Language of document : ECLI:EU:C:2019:65

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 24 janvier 2019 (1)

Affaire C‑603/17

Peter Bosworth,

Colin Hurley

contre

Arcadia Petroleum Limited and others

[demande de décision préjudicielle formée par la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni)]

« Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Titre II, section 5 – Compétence en matière de contrats individuels de travail – Demandes en réparation présentées par plusieurs sociétés d’un même groupe à l’encontre d’anciens dirigeants – Notions de “contrat individuel de travail” et d’“employeur” – Demandes reposant sur des fondements juridiques considérés comme étant de nature délictuelle en droit matériel – Conditions dans lesquelles de telles demandes sont “en matière” contractuelle et/ou de contrats individuels de travail, aux fins de la convention de Lugano II »






I.      Introduction

1.        Par sa demande de décision préjudicielle, la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) a déféré à la Cour quatre questions relatives à l’interprétation de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007 (2) (ci-après la « convention de Lugano II »).

2.        Ces questions ont été posées dans le cadre d’un litige opposant l’actionnaire unique et plusieurs sociétés d’un groupe multinational à ses anciens dirigeants sociaux au sujet de demandes en réparation du préjudice causé par une fraude, prétendument commise aux dépens de ces sociétés et dont ils auraient été les principaux architectes et bénéficiaires.

3.        Au stade actuel du litige au principal, la juridiction de renvoi doit déterminer si les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles ont compétence pour statuer sur ces demandes, ou bien si ce sont les tribunaux suisses, en tant que juridictions du domicile des anciens dirigeants mis en cause, qui doivent être saisis de tout ou partie de celles-ci. La réponse dépend du point de savoir si lesdites demandes sont ou non « en matière de contrats individuels de travail », au sens des dispositions du titre II, section 5, de la convention de Lugano II (ci-après la « section 5 »).

4.        Dans ce contexte, les questions de cette juridiction soulèvent des points de droit complexes, concernant l’interprétation des notions clés de ladite section 5, à savoir celles de « contrat individuel de travail », de « travailleur » et d’« employeur ». Elles soulèvent également le point de savoir si, et le cas échéant dans quelles conditions, une demande, présentée entre parties à un tel « contrat » et s’appuyant sur un fondement juridique de nature délictuelle en droit matériel, relève de cette même section.

5.        Dans les présentes conclusions, j’exposerai les raisons pour lesquelles des dirigeants sociaux, exerçant leurs fonctions en toute autonomie, ne sont pas liés à la société pour laquelle ils les exercent par un « contrat individuel de travail », au sens des dispositions de la section 5. À titre subsidiaire, j’expliquerai, d’une part, pourquoi une demande, présentée entre parties audit « contrat » et reposant sur un fondement juridique délictuel, relève de cette section dès lors que le litige est né à l’occasion de la relation de travail et, d’autre part, pourquoi l’« employeur », au sens des dispositions de ladite section, ne se limite pas nécessairement à la personne avec laquelle le travailleur a formellement conclu un contrat de travail.

II.    La convention de Lugano II

6.        La section 5, qui s’intitule « Compétence en matière de contrats individuels de travail », contient notamment les articles 18 et 20 de la convention de Lugano II.

7.        L’article 18, paragraphe 1, de cette convention dispose que « [e]n matière de contrat individuel de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 4 et de l’article 5, paragraphe 5 ».

8.        L’article 20, paragraphe 1, de ladite convention prévoit que « [l]’action de l’employeur ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel le travailleur a son domicile ».

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

9.        Le groupe Arcadia se compose notamment des sociétés Arcadia London, Arcadia Switzerland et Arcadia Singapore. Ce groupe est détenu à 100 % par la société Farahead Holdings Ltd (ci-après « Farahead »). À l’époque des faits en cause au principal, M. Peter Bosworth et M. Colin Hurley (ci-après ensemble les « défendeurs au principal »), aujourd’hui domiciliés en Suisse, étaient, respectivement, chief executive officer (CEO) et chief financial officer (CFO) dudit groupe. Ils étaient, par ailleurs, les dirigeants des trois sociétés Arcadia en question. Chacun d’eux bénéficiait en outre d’un contrat de travail avec l’une de ces sociétés, rédigé par eux-mêmes ou sous leur responsabilité.

