestation (ainsi qu’à une clause de non-commercialisation), c’est qu’il estime que le brevet est valide. Dans ce contexte particulier d’un règlement amiable aux termes duquel les parties s’accordent finalement pour reconnaître que le brevet est valide, le motif qui justifie que l’association d’un accord de licence et d’une clause de non-contestation soit prohibée n’apparaît alors plus pertinent, sous réserve que l’accord de règlement amiable soit fondé sur la reconnaissance par les parties à l’accord de la validité du brevet en cause et non sur une incitation du preneur à se soumettre à la clause de non-contestation (ainsi qu’à la clause de non-commercialisation).

199    Il résulte de ce qui précède que, en présence d’un véritable litige opposant les parties concernées en justice et d’un accord de licence qui apparaît en lien direct avec le règlement amiable de ce litige, l’association de cet accord à l’accord de règlement amiable ne constitue pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé. Dans une telle hypothèse, c’est donc sur la base d’autres indices que la Commission peut démontrer que l’accord de licence ne constitue pas une transaction conclue aux conditions normales de marché et masque ainsi un paiement inversé (au sens de cette expression en matière d’accords accessoires, voir point 171 ci-dessus).

200    C’est au regard des considérations qui précèdent qu’il convient de déterminer si la Commission a pu, en l’espèce, conclure à bon droit qu’une qualification de restriction par objet pouvait s’appliquer aux accords de règlement amiable et de licence conclus entre Servier et Krka.

g)      Sur les faits de l’espèce

201    Il y a lieu, dans un premier temps, d’examiner s’il existait de véritables litiges et si l’accord de licence apparaissait avoir un lien suffisamment direct avec le règlement amiable de ces litiges pour que son association à l’accord de règlement amiable soit justifiée.

202    À cet égard, premièrement, il convient de relever qu’il existait de véritables litiges en cours entre Servier et Krka au moment de la signature de l’accord et qu’il a été mis fin à ces litiges à la suite de l’accord de règlement amiable, qui prévoit, en son article I, sous i) et ii), que l’une et l’autre des parties doivent se retirer des instances en cours les opposant.

203    En effet, dix sociétés de génériques, dont Krka, avaient formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB en 2004, en vue d’obtenir sa révocation dans sa totalité, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive et de l’exposé insuffisant de l’invention. Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité de ce brevet à la suite de légères modifications des revendications initiales de Servier. Sept sociétés ont ensuite formé un recours contre la décision de l’OEB du 27 juillet 2006. Krka s’est retirée de la procédure d’opposition le 11 janvier 2007, conformément à l’accord de règlement amiable intervenu avec Servier.

204    De même, Servier avait saisi le 28 juillet 2006 au Royaume-Uni la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon du brevet 340 à l’encontre de Krka. Le 2 août 2006, il avait également introduit une action en contrefaçon du brevet 947 contre Krka ainsi qu’une demande d’injonction provisoire. Le 1er septembre 2006, Krka avait introduit une demande reconventionnelle en annulation du brevet 947 et, le 8 septembre 2006, une autre demande reconventionnelle en annulation du brevet 340. Le 3 octobre 2006, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et a rejeté la demande introduite par Krka le 1er septembre 2006. Le 1er décembre 2006, l’instance en cours s’est éteinte conformément à l’accord de règlement amiable intervenu entre les parties et l’injonction provisoire a été levée.

205    Deuxièmement, tant l’accord de règlement amiable que l’accord de licence étaient en lien avec les litiges en cause. L’accord de règlement amiable et, en particulier, les clauses de non-commercialisation et de non-contestation qu’il comportait se limitaient en effet au champ d’application des brevets ayant fait l’objet des litiges opposant Servier et Krka. Quant à l’accord de licence, il portait sur le brevet 947 et avait donc également un lien direct avec ces litiges.

206    Troisièmement, il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence, des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide (voir points 203 et 204 ci-dessus).

207    Quatrièmement, s’il y avait déjà eu entre Servier et Krka des contacts préalables à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 (voir, notamment, considérant 837 de la décision attaquée), ceux-ci n’avaient pas abouti à un accord (considérants 856 à 859 de la décision attaquée) et ce n’est qu’après cette décision que de nouvelles négociations ont débuté (considérant 898 de la décision attaquée). La décision de l’OEB du 27 juillet 2006 confirmant la validité du brevet 947 a donc été, pour le moins, un des éléments déclencheurs aboutissant aux accords de règlement amiable et de licence.

208    Ainsi, eu égard à la portée des clauses de l’accord de règlement amiable et de l’accord de licence ainsi qu’au contexte dans lequel ces accords ont été passés, il y a lieu de constater que l’association de ces deux accords était justifiée et ne constitue donc pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé de Servier vers Krka auquel donnerait lieu l’accord de licence (voir point 184 ci-dessus).

209    Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner, dans un second temps, si, en l’espèce, la Commission est parvenue à établir, en se fondant sur d’autres indices ou éléments de preuve que la simple association de l’accord de licence et de l’accord de règlement amiable, que l’accord de licence n’avait pas été conclu aux conditions normales de marché (voir point 185 ci-dessus).

210    À cet égard, il convient de relever qu’il est constant que, contrairement à ce qu’il en est pour les autres accords ayant fait l’objet de la décision attaquée, ni l’accord de règlement amiable ni l’accord de licence n’ont donné lieu à un transfert financier allant de Servier à Krka.

211    L’accord de licence prévoyait même que Krka verserait à Servier une redevance de 3 % du montant net de ses ventes.

212    Certes, la redevance constitue la contrepartie du bénéfice que la société de génériques tire de l’accord de licence, à savoir l’autorisation de faire usage du brevet pour entrer sans risque sur le marché. Cependant, il appartenait à la Commission de démontrer que cette contrepartie était anormalement basse et que l’accord de licence générait ainsi un paiement inversé au profit de Krka.

213    Or, si la Commission a produit dans la décision attaquée un certain nombre d’indices permettant de conclure que l’accord de licence était favorable aux intérêts commerciaux de Krka (voir considérants 1738 à 1744 et, en particulier, considérant 1739), elle n’a pas pour autant démontré que le taux de 3 % retenu pour la redevance aurait été anormalement bas, c’est-à-dire dans une mesure telle qu’elle ne saurait s’expliquer par des considérations limitées à la valeur économique du brevet objet de la licence (voir point 188 ci-dessus).

214    S’agissant de la circonstance, alléguée par la Commission, que le taux de redevance était très inférieur au résultat d’exploitation de Servier pour l’année 2007 en République tchèque, en Hongrie et en Pologne, il n’est pas nécessairement anormal que le taux d’un excédent d’exploitation, qui représente les profits bruts tirés d’une activité, dépasse largement le taux de redevance d’un accord de licence, qui ne représente que le coût du droit d’usage d’un brevet.

215    Le même motif permet également d’écarter l’argument de la Commission selon lequel la redevance aurait représenté une faible part des marges de profit de Krka. A fortiori, s’agissant de la société de génériques, celle-ci n’aurait aucun intérêt à conclure un accord de licence si le montant de la redevance ne lui permettait pas de dégager une marge suffisamment importante de profits.

216    Enfin, il n’apparaît pas anormal que le taux de redevance d’un brevet utilisé par Krka soit calculé sur la base du prix de vente du produit de Krka et non sur la base du prix de vente du produit de Servier.

217    Tous ces éléments, même pris dans leur ensemble, permettent, tout au plus, de démontrer le caractère favorable à ses intérêts commerciaux du prix de la licence octroyée à Krka, mais ne suffisent pas pour établir que la transaction en cause n’aurait pas été conclue aux conditions normales du marché, et ce d’autant plus que l’accord de licence prévoyait que Servier pourrait continuer à commercialiser son produit dans les sept États membres où s’appliquait la licence soit directement, soit par l’intermédiaire d’une de ses sociétés affiliées ou soit, encore, par l’intermédiaire d’une seule tierce partie par État. La licence octroyée n’était donc pas exclusive, ce qui limitait son caractère avantageux pour Krka, dans la mesure où il existait un risque que Krka voie son produit se trouver en concurrence avec un autre produit générique, que celui-ci soit commercialisé ou produit par Servier ou par un tiers.

218    Au demeurant, il convient d’ajouter que, dans l’arrêt de ce jour, Servier e.a./Commission (T‑691/14, point 1072), il est précisé que, lors de l’audience dans cette affaire, la Commission a elle-même indiqué qu’elle ne contestait pas que la redevance était conforme aux pratiques du marché.Relevant, certes à titre subsidiaire, dans la décision attaquée que « plutôt que le faible niveau des redevances c’est le fait qu’une licence unique ait été accordée contre un engagement à ne pas entrer ou contester les brevets de Servier sur un certain nombre d’autres marchés restreints qui est central pour l’analyse » (note en bas de page no 2354), la Commission montrait déjà qu’elle n’accordait, à tort, qu’une importance secondaire à la circonstance que la transaction ait pu être conclue aux conditions normales de marché.

219    Il résulte des considérations exposées aux points 213 à 217 ci-dessus que la Commission n’a pas établi que le taux de redevance de 3 % prévu dans l’accord de licence aurait été anormalement bas, c’est-à-dire dans une mesure telle qu’elle ne saurait s’expliquer par des considérations limitées à la valeur économique du brevet objet de la licence. La Commission n’a donc pas établi que l’accord de licence ne constituerait pas une transaction conclue aux conditions normales de marché.

220    Par conséquent, la Commission n’a pas établi l’existence même d’un paiement inversé résultant de l’octroi d’une licence à un prix anormalement bas (voir point 173 ci-dessus) et qui, n’ayant pas pour objet de compenser des coûts inhérents au règlement amiable d’un litige (voir point 176 ci-dessus), serait constitutif d’une incitation.

221    Il s’ensuit que la Commission ne pouvait à bon droit constater en l’espèce l’existence d’une restriction de concurrence présentant un caractère suffisamment nocif pour qu’elle puisse être qualifiée de restriction par objet.

222    La conclusion qui précède ne saurait être infirmée par les autres éléments retenus par la Commission dans la décision attaquée.

223    Premièrement, à supposer même que l’accord de licence ait été incitatif au motif qu’il aurait permis, dans les sept États membres – c’est-à-dire dans une partie du marché pour laquelle la Commission n’a pas constaté l’existence d’une infraction –, l’instauration d’un duopole avantageux entre Servier et Krka, comme l’indique la Commission dans la décision attaquée (voir, notamment, considérants 1728, 1734 et 1742), un tel duopole ne résultait pas de cet accord lui-même, mais de choix opérés par Servier et Krka postérieurement à celui-ci, à savoir, s’agissant de Servier, le choix de ne pas accorder de licence à une autre société de génériques ou de ne pas commercialiser lui-même une version générique à bas prix de son propre périndopril (considérant 1727 de la décision attaquée) et, s’agissant de Krka, le choix de ne pas engager une politique agressive basée sur les prix (considérant 1744 de la décision attaquée).

224    Or, la restriction par objet constatée par la Commission, en particulier l’incitation qui constitue l’une des conditions de cette restriction (voir point 151 ci-dessus), concerne les accords de règlement amiable et de licence conclus entre Servier et Krka, et non des pratiques postérieures à ces accords et non déterminées par eux.

225    À supposer que le duopole en cause puisse être regardé comme une mise en œuvre des accords de règlement amiable et de licence, il y aurait lieu de rappeler que la Commission et le juge de l’Union ne peuvent, lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord et, en particulier, dans le cadre de la prise en compte de son contexte économique et juridique, ignorer complètement les effets potentiels de cet accord (conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire ING Pensii, C‑172/14, EU:C:2015:272, point 84). Toutefois, il ressort également de la jurisprudence que l’établissement de l’existence d’une restriction de concurrence par objet ne saurait, sous couvert notamment de l’examen du contexte économique et juridique de l’accord en cause, conduire à apprécier les effets de cet accord (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 72 à 82), sous peine de faire perdre son effet utile à la distinction entre objet et effet restrictif de concurrence établie à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Aux fins de vérifier l’aptitude particulière d’un accord à produire des effets restrictifs de concurrence caractérisant les accords ayant un objet anticoncurrentiel, l’analyse des effets potentiels d’un accord doit ainsi être limitée à ceux résultant de données objectivement prévisibles à la date de conclusion dudit accord (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, points 80 à 82, et conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire ING Pensii, C‑172/14, EU:C:2015:272, point 84).

226    Or, en l’espèce, les prétendus effets potentiels en cause, c’est-à-dire le duopole allégué par la Commission, sont fondés sur des circonstances hypothétiques et ainsi non objectivement prévisibles à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence.

227    En tout état de cause, la Commission, se référant à des pratiques de saturation des stocks des pharmacies et à une plainte auprès des autorités polonaises alléguant l’existence d’une concurrence déloyale, a indiqué au considérant 1725 de la décision attaquée que « l’attitude de Servier envers Krka dans les sept marchés sous licence pouvait difficilement être décrite comme une attitude de coopération ». De plus, ainsi qu’il résulte du considérant 1728 de la décision attaquée, le duopole décrit par la Commission entre Servier et Krka n’excluait pas un certain degré de concurrence entre ces entreprises.

228    Deuxièmement, selon la Commission, l’accord de licence était, en l’espèce, incitatif, car il permettait une entrée sans risque de Krka sur certains marchés en échange de son exclusion d’autres marchés. Dans une telle perspective, lorsque le champ d’application des clauses de non-commercialisation ou de non-contestation est plus large que celui de l’accord de licence et qu’il existe ainsi, entre ces deux accords, un décalage ou une « asymétrie », selon le terme utilisé par la Commission aux considérants 1706 et 1736 de la décision attaquée, il serait alors possible de conclure à l’existence d’une incitation, l’accord de licence, en permettant une entrée sans risque de la société de génériques sur certaines parties du marché, ayant en réalité pour objet d’inciter cette société à accepter de se retirer des autres parties du marché, au bénéfice de la société de princeps.

229    Une telle argumentation ne peut être accueillie.

230    En effet, tout d’abord, l’approche proposée par la Commission, selon laquelle la seule conclusion, même aux conditions normales du marché, d’un accord de licence associé à un accord de règlement amiable contenant des clauses restrictives pourrait constituer une incitation, conduirait à une solution paradoxale, car, dans ce cas, plus le champ d’application d’un accord de licence serait large, plus l’incitation serait importante et donc plus il serait aisé de conclure à l’existence d’une restriction par objet, à moins que l’accord de licence ait un champ d’application exactement identique à celui de l’accord de règlement amiable.

231    Or, plus le champ d’application d’un accord de licence est large, en particulier relativement au champ d’application de l’accord de règlement amiable auquel il est associé, plus cet accord est favorable à la concurrence eu égard aux effets proconcurrentiels de la licence, laquelle encourage l’entrée d’une société de génériques sur le marché et limite le caractère restrictif de concurrence des clauses de non-commercialisation et de non-contestation incluses dans l’accord de règlement amiable (voir points 190 et 191 ci-dessus).

