ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
19 novembre 1998 (1)
«Recours en annulation Politique commerciale commune Règlements (CE)
n° 519/94 et n° 1921/94 Contingents d'importation sur certains jouets en
provenance de la république populaire de Chine»
Dans l'affaire C-284/94,
Royaume d'Espagne, représenté par M. Alberto Navarro González, directeur
général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mme
Gloria Calvo Díaz, abogado del Estado, du service juridique de l'État, en qualité
d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Espagne, 4-6,
boulevard Emmanuel Servais,
contre
Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Bjarne Hoff-Nielsen, conseiller
juridique, Guus Houttuin et Diego Canga Fano, membres du service juridique, en
qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro
Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque
européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,
soutenu par
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Miguel Díaz-Llanos, conseiller juridique, Patrick Hetsch et Carlos Gómez de la Cruz, membres
du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès
de ce dernier, Centre Wagner, Kirchberg,
ayant pour objet l'annulation du règlement (CE) n° 1921/94 du Conseil, du 25
juillet 1994, modifiant le règlement (CE) n° 519/94 relatif au régime commun
applicable aux importations de certains pays tiers (JO L 198, p. 1),
LA COUR (sixième chambre),
composée de MM. P. J. G. Kapteyn, président de chambre, G. F. Mancini
(rapporteur) et J. L. Murray, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 20 juin 1996,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 septembre
1996,
rend le présent
Arrêt
- 1.
- Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 octobre 1994, le royaume
d'Espagne a demandé, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE,
l'annulation du règlement (CE) n° 1921/94 du Conseil, du 25 juillet 1994, modifiant
le règlement (CE) n° 519/94 relatif au régime commun applicable aux importations
de certains pays tiers (JO L 198, p. 1, ci-après le «règlement attaqué»).
Le cadre réglementaire et les faits
- 2.
- Avant l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 519/94 du Conseil, du 7 mars 1994,
relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers et
abrogeant les règlements (CEE) n° 1765/82, (CEE) n° 1766/82 et (CEE) n° 3420/83
(JO L 67, p. 89), auquel le règlement attaqué a apporté des modifications, les
importations des produits originaires des pays à commerce d'État, parmi lesquels
figurait la république populaire de Chine (ci-après la «Chine»), étaient régies par
plusieurs règlements du Conseil.
- 3.
- En particulier, le règlement (CEE) n° 1766/82 du Conseil, du 30 juin 1982, relatif
au régime commun applicable aux importations de la république populaire de
Chine (JO L 195, p. 21), visait les importations qui n'étaient en principe soumises
à aucune restriction quantitative, tandis que le règlement (CEE) n° 3420/83 du
Conseil, du 14 novembre 1983, relatif aux régimes d'importation des produits
originaires des pays à commerce d'État non libérés au niveau de la Communauté
(JO L 346, p. 6), s'appliquait notamment aux importations en provenance de Chine
qui ne relevaient pas du règlement n° 1766/82.
- 4.
- En vertu de l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 3420/83, la mise en libre
pratique des produits figurant à l'annexe III du même règlement, dont certains
jouets en provenance de Chine, était soumise à des restrictions quantitatives dans
un ou plusieurs États membres, indiqués dans cette annexe. Aux termes de l'article
3, paragraphe 1, du même règlement, avant le 1er décembre de chaque année, le
Conseil arrêtait, conformément à l'article 113 du traité CEE, les contingents
d'importation à ouvrir par les États membres pour l'année suivante à l'égard des
divers pays à commerce d'État pour ces produits. Le paragraphe 2 du même article
prévoyait que, en l'absence d'une telle décision, les contingents d'importation
existants étaient reconduits, à titre provisoire, pour l'année suivante.
- 5.
- Les articles 7 à 10 du règlement n° 3420/83 établissaient différentes procédures
permettant d'apporter des modifications au régime d'importation à la demande
d'un État membre, par décision de la Commission prise conformément à l'article
9, paragraphes 1, 3 ou 4, ou, selon le cas, par décision du Conseil.
- 6.
- Le règlement n° 3420/83 a été modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n°
2456/92 du Conseil, du 13 juillet 1992, fixant les contingents d'importation à ouvrir
par les États membres à l'égard des pays à commerce d'État en 1992 (JO L 252,
p. 1). En ce qui concerne les jouets en provenance de Chine, ce dernier règlement
fixait en son article 1er et en son annexe VIII des contingents pour l'année 1992
pour l'Allemagne et pour l'Espagne.
