Language of document : ECLI:EU:C:2002:204

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 21 mars 2002 (1)

Affaire C-292/00

Davidoff & Cie SA

et Zino Davidoff SA

contre

GOFKID Ltd

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

« - »

1.
    En vertu de la directive sur les marques (2), le titulaire d'une marque valable doit pouvoir interdire à tout tiers de faire usage d'un signe ou d'enregistrer un signe en tant que marque si a) le signe est identique à sa marque antérieure et les produits ou les services concernés sont identiques à ceux pour lesquels cette marque est protégée, ou b) le signe est identique ou similaire à la marque antérieure, les produits ou les services concernés sont également identiques ou similaires et il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion.

2.
    La directive permet également à un État membre d'accorder une protection au titulaire lorsque le signe que le tiers a l'intention d'enregistrer, ou dont il entend faire usage, est au moins similaire à la marque enregistrée, mais concerne des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels cette marque antérieure est protégée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'État membre et que l'usage du signe sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice. La protection susceptible d'être accordée dans de tels cas ne requiert pas l'existence d'un quelconque risque de confusion.

3.
    Dans le cadre du présent recours préjudiciel, le Bundesgerichtshof (la cour fédérale de justice) (Allemagne) interroge, en substance, la Cour sur les points de savoir a) si les États membres ont également le pouvoir de prévoir une telle protection supplémentaire dans des cas où les produits ou services concernés sont identiques ou similaires, mais où il n'existe pas de risque de confusion, et/ou b) si la protection supplémentaire n'est permise que dans des cas où l'usage du signe tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice, ou si d'autres règles de droit interne - éventuellement, celles concernant la concurrence déloyale - peuvent également être appliquées.

Cadre juridique

Règles de droit communautaire

4.
    D'après son préambule, la directive vise à rapprocher les législations des États membres en matière de marques dans la mesure où - mais seulement dans la mesure où - elles sont susceptibles d'entraver la liberté du commerce, de fausser la concurrence et d'affecter directement le fonctionnement du marché intérieur (3). Les marques enregistrées doivent donc jouir de la même protection dans tous les États membres, ceux-ci conservant toutefois la faculté d'accorder «une protection plus large aux marques ayant acquis une renommée» (4). La protection de base conférée - laquelle vise notamment à garantir la fonction d'origine de la marque - est absolue en cas d'identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services, mais elle vaut également en cas de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services, auquel cas elle suppose, comme condition spécifique, l'existence d'un risque de confusion (5).

5.
    Pour ce qui concerne la présente affaire, l'article 4 de la directive dispose:

«1.    Une marque est refusée à l'enregistrement ou est susceptible d'être déclarée nulle si elle est enregistrée:

a)    lorsqu'elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou services pour lesquels la marque a été demandée ou a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée;

b)    lorsqu'en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque antérieure.

[...]

4.    Un État membre peut en outre prévoir qu'une marque est refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle lorsque et dans la mesure où:

a)    la marque est identique ou similaire à une marque nationale antérieure [...] et si elle est destinée à être enregistrée ou a été enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque la marque antérieure jouit d'une renommée dans l'État membre concerné et que l'usage de la marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu'il leur porterait préjudice.

[...]»

6.
    L'article 5 contient des dispositions parallèles, rédigées comme suit:

«1.    La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)    d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b)    d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque.

2.    Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'État membre et que l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

[...]»

7.
    Il ressort des observations écrites présentées par la Commission que tous les États membres ont en fait mis en oeuvre les dispositions de l'article 4, paragraphe 4, sous a), et de l'article 5, paragraphe 2, bien que la protection qu'elles visent soit facultative.

8.
    En vertu des articles 4 et 5, certains aspects des réglementations nationales existant au moment de la transposition de la directive peuvent continuer à sortir leurs effets après celle-ci. Selon l'article 4, paragraphe 6, un État membre peut prévoir que les motifs de refus ou de nullité qui étaient applicables dans cet État avant la date de transposition de la directive doivent s'appliquer aux marques dont la demande a été déposée avant cette date. En outre, en vertu de l'article 5, paragraphe 4, l'État membre, lorsque son droit interne, antérieurement à la date de transposition, ne permettait pas d'interdire l'usage d'un signe, peut prévoir que le droit conféré par une marque (postérieure) n'est pas opposable à la poursuite de l'usage de ce signe.

9.
    De plus, bien qu'ils ne soient pas directement concernés en l'espèce, on peut noter que l'article 8, paragraphes 1 et 5, et l'article 9, paragraphe 1, du règlement sur la marque communautaire (6) contiennent des dispositions identiques en substance à celles, respectivement, de l'article 4, paragraphes 1 et 4, sous a), et de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive. En outre, en cas de conflit entre une marque nationale et une marque communautaire antérieure jouissant d'une renommée dans la Communauté, l'article 4, paragraphe 3, de la directive prévoit, dans des termes identiques en substance à ceux de l'article 4, paragraphe 4, sous a), que, si les produits ou services concernés ne sont pas similaires, l'enregistrement doit en être refusé ou doit être déclaré nul.

Règles de droit allemand

10.
    Antérieurement à la mise en oeuvre de la directive, le droit allemand des marques était régi par le Warenzeichengesetz, qui a été remplacé par le Markengesetz, entré en vigueur le 1er janvier 1995 (7). L'article 9, paragraphe 1, nos 1 à 3, du Markengesetz met en oeuvre l'article 4, paragraphes 1 et 4, sous a), de la directive, tandis que l'article 14, paragraphe 2, nos 1 à 3, met en oeuvre l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive. Dans les deux cas, les termes sont analogues en substance à ceux de la directive.

11.
    Le Markengesetz contient également des dispositions transitoires qui reflètent celles de la directive. L'article 153, paragraphe 1, de la loi prévoit, en substance, que les droits conférés par la nouvelle législation ne peuvent pas être invoqués à l'encontre d'une marque ayant existé avant le 1er janvier 1995 si la législation précédente ne permettait pas de contester celle-ci; l'article 163, paragraphe 1, ajoute qu'un recours en annulation d'un enregistrement effectué avant le 1er janvier 1995 ne peut aboutir que s'il est considéré comme fondé en vertu de la législation tant ancienne que nouvelle.