232    À cet égard, il peut être relevé que, dans ses conclusions dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, point 55), l’avocat général Wahl a indiqué que l’approche formaliste conduisant à identifier une restriction par objet ne pouvait se concevoir qu’en présence de comportements pour lesquels il pouvait être conclu que leurs effets défavorables à la concurrence l’emportaient sur les effets proconcurrentiels.

233    De plus, la thèse de la Commission, laquelle conduit à imposer au titulaire du brevet la passation d’un accord de licence couvrant tout le territoire sur lequel s’appliquent les clauses restrictives de l’accord de règlement amiable, n’est pas respectueuse des droits de propriété intellectuelle du titulaire du brevet et, en particulier, de la marge d’appréciation dont il dispose en matière d’octroi de licence (voir, pour une hypothèse dans laquelle le propriétaire du brevet se trouve en position dominante, arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 331). Cette thèse n’est pas non plus respectueuse de la marge d’appréciation dont doivent disposer les parties à un litige aux fins de le régler à l’amiable de bonne foi.

234    Par ailleurs, la conclusion d’un accord de licence « asymétrique » ne constitue pas nécessairement, pour une société de génériques qui ne reconnaît pas la validité du brevet en cause, un avantage suffisant pour qu’elle se soumette aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation. Pour que l’avantage résultant de la conclusion d’un tel accord puisse être regardé comme incitatif, il devrait offrir à cette société une compensation de la perte certaine des profits escomptés, résultant de l’acceptation d’un règlement amiable comportant des clauses qui lui interdisent l’entrée sur certaines parties géographiques du marché. En effet, pour une société qui ne croit pas sérieusement à la validité du brevet et qui est en mesure d’entrer sur l’ensemble du marché couvert par les clauses de non-commercialisation et de non-contestation, une licence dont la portée géographique est plus limitée que le champ d’application desdites clauses ne constitue pas une solution économiquement satisfaisante qui pourrait la conduire à accepter de s’y soumettre. Certes, la licence ouvre partiellement à ladite société le marché couvert par le brevet en lui offrant la possibilité d’obtenir, sur cette partie du marché, les profits envisagés, mais, dès lors qu’il n’est pas établi que le taux de la redevance de cette licence, pour ladite partie du marché, serait anormalement bas, ladite licence ne donne à cette société aucune compensation pour ce qui concerne les autres parties du marché, sur lesquelles elle pourrait obtenir un profit en cas d’annulation du brevet, dont l’accès lui est désormais interdit.

235    En l’espèce, les bénéfices espérés par Krka dans les 18 à 20 marchés pour lesquels l’accord de licence ne s’appliquait pas étaient loin d’être négligeables. En effet, la Commission indique dans la décision attaquée que les bénéfices des marchés d’Europe occidentale correspondaient approximativement à ceux des trois plus importants des sept marchés (note en bas de page no 2348). S’il convient de tenir compte du fait que la licence supprime tout risque de poursuite en contrefaçon et que les profits que Krka pouvait obtenir grâce à l’accord de licence étaient ainsi plus assurés, l’importance qu’elle pouvait accorder à un tel risque dépendait largement de son degré de conviction quant à la validité du brevet. Le fait que Krka reconnaissait la validité du brevet 947 a donc été un élément déterminant dans l’adoption de la décision qui l’a ainsi conduite à privilégier une entrée limitée aux sept marchés, mais protégée par la licence, par rapport à une entrée élargie à l’ensemble des marchés des États membres, mais soumise à un risque important de contrefaçon en raison de la force dudit brevet aux yeux de Krka.

236    Troisièmement, s’agissant des autres éléments censés établir le caractère incitatif de l’accord de licence pour Krka, il convient de relever tout d’abord que le fait que cette dernière ait estimé le coût d’opportunité de la décision de ne pas conclure d’accord à plus de dix millions d’euros de « profits perdus » en trois ans (considérant 1738 de la décision attaquée) constitue plutôt un indice supplémentaire du fait qu’elle considérait que le brevet 947 était valide. En effet, les profits en cause correspondraient à ceux envisagés pour une entrée ou un maintien sur les sept marchés. Ainsi, Krka semblait considérer que, en l’absence d’un accord avec Servier, une entrée à risque sur ces marchés ou un maintien étaient peu probables, voire étaient exclus, ce qui confirme le fait qu’elle reconnaissait la validité du brevet 947.

237    Ensuite, s’il ressort du considérant 1740 de la décision attaquée, lequel renvoie au considérant 913 de celle-ci, que les 18 à 20 marchés « revêtaient traditionnellement une importance moindre aux yeux de Krka », les profits escomptés sur ces marchés étaient loin d’être négligeables (voir point 235 ci-dessus).

238    Ainsi, les éléments exposés aux points 236 et 237 ci-dessus ne permettent pas d’établir le caractère incitatif de l’accord de licence pour Krka.

239    Quatrièmement, en ce qui concerne le constat fait par la Commission dans la décision attaquée selon lequel les accords de règlement amiable et de licence auraient été constitutifs d’un partage de marché entre Servier et Krka (voir intitulé du point 5.5.3 de la décision attaquée ainsi que, notamment, considérant 1745 de celle-ci), celui-ci n’est pas fondé.

240    En effet, s’agissant des sept marchés couverts par l’accord de licence, si la Commission ne retient pas l’existence d’une infraction pour cette partie du marché intérieur, elle prend cependant en compte les comportements de Servier et de Krka sur ces sept marchés, notamment la passation de l’accord de licence, qualifié d’incitatif par la Commission, pour établir l’existence d’un partage de marché qui repose sur une distinction entre les 18 à 20 États membres, d’une part, et les sept États membres, d’autre part.

241    Or, Servier n’était pas exclu des marchés des sept États membres où Krka et lui se faisaient concurrence (voir point 227 ci-dessus).

242    Ainsi, il n’existait pas une partie du marché qui, en vertu des accords de règlement amiable et de licence, aurait été réservée à Krka. Il ne peut donc être conclu à l’existence d’un partage de marché, au sens d’une répartition étanche entre les parties aux accords, concernant cette partie du marché intérieur.

243    Par ailleurs, il convient de relever que, dans ces sept États membres, l’accord de licence a contribué à l’entrée ou au maintien sur le marché d’une société de génériques concurrente de la société de princeps. Il a donc eu un effet favorable sur la concurrence par rapport à la situation antérieure qui était celle dans laquelle la société de génériques ne pouvait se maintenir ou entrer sur le marché qu’à risque, et ce d’autant que le principal brevet en cause, le brevet 947, venait de voir sa validité confirmée par les autorités compétentes (voir point 206 ci-dessus) et qu’il existait un risque perçu comme important par Krka que son produit soit contrefaisant.

244    Il y a lieu d’ajouter que la circonstance que, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence, les équivalents nationaux du brevet 947 n’avaient pas encore été accordés à Servier dans certains des sept marchés, alors que Krka commercialisait déjà son produit (considérant 1755 de la décision attaquée), ne permet pas de conclure à l’absence d’effet favorable sur la concurrence de l’accord de licence. En effet, s’il est vrai que Krka aurait déjà pu entrer sur ces marchés avant l’accord de licence sans voir peser sur elle la menace immédiate d’un risque de recours en contrefaçon et si, par conséquent, la licence n’a pas joué un rôle déterminant concernant cette entrée sur les marchés en cause, cette licence a néanmoins permis à Krka de s’y maintenir sans avoir à supporter le risque de devoir faire face à un tel recours.

245    L’effet favorable sur la concurrence de l’accord de licence constaté aux points 243 et 244 ci-dessus conforte le constat d’une absence de partage de marché pour ce qui concerne les sept États membres.

246    L’effet favorable sur la concurrence de l’accord de licence est encore confirmé par un extrait de la réponse de Krka à une demande de renseignement qui figure au considérant 913 de la décision attaquée. Il ressort de cet extrait notamment ce qui suit :

« L’obtention d’une licence et le retrait des oppositions étaient considérés comme la meilleure option pour Krka à ce moment-là – pouvoir vendre immédiatement du périndopril sur les principaux marchés de Krka en Europe centrale et orientale, à savoir dès 2006.

Selon tous les autres scénarios, un lancement ne pouvait avoir lieu avant au moins deux années à compter de juillet 2006, et même après une telle période, un lancement n’était pas garanti (risque que le brevet 947 soit maintenu, risques de développement de la forme non-alpha). »

247    L’extrait cité au point 246 ci-dessus conforte la constatation selon laquelle Krka considérait tout maintien ou toute entrée immédiate dans les sept États membres comme étant, en l’absence d’accord de licence, impossible à cause du brevet 947 (voir points 235 et 236 ci-dessus).

248    S’agissant des 18 à 20 marchés, c’est-à-dire de la seule partie du marché pour laquelle la Commission a constaté l’existence d’une infraction, il convient de relever que, en l’absence de démonstration de l’existence d’une incitation (voir point 220 ci-dessus), les clauses de non-commercialisation et de non-contestation doivent être regardées comme résultant d’un accord légitime de règlement amiable d’un litige en matière de brevets auquel est associé un accord de licence (voir point 199 ci-dessus). Un tel ensemble contractuel, fondé sur la reconnaissance de la validité du brevet, ne peut, dès lors, être qualifié d’accord d’exclusion du marché.

249    Il n’existait donc pas une partie du marché qui aurait été réservée, de manière illicite, à Servier.

250    Le partage de marché sur lequel la Commission a également fondé son constat de restriction par objet n’est donc pas établi.

251    Cinquièmement, la Commission n’a pas démontré que Servier ou Krka avaient eu l’intention de procéder à un accord de partage ou d’exclusion du marché ou encore que Servier avait entendu inciter Krka à renoncer à lui faire concurrence ou que Krka avait eu l’intention de renoncer, en échange d’un avantage incitatif, à exercer une pression concurrentielle sur Servier.

252    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’il est usuel que les activités que des pratiques et des accords anticoncurrentiels comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation qui y est afférente soit réduite au minimum. Il s’ensuit que, même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions (arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 51). Il convient cependant de relever que les accords en cause en l’espèce sont de véritables contrats qui ont d’ailleurs fait l’objet d’une large publicité (considérant 915 de la décision attaquée). La Commission ayant pu disposer aisément du contenu complet des accords en cause, la jurisprudence qui vient d’être citée s’applique avec moins d’évidence. Ainsi, des déductions tirées d’extraits partiels de courriels ou d’autres documents censés établir les intentions des parties ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion qui serait fondée sur le contenu même des accords, c’est-à-dire sur les liens juridiques contraignants que les parties ont décidé d’instaurer entre elles.

253    Il convient encore de souligner que, en l’espèce, des documents postérieurs à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, voire à l’injonction provisoire du 3 octobre 2006 prononcée au Royaume-Uni à l’encontre de Krka, sont les plus à même de révéler quelles pouvaient être les intentions des parties lorsqu’elles ont conclu les accords de règlement amiable et de licence. En effet, ces deux événements ont substantiellement modifié le contexte dans lequel les accords ont été conclus, en particulier en ce qui concerne la perception que Krka, mais aussi Servier, pouvaient avoir de la validité du brevet 947.

254    S’agissant de Krka, les documents sur lesquels se fonde la Commission aux fins de déterminer les intentions de cette société (voir, notamment, considérants 849 à 854 et 1758 à 1760 de la décision attaquée ainsi que les considérants auxquels ces derniers renvoient) concernent des périodes antérieures à ces deux événements.

255    Les extraits cités sont, en tout état de cause, trop fragmentaires ou ambigus pour permettre d’établir, contrairement à ce qui a été constaté à plusieurs reprises (voir, notamment, points 235, 236 et 247 ci-dessus), que Krka ne reconnaissait pas la validité du brevet 947 et, a fortiori, que, au moment de la signature des accords de règlement amiable et de licence, elle avait l’intention de conclure des accords de partage ou d’exclusion du marché.

256    S’agissant de Servier, le seul extrait de document, postérieur aux deux événements mentionnés ci-dessus, censé révéler ses intentions anticoncurrentielles et auquel il est fait référence dans la partie de la décision attaquée consacrée à ces intentions (considérants 1761 et 1762), est le suivant : « quatre ans gagnés = grand succès ».

257    Cet extrait figure dans le compte rendu d’une réunion du haut management de Servier, qui fait référence au jugement du 6 juillet 2007 de la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], selon lequel le brevet 947 était invalide en raison de l’absence de nouveauté et d’activité inventive de ce brevet par rapport au brevet 341.

258    À supposer même qu’il puisse être déduit de cet extrait que la direction de Servier avait estimé, à la suite de ce jugement, que le brevet 947 avait eu pour intérêt de lui permettre de gagner quatre années supplémentaires de protection, cela ne permet pas de conclure que, le 27 octobre 2006, au moment de la signature des accords de règlement amiable et de licence, Servier avait l’intention d’aboutir à des accords de partage ou d’exclusion du marché et, a fortiori, ne permet pas d’établir que les accords de règlement amiable et de licence étaient restrictifs de concurrence par objet.

259    Par ailleurs, l’observation faite par une autre société de génériques, selon laquelle il « semblerait que, du point de vue de Servier, la justification de ce règlement amiable soit la protection des marchés principaux dans lesquels on constate la prédominance d’un niveau élevé de substitution et/ou d’une prescription de [dénomination commune internationale] » (considérant 1730 de la décision attaquée), ne permet pas, même prise en compte avec l’ensemble des autres indices invoqués par la Commission, de conclure à l’existence d’une intention de Servier d’adopter avec Krka des accords de partage ou d’exclusion du marché.

260    Enfin, la référence que fait la Commission à plusieurs reprises dans la décision attaquée à un document intitulé « Coversyl : défense contre les génériques » n’emporte pas la conviction. En effet, ce document est antérieur à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et à l’injonction provisoire du 3 octobre 2006 prononcée au Royaume-Uni à l’encontre de Krka, ce qui limite considérablement sa pertinence (voir point 253 ci-dessus). De plus, il ressort de la décision attaquée elle-même que ce document ne décrit pas explicitement de stratégie concernant Krka, mais, tout au plus, qu’il résulte « de la nature et [de] la structure du document », ainsi que du « contexte dans lequel référence est faite à Krka », qu’une défense était « envisagée » contre elle (note en bas de page no 2386). Enfin, il ne ressort pas des extraits de ce document cités dans la décision attaquée que Servier aurait exprimé des doutes quant à la validité du brevet 947.

261    En tout état de cause, aux fins de remettre en cause la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu au point 221 ci-dessus et d’établir que les accords en cause visaient, contrairement à la conclusion à laquelle conduit l’analyse de leur contenu et du contexte dans lequel ils ont été conclus, à l’achat d’un concurrent aux fins de l’exclure du marché, il appartiendrait à la Commission, compte tenu, notamment, des considérations exposées au point 252 ci-dessus, de produire un ensemble d’indices pertinents et convergents. Or, la Commission n’a pas été en mesure de produire de tels indices.

