Language of document : ECLI:EU:C:2010:211

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 avril 2010 (*)

«Manquement d’État – Directive 93/37/CEE – Articles 3 et 11 – Concessions de travaux publics – Obligations en matière de publicité – Étendue des obligations – Avis de marché – Description de l’objet de la concession et de la localisation des travaux – Travaux supplémentaires non explicitement prévus dans l’avis de marché et dans le cahier des charges – Principe d’égalité de traitement»

Dans l’affaire C‑423/07,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 13 septembre 2007,

Commission européenne, représentée par MM. D. Kukovec et M. Konstantinidis, ainsi que par Mme S. Pardo Quintillán, en qualité d’agents, assistés de Me M. Canal Fontcuberta, abogada, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par Me F. Díez Moreno, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur), J. Malenovský et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 septembre 2009,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’incluant pas, parmi les travaux faisant l’objet d’une concession, dans l’avis et dans le cahier des clauses administratives particulières concernant la passation d’un marché de concession administrative pour la construction, l’entretien et l’exploitation des liaisons de l’autoroute A‑6 avec Ségovie et Ávila, ainsi que pour l’entretien et l’exploitation à partir de 2018 de l’autoroute A‑6, tronçon Villalba-Adanero, certains travaux qui ont été attribués ultérieurement lors de la passation dudit marché, dont des travaux sur le tronçon gratuit de l’autoroute A‑6, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), et, partant, de son article 11, paragraphes 3, 6, 7, 11 et 12, et a enfreint les principes du traité CE, notamment ceux d’égalité de traitement et de non-discrimination.

 La réglementation communautaire

2        La directive 93/37 énonce, à son cinquième considérant, que «[…] compte tenu de l’importance croissante des concessions dans les travaux publics et de leur nature spécifique, il est opportun d’inclure dans la présente directive des règles de publicité en la matière».

3        Aux termes de l’article 1er, sous c), de cette directive:

«on entend par ‘ouvrage’ le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique».

4        Conformément à la définition contenue à l’article 1er, sous d), de la même directive:

«la ‘concession de travaux publics’ est un contrat présentant les mêmes caractères que ceux visés au point a) [concernant les marchés publics de travaux], à l’exception du fait que la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix».

5        L’article 3 de la directive 93/37 prévoit:

«1.      Dans le cas où les pouvoirs adjudicateurs concluent un contrat de concession de travaux publics, les règles de publicité définies à l’article 11 paragraphes 3, 6, 7 et 9 à 13 et à l’article 15 sont applicables à ce contrat lorsque sa valeur égale ou dépasse 5 000 000 d’écus.

[…]

4.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les concessionnaires de travaux publics autres que les pouvoirs adjudicateurs appliquent les règles de publicité définies à l’article 11 paragraphes 4, 6, 7 et 9 à 13 et à l’article 16 dans la passation des marchés de travaux avec des tiers lorsque la valeur de ces marchés égale ou dépasse 5 000 000 d’écus. […]

[…]»

6        L’article 11 de la directive 93/37, faisant partie du titre III de celle-ci, intitulé «Règles communes de publicité», dispose:

«1.      Les pouvoirs adjudicateurs font connaître, au moyen d’un avis indicatif, les caractéristiques essentielles des marchés de travaux qu’ils entendent passer et dont les montants égalent ou dépassent le seuil indiqué à l’article 6 paragraphe 1.

[…]

3.      Les pouvoirs adjudicateurs désireux d’avoir recours à la concession de travaux publics font connaître leur intention au moyen d’un avis.

[…]

6.      Les avis prévus aux paragraphes 1 à 5 sont établis conformément aux modèles qui figurent aux annexes IV, V et VI et donnent les renseignements qui y sont demandés.

[…]

7.      Les avis prévus aux paragraphes 1 à 5 sont envoyés par les pouvoirs adjudicateurs dans les meilleurs délais et par les voies les plus appropriées à l’Office des publications officielles des Communautés européennes. […]

[…]

9.      Les avis prévus aux paragraphes 2, 3 et 4 sont publiés in extenso au Journal officiel des Communautés européennes […]

10.      L’Office des publications officielles des Communautés européennes publie les avis douze jours au plus tard après leur envoi. Dans le cas de la procédure accélérée prévue à l’article 14, ce délai est réduit à cinq jours.

11.      La publication des avis dans les journaux officiels ou dans la presse du pays du pouvoir adjudicateur ne doit pas avoir lieu avant la date d’envoi à l’Office des publications officielles des Communautés européennes et doit faire mention de cette date. Elle ne doit pas contenir de renseignements autres que ceux publiés au Journal officiel des Communautés européennes.

12.      Les pouvoirs adjudicateurs doivent être en mesure de faire la preuve de la date d’envoi.

[…]»

7        Les annexes auxquelles se réfère l’article 11, paragraphe 6, de la directive 93/37 contiennent des modèles des avis à faire publier par le pouvoir adjudicateur au Journal officiel des Communautés européennes. L’annexe IV de ladite directive concerne les marchés publics de travaux, l’annexe V les concessions de travaux publics et l’annexe VI contient le modèle d’avis lorsque le concessionnaire veut passer avec des tiers des marchés d’exécution des travaux qui lui ont été concédés.

8        L’article 15 de cette directive dispose:

«Les pouvoirs adjudicateurs désireux d’avoir recours à la concession de travaux publics fixent un délai pour la présentation des candidatures à la concession, lequel ne peut être inférieur à cinquante-deux jours à compter de la date d’envoi de l’avis».