12.
    Selon l'ordonnance de renvoi, le titulaire d'une marque avait, avant 1995, la possibilité, en vertu des dispositions pertinentes du Warenzeichengesetz considérées conjointement avec celles du Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (la loi allemande relative à l'interdiction de la concurrence déloyale), d'empêcher l'usage ou l'enregistrement d'un signe similaire à sa marque, celle-ci devant être notoirement connue auprès du public concerné, jouir d'une renommée et d'un prestige particuliers et donc avoir une grande valeur pour le titulaire, lorsque le signe s'est inspiré de la marque antérieure de manière délibérée et sans nécessité contraignante.

Procédure

13.
    Davidoff & Cie SA et Zino Davidoff SA (ensemble «Davidoff») sont deux sociétés suisses apparentées au nom desquelles la marque «Davidoff» a été enregistrée au niveau international, en tant que marque figurative, sous la forme d'un nom souligné dans un style inspiré, avec une légère différence, d'une écriture normalisée connue sous l'appellation de «English 157» (ou «Englische Schreibschrift» en allemand):

image: davidoff

14.
    En Allemagne, les enregistrements ont produit leur effet, respectivement, le 28 janvier 1982 et le 3 août 1989. Ils concernent notamment les catégories de produits 14 et 34 de la classification prévue par l'arrangement de Nice (8). La classe 14 comprend les produits suivants: «[m]étaux précieux et leurs alliages et produits en ces matières ou en plaqué non compris dans d'autres classes; joaillerie, bijouterie, pierres précieuses; horlogerie et instruments chronométriques». La classe 34 inclut les produits suivants: «[t]abac; articles pour fumeurs; allumettes». Il appert que les produits de la première catégorie sont principalement commercialisés par Davidoff & Cie SA, tandis que ceux de la seconde - en particulier les cigares - le sont par Zino Davidoff SA.

15.
    GOFKID Ltd (ci-après «GOFKID») est une société constituée à Hong Kong qui est titulaire d'une marque figurative, enregistrée en Allemagne et datant de 1991 (9), consistant dans le nom «Durffee» écrit en caractères «English 157» (sous réserve, à nouveau, d'une légère différence), mais non souligné et précédé par deux «D» majuscules en un style plus simple, dont l'un, plus petit, est inséré dans le coin supérieur droit de l'autre. À nouveau, l'enregistrement concerne notamment les catégories de produits 14 et 34. La marque est la suivante:

image: durffee

16.
    Davidoff attache une importance particulière au prestige des produits qu'elle commercialise sous sa marque enregistrée et à la renommée que la marque a acquise en conséquence. Elle considère que la marque «Durffee» vise délibérément à tirer profit de cette renommée, étant donné la similitude de l'écriture, en particulier le «D» majuscule et le double «ff» du nom, et que cette marque lui porte préjudice dans la mesure où les produits qui en sont revêtus sont moins chers et de moindre qualité, ou sont du moins considérés comme tels. Par conséquent, Davidoff a d'abord contesté l'enregistrement de la marque «Durffee» par l'office des marques allemand et a ensuite, lorsque sa réclamation a été rejetée par deux décisions, du 17 février 1993 et du 28 août 1995, introduit un recours juridictionnel à l'encontre de ces décisions en 1996, dans le cadre duquel elle a demandé qu'il soit enjoint à GOFKID de s'abstenir de l'usage de la marque «Durffee» et de consentir à son retrait ou à son annulation.

17.
    Davidoff a échoué dans son action en première instance et en appel, et elle a saisi le Bundesgerichtshof d'un recours en «Revision» sur un point de droit. Dans l'ordonnance de renvoi, le Bundesgerichtshof a (en désaccord avec les conclusions de la juridiction d'appel) considéré que les deux marques sont manifestement similaires, mais qu'une analyse des faits supplémentaire s'imposait avant de pouvoir conclure exactement à l'existence ou non d'un risque de confusion entre les deux. Cependant, la juridiction de renvoi relève également que, sous l'empire de la législation antérieure à 1995 (10), Davidoff aurait pu, sur la base des faits établis, prévenir l'usage de la marque «Durffee», sans nécessité de démontrer un risque de confusion. Toutefois, une telle possibilité n'existe pas aujourd'hui, à moins qu'elle ne soit également donnée par la législation actuelle et, partant, en accord avec la directive.

18.
    Après avoir examiné l'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2, de la directive, le Bundesgerichtshof a estimé que l'interprétation de ces dispositions devait être précisée. D'après leur libellé, elles ne s'appliquent qu'en l'absence de similitude entre les produits ou les services concernés, mais une telle interprétation pourrait être contestée - il semblerait plus, et non moins, important d'empêcher que l'on puisse tirer indûment profit de marques renommées si les produits ou services concernés sont similaires. Peut être importante à cet égard la considération, au moment d'apprécier le risque de confusion, qu'un faible degré de similitude entre les marques peut être compensé par un dégré élevé de similitude entre les produits ou services désignés, et inversement (11). Si les dispositions doivent être interprétées selon leur sens littéral, la question se pose de savoir si elles restreignent la continuité de la protection en droit national de marques renommées aux seuls motifs de refus ou de nullité qu'elles mentionnent, ou si elles permettent que les règles nationales (en particulier celles qui visent à combattre la concurrence déloyale) confèrent une protection supplémentaire à des marques renommées contre des signes postérieurs qui sont, ou doivent être, utilisés pour des produits identiques ou similaires.

19.
    Le Bundesgerichtshof a donc sursis à statuer et demandé à la Cour de justice de se prononcer sur les questions suivantes:

«1)    Les dispositions des articles 4, paragraphe 4, sous a) et 5, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 40, p. 1) doivent-elles être interprétées (et, le cas échéant, appliquées) en ce sens qu'elles donnent aux États membres le pouvoir de prévoir une protection plus étendue pour les marques renommées également dans les cas où les marques postérieures sont utilisées ou doivent être utilisées pour des produits ou services qui sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée?