262    Sixièmement, la circonstance que Krka a continué à contester les brevets de Servier et à commercialiser son produit alors même que la validité du brevet 947 avait été confirmée par la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 ne constitue pas un élément déterminant aux fins de conclure à l’existence d’une restriction de concurrence par objet, un tel maintien par Krka de la pression concurrentielle exercée sur Servier pouvant s’expliquer par le désir de Krka, malgré les risques contentieux qu’elle anticipait, de renforcer sa position dans les négociations qu’elle était susceptible d’engager avec Servier en vue de parvenir à un accord de règlement amiable.

263    En outre, la poursuite de la contestation du brevet de Servier ne faisait pas supporter à Krka de nouveaux risques en termes de contrefaçon. Cela augmentait seulement ses frais contentieux. Quant à la poursuite de la commercialisation de son produit, elle s’est limitée à cinq marchés d’Europe centrale et orientale, la Commission indiquant, dans la décision attaquée, que Krka avait « finalement cessé d’envisager entrer à risque au Royaume-Uni, en France et dans d’autres marchés d’Europe occidentale suite à la décision [de la division] d’opposition » (considérant 1693). De plus, dans cinq des sept marchés couverts par la licence, les équivalents du brevet 947 n’avaient pas encore été accordés (considérant 1755 de la décision attaquée). Ainsi, les risques encourus par Krka, dans certains au moins des marchés sur lesquels elle s’était maintenue, étaient limités.

264    Eu égard aux éléments exposés dans les deux points qui précèdent, la circonstance que Krka a continué à contester les brevets de Servier et à commercialiser son produit alors même que la validité du brevet 947 avait été confirmée par la division d’opposition de l’OEB ne permet pas de conclure, contrairement à ce que soutient la Commission, que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 n’a pas eu une incidence déterminante sur la perception que Krka avait du brevet 947 et, par conséquent, sur le choix qu’elle a fait ensuite d’accepter de recourir à un règlement amiable avec Servier.

265    Septièmement, si la Commission produit un certain nombre d’éléments permettant de conclure que les accords de règlement amiable et de licence avaient fait l’objet d’une négociation commerciale entre Servier et Krka, Krka cherchant à maximiser les avantages qu’elle pouvait retirer desdits accords et faisant même de l’accord de licence une condition de son acceptation des clauses de non-commercialisation et de non-contestation (voir, notamment, considérants 913 et 1746 à 1748 de la décision attaquée), ces éléments, même considérés avec l’ensemble des autres éléments dont se prévaut la Commission, ne permettent pas d’établir que l’accord de licence ne constituerait pas une transaction conclue aux conditions normales de marché, c’est-à-dire que le taux de redevance de 3 % prévu dans l’accord de licence n’aurait pas été choisi sur la base de considérations commerciales, mais aux fins d’inciter Krka à accepter de se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation contenues dans l’accord de règlement amiable.

266    De plus, il convient de rappeler que la passation d’un accord de licence, laquelle n’a de raison d’être pour tout preneur qu’à la condition que la licence soit effectivement exploitée, se fonde sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet (voir point 183 ci-dessus). Ainsi, le fait que la société de génériques cherche à obtenir l’accord de licence qui soit le plus favorable à ses intérêts commerciaux ne suffit pas pour démontrer que cette société n’aurait pas conclu l’accord en cause sur la base de sa reconnaissance de la validité du brevet.

267    Il convient encore d’ajouter qu’un accord favorable à Krka lui permettait d’entrer sur les parties du marché où elle était dans la position la plus forte et où elle pouvait commercialiser le plus rapidement son produit ou maintenir sa commercialisation, ce qui est favorable à la concurrence. Ainsi, les intérêts d’une société de génériques telle que Krka, qui cherche à obtenir auprès de la société de princeps la licence qui soit la plus favorable à ses intérêts commerciaux, convergent avec ceux du consommateur, qui verra, grâce à l’accord de licence, une société de génériques entrer rapidement sur le marché ou s’y maintenir.

268    Il résulte de tout ce qui précède que la conclusion exposée au point 221 ci-dessus doit être confirmée, les accords de règlement amiable et de licence en cause ne révélant pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour que la Commission ait pu considérer à bon droit qu’ils étaient constitutifs d’une restriction par objet. Par conséquent, le moyen invoqué est fondé.

B.      Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence de restriction de concurrence par objet s’agissant de l’accord de cession

1.      Arguments des parties

269    La requérante soutient, notamment, que la cession de ses demandes de brevets n’a pas restreint la concurrence, étant donné qu’il s’agissait de demandes relatives à la forme alpha du périndopril, laquelle ne pouvait, en tout état de cause, être commercialisée sans méconnaître le brevet 947. Par suite, on ne pouvait s’attendre à ce que des sociétés de génériques montrent un intérêt à acquérir cette technologie. Ainsi, la cession de ces demandes à Servier était, selon la requérante, la seule solution économiquement viable pour elle.

270    La requérante soutient également que l’affirmation de la Commission selon laquelle la technologie qu’elle avait cédée aurait été indispensable à toute société de génériques était trompeuse.

271    Par ailleurs, la requérante conteste les éléments sur lesquels la Commission s’est fondée pour conclure que les accords de règlement amiable, de licence et de cession faisaient partie d’une infraction unique et continue visant à restreindre la concurrence en partageant les marchés du périndopril dans l’Union : la brièveté du délai entre les signatures desdits accords, l’identité des signataires, l’objectif commun et la méthode similaire de restriction de concurrence.

272    La requérante ajoute qu’aucun lien ne peut être établi entre le versement de la somme de 30 millions d’euros prévue par l’accord de cession et l’accord de règlement amiable. Elle précise qu’il n’existait aucune garantie contractuelle concernant un tel versement dans ce dernier accord.

273    La requérante conteste l’existence d’une restriction de concurrence qui résulterait de l’accord de cession. Elle s’interroge sur le délai qu’il aurait été nécessaire de respecter avant de passer cet accord de cession. Elle rappelle qu’elle a alloué les fonds nécessaires au développement d’une forme non alpha du périndopril et qu’elle est restée un concurrent de Servier s’agissant également de la forme alpha du périndopril, en raison de l’accord de licence inclus dans l’accord de règlement amiable. Elle indique également que, lors des négociations précédant la signature de l’accord de règlement amiable, elle a tenté d’obtenir une licence ayant le champ d’application territorial le plus large possible. La requérante conclut que l’accord de cession n’a pas restreint la concurrence.

274    La requérante soutient que, en cédant à Servier des demandes de brevets, elle a simplement répondu à une offre de Servier et négocié la vente de ces demandes à ce dernier. Elle ajoute que, par la décision attaquée, la Commission est intervenue dans le domaine sensible de la propriété privée et du droit de disposer de ses biens.

275    Elle fait valoir enfin que la Commission a omis de distinguer ses allégations contre Servier fondées sur l’article 102 TFUE de l’infraction relative à l’accord de cession. La requérante relève à cet égard que la Commission ne conteste pas le droit de la requérante de disposer de son droit de propriété intellectuelle.

276    La Commission soutient que le moyen doit être écarté.

277    Elle relève, notamment, que le fait que d’autres fabricants de génériques n’ont pas approché Krka en vue d’acquérir sa technologie entre octobre 2006 et janvier 2007 ne peut pas être déterminant.

278    La Commission soutient également que l’accord de règlement amiable et l’accord de cession constituaient une infraction unique et continue, à savoir une restriction de concurrence par objet, tenant au partage de marché du périndopril dans l’Union.

2.      Appréciation du Tribunal

279    Il convient, à titre liminaire, de rappeler sur la base de quels motifs déterminants la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, pour parvenir à la conclusion selon laquelle l’accord de cession pouvait être qualifié de restriction de concurrence par objet.

280    La Commission a tout d’abord constaté, d’une part, que, dans le cadre de l’accord de cession, Krka avait cédé à Servier deux demandes de brevets, l’une relative à un procédé de synthèse du périndopril (WO 2005 113500) et l’autre à la préparation de formulations de périndopril (WO 2005 094793), d’autre part, que la technologie couverte par ces demandes de brevets était utilisée pour la production du périndopril de Krka (considérant 1770 de la décision attaquée).

281    Sur la base de ce constat, l’analyse de la Commission a visé à démontrer que l’accord de cession renforçait la position concurrentielle de Servier et de Krka qui résultait du partage de marché qu’avaient instauré, selon elle, les accords de règlement amiable et de licence (considérants 1766 et 1804 de la décision attaquée).

282    S’agissant, en premier lieu, de Servier, la Commission a relevé que le transfert de la technologie de Krka avait eu lieu dans des conditions de marché spécifiques, dans lesquelles très peu de sources alternatives de technologie d’IPA potentiellement viables et indépendantes de Servier subsistaient (considérants 1766 et 1772 de la décision attaquée). Selon la Commission, la technologie de Krka, qui permettait de satisfaire aux exigences de la pharmacopée européenne (considérants 1766, 1770 et 1793 de la décision attaquée), constituait « un élément clé pour entrer sur le marché » (considérant 1803 de la décision attaquée).

283    La Commission a indiqué ce qui suit au considérant 1772 de la décision attaquée :

« En privant Krka de la possibilité d’octroyer des licences sans restrictions ou de céder sa technologie à des tiers, c’est-à-dire à d’autres sociétés de génériques, Servier a effectivement verrouillé l’accès des tiers à une éventuelle source de concurrence sur la base de la technologie de Krka. Une telle technologie aurait, par exemple, pu servir de plateforme pour de nouvelles contestations de brevet. En combinaison avec l’accord de règlement amiable Krka, l’accord de cession et de licence a ainsi fourni à Servier une protection absolue contre toute concurrence potentielle subsistante provenant de la technologie de Krka. »

284    Ainsi, selon la Commission, en acquérant la technologie de Krka, Servier était certain que cette dernière ne pouvait plus céder une technologie qui aurait pu s’avérer utile à d’autres sociétés de génériques. La Commission en a déduit que l’accord de cession permettait à Servier de renforcer la protection dont il bénéficiait déjà du fait des clauses de non-commercialisation et de non-contestation figurant dans l’accord de règlement amiable (considérants 1805 et 1806 de la décision attaquée).

285    S’agissant, en second lieu, de Krka, la Commission a estimé non seulement que cette dernière « était consciente du fait que les acquisitions de technologie de périndopril par Servier pouvaient mener à l’éviction des concurrents génériques » (considérant 1800 de la décision attaquée), mais surtout qu’elle tirait bénéfice de la licence qui lui était rétrocédée dans le cadre de l’accord de cession.

286    En ce qui concerne ce dernier aspect, la Commission a indiqué que Krka pouvait continuer à utiliser sa technologie sur les marchés des sept États membres pour lesquels elle était en mesure de commercialiser son produit grâce à l’accord de licence (considérant 1806 de la décision attaquée). Or, selon la Commission, la technologie de Krka était utile, y compris pour Krka, aux fins de produire de l’IPA de périndopril présentant un niveau de pureté satisfaisant aux exigences de la pharmacopée européenne. Krka aurait donc vu la position favorable dont elle disposait déjà dans les sept marchés grâce à l’accord de licence être maintenue par l’accord de cession.

287    La Commission a conclu que l’accord de cession avait eu pour objet le renforcement du partage de marché mis en place par les accords de règlement amiable et de licence (considérants 1803 et 1810 de la décision attaquée).

288    La Commission a ajouté que la conclusion des accords de règlement amiable et de licence et celle de l’accord de cession faisaient partie d’une infraction unique et continue restreignant la concurrence en partageant les marchés du périndopril dans l’Union. La Commission s’est fondée à cet égard, notamment, sur le fait que ces accords poursuivaient un même objectif de partage des marchés entre Servier et Krka (considérant 1811 de la décision attaquée).

289    La Commission a achevé la partie de la décision attaquée consacrée à l’analyse de la restriction par objet relative aux différents accords conclus entre Servier et Krka en indiquant que ces accords « poursuivaient l’objectif […] de partager les marchés en évitant ou en restreignant la concurrence par les médicaments génériques entre, et envers, Krka et Servier » (considérant 1812 de la décision attaquée).

290    Il convient enfin de souligner que la Commission a considéré que l’accord de cession n’introduisait qu’une distorsion « supplémentaire », ainsi que l’indique l’intitulé du point 5.5.3.4 de la décision attaquée.

291    Il résulte des considérations qui précèdent que le constat de restriction par objet retenu par la Commission s’agissant de l’accord de cession repose sur le constat préalable de l’existence d’un partage de marché résultant des accords de règlement amiable et de licence.

292    Or, ainsi qu’il a été dit plus haut (voir point 250 ci-dessus), ce constat préalable est erroné.

293    Par conséquent, le constat de restriction par objet retenu par la Commission s’agissant de l’accord de cession ne peut qu’être invalidé à son tour.

294    Il convient d’ajouter que l’accord de cession n’est pas un accord accessoire à l’accord de règlement amiable, au sens des considérations développées aux points 164 et suivants ci-dessus.

295    En effet, cet accord de cession n’a pas été conclu le même jour que l’accord de règlement amiable, il n’existe pas de lien contractuel entre ces deux accords et la Commission n’a pas établi qu’ils étaient indissociables (voir point 165 ci-dessus).

296    La Commission a même précisé qu’il n’y avait aucun lien entre, d’une part, le versement de 30 millions d’euros par Servier à Krka dans le cadre de l’accord de cession et, d’autre part, l’accord de règlement amiable, en ce sens que ce versement n’avait pas constitué une incitation de Krka à accepter de se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation contenues dans l’accord de règlement amiable. Cela ressort, notamment, des extraits de la décision attaquée cités ci-après :

« (1678)       Deux mois plus tard, Servier a acquis de Krka des demandes de brevets portant sur des technologies concurrentes de production de périndopril pour 30 millions EUR. Krka considérait que Servier craignait que cette technologie puisse être transférée ou donnée en licence à d’autres concurrents. Si certains éléments vont dans le sens de l’existence d’un lien entre l’accord de règlement amiable et le paiement de 30 millions [d’euros] par Servier, la présente décision ne tire aucune conclusion sur ce point, et l’analyse de ces accords n’est pas basée sur l’existence d’un tel lien.

[…]

(note 2419)       Servier conteste qu’il y ait eu un lien entre le paiement pour les demandes de brevets et l’accord de règlement amiable (réponse de Servier à la communication des griefs, paragraphe 1084, ID 10114, p. 363). Comme il ressort évidemment d[u point] 5.5.3.3.3, l’évaluation de l’accord de règlement amiable Krka ne considère pas le paiement de 30 millions [d’euros] comme une incitation pour Krka à accepter les dispositions restrictives du règlement amiable, et laisse ouverte comme n’étant pas décisive la question de savoir s’il y avait un lien entre le règlement amiable et l’accord de cession et de licence […] »

297    Ainsi, l’accord de cession ne permet pas de suppléer au caractère non établi (voir point 220 ci-dessus) de l’incitation qui, selon la Commission, résultait de l’accord de licence et lui permettait de conclure que l’accord de règlement amiable avait en réalité pour objet d’exclure un concurrent de Servier.

298    Il résulte de tout ce qui précède que c’est à tort que la Commission a conclu, s’agissant de l’accord de cession, à l’existence d’une restriction de concurrence par objet. Le présent moyen est donc lui aussi fondé.