- 7.
- L'article 5 du règlement n° 2456/92 énonçait que les dispositions de l'article 3,
paragraphe 2, du règlement n° 3420/83, prévoyant la reconduction automatique
éventuelle des contingents existant l'année précédente, ne seraient pas applicables
pour 1993. Cette dérogation était justifiée, au cinquième considérant, par la
nécessité de remplacer le régime existant, fondé sur le maintien des régimes
nationaux, qui serait incompatible avec le fonctionnement du marché unique, par
un mécanisme communautaire couvrant toutes les restrictions résiduelles au 31
décembre 1992.
- 8.
- Le mécanisme communautaire ainsi annoncé n'a cependant pas été institué pour
1993 et aucun nouveau règlement fixant des contingents d'importation n'a été
adopté. Cependant, entre le 1er mars 1993 et le 19 janvier 1994, la Commission, sur
la base de l'article 9, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 3420/83, a adopté six
décisions autorisant le royaume d'Espagne à ouvrir des contingents sur les jouets
originaires de Chine relevant du code SH/NC 9503. Aucun autre État membre n'a
sollicité la fixation de contingents pour ces produits.
- 9.
- Le règlement n° 519/94, applicable à compter du 15 mars 1994, a abrogé les
règlements n° 1766/82 et n° 3420/83. Dans son premier considérant, il est indiqué
que «la politique commerciale commune doit être fondée sur des principes
uniformes», alors que les règlements n° 1766/82 et n° 3420/83 laissaient subsister
des exceptions et des dérogations qui permettaient aux États membres de continuer
à appliquer des mesures nationales à l'importation de produits originaires de pays
à commerce d'État. Selon le quatrième considérant, «pour parvenir à une
uniformité accrue du régime à l'importation, il y a lieu de mettre fin aux exceptions
et dérogations résultant des mesures nationales restantes en matière de politique
commerciale, et notamment aux restrictions quantitatives maintenues par les États
membres en vertu du règlement (CEE) n° 3420/83». Les cinquième et sixième
considérants précisent que le principe de la libéralisation des importations doit
constituer le point de départ de cette uniformisation, sauf pour «un nombre limité
de produits originaires de la république populaire de Chine». Comme l'explique
le sixième considérant, «en raison de la sensibilité de certains secteurs de l'industrie
communautaire», ces produits doivent être soumis à des contingents quantitatifs et
à des mesures de surveillance applicables au niveau communautaire.
- 10.
- Le règlement n° 519/94 prévoit en son article 1er, paragraphe 2, que l'importation
dans la Communauté des produits qu'il vise est libre et n'est donc soumise à
aucune restriction quantitative, sans préjudice d'éventuelles mesures de sauvegarde
et des contingents communautaires visés à l'annexe II. L'article 1er, paragraphe 3,
prévoit que l'importation des produits visés à l'annexe III est soumise à une
surveillance communautaire. Les annexes II et III visent exclusivement des produits
originaires de Chine.
- 11.
- L'annexe II prévoit des contingents pour certaines catégories de jouets en
provenance de Chine. Plus précisément, avant les modifications introduites par le
règlement attaqué, des quotas annuels de 200 798 000 écus, de 83 851 000 écus et
de 508 016 000 écus ont été fixés, respectivement, pour les jouets relevant des
codes SH/NC 9503 41 (jouets rembourrés représentant des animaux ou des
créatures non humaines), 9503 49 (autres jouets représentant des animaux ou des
créatures non humaines) et 9503 90 (certains jouets divers). Pour la période du 15
mars au 31 décembre 1994, ces contingents s'élevaient donc, respectivement, à
158 965 083 écus, à 66 382 042 écus et à 402 179 333 écus.
- 12.
- Relèvent de l'annexe III dudit règlement et sont donc soumis à une surveillance
communautaire d'autres produits qui auparavant faisaient l'objet de restrictions
nationales, dont notamment les assortiments et jouets de construction, puzzles et
cartes à jouer relevant des codes SH/NC 9503 30, 9503 60 et 9504 40
respectivement.
