Language of document : ECLI:EU:C:2019:638

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 29 juillet 2019 (1)

Affaire C16/18

Michael Dobersberger

en présence de

Magistrat der Stadt Wien

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Fourniture de services de restauration à bord de trains internationaux – Directive 96/71/CE – Champ d’application – Libre prestation de services – Article 56 TFUE »






I.      Introduction

1.        Dans son roman Le Crime de l’Orient-Express, publié en 1934, Agatha Christie n’a pas abordé la question du lieu exact où le crime avait été commis. Tout ce que nous savons est que celui‑ci s’est produit dans un train, l’Orient-Express, sur la route Simplon, qui traverse plusieurs pays au cours de son trajet entre Istanbul (Turquie) et Calais (France), à un certain moment avant ou après que le train a été arrêté dans l’ancienne Yougoslavie. Cependant, le lecteur n’a pas de réponse à la question de savoir dans quel pays ce crime s’est produit. Cette question, qui aurait été d’une importance capitale dans le cadre de procédures pénales ultérieures, afin de déterminer le droit pénal national applicable, ne relevait clairement pas du domaine de l’enquête menée par Hercule Poirot. Il est vrai que, pour le rythme et le suspens du récit, elle était sûrement négligeable. Pour Agatha Christie, la géographie n’était pas déterminante.

2.        La question qui est au cœur de la présente demande de décision préjudicielle adressée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) est moins intrigante, mais plus importante pour le fonctionnement du marché intérieur et la libre prestation de services : les dispositions de la directive sur les travailleurs détachés, c’est‑à‑dire la directive 96/71/CE (2), sont-elles applicables à une situation dans laquelle un train international traverse l’Autriche lors de son trajet reliant Budapest (Hongrie) à Munich (Allemagne), avec pour conséquence que, tout comme à bord de l’Orient-Express, chaque franchissement de frontière aurait des implications juridiques ? Peut-être pas pour la définition du crime, mais, véritablement, pour l’application du droit pénal du travail et relatif au travail.

3.        Dans les présentes conclusions, je ferai valoir qu’une situation telle que celle en cause au principal ne relève pas du champ d’application de la directive 96/71. Dans le cas présent également, la géographie n’est pas déterminante.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        L’article 1er de la directive 96/71, intitulé « Champ d’application », dispose :

« 1.      La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un État membre.

2.      La présente directive ne s’applique pas aux entreprises de la marine marchande en ce qui concerne le personnel navigant.

3.      La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes :

a)      détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

ou

b)      détacher un travailleur sur le territoire d’un État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

ou

c)      détacher, en tant qu’entreprise de travail intérimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, un travailleur à une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.

4.      Les entreprises dans un État non membre ne peuvent pas obtenir un traitement plus favorable que les entreprises établies dans un État membre. »

5.        L’article 2 de la directive 96/71, intitulé « Définition », prévoit :

« 1.      Aux fins de la présente directive, on entend par travailleur détaché, tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement.

2.      Aux fins de la présente directive, la notion de travailleur est celle qui est d’application dans le droit de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché. »

6.        L’article 3 de la directive 96/71, intitulé « Conditions de travail et d’emploi », énonce, en son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées ci‑après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées :

–        par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou

–        par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe :

a)      les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;

b)      la durée minimale des congés annuels payés ;

c)      les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;

d)      les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;

e)      la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ;

f)      les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes ;

g)      l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination.

Aux fins de la présente directive, la notion de taux de salaire minimal visée au second tiret, point c) est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché. »

B.      Le droit autrichien

7.        L’article 7b de l’Arbeitsvertragsrechts-Anpassungsgesetz (loi portant adaptation du droit des contrats de travail) (3), dans la version applicable au litige faisant l’objet de la procédure au principal (ci‑après l’« AVRAG »), porte sur les droits des employés vis-à-vis des employeurs étrangers ayant leur siège dans un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen. En substance, cet article prévoit qu’un travailleur qui est détaché en vue de l’exécution d’un travail en Autriche par un employeur qui a son siège dans un État membre de l’Union ou de l’Espace économique européen autre que l’Autriche, a, pendant la durée du détachement et sans préjudice des dispositions légales et réglementaires applicables à la relation de travail, automatiquement droit à au moins la rémunération légale, fixée par voie réglementaire ou par une convention collective, qui, sur le lieu de travail, doit être versée aux travailleurs comparables par des employeurs comparables. De plus, une personne ayant son siège dans un État membre de l’Union ou de l’Espace économique européen autre que l’Autriche a la qualité d’employeur s’agissant des travailleurs mis à sa disposition, qui sont détachés en Autriche en vue de l’exécution d’un travail. Les employeurs sont tenus de déclarer, au moins une semaine avant le début de l’exécution du travail en question, le recours à des travailleurs qui ont été détachés en vue d’effectuer un travail en Autriche. Cette déclaration doit être faite de manière séparée pour chaque détachement et contenir les indications suivantes : i) nom, adresse et licence professionnelle ou objet de l’entreprise de l’employeur ; ii) la période globale couverte par le détachement, ainsi que le début et la durée prévisible de l’emploi des différents travailleurs en Autriche, les conditions normales de durée et de lieu de travail convenues pour les différents travailleurs ; iii) le montant de la rémunération due aux différents travailleurs en vertu des dispositions légales autrichiennes et le début de la relation de travail avec l’employeur ; iv) le lieu (adresse exacte) de l’emploi en Autriche (également d’autres lieux d’intervention en Autriche) ; et v) le type d’activité et utilisation du travailleur avec prise en compte du contrat collectif autrichien pertinent. Les employeurs sont, dans la mesure où il n’existe pas d’obligation, pour les travailleurs détachés, de s’affilier à la sécurité sociale en Autriche, tenus de tenir à disposition des documents relatifs à la déclaration du travailleur à la sécurité sociale [document de sécurité sociale E 101 selon le règlement (CEE) no 1408/71 (4), document de sécurité sociale A1 selon le règlement (CE) no 883/04 (5)], ainsi qu’une copie de la déclaration de détachement, sur le lieu de l’exécution du travail (ou d’intervention) sur le territoire national, ou de les rendre directement accessibles sous forme électronique aux services de l’autorité chargée de la collecte des cotisations.

8.        Concernant l’obligation de mise à disposition des documents relatifs aux salaires, l’article 7d de l’AVRAG prévoit, en particulier, que, pendant toute la durée du détachement, les employeurs sont tenus de garder à disposition, sur le lieu d’exécution du travail et en langue allemande, le contrat de travail ou la fiche de service, la fiche de salaire, les preuves du paiement des salaires ou des virements bancaires, les relevés des salaires, les fiches horaires, les relevés des heures travaillées et les documents relatifs au classement dans la grille des salaires, afin qu’il puisse être vérifié que le travailleur détaché bénéficie, pour la durée de l’emploi, du salaire qui lui est dû conformément aux dispositions légales.

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure et les questions préjudicielles

9.        De 2012 à 2016, la société Henry am Zug Hungary Kft. (ci‑après « Henry am Zug »), ayant son siège à Budapest, a détaché des travailleurs de nationalité hongroise, qui, dans la plupart des cas, étaient mis à sa disposition par une autre entreprise hongroise, sur le territoire de l’Autriche en vue d’effectuer un travail (service de bord – préparation et vente de repas et de boissons) dans certains trains des Österreichische Bundesbahnen (chemins de fer fédéraux autrichiens, ci‑après les « ÖBB »).

10.      Par les condamnations pénales administratives attaquées, M. Michael Dobersberger, le requérant du pourvoi en Revision a été reconnu coupable du fait que la société Henry am Zug, qu’il représente en qualité de gérant, avait, au moment d’un contrôle effectué à la gare centrale de Vienne (Autriche), le 28 janvier 2016, en sa qualité d’employeur au sens de l’article 7b, de l’AVRAG, et en violation de cette disposition, i) omis de faire, dans un délai d’une semaine avant la prise de service en Autriche, une déclaration auprès de l’autorité autrichienne compétente concernant l’emploi précité des travailleurs détachés, ii) omis de tenir à disposition, sur les lieux d’intervention sur le territoire autrichien, les documents relatifs à l’affiliation des travailleurs à la sécurité sociale, et iii) omis de tenir à disposition, sur les lieux d’intervention précités, le contrat de travail, les preuves relatives au paiement des salaires et les documents relatifs au classement dans la grille des salaires, en langue allemande.

11.      Le marché de la fourniture des services précités a été attribué par les ÖBB à la société D. GmbH (ayant son siège en Autriche) et cette dernière l’a transmis à Henry am Zug par le biais de contrats de sous‑traitance ou d’une chaîne de sous‑traitance (en passant par une autre société ayant son siège en Autriche). Henry am Zug a fourni les prestations de services par le biais de travailleurs hongrois dans certains trains des ÖBB ayant pour destination Salzbourg (Autriche) ou Munich, avec Budapest comme gare de départ ou gare terminus, et faisant un arrêt à la gare centrale de Vienne (Autriche).