9        L’article 61 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114), intitulé «Attribution de travaux complémentaires au concessionnaire», prévoit:

«La présente directive ne s’applique pas aux travaux complémentaires qui ne figurent pas dans le projet initialement envisagé de la concession ni dans le contrat initial et qui sont devenus nécessaires, à la suite d’une circonstance imprévue, à l’exécution de l’ouvrage tel qu’il y est décrit, que le pouvoir adjudicateur confie au concessionnaire, à condition que l’attribution soit faite à l’opérateur économique qui exécute cet ouvrage:

–        lorsque ces travaux complémentaires ne peuvent être techniquement ou économiquement séparés du marché initial sans inconvénient majeur pour les pouvoirs adjudicateurs, ou

–        lorsque ces travaux, quoiqu’ils soient séparables de l’exécution du marché initial, sont strictement nécessaires à son perfectionnement.

Toutefois, le montant cumulé des marchés passés pour les travaux complémentaires ne doit pas dépasser 50 % du montant de l’ouvrage initial faisant l’objet de la concession.»

10      La communication interprétative de la Commission sur les concessions en droit communautaire (JO 2000, C 121, p. 2) énonce, à son point 3.1.1, intitulé «L’égalité de traitement»:

«[…]

[L]orsque, dans certains cas, le concédant n’a pas la possibilité de définir ses besoins en termes techniques suffisamment précis, il va alors rechercher des offres alternatives susceptibles d’apporter des solutions différentes à un problème exprimé en termes généraux. Cependant, dans ces hypothèses, le cahier des charges doit toujours, pour assurer une concurrence saine et efficace, présenter de manière non discriminatoire et objective ce qui est demandé aux candidats et surtout les modalités de l’approche qu’ils doivent suivre en préparant leurs offres. […]»

 La réglementation nationale

11      La loi 8, du 10 mai 1972, relative à la construction, à l’entretien et à l’exploitation des autoroutes au moyen de marchés de concession, dans sa version en vigueur depuis 1996 (ci-après la «loi sur les autoroutes»), prévoit à son article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa:

«[…] relèvent de l’objet social de la société concessionnaire, […], la construction de travaux d’infrastructures routières, autres que ceux inclus dans le marché mais ayant une incidence sur celui-ci et qui sont réalisés dans la zone d’influence de l’autoroute ou qui sont nécessaires à l’organisation du trafic, dont le projet et l’exécution, ou la seule exécution, s’imposent au concessionnaire comme contrepartie […]»

12      L’arrêté royal 597, du 16 avril 1999, a fixé à 20 km l’étendue de la zone d’influence des autoroutes.

 L’opération litigieuse

13      L’autoroute A‑6 relie la ville de Madrid à la ville de La Corogne et constitue l’axe principal qui unit le centre au nord et au nord‑ouest de l’Espagne. Il est constant qu’il s’agit d’un des axes routiers les plus importants et les plus fréquentés de ce pays. Le tronçon de cette autoroute situé entre Madrid et la ville de Villalba est un tronçon gratuit, d’une longueur d’environ 40 km, et traverse une zone pratiquement urbaine. Celui situé entre les villes de Villalba et d’Adanero est un tronçon à péage, d’une longueur d’environ 70 km (ci‑après le «tronçon à péage de l’autoroute A‑6»). Il est constant que ces deux tronçons d’autoroute étaient caractérisés depuis longtemps par une circulation très intense et présentaient de sérieux problèmes d’embouteillages.

14      Depuis 1968, le tronçon à péage de l’autoroute A‑6 est géré sous la forme de concession par la société Ibérica de Autopistas SA (ci-après «Iberpistas»). Cette concession avait été accordée jusqu’au 29 janvier 2018.

15      Par arrêté du 26 mai 1997, le ministère espagnol des Travaux publics a annoncé son intention d’inclure dans le «plan des autoroutes», approuvé par le gouvernement espagnol au mois de février 1997, la construction d’autoroutes reliant les villes de Ségovie et de Ávila à l’autoroute A‑6, car, «compte tenu des importants mouvements de circulation qui existent actuellement et qui provoquent une congestion du trafic […], la construction des autoroutes permettant de relier ces villes avec l’autoroute A‑6 actuelle présente un intérêt public exceptionnel pour leur développement».

16      Par avis publié au Journal officiel des Communautés européennes (JO S 115, du 16 juin 1999, ci-après le «premier avis») et par cahier des charges approuvé par arrêté du 4 juin 1999 (BOE n° 136, du 8 juin 1999, ci-après le «premier cahier des charges»), le ministère des Travaux publics, agissant en tant qu’autorité concédante, a lancé une procédure en vue de l’attribution d’une concession de travaux publics. Le paragraphe 2 du premier avis et la clause n° 2, paragraphe 4, du premier cahier des charges, dont le contenu était identique, décrivaient l’objet de l’appel d’offres en vue de la concession.

17      Cet objet concernait les ouvrages suivants:

–        la construction, l’entretien et l’exploitation des liaisons du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 avec les villes de Ávila et de Ségovie,

–        l’entretien et l’exploitation, à partir du 30 janvier 2018, du tronçon à péage de l’autoroute A‑6, pour une période à déterminer sur la base du nombre moyen de véhicules en transit sur ce tronçon,

–        la construction de la voie de contournement de la ville de Guadarrama, commune située sur le tronçon à péage de l’autoroute A‑6, et

–        l’élargissement d’une partie du tronçon gratuit de l’autoroute A‑6, à savoir du tronçon entre Madrid et Villalba. Il s’agissait de la construction d’une quatrième voie de circulation par sens en vue d’augmenter la capacité de l’autoroute A‑6 sur ce tronçon.