C.      Sur le cinquième moyen, tiré de l’absence de restriction de concurrence par effet

1.      Arguments des parties

299    Par ce moyen, la requérante conteste l’appréciation portée par la Commission, aux considérants 1813 et suivants de la décision attaquée, par laquelle celle-ci a estimé que les accords conclus avec Servier constituaient une restriction de concurrence par effet.

300    La requérante soutient tout d’abord que, au regard de la jurisprudence applicable, il ne suffit pas, pour pouvoir conclure à l’existence d’une telle restriction, de constater que les accords en cause étaient susceptibles d’avoir des effets restrictifs ; encore faut-il établir que la concurrence a été, de fait, restreinte. La requérante ajoute que la Commission n’a pas rapporté cette preuve et n’a ainsi pas satisfait à la condition énoncée par la jurisprudence. Enfin, elle précise que l’analyse contrefactuelle retenue par la Commission est « totalement irréaliste ».

301    La requérante rappelle que, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, elle disposait de trois options, à savoir commercialiser son produit malgré cette décision, ne pas le faire ou, enfin, tenter de régler à l’amiable les litiges l’opposant à Servier.

302    À cet égard, elle conteste l’appréciation portée par la Commission au considérant 1826 de la décision attaquée, selon laquelle, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, Krka poursuivait ses efforts en vue de pénétrer les marchés d’Europe de l’Ouest.

303    La requérante explique que, dès la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, elle s’est employée à régler à l’amiable les litiges l’opposant à Servier. Dans ce contexte, le fait qu’elle reste présente sur les cinq marchés sur lesquels elle était déjà entrée auparavant, à savoir la République tchèque, la Lituanie, la Hongrie, la Pologne et la Slovénie (considérant 1681 de la décision attaquée), en attente de l’issue des négociations, ne saurait établir qu’elle poursuivait ses efforts pour entrer sur les autres marchés.

304    La requérante ajoute que la poursuite de ses efforts contentieux n’était que défensive, puisqu’elle se bornait à se défendre dans des procédures introduites par Servier et à renforcer son pouvoir de négociation à l’égard de celui-ci.

305    Par ailleurs, la requérante conteste la conclusion à laquelle est parvenue la Commission aux considérants 1827 à 1830 de la décision attaquée, selon laquelle il existait une probabilité significative, d’une part, que Krka, en l’absence d’accord, ait continué à contester la validité des brevets de Servier ainsi qu’à commercialiser son produit « à risque » et ait vendu à des tiers sa technologie et, d’autre part, que ses efforts pour entrer sur le marché aient abouti.

306    À cet égard, la requérante indique qu’elle ne croyait plus en l’invalidité du brevet 947 après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et que, par suite, ce n’est pas la clause de non-contestation figurant dans l’accord de règlement amiable qui l’a empêchée de contester ce brevet qu’elle n’aurait, en tout état de cause, pas contesté, même en l’absence d’accord. Lors de l’audience, la requérante a également ajouté que d’autres opposants, dont Apotex, avaient poursuivi les procédures contentieuses à l’encontre du brevet 947 et que, en conséquence, le retrait de Krka des procédures auxquelles elle participait n’avait eu aucun effet.

307    De même, la requérante conteste le fait qu’elle aurait pu entrer à risque sur les marchés autres que les cinq sur lesquels elle commercialisait déjà son produit. En effet, selon elle, une entrée à risque impliquait, à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, des risques commerciaux inacceptables qu’elle n’était pas prête à supporter. À cet égard, elle ajoute qu’elle n’était pas intéressée par le fait d’entrer sur tous les marchés de l’Union. Elle indique aussi que la Commission a méconnu l’effet dissuasif de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006.

308    Elle conteste également le fait qu’elle aurait pu céder à des tiers sa technologie, car ceux-ci n’étaient pas intéressés.

309    Par ailleurs, la requérante indique que, au terme d’une analyse ex post, il devrait être conclu qu’elle aurait pu entrer sur le marché seulement à compter de mai 2009, c’est-à-dire après la décision de la chambre de recours de l’OEB déclarant l’invalidité du brevet 947 (voir point 9 ci-dessus).

310    La Commission soutient que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 n’empêchait pas Krka de poursuivre ses contestations contentieuses concernant les brevets de Servier.

311    Elle se prévaut du fait que Krka s’est opposée avec succès à une demande d’injonction provisoire contre elle en Hongrie préalablement à l’accord de règlement amiable.

312    Elle précise également que le produit de la requérante ne faisait que contrefaire potentiellement un brevet valide.

313    La Commission soutient que Krka aurait continué à être une force concurrentielle sur les sept marchés concernés par l’accord de licence. Elle indique à cet égard que Krka avait l’intention de lancer son périndopril en Slovaquie. Elle indique également que la Lettonie et la Slovaquie faisaient partie des marchés clés de Krka.

314    Enfin, la Commission admet qu’il lui appartient d’établir, avec un degré raisonnable de vraisemblance, que les accords conclus entre Servier et Krka ont eu un effet négatif sensible sur la concurrence réelle ou potentielle au sein de l’UE.

2.      Appréciation du Tribunal

315    La Cour a itérativement jugé que, pour apprécier si un accord doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l’effet, il faut examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut dudit accord (arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 359 et 360, et du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C‑551/03 P, EU:C:2006:229, point 72 ; voir, également, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 161 et jurisprudence citée). Il s’agit ainsi de faire ressortir, par une comparaison entre le jeu de la concurrence tel qu’il a existé en présence de l’accord en cause et le jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence de cet accord, une situation concurrentielle dégradée lorsque celui-ci s’applique.

316    À titre liminaire, il convient de préciser sur la base de quelle approche la Commission a, dans la décision attaquée, procédé à l’examen de la restriction de concurrence par effet s’agissant, en particulier, de l’étape comparative de cet examen mentionnée au point 315 ci-dessus.

a)      Sur l’approche suivie par la Commission

317    Il y a lieu, tout d’abord, de reprendre certaines des considérations générales, applicables à l’ensemble des accords passés entre Servier et les sociétés de génériques mises en cause dans la décision attaquée, que la Commission a exposées au point 5.1.7 de la décision attaquée, intitulé « Appréciation des accords de règlement amiable en matière de brevet contre paiement inversé en tant que restriction par effet au sens de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE] ».

318    La Commission a, notamment, indiqué que l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné « d[eva]it être basé non seulement sur la concurrence existante entre les entreprises déjà présentes sur le marché pertinent, mais aussi sur la concurrence potentielle » (considérant 1215 de la décision attaquée).

319    La Commission a rappelé, au considérant 1219 de la décision attaquée, que, selon les lignes directrices concernant l’application de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] (JO 2004, C 101, p. 97), les « effets actuels ou potentiels » d’un accord étaient à prendre en compte, l’accord devant seulement être « susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels ». Elle a renvoyé, à cet égard, au paragraphe 24 desdites lignes directrices, lequel se fonde sur l’arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission (C‑7/95 P, EU:C:1998:256, point 77).

320    La Commission a ensuite exposé sa méthode. Elle a indiqué qu’elle démontrerait les effets restrictifs des accords passés entre Servier et les sociétés de génériques mises en cause dans la décision attaquée en établissant, dans un premier temps, que chacun de ceux-ci avait entraîné l’élimination d’un concurrent potentiel, puis, dans un second temps, que l’élimination d’un seul concurrent était « susceptible d’avoir des effets sur la structure de la concurrence » (considérant 1219 de la décision attaquée).

321    La Commission a donc estimé que le constat de l’élimination d’un concurrent potentiel lui permettait ensuite de n’établir que des effets anticoncurrentiels qui étaient « susceptibles » de se produire, c’est-à-dire des effets « potentiels » sur la concurrence (voir point 319 ci-dessus).

322    La Commission a précisé ce qui suit au considérant 1220 de la décision attaquée :

« L’évaluation des effets restrictifs doit être effectuée sur la base des faits au moment du règlement amiable, tout en prenant en compte la façon dont l’accord a été effectivement mis en œuvre. Certaines parties ne sont pas d’accord et prétendent que l’évaluation devrait prendre en compte tous les développements factuels postérieurs et ne pas se fonder principalement sur la situation existant au moment de la conclusion des accords. […] lorsque l’élimination de la concurrence potentielle est en cause, regarder ce qui s’est vraiment produit peut avoir peu à voir avec ce qui se serait probablement produit en l’absence de l’accord, une question clé pour l’évaluation concurrentielle. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’accord modifie considérablement les incitations d’une partie, ou des deux, à continuer à se faire concurrence. »

323    Dans les deux premières phrases du considérant 1220 de la décision attaquée, dont la formulation est assez ambiguë, la Commission a admis qu’elle ne se fonderait pas, pour chaque accord, sur tous les développements factuels postérieurs à sa conclusion, mais qu’elle se fonderait, pour l’essentiel au moins, sur les faits existant au moment de cette conclusion. Pour justifier cette approche, elle a ensuite fait référence à la notion de « concurrence potentielle » en indiquant que, lorsque l’élimination de la concurrence potentielle était en cause, la prise en compte de certains événements réels, en particulier des événements postérieurs à la conclusion de l’accord en cause, serait moins pertinente pour faire apparaître l’un des termes de la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus, à savoir le jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence d’accord.

324    Une telle approche est confirmée par un extrait du considérant 1264 de la décision attaquée, dans lequel la Commission considère que, lorsque l’élimination d’un concurrent potentiel est en cause, il convient d’analyser les « futurs effets potentiels » des accords.

325    Le considérant 1264 de la décision attaquée figure dans le point de la décision attaquée intitulé « Structure prévalente du marché au moment des accords de règlement amiable », lequel est principalement consacré à décrire l’élimination progressive, par la conclusion des différents accords examinés par la Commission, des concurrents potentiels de Servier (considérants 1244 à 1269 de la décision attaquée).

326    Certes, dans le point de la décision attaquée intitulé « Structure prévalente du marché au moment des accords de règlement amiable », la Commission évoque certains événements qui se sont réellement produits pendant la mise en œuvre des accords et qui permettent de conclure à la persistance d’une pression concurrentielle exercée par deux sociétés de génériques n’ayant pas signé d’accord avec Servier. La Commission constate ainsi que le brevet 947 a été invalidé au Royaume-Uni du fait de la poursuite, par l’une de ces deux sociétés, Apotex, de la procédure contentieuse qu’elle avait engagée dans ce pays.

327    Cependant, la Commission affirme qu’il y avait encore une forte « possibilité », après la conclusion des accords que Servier avait passés avec différentes sociétés de génériques, qu’il cherche encore à trouver un accord avec Apotex, ainsi qu’avec l’autre société pouvant représenter une menace pour lui (considérant 1268 de la décision attaquée), alors même que, à la date à laquelle elle adoptait la décision attaquée, la Commission avait pu constater que de tels accords n’avaient pas été conclus.

328    L’affirmation de la Commission mentionnée au point 327 ci-dessus confirme que, pour faire apparaître le jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence d’accord (l’un des termes de la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus), elle s’est fondée sur une approche hypothétique, en partie indifférente au déroulement réel des événements qui sont intervenus, en particulier, après la conclusion des accords.

329    C’est la prémisse selon laquelle elle pourrait, dans l’hypothèse d’un accord éliminant un concurrent potentiel, se limiter à démontrer seulement les effets potentiels de cet accord, c’est-à-dire ceux que l’accord serait « susceptible » d’avoir, qui permet à la Commission de faire reposer sa description du jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence d’accord sur des hypothèses ou des « possibilités » plutôt que sur le déroulement réel des événements tel qu’il a pu être observé au moment où elle a adopté sa décision.

330    Il résulte de ce qui précède que la Commission a considéré que, dès lors qu’elle avait établi qu’un accord excluait un concurrent potentiel, il n’était pas nécessaire, aux fins de déterminer quel aurait été le jeu de la concurrence en l’absence de cet accord, de se fonder sur les événements réels intervenus, en particulier, postérieurement à la conclusion de l’accord. Au contraire, la Commission a estimé, en se fondant sur sa pratique habituelle en matière de prise en compte des effets potentiels d’un accord, selon laquelle il suffit de démontrer que cet accord est « susceptible » d’avoir des effets anticoncurrentiels (voir points 319 et 324 ci-dessus), qu’elle pouvait faire reposer sa description du jeu de la concurrence en l’absence d’accord sur des hypothèses ou des « possibilités ».

331    L’approche générale de la Commission ayant été exposée, il convient de déterminer si, dans le cadre particulier de l’analyse des effets sur la concurrence des accords conclus entre Servier et Krka, elle a retenu une démarche conforme à cette approche générale.

332    Aux considérants 1813 et 1814 de la décision attaquée, c’est-à-dire les premiers considérants de la partie consacrée à la restriction par effet s’agissant des accords conclus entre Servier et Krka, la Commission a indiqué que l’objet de son propos dans cette partie était de déterminer si ces accords « [étaie]nt susceptibles d’avoir des effets restrictifs [de] concurrence ». De même, dans le titre de la conclusion de la partie consacrée à la restriction par effet s’agissant des accords conclus entre Servier et Krka, la Commission indique que ces accords « [étaie]nt susceptibles de produire des effets restrictifs de […] concurrence ».

333    Il ressort des termes utilisés par la Commission exposés au point 1 ci-dessus que sa démarche repose sur le constat d’effets potentiels des accords en cause (voir point 319 ci-dessus).

334    Par ailleurs, aux fins de procéder à la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus, la Commission s’est fondée sur le fait que, en l’absence d’accord, Krka aurait continué à représenter une « menace concurrentielle » sur Servier (considérants 1828 et 1830 de la décision attaquée).

335    En première analyse, cette « menace concurrentielle » à laquelle les accords en cause mettraient fin renvoie, par son caractère hypothétique, plus à des effets potentiels sur la concurrence qu’à des effets actuels.

336    Or, l’élimination de la « menace concurrentielle » mentionnée aux points 334 et 335 ci-dessus constitue pour la Commission un élément essentiel de la démonstration visant à établir que la situation concurrentielle sur le marché se serait dégradée du fait de l’accord de règlement amiable (voir point 315 ci-dessus).

337    Certes, la Commission consacre ensuite, en rapport avec le pouvoir de marché de Servier dont elle a fait le constat auparavant (considérants 1817 à 1819 de la décision attaquée), une partie de la décision attaquée à la structure du marché en cause, caractérisée par une absence ou une rareté des sources de concurrence (considérants 1835 à 1846 de la décision attaquée).

338    Cependant, c’est le constat préalable de l’existence, en l’absence d’accord, d’une « menace concurrentielle », lequel est opéré dans la partie précédente de la décision attaquée (considérants 1825 à 1834 de ladite décision), qui constitue le point de départ nécessaire de l’analyse de la structure du marché.

339    La Commission conclut l’analyse de la structure du marché en cause en indiquant qu’il existait une forte possibilité que les sources subsistantes de concurrence identifiées au moment de la signature des accords conclus entre Servier et Krka soient éliminées du jeu concurrentiel par un futur accord ou par un autre moyen, mais sans préciser si tel avait été le cas au cours de la période d’application desdits accords (considérant 1846 de la décision attaquée).

