Language of document : ECLI:EU:F:2007:76

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 8 décembre 2011 (1)

Affaire C‑41/11

Inter-Environnement Wallonie ASBL,

Terre wallonne ASBL

contre

Région wallonne

[demande de décision préjudicielle
présentée par le Conseil d’État (Belgique)]

«Protection de l’environnement — Directive 2001/42/CE — Évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement — Directive 91/676/CEE — Protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles — Programmes d’action portant sur les zones vulnérables désignées — Annulation d’une norme nationale jugée contraire à la directive 2001/42/CE — Possibilité de maintenir, pendant une courte période, les effets de cette norme»





I –    Introduction

1.        Est-il conforme au droit de l’Union européenne de maintenir en vigueur, jusqu’à l’adoption d’une mesure de substitution, un programme d’action en matière environnementale adopté en violation d’une directive de procédure, si ce programme met en œuvre le contenu d’une autre directive? Voilà, en substance, la question que la Cour doit examiner dans la présente procédure préjudicielle.

2.        Le Conseil d’État (Belgique) a en effet déféré à la Cour une question sur les conséquences d’une violation de la directive 2001/42/CE (2) (ci-après la «directive ESIE», ESIE pour évaluation stratégique des incidences sur l’environnement).

3.        Dans la procédure au principal, deux organisations non gouvernementales (ONG) belges, Inter-Environnement Wallonie ASBL et Terre wallonne ASBL, s’opposent à la Région wallonne à propos de la validité d’un programme d’action adopté par la région pour transposer la directive 91/676/CEE (3) (ci-après la «directive sur les nitrates»).

4.        L’engraissement des surfaces agricoles est soumis aux règles énoncées par la directive sur les nitrates et par les programmes d’action qui doivent être adoptés pour sa mise en œuvre. Les agriculteurs engraissent leurs champs non seulement pour améliorer la croissance de leurs cultures, mais également pour se débarrasser des effluents d’origine animale. Lorsqu’une entreprise produit plus d’effluents que les cultures ne peuvent en absorber, cela entraîne un excédent d’amendement qui pollue régulièrement les eaux (4).

5.        La Cour a précisé, dans une première procédure préjudicielle, qu’un programme d’action de ce type nécessite une évaluation de ses incidences sur l’environnement en vertu de la directive ESIE (5).

6.        Le programme d’action de la Région wallonne litigieux ayant été adopté en l’espèce sans qu’il ait été procédé à une telle évaluation, selon les constatations du Conseil d’État, la juridiction de renvoi doit désormais déterminer s’il y a lieu d’abroger ce programme. Selon la demande de décision préjudicielle, l’abrogation rétroactive du programme d’action constituerait la sanction normale de la violation de la directive ESIE. Toutefois, elle aurait nécessairement pour effet une absence de transposition complète de la directive sur les nitrates par la Wallonie. En pratique, les restrictions à l’épandage d’engrais pourraient disparaître, mais il pourrait éventuellement en être de même pour des droits d’épandage des agriculteurs.

7.        L’effet d’une abrogation serait limité dans le temps puisque la Wallonie a adopté entre-temps un nouveau programme d’action (6) et le Royaume de Belgique indique, tout comme la Commission européenne, que celui-ci tient compte de la directive ESIE. La question soulevée est donc celle de savoir si l’ancien programme d’action de la Région wallonne doit être abrogé de manière rétroactive pour la période allant du 15 février 2007 au 6 mai 2011, date d’entrée en vigueur du nouveau programme.

II – La demande de décision préjudicielle

8.        Au vu de ces éléments, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le Conseil d’État,

–        saisi d’un recours en annulation de l’arrêté du gouvernement wallon du 15 février 2007 modifiant le livre II du code de l’environnement constituant le code de l’eau en ce qui concerne la gestion durable de l’azote en agriculture,

–        qui constate que cet arrêté a été adopté sans respecter la procédure prescrite par la directive [ESIE] et est, pour cette raison, contraire au droit de l’Union européenne et doit être annulé,

–        mais qui constate en même temps que l’arrêté attaqué procure une exécution convenable à la directive [sur les nitrates],

–        peut-il différer dans le temps les effets de l’annulation juridictionnelle pendant une courte période nécessaire à la réfection de l’acte annulé afin de maintenir au droit de l’environnement de l’Union une certaine exécution concrète sans solution de continuité?»