12.      Le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) considère que l’issue du pourvoi en Revision dépend de l’interprétation, d’une part, des dispositions de la directive 96/71 et, d’autre part, de l’article 56 TFUE. Par décision du 15 décembre 2017, parvenue à la Cour le 9 janvier 2018, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le champ d’application de la [directive 96/71], et notamment son article 1er, paragraphe 3, sous a), comprend-il également la fourniture de services comme le service de restauration pour les passagers, le service de bord ou le service de nettoyage par des salariés d’une entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi (Hongrie) en exécution d’un contrat conclu avec un opérateur ferroviaire ayant son siège dans l’État membre d’accueil (Autriche), lorsque ces services sont fournis dans des trains internationaux, qui traversent également l’État membre d’accueil ?

2)      L’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 vise-t-il également le cas où l’entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi ne fournit pas les services visés dans la première question en exécution d’un contrat conclu avec l’opérateur ferroviaire établi dans l’État membre d’accueil, qui bénéficie en définitive des services (destinataire de la prestation de services), mais en exécution d’un contrat conclu avec une autre entreprise établie dans l’État membre d’accueil, qui, à son tour, a conclu un contrat avec l’opérateur ferroviaire (chaîne de sous‑traitance) ?

3)      L’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 vise-t-il également le cas où l’entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi utilise, en vue de la fourniture des services visés dans la première question, non pas ses propres salariés, mais les travailleurs d’une autre entreprise, dont la mise à disposition s’est faite dans l’État membre d’envoi ?

4)      Indépendamment des réponses aux trois premières questions : le droit de l’Union, notamment la libre prestation de services (articles 56 et 57 TFUE), s’oppose-t-il à une réglementation nationale qui impose aux entreprises qui détachent des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre en vue de la fourniture d’un service l’obligation de respecter les conditions de travail et d’emploi au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 et le respect des obligations accessoires (notamment celle relative à la déclaration du détachement transfrontalier de travailleurs à une autorité de l’État membre d’accueil et celle relative à la mise à disposition de documents concernant le montant de la rémunération et l’affiliation de ces travailleurs à la sécurité sociale) également dans les cas où (premièrement) les travailleurs détachés de manière transfrontalière font partie du personnel roulant d’un opérateur ferroviaire ayant une activité transfrontalière ou d’une entreprise qui fournit des services typiques d’un opérateur ferroviaire (restauration des passagers ; service de bord) dans les trains de celui‑ci, qui franchissent les frontières des États membres, où (deuxièmement) le détachement n’est fondé sur aucun contrat de prestation de services ou, du moins, pas fondé sur un contrat de prestation de services conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services qui exerce son activité dans un autre État membre, au motif que l’obligation de fournir des services qui incombe à l’entreprise d’envoi à l’égard du destinataire de la prestation de services exerçant son activité dans un autre État membre résulte de contrats de sous‑traitance (d’une chaîne de sous‑traitance), et où (troisièmement) les travailleurs détachés n’ont pas de relation de travail avec l’entreprise d’envoi, mais une relation de travail avec une entreprise tierce qui a mis ses travailleurs à la disposition de l’entreprise d’envoi sur le territoire de l’État membre du siège de l’entreprise d’envoi ? »

13.      M. Dobersberger, les gouvernements autrichien, tchèque, allemand, français, hongrois et polonais, ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Ces parties, à l’exception des gouvernements français et polonais, ont été représentées lors de l’audience qui s’est tenue le 12 mars 2019.

IV.    Appréciation

14.      Cette affaire soulève des problématiques concernant la directive 96/71 qui revêtent un caractère fondamental : dans quelle mesure cette directive s’applique-t-elle à une entreprise dans une situation où le travailleur détaché accomplit ses missions dans un train dont le point de départ et le point d’arrivée du trajet sont situés dans le pays d’origine, et que le travailleur, pour ainsi dire, ne quitte jamais ?

A.      La recevabilité des questions

15.      Le gouvernement français conteste la recevabilité des trois premières questions qui nous sont adressées à titre préjudiciel, en affirmant, en substance, que la directive 96/71 ne trouve pas à s’appliquer aux mesures de contrôle mises en œuvre par les autorités nationales afin d’assurer le respect des conditions de travail et d’emploi. À cet égard, le gouvernement français renvoie à l’arrêt De Clercq e.a. (6).

16.      En règle générale, les demandes de décision préjudicielle sont recevables, et c’est uniquement dans des cas rares et extrêmes que la Cour refuse d’y répondre (7). De telles demandes bénéficient d’une présomption de pertinence (8). Dans ce qu’elle appelle elle‑même des « hypothèses exceptionnelles » (9), la Cour a ainsi refusé de répondre à des questions dans des cas hypothétiques, lorsque les questions posées n’étaient pas pertinentes pour la solution du litige, lorsque les questions n’avaient pas été articulées de façon suffisamment claire ou lorsque les faits n’étaient pas suffisamment clairs (10).

17.      La présente affaire ne correspond à aucun de ces cas de figure. De plus, comme le gouvernement allemand l’a souligné à juste titre lors de l’audience, l’arrêt De Clercq e.a. (11) portait sur des mesures de contrôle alors que les trois premières questions dans la présente affaire concernent la question plus large de l’applicabilité de la directive 96/71 à une situation telle que celle en cause au principal.

18.      Toutes les questions posées par la juridiction de renvoi sont donc recevables.

B.      La directive 96/71 et la libre prestation de services

19.      Avant d’examiner les quatre questions posées par la juridiction de renvoi, je considère utile de rappeler, à titre de remarques liminaires, certaines des caractéristiques essentielles de la directive 96/71, à partir desquelles j’élaborerai l’analyse ci‑dessous.

20.      Il existe une tension sous-jacente entre les libertés du marché intérieur, en particulier, la libre prestation de services au titre de l’article 56 TFUE, et la directive 96/71 qui, bien que cela semble résolu par la Cour dans sa jurisprudence et par le législateur, crée néanmoins une certaine friction.

1.      Objectifs

21.      Le marché intérieur, qui représente – selon le point de vue – le moyen ou la finalité du processus d’intégration européenne, est d’une nature tellement fondamentale pour l’ordre juridique de l’Union qu’il est considéré comme un acquis et constitue rien de moins que le principe d’organisation central des traités (12). En règle générale, l’action des opérateurs économiques est basée soit sur des règles harmonisées (13), soit, à défaut, sur leurs règles locales. Dans le second cas de figure, une logique du pays d’origine s’applique en ce sens que, à titre de règle générale, il est suffisant pour un opérateur économique de respecter les réglementations locales. Les opérateurs économiques se font ainsi concurrence à armes égales dans l’ensemble du marché intérieur.

22.      La logique suivie par la directive 96/71 est, en substance, totalement différente, étant donné que cette directive cherche à modérer certaines des conséquences (normales) de l’application de la libre prestation de services : concernant certains aspects du droit du travail, ce n’est pas le principe du pays d’origine qui s’applique, mais celui du pays de destination. Il en résulte une tension juridique naturelle entre l’article 56 TFUE (14) et la directive 96/71.

23.      Dans la mesure où les considérants de la directive 96/71 mentionnent un triple objectif, à savoir la promotion de la prestation de services dans un cadre transnational (15), selon une concurrence loyale (16), et en garantissant le respect des droits des travailleurs (17), il convient de relever que ces trois objectifs sont, en réalité, diamétralement opposés (18). Le fait de garantir le respect des droits des travailleurs ne favorise pas la prestation de services dans un cadre transnational, mais la restreint, et, dans ce contexte, il constitue un motif de justification (c’est‑à‑dire une raison impérieuse d’intérêt général) pour agir en ce sens.

24.      En conséquence, je crois qu’il est plus cohérent d’envisager la directive 96/71 comme une mesure cherchant à concilier les objectifs divergents de la libre prestation de services et de la protection des droits des travailleurs.

25.      Cependant, de quels travailleurs parlons-nous ? Les travailleurs du pays d’origine du prestataire de services qui sont envoyés dans le pays de destination dans lequel le service est fourni ou les travailleurs du pays de destination ? Si on considère la directive 96/71 de prime abord, il s’agit sûrement des travailleurs du pays d’origine (19). Le raisonnement sous-jacent à toute forme de détachement est donc le suivant : un travailleur ne devrait pas subir, sur une base individuelle, la moindre différence négative en matière de salaire ou d’autres conditions de travail par rapport au travailleur local. Le coût de la vie peut être plus élevé que dans l’État membre d’envoi. C’est pourquoi le principe du pays de destination s’applique afin de contrer toute éventuelle discrimination.