10.      Le 12 février 2015, les trois sociétés Arcadia susvisées et Farahead (ci-après ensemble « Arcadia ») ont saisi la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale), Royaume-Uni] de demandes visant plusieurs personnes, dont les défendeurs au principal. Ces demandes visent à obtenir réparation du préjudice que le groupe aurait subi du fait d’une série d’opérations frauduleuses impliquant les sociétés Arcadia et réalisées entre le mois d’avril 2007 et le mois de mai 2013.

11.      Selon Arcadia, les défendeurs au principal sont les principaux architectes et bénéficiaires de cette fraude. En leur qualité de CEO et de CFO du groupe, ils se seraient associés avec les autres personnes mises en cause pour détourner l’essentiel des profits résultant des opérations litigieuses et auraient dissimulé ces opérations à Farahead. Pour leur part, les intéressés contestent fermement ces accusations.

12.      Dans sa requête initiale, Arcadia avait allégué que les fautes prétendument commises par les défendeurs au principal constituaient (1) le délit (tort) de collusion par usage de moyens illicites (unlawful means conspiracy), (2) le délit de violation des obligations fiduciaires de loyauté et de bonne foi (breach of fiduciary duty) et (3) une violation des obligations contractuelles expresses ou implicites (breach of express and/or implied contractual duties) découlant de leurs contrats de travail.

13.      Par un déclinatoire de compétence en date du 9 mars 2015, les intéressés ont avancé que, conformément à la convention de Lugano II, les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles ne sont pas compétentes pour connaître des demandes d’Arcadia les concernant. En effet, ces demandes seraient « en matière de contrat individuel de travail » et relèveraient partant de la section 5. En conséquence, seules les juridictions de l’État de leur domicile, soit les tribunaux suisses, seraient compétentes à cet égard.

14.      Consécutivement, les requérantes au principal ont modifié leur requête. Elles ont renoncé à se prévaloir de la violation des obligations découlant des contrats de travail des défendeurs au principal et ont supprimé toute référence à la violation de ces obligations en tant que moyen illicite utilisé dans le cadre du délit de collusion.

15.      Par un arrêt du 1er avril 2015, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale)] a jugé que les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles sont compétentes pour connaître des demandes d’Arcadia dans la mesure où elles sont fondées sur le délit de collusion par usage de moyens illicites (unlawful means conspiracy). Par ailleurs, elle a jugé que ces juridictions sont également compétentes pour examiner ces demandes dans la mesure où elles sont fondées sur le délit de violation des obligations fiduciaires de loyauté et de bonne foi (breach of fiduciary duty), à ceci près qu’elles n’ont pas compétence pour examiner les demandes présentées sur ce fondement par Arcadia London et Arcadia Singapore pour des faits produits à l’époque où chacune de ces sociétés était liée par un contrat de travail avec M. Bosworth ou M. Hurley. En effet, dans cette mesure, et dans cette mesure seulement, les demandes d’Arcadia seraient « en matière de contrat individuel de travail », au sens des dispositions de la section 5.

16.      Les défendeurs au principal ont interjeté appel de cet arrêt devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni]. Cet appel a été rejeté par un arrêt en date du 19 août 2016. Néanmoins, la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) a autorisés les intéressés à se pourvoir.

17.      Dans ces conditions, cette dernière juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Quels sont les justes critères pour déterminer si une action exercée par un employeur contre un travailleur ou un ancien travailleur (ci-après un “travailleur”) est “en matière de” contrat individuel de travail au sens des dispositions du titre II, section 5 (articles 18 à 21), de la [convention de Lugano II] ?

a)      Pour qu’une action exercée par un employeur à l’encontre d’un travailleur relève des dispositions des articles 18 à 21 [de la convention de Lugano II], suffit-il que l’employeur ait pu également alléguer que les comportements reprochés sont constitutifs d’une violation par le travailleur des obligations résultant de son contrat individuel de travail – même si, dans le cadre de l’action qu’il exerce effectivement, l’employeur ne se prévaut pas, ne reproche pas et n’invoque pas de violations dudit contrat, mais fait valoir (par exemple) un ou plusieurs des griefs [en cause dans l’affaire au principal] ?

b)      Ou bien le juste critère est-il qu’une action exercée par un employeur à l’encontre d’un travailleur ne relève des dispositions des articles 18 à 21 que si l’obligation sur laquelle elle est fondée est effectivement une obligation résultant du contrat de travail ? Dans l’affirmative, est-ce qu’il s’ensuit qu’une action fondée uniquement sur la violation d’une obligation née indépendamment du contrat de travail (et qui, le cas échéant, n’est pas une obligation “librement consentie” par le travailleur) tombe en dehors des dispositions de cette section 5 ?

c)      Si aucun de ces critères n’est juste, quel est alors le juste critère ?