2)    Les articles 4, paragraphe 4, sous a) et 5, paragraphe 2 de la directive sur les marques règlent-ils définitivement la légalité d'une protection plus étendue des marques renommées par le droit national pour les motifs mentionnés dans ces dispositions (usage déloyal du caractère distinctif, atteinte au caractère distinctif ou usage sans juste motif de la marque antérieure), ou autorisent-ils l'adoption de dispositions nationales complémentaires aux fins de protéger les marques renommées contre les marques postérieures qui sont utilisées ou doivent être utilisées pour des produits ou des services identiques ou similaires?»

20.
    Des observations écrites ont été présentées par les parties, ainsi que par le gouvernement portugais et la Commission. Les parties, le Royaume-Uni et la Commission ont fait valoir leurs arguments à l'audience.

La première question

Portée de la question

21.
    Davidoff a exprimé un doute quant à la portée de la première question du Bundesgerichtshof et a suggéré que sa formulation est peut-être imprécise. Selon la lecture qu'elle considère comme correcte, la question revient à se demander si les États membres peuvent conférer une protection plus étendue aux marques renommées lorsqu'il existe une similitude entre les produits concernés, mais pas entre les deux marques - ou entre le signe et la marque, le cas échéant.

22.
    Nous estimons que ce n'est pas ainsi que la question doit être comprise.

23.
    Il est vrai que l'ordonnance de renvoi évoque la possibilité que l'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2, de la directive pourraient autoriser une protection en cas d'inexistence d'un risque de confusion, non seulement du fait de l'absence de similitude entre les produits, mais également du fait de la non-similitude des marques. Toutefois, la juridiction de renvoi est, à l'évidence, convaincue que les marques «Durffee» et «Davidoff» sont similaires et que sa décision va dépendre de la question de savoir si Davidoff peut s'appuyer sur cette similitude pour fonder sa demande. Elle a expressément rejeté l'hypothèse selon laquelle les deux marques ne présentent aucune similitude, mais elle s'interroge sur le point de savoir si la protection admise par la directive dans les cas où les produits ne sont pas similaires ne pourrait pas être étendue par analogie (et par un raisonnement «a fortiori») aux cas où les produits le sont. Dans les motifs de l'ordonnance, le Bundesgerichtshof se demande ensuite si une similitude entre les marques est nécessaire lorsqu'elle est établie en ce qui concerne les produits, mais cette considération n'apparaît pas dans ses questions, telles qu'elles sont formulées.

24.
    La première question doit donc être interprétée en ce sens que la juridiction de renvoi cherche à savoir si la protection élargie permise par l'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2, de la directive peut être conférée lorsque les produits ou les services en question sont similaires, dans la même mesure que s'ils ne le sont pas. Il n'existe, selon nous, aucune raison de supposer que le Bundesgerichtshof a besoin de savoir, ou désire savoir, en vue de statuer sur l'action dont il a été saisi, si le critère de similitude entre les produits et celui de similitude entre les marques, ou entre la marque et le signe, peuvent être substitués l'un à l'autre aux fins de l'interprétation de ces dispositions - bien que cela aurait pu être le cas s'il avait approuvé les conclusions tirées en première instance et en appel, selon lesquelles les marques «Durffee» et «Davidoff» ne sont pas suffisamment similaires au sens de la directive.

25.
    En tout état de cause, il ne serait pas conforme à l'économie de la directive, ou aux principes régissant la protection des marques en général, que le titulaire d'une marque, quelle que soit sa réputation, se voie donner la possibilité de s'opposer, en ce qui concerne des produits similaires, à l'usage ou à l'enregistrement d'un signe ou d'une marque ne présentant aucune similitude avec la sienne. Et si l'usage sans juste motif d'un signe ou d'une marque concurrente est de nature à tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée d'une marque protégée ou à leur porter préjudice, il nous semble alors qu'il doit exister un niveau de similitude suffisant entre les deux.

Appréciation juridique

26.
    Dans l'ensemble, tant Davidoff que le gouvernement portugais et la Commission adoptent le point de vue, que la juridiction de renvoi elle-même semble partager, selon lequel l'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2, de la directive, dans la mesure où ils permettent à une marque renommée d'être protégée contre l'usage d'une marque ou d'un signe similaire pour des produits qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée, doivent également, à plus forte raison, permettre cette protection lorsque les produits présentent une similitude. En revanche, GOFKID et le Royaume-Uni plaident, en invoquant plusieurs arguments, pour une interprétation plus stricte de ces dispositions. Ils soutiennent, en particulier, que leur libellé est clairement circonscrit et qu'il n'est ni nécessaire ni souhaitable d'étendre la protection qui y est déjà reconnue.

27.
    Il est vrai que le premier point de vue paraît séduisant - la directive, selon une lecture littérale, semble comporter une lacune en ce qui concerne les marques qui jouissent d'une certaine renommée.

28.
    Hormis les dispositions spécifiques de l'article 4, paragraphe 4, sous a), et de l'article 5, paragraphe 2, de la directive, de telles marques sont, à l'instar des autres, visées par l'article 4, paragraphe 1, sous a) et b), et l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b). Par conséquent, elles sont protégées contre i) toute marque ou signe identique utilisé pour des produits identiques, ii) toute marque ou signe identique ou similaire utilisé pour des produits similaires et toute marque ou signe similaire utilisé pour des produits identiques, dans la mesure où il existe un risque de confusion, et iii) toute marque ou signe identique ou similaire utilisé pour des produits qui ne sont pas similaires, qu'il y ait ou non un risque de confusion, si l'usage ne repose pas sur de justes motifs et tire indûment profit de leur caractère distinctif ou de leur renommée, ou porte préjudice à ces derniers.