26.      Prenons à présent du recul et imaginons, un instant, qu’il n’y ait pas d’harmonisation, c’est‑à‑dire que la directive 96/71 n’existe pas, et qu’un État membre A souhaite soumettre à son droit du travail des travailleurs d’un État membre B qui sont détachés dans le cadre de la libre prestation de services dans cet État membre A. Cette situation constituerait certainement une restriction à la libre prestation de services. Comment cette restriction pourrait-elle être justifiée ? En invoquant les droits des travailleurs de l’État membre B ?

27.      Dans une telle situation, on pourrait soutenir qu’il serait difficilement concevable que la raison impérieuse relative à la protection des travailleurs de l’État membre B puisse être invoquée par l’État membre A. On pourrait légitimement se demander s’il appartient vraiment à l’État membre A – dans le contexte d’un détachement en tant qu’élément de la liberté de prestation de services de l’employeur – de savoir ce qui est le mieux pour les travailleurs de l’État membre B. Une telle approche pourrait paraître paternaliste, voire présomptueuse. En outre, se pose la question délicate de la compétence : on pourrait soutenir que, en principe, un État membre A ne devrait pouvoir protéger que les travailleurs qui accomplissent habituellement leur travail sur le territoire de cet État membre précis, alors que ceux qui accomplissent leur travail sur le territoire d’un État membre B et sont – dans le cadre de l’exercice de la liberté de prestation de services de leur employeur – détachés dans l’État membre A ne devraient normalement pas être ceux que cet État membre peut protéger (20).

28.      Cependant, selon moi, de telles préoccupations peuvent être écartées et il existe, de plus, une jurisprudence établie de longue date selon laquelle un État membre peut restreindre la libre prestation de services afin de protéger les travailleurs de l’État membre d’envoi. En effet, la Cour a jugé, concernant des situations aussi bien antérieures que postérieures à la date limite de mise en œuvre de la directive 96/71 (21), que la « protection des travailleurs » (22), l’« intérêt général tenant à la protection sociale des travailleurs » (23) ou la « protection sociale des travailleurs du secteur de la construction » (24) pouvaient justifier des restrictions aux libertés fondamentales, laissant entendre que l’enjeu concernait non pas les travailleurs de l’État membre d’accueil mais ceux de l’État membre d’origine (ou d’envoi).

29.      Un changement de paradigme s’est produit dans l’arrêt Laval un Partneri (25), dans lequel la Cour a jugé que « la protection des travailleurs de l’État d’accueil contre une éventuelle pratique de dumping social peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général, au sens de la jurisprudence de la Cour, de nature à justifier, en principe, une restriction à l’une des libertés fondamentales garanties par le traité » (26). En dehors du fait que la Cour n’a pas davantage défini ou précisé ce qu’elle entendait par « dumping social », cet arrêt présente un intérêt pour trois raisons. Premièrement, sur le fond, la Cour introduit, avec la notion de « dumping social », une nouvelle raison impérieuse d’intérêt général dans sa jurisprudence. Bien sûr, il est, en principe, tout à fait possible de le faire, étant donné que les raisons impérieuses ne sont pas énumérées de manière exhaustive et que la Cour est libre d’en dégager de nouvelles, au rythme des évolutions sociétales. Deuxièmement, cette raison impérieuse d’intérêt général nouvellement dégagée par la Cour est de nature économique, ce qui l’inscrit en rupture par rapport à la jurisprudence de la Cour établie de longue date selon laquelle des objectifs de nature purement économique ne peuvent constituer des motifs d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à une liberté fondamentale (27). En effet, la prévention du « dumping social » s’apparente davantage au motif de justification économique de maintien de la paix sociale – lequel n’a pas été reconnu par la Cour comme constituant une raison impérieuse d’intérêt général (28). Troisièmement, sur le plan de la méthodologie, la Cour n’a pas explicitement indiqué que le « dumping social » devait désormais constituer une nouvelle raison impérieuse d’intérêt général. Elle a plutôt déduit cette nouvelle raison impérieuse se rapportant à l’État membre d’accueil de la jurisprudence existante sur la protection des travailleurs de l’État membre d’envoi. Cependant, le « dumping social » et la protection des travailleurs de l’État membre d’envoi sont deux questions totalement différentes.

30.      Je souhaiterais souligner que je comprends et soutiens pleinement la nécessité de protéger les travailleurs dans le contexte de la libre prestation de services et, en aucune manière, je ne remets cela en question. À l’inverse, la notion de « dumping social » doit être maniée avec attention et interprétée de manière restrictive. Dans un marché intérieur caractérisé par la libre circulation des marchandises, des services et des facteurs de production, il existe un danger inhérent que l’expression « dumping social » devienne davantage une expression politique, plutôt que juridique, qui serait typiquement utilisée dans des économies aux infrastructures bien développées. En effet, il existe un danger que, de manière partiale, ce soit principalement la position de l’État (membre) d’accueil qui soit prise en compte (29). Pour le dire sans ambages, ce qui constitue du « dumping social » pour certains constitue, tout simplement, de l’« emploi » pour d’autres.

31.      Si la notion de « dumping social » est donc appliquée de manière trop large, cela reviendrait à rien de moins qu’à protéger l’industrie nationale contre une concurrence moins chère provenant d’un autre État membre, une protection qui, normalement, ne peut exister en vertu du droit de l’Union (30). Comme l’implique le terme « dumping », il doit y avoir une intention négative d’éliminer la concurrence – et non simplement de bénéficier de meilleures conditions. Cependant, la nécessité de prévenir le « dumping social » ne peut être invoquée contre un prestataire de services qui ne fait qu’utiliser les possibilités offertes par le marché intérieur pour se procurer – et procurer à son client, le destinataire des services – un avantage économique (31). Après tout, le marché intérieur est sous-tendu par le principe de l’avantage comparatif (32).

32.      Pour en revenir à la directive 96/71, si son objectif déclaré est de protéger les travailleurs détachés, c’est‑à‑dire les travailleurs de l’État membre d’origine, il ne s’agit, selon moi, que d’une partie de la vérité, cette directive ayant également vocation à prévenir le « dumping social ».

2.      Base juridique et services dans le domaine des transports

33.      En vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre (du traité) relatif aux transports, à savoir la troisième partie, titre VI, du traité FUE (33). Ici, la base juridique ordinaire pour la mise en œuvre de la politique de transport de l’Union, dont la libre circulation des services en matière de transports est un des aspects, est l’article 91 TFUE (34). J’ai relevé à une autre occasion que l’article 58, paragraphe 1, TFUE a pour conséquence juridique que les dispositions du traité FUE n’ont pas d’effet direct en matière de prestation de services dans le domaine des transports (35), ce qui constitue une conséquence juridique importante, parce qu’elle prive des opérateurs économiques du droit de se prévaloir des articles 56 TFUE et suivants devant les juridictions nationales (36). L’application des principes de liberté des prestations de services doit donc être réalisée, selon le traité FUE, par la mise en œuvre de la politique commune des transports (37). Une fois adoptées, les mesures d’harmonisation sont, bien sûr, interprétées à la lumière de l’article 56 TFUE (38).

34.      Dans ce contexte, j’aurais eu tendance à penser que l’harmonisation des services dans le domaine des transports, même si elle s’intègre dans une mesure d’harmonisation plus large, devrait être fondée sur l’article 91 TFUE.

35.      Toutefois, la directive 96/71 est fondée uniquement sur l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE, et non, en plus, sur l’article 91 TFUE. Il en va de même pour la directive 2014/67/UE (39). La conclusion logique serait que ces directives ne procèdent pas à une harmonisation des services dans le domaine des transports. D’ailleurs, la directive 2006/123, dite « directive services », qui est fondée sur les mêmes bases juridiques que les directives 96/71 et 2014/67, exclut spécifiquement les services dans le domaine des transports (40). Selon moi, cela s’explique par la raison que je viens d’exposer : l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE ne semblent tout simplement pas couvrir les services dans le domaine des transports.

36.      Cependant, le législateur de l’Union ne semble pas de cet avis. Tout d’abord, la directive 96/71 exclut expressément les « entreprises de la marine marchande en ce qui concerne le personnel navigant » de son champ d’application (41). Je reviendrai sur cette disposition ci‑après, mais je peux déjà affirmer, à ce stade, que si les entreprises de la marine marchande sont exclues, alors, au moins en principe, les autres services dans le domaine des transports sont censés être inclus par le législateur. Dans le même ordre d’idées, la directive 2014/67 fait, tout naturellement, référence aux « travailleurs mobiles du secteur des transports » (42).