18      Par arrêté du 7 juillet 1999 (BOE n° 163, du 9 juillet 1999), l’autorité concédante a publié un nouveau cahier des charges (ci-après le «second cahier des charges»). Un nouvel avis a été publié au Journal officiel des Communautés européennes (JO S 137, du 17 juillet 1999, ci-après le «second avis»). Le préambule de ce second arrêté énonçait que, «pour des raisons d’ordre technique, il y a lieu de modifier [le premier] cahier, afin de redéfinir l’objet de l’appel d’offres et d’apporter quelques modifications concernant la fixation de la durée de la concession».

19      Le paragraphe 2 du second avis et la clause n° 2 du second cahier des charges définissaient l’objet de la concession comme suit:

«1.      La construction, l’entretien et l’exploitation du tronçon à péage de l’autoroute A‑6, liaison avec Ségovie, […]

2.      La construction, l’entretien et l’exploitation du tronçon à péage de l’autoroute A-6, liaison avec Ávila. […]

3.      L’entretien et l’exploitation de l’autoroute à péage A‑6, tronçon Villalba‑Adanero. […]»

20      Il en ressort que ce second avis et ce second cahier des charges ne mentionnaient pas dans l’objet de la concession la construction de la voie de contournement de Guadarrama ni l’élargissement d’une partie du tronçon gratuit de l’autoroute A‑6.

21      La clause n° 3 du second cahier des charges renvoyait au «dossier administratif».

22      Les paragraphes 13 et 16 de la clause n° 5 du second cahier des charges, dont le libellé était le même dans le premier cahier des charges, disposaient:

«13      Les soumissionnaires indiqueront expressément dans leurs offres les mesures qu’ils se proposent d’adopter en ce qui concerne les effets induits par la concession sur le réseau viaire global, sur l’intérêt touristique de la région et la valorisation des monuments d’intérêt historique ou artistique, ainsi que sur la protection et la conservation du paysage et de la nature, sans préjudice du respect de la réglementation en vigueur dans ces domaines.

[…]

16      Les soumissionnaires exposeront à l’administration les mesures qu’ils envisagent de prendre pour la gestion adéquate du trafic interurbain dans la zone affectée par la construction des tronçons faisant l’objet de la concession, et préciseront celles qu’ils s’engagent à mettre en œuvre à leur charge. La créativité et la viabilité de ces considérations seront évaluées positivement lors de l’attribution du marché, eu égard au degré de congestion élevé des zones sur le trafic desquelles les voies objet du marché auront une incidence.»

23      À la clause n° 10 du second cahier des charges, laquelle était identique à celle figurant dans le premier cahier des charges, étaient énumérés les critères qui seraient pris en considération en vue de l’attribution du marché. Parmi ces critères figuraient:

–        la viabilité de l’offre présentée et le volume des moyens mis en œuvre (point III),

–        les mesures proposées pour la gestion du trafic et de l’environnement (point V).

24      Un sous‑critère V.i indiquait:

«[l]es mesures proposées pour la gestion du trafic interurbain, y compris celles concernant l’implantation d’un péage dynamique dans la zone affectée par la construction des tronçons faisant l’objet de la concession, peuvent recevoir jusqu’à 75 points pour leur créativité, leur viabilité et leur efficacité».

25      La clause n° 29 du second cahier des charges énonçait que, en ce qui concerne les liaisons du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 avec Ávila et Ségovie, le concessionnaire est tenu de veiller à ce que, en aucun endroit de l’autoroute, ne soit dépassé un certain niveau d’intensité de la circulation, exprimé en termes techniques, et qu’il est tenu d’effectuer à ses frais les extensions nécessaires à cette fin.

26      Enfin, la clause n° 33 du second cahier des charges prévoyait que la durée du marché ne serait ni supérieure à 37 ans ni inférieure à 22 ans, et que la durée exacte du marché, calculée en années, serait déterminée en tenant compte de l’évolution réelle de la circulation sur chacun des différents tronçons, ce qui serait estimé 20 ans après le début du marché.

27      En vertu du décret royal 1724/1999, du 5 novembre 1999, l’autorité concédante a attribué le marché de concession à Iberpistas. L’article 5 de ce décret royal prévoyait toutefois l’exécution de travaux supplémentaires par rapport à ceux mentionnés dans le second avis et dans le second cahier des charges. Ainsi, outre la construction des liaisons du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 avec Ávila et Ségovie, ainsi que l’entretien et l’exploitation du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 entre Villalba et Adanero, les travaux suivants étaient prévus:

–        la construction d’une troisième voie de circulation par sens sur la partie du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 située entre Villalba et la jonction Valle de los Caídos (ci-après l’«ouvrage A»),

–        la construction d’une troisième voie réversible sur la partie du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 située entre la jonction Valle de los Caídos et la ville de San Rafael, y compris la construction d’un nouveau tunnel (ci-après l’«ouvrage B»), et

–        la construction d’une quatrième voie de circulation par sens sur le tronçon gratuit de l’autoroute A‑6 entre Madrid et Villalba (ci‑après l’«ouvrage C»).

28      Les ouvrages A, B et C sont désignés ci-après en tant qu’«ouvrages supplémentaires».

29      Il résulte de ce qui précède que l’ouvrage C était mentionné dans le premier avis et le premier cahier des charges, mais pas dans les seconds. Les ouvrages A et B n’étaient mentionnés ni dans les premiers ni dans les seconds. Quant aux travaux de construction d’une voie de contournement de Guadarrama, qui étaient repris dans le premier cahier des charges mais pas dans le second, ils ne relevaient pas de l’objet de la concession attribuée à Iberpistas et ils n’ont finalement pas été réalisés.