9.        Inter-Environnement Wallonie ASBL et Terre wallonne ASBL ainsi que le Royaume de Belgique, la République française et la Commission ont présenté des observations écrites. Excepté Terre wallonne ASBL, tous ont également participé à l’audience du 8 novembre 2011.

III – Le cadre juridique

10.      Les objectifs de la directive ESIE résultent notamment de son article 1er:

«La présente directive a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement, et de contribuer à l’intégration de considérations environnementales dans l’élaboration et l’adoption de plans et de programmes en vue de promouvoir un développement durable en prévoyant que, conformément à la présente directive, certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une évaluation environnementale.»

11.      Les quatrième et cinquième considérants de la directive ESIE indiquent à cet égard que:

«(4)      L’évaluation environnementale est un outil important d’intégration des considérations en matière d’environnement dans l’élaboration et l’adoption de certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement dans les États membres, parce qu’elle assure que ces incidences de la mise en œuvre des plans et des programmes sont prises en compte durant l’élaboration et avant l’adoption de ces derniers.

(5)      L’adoption de procédures d’évaluation des incidences sur l’environnement au niveau de l’établissement des plans et des programmes devrait être bénéfique aux entreprises en créant un cadre plus cohérent pour le déploiement des activités économiques en incluant des informations environnementales pertinentes dans les prises de décision; la prise en compte d’un plus grand nombre de facteurs dans le processus de décision doit contribuer à des solutions plus durables et plus efficaces.»

IV – Appréciation juridique

A –    Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

12.      La Commission estime qu’il n’est plus nécessaire de répondre à la demande de décision préjudicielle après l’adoption du nouveau programme d’action wallon. Selon la Commission, puisque la Cour ne répond pas aux questions hypothétiques (7), la demande est irrecevable.

13.      Interrogé par la Cour, le Conseil d’État a toutefois indiqué qu’une réponse était bel et bien nécessaire pour trancher le litige en suspens. Selon le Conseil d’État, le nouveau programme d’action n’a aucun effet rétroactif. La juridiction de renvoi doit donc décider si elle doit prononcer la nullité de l’ancien programme d’action pour la période allant de son adoption à son abrogation par le nouveau programme.

14.      Cet état du litige distingue la présente procédure notamment de l’affaire à l’origine de l’arrêt du 9 décembre 2010, Fluxys (C‑241/09, Rec. p. I‑12773). Cette affaire concernait la conformité de certaines normes internes au droit de l’Union (8). La Cour a toutefois constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer après que la Cour constitutionnelle belge a prononcé l’abrogation rétroactive des normes litigieuses (9), et que celles-ci ne pouvaient donc plus être appliquées dans la procédure au principal. Dans la présente affaire, le Conseil d’État doit encore décider s’il convient de prononcer la nullité du programme d’action à titre rétroactif.

15.      Il y a donc lieu de répondre à la demande de décision préjudicielle.

B –    Sur la question du Conseil d’État

16.      Le Conseil d’État souhaite savoir s’il peut prononcer le maintien en vigueur du programme d’action wallon transposant la directive sur les nitrates et adopté en violation de la directive SUP jusqu’à l’adoption d’une réglementation de substitution.

1.      Sur l’arrêt Winner Wetten

17.      Dans ce contexte, le Conseil d’État et les parties examinent de manière intensive l’arrêt Winner Wetten (10). Dans l’affaire à l’origine de cet arrêt, la question posée était celle de savoir si les juridictions nationales pouvaient prononcer le maintien en vigueur provisoire d’une réglementation nationale concernant les jeux de hasard incompatible avec les libertés fondamentales.