29.
    Pourtant, à moins qu'il n'existe un risque de confusion, rien ne semble avoir été prévu pour le cas où la marque ou le signe concurrent est similaire à la marque renommée et où son usage - pour des produits qui sont similaires à ceux qui sont revêtus de la marque renommée - ne repose pas sur de justes motifs et tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de celle-ci, ou leur porte préjudice. Si, toutes choses égales par ailleurs, une protection est reconnue, malgré l'absence de risque de confusion, lorsque les produits concernés ne sont pas similaires, on peut douter que le législateur communautaire ait entendu ne pas en reconnaître lorsqu'ils le sont.

30.
    L'idée selon laquelle la protection visée à l'article 4, paragraphe 4, sous a), et à l'article 5, paragraphe 2, concernant les produits non similaires serait une extension d'une protection comparable reconnue en ce qui concerne des produits similaires semble, d'ailleurs, trouver un appui dans la jurisprudence de la Cour. Dans l'affaire SABEL (12), la Cour a jugé que l'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2, de la directive permettent au titulaire d'une marque jouissant d'une renommée d'interdire l'usage sans juste motif de signes identiques ou similaires à sa marque, sans exiger que soit établi un risque de confusion, et cela «même si» les produits en cause ne sont pas similaires. De même, dans l'affaire General Motors (13), la Cour a fait mention de la protection visée à l'article 5, paragraphe 2, comme étant d'application «même pour» des marques utilisées pour des produits non similaires.

31.
    Toutefois, les termes «même si/pour» utilisés dans ces propos ne doivent pas nécessairement s'entendre au sens de «y compris dans le cas où», c'est-à-dire «dans le cas où les produits sont similaires et également dans celui où ils ne le sont pas». Ils peuvent également être perçus comme une manière de souligner la différence mise en évidence par la Cour dans l'arrêt Canon: «[e]n effet - et contrairement à ce qui est prévu par exemple à l'article 4, paragraphe 4, sous a), qui vise explicitement les cas où les produits ou services ne sont pas similaires -, l'article 4, paragraphe 1, sous b), prévoit qu'un risque de confusion présuppose une identité ou une similitude entre les produits ou services désignés» (14). En outre, ces considérations ne font pas partie du fondement juridique du dispositif des arrêts rendus dans les deux affaires, mais constituent plutôt des réflexions sur des questions accessoires. Que ce soit dans un cas ou dans l'autre, l'usage du mot «même» par la Cour ne se rapportait pas à la question examinée. Celle qui est soulevée en l'espèce n'a pas encore fait l'objet d'un examen spécifique par la Cour (15) et il nous paraît souhaitable d'y procéder de manière plus approfondie.

32.
    À cet égard, l'argument défendu par GOFKID et le Royaume-Uni selon lequel les termes de la directive sont clairs apparaît d'emblée comme particulièrement convaincant.

33.
    L'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2, de la directive se réfèrent expressément à des signes ou à des marques utilisés pour des «produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque [antérieure] est enregistrée», sans y ajouter de réserve en utilisant des termes tels que «même» ou «y compris». Une quelconque intention selon laquelle ces dispositions devraient être interprétées comme incluant des produits ou des services similaires n'apparaît pas davantage à la lecture du préambule de la directive.

34.
    Lorsqu'une disposition est claire, il n'est, en principe, ni nécessaire ni souhaitable de rechercher ce sur quoi elle repose. Cela étant dit, cependant, les travaux préparatoires de la directive - qui sont étroitement liés à ceux du règlement - tendent, en l'espèce, à plaider en faveur d'une interprétation littérale.

35.
    Dans les propositions initiales de directive et de règlement soumises au Conseil le 25 novembre 1980 (16), la protection n'était en principe reconnue qu'à l'encontre d'enregistrements ou d'usages concernant des produits identiques ou similaires. Une exception au profit de marques renommées est apparue dans la seule proposition de règlement, mais elle ne visait que le seul usage d'une marque ou d'un signe concurrent «pour des produits ou des services non similaires». Cette règle a été étendue, dans la version finale du texte, à la protection contre l'enregistrement, dans les mêmes circonstances, d'une marque communautaire concurrente, mais la proposition de directive, que ce soit dans sa version initiale ou modifiée (17), ne contenait pas une telle disposition. L'exposé des motifs explique la raison de cette omission délibérée (18): l'intention était d'amener les titulaires de marques renommées désireux de bénéficier d'une protection élargie à l'obtenir par le biais de l'enregistrement d'une marque communautaire.

36.
    Les termes de l'article 4, paragraphe 4, sous a), et de l'article 5, paragraphe 2, de la directive qui ont finalement été retenus, aux fins de permettre aux États membres d'accorder une telle protection s'ils le désirent, sont les mêmes que ceux qui ont été utilisés dans le courant des travaux préparatoires du règlement - à savoir «pour des produits ou des services non similaires» -, bien que le Comité économique et social ait recommandé, dans son avis, que la directive, suivant l'exemple du règlement, protège la marque renommée «même lorsqu'il s'agit de produits non similaires» (19). Ainsi, bien qu'il lui ait été suggéré d'étendre la protection en question à l'hypothèse d'un usage concernant des produits tant similaires que non similaires, le législateur a opté pour une formulation limitée aux seuls produits non similaires. Compte tenu également du fait que les dispositions ont été ajoutées tardivement, en vue de déroger à l'intention initiale, qui était de n'admettre une protection qu'en ce qui concerne des produits identiques ou similaires, cette circonstance plaide en faveur d'une interprétation littérale.

37.
    Dans ces conditions, il semble évident que les termes utilisés par le législateur expriment précisément, et intégralement, son intention. À notre avis, seul un argument particulièrement prégnant pourrait justifier une interprétation en désaccord tant avec l'intention du législateur qu'avec la formulation claire des dispositions.

38.
    Un tel argument pourrait peut-être se concevoir s'il existait une lacune patente dans le régime de protection des marques renommées, et la Commission, notamment, estime qu'il existe une telle lacune, comme nous l'avons rapporté ci-dessus. Si tel est le cas, une interprétation large des dispositions de la directive, propre à combler cette lacune, pourrait se justifier.

