Language of document : ECLI:EU:C:2019:213

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 14 mars 2019 (1)

Affaire C‑46/18

Caseificio Sociale San Rocco Soc. coop. arl,

S.s. Franco e Maurizio Artuso,

Sebastiano Bolzon,

Claudio Matteazzi,

Roberto Tellatin

contre

Agenzia per le Erogazioni in Agricoltura (AGEA)

Regione Veneto

[demande de décision préjudicielle présentée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Lait – Quotas – Prélèvement supplémentaire – Article 2 du règlement (CEE) no 3950/92 – Article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1788/2003 – Obligation des acheteurs de retenir le prélèvement sur le prix du lait – Article 9 du règlement (CE) no 1392/2001 – Remboursement de l’excédent de prélèvement ‑ Catégories prioritaires – Réallocation des quotas non utilisés »






1.        En 1984, dans le but de maîtriser les excédents structurels, le législateur de ce qui était alors la Communauté économique européenne a établi un régime de quotas applicable à la production de lait et de produits laitiers, associé à un prélèvement supplémentaire sur les livraisons et les ventes directes dépassant le quota. La mise en œuvre de ce régime, initialement prévue pour une période de cinq ans, a été prolongée à plusieurs reprises, avant de prendre fin le 31 mars 2015.

2.        Le régime de quotas a suscité un contentieux considérable devant le juge de l’Union et les juridictions nationales (2). De plus, dans certains États membres, ce régime n’a été appliqué que « fragmentairement » (3). Tel est particulièrement le cas en Italie où, pendant une période relativement longue, les autorités n’ont pas veillé à ce que le prélèvement supplémentaire dû sur la production réalisée en sus du quota national soit correctement imputé, payé en temps utile et/ou, en tout cas, dûment inscrit au rôle et recouvré (4).

3.        La présente affaire est un autre épisode de la longue saga relative au recouvrement des prélèvements impayés en Italie. En résumé, elle soulève le point de savoir si un État membre peut imposer aux acheteurs l’obligation légale de retenir sur le prix du lait le montant du prélèvement dû par les producteurs dépassant leurs quotas individuels. Si une telle législation nationale est incompatible avec le droit de l’Union, la question se pose alors de savoir quelles peuvent être les conséquences de cette incompatibilité du droit national avec le droit de l’Union sur les acheteurs et producteurs.

I.            Cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        Le règlement (CEE) no 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (5) prolonge le régime de prélèvement supplémentaire applicable au secteur du lait et des produits laitiers, qui devait expirer le 31 mars 1993. Ce régime devait se poursuivre pour sept nouvelles périodes de douze mois consécutives à partir du 1er avril 1993 (6).

5.        L’article 2 du règlement no 3950/92 dispose :

« 1.      Le prélèvement est dû sur toutes les quantités de lait ou d’équivalent-lait commercialisées pendant la période de douze mois en question et qui dépassent l’une ou l’autre des quantités visées à l’article 3. Il est réparti entre les producteurs qui ont contribué au dépassement.

Selon la décision de l’État membre, la contribution des producteurs au paiement du prélèvement dû est établie, après réallocation ou non des quantités de référence inutilisées, soit au niveau de l’acheteur en fonction du dépassement subsistant après avoir réparti, proportionnellement aux quantités de référence dont chacun de ces producteurs dispose, les quantités de référence inutilisées, soit au niveau national en fonction du dépassement de la quantité de référence dont chacun de ces producteurs dispose.

2.      En ce qui concerne les livraisons, l’acheteur redevable du prélèvement paie à l’organisme compétent de l’État membre, avant une date et selon des modalités à déterminer, le montant dû qu’il retient sur le prix du lait payé aux producteurs débiteurs du prélèvement et, à défaut, qu’il perçoit par tout moyen approprié.

[…]

Lorsque les quantités livrées par un producteur dépassent la quantité de référence dont il dispose, l’acheteur est autorisé à retenir à titre d’avance sur le prélèvement dû, selon des modalités déterminées par l’État membre, un montant du prix du lait sur toute livraison de ce producteur qui excède la quantité de référence dont il dispose.

[…]

4.      Lorsque le prélèvement est dû et que le montant perçu est supérieur, l’État membre peut affecter le trop perçu au financement des mesures visées à l’article 8, premier tiret, et/ou le rembourser aux producteurs qui entrent dans les catégories prioritaires établies par l’État membre sur la base de critères objectifs à déterminer ou qui sont confrontés à une situation exceptionnelle résultant d’une disposition nationale n’ayant aucun lien avec ce régime. »

6.        L’article 9 (« Critères de répartition de l’excès de prélèvement ») du règlement (CE) no 1392/2001 de la Commission, du 9 juillet 2001, portant modalités d’application du [règlement no 3950/92] établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (7) prévoit :

« 1.      Les États membres déterminent, le cas échéant, les catégories prioritaires de producteurs visées à l’article 2, paragraphe 4, du règlement (CEE) no 3950/92 en fonction de l’un ou de plusieurs des critères objectifs suivants pris par ordre de priorité :

a)      la reconnaissance formelle par l’autorité compétente de l’État membre que le prélèvement est indûment perçu, en tout ou en partie ;

b)      la situation géographique de l’exploitation et en premier lieu les zones de montagne visées à l’article 18 du règlement (CE) no 1257/1999 du Conseil[, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements (JO 1999, L 160, p. 80)] ;

c)      la densité maximale des animaux sur l’exploitation caractérisant l’extensification de la production animale ;

d)      le montant du dépassement de la quantité de référence individuelle ;

e)      la quantité de référence dont dispose le producteur.