18.      En principe, il résulte de la primauté du droit de l’Union que les dispositions nationales qui lui sont contraires sont inapplicables (11). En vertu du principe de protection juridictionnelle effective, les justiciables peuvent également faire valoir cette primauté devant les tribunaux (12).

19.      Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. En outre, une telle limitation ne peut être admise, selon la jurisprudence constante de la Cour, que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée (13).

20.      Dans l’affaire à l’origine de l’arrêt Winner Wetten, précité, les États membres intervenants avaient soutenu, en substance, que la reconnaissance de l’existence d’un principe qui autoriserait, dans des circonstances exceptionnelles, le maintien provisoire des effets d’une norme nationale jugée contraire à une norme du droit de l’Union directement applicable se justifierait, par analogie, au vu de la jurisprudence qu’a développée la Cour sur le fondement de l’article 264, second alinéa, TFUE, à l’effet de maintenir provisoirement les effets d’actes de droit de l’Union dont elle avait prononcé l’annulation en vertu de l’article 263 TFUE ou constaté l’invalidité en vertu de l’article 267 TFUE (14).

21.      Dans cette affaire, la Cour n’a toutefois pas décidé s’il était possible de suspendre la primauté du droit de l’Union en raison d’autres d’intérêts prépondérants eu égard à l’absence, dans le cas d’espèce, de considérations impérieuses de sécurité juridique propres à justifier celle-ci. Elle a toutefois souligné que les conditions d’une telle suspension ne pourraient être déterminées que par elle seule (15).

22.      En l’occurrence, le Royaume de Belgique, la République française et la Commission déduisent de ces constatations qu’il est possible de statuer sur le maintien en vigueur provisoire de l’ancien programme d’action sur la base d’une mise en balance.

23.      La réponse à la question du Conseil d’État ne se trouve toutefois ni dans l’arrêt Winner Wetten, précité, ni dans des arrêts similaires (16). Une réglementation nationale incompatible avec l’une des libertés fondamentales — ou toute autre norme du droit de l’Union — viole ledit droit à chaque nouvelle application. En principe, elle ne peut pas être appliquée puisque, dans le cas contraire, l’application (uniforme) du droit de l’Union serait menacée.

24.      En revanche, l’omission d’une évaluation des incidences sur l’environnement exigée constitue, en premier lieu, une violation définitive du droit de l’Union qui n’est pas (nécessairement) aggravée davantage par l’application du plan ou du programme. Il est possible qu’une mesure identique aurait été adoptée après qu’il ait été procédé à l’évaluation.

25.      Contrairement à l’opinion de différentes parties, il ne s’agit donc pas de donner à une directive la primauté sur une autre ou de choisir entre la violation de l’une ou de l’autre. La directive ESIE a déjà été violée. Seules les conséquences de cette violation peuvent être atténuées. Si, toutefois, l’ancien programme d’action visant à la mise en œuvre de la directive sur les nitrates était annulé pour violation de la directive ESIE, la violation d’une autre directive s’ajouterait à celle de la directive ESIE.

26.      L’arrêt Winner Wetten, précité, et la primauté du droit de l’Union ne constituent donc pas des bases appropriées pour répondre à la question posée par le Conseil d’État.

2.      Sur les principes d’effectivité et d’équivalence

27.      Il convient en revanche d’invoquer les principes d’effectivité et d’équivalence.

28.      La primauté du droit de l’Union règle l’effet juridique d’un conflit de normes en interdisant l’application du droit national (17).

29.      En revanche, le droit de l’Union ne règle pas en détail comment procéder avec une norme adoptée sans l’évaluation de ses incidences sur l’environnement prescrite par la directive ESIE mais dont le contenu ne contredit aucune norme du droit de l’Union.

30.      Ni la directive ESIE ni la directive sur les nitrates ne comportent notamment des règles sur les conséquences d’erreurs dans la procédure d’établissement de programmes d’action.

31.      Dans le domaine de la directive 85/337/CEE (18) (ci-après la «directive EIE»), la Cour a toutefois constaté que, en vertu du principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TFUE, les États membres sont tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union (19). Cette considération doit également s’appliquer à la directive ESIE.