37.      Quoi qu’il en soit, si on ne peut que faire des spéculations concernant la raison pour laquelle l’article 91 TFUE n’a pas été mentionné en tant que base juridique pour l’adoption de la directive 96/71 (43), les services dans le domaine des transports ne sont généralement pas considérés comme ne relevant pas du champ d’application de la directive 96/71. Je ne cherche pas à contester cela dans les présentes conclusions (44). Il semble, en effet, être admis par la pensée juridique que les services dans le domaine des transports sont, en principe, couverts par la directive 96/71.

3.      En l’espèce : services dans le domaine des transports ?

38.      Concernant les services spécifiques en cause, je souhaite, néanmoins, déjà examiner, à ce stade, la question de savoir s’ils constituent ou non des « services dans le domaine des transports ».

39.      Comme je l’ai déjà signalé ci‑dessus, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre (du traité) relatif aux transports, à savoir la troisième partie, titre VI, du traité FUE (45).

40.      Il est clair que des services de restauration et de nettoyage dans un train ne constituent pas des services de transport au sens de déplacement de personnes ou d’objets d’un point A à un point B (46). Cependant, la Cour a jugé que la notion de « services dans le domaine des transports » couvrait « non seulement tout acte physique de déplacement de personnes ou de biens d’un endroit à un autre au moyen d’un véhicule, d’un aéronef ou d’un vaisseau aquatique, mais aussi tout service intrinsèquement lié à un tel acte » (47). Dans cet ordre d’idées, la Cour a, par exemple, considéré les activités de contrôles techniques comme des « services dans le domaine des transports » (48), étant donné qu’elles « intervien[nen]t en tant que condition préalable et indispensable à l’exercice de l’activité principale que constitue le transport » (49).

41.      J’en déduis que la jurisprudence de la Cour implique que les services qui, par leur nature même, constituent une condition sine qua non (factuelle ou juridique) de l’activité de transport sont considérés comme des services dans le domaine des transports.

42.      Les services concernés dans l’affaire qui nous occupe ne sauraient être considérés comme tels. Les services en question, qui sont fournis en tant que services de bord, sont indépendants de l’action de transport. Les gens mangent et boivent partout – y compris dans des trains. Les lieux doivent rester propres – y compris les trains. Le fait de servir des repas et des boissons et de nettoyer des trains est totalement accessoire par rapport au service de transport. Pour le dire d’une autre manière et sans ambages, il n’est pas nécessaire de servir des boissons dans un train et celui‑ci ne doit pas nécessairement être nettoyé pour que l’activité de transport se réalise. Si un constat doit être formulé, c’est le constat inverse. En conclusion, le simple fait que des repas et des boissons soient servis dans un moyen de transport et que ce moyen de transport soit nettoyé n’implique pas que nous soyons dans le cas d’un « service dans le domaine des transports ».

C.      Sur le champ d’application de la directive 96/71 – première question

43.      Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le champ d’application de la directive 96/71, et notamment son article 1er, paragraphe 3, sous a), couvre des services comme le service de restauration pour les passagers, le service de bord ou le service de nettoyage par des salariés d’une entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi en exécution d’un contrat conclu avec un opérateur ferroviaire ayant son siège dans l’État membre d’accueil, lorsque ces services sont fournis dans des trains internationaux, qui traversent également l’État membre d’accueil.

44.      Les points de vue des parties intervenantes peuvent être regroupés en trois catégories.

45.      Selon la première thèse, défendue par M. Dobersberger et les gouvernements tchèque, hongrois et polonais, les services de restauration ou de nettoyage dans des trains n’entrent pas dans le champ d’application de la directive 96/71. Les gouvernements autrichien, allemand et français défendent le point de vue opposé. La Commission, quant à elle, soutient que la directive 96/71, à l’exception toutefois de ses dispositions sur les taux de salaire minimal et la durée minimale des congés annuels payés, figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), est applicable à la fourniture de services tels que ceux en cause dans l’affaire au principal.

46.      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 96/71 prévoit que celle‑ci s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3 de cette directive, sur le territoire d’un État membre. L’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 ajoute que celle‑ci s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 détachent un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement.

47.      L’élément capital dans cette première question est de savoir si les travailleurs sont détachés « sur le territoire » d’un État membre, à savoir sur le territoire de la République d’Autriche.

48.      Le libellé de l’article 1er de la directive 96/71 n’apporte, selon moi, pas de réponse décisive pour le problème qui se pose ici. Il ne fait pas de doute que les travailleurs en question, lorsqu’ils traversent l’Autriche, sont, légalement et physiquement, sur le territoire de cet État membre et, en principe, soumis à la compétence de celui‑ci. Cependant, étant donné que, en substance, ils restent physiquement dans le train et retournent dans leur État membre d’origine, il m’est difficile de concevoir qu’ils soient véritablement détachés « sur le territoire » de la République d’Autriche. Tout au plus, ils sont détachés « sur le territoire » du train qui, en l’occurrence, passe en Autriche.

49.      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, afin d’interpréter une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle‑ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie et, notamment, de la genèse de cette réglementation (50).

50.      Le gouvernement autrichien, notamment, a soulevé l’argument selon lequel les services en cause dans l’affaire au principal entrent dans le champ d’application de la directive 96/71, car, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, cette directive ne s’applique pas aux entreprises de la marine marchande en ce qui concerne le personnel navigant. Dans la mesure où la directive 96/71 exclut spécifiquement de son champ d’application ce secteur d’activités précis, elle doit a contrario s’appliquer à tous les autres secteurs.

51.      Je ne pourrais que me rallier à une telle conclusion si la genèse de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 96/71 apportait un quelconque éclairage sur la question. Hélas, ce n’est pas le cas, la genèse du texte n’apportant pas non plus de réponse décisive sur ce point.

52.      En effet, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 96/71, qui ne figurait ni dans la proposition initiale de la Commission (51) ni dans l’avis du Parlement en première lecture, a été ajouté par le Conseil de l’Union européenne dans sa position commune (52) sur la proposition modifiée de la Commission (53) et est resté dans la proposition de rédaction du Conseil jusqu’à l’adoption de cette directive. Il n’y a pas d’éléments prouvant clairement que cette exception devait être exhaustive en ce sens qu’elle exclurait l’existence d’éventuelles autres exceptions (54).

53.      M. Dobersberger soutient que son point de vue, selon lequel la présente affaire ne relève pas du champ d’application de la directive 96/71, est confirmé par la dérogation prévue dans l’addendum au procès-verbal de la 1948e session du Conseil, qui s’est tenue à Bruxelles le 24 septembre 1996 (9916/96 ADD 1). Selon cet addendum, le travailleur qui exerce normalement une activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres et qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant pour son propre compte et à titre professionnel des transports internationaux de personnes ou de marchandises par voie ferroviaire, routière, aérienne ou batelière ne relèverait pas du champ d’application de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71. Dans un tel cas, il n’y aurait pas de détachement. M. Dobersberger estime que cette exception ne peut être comprise qu’en ce sens que non seulement le personnel d’une entreprise de transport, mais également le personnel d’une entreprise de services qui fournit divers services dans le même moyen de transport relèvent de cette dérogation et qu’ils sont donc exclus du champ d’application de la directive 96/71.

54.      Il va sans dire que les procès-verbaux d’une session du Conseil n’ont pas de caractère normatif. Néanmoins, ils fournissent une indication utile concernant l’intention et l’analyse du législateur et l’interprétation des textes que celui‑ci a adoptés. Or, à cet égard, la situation m’apparaît être suffisamment claire pour déduire deux idées : premièrement, ce ne sont pas uniquement les entreprises de la marine marchande en ce qui concerne le personnel navigant qui peuvent être exclues du champ d’application de la directive 96/71, et, deuxièmement, les travailleurs mobiles, au sens de travailleurs accomplissant leurs missions dans des moyens de transport, ne relèvent pas vraiment de la logique de cette directive.

55.      Ensuite, le gouvernement autrichien se réfère à l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2014/67 qui, dans le contexte des exigences administratives et des mesures de contrôle nécessaires aux fins du contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la directive 2014/67 et la directive 96/71, autorise les États membres à imposer l’obligation de conserver ou de fournir des documents pour les travailleurs mobiles du secteur des transports. Le gouvernement autrichien en déduit que le trafic ferroviaire transfrontalier n’est pas exclu du champ d’application de la directive 96/71.

56.      Cet argument, pris de manière isolée, ne me convainc pas. Le gouvernement autrichien ne précise nullement ce qu’il convient d’entendre par « travailleur mobile du secteur des transports » et jusqu’où s’étend cette notion. C’est une question d’interprétation. Par conséquent, le fait que, concernant les travailleurs mobiles du secteur des transports, certaines exigences administratives puissent être imposées aux prestataires de services n’apporte aucune réponse à la question de savoir si une situation aussi spécifique que celle de l’affaire au principal relève ou non du champ d’application de la directive 96/71. En d’autres termes, la question de savoir si cette affaire relève du champ d’application de la directive 96/71 est une question d’interprétation, à laquelle l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2014/67 ne permet pas de répondre de manière catégorique.