2)      Si une société et une personne physique concluent un “contrat” (au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la [convention de Lugano II]), dans quelle mesure faut-il qu’existe un lien de subordination entre cette société et cette personne physique pour que ledit contrat soit un “contrat individuel de travail” pour les besoins de la section 5 [du titre 2 de cette convention] ? Une telle relation peut-elle exister lorsque cette personne physique est en mesure de décider (et décide effectivement) des clauses de son contrat avec cette société, exerce un contrôle autonome sur les opérations de gestion quotidienne de la société et l’exécution de ses propres fonctions, mais que le ou les actionnaires de cette société ont le pouvoir de mettre fin à cette relation ?

3)      Si les dispositions du titre II, section 5, de la [convention de Lugano II] ne sont applicables qu’aux seules actions qui, en l’absence desdites dispositions, relèveraient de l’article 5, paragraphe 1, de cette convention, quels sont les justes critères pour déterminer si une action relève dudit article 5, paragraphe 1 ?

a)      Le juste critère est-il qu’une action relève de [cet] article 5, paragraphe 1, lorsque l’employeur pourrait alléguer que le comportement litigieux est constitutif d’une violation d’une obligation contractuelle, même si, dans le cadre de l’action qu’il exerce effectivement, l’employeur ne se prévaut pas, ne reproche pas et n’invoque pas de violations dudit contrat ?

b)      Ou bien le juste critère est-il qu’une action ne relève [dudit] article 5, paragraphe 1, que si l’obligation sur laquelle elle est effectivement fondée est une obligation contractuelle ? Dans l’affirmative, est-ce qu’il s’ensuit qu’une action uniquement fondée sur la violation d’une obligation née indépendamment du contrat (et qui, le cas échéant, n’est pas une obligation “librement consentie” par le défendeur) ne relève pas de l’article 5, paragraphe 1 ?

c)      Si aucun de ces critères n’est juste, quel est alors le juste critère ?

4)      Dans des circonstances où :

a)      les sociétés A et B font partie d’un même groupe de sociétés ;

b)      le défendeur X exerce de fait les fonctions de mandataire social de ce groupe de sociétés (comme le faisait M. Bosworth pour le groupe Arcadia [...]) ; X est employé par une société du groupe, la société A (et est donc un travailleur de la société A) (comme c’était parfois le cas de M. Bosworth [...]), et n’est pas, du point de vue du droit national, un employé de la société B ;

c)      la société A exerce une action contre X, action relevant des articles 18 à 21 [de la convention de Lugano II] ; et

d)      l’autre société du même groupe, la société B, exerce également une action contre X pour les mêmes griefs que ceux servant de base à l’action de la société A ;

quels sont les justes critères pour déterminer si l’action exercée par la société B relève de la section 5 [de la convention de Lugano II] ? Notamment :

–        la réponse à la question est-elle fonction du point de savoir s’il existait un “contrat individuel de travail”, au sens de la section 5 [du titre II de la convention de Lugano II] entre X et la société B et, dans l’affirmative, quels sont les justes critères permettant de constater qu’il existait un tel contrat de travail ?

–        La société B doit-elle être considérée comme étant l’“employeur” de X pour les besoins du titre II, section 5, de la [convention de Lugano II] ou est-ce que l’action qu’elle a exercée contre X [voir quatrième question, sous°d), ci-dessus] relève des articles 18 à 21 [de la convention de Lugano II] de la même manière que celle exercée par la société A contre X relève de ces mêmes dispositions ? Notamment :

a)      l’action exercée par la société B relève-t-elle de l’article 18 [de la convention de Lugano II] uniquement si l’obligation sur laquelle elle se fonde est une obligation résultant du contrat de travail conclu entre la société B et X ?

b)      Ou bien cette action relève-t-elle de l’article 18 [de la convention de Lugano II] si les griefs allégués dans la demande avaient été constitutifs d’une violation d’une obligation résultant du contrat de travail entre la société A et X ?