340    L’élément mentionné au point 339 ci-dessus vient confirmer ce qui a déjà été exposé au point 330 ci-dessus. Ainsi, la Commission considérait que, dès lors qu’elle avait établi que l’accord de règlement amiable excluait Krka et que celle-ci était au moins un concurrent potentiel de Servier, elle n’était pas tenue, pour faire apparaître le jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence d’accord (l’un des termes de la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus), de prendre en compte le déroulement réel des événements tel qu’il avait pu être observé au moment où elle adoptait sa décision. Au contraire, la Commission a estimé, en se fondant sur sa pratique habituelle en matière de prise en compte des effets potentiels d’un accord, selon laquelle il suffit de démontrer que cet accord est « susceptible » d’avoir des effets anticoncurrentiels, qu’elle pouvait faire reposer sa description du jeu de la concurrence en l’absence d’accord sur des hypothèses ou des « possibilités ».

341    La Commission a donc procédé à une analyse des accords conclus entre Servier et Krka conforme à l’orientation générale qu’elle s’était fixée pour l’examen des différents accords de règlement amiable regardés comme infractionnels dans la décision attaquée.

342    L’approche de la Commission relative à l’étape comparative de l’examen de la restriction par effet mentionnée au point 315 ci-dessus ayant été rappelée, il y a lieu de déterminer si la Commission a pu, à bon droit, conclure à l’existence d’une restriction de concurrence par effet s’agissant des accords conclus entre Servier et Krka.

343    Un tel examen impose, au préalable, un rappel de la jurisprudence pertinente.

344    En particulier, compte tenu de l’approche retenue par la Commission et de la place essentielle qu’occupent dans son raisonnement les références multiples aux « effets potentiels » des accords et au fait que ceux-ci étaient « susceptibles d’avoir des effets restrictifs », il y a lieu de rappeler la jurisprudence, déjà mentionnée en partie au point 319 ci-dessus, selon laquelle il convient de prendre en compte les effets potentiels d’un accord, d’une pratique concertée ou encore d’une décision d’association d’entreprises aux fins de déterminer si de telles mesures relèvent du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

b)      Sur la jurisprudence pertinente en l’espèce

345    Si la Cour, dans le cadre de renvois préjudiciels, a souvent réaffirmé le principe selon lequel l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne limite pas l’appréciation d’un accord ou d’une pratique aux seuls effets actuels, celle-ci devant également tenir compte des effets potentiels de l’accord ou de la pratique en cause sur la concurrence dans le marché intérieur (arrêts du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C‑215/96 et C‑216/96, EU:C:1999:12, point 34 ; du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, EU:C:2006:734, point 50 ; du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C‑1/12, EU:C:2013:127, point 71, et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 30), elle n’a que rarement eu l’occasion d’examiner elle-même si une pratique ou un accord produisait des effets potentiels permettant de conclure à l’existence d’une restriction de concurrence.

346    La Cour a envisagé pour la première fois la prise en compte des effets potentiels d’un accord dans l’arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission (142/84 et 156/84, EU:C:1987:490). Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission avait rejeté une plainte et constaté que les accords soumis à son examen par cette plainte ne constituaient pas une violation des règles du traité en matière de concurrence (arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490, point 1). La Cour a précisé à cette occasion que, lorsque la Commission constatait qu’un accord ne méconnaissait pas le droit de la concurrence, il lui appartenait non seulement de tenir compte des effets que les clauses de cet accord avaient au moment de leur examen par la Commission, mais également des effets qu’elles pourraient avoir à l’avenir eu égard aux possibilités non encore réalisées qu’elles ouvraient aux parties. Par exemple, dans cette affaire, un accord relatif à des prises de participations dans le capital d’une entreprise concurrente réservait à l’entreprise qui investissait la possibilité de renforcer, à un stade ultérieur, sa position en prenant le contrôle effectif de l’autre entreprise, ce qui pouvait emporter des conséquences sur la situation concurrentielle examinée (arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490, points 37, 39, 54, 57 et 58).

347    Ainsi, selon l’arrêt mentionné au point 346 ci-dessus, la Commission doit prendre en compte, dans l’examen des effets d’un accord, non seulement les effets réels des clauses qui sont déjà mises en œuvre au moment où elle adopte sa décision, mais également les effets potentiels des clauses qui n’ont pas encore été mises en œuvre.

348    La Cour a ultérieurement admis la prise en compte des effets potentiels d’un accord dans l’arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission (C‑7/95 P, EU:C:1998:256). Était en cause, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, une décision de la Commission faisant suite à la notification d’un accord visant à obtenir, en vertu de l’article 2 du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204), une attestation négative par laquelle la Commission pouvait constater, sur demande des entreprises intéressées, qu’il n’y avait pas lieu pour elle d’intervenir à l’égard d’un accord. Dans sa décision, la Commission avait constaté que l’accord qui lui était soumis était constitutif d’une restriction de concurrence par effet.

349    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission (C‑7/95 P, EU:C:1998:256), le Tribunal, puis la Cour, ont validé un tel constat, lequel était fondé sur l’existence d’effets potentiels.

350    La partie requérante se prévalait du fait que le système d’échange d’informations prévu par l’accord en cause avait été appliqué pendant plusieurs années avant la notification de la demande d’attestation négative pour soutenir que l’appréciation de la Commission devait se limiter à prendre en compte les effets réels de cet échange d’informations. Cependant, le Tribunal a estimé qu’un tel argument n’était pas pertinent, dès lors que le traité prohibait tant les effets réels que les effets potentiels des accords (arrêt du 27 octobre 1994, Deere/Commission, T‑35/92, EU:T:1994:259, points 59 et 61).

351    Il convient toutefois de nuancer le caractère inopérant de l’argument tiré du fait que les accords ou les pratiques en cause auraient été mis en œuvre.

352    En effet, premièrement, les circonstances de l’espèce étaient particulières, car l’accord pour lequel une attestation négative était demandée s’était substitué à un accord antérieur qui n’avait fait l’objet d’aucune notification à la Commission. C’est donc sur la conformité aux règles de la concurrence de ce nouvel accord que la Commission devait se prononcer et non sur celle de l’accord antérieur. Il n’est donc pas certain que la Commission aurait pu tirer des conclusions définitives pour ce nouvel accord de l’application de l’accord précédent, et ce malgré leur similitude. Quant au nouvel accord, il n’avait été appliqué que quelques mois avant que les participants en décident la suspension. La Commission ne disposait donc pas du recul nécessaire aux fins d’examiner ses effets actuels sur la concurrence (arrêt du 27 octobre 1994, Deere/Commission, T‑35/92, EU:T:1994:259, points 2 et 4).

353    Deuxièmement, le Tribunal, alors qu’il examinait les effets potentiels sur la concurrence d’un accord dans l’arrêt du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission (T‑168/01, EU:T:2006:265, point 163), a indiqué que le fait que l’application de l’accord en cause ait été suspendue quelques mois seulement après son entrée en vigueur, et ce jusqu’à l’adoption de la décision de la Commission contestée dans cette affaire, le conduisait à interpréter l’examen de l’accord en cause par la Commission comme étant principalement consacré à ses effets potentiels.

354    Le Tribunal, dans l’arrêt du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission (T‑168/01, EU:T:2006:265), a donc établi un lien explicite entre l’absence d’application de l’accord en cause et l’examen par la Commission de ses effets potentiels.

355    Troisièmement, dans l’arrêt du 30 juin 2016, CB/Commission (T‑491/07 RENV, non publié, EU:T:2016:379, points 243, 247, 248 et 250), le Tribunal a examiné les effets potentiels sur la concurrence d’une décision d’association d’entreprises en prenant en compte les effets que les mesures en cause déploieraient si elles étaient appliquées, ce qui, là encore, établit un lien entre l’examen des effets potentiels de la décision d’association et le fait qu’elle n’ait pas encore été appliquée. Il convient de souligner que la Commission avait distingué, dans la décision en cause [décision C(2007) 5060 final, du 17 octobre 2007, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] (COMP/D 1/38606 ‐ Groupement des cartes bancaires « CB »)], l’analyse des effets potentiels, c’est-à-dire ceux que les mesures déploieraient si leur suspension était levée (considérants 261 et suivants de ladite décision), de l’analyse des effets réalisés au cours de la période durant laquelle les mesures en cause avaient été appliquées (considérants 310 et suivants de cette décision).

356    Il y a lieu de préciser que, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission (T‑168/01, EU:T:2006:265), et du 30 juin 2016, CB/Commission (T‑491/07 RENV, non publié, EU:T:2016:379), la Commission n’a pas adopté de sanction à l’égard des entreprises concernées, mais leur a enjoint de mettre fin immédiatement à l’infraction en cause.

357    Il convient encore d’ajouter que, dans les affaires mentionnées au point 356 ci-dessus, ce sont les entreprises concernées qui avaient été à l’origine de la saisine de la Commission (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission, T‑168/01, EU:T:2006:265, point 10, et du 30 juin 2016, CB/Commission, T‑491/07 RENV, non publié, EU:T:2016:379, point 8).

358    Ainsi, dans la plupart des hypothèses dans lesquelles les juridictions de l’Union ont fait application à un accord, à une pratique concertée ou à une décision d’association d’entreprises de la jurisprudence selon laquelle un constat de restriction par effet peut résulter des effets potentiels de ces mesures, n’était pas en cause une décision de la Commission ayant pour objet de sanctionner un comportement passé constitutif d’une restriction par effet, mais une décision de la Commission ayant pour objet de prévenir la survenance d’un tel comportement en envisageant les effets que pourraient avoir les mesures en cause si elles étaient appliquées. Tel était le cas y compris dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission (142/84 et 156/84, EU:C:1987:490), la Commission, dans cette affaire, rejetant une plainte en examinant les effets que pourrait avoir une clause de l’accord en cause si la possibilité qu’elle prévoit était mise en œuvre.

359    Il n’existe donc pas, en matière d’entente, de précédent dans lequel la Cour ou le Tribunal auraient admis que la Commission puisse se fonder seulement sur les effets potentiels de la mesure en cause pour constater qu’une infraction aurait été commise et infliger sur le fondement d’un tel constat une amende aux auteurs de cette infraction.

360    Or, il apparaîtrait paradoxal, lorsque les clauses d’un accord ont été mises en œuvre et que leurs effets sur la concurrence peuvent être mesurés en prenant en compte les développements factuels pertinents, notamment ceux postérieurs à la conclusion de l’accord, qui sont intervenus avant que la Commission ne se prononce, de permettre à celle-ci de se contenter de démontrer les effets anticoncurrentiels que ces clauses seraient susceptibles d’avoir et, à cette fin, d’opérer la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus sans prendre en compte de tels développements (voir points 323, 330 et 340 ci-dessus).

361    Il apparaîtrait également paradoxal de permettre à la Commission, aux fins de constater qu’une infraction prenant la forme d’une restriction de concurrence par effet a été commise (et peut donc être sanctionnée par une amende), de se fonder sur le simple fait que des clauses d’un accord qui ont été mises en œuvre seraient susceptibles d’emporter des effets anticoncurrentiels et non sur le fait qu’elles ont emporté de tels effets, alors même que la Cour a jugé qu’une dispense de la charge de prouver les effets anticoncurrentiels d’un accord ne peut résulter que d’une qualification de restriction de concurrence par objet, laquelle ne devrait viser que des accords tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré comme inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51). S’il était possible pour la Commission de se fonder, s’agissant d’accords qui ont été mis en œuvre, sur les seuls effets qu’ils étaient susceptibles d’avoir, pour démontrer qu’ils ont eu un effet anticoncurrentiel, la distinction entre restrictions de concurrence par objet ou par effet, instaurée par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, perdrait sa pertinence.

362    Il résulte de ce qui précède que, dès lors que les accords en cause avaient été mis en œuvre et que, par la décision attaquée, la Commission a constaté qu’une infraction avait été commise, ce qui lui a permis d’infliger une amende aux parties aux accords, la jurisprudence qui vient d’être rappelée aux points 345 à 358 ci-dessus, relative à la prise en compte, en matière de restriction par effet, des effets potentiels des accords, n’est pas applicable.

363    Il convient de relever, par ailleurs, que la jurisprudence mentionnée aux points 345 à 358 ci-dessus doit être distinguée de celle relative à la prise en compte des effets sur la concurrence d’une limitation de la concurrence, y compris lorsqu’elle n’est que potentielle.

364    À cet égard, dans l’arrêt du 12 juin 1997, Tiercé Ladbroke/Commission (T‑504/93, EU:T:1997:84, points 157 à 160), qui est cité au considérant 1217 de la décision attaquée, le Tribunal examinait la légalité d’une décision de la Commission par laquelle celle-ci avait rejeté une plainte au motif, notamment, que, en l’absence de concurrence actuelle sur le marché en cause, l’accord litigieux ne relevait pas du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas examiné avec la diligence requise tous les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par la partie requérante, car l’accord était susceptible de restreindre la concurrence potentielle. Il a donc annulé sur ce point la décision qui lui était soumise.

365    Il ne peut être déduit d’un tel précédent, qui portait sur un rejet de plainte, que le simple fait qu’un accord soit « susceptible » de restreindre la concurrence potentielle doive nécessairement conduire au constat d’une restriction de concurrence par effet, mais plutôt que la Commission ne peut écarter d’emblée la possibilité d’une restriction par effet lorsqu’un accord n’est susceptible de restreindre qu’une concurrence potentielle et non une concurrence actuelle.

366    Ainsi, lorsque la Commission adopte une décision par laquelle elle constate qu’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE a été commise, ce qui lui permet d’infliger, sur le fondement d’un tel constat, une amende aux auteurs de cette infraction, le simple fait que la Commission ait établi l’existence d’une concurrence potentielle et d’une limitation de la liberté d’action d’un concurrent potentiel, voire d’une élimination de celui-ci, ne l’exonère pas de la démonstration d’une analyse des effets réels de la mesure en cause sur le jeu de la concurrence lorsque la jurisprudence citée aux points 345 à 358 ci-dessus n’est pas applicable.

367    Il convient à cet égard de rappeler que le constat de l’existence d’effets anticoncurrentiels d’un accord exige la réunion d’éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, « en fait », empêché, restreint ou faussé (arrêt du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 359 et 360).

368    Ainsi, la démonstration de l’existence des effets anticoncurrentiels d’un accord impose à la Commission, au regard des exigences de réalisme qui résultent de la jurisprudence de la Cour, de prendre en compte, dans le cadre de la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus, l’ensemble des développements factuels pertinents, notamment ceux postérieurs à la conclusion de l’accord, qui sont intervenus avant qu’elle ne se prononce.

369    À cet égard, selon la Cour, l’appréciation des effets d’un accord entre entreprises au regard de l’article 101 TFUE implique de prendre en considération le cadre concret dans lequel l’accord en cause s’insère, notamment le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question (arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 165).