2.      Dans le cas où l’application des critères prévus au paragraphe 1 n’épuise pas le financement disponible pour une période donnée, d’autres critères objectifs sont arrêtés par l’État membre après consultation de la Commission. »

7.        Le règlement (CE) no 1788/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant un prélèvement dans le secteur du lait et des produits laitiers (8) a abrogé le règlement no 3950/92. Selon l’article 11 (« Rôle de l’acheteur »), paragraphe 1, du règlement no 1788/2003, l’acheteur est responsable de la collecte, auprès des producteurs, des contributions dues au titre du prélèvement. Il doit payer ces contributions à l’organisme compétent de l’État membre. En vertu de l’article 11, paragraphe 3, « [l]orsque, au cours de la période de référence, les quantités livrées par un producteur dépassent la quantité de référence dont il dispose, l’État membre peut décider que l’acheteur retient à titre d’avance sur la contribution de ce producteur au prélèvement, selon des modalités déterminées par l’État membre, une partie du prix du lait sur toute livraison de ce producteur qui excède la quantité de référence dont il dispose pour la livraison. »

8.        Le règlement no 1788/2003 est entré en vigueur le 24 octobre 2003, conformément à son article 27 (« Entrée en vigueur »). Ses dispositions sont devenues applicables à partir du 1er avril 2004, à l’exception des articles 6 et 24 qui sont devenus applicables à partir de la date de l’entrée en vigueur dudit règlement.

 B.      Le droit italien

9.        L’article 5 (« Obligation des acheteurs »), paragraphes 1 et 2, du decreto‑legge n. 49 – Riforma della normativa in tema di applicazione del prelievo supplementare nel settore del latte e dei prodotti lattiero-caseari (décret-loi no 49 portant réforme de la réglementation concernant l’application du prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers) du 28 mars 2003, devenu, avec des modifications, la loi no 119 du 30 mai 2003 (ci-après le « décret‑loi no 49/2003 ») (9), tel qu’applicable aux moments des faits, dispose :

« 1.      […] Les acheteurs retiennent le prélèvement supplémentaire, calculé par application de l’article 1er du règlement no 3950/92, tel que modifié, sur le lait livré en excès par rapport à la quantité de référence individuelle déterminée pour chaque producteur concerné, […]

2.      Dans les 30 jours qui suivent l’expiration du délai visé au paragraphe 1, […] les acheteurs procèdent au versement des montants retenus sur le compte courant […] de l’AGEA […] »

10.      L’article 9 (« Remboursement du prélèvement excédentaire »), paragraphes 1, 3 et 4, du décret-loi no 49/2003 prévoit :

« 1.      Au terme de chaque période, l’AGEA :

a)      comptabilise les livraisons de lait effectuées et le montant total du prélèvement versé par les acheteurs après exécution des obligations prévues à l’article 5 ;

b)      effectue le calcul du prélèvement national dû au total à l’Union européenne pour les excédents de production livrés ;

c)      calcule le montant du prélèvement excédentaire.

[…]

3.      Le montant visé au paragraphe 1, sous c), […] est réparti entre les producteurs détenteurs de quotas qui ont versé le prélèvement, selon les critères et dans l’ordre qui suivent : […]

4.      Lorsque la somme desdits remboursements est inférieure au montant visé au paragraphe 3, le solde est réparti entre les producteurs détenteurs de quotas qui ont versé le prélèvement, à l’exclusion de ceux qui ont dépassé de plus de 100 pour cent leur propre quantité de référence individuelle, selon les critères et dans l’ordre qui suivent : […] »

11.      L’article 2, paragraphe 3, du decreto-legge del 24 giugno 2004 n. 157 – Disposizioni urgenti per l’etichettatura di alcuni prodotti agroalimentari, nonché in materia di agricoltura e pesca (décret-loi no 157 du 24 juin 2004 – Mesures urgentes d’étiquetage de certains produits agroalimentaires, ainsi qu’en matière d’agriculture et de pêche), devenu, avec des modifications, la loi no 204 du 3 août 2004 (ci-après le « décret-loi no 157/2004 ») (10), dispose :

« En exécution de l’article 9 [du décret-loi no 49/2003], l’excédent du prélèvement versé mensuellement par les producteurs ayant satisfait à leur obligation de versement est restitué aux producteurs eux-mêmes. Si, au terme de ces opérations, le solde total des imputations de prélèvement à effectuer s’avère supérieur au montant du prélèvement dû à l’Union européenne, augmenté de 5 %, l’AGEA annule le prélèvement imputé en excès aux producteurs qui n’ont pas encore effectué les versements mensuels en appliquant les critères de priorité visés aux paragraphes 3 et 4 dudit article 9, sans préjudice des sanctions prévues à l’article 5, paragraphe 5, [du décret-loi no 49/2003]. »

 II.      Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

12.      Au mois de juillet 2004, l’Agenzia per le Erogazioni in Agricoltura (Agence pour l’octroi d’aides dans le secteur agricole, ci-après « l’AGEA ») a envoyé un avis à Caseificio Sociale San Rocco Soc. coop. arl, en tant que « premier acheteur » de produits laitiers. Cet avis, qui concernait les quotas laitiers et le prélèvement supplémentaire pour la période du 1er avril 2003 au 31 mars 2004, indiquait :

–        les calculs avaient été effectués en vue du remboursement du prélèvement payé en excès sur les livraisons de lait de vache pendant la période de référence. Ils étaient basés sur des quantités de référence fixées par les régions et les provinces autonomes, en fonction des déclarations mensuelles des entreprises acheteuses ;