32.      Dès lors, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant, d’une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (20).

33.      Le principe d’équivalence n’est pas violé en l’occurrence puisque le Conseil d’État indique pouvoir maintenir provisoirement des dispositions, même en cas de faits purement internes, après les avoir annulés (21).

34.      Le principe d’effectivité pourrait toutefois faire obstacle au maintien en vigueur du programme d’action wallon. Chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales (22). Il s’agit là du résultat d’appréciations au cas par cas, portées en considération de l’ensemble du contexte factuel et juridique propre à chaque affaire, qui ne sauraient être transposées automatiquement dans des domaines différents de ceux dans le cadre duquel elles ont été émises (23).

35.      Un cas d’impossibilité est exclu en l’espèce. Le droit à une évaluation des incidences sur l’environnement, avec consultation du public, serait également réalisé en cas de maintien en vigueur provisoire de l’ancien programme d’action, si un nouveau programme tenant compte de la directive ESIE est adopté.

36.      Toutefois, il convient encore de vérifier si le maintien en vigueur provisoire de l’ancien programme d’action ne rendrait pas excessivement plus difficile l’exercice du droit à une évaluation des incidences sur l’environnement.

37.      Le droit à une évaluation des incidences sur l’environnement n’est pas une simple étape formelle de la procédure, mais il doit garantir, en vertu de l’article 1er ainsi que des quatrième et cinquième considérants de la directive ESIE, qu’il est tenu compte, lors de l’élaboration et de l’adoption des plans et des programmes, des incidences de leur exécution sur l’environnement. La prise en compte d’une série de facteurs plus large lors de la prise de décision contribue généralement à des solutions durables et efficaces.

38.      Par conséquent, il ne saurait être supposé que la mesure aurait également été adoptée avec un contenu identique s’il avait été procédé à une évaluation des incidences sur l’environnement dans les règles. Il convient, au contraire, de présumer qu’une mesure ayant fait l’objet d’une évaluation aurait été plus favorable à la protection de l’environnement que la mesure non évaluée. En particulier, elle devrait produire moins d’effets négatifs sur l’environnement.

39.      Comme le soutient la Commission, un potentiel correspondant existe précisément lors de l’adoption de programmes d’action au titre de la directive sur les nitrates puisque les États membres disposent d’une flexibilité concernant la portée des mesures à adopter. Les résultats de l’évaluation des incidences sur l’environnement peuvent trouver à s’appliquer une fois cette flexibilité utilisée.

40.      La supposition qu’une mesure évaluée aurait été plus favorable plaide, au premier abord, en faveur d’un sursis à la poursuite de la réalisation de la mesure non évaluée, du moins jusqu’à ce qu’il soit procédé à une évaluation des incidences sur l’environnement. C’est pourquoi, la Cour a constaté que le retrait ou la suspension d’une autorisation déjà accordée afin d’effectuer une évaluation (faisant défaut) des incidences du projet en question sur l’environnement telle que prévue par la directive EIE constituent, par exemple, des mesures appropriées pour remédier à une violation de cette directive (24).

41.      À l’instar d’autres résultats concernant la directive EIE (25), cette réflexion peut être transposée aux plans et aux programmes qui sont une condition à la réalisation de projets susceptibles d’avoir des incidences négatives sur l’environnement. Comme pour l’autorisation d’un projet, la suspension ou le retrait du plan ou du programme empêcherait provisoirement que les projets soient exécutés. Ils ne pourraient donc avoir aucun effet négatif sur l’environnement.

42.      À la différence des autorisations de projet, les plans et les programmes peuvent toutefois faire partie d’une hiérarchie de réglementations ou remplacer des réglementations antérieures. Si de telles mesures sont retirées ou suspendues, des réglementations plus générales ou bien des réglementations antérieures s’appliquent en lieu et place de ces mesures. Ces réglementations peuvent avoir des incidences sur l’environnement plus négatives (26) que la mesure adoptée de manière irrégulière. Si de tels effets sont à craindre, cela irait à l’encontre des objectifs de la directive ESIE de retirer ou de suspendre la mesure litigieuse.