57.      La clé pour comprendre la première question et y répondre réside dans l’idée que la situation des « travailleurs à haute mobilité », une expression utilisée par le gouvernement tchèque dans ses observations, ne s’inscrit pas dans la logique de la directive 96/71. La situation des travailleurs à haute mobilité tels que ceux concernés par l’affaire au principal est sensiblement différente de celle d’autres travailleurs mobiles.

58.      Ce qui différencie ces travailleurs à haute mobilité d’autres travailleurs mobiles est le fait que leur lieu de travail n’est, en réalité, pas géographiquement défini. Peu importe que, à un moment donné dans le temps, le moyen de transport dans lequel ils accomplissent leurs missions se trouve en Hongrie, en Autriche ou en Allemagne. Autrement dit, toute la logique du pays d’origine (ou d’envoi) et du pays de destination ne s’applique pas à une telle situation, étant donné qu’il n’y a pas de pays de destination : le train part de Budapest. Il revient à Budapest. À la limite, le pays de destination est la Hongrie elle‑même. Le pays d’origine et le pays de destination sont le même. Je ne vois pas en quoi la situation des travailleurs dans l’affaire au principal diffère de celle des personnes travaillant, par exemple, dans le tramway de Budapest.

59.      Dans ce contexte, je souhaiterais rappeler que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, on entend par l’expression « travailleur détaché », tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement.

60.      Lors de l’audience, le gouvernement hongrois, notamment, a défendu le point de vue selon lequel, dans une situation telle que celle en cause au principal, il n’était même pas possible de déterminer l’État membre sur le territoire duquel le travailleur travaille habituellement, étant donné que, pour les raisons exposées ci‑dessus, la situation dans un train international est tout à fait spécifique. Cependant, je ne défendrai pas un tel point de vue aux implications considérables. Selon moi, le lieu de travail habituel est la Hongrie. C’est ici et à partir d’ici que les travailleurs concernés commencent leur travail, chargent les trains, font l’inventaire des stocks, etc. Surtout, c’est ici que se trouve leur centre d’intérêt (économique). C’est ici qu’ils payent leur logement et effectuent leurs achats quotidiens. Ils sont donc uniquement soumis au coût de la vie en Hongrie. Leur présence temporaire en Autriche au cours d’un jour de travail donné n’a pas d’incidence sur le coût de la vie qu’ils supportent.

61.      En conséquence, toute la logique de la directive 96/71 tombe à plat, cette directive ne devrait tout simplement pas s’appliquer.

62.      Enfin, je souhaiterais brièvement examiner l’argument de la Commission, selon lequel la directive 96/71 s’applique en principe, mais, en raison des particularités qui découlent du caractère hautement mobile des services transfrontaliers en cause dans la procédure au principal, ainsi que du lien insuffisant entre ceux‑ci et le territoire de l’État membre « d’accueil », l’application des taux de salaire minimal et des règles relatives à la durée minimale de congés payés ne serait pas justifiée. La Commission effectue ces déductions à partir de l’article 56 TFUE, à la lumière duquel elle souhaiterait interpréter la directive 96/71.

63.      Je ne suis pas d’accord avec cette approche.

64.      Compte tenu de la tension naturelle entre l’article 56 TFUE et la directive 96/71, ainsi que je l’ai décrite ci‑dessus, interpréter cette directive à la lumière de la liberté de prestation de services complique les problèmes plutôt que d’y apporter une réponse. Si l’on pousse le raisonnement à l’extrême, une telle application à la carte de la directive 96/71 à la lumière de l’article 56 TFUE pourrait aboutir à ce qu’aucune des dispositions de cette directive ne s’applique. Il en résulterait une atteinte à la sécurité juridique, alors que la directive 96/71 a justement été adoptée pour prévoir précisément ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas dans le contexte du détachement de travailleurs.

65.      Je propose donc de répondre à la première question en ce sens que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 96/71 ne couvre pas des services comme le service de restauration pour les passagers, le service de bord ou le service de nettoyage par des salariés d’une entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi en exécution d’un contrat conclu avec un opérateur ferroviaire ayant son siège dans l’État membre d’accueil, lorsque ces services sont fournis dans des trains internationaux, qui traversent également l’État membre d’accueil.

D.      Sur les chaînes de soustraitance – deuxième et troisième questions

66.      Étant donné que les dispositions de la directive 96/71 ne s’appliquent pas à une situation telle que celle en cause au principal, les deuxième et troisième questions sont hypothétiques et il n’est pas nécessaire que la Cour y réponde – à moins, bien sûr, qu’elle n’aboutisse à une conclusion différente concernant la première question, et considère que cette directive s’applique en l’espèce. Dans un tel cas, il convient d’examiner les dispositions de la directive faisant l’objet des deuxième et troisième questions.

67.      Ces deux questions portent sur le même sujet, étant donné qu’elles concernent toutes deux les chaînes de sous‑traitance et l’organisation des relations contractuelles aux différents stades du détachement de travailleurs.

1.      La deuxième question

68.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 vise le cas où l’entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi fournit les services non pas en exécution d’un contrat conclu avec l’entreprise établie dans l’État membre d’accueil, qui bénéficie en définitive des services (destinataire de la prestation de services), mais en exécution d’un contrat conclu avec une autre entreprise établie dans l’État membre d’accueil, qui, à son tour, a conclu un contrat avec l’opérateur ferroviaire (chaîne de sous‑traitance).

69.      Cette question doit être examinée dans le contexte du droit national transposant la directive 96/71. La juridiction de renvoi cherche indirectement à savoir si cette directive a été correctement mise en œuvre en droit autrichien.

70.      À ce stade, la question porte en particulier sur les termes « dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services ».

71.      En effet, comme je l’ai indiqué ci‑dessus, il n’y a pas de contrat conclu entre les ÖBB et Henry am Zug, ces deux entreprises étant plutôt liées par une chaîne de trois contrats : il existe un contrat entre les ÖBB et D. (entreprise établie en Autriche) portant sur le service de bord, la préparation et la vente de repas et de boissons dans certains trains des ÖBB, qui a été transmis par D. à Henry am Zug (entreprise établie en Hongrie) par le biais de sous-contrats en passant par H. GmbH (une autre entreprise établie en Autriche).

72.      La question est de savoir si cet ensemble de sous-contrats a pour conséquence que l’affaire au principal n’entre pas dans le champ d’application de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71.

73.      Je ne le pense pas.

74.      Selon la juridiction de renvoi, les entreprises impliquées dans la chaîne de sous‑traitance sont toutes établies en Autriche, le pays dans lequel les travailleurs sont détachés. La question de savoir si ce sont les ÖBB, dans les trains desquels les travailleurs fournissent leurs services, ou une autre entreprise opérant en Autriche qui ont conclu un contrat avec Henry am Zug ne saurait donc être déterminante. En tout état de cause, le détachement a lieu dans le cadre d’un contrat entre l’entreprise d’envoi, Henry am Zug, et un destinataire de la prestation de services opérant dans l’État membre d’accueil.

75.      Que les ÖBB et Henry am Zug soient liés directement par un contrat ou par l’intermédiaire d’une chaîne de contrats revient au même. Aux fins de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71, il existe un contrat entre ces entreprises.

2.      La troisième question

76.      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 vise également le cas où l’entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi utilise non pas ses propres salariés, mais les travailleurs d’une autre entreprise, dont la mise à disposition s’est faite dans l’État membre d’envoi.

77.      Cette question doit également être examinée dans le contexte du droit national transposant la directive 96/71. La juridiction de renvoi cherche, là encore, indirectement à savoir si cette directive a été correctement mise en œuvre en droit autrichien.

78.      Cette fois-ci, la juridiction de renvoi cherche à ce que soit clarifiée l’interprétation des termes « pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement ».

79.      Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, Henry am Zug a recours, en partie, à ses propres travailleurs, et, en partie, à ceux d’une autre société. La juridiction de renvoi présume que cette situation n’est pas couverte par l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71, en raison de l’absence d’un élément transfrontalier. En effet, la mise à disposition a eu lieu en Hongrie (55).

80.      Il est vrai que le libellé de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 paraît clair en ce qu’il exige, de façon explicite (« pour autant ») (56), une « relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement ». Une telle formulation semblerait inciter à une interprétation selon laquelle ces travailleurs, qui ne sont pas directement employés par l’entreprise Henry am Zug elle‑même, n’entreraient pas dans le champ d’application de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 (57).

81.      Aussi clair que puisse paraître le libellé de cette disposition, je propose, cependant, à la Cour d’aller au-delà de celui‑ci. Selon moi, l’applicabilité de la directive 96/71 ne saurait faire de doute, et ce pour les raisons suivantes.