30      Il ressort du dossier que la liaison entre le tronçon à péage de l’autoroute A‑6 et Ségovie a été mise en fonctionnement en 2003, et que la quatrième voie de circulation sur le tronçon gratuit de l’autoroute A‑6 (ouvrage C) est entrée en service le 1er janvier 2006. Il ressort également du dossier que les autres ouvrages ont été entre-temps réalisés.

31      Il ressort également d’une lettre des autorités espagnoles, du 28 novembre 2001, que le coût des travaux explicitement mentionnés dans le second avis et le second cahier des charges, à savoir les liaisons du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 avec Ségovie et Ávila, s’est élevé à 151,76 millions d’euros. Ce coût ne comprend pas celui concernant les travaux d’entretien et d’exploitation du tronçon à péage de l’autoroute A‑6, qui ont été concédés à partir du 30 janvier 2018. Le coût des trois ouvrages supplémentaires se serait élevé à 132,03 millions d’euros.

 La procédure précontentieuse

32      Ayant des doutes quant à la régularité, au regard des règles de la directive 93/37, de la procédure suivant laquelle a été concédée la réalisation des ouvrages supplémentaires, la Commission a, le 30 avril 2001, adressé au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure, à laquelle celui-ci a répondu par lettre du 27 juin 2001. N’ayant pas jugé satisfaisantes les explications entre-temps fournies par cet État membre, la Commission a, le 18 juillet 2002, rendu un avis motivé, auquel ledit État a répondu par lettres des 20 septembre 2002 et 13 mars 2003.

33      Le 25 juillet 2003, la Commission a adressé au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure complémentaire concernant le non-respect des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, à laquelle celui-ci a répondu par lettre du 28 octobre 2003. Le 22 décembre 2004, la Commission a adressé un avis motivé complémentaire concernant la violation desdits principes, auquel cet État membre a répondu par lettre du 3 mars 2005. N’ayant pas été satisfaite de cette réponse, la Commission a déposé le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

34      Le Royaume d’Espagne soulève deux exceptions d’irrecevabilité. Premièrement, il soutient que la requête méconnaît les exigences du règlement de procédure de la Cour, car la preuve du pouvoir de représentation n’est pas apportée en ce qui concerne l’avocate représentant la Commission. Cette institution ne justifierait, en outre, pas la mission dont cette avocate serait chargée pour intervenir dans la présente affaire, puisque celle-ci n’agirait pas en qualité d’agent de la Commission.

35      Deuxièmement, le Royaume d’Espagne soulève une exception d’irrecevabilité tirée de ce que la requête de la Commission manquerait de clarté, dans la mesure où celle-ci se réfère indistinctement à une violation des articles 3 et 11, paragraphes 3, 6, 7, 11 et 12, de la directive 93/37. Or, la seule disposition de l’article 3 susceptible d’entrer en ligne de compte en l’espèce serait celle de son paragraphe 1. En outre, l’autorité concédante aurait en l’occurrence pleinement accompli ses obligations résultant de l’article 11, paragraphes 3, 7, 11 et 12, de cette directive. Par ailleurs, le paragraphe 6 du même article se réfèrerait aux annexes IV, V et VI de ladite directive, alors que seule l’annexe V serait applicable en l’espèce. Dès lors, l’objet du recours serait indéterminé.

36      En ce qui concerne la première exception d’irrecevabilité, il convient de relever que la Commission a été dûment représentée par trois agents et que ceux-ci ont été assistés d’une avocate. D’ailleurs, la Commission a annexé à sa requête la copie d’un document certifiant que l’avocate en question est habilitée à exercer, au sens de l’article 38, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, devant une juridiction d’un État membre, à savoir le Royaume d’Espagne.

37      De même, la seconde exception d’irrecevabilité ne saurait être acceptée. Il ressort, en effet, sans équivoque, de l’ensemble des documents déposés devant la Cour que le recours et les griefs de la Commission portent sur la non-observation, lors de la procédure de concession des travaux en cause, des obligations de publicité qui incombent à l’autorité concédante en vertu des dispositions pertinentes de la directive 93/37, dans la mesure où tous les travaux effectivement attribués et exécutés ne seraient pas mentionnés dans l’avis prévu à cet effet par ces dispositions.

38      Dès lors, aucun problème de clarté de l’objet du recours, susceptible de mettre en doute la recevabilité de celui-ci, ne se pose en l’espèce.

39      L’éventualité que certaines des dispositions de la directive 93/37 identifiées par la Commission à l’appui de ses griefs ne s’avéreraient pas pertinentes en l’espèce ne rend pas son recours irrecevable.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

40      La Commission fait valoir en substance que l’objet d’une concession, tel que décrit dans l’avis et dans le cahier des charges, et les ouvrages effectivement attribués doivent coïncider. Or, l’objet de la concession en cause serait défini de manière précise dans la clause n° 2 du second cahier des charges et concernerait des travaux déterminés, à savoir les liaisons du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 avec Ségovie et Ávila ainsi que l’entretien et l’exploitation dudit tronçon à partir du 30 janvier 2018. En revanche, les ouvrages supplémentaires ne seraient mentionnés ni dans le second avis ni dans le second cahier des charges.

41      Le manquement reproché au Royaume d’Espagne réside ainsi, selon la Commission, dans le fait que les autorités espagnoles ont procédé a posteriori à une extension de l’objet de la concession en ayant attribué à Iberpistas des travaux qui n’avaient pas fait l’objet d’une publication et se situaient en dehors de la zone géographique couverte par l’objet de la concession tel que publié. Ceci constituerait un manquement aux obligations qui incombent aux États membres en vertu des dispositions pertinentes des articles 3 et 11 de la directive 93/37.