43.      Dans le cadre de décisions de justice concernant les plans et les programmes adoptés sans l’évaluation des incidences sur l’environnement prescrite, il y aurait donc lieu de vérifier quelles normes s’appliqueraient alors en cas d’annulation ou de suspension. Si ces normes sont moins favorables pour l’environnement que la mesure litigieuse, la juridiction peut, sans méconnaître le principe d’effectivité, ordonner le maintien en vigueur provisoire de la mesure existante jusqu’à ce qu’une mesure de substitution soit adoptée sur la base d’une évaluation des incidences sur l’environnement.

44.      Une telle mesure présuppose naturellement que la juridiction nationale soit compétente pour ordonner le maintien en vigueur des réglementations adoptées en violation des règles de procédure. À cet égard, la question peut se poser de savoir si une telle compétence est prescrite par le droit de l’Union lorsque la mesure litigieuse concerne ce droit. Il n’y a toutefois pas lieu pour la Cour de trancher cette question en l’espèce. En effet, le Conseil d’État dispose des compétences nécessaires (27).

45.      Enfin, il convient également de tenir compte du fait qu’un maintien en vigueur provisoire peut rendre moins pressante la nécessité de remplacer la mesure adoptée en violation des règles de procédure par une mesure basée sur une évaluation appropriée des incidences sur l’environnement. Le principe d’effectivité serait en tout cas violé si l’adoption d’une mesure évaluée de manière appropriée était retardée en raison du maintien de l’ancienne mesure. En l’espèce, il n’y a toutefois pas lieu non plus de déterminer quelles sanctions exige le droit de l’Union dans un tel cas. En effet, il est constant qu’une mesure de substitution a déjà été adoptée et qu’elle a été précédée, selon les observations du Royaume de Belgique et de la Commission, d’une évaluation suffisante des incidences sur l’environnement.

46.      En l’occurrence, il est constant que les dispositions en vigueur avant l’adoption de l’ancien programme d’action ne satisfaisaient pas aux exigences de la directive sur les nitrates (28). La Commission soutient, en revanche, que l’ancien programme répondait à ces exigences. Il y a donc lieu de supposer que l’environnement sera mieux protégé des apports en nitrates si l’ancien programme d’action est maintenu provisoirement en vigueur que s’il était annulé.

47.      L’existence effective de ces avantages supposés ne peut toutefois être vérifiée que dans le cadre de procédures judiciaires nationales, notamment si des objections de fond motivées ont été soulevées à l’encontre des normes de l’ancien programme d’action.

V –    Conclusion

48.      Nous proposons donc à la Cour de répondre à la question préjudicielle de la manière suivante:

«Dans le cadre d’une décision judiciaire nationale concernant un plan ou un programme adopté en l’absence d’évaluation de ses incidences sur l’environnement prescrite par la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, il y a lieu d’examiner quelles règles s’appliqueraient en lieu et place de la mesure litigieuse si celle-ci était annulée. Si ces règles sont moins favorables à l’environnement que la mesure litigieuse, la juridiction peut, sans violer le principe d’effectivité, ordonner le maintien en vigueur de la mesure existante jusqu’à l’adoption d’une mesure de substitution sur la base d’une évaluation des incidences sur l’environnement.

Dans le cas d’un programme d’action adopté au titre de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, telle que modifiée par le règlement (CE) no 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003, portant adaptation à la décision 1999/468/CE du Conseil des dispositions relatives aux comités assistant la Commission dans l’exercice de ses compétences d’exécution prévues dans des actes soumis à la procédure visée à l’article 251 du traité CE, il y a lieu, en principe, de privilégier sur son abrogation immédiate le maintien provisoire d’un programme adopté sans vérification des incidences sur l’environnement, mais non contesté au demeurant.»


1 —      Langue originale: l’allemand.


2 —      Directive du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (JO L 197, p. 30).


