Language of document : ECLI:EU:C:2019:398

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

8 mai 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 48 – Présomption d’innocence et droits de la défense – Infractions en matière de circulation routière – Charge de la preuve – Absence de mise en œuvre du droit de l’Union – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Incompétence manifeste de la Cour »

Dans l’affaire C‑723/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Judecătoria Orăştie (tribunal de première instance d’Orăştie, Roumanie), par décision du 5 novembre 2018, parvenue à la Cour le 20 novembre 2018, dans la procédure

EV

contre

Inspectoratul General al Poliţiei Române – Brigada Autostrăzi şi misiuni speciale – Biroul de Poliţie Autostrada A 1 Râmnicu Vâlcea – Deva (IGPR),

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme C. Toader, présidente de chambre, MM. L. Bay Larsen et M. Safjan (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), lu en combinaison avec l’article 52, paragraphe 3, de celle-ci ainsi qu’avec l’article 6 TUE et l’article 4 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EV à l’Inspectoratul General al Poliţiei Române – Brigada Autostrăzi şi misiuni speciale – Biroul de Poliţie Autostrada A 1 Râmnicu Vâlcea – Deva (IGPR) [Inspection générale de la police roumaine – Brigade des autoroutes et des missions spéciales – bureau de police de l’autoroute A l Râmnicu Vâlcea – Deva (IGPR), Roumanie] au sujet de la légalité d’un procès-verbal portant sur une infraction en matière de circulation routière.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

3        Le 13 avril 2018, l’autorité de contrôle du Biroul de Poliţie Autostrada A 1 Râmnicu Vâlcea – Deva (bureau de police de l’autoroute A l Râmnicu Vâlcea – Deva, Roumanie) a établi un procès-verbal aux termes duquel elle a constaté qu’EV avait conduit un véhicule sur l’autoroute A 1, sur le territoire de la ville d’Orăștie (Roumanie), à une vitesse de 186 km/h, alors que la limitation de vitesse était de 130 km/h.

4        EV s’est vu infliger de ce fait une amende de 1 305 lei roumains (RON) (environ 274 euros) et une suspension de l’exercice du droit de conduire pendant une période de 90 jours.

5        En outre, EV a été sanctionné d’un avertissement pour avoir violé la réglementation nationale prévoyant que les usagers de la route sont tenus, à la demande de l’agent de police routière, de remettre à celui-ci leur pièce d’identité ou, selon le cas, leur permis de conduire, le document d’immatriculation ou d’enregistrement du véhicule, les documents relatifs aux biens transportés, ainsi que d’autres documents prévus par la loi.

6        EV a saisi la juridiction de renvoi, la Judecătoria Orăştie (tribunal de première instance d’Orăştie, Roumanie), à titre principal, d’une demande d’annulation du procès-verbal établi à son égard en faisant valoir qu’il lui était demandé de prouver un fait négatif, tandis que l’autorité de contrôle n’avait fourni aucune preuve objective et, à titre subsidiaire, d’une demande visant le remplacement de la sanction de la suspension de son permis de conduire pendant 90 jours par l’avertissement.

7        Il ressort de la décision de renvoi que, selon EV, la réglementation nationale applicable en l’occurrence prévoit des exigences différentes pour l’autorité de contrôle et pour le conducteur en matière de preuve à apporter dans les affaires concernant les infractions en matière de circulation routière. Plus précisément, d’une part, l’agent de police serait tenu d’effectuer une constatation purement subjective, empirique, de l’infraction commise. D’autre part, le conducteur serait tenu d’apporter une preuve objective qu’il n’a pas commis l’infraction en cause.

8        C’est dans ces conditions que la Judecătoria Orăştie (tribunal de première instance d’Orăştie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une pratique administrative et judiciaire consistant à ne pas prendre toutes les mesures nécessaires en vue de recueillir des preuves pour démontrer la culpabilité d’une personne est-elle compatible avec l’article 48 de la [Charte], lu en combinaison avec l’article 4 TFUE et avec l’article 6 TUE ?

2)      Les institutions administratives ont-elles, au regard de l’article 48, [paragraphe] 2, de la Charte, lu en combinaison avec l’article 52, [paragraphe] 3, [de celle-ci] et [avec] l’article 6 TUE ainsi qu’avec l’article 4 TFUE, une obligation de collaborer en vue d’apporter la preuve des constatations de fait ou, en l’absence d’une telle possibilité, l’État est-il tenu d’équiper ses agents de tout le matériel nécessaire à une constatation objective et est-il fautif en cas de comportement contraire, lorsque les sanctions sont fondées sur la simple constatation subjective de ses agents ? »

 Sur la compétence de la Cour

9        En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’elle est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

10      Il convient de faire application de ladite disposition dans la présente affaire.

11      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à l’Union européenne (ordonnance du 26 octobre 2017, Caixa Económica Montepio Geral, C‑333/17, non publiée, EU:C:2017:810, point 12 et jurisprudence citée).

12      Les questions posées dans la présente affaire portent sur l’interprétation de l’article 48 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 52, paragraphe 3, de celle-ci ainsi qu’avec l’article 6 TUE et l’article 4 TFUE.

13      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 51, paragraphe 1, de la Charte prévoit que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. L’article 6, paragraphe 1, TUE, à l’instar de l’article 51, paragraphe 2, de la Charte, précise que les dispositions de cette dernière n’étendent en aucune manière le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union telles que définies dans les traités (ordonnance du 26 octobre 2017, Caixa Económica Montepio Geral, C‑333/17, non publiée, EU:C:2017:810, point 14 et jurisprudence citée).

14      Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 22, et ordonnance du 26 octobre 2017, Caixa Económica Montepio Geral, C‑333/17, non publiée, EU:C:2017:810, point 15).

15      Or, en l’occurrence, il y a lieu de relever que la décision de renvoi ne contient aucun élément permettant de considérer que la procédure au principal concerne l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union autre que celles figurant dans la Charte. En effet, cette décision n’établit nullement que la procédure au principal porte sur une réglementation nationale mettant en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, par analogie, ordonnance du 10 novembre 2016, Pardue, C‑321/16, non publiée, EU:C:2016:871, point 20 et jurisprudence citée).

16      S’agissant de l’article 4 TFUE, auquel la juridiction de renvoi fait référence dans ses questions, il convient de constater que cette disposition, qui porte sur les compétences de l’Union et des États membres, n’est manifestement pas pertinente en vue de la solution du litige au principal.

17      Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instaurée à l’article 267 TFUE, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (ordonnance du 15 janvier 2019, Farmland, C‑489/18, non publiée, EU:C:2019:19, point 22 et jurisprudence citée). Ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure et sont rappelées dans les recommandations de la Cour à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2018, C 257, p. 1).

18      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la Cour est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par la Judecătoria Orăştie (tribunal de première instance d’Orăştie).

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par la Judecătoria Orăştie (tribunal de première instance d’Orăştie, Roumanie), par décision du 5 novembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.