82.      Eu égard au contenu et à la finalité de la directive 96/71, il est dépourvu de pertinence aux fins de l’exercice de la libre prestation de services de savoir si une entreprise établie dans un État membre détache elle‑même des travailleurs dans un autre État membre ou si cela est fait indirectement, en transférant ces travailleurs à une autre entreprise. Dans les deux cas, il y a une prestation de services transfrontaliers qui relève du champ d’application de l’article 56 TFUE. Le champ d’application de la directive 96/71 devrait donc être interprété comme couvrant toutes les opérations de détachement temporaires soumises au régime de la libre prestation de services. Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, l’objectif annoncé de la directive 96/71 est, notamment, de garantir un « juste » équilibre entre, d’une part, la liberté de prestation de services des entreprises détachant des travailleurs et, d’autre part, la protection sociale des travailleurs détachés. S’agissant de la nécessité de permettre aux travailleurs détachés dans le pays d’accueil de bénéficier d’un ensemble minimal de règles de protection clairement définies, peu importe que le travailleur détaché soit envoyé dans un pays d’accueil directement par son employeur ou par une entreprise à laquelle il a été détaché (58).

83.      Je propose donc de répondre à la troisième question en ce sens que l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 vise également le cas où l’entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi utilise non pas ses propres salariés, mais les travailleurs d’une autre entreprise, dont la mise à disposition s’est faite dans l’État membre d’envoi.

E.      Sur l’article 56 TFUE – quatrième question

84.      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 56 TFUE s’oppose à une réglementation nationale qui impose aux entreprises qui détachent des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre en vue de la fourniture d’un service l’obligation de respecter les conditions de travail et d’emploi au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 et le respect des obligations accessoires (notamment celle relative à la déclaration du détachement transfrontalier de travailleurs à une autorité de l’État membre d’accueil et celle relative à la mise à disposition de documents concernant le montant de la rémunération et l’affiliation de ces travailleurs à la sécurité sociale) également dans les cas où

–        premièrement, les travailleurs détachés de manière transfrontalière font partie du personnel roulant d’un opérateur ferroviaire ayant une activité transfrontalière ou d’une entreprise qui fournit des services typiques d’un opérateur ferroviaire (restauration des passagers ; service de bord) dans les trains de celui‑ci, qui franchissent les frontières des États membres ;

–        deuxièmement, le détachement n’est fondé sur aucun contrat de prestation de services ou, du moins, n’est pas fondé sur un contrat de prestation de services conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services qui exerce son activité dans un autre État membre, au motif que l’obligation de fournir des services qui incombe à l’entreprise d’envoi à l’égard du destinataire de la prestation de services exerçant son activité dans un autre État membre résulte de contrats de sous‑traitance (d’une chaîne de sous‑traitance) ; et

–        troisièmement, les travailleurs détachés n’ont pas de relation de travail avec l’entreprise d’envoi, mais une relation de travail avec une entreprise tierce qui a mis ses travailleurs à la disposition de l’entreprise d’envoi sur le territoire de l’État membre du siège de l’entreprise d’envoi.

85.      Cette question est posée « indépendamment » des réponses aux trois premières questions. Mon analyse de la première question m’a amené à conclure que la directive 96/71 n’était pas applicable en l’espèce. Mon étude de la quatrième question se limite ainsi au scénario selon lequel cette directive n’est pas applicable.

86.      Avant d’en venir à l’examen de l’article 56 TFUE, je souhaiterais clarifier le fait que c’est bien à l’aune de cet article, et non pas de la directive 2006/123, qu’il y a lieu d’effectuer le contrôle.

1.      Sur la directive 2006/123

87.      Selon l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2006/123, celle‑ci ne s’applique pas au droit du travail, à savoir les dispositions légales ou contractuelles concernant les conditions d’emploi, les conditions de travail, y compris la santé et la sécurité au travail, et les relations entre les employeurs et les travailleurs, que les États membres appliquent conformément à leur législation nationale respectant le droit de l’Union.

88.      Comme l’a jugé la Cour, l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2006/123 « n’établit aucune distinction entre, d’une part, les règles de fond en matière de droit du travail et, d’autre part, les règles relatives aux mesures prévues aux fins de garantir le respect de ces règles de fond et celles visant à garantir l’effectivité des sanctions infligées en cas de non-respect de ces règles » (59).

89.      Dans ce contexte, il ne fait guère de doute, selon moi, que la mesure en question est couverte par cette disposition et ne relève donc pas du champ d’application de la directive 2006/123 (60).

2.      Restrictions à la libre prestation de services

90.      Il est bien connu que l’article 56 TFUE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (61).

91.      Exiger d’une entreprise qu’elle respecte les mesures autrichiennes en question constitue sans aucun doute une restriction à la libre prestation de services relevant de la définition ci‑dessus. L’activité de Henry am Zug est, en effet, rendue moins attrayante par rapport à ses activités en Hongrie.

92.      En ce sens, il convient de souligner que la Cour a conclu que les mesures nationales suivantes constituaient une restriction au sens de l’article 56 TFUE : des mesures nationales exigeant des prestataires de services établis dans d’autres États membres qu’ils obtiennent des permis de travail pour détacher leur personnel constitué de ressortissants d’États tiers résidant et travaillant régulièrement dans cet autre État membre (62), des exigences de visas et des contrôles préalables appliqués aux ressortissants d’États tiers dans le cadre d’un détachement (63)et, en particulier, une mesure autrichienne subordonnant le détachement de travailleurs ressortissants d’un État tiers par une entreprise, dans un autre État membre, à l’obtention par cette entreprise d’un document dénommé « confirmation de détachement européen » (64). Aucun des trois cas mentionnés ne relevait du champ d’application de la directive 96/71, étant donné que la matière relative au détachement de ressortissants d’un État tiers dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière n’a pas été harmonisée au niveau de l’Union (65).

3.      Justification ?

93.      Cependant, il ressort d’une jurisprudence tout aussi constante qu’une telle réglementation nationale peut être justifiée lorsqu’elle répond à une raison impérieuse (66) d’intérêt général (c’est‑à‑dire qu’il existe un motif de justification) et que cet intérêt n’est pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi et dans la mesure où cette réglementation est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (67).

94.      Les raisons impérieuses d’intérêt général, invoquées par le gouvernement autrichien afin de justifier la restriction relative aux mesures de contrôle en matière de salaires ainsi que l’obligation de déclarer les détachements et de tenir à disposition des documents relatifs à la sécurité sociale et à la rémunération, à savoir la protection des travailleurs (68), la prévention de la concurrence déloyale (69) et la lutte contre la fraude, ont été reconnues comme telles par la Cour dans sa jurisprudence.

95.      En effet, ainsi qu’il ressort clairement de plusieurs arrêts, notamment les arrêts Seco et Desquenne & Giral (70), Rush Portuguesa (71), Guiot (72) et Arblade e.a. (73), en l’absence d’harmonisation, les États membres peuvent, par exemple, obliger des prestataires de services qui emploient des travailleurs en vue de la fourniture de services à payer à ces travailleurs la rémunération minimale applicable dans l’État membre d’accueil, même si ceux‑ci n’accomplissent leur activité que temporairement sur le territoire de l’État membre d’accueil et quel que soit le pays dans lequel l’employeur est établi (74). Les États membres ont également la faculté d’assurer l’application de ces règles.

96.      En écho à l’analyse que j’ai effectuée dans le cadre de la première question, cette jurisprudence revient, de facto, à obliger les prestataires de services et leur personnel à s’établir temporairement dans l’État membre d’accueil. Ce faisant, la libre prestation de services ainsi que son principe du pays d’origine sont considérablement restreints.

97.      Quoi qu’il en soit, si l’on admettait, concernant l’affaire au principal, et conformément à la jurisprudence susmentionnée, qu’il existait des raisons impérieuses d’intérêt général valables pouvant être invoquées par le gouvernement autrichien, il resterait la question de savoir si les mesures prises sont proportionnées en vue d’atteindre les objectifs poursuivis. L’appréciation de la proportionnalité doit in fine être effectuée par la juridiction de renvoi.

98.      Sur la base des informations disponibles, cependant, les mesures en cause ne me semblent pas être justifiées au titre de l’article 56 TFUE.

99.      Il convient de distinguer ici, comme l’a fait la juridiction de renvoi dans sa question, entre les conditions de travail et d’emploi des travailleurs et les obligations accessoires.

100. Concernant, tout d’abord, les conditions de travail et d’emploi, à savoir les dispositions relatives à la rémunération (75), aux congés, etc., elles me semblent difficiles à justifier, précisément en raison de l’absence de lien avec le territoire de la République d’Autriche.