42      La Commission soutient que ni la modification de l’objet de la concession intervenue dans le second avis et le second cahier des charges ni la formulation des clauses n° 5, paragraphes 13 et 16, et n° 29 du second cahier des charges ne pouvaient amener un soumissionnaire, raisonnablement averti et diligent, à comprendre qu’il était en fait invité par les autorités compétentes à formuler des propositions pouvant conduire à la réalisation de travaux tels que les ouvrages supplémentaires. S’il en était autrement, cela reviendrait en effet à admettre que les soumissionnaires pouvaient proposer des travaux sur toutes les routes des provinces de Madrid, de Ségovie et de Ávila, puisque le trafic sur celles-ci pouvait être affecté par les travaux faisant l’objet de la concession.

43      De l’avis de la Commission, le fait que les ouvrages supplémentaires n’étaient pas compris dans l’objet de la concession et qu’un soumissionnaire normalement avisé ne pouvait déduire des clauses du cahier des charges qu’il pouvait présenter des propositions concernant la réalisation d’ouvrages d’une telle envergure favorisait la seule Iberpistas, qui était déjà le concessionnaire du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 et connaissait les besoins réels du pouvoir adjudicateur. En revanche, ni les autres candidats ni les soumissionnaires potentiels n’auraient pu connaître tous les éléments qui allaient être pris en considération pour l’attribution de la concession, ce qui constituerait une violation du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires.

44      Le Royaume d’Espagne soutient, en premier lieu, que, ainsi qu’il ressort du second cahier des charges, l’appel d’offres était régi non seulement par ce cahier, mais aussi par l’ensemble de la réglementation applicable aux procédures d’appel d’offres, à savoir par la loi sur les autoroutes, ainsi que par le cahier des charges général approuvé par le décret n° 215, du 25 janvier 1973. Or, le but de cette réglementation serait de laisser, en cohérence avec la mise en œuvre du plan des autoroutes susmentionné, une grande liberté aux initiatives des entreprises privées tant au moment de la présentation de leurs offres qu’au cours de la réalisation de leurs activités après attribution du marché.

45      Cette approche aurait d’ailleurs été suivie, sans soulever de difficulté, lors de l’attribution de la concession de construction d’autres autoroutes en Espagne et serait, en outre, confirmée par l’article 8 de la loi sur les autoroutes qui prévoirait la possibilité pour les soumissionnaires de proposer des travaux supplémentaires soit dans la zone d’influence des autoroutes, conformément à la définition donnée à ce terme dans la réglementation nationale, soit en dehors de cette zone.

46      En l’occurrence, le second cahier des charges ne mentionnerait plus, de manière explicite, les projets de construction de certains ouvrages. Cette modification aurait eu pour but de laisser à l’initiative et à la créativité des entrepreneurs privés de proposer aux autorités concédantes la réalisation d’ouvrages susceptibles de résoudre les problèmes de trafic sur l’autoroute A‑6, notamment après la construction des nouvelles liaisons avec Ávila et Ségovie. En effet, la construction de ces deux nouvelles autoroutes aurait aggravé la situation du trafic sur l’axe concerné. La proposition de solution à ce problème aurait été laissée à l’initiative des soumissionnaires, comme il ressortirait également de la formulation de la clause n° 5, paragraphes 13 et 16, ainsi que des clauses nos 29 et 33 du second cahier des charges.

47      En deuxième lieu, le Royaume d’Espagne fait valoir que, en tout état de cause, il ne peut pas être question, en l’espèce, d’un manquement aux obligations de publicité en ce qui concerne l’attribution des ouvrages supplémentaires. En effet, Iberpistas n’aurait pas exécuté elle‑même ces travaux supplémentaires, mais les aurait soumis à un appel d’offres et les aurait attribués à des entreprises tierces, conformément aux exigences de publicité et de concurrence prescrites par la directive 93/37 et par la réglementation espagnole. Ces travaux supplémentaires auraient donc été réalisés par des entreprises tierces indépendantes du concessionnaire Iberpistas.

48      En troisième lieu, le Royaume d’Espagne souligne que les plaintes ont été déposées auprès de la Commission non pas par des soumissionnaires non choisis ni par des tiers réellement ou potentiellement intéressés par l’attribution de la concession litigieuse, mais par des personnes et des entités n’ayant aucun rapport professionnel avec cette concession. Ces plaignants n’auraient pas un quelconque intérêt à l’application correcte des règles de concurrence, mais seraient guidés par d’autres motivations. Toutes les entités souhaitant participer à la procédure auraient disposé des mêmes informations et aucun soumissionnaire ni aucun intéressé réel ou potentiel n’aurait contesté, par plainte, réclamation ou recours en justice, le résultat de la procédure. Dès lors, l’égalité de traitement aurait été respectée.

49      Le Royaume d’Espagne relève, en quatrième lieu, que ces mêmes plaignants, avant de s’adresser à la Commission, avaient déposé deux recours contre la procédure litigieuse devant le Tribunal Supremo, la plus haute juridiction espagnole, qui était le plus à même de se prononcer sur la question de fait soulevée en l’espèce et consistant à déterminer les raisons de la modification intervenue dans le second avis de marché. Or, le Tribunal Supremo aurait rejeté ces recours, par deux arrêts des 11 février et 4 octobre 2003, dans lesquels il aurait examiné l’attribution de la concession litigieuse également à la lumière du droit communautaire et aurait constaté que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination avaient été respectés.