- 13.
- Le règlement attaqué a modifié le règlement n° 519/94 en prévoyant, dans son
article 1er, que le contingent relatif aux jouets relevant du code SH/NC 9503 41 est
augmenté de 158 965 083 écus à 204 500 000 écus pour la période du 15 mars au
31 décembre 1994.
- 14.
- Les premier et deuxième considérants du règlement attaqué indiquent que, lors de
l'adoption du règlement n° 519/94 et pour déterminer le niveau des contingents
applicables à certains produits originaires de Chine, le Conseil s'est efforcé de
trouver un certain équilibre entre une protection appropriée des secteurs de
l'industrie communautaire concernée et le maintien, compte tenu des divers intérêts
en cause, d'un niveau de commerce acceptable avec la Chine. A propos de la
gestion du contingent relatif aux jouets relevant du code NC 9503 41, le troisième
considérant fait état de perturbations qui se seraient toutefois manifestées dans les
échanges commerciaux avec la Chine, affectant l'activité des secteurs économiques
communautaires liés à l'importation, à la commercialisation et à la transformation
desdits jouets. Dans ces conditions et sans préjudice d'un réexamen de la situation,
il est apparu opportun, ainsi que l'indique le quatrième considérant, d'augmenter
le contingent en question afin de faciliter la transition entre le régime d'importation
préexistant et le régime établi par le règlement n° 519/94.
- 15.
- A l'appui de son recours, le gouvernement espagnol invoque deux moyens tirés,
pour l'un, de l'insuffisance de motivation du règlement attaqué et, pour l'autre, de
la violation du principe de la protection de la confiance légitime.
Sur le moyen tiré d'une insuffisance de motivation
- 16.
- En premier lieu, le règlement attaqué violerait l'article 190 du traité CE en ce qu'il
comporterait une motivation insuffisante.
- 17.
- A cet égard, le gouvernement espagnol rappelle que la motivation doit faire
apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution auteur
de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de
la mesure prise et à la Cour d'exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt du 14
juillet 1994, Grèce/Conseil, C-353/92, Rec. p. I-3411).
- 18.
- Par ailleurs, il ressortirait de l'arrêt du 7 avril 1992, Compagnia italiana
alcool/Commission (C-358/90, Rec. p. I-2457), que, lorsque l'institution dispose d'un
large pouvoir d'appréciation de situations économiques complexes et qu'elle exerce
son pouvoir, elle doit tenir compte des facteurs qui sont susceptibles d'entraîner des
perturbations du marché et elle se doit non seulement d'identifier les facteurs qui
ont influencé sa décision, mais aussi d'en préciser l'impact.
- 19.
- Dans l'arrêt du 4 juin 1992, Consorgan/Commission (C-181/90, Rec. p. I-3557), la
Cour aurait en outre indiqué que, alors qu'une motivation sommaire était suffisante
pour une décision de rejet d'une demande de concours du Fonds social européen,
une décision ultérieure portant réduction du montant initialement octroyé,
entraînant des conséquences plus graves pour le demandeur, devait faire clairement
apparaître les motifs qui la justifiaient.
- 20.
- Le gouvernement espagnol estime que, bien que ces arrêts concernent des décisions
de la Commission, ils sont d'application générale, puisque les principes qu'ils
énoncent n'ont pas été circonscrits par la Cour à certaines normes communautaires
concrètes et puisque la finalité de l'obligation de motivation ne dépend pas de la
nature de l'acte.
- 21.
- En ce qui concerne le contexte juridique dans lequel le règlement attaqué s'inscrit,
le gouvernement espagnol souligne que le contingent litigieux a été introduit par
le règlement n° 519/94 dans le cadre d'une vaste opération d'uniformisation du
régime commercial applicable aux échanges avec les pays à commerce d'État, en
raison de la «sensibilité de certains secteurs de l'industrie communautaire» (sixième
considérant dudit règlement). Le niveau de ce contingent aurait été déterminé en
tenant compte de la tendance à une augmentation exponentielle des importations
de jouets chinois et de la situation du marché communautaire.
- 22.