–        les producteurs pouvaient bénéficier du remboursement à condition d’avoir satisfait à l’obligation de paiement du prélèvement supplémentaire, sur la base des déclarations mensuelles des entreprises acheteuses ;

–        l’AGEA avait appliqué l’article 2, paragraphe 3, du décret-loi no 157/2004, selon lequel les producteurs ayant trop payé devaient recevoir un remboursement ; au terme de cette opération, si le solde total des imputations de prélèvement à effectuer s’avérait supérieur au montant du prélèvement dû à l’Union, augmenté de 5 %, l’AGEA n’exigerait pas le versement du prélèvement imputé en excès aux producteurs n’ayant pas encore effectué les versements mensuels. Dans de tels cas, elle appliquerait les critères de priorité visés à l’article 9, paragraphes 3 et 4, et les sanctions prévues à l’article 5 du décret-loi no 49/2003. Par conséquent, elle répartirait le montant du prélèvement imputé en excès seulement entre les producteurs titulaires de quantités de référence qui étaient à jour dans leurs paiements.

13.      L’AGEA a joint à cet avis une liste indiquant, en ce qui concerne chaque producteur, les montants déjà versés et ceux à rembourser.

14.      Sur la base de l’avis mentionné précédemment, l’AGEA a constaté que, s’agissant de la période de référence, la société Caseificio Sociale San Rocco n’avait pas procédé à la retenue du prélèvement supplémentaire prévue à l’article 5 du décret-loi no 49/2003. Par conséquent, les producteurs auprès desquels elle avait acheté du lait devaient encore les montants correspondants.

15.      Caseificio Sociale San Rocco et les producteurs (ci-après les « requérants au principal ») ont soutenu que la législation italienne appliquée par l’AGEA était incompatible avec le droit de l’Union. Ils ont contesté l’avis de l’AGEA devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie). Par jugement du 3 février 2010, cette juridiction a rejeté le recours, concluant en substance que la législation italienne en cause était compatible avec les dispositions du règlement no 1788/2003.

16.      Les requérants au principal ont fait appel du jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie). Par décision provisoire du 21 novembre 2017, cette juridiction a partiellement accueilli l’appel. Elle a jugé que les règles de droit de l’Union applicables en l’espèce n’étaient pas celles du règlement no 1788/2003, mais celles du règlement no 3950/92. Toutefois, compte tenu de ses doutes quant à l’interprétation correcte de certaines dispositions du règlement no 3950/92, elle a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le droit de l’Union doit-il, dans une situation telle que décrite et faisant l’objet de la procédure au fond, être interprété en ce sens que l’incompatibilité d’une disposition législative d’un État membre avec l’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, du [règlement no 3950/92] a pour conséquence l’inexistence de l’obligation pour les producteurs de payer le prélèvement supplémentaire alors que les conditions prévues par ledit règlement sont réunies ?

2)      Le droit de l’Union, en particulier le principe général de protection de la confiance légitime, doit-il, dans une situation telle que décrite et faisant l’objet de la procédure au fond, être interprété en ce sens que l’attente des personnes qui ont respecté une obligation imposée par un État membre, et ont bénéficié des effets attachés au respect de cette obligation, ne jouit pas d’une telle protection lorsque ladite obligation s’avère contraire au droit de l’Union ?

3)      L’article 9 du [règlement no 1392/2001] et la notion de “catégorie prioritaire” en droit de l’Union s’opposent-ils, dans une situation telle que décrite et faisant l’objet de la procédure au fond, à une disposition d’un État membre qui, à l’instar de l’article 2, paragraphe 3, du décret-loi no 157/2004 adopté par la République italienne, prévoit des modalités différenciées de remboursement du prélèvement supplémentaire imputé en excès en faisant, sur les plans du calendrier et des modalités de remboursement, une distinction entre les producteurs qui se sont crus liés par une disposition de droit national s’avérant contraire au droit de l’Union et ceux qui n’ont pas respecté une telle disposition ? »

17.      Les requérants au principal, le gouvernement italien et la Commission ont présenté des observations écrites.

18.      Le 21 novembre 2018, la Cour a demandé des précisions au gouvernement italien sur les procédures suivies concernant le calcul du prélèvement supplémentaire dû au titre de la campagne laitière 2003/2004. Le gouvernement italien a répondu à cette demande le 13 décembre 2018.

19.      Les requérants au principal, le gouvernement italien et la Commission européenne ont également été entendus en leurs observations orales au cours de l’audience qui s’est tenue le 17 janvier 2019.

 III.      Analyse


 A.      Observations préliminaires


 1.      Droit applicable ratione temporis

20.      Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi se réfère expressément à l’article 2 du règlement no 3950/92, en tant que disposition clé applicable à la présente affaire. Cependant, ce point de vue est contesté par le gouvernement italien, qui fait valoir que l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1788/2003 s’applique à l’affaire au principal dans la mesure où la décision de l’AGEA attaquée par les requérants au principal a été rendue en juillet 2004.

21.      Compte tenu de cela, j’estime utile d’établir en l’espèce le cadre juridique applicable ratione temporis.

22.      Ce point n’est pas sans importance : les requérants au principal soutiennent que la législation italienne en cause est incompatible avec le droit de l’Union dans la mesure où elle oblige les acheteurs de lait à retenir le prélèvement sur le prix du lait. Toutefois, en ce qui concerne le mécanisme du prélèvement, les dispositions applicables du règlement no 3950/92 et celles du règlement no 1788/2003 ne sont pas identiques.