39.
    En revanche, GOFKID et le Royaume-Uni estiment qu'il n'y a pas de lacune et que la protection qui est déjà accordée est suffisante.

40.
    Le Royaume-Uni notamment fait valoir que, si un signe ou une marque similaire est utilisée sans juste motif pour des produits non similaires et tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure réputée ou leur porte préjudice, alors son utilisation pour des produits similaires créerait normalement un risque de confusion qui justifierait l'application de l'article 4, paragraphe 1, sous b), ou de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive.

41.
    Cependant, bien que cela puisse souvent être le cas, le fait de considérer que tel serait toujours le cas paraît dangereusement proche d'une présomption selon laquelle, quand une marque est renommée, on peut toujours conclure à un risque de confusion si une marque similaire est utilisée pour des produits similaires. Or, cette possibilité a été écartée par la Cour dans l'arrêt Marca Mode (20), dans une hypothèse où existait un risque d'association, une telle conclusion devant, à plus forte raison, s'imposer lorsqu'un tel risque n'existe pas.

42.
    En tout état de cause, nous partageons le point de vue que la protection ne présente pas de réelle lacune. Il est vrai que l'on pourrait conclure à l'existence d'une lacune, par exemple, dans l'hypothèse où une marque ou un signe joue sur sa similitude avec une marque antérieure, tout en niant expressément tout rapport avec celle-ci, ce qui, à première vue, prévient le risque de confusion (21). Or, même dans de tels cas, il peut, en dépit des apparences, exister un risque de confusion. Dans cette hypothèse, les marques renommées bénéficieront du même avantage que les autres et il ne semble y avoir aucune raison de leur accorder, en vertu de l'article 4, paragraphe 4, sous a), ou de l'article 5, paragraphe 2, une protection facultative et qui ferait double emploi. Pourtant, si cela ne devait pas être le cas, faut-il en conclure que de telles marques ne seraient, dans ces circonstances, plus protégées, en tant qu'elles ne relèveraient ni des articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, ni des articles 4, paragraphe 4, sous a), et 5, paragraphe 2?

43.
    Cette conclusion nous paraît inexacte. Il n'est pas difficile, selon nous, d'interpréter ces dispositions de manière à conclure qu'il existe effectivement une protection continue, sans qu'il soit pour cela nécessaire d'aller au-delà de leur sens littéral.

44.
    Il ressort clairement de l'économie de la directive, et son dixième considérant l'affirme expressément, que l'existence d'un risque de confusion est la condition spécifique de la protection de base et obligatoire conférée par les articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1. [Il est vrai que l'article 4, paragraphe 1, sous a), et l'article 5, paragraphe 1, sous a), ne mentionnent pas expressément cette condition, mais, comme nous l'avons expliqué dans nos conclusions dans l'affaire LTJ Diffusion (22), elle se déduit des conditions dans lesquelles ces dispositions s'appliquent.]

45.
    Les articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, confèrent une protection dans une gamme de situations différentes, en partant de l'identité absolue entre les produits et entre les marques, ou entre les marques et les signes, jusqu'à une simple similitude des uns et des autres. Lorsqu'il n'existe aucune similitude quelconque entre les marques, ou entre la marque et le signe en cause, il paraît évident, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, qu'il ne se justifie pas de permettre au titulaire d'une marque protégée d'empêcher l'usage d'une autre marque ou d'un autre signe, quel que puisse être le degré de similitude ou de différence entre les produits concernés. On ne peut pas admettre une extension de la portée de la protection dans une telle hypothèse.

46.
    Par contre, lorsqu'une marque ou un signe identique ou similaire est utilisé dans une hypothèse où les produits ne sont pas similaires, une protection peut se justifier dans certaines situations. Celles-ci concerneront, avant tout, toutes les marques qui jouissent en soi d'une renommée, plutôt que celles qui n'ont qu'une fonction d'origine, et ce sont précisément ces marques-là que visent l'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2. Ces situations peuvent être considérées comme une extension (pour les seules marques qu'elles concernent) du champ d'application des articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1 (concernant toutes les marques), au-delà du moment où les produits concernés cessent d'être similaires. Dès lors, les marques renommées ne bénéficient pas d'un régime de protection distinct et autonome, mais elles jouissent de la même protection générale reconnue à toutes les marques et, en outre, d'une protection spécifique, complémentaire et facultative.

47.
    Cela étant, la protection visée à l'article 4, paragraphe 4, sous a), et à l'article 5, paragraphe 2, en plus d'être facultative pour les États membres et applicable aux seules marques renommées, suppose la réunion de conditions différentes (23). Il n'est plus nécessaire de prouver l'existence d'un risque de confusion, mais il faut démontrer que le signe ou la marque concurrente est utilisé sans juste motif et que cet usage tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque protégée ou leur porterait préjudice - soit des conditions qui ne doivent pas être remplies lorsque les produits sont similaires. Par conséquent, il nous semble qu'il n'y a aucune rupture dans la continuité de la protection des marques jouissant d'une renommée, mais plutôt que les conditions à satisfaire changent lorsque la protection concerne des produits qui ne sont plus similaires (auquel cas la protection reconnue aux autres marques cesse complètement).

48.
    Il convient, en outre, de garder à l'esprit que, même sous l'empire des articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, les marques présentant un caractère distinctif particulier - que ce soit intrinsèquement ou grâce à la notoriété dont elles jouissent auprès du public - bénéficient d'une protection plus étendue que pour d'autres marques. Dans l'arrêt SABEL (24), la Cour a considéré que l'existence d'un tel caractère distinctif accroissait le risque de confusion. Dès lors, ce risque, bien qu'il doive toujours faire l'objet d'une appréciation par le juge national sur la base des éléments de fait qui lui sont soumis (25), sera plus facile à démontrer même lorsque le degré de similitude entre les produits concernés est moindre. Ici encore, la protection reconnue aux marques renommées va au-delà de celle dont jouissent les autres marques et contribue à combler ce qui, sans cela, aurait pu être perçu comme une lacune (26).