- Le règlement attaqué aurait augmenté le contingent en question de 28,64 % quatre
mois seulement après l'entrée en vigueur du règlement n° 519/94, sans que le
Conseil ait suffisamment motivé cette augmentation. En particulier, il n'apparaîtrait
pas que les modifications apportées soient justifiées par une évolution des
circonstances ayant donné lieu à la fixation du premier contingent.
- 23.
- Le règlement attaqué aurait ainsi introduit une modification substantielle sans pour
autant fournir une motivation qui non seulement identifierait les facteurs qui ont
conduit à l'adoption de la mesure, mais aussi préciserait l'impact de cette mesure
de façon à permettre aux intéressés de défendre leurs droits et à la Cour d'exercer
son contrôle. L'allusion à «des perturbations dans les échanges commerciaux avec
la république populaire de Chine», contenue dans le troisième considérant,
constituerait une simple observation de fait qui ne suffirait pas à justifier la manière
dont l'institution exerce le large pouvoir d'appréciation dont elle dispose (arrêt
Compagnia italiana alcool/Commission, précité).
- 24.
- Le Conseil fait valoir que le gouvernement espagnol essaie d'appliquer la
jurisprudence de la Cour portant sur la motivation des décisions de la Commission
à la présente affaire, relative à un règlement du Conseil, alors que ce type d'acte
n'est pas nécessairement soumis aux mêmes exigences que les décisions. Les
considérants du règlement attaqué auraient un caractère élaboré et exhaustif, et ne
se borneraient pas à une simple allusion aux perturbations dans les échanges. Au
contraire, ils feraient apparaître clairement ce qui a conduit le Conseil à l'adopter
et assureraient ainsi le respect de l'obligation de motivation résultant de l'article
190 du traité.
- 25.
- Par ailleurs, le règlement attaqué, dès lors qu'il se borne à modifier le niveau d'un
contingent fixé par le règlement n° 519/94, n'aurait pas introduit une modification
substantielle de la situation existante. En tout état de cause, il appartiendrait aux
institutions communautaires d'évaluer les éventuelles perturbations affectant la
situation économique dans laquelle le règlement intervient et de décider des
mesures à adopter en conséquence.
- 26.
- La Commission soutient également que la motivation fournie dans les considérants
du règlement attaqué est suffisamment claire et précise. L'adaptation quantitative
du contingent pour 1994 aurait été imposée par les perturbations constatées dans
les échanges commerciaux avec la Chine. Le Conseil aurait, en particulier, essayé
de maintenir un juste équilibre entre tous les intérêts en présence, c'est-à-dire,
d'une part, l'exigence de protéger les secteurs de l'industrie communautaire
concernée et, d'autre part, la nécessité de maintenir un niveau de commerce
acceptable avec la Chine. L'arbitrage entre ces intérêts impliquerait nécessairement
l'exercice d'un large pouvoir discrétionnaire par le Conseil.
- 27.
- La Commission ajoute que, s'il est vrai que le choix effectué pour les produits
contingentés n'a pas fait l'objet d'une motivation spécifique et détaillée, les
principaux éléments de fait et de droit sur lesquels le règlement se fonde et les
raisons qui ont incité le Conseil à l'adopter ont été indiqués de manière claire et
non équivoque dans le préambule du règlement attaqué.
- 28.
- A cet égard, il convient de rappeler que, comme le Conseil l'a fait observer à juste
titre, selon une jurisprudence constante depuis l'arrêt du 13 mars 1968, Beus (5/67,
Rec. p. 125, p. 143), la portée de l'obligation de motivation dépend de la nature de
l'acte en cause et que, s'agissant d'actes destinés à une application générale, la
motivation peut se borner à indiquer, d'une part, la situation d'ensemble qui a
conduit à son adoption et, d'autre part, les objectifs généraux qu'il se propose
d'atteindre.
- 29.
- Il s'ensuit que la jurisprudence invoquée par le gouvernement espagnol, qui porte
sur des décisions de la Commission concernant individuellement les requérants,
n'est pas pertinente dans le cas d'actes à portée générale tels que le règlement
attaqué.
- 30.
- Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que, si l'acte contesté fait ressortir
l'essentiel de l'objectif poursuivi par l'institution, il serait excessif d'exiger une
motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés (voir, notamment,
arrêt du 22 janvier 1986, Eridania e.a., 250/84, Rec. p. 117, point 38).
- 31.