 Appréciation de la Cour

50      À titre liminaire, il convient de relever que, si la Commission reproche au Royaume d’Espagne la violation des articles 3 et 11, paragraphes 3, 6, 7, 11 et 12, de la directive 93/37, elle ne conteste ni le fait qu’un avis d’appel d’offres a été publié ni le moment et les modalités de cette publication, telles que prévues à l’article 11, paragraphes 7, 11 et 12, de cette directive. En outre, il ressort de sa requête que, s’agissant de l’article 3 de la même directive, le recours de la Commission ne porte que sur le paragraphe 1 de cet article.

51      Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner le recours de la Commission au regard des seuls articles 3, paragraphe 1, et 11, paragraphes 3 et 6, de la directive 93/37.

52      À cet égard, il est constant que l’opération en cause dans la présente affaire constitue une «concession de travaux publics» au sens de l’article 1er, sous d), de la directive 93/37. Selon cette disposition, la «concession de travaux publics» est un contrat présentant les mêmes caractères que ceux qui sont relatifs aux «marchés publics de travaux», à l’exception du fait que la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix.

53      Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/37, dans le cas où les pouvoirs adjudicateurs concluent un contrat de concession de travaux publics, les règles de publicité définies, notamment, à l’article 11, paragraphes 3 et 6, de cette directive sont applicables à ce contrat lorsque sa valeur égale ou dépasse 5 000 000 d’écus.

54      L’article 11, paragraphe 3, de la même directive exige que les pouvoirs adjudicateurs désireux d’avoir recours à la concession de travaux publics fassent connaître leur intention au moyen d’un avis. Cet avis, comme il ressort du paragraphe 6 de cet article, doit être établi conformément au modèle figurant à l’annexe V de cette directive et doit donner les renseignements qui y sont demandés.

55      Parmi les informations que doit contenir ledit avis figurent, conformément à la section II, intitulée «Objet du contrat», de cette annexe V, l’objet principal et les objets supplémentaires du contrat, la description et la localisation des travaux auxquels se réfère la concession, ainsi que la quantité et l’étendue globale de ceux-ci.

56      Cette obligation de publicité, par la possibilité de comparer les offres qu’elle comporte, assure un niveau de concurrence considéré comme satisfaisant par le législateur de l’Union européenne dans le domaine des concessions de travaux publics.

57      Elle exprime, dans ce domaine, les principes d’égalité de traitement et de transparence, qui s’imposent en toutes circonstances aux pouvoirs adjudicateurs.

58      Par la formulation des termes de l’avis de manière claire, la possibilité doit être objectivement offerte à tout soumissionnaire potentiel, normalement avisé et expérimenté et raisonnablement diligent, de se faire une idée concrète des travaux à effectuer ainsi que de leur localisation, et de formuler en conséquence son offre.

59      Le caractère primordial de l’avis, en ce qui concerne tant les marchés publics que les concessions de travaux, pour ce qui est de l’information, dans des conditions respectueuses du principe d’égalité de traitement, des soumissionnaires des différents États membres, est souligné à l’article 11, paragraphe 11, de la directive 93/37, suivant lequel les publications éventuelles d’informations au niveau national ne doivent pas contenir de renseignements autres que ceux publiés au Journal officiel des Communautés européennes.

60      Étant donné, toutefois, l’espace limité disponible dans le modèle d’avis d’une concession figurant à l’annexe V de la directive 93/37, les informations concernant une concession peuvent être explicitées dans le cahier des charges que l’autorité concédante doit établir et qui constitue le complément naturel de l’avis.

61      En l’occurrence, il convient de constater que les ouvrages supplémentaires sur lesquels portent les griefs de la Commission, dont la valeur dépasse très considérablement le seuil prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/37, n’étaient pas repris dans l’objet de la concession en cause, tel que défini dans le second avis et le second cahier des charges.

62      Toutefois, le Royaume d’Espagne soutient que le second cahier des charges aurait dû être entendu en ce sens qu’il renvoyait à la réglementation de base généralement applicable aux procédures d’appel d’offres, notamment à la loi sur les autoroutes, et être interprété à la lumière de cette réglementation, dont le but est d’accorder une grande liberté à l’initiative des soumissionnaires. Dès lors, les soumissionnaires auraient dû comprendre, à la lumière de l’article 8 de cette loi, que l’autorité concédante faisait en réalité appel à leur initiative et à leur créativité en vue de résoudre le problème primordial qui se posait, à savoir l’intensité du trafic sur l’autoroute A‑6. Ce problème aurait un caractère notoire et ressortirait sans équivoque des statistiques des autorités nationales compétentes. Il relèverait ainsi du bon sens de comprendre que l’autorité concédante s’attendait à de telles propositions. Cette attente serait d’ailleurs confirmée par le fait que certains ouvrages n’étaient plus mentionnés dans le second cahier des charges, afin de laisser plus de place à l’initiative des soumissionnaires, et par la formulation des clauses n° 5, paragraphes 13 et 16, et n° 29 du second cahier des charges.

63      Cette argumentation doit être rejetée.

64      En effet, il importe de relever que, aux fins de la clarification des exigences d’une concession, il est parfois inévitable que l’avis ou le cahier des charges renvoie à la réglementation nationale concernant des spécifications techniques en matière de sécurité, de santé, de protection de l’environnement ou des exigences d’une autre nature. Cette possibilité de renvoi ne saurait toutefois faire échapper l’autorité concédante aux obligations de publicité imposées par la directive 93/37, selon lesquelles l’objet de la concession en cause doit être défini dans l’avis et le cahier des charges, qui doivent contenir les éléments d’information dont il est question au point 55 du présent arrêt. Ne saurait non plus être acceptée la nécessité d’interpréter l’avis ou le cahier des charges à la lumière d’une telle réglementation, afin de déceler le véritable objet d’une concession.