23.      L’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1788/2003, qui a abrogé le règlement no 3950/92, a explicitement permis aux États membres de décider que, lorsque, pendant une campagne laitière, les quantités livrées par un producteur excèdent le quota dont celui-ci dispose, l’acheteur est obligé de retenir une partie du prix du lait à titre d’avance sur le prélèvement supplémentaire dû par le producteur. À l’inverse, comme la Cour l’a clarifié dans l’arrêt Consorzio Caseifici dell’Altopiano di Asiago (11), l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92 donnait simplement aux acheteurs la faculté (et ne leur imposait aucunement l’obligation) de procéder à une telle retenue.

24.      À cet égard, je partage la position de la juridiction de renvoi selon laquelle, s’agissant du droit de l’Union, les règles applicables à l’époque des faits étaient celles énoncées dans le règlement no 3950/92 (et, en conséquence, celles du règlement no 1392/2001 précisant les modalités d’application).

25.      L’affaire au principal porte sur la campagne laitière 2003/2004 (du 1er avril 2003 au 30 mars 2004). Cependant, le règlement no 1788/2003 n’est devenu applicable que le 1er avril 2004, conformément à son article 27.

26.      Cela n’est absolument pas surprenant. Habituellement, une campagne laitière commence le 1er avril de chaque année et se termine le 30 mars de l’année suivante (12). Cela explique pourquoi le règlement no 1788/2003 [comme les instruments précédents, notamment le règlement no 3950/92 (13)] est devenu applicable au début d’une campagne laitière.

27.      La mise en œuvre d’un régime prévoyant un prélèvement supplémentaire sur le lait exige nécessairement l’application d’un ensemble donné de règles tout au long de la période de référence. Les règles déterminant les personnes auxquelles incombe la tâche de percevoir le prélèvement, ainsi que les règles établissant le mode de paiement et le montant à payer, ne sont pas de nature procédurale (contrairement à ce que le gouvernement italien prétend), mais des règles de fond (14). À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, alors que les règles de procédure sont généralement applicables au moment où elles entrent en vigueur, même aux affaires et litiges pendants, à moins qu’il en soit disposé autrement dans la mesure en question, les règles de fond sont habituellement interprétées comme ne visant pas, en principe, des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur (15).

28.      Des dispositions comme l’article 2 du règlement no 3950/92 et l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1788/2003 portent sur des aspects clés des obligations de fond créées par le règlement no 3950/92. Par conséquent, conformément aux principes énoncés précédemment, ces dispositions ne s’appliquent pas aux situations existant avant leur entrée en vigueur.

29.      L’argument du gouvernement italien impliquerait que l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1788/2003 devient applicable aux faits (notamment aux livraisons) survenus avant le 1er avril 2004, ainsi qu’aux relations économiques établies avant cette date. En d’autres termes, cet argument aboutirait de facto à l’application rétroactive de l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1788/2003, ce qui serait contraire au libellé clair et à l’esprit de l’article 27 de ce règlement.

30.      À titre de conclusion sur ce point, dans la mesure où la législation nationale en cause a obligé les acheteurs de lait à retenir le prélèvement sur le prix du lait lors d’une période précédant le 1er avril 2004, les paramètres de compatibilité avec le droit de l’Union ne peuvent que découler des dispositions de ce droit qui étaient précisément applicables à cette période : les dispositions du règlement no 3950/92, notamment l’article 2, paragraphe 2.

 2.      Le régime établi par les règlements nos 3950/92 et 1392/2001

31.      Afin de mieux comprendre les questions posées par la juridiction nationale, il peut s’avérer utile de commencer par présenter les éléments du régime établi par les règlements nos 3950/92 et 1392/2001 qui sont pertinents en l’espèce.

32.      Sur la base de ces règlements, un prélèvement a été instauré sur les quantités de lait collectées ou vendues directement, au-delà d’un certain quota. Les États membres ayant dépassé le quota national devaient répartir la charge du paiement entre les producteurs qui avaient contribué au dépassement en excédant leurs quotas individuels.

33.      Afin d’éviter des retards dans la perception et le paiement du prélèvement, le législateur de l’Union a décidé que, en ce qui concerne les livraisons, il incombait à l’acheteur de verser le prélèvement à l’administration publique, après l’avoir perçu auprès des producteurs par la voie d’une retenue sur le prix du lait ou par tout autre moyen approprié. À cette fin, l’autorité nationale compétente notifiait ou confirmait à chaque acheteur le montant du prélèvement dont il était redevable, après que l’État membre avait décidé que tout ou partie des quotas inutilisés devaient être réalloués aux producteurs concernés (soit directement, soit par l’intermédiaire des acheteurs) (16). En cas de réallocation des quotas individuels inutilisés, ceux-ci devaient être répartis proportionnellement aux quantités de référence dont chacun des producteurs disposait.

34.      Toutefois, les États membres pouvaient aussi décider de ne pas réallouer les quotas inutilisés. Dans ce cas, ils pouvaient affecter le montant perçu dépassant le prélèvement dû à l’Union au financement de programmes nationaux de restructuration et/ou le restituer aux producteurs entrant dans certaines « catégories prioritaires » ou se trouvant dans une situation exceptionnelle.

35.      C’est dans ce contexte que j’aborde maintenant l’analyse des questions posées.

 B.      Première question

36.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le conflit entre une disposition législative nationale et l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92 a pour conséquence l’inexistence de l’obligation pour les producteurs de payer le prélèvement supplémentaire alors que les conditions prévues par ledit règlement sont réunies.