3 —      Directive du Conseil du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (JO L 375, p. 1), telle que modifiée par le règlement (CE) no 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003, portant adaptation à la décision 1999/468/CE du Conseil des dispositions relatives aux comités assistant la Commission dans l’exercice de ses compétences d’exécution prévues dans des actes soumis à la procédure visée à l’article 251 du traité CE (JO L 284, p. 1).


4 —      Voir, concernant les exigences de la directive sur les nitrates, arrêts du 8 mars 2001, Commission/Luxembourg (C‑266/00, Rec. p. I‑2073); du 2 octobre 2003, Commission/Pays-Bas (C‑322/00, Rec. p. I‑11267); du 22 septembre 2005, Commission/Belgique (C‑221/03, Rec. p. I‑8307), et du 29 juin 2010, Commission/Luxembourg (C‑526/08, Rec. p. I‑6151).


5 —      Arrêt du 17 juin 2010, Terre wallonne et Inter-Environnement Wallonie (C‑105/09 et C‑110/09, Rec. p. I‑5611).


6 —      Arrêté du gouvernement wallon du 31 mars 2011 modifiant le livre II du code de l’environnement contenant le code de l’eau en ce qui concerne la gestion durable de l’azote en agriculture (Moniteur belge du 26 avril 2011, p. 25217).


7 —      Arrêt du 15 septembre 2011, Gueye et Salmerón Sánchez (C‑483/09 et C‑1/10, non encore publié au Recueil, point 40).


8 —      Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Fluxys, précité.


9 —      Arrêt Fluxys, précité (points 32 et 33).


10 —      Arrêt du 8 septembre 2010 (C‑409/06, Rec. p. I‑8015, points 53 à 69).


11 —      Arrêt Winner Wetten (précité à la note 10, points 53 à 57).


12 —      Arrêt Winner Wetten (précité à la note 10, point 58).


13 —      Arrêt du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C‑292/04, Rec. p. I‑1835, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).


14 —      Arrêt Winner Wetten (précité à la note 10, point 63).


15 —      Arrêt Winner Wetten (précité à la note 10, point 67).


16 —      Entre autres, arrêt Meilicke e.a. (précité à la note 13, point 36 et jurisprudence citée).


17 —      Arrêts du 15 juillet 1964, Costa (6/64, Rec. p. 1141, 1253, 1269 et 1270); du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629, points 21 à 24); du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, Rec. p. I‑2433, points 19 à 21), et du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, Rec. p. I‑5667, point 44).


18 —      Directive du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO L 175, p. 40).


19 —      Arrêt du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, Rec. p. I‑723, point 64).


20 —      Arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, Rec. p. I‑6057, point 95); du 12 septembre 2006, Eman et Sevinger (C‑300/04, Rec. p. I‑8055, point 67), et du 12 mai 2011, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, Landesverband Nordrhein-Westfalen (C‑115/09, Rec. p. I‑3673, point 43).


21 —      Le Conseil d’État se réfère à l’article 14 ter des lois coordonnées sur le Conseil d’État.


22 —      Arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, Rec. p. I‑4599, point 14); du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, Rec. p. I‑2271, point 54), et du 8 juillet 2010, Bulicke (C‑246/09, Rec. p. I‑7003, point 35).


23 —      Arrêt du 21 novembre 2002, Cofidis (C‑473/00, Rec. p. I‑10875, point 37).


24 —      Arrêt Wells (précité à la note 19, point 65).


25 —      Voir, par exemple, arrêt du 22 septembre 2011, Valčiukienė e.a. (C‑295/10, Rec. p. I-8263, point 47), ainsi que point 30 de nos conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Terre wallonne et Inter-Environnement Wallonie, précité; points 162, 163 et 175 de nos conclusions dans l’affaire Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias e.a. (C‑43/10,), pendante devant la Cour, et point 31 des présentes conclusions.


26 —      Outre la présente affaire, les points 40 et 41 de nos conclusions dans l’affaire Inter‑Environnement Bruxelles e.a. (C‑567/10,), pendante devant la Cour, sont également illustratifs à cet égard.


27 —      Voir note en bas de page 21 des présentes conclusions.


28 —      Arrêt Commission/Belgique (précité à la note 4).