65      Cette exigence doit être interprétée de manière stricte. Ainsi, la Cour, dans le cadre d’un marché public de travaux, a exclu la légalité d’un renvoi opéré par le cahier des charges à la législation nationale concernant la possibilité pour les soumissionnaires de présenter des variantes dans leurs offres, conformément à l’article 19, premier et deuxième alinéas, de la directive 93/37, étant donné que n’étaient pas précisées, dans le cahier des charges, les conditions minimales que de telles variantes devaient respecter (voir arrêt du 16 octobre 2003, Traunfellner, C‑421/01, Rec. p. I‑11941, points 27 à 29). S’agissant d’une obligation de transparence visant à garantir le respect du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires auquel doit obéir toute procédure de passation de marché régie par la directive 93/37, cette conclusion de la Cour est également valable en matière de concessions de travaux.

66      Il convient d’ajouter également qu’il est loisible à l’autorité concédante, eu égard aux particularités éventuelles des travaux faisant l’objet d’une concession, de laisser une certaine marge à l’initiative des soumissionnaires quant à la formulation de leurs offres.

67      Toutefois, les clauses n° 5, paragraphes 13 et 16, et n° 29 du second cahier des charges, qui a remplacé le premier, ne sauraient être considérées comme ayant fait appel à l’initiative des soumissionnaires en vue de la proposition d’alternatives portant sur d’autres travaux que ceux clairement identifiés dans le second avis. En effet, le paragraphe 13 de la clause n° 5 ne précise pas, en particulier, la localisation des mesures à prendre pour réduire l’éventuelle intensification du trafic produite par la réalisation des travaux visés dans le second avis. En outre, le paragraphe 16 de ladite clause n° 5 s’est borné à inviter les soumissionnaires à proposer des mesures pour la «gestion» adéquate du trafic interurbain dans la «zone affectée par la construction des tronçons faisant l’objet de la concession», cette zone n’étant pas davantage précisée. De plus, la clause n° 29 se réfère, de manière non suffisamment précise, à des mesures à prendre concernant les liaisons du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 avec Ávila et Ségovie.

68      Il convient de constater que l’initiative et les offres alternatives des soumissionnaires, auxquelles se serait attendu le gouvernement espagnol du fait que le second cahier des charges a remplacé le premier «pour des raisons techniques» et «afin de redéfinir l’objet de l’appel d’offres», outre qu’elles ne sauraient être perçues par un soumissionnaire normalement avisé et diligent dans le sens allégué par le Royaume d’Espagne, ne se rapportent pas à l’objet de la concession litigieuse, mais correspondent plutôt à un souci de politique générale des transports dans l’État membre concerné. Ainsi, sur la base d’une telle conception, comme le souligne à juste titre la Commission, les soumissionnaires auraient été libres de proposer sans limitation la réalisation d’ouvrages dans toute l’étendue de la communauté autonome de Madrid et des provinces de Ávila et de Ségovie.

69      De même, le caractère éventuellement notoire d’un problème existant au niveau national, dont il ne saurait être présumé qu’il est nécessairement perçu comme tel par des soumissionnaires potentiels établis dans d’autres États membres, ne saurait être pris en compte par les soumissionnaires en tant que critère implicite de définition de l’objet d’une concession et influer ainsi sur l’importance accordée par la réglementation de l’Union à l’avis et au cahier des charges.

70      En tout état de cause, même à admettre que tous les soumissionnaires aient la même perception de leur liberté d’initiative, il ne serait pas conforme à la directive 93/37 d’attribuer en dehors de toute transparence un marché de concession de travaux publics comprenant des travaux dits «supplémentaires» qui constitueraient à eux seuls des «marchés publics de travaux» au sens de cette directive et dont la valeur dépasserait le seuil qui y est prévu.

71      Dans le cas contraire, cela signifierait que ces travaux dits «supplémentaires» échapperaient à l’obligation de publicité et, par conséquent, à toute mise en concurrence. Étant donné que les soumissionnaires utilisant leur faculté d’initiative seraient totalement libres de soumettre des propositions dans lesquelles ils détermineraient la nature, l’étendue et la localisation géographique des travaux envisagés, d’une manière indépendante et sans la nécessité de viser un objet prédéterminé, aucune comparabilité de leurs offres ne serait possible.

72      Il y a lieu de relever, au surplus, que le Royaume d’Espagne ne saurait utilement tirer argument de l’article 61 de la directive 2004/18. En effet, mis à part la considération que cette directive n’est pas applicable ratione temporis à la présente affaire, force est de constater que les ouvrages supplémentaires litigieux ne constituent pas, au sens de la disposition susmentionnée, des «travaux complémentaires qui ne figuraient pas dans le projet initialement envisagé» de la concession et qui étaient devenus nécessaires, à la suite d’une circonstance imprévue, à l’exécution de l’ouvrage tel qu’il y est décrit.

73      La manière de procéder du Royaume d’Espagne dans la présente affaire ne saurait non plus être justifiée par le point 3.1.1 de la communication interprétative de la Commission sur les concessions en droit communautaire, susmentionnée. En effet, ce texte vise uniquement les cas où, à défaut de pouvoir définir ses besoins en termes techniques suffisamment précis, l’autorité concédante entend recueillir des offres alternatives censées résoudre un problème exprimé en termes généraux, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

74      Dès lors, il convient de conclure que les ouvrages supplémentaires ont été attribués à Iberpistas malgré le fait qu’ils n’étaient pas compris dans l’objet de la concession en cause, tel que décrit dans le second avis et le second cahier des charges, ce qui constitue une violation des articles 3, paragraphe 1, ainsi que 11, paragraphes 3 et 6, de la directive 93/37, lus en liaison avec l’annexe V de celle‑ci.