37.      Cette question découle de l’hypothèse suivante : en obligeant les acheteurs à retenir le prélèvement supplémentaire sur le paiement versé aux producteurs pour le lait que ceux-ci ont livré en dépassant leurs quotas individuels, et à payer mensuellement ce prélèvement à l’AGEA, la législation italienne en cause était incompatible avec l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92. Comme la Cour l’a clarifié dans l’arrêt Consorzio Caseifici dell’Altopiano di Asiago (17), cette disposition donne aux acheteurs la faculté de retenir sur le prix du lait payé au producteur le montant dû par ce dernier à titre de prélèvement supplémentaire, mais elle ne leur impose aucune obligation en ce sens.

38.      Cette hypothèse est néanmoins contestée par le gouvernement italien. En conséquence, j’examine d’abord cette objection avant d’examiner le point principal soulevé par la première question préjudicielle.

 1.      L’incompatibilité entre droit national et droit de l’Union

39.      Le gouvernement italien estime que la lecture que la juridiction de renvoi fait de l’arrêt Consorzio Caseifici dell’Altopiano di Asiago va trop loin. Selon le gouvernement italien, cet arrêt n’exclut pas la possibilité que les États membres puissent limiter le choix donné par l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92 en ce qui concerne le mode de perception du prélèvement (retenue obligatoire ou tout autre moyen). La Cour aurait seulement jugé que les États membres ne sauraient infliger une sanction aux acheteurs ne respectant pas cette obligation.

40.      Il est vrai que la procédure ayant mené à l’arrêt Consorzio Caseifici dell’Altopiano di Asiago découlait d’un recours formé par un organisme représentant les producteurs de lait et dirigé contre une sanction administrative infligée à cet organisme par les autorités italiennes au motif que celui-ci n’avait notamment pas retenu sur le prix du lait les montants dus par les producteurs ayant dépassé leurs quotas individuels. Toutefois, la Cour semble avoir examiné la question dans l’abstrait, sans accorder une grande importance aux faits spécifiques de l’affaire.

41.      Dans cette affaire, la juridiction de renvoi avait demandé en substance si, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92, un acheteur était obligé de retenir les sommes dues par les producteurs dépassant leurs quotas individuels. La Cour a répondu par la négative, soulignant que cette disposition donnait aux acheteurs une faculté et que, à cet égard, elle ne créait pas une obligation à laquelle ceux-ci ne pourraient se soustraire (18).

42.      Cela implique clairement que les États membres ne sauraient infliger des sanctions aux acheteurs qui décident de ne pas retenir les sommes dues au titre du prélèvement supplémentaire sur le prix du lait versé aux producteurs et de recouvrer ces sommes par d’autres moyens. Cependant, il ressort aussi de ces considérations, en toute logique, que les États membres ne sauraient pénaliser les acheteurs prenant une telle décision en leur réservant un autre traitement défavorable, par exemple en les traitant de manière discriminatoire à l’occasion de la répartition des quotas inutilisés ou au moment du remboursement de l’excédent de prélèvement perçu (19). Cela serait incompatible avec le fait que l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92 concerne (pour employer les mots de l’avocat général La Pergola) une faculté des acheteurs, dont le non-exercice « ne saurait être sanctionné » (20). Et j’ajouterais que la notion de « sanctions » doit être comprise dans le sens le plus large.

43.      Dans l’arrêt Consorzio Caseifici dell’Altopiano di Asiago, la Cour a donc examiné le choix quant au mode de perception du prélèvement (par la voie d’une retenue ou par tout autre moyen approprié) et l’a présenté comme une question de droit subjectif de chaque acheteur pris individuellement. Si un droit individuel est accordé par la législation de l’Union, il s’ensuit que la législation nationale ne peut pas priver les personnes d’un tel droit. Par conséquent, effectivement, pareille législation d’un État membre est incompatible avec l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92.

44.      Cela dit, même si le législateur de l’Union lui-même « passe » ultérieurement à un autre mode de perception du prélèvement, il n’en demeure pas moins que, durant la période pertinente, le choix de ce mode appartenait aux acheteurs.

45.      Partant, bien que je reconnaisse qu’une telle interprétation de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92 puisse conduire à un certain affaiblissement du mécanisme de mise en œuvre, je dois néanmoins souscrire aux arguments des requérants au principal et de la Commission selon lesquels, s’agissant de l’état du droit après l’arrêt de la Cour dans l’affaire Consorzio Caseifici dell’Altopiano di Asiago, l’hypothèse sur laquelle se fonde la première question est correcte.

46.      Je me penche maintenant sur le fond de la question.

 2.      Les conséquences de l’incompatibilité du droit national avec le droit de l’Union

47.      En substance, la première question soulève le point de savoir si, dans une situation dans laquelle une règle nationale requiert, contrairement à l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92, que les acheteurs procèdent à une retenue du prélèvement supplémentaire sur le prix du lait, ce prélèvement n’est plus exigible, même si les conditions prévues par ledit règlement sont réunies. En d’autres termes, l’incompatibilité de la législation nationale en cause avec le droit de l’Union aurait-elle pour conséquence que les acheteurs sont dispensés de leur obligation de percevoir le prélèvement supplémentaire auprès des producteurs et de le verser aux autorités nationales compétentes, et/ou que les producteurs sont dispensés de leur obligation de payer ce prélèvement ?