101. En conséquence, toute la logique des obligations accessoires s’écroule et celles‑ci sont donc difficiles à justifier. La réglementation autrichienne en question fait peser toute une série d’obligations sur l’employeur. Alors que je ne vois pas d’objections concernant l’obligation de tenir à disposition des documents relatifs à la déclaration du travailleur à la sécurité sociale, je suppose que les obligations suivantes posent problème : l’obligation, pour les employeurs, de déclarer, au moins une semaine avant le début de l’exécution du travail en question, le recours à des travailleurs qui ont été détachés en vue d’effectuer un travail en Autriche (première obligation), et l’obligation pour les employeurs de garder à disposition, sur le lieu d’exécution du travail et en langue allemande, i) le contrat de travail ou la fiche de service, et la fiche de salaire, ii) les preuves du paiement des salaires ou des virements bancaires, les relevés des salaires, les fiches horaires, les relevés des heures travaillées et les documents relatifs au classement dans la grille des salaires, afin qu’il puisse être vérifié que le travailleur détaché bénéficie, pour la durée de l’emploi, du salaire qui lui est dû conformément aux dispositions légales (seconde obligation).

102. Concernant la première obligation, je ne vois pas pourquoi des employeurs devraient déclarer une semaine à l’avance les travailleurs qui sont détachés, et, concernant la seconde obligation, si les travailleurs concernés peuvent être employés sous le régime de conditions de travail et d’emploi hongroises, il n’appartient pas aux autorités autrichiennes de vérifier si lesdites conditions ont été respectées.

103. Par conséquent, je propose de répondre à la quatrième question en ce sens que l’article 56 TFUE s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui subordonne le détachement de travailleurs au respect d’obligations accessoires.

V.      Conclusion

104. Je propose donc à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées à titre préjudiciel par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) :

1)      L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ne couvre pas la fourniture de services comme le service de restauration pour les passagers, le service de bord ou le service de nettoyage par des salariés d’une entreprise de services ayant son siège dans l’État membre d’envoi en exécution d’un contrat conclu avec un opérateur ferroviaire ayant son siège dans l’État membre d’accueil, lorsque ces services sont fournis dans des trains internationaux, qui traversent également l’État membre d’accueil.

2)      L’article 56 TFUE s’oppose à une réglementation nationale qui impose aux entreprises qui détachent des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre en vue de la fourniture d’un service l’obligation de respecter les conditions de travail et d’emploi au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 et le respect des obligations accessoires (notamment celle relative à la déclaration du détachement transfrontalier de travailleurs à une autorité de l’État membre d’accueil et celle relative à la mise à disposition de documents concernant le montant de la rémunération et l’affiliation de ces travailleurs à la sécurité sociale) également dans les cas où

–        premièrement, les travailleurs détachés de manière transfrontalière font partie du personnel roulant d’un opérateur ferroviaire ayant une activité transfrontalière ou d’une entreprise qui fournit des services typiques d’un opérateur ferroviaire (restauration des passagers ; service de bord) dans les trains de celui‑ci, qui franchissent les frontières des États membres,

–        deuxièmement, le détachement n’est fondé sur aucun contrat de prestation de services ou, du moins, n’est pas fondé sur un contrat de prestation de services conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services qui exerce son activité dans un autre État membre, au motif que l’obligation de fournir des services qui incombe à l’entreprise d’envoi à l’égard du destinataire de la prestation de services exerçant son activité dans un autre État membre résulte de contrats de sous‑traitance (d’une chaîne de sous‑traitance), et

–        troisièmement, les travailleurs détachés n’ont pas de relation de travail avec l’entreprise d’envoi, mais une relation de travail avec une entreprise tierce qui a mis ses travailleurs à la disposition de l’entreprise d’envoi sur le territoire de l’État membre du siège de l’entreprise d’envoi.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).


3      BGBl. 459/1993.


4      Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2).


5      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1).


6      Arrêt du 3 décembre 2014 (C‑315/13, EU:C:2014:2408, points 42 à 48).


7      Voir les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire AY (Mandat d’arrêt – Témoin) (C‑268/17, EU:C:2018:317, point 26).


8      Voir, à titre d’exemple, arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann e.a. (C‑195/17, C‑197/17 à C‑203/17, C‑226/17, C‑228/17, C‑254/17, C‑274/17, C‑275/17, C‑278/17 à C‑286/17 et C‑290/17 à C‑292/17, EU:C:2018:258, point 24 et jurisprudence citée).


9      Voir arrêt du 5 juin 1997, Celestini (C‑105/94, EU:C:1997:277, point 22).


10      Voir arrêt du 5 juin 1997, Celestini (C‑105/94, EU:C:1997:277, point 22 et jurisprudence citée).


11      Arrêt du 3 décembre 2014 (C‑315/13, EU:C:2014:2408, points 42 à 48).


12      Voir les conclusions que j’ai présentées dans les affaires jointes X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2017:397, point 1).


13      Telles que des instruments normatifs au sens de l’article 288 TFUE, adoptés conformément à une base juridique et suivant une procédure prévue par le traité FUE.


14      Ou, le cas échéant, les dispositions de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).


15      Voir considérant 5 de la directive 96/71. Voir, en outre, arrêt de la Cour AELE du 20 mars 2013, Norway/Jonsson, E-3/12, EFTA Court Report, point 58 : « La directive 96/71 vise en premier lieu à garantir la libre circulation des services plutôt que la protection des travailleurs » (traduction libre). Mise en italique par mes soins.


16      Voir considérant 5 de la directive 96/71.


17      Voir considérants 5 et 13 de la directive 96/71.


18      Voir Tscherner, E. M., Arbeitsbeziehungen und Europäische Grundfreiheiten, Sellier European law publishers, Munich, 2012, p. 63. Voir également Krebber, S., « Die Bedeutung von Entsenderichtlinie und Arbeitnehmer-Entsendegesetz für das Arbeitskollisionsrecht », Praxis des Internationalen Privat- und Verfahrensrechts (IPrax), 2001, p. 22 à 28, en particulier, p. 23 et 24.


19      Voir également, à cet égard, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:291, point 171), et conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Commission/Luxembourg (C‑319/06, EU:C:2007:516, point 33).


20      De plus, il convient de garder à l’esprit les dispositions du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6 ; ci‑après le « règlement Rome I »), qui prévoit que le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties (voir article 8, paragraphe 1, du règlement Rome I) ou, en l’absence d’un tel choix, que « le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays ». Voir article 8, paragraphe 2, du règlement Rome I. Sur l’interaction entre ce règlement et la directive 96/71, voir les conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Sähköalojen ammattiliitto (C‑396/13, EU:C:2014:2236, points 50 et 51).


21      La directive 96/71 devait être transposée au plus tard le 16 décembre 1999 ; voir article 7, premier alinéa, de cette directive.


22      Voir, à titre d’exemple, arrêts du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA (C‑165/98, EU:C:2001:162, point 27) ; du 25 octobre 2001, Finalarte e.a. (C‑49/98, C‑50/98, C‑52/98 à C‑54/98 et C‑68/98 à C‑71/98, EU:C:2001:564, point 33) ; du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C‑164/99, EU:C:2002:40, point 20), ainsi que du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C‑60/03, EU:C:2004:610, point 35).


23      Voir arrêt du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral (62/81 et 63/81, EU:C:1982:34, point 10).


24      Voir arrêts du 28 mars 1996, Guiot (C‑272/94, EU:C:1996:147, point 15), et du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (C‑369/96 et C‑376/96, EU:C:1999:575, point 51).


25      Arrêt du 18 décembre 2007 (C‑341/05, EU:C:2007:809).


26      Arrêt du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:809, point 103). Mise en italique par mes soins.


27      Voir, à titre d’exemple, arrêts du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a. (352/85, EU:C:1988:196, point 34) ; du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth (C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 123), ainsi que du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles) (C‑235/17, EU:C:2019:432, point 121).


28      Voir arrêt du 5 juin 1997, SETTG (C‑398/95, EU:C:1997:282, point 23).


29      Sur la notion de « dumping social », voir également Ryszka, J., Prawa społeczne pracowników a prawa pracodawców-przedsiębiorców na rynku wewnętrznym Unii Europejskiej, C. H. Beck, Varsovie, 2018, p. 277 et 278.


30      Voir, en ce sens, Krebber, S., op. cit., p. 23 et 24.


31      Dans ce contexte, il convient de rappeler que la Cour a jugé, concernant la liberté d’établissement, que « le fait, pour un ressortissant d’un État membre qui souhaite créer une société, de choisir de la constituer dans l’État membre dont les règles de droit des sociétés lui paraissent les moins contraignantes et de créer des succursales dans d’autres États membres ne saurait constituer en soi un usage abusif du droit d’établissement » et que « le droit de constituer une société en conformité avec la législation d’un État membre et de créer des succursales dans d’autres États membres est inhérent à l’exercice, dans un marché unique, de la liberté d’établissement garantie par le traité ». Voir arrêt du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, EU:C:1999:126, point 27).