75      Ainsi qu’il ressort du point 57 du présent arrêt, les dispositions exigeant une publicité appropriée de la directive 93/37 constituent l’expression des principes d’égalité de traitement et de transparence. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’examiner séparément la question de la violation éventuelle de ces principes.

76      La conclusion contenue au point 74 du présent arrêt n’est pas infirmée par l’argument que le Royaume d’Espagne tire du fait que Iberpistas n’a pas exécuté elle-même les travaux supplémentaires, mais les a attribués à des entreprises tierces, conformément aux exigences de publicité établies à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 93/37. En effet, ainsi que le fait observer à bon droit la Commission, l’article 3 de cette directive impose clairement, tant à l’autorité concédante qu’au concessionnaire, des obligations de publicité cumulatives et non alternatives, qui doivent être observées par tous les deux, à tous les stades de la procédure, afin que l’effet utile de cette disposition soit préservé.

77      De même, est inopérant l’argument du Royaume d’Espagne tiré de ce que la Commission a décidé d’engager la présente procédure en manquement à la suite de plaintes déposées par des personnes n’ayant pas de rapport avec la procédure litigieuse, et pas par d’autres soumissionnaires, réellement ou potentiellement intéressés à se voir attribuer la concession en cause.

78      Il résulte, en effet, d’une jurisprudence constante que c’est à la Commission qu’il incombe d’apprécier l’opportunité d’agir contre un État membre, de déterminer les dispositions qu’il aurait violées et de choisir le moment où elle initiera la procédure en manquement à son encontre, les considérations qui déterminent ce choix ne pouvant affecter la recevabilité de l’action. En ce sens, lorsque la Commission apprécie seule l’opportunité de l’introduction et du maintien d’un recours en manquement, la Cour est tenue d’examiner si le manquement reproché existe ou non, sans qu’il lui appartienne de se prononcer sur l’exercice par la Commission de son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2005, Commission/Luxembourg, C‑33/04, Rec. p. I‑10629, points 65 à 67 et jurisprudence citée). Par ailleurs, le fait que d’autres soumissionnaires concurrents n’ont pas contesté la procédure d’attribution de la concession litigieuse n’a pas d’incidence sur l’appréciation de la légalité de cette procédure et du bien-fondé du présent recours.

79      Il importe de constater également que n’est pas non plus pertinent, afin de statuer dans la présente affaire, l’argument tiré du fait que le Tribunal Supremo, saisi de recours introduits contre la décision de l’autorité concédante, aurait conclu par deux arrêts qu’il n’y avait pas eu d’infraction aux dispositions de la directive 93/37 ni au principe d’égalité de traitement, et aurait, à cet effet, procédé à une appréciation des faits concernant les clauses du second cahier des charges qui relèverait de la compétence du juge national.

80      En effet, il convient de rappeler que l’exercice d’un recours devant une juridiction nationale, à l’encontre de la décision d’une autorité compétente visée par un recours en manquement, et la décision de cette juridiction ne sauraient avoir une incidence sur la recevabilité ou sur le fond du recours en manquement introduit par la Commission. En effet, l’existence des voies de droit ouvertes auprès des juridictions nationales ne saurait préjudicier à l’exercice du recours visé à l’article 226 CE, les deux actions poursuivant des buts et ayant des effets différents (voir, en ce sens, arrêts du 17 février 1970, Commission/Italie, 31/69, Rec. p. 25, point 9; du 18 mars 1986, Commission/Belgique, 85/85, Rec. p. 1149, point 24; du 10 juin 2004, Commission/Italie, C‑87/02, Rec. p. I‑5975, point 39, et du 4 mai 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑508/03, Rec. p. I‑3969, point 71).

81      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en raison de l’attribution à Iberpistas, le 5 novembre 1999, de:

–        la construction d’une troisième voie de circulation par sens sur la partie du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 située entre la ville de Villalba et la jonction Valle de los Caídos,

–        la construction d’une troisième voie réversible sur la partie du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 située entre la jonction Valle de los Caídos et la ville de San Rafael, y compris la construction d’un nouveau tunnel, et

–        la construction d’une quatrième voie de circulation par sens sur le tronçon gratuit de l’autoroute A‑6 situé entre les villes de Madrid et de Villalba,

sans que ces ouvrages aient été mentionnés dans l’objet du contrat de concession de travaux publics, tel que décrit dans l’avis publié au Journal officiel des Communautés européennes et dans le cahier des charges, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3, paragraphe 1, ainsi que 11, paragraphes 3 et 6, de la directive 93/37, lus en combinaison avec l’annexe V de celle-ci.

82      Le recours est rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

83      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et ce dernier ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      En raison de l’attribution à Ibérica de Autopistas SA, le 5 novembre 1999, de:

–        la construction d’une troisième voie de circulation par sens sur la partie du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 située entre la ville de Villalba et la jonction Valle de los Caídos,

–        la construction d’une troisième voie réversible sur la partie du tronçon à péage de l’autoroute A‑6 située entre la jonction Valle de los Caídos et la ville de San Rafael, y compris la construction d’un nouveau tunnel, et

–        la construction d’une quatrième voie de circulation par sens sur le tronçon gratuit de l’autoroute A‑6 situé entre les villes de Madrid et de Villalba,

sans que ces ouvrages aient été mentionnés dans l’objet du contrat de concession de travaux publics, tel que décrit dans l’avis publié au Journal officiel des Communautés européennes et dans le cahier des charges, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3, paragraphe 1, ainsi que 11, paragraphes 3 et 6, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, lus en combinaison avec l’annexe V de celle-ci.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.