- En l'espèce, le Conseil a d'abord rappelé, dans le préambule du règlement attaqué,
le contexte dans lequel il avait déterminé le niveau initial du contingent litigieux et
les finalités qu'il avait ainsi poursuivies. Il a ensuite expliqué que l'application de
ce contingent avait provoqué des perturbations affectant les secteurs économiques
intéressés. Il en a conclu qu'une augmentation de ce contingent était opportune
afin de faciliter la transition entre l'ancien régime d'importation et le nouveau.
- 32.
- Il y a donc lieu de considérer que cette motivation contient une description claire
de la situation de fait et des objectifs suivis qui, au vu des circonstances de l'espèce,
apparaît comme étant suffisante.
- 33.
- En effet, d'une part, sans qu'il soit nécessaire de vérifier si la modification apportée
par le règlement litigieux revêt un caractère substantiel, il convient de rappeler que
les institutions communautaires disposent d'une marge d'appréciation lors du choix
des moyens nécessaires pour la réalisation de la politique commerciale commune
(voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 1982, Edeka, 245/81, Rec. p. 2745, point 27;
du 28 octobre 1982, Faust/Commission, 52/81, Rec. p. 3745, point 27; du 7 mai
1987, Koyo Seiko/Conseil, 256/84, Rec. p. 1899, point 20, Nippon Seiko/Conseil,
258/84, Rec. p. 1923, point 34, et Minebea/Conseil, 260/84, Rec. p. 1975, point 28).
- 34.
- En particulier, il appartient au Conseil d'apprécier si, en fonction des résultats
produits par l'application de la réglementation qu'il édicte, il y a lieu d'en modifier
certains éléments. Dès lors, contrairement à ce que soutient le gouvernement
espagnol, le Conseil n'était pas tenu de faire état dans la motivation d'une
évolution des circonstances ayant conduit à la fixation du premier contingent.
- 35.
- D'autre part, le Conseil ayant exposé les objectifs poursuivis, il n'avait pas à
justifier les choix techniques effectués, et notamment l'importance de
l'augmentation du contingent litigieux.
- 36.
- Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation du principe de la protection de la confiance
légitime
- 37.
- En second lieu, le gouvernement espagnol fait valoir que, en adoptant le règlement
attaqué, le Conseil a violé le principe de la protection de la confiance légitime, en
ce qu'il a omis de tenir compte de la situation des États membres et des opérateurs
économiques concernés. Ceux-ci, en l'absence d'une modification des circonstances
de fait, se seraient vu imposer dans un laps de temps très bref une modification du
statu quo instauré par le règlement précédent, sans que ce changement ait été
justifié par un intérêt public supérieur. Il en serait résulté un grave préjudice pour
tous les opérateurs qui, au vu du règlement initial, avaient résilié ou différé leurs
contrats.
- 38.
- Le gouvernement espagnol souligne qu'il s'estime habilité à invoquer la violation
de la confiance légitime des opérateurs concernés, et notamment des opérateurs
espagnols, dans le cadre d'un recours en annulation, surtout si l'on considère que
les intéressés ne pourraient former un tel recours dans le cas d'espèce.
- 39.
- Le gouvernement espagnol ajoute que l'on ne saurait exiger d'un opérateur prudent
et avisé qu'il prévoie un changement qui vide de tout contenu pratique le
contingent antérieur, et cela à peine quatre mois après l'instauration de ce dernier.
Les opérateurs concernés ne pourraient donc se voir reprocher un défaut de
diligence ni se voir imposer une obligation d'assumer des risques dépassant les
risques normaux, inhérents à l'exercice de leur activité.
- 40.
- Le Conseil doute d'abord que le règlement attaqué ait pu violer la confiance
légitime du royaume d'Espagne. Ensuite, à supposer qu'un État membre soit en
droit d'invoquer la violation du principe de la protection de la confiance légitime
dans le chef des opérateurs économiques concernés, il y aurait lieu de constater
que le Conseil a entièrement respecté ce principe. En effet, toute instauration ou
modification des contingents communautaires aurait des effets sur les échanges et
l'éventualité que ces derniers soient affectés sensiblement ferait partie des risques
économiques inhérents aux secteurs concernés et connus de chaque opérateur
économique prudent et avisé. Enfin, le Conseil doute que l'on puisse invoquer une
confiance légitime lorsque la seule conséquence éventuelle de l'augmentation du
contingent pour les opérateurs concernés consiste en un niveau de concurrence
différent sur le marché communautaire des jouets. En tout état de cause, il
incomberait au gouvernement requérant de fournir la preuve de l'existence d'une
confiance légitime dans le chef des opérateurs économiques concernés par le
règlement n° 519/94.