48.      La réponse à cette question est, à mon avis, plutôt évidente : non. En effet, toutes les parties ayant formulé des observations dans la présente affaire (y compris les requérants au principal) s’accordent sur le point suivant : le fait que les règles de procédure nationales régissant la perception du prélèvement supplémentaire puissent être incompatibles avec le droit de l’Union ne peut pas dispenser les acheteurs ou les producteurs de leurs obligations de fond. Pour simplifier le propos, le désaccord (et l’incompatibilité) concernant le mode de perception du prélèvement n’a aucune incidence sur le point de savoir si ce prélèvement est dû.

49.      S’agissant des acheteurs, une conclusion différente serait contraire aux dispositions des règlements nos 3950/92 et 1392/2001, qui indiquent clairement et explicitement que, en ce qui concerne les livraisons, c’est l’acheteur qui est redevable du prélèvement (21). Cela priverait aussi le régime instauré par ces règlements d’une grande partie de son utilité, dans la mesure où les livraisons constituent la vaste majorité des ventes de lait et, pour ce motif, l’acheteur est « le principal agent de la mise en œuvre correcte [de ce] régime » (22).

50.      L’incompatibilité en question a pour seul effet que les règles nationales en cause doivent être écartées. Cela implique principalement les deux conséquences suivantes pour les acheteurs : d’une part, ils retrouvent leur liberté de percevoir les montants « par tout moyen approprié » et, d’autre part, les acheteurs n’ayant pas perçu le prélèvement par retenue sur le prix du lait ne peuvent pas être pénalisés.

51.      A fortiori, l’incompatibilité du droit national avec le droit de l’Union régissant la perception du prélèvement supplémentaire par les acheteurs ne peut pas avoir d’effet sur l’obligation des producteurs de payer le prélèvement.

52.      Comme le sixième considérant et l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 3950/92 l’indiquent clairement, l’obligation de paiement du prélèvement supplémentaire est la conséquence directe du fait que le quota national a été dépassé, cette circonstance « entraîn[ant] le paiement du prélèvement par les producteurs qui ont contribué au dépassement ».

53.      Comme la Cour l’a récemment souligné, conformément à l’article 11, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1392/2001, les États membres « sont tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que le prélèvement, y compris les intérêts dus en cas de non-respect du délai de paiement, soit correctement perçu et effectivement réparti entre les producteurs ayant contribué au dépassement » (23). En fait, si les producteurs ne remplissent pas leur obligation découlant du régime applicable et les acheteurs ne prennent aucune mesure, les États membres ont la faculté d’agir directement contre les producteurs en vue de recouvrer le montant dû (24).

54.      Pour les raisons expliquées ci-dessus, je propose à la Cour de répondre à la première question que l’incompatibilité des règles nationales régissant la perception du prélèvement supplémentaire avec l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92 ne dispense pas les producteurs de leur obligation de payer ce prélèvement.

 C.      Deuxième question

55.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande s’il y a lieu de protéger les attentes légitimes des acheteurs et producteurs ayant respecté l’obligation de retenir le prélèvement dû sur le prix du lait et d’en verser chaque mois le montant aux autorités publiques. Telle que je la comprends, cette question ne se pose que si la Cour répond à la première question par l’affirmative.

56.      Étant donné que, selon moi, l’incompatibilité des règles nationales régissant la perception du prélèvement supplémentaire avec l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92 ne dispense pas les producteurs et les acheteurs de remplir leurs obligations de fond conformément à ce règlement, la deuxième question préjudicielle semble perdre son utilité.

57.      En effet, dans une telle situation, je ne vois pas exactement quelles attentes légitimes devraient être protégées.

58.      À cet égard, j’ajouterais seulement que, conformément à l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1392/2001, les autorités des États membres doivent prendre des mesures pour assurer le paiement du prélèvement dû par les producteurs défaillants. De plus, les sommes dues sont majorées d’intérêts moratoires, sans préjudice, enfin, de la possibilité pour les États membres d’infliger des sanctions appropriées aux parties méconnaissant leurs obligations au titre du régime applicable.

 D.      Troisième question

59.      La troisième question préjudicielle porte sur les conséquences que peut impliquer, en matière de remboursement de l’excédent de prélèvement aux producteurs, l’incompatibilité de la législation nationale régissant la perception et le paiement du prélèvement supplémentaire avec les dispositions des règlements nos 3950/92 et 1392/2001.

60.      En substance, par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 9 du règlement no 1392/2001 s’oppose à une disposition nationale prévoyant des modes et calendriers différents de remboursement de l’excédent de prélèvement aux producteurs, selon que les montants de prélèvement dus par ces producteurs ont été (ou non) retenus sur le prix du lait et versés chaque mois aux autorités nationales compétentes.

61.      Afin de mieux comprendre les raisons qui sous-tendent la question préjudicielle et les points que celle-ci soulève, il peut être utile de rappeler brièvement les faits précis ayant une incidence sur cette question déterminée.

 1.      Le contexte factuel

62.      La production de lait en Italie correspondant à la campagne laitière 2003/2004 a dépassé le quota alloué à cet État membre par la législation pertinente de l’Union. Par conséquent, cet État membre devait à l’Union un prélèvement supplémentaire sur l’excédent. Cependant, en raison de certains quotas individuels inutilisés, le montant global que les autorités italiennes ont reçu (ou auraient dû recevoir) des producteurs ayant contribué au dépassement – soit directement, soit par l’intermédiaire des acheteurs – était supérieur au montant du prélèvement dû au bénéfice du budget de l’Union.