370    Il s’ensuit, ainsi que le rappelle à juste titre la requérante, que le scénario envisagé à partir de l’hypothèse de l’absence d’accord en cause doit, selon les termes employés par la Cour, « être réaliste » (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 166).

371    La Cour a précisé que la prise en compte des développements probables qui se produiraient sur le marché en l’absence de cet accord s’imposait dans le cadre de l’examen des effets restrictifs sur la concurrence de l’accord (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, points 167 à 169).

372    Par ailleurs, l’exigence de probabilité et de réalisme s’appliquant à la description du jeu de la concurrence tel qu’il aurait existé en l’absence d’accord (l’un des termes de la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus) est cohérente avec l’approche retenue par la Commission dans plusieurs lignes directrices, laquelle lui impose d’établir le caractère suffisamment probable des effets restrictifs des mesures qu’elle examine.

373    Ainsi, premièrement, le paragraphe 24 des lignes directrices concernant l’application de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE], auquel la Commission se réfère au considérant 1219 de la décision attaquée, prévoit que, « [p]our qu’un accord soit restrictif de […] concurrence par ses effets, il doit affecter la concurrence réelle ou potentielle à un point tel qu’il soit possible de prévoir avec une assez bonne probabilité qu’il aura sur le marché en cause des effets négatifs sur les prix, la production, l’innovation ou la diversité ou qualité des produits ou services ».

374    Deuxièmement, au paragraphe 19 des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article [101 TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2001 »), il est indiqué que de nombreux accords de coopération horizontale n’ont pas pour objet de restreindre la concurrence et qu’il est, dès lors, nécessaire d’analyser les effets de chaque accord. Il est ajouté que, dans le cadre de cette analyse, il ne suffit pas que l’accord limite la concurrence entre les parties, mais il faut aussi que cet accord soit susceptible d’affecter la concurrence sur le marché dans une mesure telle que des effets négatifs sur les prix, la production, l’innovation ou encore la variété ou la qualité des biens et des services puissent en être attendus.

375    Troisièmement, la Commission a confirmé qu’elle maintenait une telle approche dans les lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 [TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2011, C 11, p. 1, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale de 2011 »). Elle indique ainsi, au paragraphe 28 de ces lignes directrices, auquel elle se réfère à la note en bas de page no 1733 de la décision attaquée, que des effets restrictifs sur la concurrence à l’intérieur du marché en cause sont susceptibles de se produire lorsqu’il est possible de prévoir avec un degré de probabilité raisonnable que les parties sont en mesure, du fait de l’accord, d’augmenter avantageusement les prix, ou de réduire la production, la qualité ou la diversité des produits, ou de limiter l’innovation.

376    Au demeurant, dans la décision attaquée elle-même (considérant 1218 de ladite décision), la Commission a rappelé que les effets restrictifs de concurrence devaient être établis avec un degré suffisant de probabilité.

377    Eu égard à l’ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de déterminer si, en l’espèce, la Commission, malgré l’approche hypothétique qu’elle a retenue s’agissant de l’étape comparative de l’examen de la restriction de concurrence par effet (voir points 317 à 340 ci-dessus), a établi le caractère suffisamment réaliste et probable des effets restrictifs des accords conclus entre Servier et Krka.

c)      Sur l’erreur d’appréciation

378    La Commission a analysé les effets de la clause de non-commercialisation et de la clause de non-contestation contenues dans l’accord de règlement amiable conclu entre Servier et Krka ainsi que de la cession sous licence de la technologie de Krka à Servier, en examinant, pour chacune de ces trois mesures, le jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en son absence (voir, notamment, les considérants 1825 à 1829 de la décision attaquée).

379    Il convient de déterminer, pour chacune de ces trois mesures, si la Commission a pu conclure à bon droit à l’existence d’une restriction de concurrence par effet.

1)      Sur la clause de non-commercialisation figurant dans l’accord de règlement amiable

380    Il importe de rappeler que, pour apprécier si un accord doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l’effet, il faut examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l’accord en cause (voir point 315 ci-dessus).

381    En l’espèce, la clause de non-commercialisation a un champ d’application limité à celui du brevet 947, qui fait l’objet de litiges opposant Servier à Krka.

382    Le cadre réel du jeu de la concurrence, à défaut de l’accord de règlement amiable, était constitué par les tentatives de sociétés de génériques, dont Krka, d’entrer sur le marché, en présence d’obstacles liés aux brevets de Servier, notamment le brevet 947, et par des litiges brevetaires opposant ces sociétés à Servier.

383    Or, ainsi qu’il a été dit au point 143 ci-dessus, l’objet spécifique de l’attribution d’un brevet est d’assurer à son titulaire, afin de récompenser l’effort créatif de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, EU:C:1974:114, point 9). Lorsqu’il est accordé par une autorité publique, un brevet est normalement présumé être valide et sa détention par une entreprise est supposée être légitime. La seule possession par une entreprise d’un tel droit exclusif a normalement pour conséquence de tenir les concurrents à l’écart, ces derniers étant tenus de respecter, en vertu de la réglementation publique, ce droit exclusif (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 362).

384    Il est vrai qu’une entrée sur le marché à risque d’une société de génériques n’est pas illégale par elle-même (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T‑472/13, sous pourvoi, EU:T:2016:449, point 122). Cependant, une telle entrée est d’autant moins probable que la société de génériques reconnaît la validité du brevet ou estime que ses chances d’obtenir la reconnaissance de son invalidité sont faibles.

385    La reconnaissance ou non de la validité du brevet en cause ou la perception de la force de ce brevet par une société de génériques est donc décisive lorsqu’il s’agit de déterminer son comportement probable en matière d’entrée à risque sur le marché.

386    Or, la Commission n’a pas dûment pris en compte les effets que le brevet 947 et la reconnaissance par Krka de sa validité auraient pu avoir sur l’appréciation, aux fins de la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus, du comportement probable de celle-ci en l’absence d’accord, dans la partie de la décision attaquée consacrée à l’examen de ce comportement (considérants 1825 à 1834 de ladite décision).

387    En effet, des événements décisifs pour apprécier la reconnaissance que Krka pouvait avoir de la validité du brevet 947 ou la perception de ses chances de succès d’en obtenir l’invalidité, tels que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 confirmant la validité du brevet et l’injonction provisoire à l’encontre de Krka prononcée par une juridiction du Royaume-Uni, ne sont pas mentionnés dans cette partie de la décision attaquée, alors qu’ils sont pourtant intervenus avant même la conclusion de l’accord de règlement amiable entre Servier et Krka.

388    En outre, la Commission, aux considérants 1828 à 1834 de la décision attaquée, dans l’analyse du comportement probable de Krka en l’absence des accords conclus avec Servier, ne rappelle pas la circonstance, importante dans ce contexte, que plusieurs éléments du dossier confortaient la constatation que le produit de Krka pouvait être contrefaisant du brevet 947.

389    Cela confirme que l’approche hypothétique de la Commission (voir points 316 à 341 ci-dessus) ne l’a pas conduite à ignorer seulement les événements intervenus postérieurement à la conclusion des accords mais, de manière plus générale, le déroulement réel des événements tel qu’il a pu être observé jusqu’au moment où elle a adopté sa décision.

390    La réticence de la Commission à prendre en compte en particulier les effets du brevet 947 s’explique par le fait que, dans le cadre de son analyse de la restriction par objet, elle a considéré que l’accord de règlement amiable conclu entre Servier et Krka avait pour fondement réel l’incitation de cette dernière à se soumettre aux clauses restrictives de cet accord et non une reconnaissance sincère de la validité du brevet 947. Dans une telle perspective, Krka ne pouvait en aucune manière, selon la Commission, invoquer la reconnaissance de la validité du brevet 947, dès lors qu’une telle reconnaissance était viciée dans son principe même.

391    Cependant, le constat d’incitation et de restriction par objet opéré par la Commission a été invalidé par le Tribunal s’agissant des accords de règlement amiable et de licence conclus entre Servier et Krka (voir point 268 ci-dessus), ce qui redonne toute sa pertinence à la prise en compte de la perception par Krka de la force du brevet 947 ou de sa reconnaissance de la validité de ce brevet.

392    Or, il convient de rappeler qu’il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence, des indices sérieux pouvant laisser penser aux parties à ces accords que le brevet 947 était valide (voir point 206 ci-dessus). Au Royaume-Uni, c’est-à-dire l’un des trois pays (avec la France et les Pays-Bas) dans lesquels la Commission a analysé et constaté l’existence d’une restriction par effet, Krka ainsi qu’Apotex, une autre société concurrente de Servier, faisaient même l’objet d’une injonction provisoire.

393    Si la demande d’injonction provisoire tendant à interdire la commercialisation d’une version générique du périndopril mise sur le marché par Krka en raison de la violation du brevet 947, laquelle a été introduite par Servier en Hongrie, a été rejetée en septembre 2006, il s’agissait d’une procédure qui, contrairement à celles mentionnées au point 392 ci-dessus, ne concernait pas un des pays dans lesquels la Commission a constaté l’existence d’une restriction par effet.

394    Par ailleurs, s’il y avait déjà eu entre Servier et Krka des contacts préalables à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, confirmant la validité du brevet 947 (voir, notamment, considérant 837 de la décision attaquée), ceux-ci n’avaient pas abouti à un accord (considérants 856 à 859 de la décision attaquée) et ce n’est qu’après cette décision que de nouvelles négociations ont débuté (considérant 898 de la décision attaquée). La décision de l’OEB du 27 juillet 2006 a donc été, pour le moins, un des éléments déclencheurs aboutissant aux accords de règlement amiable et de licence, ce qui est un indice supplémentaire du fait que ces accords se fondaient sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet (voir point 207 ci-dessus).

395    Il convient encore d’ajouter, ainsi qu’il a été dit ci-dessus (voir point 183 ci-dessus), que la passation d’un accord de licence, laquelle n’a de raison d’être pour tout preneur qu’à la condition que la licence soit effectivement exploitée, se fonde sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet. Ainsi, la conclusion même de l’accord de licence, confortée par un certain nombre d’indices (voir points 235 et 237 ci-dessus), confirme que Krka reconnaissait finalement la validité du brevet 947.

396    Il ressort même des pièces du dossier que Krka semblait considérer que, en l’absence d’un accord de licence conclu avec Servier, une entrée à risque sur les 18 à 20 marchés était peu probable, voire était exclue (voir points 235, 236 et 247 ci-dessus).

397    Enfin, la Commission a indiqué, dans la décision attaquée (considérant 1693 de ladite décision), que Krka avait « finalement cessé d’envisager entrer à risque au Royaume-Uni, en France et dans d’autres marchés d’Europe occidentale suite à la décision [de l’OEB du 27 juillet 2006] ».

398    Eu égard aux éléments exposés ci-dessus, il doit être conclu qu’il n’est pas établi que, en l’absence d’accord, Krka serait probablement entrée à risque sur les marchés des 18 à 20 États membres, notamment sur les marchés de la France, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.

399    La conclusion qui précède n’est pas remise en cause par les autres éléments du dossier qui seraient susceptibles d’être pertinents aux fins d’établir que Krka serait entrée sur le marché en l’absence d’accord avec Servier. Ces éléments figurent essentiellement dans la partie de la décision attaquée que la Commission consacre à la démonstration du fait que Krka était un concurrent potentiel de Servier.

400    Premièrement, il doit être rappelé (voir point 262 ci-dessus) que la circonstance que Krka a continué à contester les brevets de Servier et à commercialiser son produit alors même que la validité du brevet 947 avait été confirmée par la division d’opposition de l’OEB peut, de manière évidente, s’expliquer par le désir de Krka de renforcer sa position dans les négociations qu’elle pouvait engager avec Servier en vue de parvenir à un accord de règlement amiable.

401    En outre, la poursuite de la contestation du brevet de Servier ne faisait pas supporter à Krka de nouveaux risques en termes de contrefaçon. Cela augmentait seulement ses frais contentieux. Quant à la poursuite de la commercialisation de son produit, elle s’est limitée à cinq marchés d’Europe centrale et orientale, pour lesquels la Commission n’a pas retenu l’existence d’une restriction par effet. De plus, dans cinq des sept marchés couverts par la licence, les équivalents du brevet 947 n’avaient pas encore été accordés (considérant 1755 de la décision attaquée). Ainsi, les risques encourus par Krka, dans certains au moins des marchés sur lesquels elle s’est maintenue, étaient limités (voir point 263 ci-dessus).

402    La poursuite de la contestation du brevet de Servier par Krka et la poursuite de la commercialisation de son produit ne permettent donc pas de conclure que Krka ne reconnaissait pas la validité du brevet 947 et serait donc probablement entrée à risque sur les marchés des 18 à 20 États membres ou, à tout le moins, sur les trois marchés retenus par la Commission dans le constat d’une restriction de concurrence par effet.

403    Deuxièmement, si des commentaires émanant des représentants de Krka permettaient de percevoir leur surprise et leur mécontentement à la suite de la décision de la division de l’OEB du 27 juillet 2006 (considérant 1688 de la décision attaquée), ces commentaires ne permettaient pas d’établir que, malgré cette décision, Krka serait probablement entrée sur les trois marchés nationaux pour lesquels la Commission a retenu l’existence d’une infraction par effet.

404    Troisièmement, la Commission consacre une partie de la décision attaquée à l’« intention d’entrer » sur le marché de Krka. Cette partie très courte n’est constituée que d’un considérant, lui-même assez court, le considérant 1699 de ladite décision. Dans ce considérant, la Commission indique que, « même » après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, Krka « semblait » disposée à soutenir le lancement à risque par ses partenaires et qu’elle continuait à s’engager à fournir son produit « au cas où les barrières brevetaires seraient surmontées ». Il est encore ajouté dans ce considérant qu’un des partenaires commerciaux de Krka a insisté pour qu’elle fournisse son produit « si le brevet 947 était annulé » et que certains partenaires de Krka sont entrés sur le marché avec ce produit « une fois le brevet 947 invalidé dans les marchés [en cause] ».

405    Les extraits cités au point 404 ci-dessus attestent moins de l’intention de Krka d’entrer sur les trois marchés nationaux pour lesquels la Commission a constaté l’existence d’une restriction par effet que de l’importance qu’avait pris, après qu’était intervenue la décision de la division de l’OEB du 27 juillet 2006, tant pour Krka que pour ses partenaires commerciaux, la « barrière brevetaire » constituée par le brevet 947.

406    Au regard de l’ensemble des éléments exposés ci-dessus, il n’est pas établi que, en l’absence des accords de règlement amiable et de licence, Krka serait probablement entrée sur les trois marchés nationaux pour lesquels la Commission a constaté l’existence d’une restriction de concurrence par effet.

407    Il n’est pas davantage établi par la Commission dans la décision attaquée que, en l’absence de ces accords, Krka serait probablement entrée sur les marchés en cause avant la date de cessation de l’infraction, à savoir avant le 6 juillet 2007 pour le Royaume-Uni, le 12 décembre 2007 pour les Pays-Bas et le 16 septembre 2009 pour la France.