- 41.
- La Commission fait valoir, pour sa part, que, lorsqu'un opérateur économique
prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure communautaire
de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer une violation du principe de
la protection de la confiance légitime lorsque cette mesure est adoptée. Dans le cas
d'espèce, les affirmations du gouvernement espagnol quant à la violation de la
confiance légitime ne se fonderaient sur aucune preuve ou commencement de
preuve. En tout cas, rien n'aurait permis à un opérateur prudent et avisé de croire
que le Conseil ne modifierait pas le contingent. En outre, tant les autorités
espagnoles que les opérateurs économiques du secteur seraient intervenus trèsactivement dans le processus d'élaboration à la fois du règlement n° 519/94 et du
règlement attaqué, ce qui leur aurait permis de connaître, bien à l'avance, le
contenu de ces règlements. Enfin, le règlement n° 519/94 prévoirait expressément
tant l'instauration de contingents quantitatifs que leur modification afin de les
adapter régulièrement à l'évolution de la situation économique. Par conséquent, la
possibilité d'une adaptation, voire d'une suppression, des contingents établis aurait
été connue et de telles interventions auraient été prévisibles.
- 42.
- Il convient de constater, à titre liminaire, que, même si le gouvernement espagnol
prétend que le règlement attaqué porte atteinte également à la confiance légitime
des États membres, ses arguments se réfèrent pour l'essentiel à la violation de la
confiance légitime des opérateurs concernés. Cependant, nonobstant les doutes
émis par le Conseil, rien ne s'oppose à ce qu'un État membre fasse valoir, dans le
cadre d'un recours en annulation, qu'un acte des institutions porte atteinte à la
confiance légitime de certains particuliers (voir, à cet égard, arrêts du 14 janvier
1987, Allemagne/Commission, 278/84, Rec. p. 1, points 34 à 36; du 20 septembre
1988, Espagne/Conseil, 203/86, Rec. p. 4563, points 17 à 20, et du 14 janvier 1997,
Espagne/Commission, C-169/95, Rec. p. I-135, points 49 à 54).
- 43.
- Quant au bien-fondé de ce moyen, il convient de rappeler, d'une part, que, selon
une jurisprudence constante, les institutions communautaires disposant d'une marge
d'appréciation lors du choix des moyens nécessaires pour la réalisation de la
politique commerciale commune, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés
à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante, qui peut
être modifiée par des décisions prises par ces institutions dans le cadre de leur
pouvoir d'appréciation (arrêts précités Edeka, point 27; Faust/Commission, point
27; Koyo Seiko/Conseil, point 20; Nippon Seiko/Conseil, point 34, et
Minebea/Conseil, point 28).
- 44.
- D'autre part, dans le cas d'espèce, il résultait expressément du règlement n° 519/94,
et notamment de son sixième considérant et de ses articles 1er, paragraphe 4, et 4,
paragraphe 3, que les contingents figurant à l'annexe II pouvaient faire l'objet
d'adaptations. Dans ces conditions, des mesures telles que celles prévues par le
règlement attaqué étaient largement prévisibles par les opérateurs concernés.
- 45.
- Il en découle que, en adoptant le règlement attaqué, le Conseil n'a pas violé le
principe de la protection de la confiance légitime et que ce moyen ne peut donc
être accueilli.
- 46.
- Les moyens invoqués par le gouvernement requérant n'étant pas fondés, il y a lieu
de rejeter le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
- 47.
- Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le royaume
d'Espagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu, ainsi que le demande le
Conseil, de le condamner aux dépens. Aux termes de l'article 69, paragraphe 4, de
ce règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige
supportent leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) Le royaume d'Espagne est condamné aux dépens.
3) La Commission des Communautés européennes supportera ses propres
dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 novembre 1998.
Le greffier
Le président de la sixième chambre
R. Grass
P. J. G. Kapteyn