49.
    Les tenants de la théorie de la «lacune» sont peut-être préoccupés par la situation suivante. Supposons qu'un tiers utilise le signe «Coca-Cola», ou un signe similaire, pour un lubrifiant industriel (27). La société Coca-Cola Company pourrait l'en empêcher en invoquant l'article 5, paragraphe 2, de la directive, dans la mesure où, selon toute probabilité, cet usage en ce qui concerne un tel produit ne se justifierait pas pour un motif légitime et où, ce qui paraît à nouveau plausible, l'usage tirerait indûment profit de la réputation de «Coca-Cola» ou lui porterait préjudice. Mais, si un tel signe était utilisé pour un produit similaire au coca-cola, dans des circonstances telles qu'un risque de confusion est exclu (bien que cela puisse sembler improbable), ne serait-il pas aberrant que la société ne bénéficie plus de la protection à cause de la similitude accrue entre les produits?

50.
    La réponse se trouve dans l'interprétation, telle que rapportée ci-dessus, que la Cour a effectuée dans les arrêts SABEL, Canon et Marca Mode, précités. Même si les deux produits pourraient en soi ne pas être aisément confondus, la renommée de la marque «Coca-Cola» en ce qui concerne les boissons en bouteilles peut être telle que le public pourrait s'imaginer qu'ils proviennent de la même entreprise, ou d'entreprises économiquement apparentées (28), bien que cela soit, bien entendu, une question de fait. La protection en cause n'est reconnue qu'aux marques jouissant d'un caractère distinctif particulier et, dans la mesure où ce caractère découle de leur renommée, assure la transition vers le régime de protection quelque peu différent visé à l'article 4, paragraphe 4, sous a), et à l'article 5, paragraphe 2, de la directive.

51.
    Par conséquent, bien qu'il puisse exister un type de situation dans lequel une marque renommée n'est pas protégée contre l'usage de marques ou de signes identiques ou similaires - à savoir lorsque les produits en question sont similaires et qu'il n'existe aucun risque de confusion -, la définition même de ce type de situation indique qu'il est susceptible d'être d'importance minime en pratique, d'autant plus que ses limites sont davantage encore restreintes dans la jurisprudence de la Cour. En outre, il n'est pas improbable que, en omettant délibérément d'admettre une protection dans ce type de situation, le législateur communautaire ait voulu affirmer le point de vue selon lequel le risque de confusion devrait être la condition normale de la protection. Il peut aussi avoir envisagé que la situation dans laquelle les produits ne sont pas similaires constitue justement un domaine où les agents économiques malhonnêtes pourraient tirer indûment profit d'une marque renommée à moins d'une protection supplémentaire, tandis qu'il serait beaucoup plus difficile d'agir de la sorte en cas de similitude entre les produits sans créer un risque de confusion.

52.
    Il est vrai que, du fait de la nature différente des conditions qui doivent être remplies dans chacun des deux régimes de protection, des difficultés pratiques peuvent survenir dans certains cas, peu nombreux, où il existe un doute réel quant au caractère similaire des produits concernés. Le titulaire de la marque renommée pourrait être contraint de former simultanément deux recours, l'un fondé sur l'article 4, paragraphe 1, ou 5, paragraphe 1, et l'autre sur l'article 4, paragraphe 4, sous a), ou l'article 5, paragraphe 2. Toutefois, à supposer même qu'il répugne à le faire, son problème ne paraît pas insurmontable, et il ressort clairement de la directive que le législateur communautaire a entendu prévoir des conditions différentes lorsque les circonstances sont différentes.

53.
    En conséquence, nous concluons que les termes de la directive sont clairs et qu'il n'existe aucune raison impérieuse d'en donner une interprétation incompatible avec leur sens évident.

54.
    Pour parvenir à une telle conclusion, il n'est pas nécessaire de se demander si, tout bien considéré, il ne serait pas préférable que la protection en cause soit également admise en cas de similitude des produits concernés. Une telle analyse relève de la mission du législateur communautaire. Cela étant dit, nous avons mentionné l'attrait suscité par une approche «a fortiori», tandis que, d'autre part, GOFKID et le Royaume-Uni objectent que l'interprétation qu'elle suppose ne serait pas du tout souhaitable. Il peut s'avérer utile de s'attarder quelque peu sur l'argumentation de ces derniers.

55.
    Nous trouvons très convaincant l'argument défendu par GOFKID et le Royaume-Uni selon lequel l'interprétation large proposée pour l'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2, réduirait la netteté des contours de la protection prévue par la directive, qui suppose essentiellement l'existence d'un risque de confusion, en admettant, dans certaines circonstances, une protection concurrente ou subsidiaire soumise à d'autres conditions et entraînant ainsi une insécurité juridique. Des concurrents désireux d'utiliser des marques similaires pour des produits similaires (et l'on se souviendra qu'un certain degré de similitude entre les marques peut se justifier, voire même s'imposer, compte tenu de la nature du produit) devraient non seulement s'assurer qu'ils ont évité tout risque de confusion, mais aussi qu'aucun recours ne pourrait être formé contre eux en vertu de l'article 4, paragraphe 4, sous a), ou de l'article 5, paragraphe 2. Cela équivaudrait à introduire un niveau de confusion regrettable dans le système lui-même.

56.
    D'autre part, le Royaume-Uni a attiré l'attention sur l'incidence de cette approche sur les marques communautaires. En vertu de l'article 8, paragraphe 5, du règlement, un signe doit être refusé à l'enregistrement en tant que marque communautaire s'il existe une marque nationale antérieure jouissant d'une renommée et si, pour l'essentiel, les conditions de l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive sont réunies. Donc, si une juridiction dans un seul État membre devait conclure qu'une marque y jouit d'une certaine renommée et que l'usage d'un signe concurrent tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque, ou leur porterait préjudice, dans ce seul État membre, cela suffirait pour empêcher tout enregistrement du signe concurrent en tant que marque communautaire. Dans ces circonstances, il ne paraît pas souhaitable d'étendre le champ d'application de l'article 4, paragraphe 4, sous a), et de l'article 5, paragraphe 2, de la directive au-delà de ce qui est nécessaire.