408    En effet, l’approche hypothétique adoptée par la Commission (voir points 317 à 341 ci-dessus) l’a conduite à prêter peu d’attention au déroulement réel des événements – en particulier ceux intervenus postérieurement à la conclusion des accords – et donc à l’évolution possible de la perception par Krka de la validité du brevet 947 qui pourrait résulter de ces événements.

409    Or, il n’appartient pas au Tribunal, s’agissant de l’appréciation des éléments constitutifs d’une infraction, lesquels ne relèvent pas de sa compétence de pleine juridiction, mais du contrôle de légalité, de substituer sa propre motivation à celle de la Commission (arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 73 et 75 à 77).

410    Il n’appartient donc pas au Tribunal d’examiner pour la première fois, à partir des éléments du dossier, si une restriction de concurrence par effet aurait pu apparaître au cours de la période postérieure à la conclusion des accords du fait d’un fléchissement de la reconnaissance de la validité du brevet 947 par Krka.

411    En tout état de cause, les éléments du dossier ne permettent pas de conclure que Krka, au cours de la période comprise entre la conclusion des accords et la fin de l’infraction, serait, en l’absence des accords, probablement entrée sur les trois marchés nationaux concernés.

412    Par ailleurs, il convient de souligner que l’entrée probable de Krka sur le marché en l’absence d’accord n’est pas même alléguée par la Commission. En effet, dans le point de la décision attaquée intitulé « Comportement probable en l’absence des accords Krka », la Commission ne se fonde pas, explicitement au moins, sur une hypothèse d’entrée anticipée de Krka sur les trois marchés concernés en l’absence d’accord, mais seulement sur une hypothèse de persistance d’une « menace concurrentielle » sur ces marchés (voir point 334 ci-dessus).

413    Ainsi, selon la Commission, « Krka aurait continué à représenter une menace concurrentielle en tant qu’entrant générique potentiel avec du périndopril au Royaume-Uni, en France et aux Pays-Bas » (considérant 1825 de la décision attaquée). La Commission précise que Krka aurait, notamment, continué à constituer une menace en tant que fournisseur de partenaires locaux de distribution (considérant 1828 de la décision attaquée).

414    La Commission indique également que Servier et Krka auraient pu, en l’absence d’incitation, conclure un accord moins restrictif permettant l’entrée anticipée de Krka ou lui accordant une licence pour le territoire de l’Union dans son ensemble (considérant 1831 de la décision attaquée).

415    La Commission conclut en indiquant que, « en l’absence des restrictions contenues dans les accords […], Krka demeurait un concurrent potentiel important de Servier » (considérant 1834 de la décision attaquée).

416    Il convient de constater que, en se bornant à invoquer la « menace concurrentielle » que Krka aurait continué à exercer sur Servier et alors même, d’une part, que les effets proconcurrentiels d’une simple « menace » ne présentent pas, contrairement à ceux de l’entrée d’une société de génériques sur le marché, un caractère d’évidence et, d’autre part, que les effets de cette « menace » étaient, en l’espèce, largement atténués par la présence du brevet 947 et la confirmation de sa validité par les autorités compétentes (voir points 380 à 407 ci-dessus), la Commission n’a pas établi que le jeu de la concurrence tel qu’il se serait déroulé en l’absence de l’accord de règlement amiable aurait probablement été plus ouvert.

417    Il peut être relevé, à cet égard, que la Commission aurait dû préciser quels auraient été les effets probables, en particulier sur les prix, la production, la qualité ou la diversité des produits ou encore l’innovation (voir points 373 à 375 ci-dessus), de la « menace concurrentielle » que Krka aurait continué à exercer sur Servier en l’absence de l’accord de règlement amiable, ce qu’elle aurait pu faire, par exemple, en démontrant que, du fait de l’absence de menace, Servier avait limité ses dépenses de recherche et de développement.

418    Il y a lieu de souligner que, si l’analyse faite par la Commission du pouvoir de marché de Servier ainsi que de la structure du marché en cause, caractérisée par une absence ou une rareté des sources de concurrence, pourrait permettre de conforter l’existence des effets restrictifs d’un accord empêchant l’entrée sur le marché d’un concurrent potentiel, elle ne suffit pas à rendre probables et concrets les effets restrictifs d’un accord compromettant l’existence d’une « menace concurrentielle ».

419    En effet, quelle que soit la structure du marché, les effets anticoncurrentiels de la clause de non-commercialisation restent largement hypothétiques s’il est probable, eu égard au déroulement réel des événements tel qu’il a pu être observé au moment où la Commission a adopté sa décision, que, même en l’absence de cette clause, le concurrent potentiel concerné aurait pu avoir un comportement similaire à celui qu’il a eu en présence de la clause, c’est-à-dire, en l’espèce, que Krka serait restée en dehors des trois marchés pour lesquels la Commission a retenu l’existence d’une restriction par effet.

420    S’agissant par ailleurs de l’hypothèse selon laquelle, en l’absence des accords de règlement amiable et de licence conclus entre Servier et Krka, et, en particulier, de l’incitation que, selon la Commission, ils comportent, un autre accord permettant l’entrée anticipée de Krka ou lui accordant une licence pour le territoire de l’Union dans son ensemble aurait été conclu (voir point 414 ci-dessus ainsi que considérant 1142 de la décision attaquée), son caractère probable n’est aucunement étayé, et ce d’autant moins que, ainsi qu’il ressort de l’examen du moyen tiré de l’absence de restriction de concurrence par objet, l’existence d’une incitation n’a pas été établie par la Commission.

421    Enfin, il convient de souligner que le cadre concret dans lequel s’insèrent les accords de règlement amiable et de licence conclus entre Servier et Krka, lequel se caractérise par la présence d’un brevet dont la validité avait été confirmée par l’OEB (voir point 382 ci-dessus), se distingue de celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission (T‑461/07, EU:T:2011:181, points 187 et 191), lequel est cité par la Commission, notamment au considérant 1219 de la décision attaquée. En l’absence d’éléments de contexte comparables à ceux, liés à l’existence d’un brevet et à la reconnaissance de sa validité, qui viennent d’être rappelés ci-dessus (voir, notamment, points 383 à 397 ci-dessus) et qui sont déterminants dans le présent litige, le Tribunal avait, dans cet arrêt, estimé, sur la base de la seule circonstance qu’une entreprise frappée d’une clause d’exclusion par la mesure litigieuse était un concurrent potentiel, que la Commission avait pu conclure à bon droit que cette entreprise serait entrée sur le marché en l’absence de la clause d’exclusion.

422    Il convient encore de relever que, dans l’arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission (T‑461/07, EU:T:2011:181), le Tribunal n’a pas validé une pratique décisionnelle de la Commission selon laquelle celle-ci pourrait, dès lors qu’est en cause l’élimination d’un concurrent potentiel, faire abstraction du déroulement réel des événements tel qu’il a pu être observé au moment où elle a adopté sa décision.

423    Au demeurant, une telle pratique, si elle était validée, pourrait, dans certains cas, conduire à un résultat incohérent, par exemple, dans l’hypothèse où le seul concurrent potentiel existant, qui est éliminé par un accord, disparaîtrait dès la mise en œuvre de celui-ci, du fait, par exemple, d’une liquidation judiciaire, circonstance qui neutraliserait de manière évidente les effets d’éviction de l’accord,sauf à envisager ceux-ci de manière hypothétique et non de manière réaliste, ainsi que l’exige la jurisprudence (voir points 367 et 370 ci-dessus).

424    Il ne peut donc, en l’espèce, être conclu à l’existence d’une restriction de concurrence par effet en référence à l’arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission (T‑461/07, EU:T:2011:181).

425    Il résulte de ce qui précède que les effets restrictifs de la clause de non-commercialisation figurant dans l’accord de règlement amiable sur le jeu de la concurrence n’ont pas été établis par la Commission.

2)      Sur la clause de non-contestation figurant dans l’accord de règlement amiable

426    À titre liminaire, il convient de relever que, dans le point de la décision attaquée intitulé « Comportement probable en l’absence des accords Krka », la Commission ne mentionne aucun élément relatif au comportement probable de Krka quant au brevet 340, pour lequel il existe également une clause de non-contestation dans l’accord de règlement amiable.

427    Par conséquent, s’agissant de l’étape de l’analyse de la restriction par effet consistant en une comparaison entre le jeu de la concurrence en présence des accords et le jeu de la concurrence en l’absence de ceux-ci (voir point 315 ci-dessus), la Commission a limité son analyse au brevet 947.

428    Par ailleurs, la Commission indique, toujours dans le point de la décision attaquée intitulé « Comportement probable en l’absence des accords Krka », qu’« il semble plausible que, en l’absence de l’obligation de non-contestation, Krka demeurerait un challenger de la validité du brevet 947 devant les tribunaux du Royaume-Uni et de l’OEB » (considérant 1827 de la décision attaquée).

429    La Commission a ainsi fondé son constat de restriction par effet sur le fait que, en l’absence de la clause de non-contestation, Krka aurait poursuivi les procédures dans lesquelles elle était engagée devant les juridictions du Royaume-Uni et l’OEB.

430    À cet égard, il convient de rappeler qu’une clause de non-contestation est, par elle-même, restrictive de concurrence, dans la mesure où elle porte atteinte à l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, EU:C:1986:75, point 92).

431    Il y a donc lieu de déterminer si l’application de la clause de non-contestation, et, plus particulièrement, le retrait de Krka des procédures dans lesquelles elle était engagée, a eu un effet quant à l’élimination du brevet 947.

432    Il convient de rappeler que, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence, Krka et Servier s’opposaient dans le cadre de deux procédures et que c’est l’accord de règlement amiable qui a conduit Krka à ne pas poursuivre ces procédures.

433    Ainsi, au Royaume-Uni, le 2 août 2006, Servier avait saisi la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon du brevet 947 à l’encontre de Krka. Il avait également introduit une demande d’injonction provisoire. Le 1er septembre 2006, Krka avait introduit une demande reconventionnelle en annulation du brevet 947. Le 3 octobre 2006, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], avait fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et avait rejeté la demande de procédure sommaire (motion of summary judgment) introduite par Krka le 1er septembre 2006, tendant à l’invalidation du brevet 947. Le 1er décembre 2006, l’instance en cours s’est éteinte conformément à l’accord de règlement amiable intervenu entre les parties et l’injonction provisoire a été levée.

434    S’agissant du litige devant l’OEB, dix sociétés de génériques, dont Krka, avaient formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB en 2004, en vue d’obtenir sa révocation dans sa totalité, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive et de l’exposé insuffisant de l’invention. Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB avait confirmé la validité de ce brevet à la suite de légères modifications des revendications initiales de Servier. Sept sociétés avaient formé un recours contre cette décision. Krka s’est retirée de la procédure d’opposition le 11 janvier 2007 conformément à l’accord de règlement amiable intervenu entre les parties.

435    Il convient toutefois de rappeler que, au Royaume-Uni, Servier avait également saisi la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon à l’encontre d’Apotex le 1er août 2006, en invoquant la violation du brevet 947, cette dernière ayant lancé une version générique du périndopril le 28 juillet 2006. Apotex avait formé une demande reconventionnelle en annulation de ce brevet. Une injonction provisoire interdisant à Apotex d’importer, d’offrir à la vente ou de vendre du périndopril avait été prononcée le 8 août 2006.

436    Sur la base de la demande reconventionnelle introduite par Apotex, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a jugé, le 6 juillet 2007, que le brevet 947 était invalide en raison de l’absence de nouveauté et d’activité inventive par rapport au brevet 341. L’injonction a, par conséquent, été immédiatement levée et Apotex a pu reprendre les ventes de sa version générique du périndopril sur le marché du Royaume-Uni.

437    La Commission a considéré que l’infraction concernant les accords conclus entre Servier et Krka avait pris fin à cette date au Royaume-Uni.

438    Par ailleurs, s’agissant du litige devant l’OEB, sur la base de la procédure entamée, notamment, par Krka, la chambre de recours technique de l’OEB a, par décision du 6 mai 2009, annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947.

439    La Commission a considéré que l’infraction concernant les accords conclus entre Servier et Krka, pour autant qu’elle se poursuivait encore dans certains États membres, avait pris fin à cette date.

440    Au regard du déroulement des procédures relatives au brevet 947, qui ont continué après le retrait de Krka des procédures dans lesquelles elle était partie, tel qu’exposé ci-dessus, il ne peut être considéré que, en l’absence de l’accord de règlement amiable intervenu entre les parties, la poursuite des procédures par Krka aurait, de manière probable, voire plausible, permis une invalidation plus rapide ou plus complète de ce brevet.

441    Or, la Commission n’a pas établi, ni même allégué, dans la décision attaquée, que l’invalidation du brevet 947 aurait été plus rapide ou plus complète si Krka n’avait pas accepté de se soumettre à la clause de non-contestation figurant dans l’accord de règlement amiable.

442    Les circonstances que « Krka [ait] considér[é] précédemment que ses arguments dans le contentieux brevetaire comptaient parmi les plus convaincants et qu’ils constituaient une menace particulière pour le brevet 947 » ou que les juridictions du Royaume-Uni, malgré leur rejet de la demande de procédure sommaire introduite par Krka, aient estimé que celle-ci avait une « base solide » pour contester la validité du brevet 947 (considérant 1827 de la décision attaquée) ne permettent pas de conclure que la participation de Krka aux procédures en cause aurait conduit à une invalidation plus rapide ou plus complète du brevet.

443    De même, retenir, comme le fait la Commission au considérant 1712 de la décision attaquée (auquel renvoie la note en bas de page no 2445 de ladite décision), qu’« éliminer un challenger fort peut avoir un impact sur l’issue finale du contentieux/de l’opposition » ne permet pas de conclure au caractère probable, voire même plausible, des effets de la clause de non-contestation qui s’appliquait à Krka.

444    Il incombait en effet à la Commission de démontrer, de manière suffisamment précise et étayée, de quelle manière les arguments de Krka ou sa position contentieuse particulière auraient pu, si elle avait poursuivi les procédures dans lesquelles elle était engagée, avoir un impact déterminant, non pas sur l’issue des litiges, puisque deux de ces litiges – à savoir celui devant l’OEB, qui s’est poursuivi après le désistement de Krka, et celui opposant Servier et Apotex devant la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] – avaient, en tout état de cause, conduit à une invalidation du brevet 947, mais sur le délai dans lequel cette invalidation était intervenue ou sur sa portée.

445    Par ailleurs, il n’appartient pas au Tribunal, s’agissant de l’appréciation des éléments constitutifs d’une infraction, lesquels ne relèvent pas de sa compétence de pleine juridiction, mais du contrôle de légalité, de substituer sa propre motivation à celle de la Commission (arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 73 et 75 à 77).

446    Il n’appartient donc pas au Tribunal d’examiner pour la première fois, à partir d’autres éléments du dossier que ceux retenus par la Commission aux fins d’établir les effets restrictifs de la clause de non-contestation, si le maintien de la participation de Krka aux procédures contentieuses en cours aurait conduit à une invalidation plus rapide ou plus complète du brevet 947.