63.      Selon le gouvernement italien, les autorités nationales compétentes ont décidé de ne pas faire usage de la possibilité, offerte par l’article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 3950/92, de réallouer les quotas inutilisés. En fait, il a été décidé de rembourser le trop perçu aux producteurs qui entraient dans certaines catégories prioritaires, conformément à l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 3950/92. À cette fin, les producteurs ayant respecté leur obligation de paiement mensuel et se situant dans des zones de montagne ou d’autres zones défavorisées devaient être remboursés en premier lieu. S’il restait une partie du trop-perçu, les autorités réduiraient les montants demandés auprès des producteurs n’ayant pas respecté leur obligation de paiement mensuel et se situant dans des zones de montagne ou d’autres zones défavorisées.

64.      Néanmoins, les requérants au principal contestent cette version des faits donnée par le gouvernement italien. Selon eux, la manière dont les autorités italiennes ont effectivement procédé à l’époque des faits n’a pas consisté à rembourser l’excédent de prélèvement, mais à répartir les quotas inutilisés entre certains producteurs ayant dépassé leurs quotas individuels.

65.      Toutefois, il ressort de la formulation de la troisième question de la juridiction de renvoi que celle-ci considère également que, en 2004, les autorités italiennes ont décidé de rembourser l’excédent de prélèvement aux producteurs qui entraient dans certaines catégories prioritaires.

66.      Je répondrai donc à la troisième question telle qu’elle a été formulée par la juridiction de renvoi. Dans le cadre d’une procédure en application de l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour de déterminer les circonstances pertinentes, cette tâche relevant de la juridiction de renvoi.

67.      Cela dit, uniquement par souci d’exhaustivité, j’examinerai aussi en passant le scénario décrit par les requérants au principal. Selon moi, les éléments de fait du litige sur lesquels les parties sont en désaccord ne sont pas décisifs pour traiter le point principal soulevé par la troisième question, à savoir, en résumé, celui de savoir quels sont les critères permettant de différencier les producteurs.

68.      Dans les points qui suivent, j’expliquerai pourquoi j’estime que les acheteurs ou producteurs n’ayant pas respecté l’obligation, en vertu du droit national, de retenir le prélèvement sur le prix du lait et de le verser chaque mois aux autorités compétentes ne peuvent pas être traités de manière moins favorable que d’autres producteurs ou acheteurs, que cela soit sous l’angle du remboursement de l’excédent de prélèvement ou sous celui de la réallocation des quotas inutilisés.

 2.      Remboursement de l’excédent de prélèvement

69.      Comme cela a été indiqué au point 60 des présentes conclusions, la troisième question soulève le point de savoir si l’article 9 du règlement no 1392/2001 s’oppose à une disposition nationale, telle que l’article 2, paragraphe 3, du décret-loi no 157/2004, qui prévoit des modes et calendriers différents de remboursement de l’excédent de prélèvement aux producteurs, selon que les montants de prélèvement dus par ces producteurs ont été (ou non) retenus sur le prix du lait et versés chaque mois aux autorités nationales compétentes.

70.      À mon avis, il y a lieu de répondre à cette question par l’affirmative.

71.      Le libellé de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1392/2001 est très clair : un État membre qui décide de rembourser l’excédent de prélèvement aux producteurs ne peut procéder à ce remboursement qu’au bénéfice de certaines « catégories prioritaires » qui doivent être déterminées en fonction des critères énoncés dans cette disposition. Il est clair que ces critères sont exhaustifs et énumérés « par ordre de priorité ». Les États membres ne peuvent donc pas s’en écarter. A fortiori, afin d’établir les catégories prioritaires, ils ne peuvent pas ajouter un critère exigeant le respect d’une règle de procédure nationale qui – de surcroît – s’est avérée incompatible avec les dispositions du règlement no 3950/92.

72.      Pour sa part, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1392/2001 autorise les États membres à arrêter « d’autres critères objectifs », mais uniquement « [d]ans le cas où l’application des critères prévus au paragraphe 1 [de l’article 9] n’épuise pas le financement disponible pour une période donnée », et à condition que la Commission ait été consultée à ce sujet.

73.      Cependant, il me semble que le critère national fondé sur le respect de l’article 5, paragraphe 1, du décret-loi no 49/2003 a été appliqué pour déterminer les producteurs qui recevraient un remboursement en premier lieu. Ce n’est que si des fonds étaient encore disponibles à la suite de cette première phase de remboursement que d’autres producteurs se verraient aussi rembourser. Les dispositions nationales semblent donc suivre une logique qui, en pratique, est à l’opposé de celle qui sous-tend l’article 9 du règlement no 1392/2001. En outre, il ne ressort pas clairement du dossier que les autorités italiennes aient consulté la Commission au sujet de l’adoption du critère « procédural ».

74.      Par conséquent, je suis d’avis que l’article 9 du règlement no 1392/2001 interdit à un État membre d’exclure du remboursement les producteurs qui relèvent parfaitement de l’une des catégories prioritaires énumérées, ou qui satisfont aux critères convenus par la Commission et l’État membre en question. Il en résulte que les producteurs n’ayant pas payé le prélèvement conformément à l’article 5, paragraphe 1, du décret-loi no 49/2003 ne peuvent pas être traités de manière moins favorable que d’autres producteurs en cas de remboursement de l’excédent de prélèvement en application de l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 3950/92.