57.
    À propos de ces deux considérations, il est utile de rappeler que la directive a été adoptée sur le fondement de l'article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE) - c'est-à-dire en vue d'atteindre les objectifs fixés par l'article 7 A du traité CE (devenu, après modification, article 14 CE), à savoir l'établissement du marché intérieur - et vise spécifiquement à éliminer les disparités qui peuvent entraver la libre circulation des produits et la libre prestation des services (29). Il ne semble pas particulièrement compatible avec de tels objectifs d'interpréter les dispositions de la directive non seulement en contradiction avec leur sens littéral, mais encore de manière à accroître les possibilités de s'opposer à l'usage ou à l'enregistrement de marques ou de signes alors qu'il n'existe aucun risque de confusion.

58.
    Nous concluons donc, sur cette première question, que la protection facultative visée à l'article 4, paragraphe 4, sous a), et à l'article 5, paragraphe 2, de la directive n'est admise que dans des situations où les produits ou les services en cause ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque (antérieure) est protégée. Lorsque les produits ou les services sont similaires, il appartient aux juridictions nationales d'apprécier, à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à la protection dont bénéficient les marques jouissant d'un caractère distinctif élevé, s'il existe un risque de confusion.

La seconde question

59.
    Ni le gouvernement portugais ni la Commission n'ont abordé la question de savoir si les dispositions de l'article 4, paragraphe 4, sous a), et de l'article 5, paragraphe 2, de la directive, s'il faut les interpréter en ce sens qu'elles ne s'appliquent que dans des situations où les produits ne sont pas similaires, peuvent néanmoins être complétées par des dispositions de droit national reconnaissant aux marques renommées une protection sur d'autres bases contre des marques ou signes (postérieurs) utilisés pour des produits identiques ou similaires. Davidoff plaide avec vigueur pour une réponse affirmative, tandis que GOFKID et le gouvernement du Royaume-Uni adoptent le point de vue adverse.

60.
    Dans son raisonnement, Davidoff s'appuie essentiellement sur les troisième et neuvième considérants de la directive. «[I]l n'apparaît pas nécessaire actuellement de procéder à un rapprochement total des législations des États membres en matière de marques et [...] il est suffisant de limiter le rapprochement aux dispositions nationales ayant l'incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur»; «il est fondamental, pour faciliter la libre circulation des produits et la libre prestation des services, de faire en sorte que les marques enregistrées jouissent désormais de la même protection dans la législation de tous les États membres; [...] cela, cependant, n'enlève pas aux États membres la faculté d'accorder une protection plus large aux marques ayant acquis une renommée». Selon le point de vue défendu par Davidoff, la directive n'a donc été destinée à fixer des règles contraignantes qu'en ce qui concerne les cas où il existe un risque de confusion, laissant l'opportunité d'une éventuelle protection complémentaire à l'appréciation discrétionnaire des États membres.

61.
    Nous ne pouvons pas nous rallier à cette interprétation. Non seulement elle ne trouve aucun appui - ainsi que Davidoff l'admet elle-même - dans les dispositions de la directive, mais elle est aussi en désaccord avec la déclaration figurant dans le septième considérant, selon lequel «les motifs de refus ou de nullité concernant la marque elle-même, par exemple l'absence de caractère distinctif, ou concernant les conflits entre la marque et des droits antérieurs, doivent être énumérés de façon exhaustive, même si certains de ces motifs sont énumérés à titre facultatif pour les États membres qui pourront donc maintenir ou introduire dans leur législation les motifs en question» (c'est nous qui soulignons).

62.
    Il paraît donc évident que l'intention du législateur communautaire a été de circonscrire le régime facultatif de la protection élargie aux dispositions de la directive qui s'y rapportent. En effet, si tel n'avait pas été le cas, il n'y aurait guère eu de raison de préciser, d'une manière ou d'une autre, quelle protection peut être accordée en vertu de l'article 4, paragraphe 4, sous a), et de l'article 5, paragraphe 2. En l'état, ces dispositions fixent très clairement les limites du pouvoir d'appréciation dont disposent les États membres.

63.
    À ce propos, il importe à nouveau de noter que l'enregistrement d'une marque communautaire peut être refusée s'il existe un droit antérieur dans un quelconque des États membres. Si chaque État membre avait le droit d'adopter le régime de protection complémentaire de son choix, l'ensemble du régime de la marque communautaire courrait un danger considérable d'être anéanti, de même que l'harmonisation visée par la directive même, dont l'objectif est de supprimer les entraves aux échanges et les distorsions de la concurrence dans l'intérêt du marché intérieur (30).

64.
    En outre, ainsi que la Cour l'a constamment rappelé (31), les articles 5 à 7 de la directive contiennent une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque. Il doit en être de même au moins de l'article 4, paragraphe 4, sous a), à moins d'interpréter cette disposition en contradiction avec les termes pratiquement identiques de l'article 5, paragraphe 2.

65.
    Il est vrai que le Bundesgerichtshof indique, dans son raisonnement, que la seconde question vise, en particulier, à savoir si des dispositions nationales complémentaires en matière de protection contre des actes de concurrence déloyale sont permises. La directive, selon les termes de son sixième considérant, «n'exclut pas l'application aux marques des dispositions du droit des États membres, autres que le droit des marques, telles que les dispositions relatives à la concurrence déloyale, à la responsabilité civile ou à la protection des consommateurs».

66.
    Cependant - hormis la considération que la question de la juridiction de renvoi ne concerne pas spécifiquement cet aspect, lequel n'a d'ailleurs pas été débattu devant la Cour -, il nous semble que l'article 4, paragraphe 4, sous a), et l'article 5, paragraphe 2, visent justement à empêcher une certaine forme de concurrence déloyale. En concordance avec le sixième considérant, ces dispositions précisent les types de dispositions nationales relatives à la concurrence déloyale dont l'application en matière de marques n'est pas exclue dans les circonstances qu'elles décrivent. Il apparaît, dans ces conditions, plausible que le législateur communautaire n'ait pas eu l'intention d'autoriser d'autres dispositions, plus étendues, de ce type à s'appliquer dans ces mêmes circonstances. S'il avait eu cette intention, il l'aurait indiqué expressément, ou alors il n'aurait pas précisé quels types de dispositions sont autorisées.