447    En tout état de cause, eu égard aux considérations exposées au point 444 ci-dessus, les éléments du dossier qui seraient susceptibles d’être pertinents ne permettent pas de parvenir à une telle conclusion, qu’il s’agisse du fait que « Krka croyait avoir un avantage stratégique en raison de meilleurs éléments de preuves » (considérants 851 et 1685 de la décision attaquée), qu’une autre société poursuivant la commercialisation d’un périndopril générique ait indiqué que l’action en nullité de Krka était « la plus prometteuse d’entre toutes » (considérant 867 de la décision attaquée) ou encore du fait que, selon Krka, Servier estimait qu’elle détenait des preuves parmi les meilleures et les plus exhaustives pour l’opposition devant l’OEB et pour l’annulation au Royaume-Uni (considérants 912 et 1688 de la décision attaquée).

448    Il convient encore d’ajouter que, quelle que soit la structure du marché en cause, y compris lorsque celle-ci, comme en l’espèce, se caractérise, selon la Commission, par une absence ou une rareté des sources de concurrence, les effets anticoncurrentiels d’une clause de non-contestation restent largement hypothétiques s’il est probable, eu égard au déroulement réel des événements tel qu’il peut être observé au moment où la Commission adopte sa décision, que, en l’absence de celle-ci, le brevet en cause, à savoir, en l’espèce, le brevet 947, aurait été invalidé au même moment et dans une même mesure (voir point 419 ci-dessus).

449    Par ailleurs, il n’est pas démontré par la Commission, contrairement à ce qui semble ressortir du considérant 1712 de la décision attaquée, que la procédure opposant Servier à Krka devant les juridictions du Royaume-Uni aurait pu conduire à établir que la technologie de cette dernière était non contrefaisante. En effet, les procédures concernant Krka et Apotex consistaient en des actions en contrefaçon introduites par Servier et en des demandes reconventionnelles en annulation du brevet 947 introduites en réponse par ces deux sociétés de génériques. Ces procédures étaient donc similaires. Or, il a été mis fin à l’ensemble de la procédure concernant Apotex par l’invalidation du brevet 947 et, donc, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si sa technologie était contrefaisante. Il est plausible, eu égard à la similarité des procédures et en l’absence d’éléments contraires apportés par la Commission, qu’il en aurait été de même pour Krka.

450    A fortiori, il n’est pas démontré que la procédure devant l’OEB aurait pu conduire à établir que la technologie de Krka était une technologie non contrefaisante dès lors que cette procédure concernait la seule validité du brevet 947.

451    Il résulte de ce qui précède que les effets restrictifs de la clause de non-contestation figurant dans l’accord de règlement amiable sur le jeu de la concurrence n’ont pas été établis par la Commission.

3)      Sur la cession sous licence de la technologie de Krka

452    S’agissant de l’accord de cession par lequel Krka a vendu sa technologie à Servier, la Commission s’est bornée à constater que, en l’absence de cet accord, « Krka aurait continué à disposer de la liberté de céder ou de concéder sous licence ses droits relatifs à la technologie relative au périndopril » (considérant 1829 de la décision attaquée), ce qui n’est pas suffisant, s’agissant d’une simple cession d’un bien assortie d’un accord de licence et non d’une mesure d’éviction comme peut l’être une clause de non-commercialisation, pour établir l’existence d’effets probables, en particulier sur les prix, la production, la qualité ou la diversité des produits ou encore l’innovation (voir points 373 à 375 ci-dessus). L’existence d’effets anticoncurrentiels est d’autant moins établie que la technologie de Krka ne permettait pas de contourner le brevet 947, ce qui, eu égard aux indices sérieux qui pouvaient laisser penser que ce brevet était valide, rend peu plausible, ainsi que le soutient à juste titre la requérante, l’hypothèse selon laquelle des sociétés de génériques concurrentes de Servier auraient, en l’absence de l’accord de cession, cherché à acquérir la technologie de Krka.

453    Il résulte de ce qui précède que les effets restrictifs sur le jeu de la concurrence de la cession sous licence de la technologie de Krka n’ont pas été établis par la Commission.

454    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n’a pas établi l’existence d’un effet restrictif de concurrence résultant de l’accord de règlement amiable ou de l’accord de cession qui soit suffisamment probable pour qu’elle ait pu être en mesure de constater l’existence d’une restriction par effet. Il y a lieu d’ajouter qu’un tel effet restrictif n’est pas plus susceptible d’être constaté lorsque les deux accords sont considérés dans leur ensemble.

455    Il y a donc lieu d’accueillir le grief relatif à l’erreur d’appréciation, lequel permet, à lui seul, de déclarer fondé l’ensemble du moyen invoqué par la requérante et tiré de ce que la Commission a conclu, à tort, à l’existence d’une restriction par effet résultant des accords passés entre Servier et Krka.

456    Il convient, encore, de déterminer si la Commission a, au surplus, comme le soutient la requérante, entaché sa décision d’une erreur de droit.

d)      Sur l’erreur de droit

457    Ainsi qu’il a été dit (voir points 330 et 340 ci-dessus), la Commission a considéré que, dès lors qu’elle avait établi que l’accord de règlement amiable excluait un concurrent potentiel de Servier, elle n’était pas tenue, pour faire apparaître le jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence d’accord (l’un des termes de la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus), de prendre en compte le déroulement réel des événements tel qu’il avait pu être observé au moment où elle adoptait sa décision. Au contraire, la Commission a estimé, en se fondant sur sa pratique habituelle en matière de prise en compte des effets potentiels d’un accord, selon laquelle il suffit de démontrer que cet accord est « susceptible » d’avoir des effets anticoncurrentiels (voir points 319 et 324 ci-dessus), qu’elle pouvait faire reposer sa description du jeu de la concurrence en l’absence d’accord sur des hypothèses ou des possibilités.

458    Ainsi qu’il ressort de l’examen ci-dessus du grief relatif à l’erreur d’appréciation, certains des événements que la Commission n’a pas pris en compte étaient non seulement pertinents, mais également déterminants aux fins d’opérer la comparaison mentionnée au point 315 ci-dessus.

459    Ainsi, s’agissant de la clause de non-commercialisation, si la Commission a pris en compte la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et les injonctions prononcées par les juridictions du Royaume-Uni à l’encontre de Krka et d’Apotex aux fins d’établir la qualité de concurrent potentiel de Krka, elle n’a pas dûment pris en considération ces événements aux fins de déterminer si cette dernière serait probablement entrée sur le marché en l’absence d’accord, se bornant à cet égard à indiquer que, en l’absence d’accord, la « menace concurrentielle » émanant de Krka aurait persisté.

460    S’agissant de la clause de non-contestation, la Commission n’a pas pris en compte le résultat des procédures engagées à l’encontre du brevet 947 par d’autres sociétés de génériques et qui se sont poursuivies malgré le fait que Krka avait cessé toute contestation.

461    S’agissant, enfin, de la structure du marché, question transversale qui concerne à la fois la clause de non-commercialisation et la clause de non-contestation, la Commission s’est contentée de déterminer quelles étaient les sources de concurrence identifiées au moment où le dernier des accords de règlement amiable visés dans la décision attaquée a été conclu et d’indiquer qu’il y avait une « forte possibilité » que ces sources soient éliminées du jeu concurrentiel par un accord ou un autre moyen, sans prendre en compte le fait qu’une telle possibilité ne s’était pas réalisée pendant la durée de l’infraction (considérant 1846 de la décision attaquée).

462    Un tel raisonnement ressort, de manière explicite, de la note en bas de page no 2445 de la décision attaquée, dans laquelle la Commission se fonde, pour établir l’existence d’effets restrictifs de la clause de non-contestation, sur le fait qu’il subsistait peu de sociétés concurrentes de Servier susceptibles de poursuivre les procédures en cours ou d’en lancer de nouvelles et qu’« il était plausible que Servier envisage de transiger avec ces sociétés », ce qui aurait supprimé toute possibilité qu’une procédure à l’encontre du brevet 947 se maintienne ou soit lancée. Or, s’il est vrai que Servier a approché ces sociétés, il n’est pas parvenu à transiger avec elles, et notamment avec l’une d’entre elles qui a finalement obtenu l’annulation du brevet 947 au moment même où la clause de non-contestation était appliquée par Krka.

463    Or, le caractère limité de l’examen auquel la Commission a procédé ne pouvait se justifier au regard de la jurisprudence de l’Union. En effet, la jurisprudence relative à la prise en compte des effets potentiels des accords, examinée aux points 345 à 358 ci-dessus, n’était pas applicable en l’espèce (voir point 362 ci-dessus).

464    Il en allait de même, pour les raisons indiqués ci-dessus aux points 421 à 424, s’agissant du caractère transposable de la solution retenue, en matière d’accords éliminant la concurrence potentielle, dans l’arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission (T‑461/07, EU:T:2011:181) (voir points 421 à 424 ci-dessus).

465    Il y a donc lieu de conclure que la Commission a procédé à un examen incomplet de la situation qu’il lui incombait d’apprécier aux fins de déterminer si les accords conclus entre Servier et Krka étaient restrictifs de concurrence par effet, le caractère incomplet de l’examen de la Commission étant révélateur d’une application erronée de la jurisprudence de l’Union et donc d’une erreur de droit.

466    Par ailleurs, selon l’approche retenue par la Commission, il lui suffit de constater l’élimination d’un concurrent potentiel pour être en mesure de conclure, dans un contexte de structure de marché caractérisée par une absence ou une rareté des sources de concurrence et un pouvoir de marché de la société de princeps, à une restriction de concurrence par effet.

467    Une telle approche permettrait à la Commission, si elle était admise, de constater, dans des affaires telles que celles de l’espèce qui concernent des clauses restrictives associées à un accord de règlement amiable en matière de brevets de médicament, l’existence d’une restriction de concurrence par effet en n’ayant, pour l’essentiel, qu’à s’assurer que deux des trois conditions exigées pour conclure à l’existence d’une restriction par objet, à savoir l’existence d’une concurrence potentielle et la présence de clauses restrictives de concurrence, sont remplies.

468    La démonstration que la troisième condition, à savoir la présence d’une incitation, est remplie étant, ainsi qu’il résulte de l’examen du moyen consacré à la restriction par objet, particulièrement délicate, la tâche de la Commission s’en trouverait sensiblement allégée.

469    Or, eu égard aux exigences renforcées en matière de preuve qui s’attachent à la démonstration d’une restriction de concurrence par effet (voir points 361 et 366 à 377 ci-dessus), une telle solution, contraire à l’esprit de la distinction instaurée par le traité entre les restrictions de concurrence par objet et les restrictions de concurrence par effet, ne saurait être admise.

470    Il résulte de ce qui précède qu’il convient d’accueillir le grief tiré d’une erreur de droit, lequel permet, à lui seul, de déclarer fondé l’ensemble du moyen invoqué par la requérante et tiré de ce que la Commission a conclu, à tort, à l’existence d’une restriction par effet résultant des accords passés entre Servier et Krka.

IV.    Conclusion générale

471    Les moyens relatifs à l’absence de restriction de concurrence par objet ainsi que celui relatif à l’absence de restriction de concurrence par effet étant fondés, il y a lieu de conclure, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours, que c’est à tort que la Commission a constaté l’existence d’une infraction au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE s’agissant des accords conclus entre Servier et Krka.

472    Il y a lieu, par conséquent, d’annuler l’article 4 de la décision attaquée en tant que, par cet article, la Commission a constaté la participation de Krka à une infraction au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE s’agissant des accords conclus entre Servier et Krka.

473    Il y a lieu, pour tenir compte de l’annulation de l’article 4 de la décision attaquée en tant que la Commission y a constaté la participation de Krka à une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, d’annuler l’article 7, paragraphe 4, sous a), de la décision attaquée, par lequel la Commission a prononcé une amende d’un montant de 10 millions d’euros à l’encontre de Krka au titre de cette infraction. Il y a lieu également d’annuler les articles 8 et 9 de la décision attaquée en tant qu’ils concernent Krka.

V.      Sur les dépens

474    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 4 de la décision C(2014) 4955 final de la Commission européenne, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application des articles 101 et 102 TFUE [affaire AT.39612  Périndopril (Servier)], est annulé en tant qu’il constate la participation de Krka Tovarna Zdravil d.d. aux accords visés à cet article.

2)      L’article 7, paragraphe 4, sous a), de la décision C(2014) 4955 final est annulé.

3)      Les articles 8 et 9 de la décision C(2014) 4955 final sont annulés en tant qu’ils concernent Krka Tovarna Zdravil.

4)      La Commission est condamnée aux dépens.

Gervasoni

Madise

da Silva Passos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2018.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Sur le périndopril

1. Brevet de molécule

2. Brevets secondaires

B. Sur la requérante

C. Sur les litiges relatifs au périndopril

1. Litiges devant l’OEB

2. Litiges devant les juridictions nationales

a) Litige opposant Servier à Krka

b) Litige opposant Servier à Apotex

D. Sur les règlements amiables des litiges relatifs aux brevets

E. Sur l’enquête sectorielle

F. Sur la procédure administrative

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur le troisième moyen, tiré de l’absence de restriction de concurrence par objet s’agissant des accords de règlement amiable et de licence

1. Arguments des parties

a) Sur l’absence de restriction par objet du fait de l’absence d’incitation de la requérante à renoncer à ses efforts pour entrer sur plusieurs marchés de l’Union avec un produit générique

b) Sur l’absence de restriction par objet du fait du caractère légitime du recours à un règlement amiable

1) Sur l’existence de véritables différends entre les parties et d’une évaluation par celles-ci de ces différends pour conclure l’accord de règlement amiable

2) Sur l’impossibilité de qualifier la clause de non-contestation d’infraction au droit de la concurrence

3) Sur l’impossibilité de qualifier la clause de non-commercialisation d’infraction au droit de la concurrence

4) Sur une application erronée des principes relatifs à la restriction de concurrence par objet

2. Appréciation du Tribunal

a) Sur les restrictions de concurrence par objet

b) Sur les droits de propriété intellectuelle et, en particulier, les brevets

c) Sur les règlements amiables des litiges en matière de brevets

d) Sur la conciliation entre les accords de règlement amiable en matière de brevets et le droit de la concurrence

e) Sur les accords accessoires

f) Sur les accords de licence

g) Sur les faits de l’espèce

B. Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence de restriction de concurrence par objet s’agissant de l’accord de cession

1. Arguments des parties

2. Appréciation du Tribunal

C. Sur le cinquième moyen, tiré de l’absence de restriction de concurrence par effet

1. Arguments des parties

2. Appréciation du Tribunal

a) Sur l’approche suivie par la Commission

b) Sur la jurisprudence pertinente en l’espèce

c) Sur l’erreur d’appréciation

1) Sur la clause de non-commercialisation figurant dans l’accord de règlement amiable

2) Sur la clause de non-contestation figurant dans l’accord de règlement amiable

3) Sur la cession sous licence de la technologie de Krka

d) Sur l’erreur de droit

IV. Conclusion générale

V. Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.