75.      Par souci d’exhaustivité, j’ajouterais pour terminer que les producteurs s’étant dûment conformés à l’article 5, paragraphe 1, du décret-loi no 49/2003 ne peuvent pas être considérés comme « confrontés à une situation exceptionnelle résultant d’une disposition nationale n’ayant aucun lien avec ce régime » au sens de l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 3950/92. Indépendamment de la portée de la notion de « situation exceptionnelle », qui serait probablement, en tout état de cause, d’interprétation relativement stricte en l’espèce, il reste clair qu’aucune interprétation de l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 3950/92 ne permettrait de considérer une disposition telle que l’article 5, paragraphe 1, du décret-loi no 49/2003 comme « n’ayant aucun lien » avec le régime des quotas laitiers.

76.      À la lumière de ce qui précède, il convient à mon avis de répondre à la troisième question que l’article 9 du règlement no 1392/2001 s’oppose à une disposition nationale prévoyant des modes et calendriers différents de remboursement de l’excédent de prélèvement aux producteurs, selon que les montants de prélèvement dus par ces producteurs ont été (ou non) retenus sur le prix du lait et versés chaque mois aux autorités publiques.

 3      Réallocation des quotas inutilisés

77.      Mon appréciation n’aurait pas été différente même si le traitement particulier réservé par les autorités italiennes aux producteurs et acheteurs n’ayant pas respecté l’article 5, paragraphe 1, du décret-loi no 49/2003 avait concerné (comme les requérants au principal le soutiennent) une réallocation de quotas inutilisés.

78.      Conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 3950/92, les quotas individuels inutilisés doivent être « réparti[s], proportionnellement aux quantités de référence dont chacun de ces producteurs dispose » (25). Cela signifie sans doute que les quotas inutilisés doivent être alloués à tous les producteurs qui ont contribué au dépassement et que leur contribution au prélèvement doit être établie en conséquence (26).

79.      Il s’ensuit que les acheteurs et producteurs n’ayant pas respecté l’article 5, paragraphe 1, du décret-loi no 49/2003 ne pouvaient pas faire l’objet d’une discrimination, même en cas de réallocation de quotas inutilisés.

 IV.      Conclusion

80.      En conclusion, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) comme suit :

–        l’incompatibilité des règles nationales régissant la perception du prélèvement supplémentaire avec l’article 2, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers, ne dispense pas les producteurs de leur obligation de payer ce prélèvement ;

–        l’article 9 du règlement (CE) no 1392/2001 de la Commission, du 9 juillet 2001, portant modalités d’application du règlement (CEE) no 3950/92 du Conseil établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers, s’oppose à une disposition nationale prévoyant des modes et calendriers différents de remboursement de l’excédent de prélèvement aux producteurs, selon que les montants de prélèvement dus par ces producteurs ont été (ou non) retenus sur le prix du lait et versés chaque mois aux autorités nationales compétentes.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Voir O’Reilly, J., « Milk quotas and their consideration before the institutions of the Community of particular interest to lawyers », in Heusel, W., Collins, A.M. (éd.), Agricultural law for the European Union, EIPA, Trèves/Dublin, 1999, p. 103.


3      Voir, à cet égard, Cour des comptes, rapport spécial no 4/93 relatif à la mise en œuvre du régime des quotas visant la maîtrise de la production laitière, accompagné de la réponse de la Commission (JO 1994, C 12, p. 1).


4      Voir, récemment, arrêt du 24 janvier 2018, Commission/Italie (C‑433/15, EU:C:2018:31).


5      JO 1992, L 405, p. 1.


6      Voir premier considérant du règlement no 3950/92.


7      JO 2001, L 187, p. 19.


8      JO 2003, L 270, p. 123.


9      GURI no 75 du 31 mars 2003.


10      GURI no 147 du 25 juin 2004.


11      Arrêt du 29 avril 1999 (C‑288/97, EU:C:1999:214, points 29 à 32).


12      Voir, par exemple, considérants 1 à 3 ainsi que article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1788/2003.


13      Voir article 13 du règlement no 3950/92.


14      À cet égard, il est utile de noter par analogie qu’il est bien établi que, en droit fiscal de l’Union, les dispositions concernant notamment le mode de perception et le montant perçu de l’impôt ne peuvent s’appliquer aux situations existant avant leur entrée en vigueur. Voir, par exemple, arrêt du 17 juillet 2014, Equoland (C‑272/13, EU:C:2014:2091, point 20).


15      Voir, notamment, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, point 47 et jurisprudence citée).


16      Voir, notamment, article 7 du règlement no 1392/2001.


17      Arrêt du 29 avril 1999 (C‑288/97, EU:C:1999:214, points 29 à 32).


18      Voir, notamment, arrêt du 29 avril 1999, Consorzio Caseifici dell’Altopiano di Asiago (C‑288/97, EU:C:1999:214, point 30).


19      Voir ci-dessous pour plus de détails sur cet aspect (points 69 à 79 des présentes conclusions).


20      Voir conclusions de l’avocat général La Pergola dans l’affaire Consorzio Caseifici dell’Altopiano di Asiago (C‑288/97, EU:C:1998:574, point 13).


21      Voir, notamment, huitième considérant et article 2, paragraphe 2, du règlement no 3950/92, ainsi que article 7 et article 8, paragraphe 1, du règlement no 1392/2001.


22      Voir considérant 7 du règlement no 1392/2001.


23      Arrêt du 24 janvier 2018, Commission/Italie (C‑433/15, EU:C:2018:31, point 41). Mise en italique par mes soins.


24      Arrêt du 15 janvier 2004, Penycoed (C‑230/01, EU:C:2004:20, point 41).


25      Mise en italique par mes soins.


26      Voir aussi, en ce sens, arrêt du 5 mai 2011, Kurt und Thomas Etling e.a. (C‑230/09 et C‑231/09, EU:C:2011:271, point 64).