–        Si aucun de ces critères n’est juste, quel est alors le juste critère ? »

18.      La décision de renvoi est parvenue au greffe de la Cour le 20 octobre 2017. Les défendeurs au principal, Arcadia, la Confédération suisse et la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour. Les mêmes parties, à l’exception de la Confédération suisse, ont été représentées lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 13 septembre 2018.

IV.    Analyse

A.      Considérations liminaires

19.      La convention de Lugano II est une convention internationale liant l’Union aux États parties à l’Association européenne de libre-échange (AELE) et à la Confédération suisse. La Cour n’a que rarement été saisie de questions concernant son interprétation. Il s’agit d’un instrument parallèle au règlement (CE) nº 44/2001 (3), ayant le même objet et prévoyant les mêmes règles de compétence que celui-ci. Dès lors, l’ample jurisprudence de la Cour relative audit règlement est transposable aux dispositions équivalentes de cette convention (4).

20.      Les questions posées par la juridiction de renvoi s’inscrivent dans le contexte juridique suivant. Arcadia estime que les juridictions anglaises sont compétentes pour connaître de ses demandes à l’encontre des défendeurs au principal sur le fondement de l’article 6, point 1, de la convention de Lugano II. En effet, celles-ci seraient étroitement liées à des demandes similaires dirigées contre trois autres personnes domiciliées en Angleterre et au pays de Galles (5).

21.      Les intéressés contestent néanmoins la compétence de ces juridictions. Ils avancent que ces demandes sont « en matière de contrats individuels de travail » et relèvent partant de la section 5.

22.      À cet égard, je rappelle que, en application de l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, la compétence juridictionnelle pour les demandes en la matière est réglée par les dispositions de la section 5. Conformément à l’article 20, paragraphe 1, de cette convention, une demande d’un « employeur » à l’encontre d’un « travailleur » doit être portée devant les tribunaux de l’État du domicile de ce dernier. En outre, selon la Cour, les dispositions de cette section présentent un caractère exhaustif (6). À supposer ladite section applicable, Arcadia ne pourrait donc pas se prévaloir de l’article 6, point 1, de ladite convention.

23.      En effet, la section 5 a pour objectif, notamment (7), de protéger le travailleur, considéré comme la partie la plus faible au contrat, au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts (8). À cette fin, cette section prive l’employeur de toute option de compétence pour porter sa demande et offre au travailleur l’avantage de ne pouvoir être attrait, en principe, que devant les juridictions qui sont réputées lui être les plus familières.

24.      L’issue de l’exception d’incompétence soulevée par les défendeurs au principal dépend de l’étendue du champ d’application de la section 5. À cet égard, l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II vise, je le rappelle, les demandes « en matière de contrats individuels de travail ». Deux conditions découlent de ces termes : d’une part, il doit exister un tel « contrat » entre les parties ; d’autre part, la demande doit être liée, d’une certaine manière, à ce « contrat ».

25.      Les deuxième et quatrième questions de la juridiction de renvoi concernent essentiellement la première de ces conditions, tandis que les première et troisième questions se rapportent à la seconde. J’examinerai l’interprétation de la notion de « contrat individuel de travail » (B), puis la problématique du lien devant exister entre la demande et le « contrat » (C), avant de revenir sur la notion d’« employeur », au sens de la section 5 (D).

B.      Sur la notion de « contrat individuel de travail » (deuxième question)

26.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si des contrats tels que ceux qui avaient été conclus entre les défendeurs au principal et certaines sociétés du groupe Arcadia peuvent être qualifiés de « contrats individuels de travail », au sens des dispositions de la section 5. Cette juridiction cherche à savoir dans quelle mesure, aux fins de cette qualification, il est nécessaire qu’une relation de subordination existe entre un particulier et la société qui a recours à ses services. Elle s’interroge si une telle relation peut exister lorsque le particulier décide des termes de son contrat et a tout contrôle et toute autonomie sur la gestion quotidienne des affaires de la société ainsi que sur l’exécution de ses propres fonctions, mais que les actionnaires de cette dernière ont le pouvoir de mettre fin au contrat. En outre, ladite juridiction souhaite connaître les conditions permettant d’inférer, aux fins de cette section, l’existence de tels « contrats » entre les défendeurs au principal et les sociétés Arcadia avec lesquelles ceux-ci n’avaient pas formellement conclu de contrat (9).