67.
    Par conséquent, il convient, selon nous, de répondre à la seconde question par la négative.

Conclusion

68.
    Nous proposons à la Cour de répondre ce qui suit aux questions posées par le Bundesgerichtshof:

«La protection facultative visée à l'article 4, paragraphe 4, sous a), et à l'article 5, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, n'est admise que dans des situations où les produits ou les services en cause ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque (antérieure) est protégée. Lorsque les produits ou les services sont similaires, il appartient aux juridictions nationales d'apprécier, à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à la protection dont bénéficient les marques jouissant d'un caractère distinctif élevé, s'il existe un risque de confusion au sens de l'article 4, paragraphe 1, ou 5, paragraphe 1, selon le cas.

Les motifs de refus ou de nullité précisés à l'article 4, paragraphe 4, sous a), et à l'article 5, paragraphe 2, pour lesquels cette protection facultative peut être accordée sont formulés de manière exhaustive et ne peuvent pas être complétés par des dispositions nationales destinées à protéger les marques renommées contre les signes postérieurs qui sont utilisés ou doivent être utilisés pour des produits ou des services identiques ou similaires.»


1: -     Langue originale: l'anglais.


2: -     Première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).


3: -     Voir, notamment, les premier et troisième considérants.


4: -     Voir neuvième considérant. [Pour le surplus, cette note intéresse la version des conclusions en langue anglaise.]


5: -     Voir dixième considérant.


6: -     Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993 (JO 1994, L 11, p. 1, ci-après le «règlement»).


7: -     En dépit du fait que les dispositions de la directive devaient avoir été transposées le 31 décembre 1992 au plus tard (article 16).


8: -     Arrangement concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques du 15 juin 1957, révisé à Stockholm le 14 juillet 1967 et à Genève le 13 mai 1977 et modifié le 28 septembre 1979.


9: -     L'enregistrement a été demandé le 5 avril 1991 et la procédure semble avoir été achevée en 1993, bien que le dossier n'en donne pas clairement la date précise.


10: -     Voir point 12 ci-dessus.


11: -     Arrêt du 29 septembre 1998, Canon (C-39/97, Rec. p. I-5507, point 17).


12: -     Arrêt du 11 novembre 1997 (C-251/95, Rec. p. I-6191, point 20).


13: -     Arrêt du 14 septembre 1999 (C-375/97, Rec. p. I-5421, point 23).


14: -     Arrêt cité à la note 11, point 22. Voir également le point 21 de l'arrêt SABEL même, où la Cour souligne la distinction par les mots «contrairement à l'article 4, paragraphe 1, sous b)».


15: -     Notons, toutefois, qu'elle est à nouveau soulevée par le Hoge Raad der Nederlanden (la cour de cassation des Pays-Bas) dans le cadre d'un recours préjudiciel très récent (l'affaire Adidas, C-408/01) et concernant la même marque que celle qui était en cause dans l'arrêt du 22 juin 2000, Marca Mode (C-425/98, Rec. p. I-4861).


16: -     JO C 351, respectivement, p. 1 et 5.


17: -     JO 1985, C 351, p. 4.


18: -     Bulletin des Communautés européennes, supplément 5/80, 1980, p. 13.


19: -     JO 1981, C 310, p. 22, 24 (c'est nous qui soulignons).


20: -     Cité dans la note 15, point 41.


21: -     Ce fut le cas, par exemple, du jeu «Anti-Monopoly» dont nous avons fait mention aux points 40 et 19 de nos conclusions dans l'affaire SABEL, précitée, bien qu'il semble que la juridiction néerlandaise ait conclu des circonstances de la cause qu'il existait en fait un risque de confusion (Edor/General Mills Fun, 1978 Ned. Jur. 83). Un autre exemple est actuellement pendant devant la Cour dans l'affaire Arsenal Football Club (C-206/01), où des produits identiques revêtus d'un signe identique à la marque protégée ont été mis en vente sous réserve d'un avertissement quant à la véritable origine du produit.


22: -     C-291/00, pendante devant la Cour, conclusions présentées le 17 janvier 2002, aux points 34 à 39.


23: -     Voir, par exemple, l'arrêt Marca Mode, cité à la note 15, ci-dessus, points 35 et 36.


24: -     Cité à la note 12, point 24. Voir également les arrêts Canon, cité à la note 11, point 18, et Marca Mode, cité à la note 15, point 41.


25: -     Voir arrêt Marca Mode, précité, point 39.


26: -     Cette jurisprudence s'accorde entièrement avec le dixième considérant de la directive, d'après lequel l'appréciation du risque de confusion «dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l'association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés» (c'est nous qui soulignons).


27: -     Classe 4 de la classification prévue par l'arrangement de Nice: «[h]uiles et graisses industrielles; lubrifiants; produits pour absorber, arroser et lier la poussière; combustibles (y compris les essences pour moteurs) et matières éclairantes; bougies, mèches». D'après les informations dont nous disposons, la société Coca-Cola Company, bien qu'elle ait enregistré sa marque pour une large gamme de produits relevant de classes différentes, n'a pas demandé un tel enregistrement pour les produits de la classe 4. Quoi qu'il en soit en réalité, cela n'est qu'une hypothèse pour les besoins de la démonstration.


28: -     Voir les dispositifs des arrêts Canon et Marca Mode, précités.


29: -     Voir premier considérant de la directive.


30: -     Voir arrêt du 16 juillet 1998, Silhouette International Schmied (C-355/96, Rec. p. I-4799, points 26 et 27).


31: -     Voir, par exemple, les arrêts Silhouette International Schmied, cité à la note 30, point 25, et du 20 novembre 2001, Zino Davidoff et Levi Strauss (C-414/99 à C-416/99, Rec. p. I-8691, point 39).