32      Voir Müller-Graff, P.-Chr., « Die Verfassungsziele der Europäischen Union », point 113, dans Dauses, M. A., Handbuch des EU-Wirtschaftsrechts, Band 1, EL 31, C. H. Beck, Munich, 2016.


33      Articles 90 à 100 TFUE.


34      Voir Müller-Graff, P.-Chr., dans R. Streinz (éd.), EUV/AEUV, C. H. Beck, 3e édition, Munich, 2018, Artikel 58 AEUV, point 1.


35      Voir arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220, points 62 et 63).


36      Voir les conclusions que j’ai présentées dans les affaires jointes Trijber et Harmsen (C‑340/14 et C‑341/14, EU:C:2015:505, point 27).


37      Voir arrêt du 7 novembre 1991, Pinaud Wieger (C‑17/90, EU:C:1991:416, point 7). Cependant, cela ne fait pas obstacle à une application directe des dispositions du traité relatives à l’établissement : voir arrêt du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb (C‑338/09, EU:C:2010:814, point 33).


38      Voir également Kainer, F., Persch, J., « Der Verkehr im Binnenmarktrecht : Sonderfall oder Dienstleistung ? – Anstöße für eine Reform der Art. 90 ff. AEUV », Europarecht, 2018, p. 33 à 61, en particulier p. 34.


39      Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L 159, p. 11).


40      Voir article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123.


41      Voir article 1er, paragraphe 2, de la directive 96/71.


42      Voir article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2014/67.


43      Une explication possible réside dans le fait que l’article 75 CE, le prédécesseur de l’article 91 TFUE, dans la version applicable au moment de l’adoption de la directive 96/71, c’est‑à‑dire telle qu’issue de l’entrée en vigueur, le 1er novembre 1993, du traité de Maastricht, relevait de la procédure de coopération prévue à l’article 189c du traité CE, alors que l’article 57, paragraphe 2, CE, le prédécesseur de l’article 53, paragraphe 1, TFUE, relevait de la procédure de codécision prévue à l’article 189b du traité CE. La première procédure, introduite par l’Acte unique européen et finalement supprimée par le traité de Lisbonne, accordait moins de droits au Parlement européen que la seconde. Le législateur n’a peut-être pas souhaité cumuler ces deux procédures aux fins de l’adoption de la directive 96/71.


44      En tout état de cause, sous le régime actuel, l’article 53, paragraphe 1, et les articles 62 et 91 TFUE relèvent tous de la procédure législative ordinaire.


45      Articles 90 à 100 TFUE.


46      Sur la notion de « transport », voir également les conclusions que j’ai présentées dans les affaires jointes Trijber et Harmsen (C‑340/14 et C‑341/14, EU:C:2015:505, points 30 et suiv.).


47      Voir arrêt du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a. (C‑168/14, EU:C:2015:685, point 46), et conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Grupo Itevelesa e.a. (C‑168/14, EU:C:2015:351, point 28). Voir également arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:981, point 41), et avis 2/15 (Accord de libre-échange avec Singapour), du 16 mai 2017 (EU:C:2017:376, point 61).


48      Voir arrêt du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a. (C‑168/14, EU:C:2015:685, point 50).


49      Voir arrêt du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a. (C‑168/14, EU:C:2015:685, point 47).


50      Voir, à titre d’exemple, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 44 et jurisprudence citée).


51      Proposition de directive du Conseil relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, Bruxelles, 1er août 1991, COM(91) 230 final.


52      Voir position commune (CE) no 32/96 arrêtée par le Conseil le 3 juin 1996 en vue de l’adoption de la directive 96/.../CE du Parlement européen et du Conseil, du ..., concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1996, C 220, p. 1 ; point III.2.1.b.).


53      Voir proposition modifiée de directive du Conseil relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, Bruxelles, 15 juin 1993, COM(93) 225 final.


54      Il convient d’ajouter à ce stade que, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement allemand, rien n’indique que, dans sa proposition initiale de 1991, la Commission voulait exclure les « membres du personnel navigant d’une entreprise assurant le transport international de passagers ou de marchandises par rail, route, air, voie intérieure ou mer » – et qu’elle ait abandonné cette exclusion dans sa proposition modifiée de 1993. En effet, cet extrait cité par le gouvernement allemand est tiré du point 23 de l’exposé des motifs de la proposition de directive de 1991. À l’inverse, l’exposé des motifs de la proposition modifiée de directive de 1993 se concentre uniquement, comme c’est le cas d’ordinaire, sur les modifications par rapport à la proposition de 1991. Étant donné qu’il n’y avait pas de modification à cet égard, il n’était pas nécessaire, dans l’exposé des motifs, de faire mention du cas du personnel navigant. Si une conclusion doit en être tirée, c’est que la position de la Commission concernant le personnel navigant demeure valable pour le projet de directive, jusqu’à l’adoption de celle‑ci.


55      Le point de vue opposé, qui est défendu, notamment, par le gouvernement allemand, insiste sur le fait que l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71 fait référence non seulement au lieu où est établie une entreprise (la Hongrie dans le cas de Henry am Zug), mais, de manière alternative, au territoire sur lequel une entreprise exerce son activité (on peut soutenir qu’il s’agit de l’Autriche dans le cas de Henry am Zug, étant donné qu’il existe une chaîne de contrats). Il n’y a pas lieu de déterminer lequel de ces deux points de vue doit être privilégié, étant donné que cet aspect n’est pas soulevé dans la question posée par la juridiction de renvoi.


56      La juridiction de renvoi parle à ce sujet de condition sine qua non.


57      Selon moi, on ne peut, à partir du fait que l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 parle de « contrat » et de « relation de travail », déduire que « relation de travail » ne serait pas une expression juridique. En effet, l’expression « relation de travail » caractérise une relation juridique formelle entre une entreprise et un travailleur.


58      Cette interprétation est, de plus, confirmée par l’arrêt du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a. (C‑18/17, EU:C:2018:904, points 30 et suiv.).


59      Voir arrêt du 13 novembre 2018, Čepelnik (C‑33/17, EU:C:2018:896, point 32).


60      Cependant, il convient, tout de même, de garder à l’esprit, comme l’a indiqué à juste titre l’avocat général Wahl dans ses conclusions dans l’affaire Čepelnik (C‑33/17, EU:C:2018:311, points 50 et 53), que l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2006/123, lu à la lumière du considérant 14 de ladite directive, « n’affirm[e] pas que le domaine du droit du travail est exclu dans son ensemble du champ d’application de la directive services » et « loin de donner carte blanche aux États membres pour appliquer leur droit du travail indépendamment du possible impact sur le marché intérieur, la directive services n’offre qu’une exception limitée ».


61      Il s’agit là d’une jurisprudence constante de la Cour. Voir, à titre d’exemple, arrêts du 9 août 1994, Vander Elst (C‑43/93, EU:C:1994:310, point 14), et du 17 juillet 2008, Commission/France (C‑389/05, EU:C:2008:411, point 57). On peut attribuer les origines de cette jurisprudence à l’arrêt du 25 juillet 1991, Säger (C‑76/90, EU:C:1991:331, point 12), ou, sinon, à l’arrêt du 3 décembre 1974, van Binsbergen (33/74, EU:C:1974:131, points 10 et 11).


62      Voir arrêt du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg (C‑445/03, EU:C:2004:655, point 23).


63      Voir arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne (C‑244/04, EU:C:2006:49, point 35).


64      Voir arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595, point 42).


65      Voir, à titre d’exemple, arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595, point 38).


66      Note sans objet pour la version française des présentes conclusions.


67      Voir arrêts du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (C‑369/96 et C‑376/96, EU:C:1999:575, points 34 et 35) ; du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C‑164/99, EU:C:2002:40, point 19), ainsi que du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595, point 37).


68      Voir arrêt du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (C‑369/96 et C‑376/96, EU:C:1999:575, point 80).


69      Voir arrêt du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C‑60/03, EU:C:2004:610, point 41).


70      Arrêt du 3 février 1982 (62/81 et 63/81, EU:C:1982:34, point 14).


71      Arrêt du 27 mars 1990 (C‑113/89, EU:C:1990:142, point 18).


72      Arrêt du 28 mars 1996 (C‑272/94, EU:C:1996:147, point 15).


73      Arrêt du 23 novembre 1999 (C‑369/96 et C‑376/96, EU:C:1999:575, point 41).


74      Arrêt du 3 décembre 2014, De Clercq e.a. (C‑315/13, EU:C:2014:2408, point 66 et jurisprudence citée).


75      Voir article 7b de l’AVRAG.