1.      Sur la recevabilité

27.      Ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, Arcadia n’a pas contesté devant les juridictions nationales inférieures que, à l’égard de chacune des sociétés avec lesquelles ils avaient formellement conclu un contrat de travail, les défendeurs au principal avaient le statut de travailleur. Selon les intéressés, une réponse de la Cour sur cette problématique ne serait donc pas nécessaire pour la résolution du litige au principal.

28.      Je ne partage pas ce point de vue. Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (10).

29.      Au demeurant, il me semble que, d’une part, cette absence de contestation s’explique par le fait qu’Arcadia avait initialement considéré que l’existence d’un contrat de travail, au sens du droit matériel, emportait en soi la qualification de « contrat individuel de travail », au sens des dispositions de la section 5. Or, le groupe s’est depuis ravisé et conteste fermement cette qualification. D’autre part, les parties ont débattu, à tous les stades de la procédure nationale, le point de savoir s’il existait de tels « contrats » entre les défendeurs au principal et les sociétés du groupe avec lesquelles ils n’avaient pas formellement conclu de contrat (11). Une réponse de la Cour s’impose donc à l’évidence.

2.      Sur le fond

30.      Il convient de rappeler que, à l’époque des faits litigieux, les défendeurs au principal exerçaient pour le groupe Arcadia des fonctions de dirigeants sociaux, au sens du droit des sociétés. Plus précisément, M. Bosworth était le chief executive officer (CEO) de fait (12) du groupe et M. Hurley en était le chief financial officer (CFO) de fait. En outre, les intéressés étaient les dirigeants de droit et/ou de fait (13) d’Arcadia London, d’Arcadia Switzerland et d’Arcadia Singapore.

31.      Les défendeurs au principal avaient, par ailleurs, chacun conclu un contrat de travail, au sens du droit matériel (14), avec une société particulière du groupe Arcadia. L’identité de cette société a néanmoins varié au cours du temps, ceux-ci ayant tour à tour été employés notamment par Arcadia London et par Arcadia Singapore – mais pas par Arcadia Switzerland. Ces différents contrats stipulaient que les intéressés devaient exercer des fonctions de direction précises uniquement pour la société qui les employait. La seule rémunération qu’ils percevaient du groupe était celle stipulée dans ces contrats, versée par la société-employeur, pour ces fonctions précises.

32.      Dans ce contexte, il y a lieu de se demander, tout d’abord, si, aux fins de l’application des règles de compétence prévues par la convention de Lugano II, il y a d’emblée lieu de distinguer les relations qui existaient entre les défendeurs au principal et les sociétés du groupe Arcadia avec lesquelles ceux-ci avaient formellement conclu un contrat, au sens du droit matériel, de celles qui existaient entre eux et les autres sociétés de ce groupe. Je n’en suis pas convaincu, et ce pour deux raisons.

33.      En premier lieu, la notion de « contrat individuel de travail », au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, doit être interprétée non pas par référence à la lex causæ ou à la lex fori, mais de façon autonome, afin de garantir l’application uniforme des règles de compétence prévues par cette convention dans tous les États liés par celle-ci (15).

34.      S’agissant de cette définition autonome, il ressort de l’arrêt Holterman qu’un tel « contrat individuel de travail » existe lorsqu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (16). Il y a donc pareil « contrat » dès lors que les caractéristiques d’une relation de travail – prestation, rémunération et subordination – sont réunies dans les faits. Comme le font valoir les défendeurs au principal, la Confédération suisse ainsi que la Commission, il peut ainsi exister entre deux personnes un tel « contrat » quand bien même, au sens du droit matériel applicable, aucun contrat n’aurait été conclu, et qu’il s’agirait d’une relation de travail de pur fait (17).

35.      Je précise que cette interprétation respecte les termes de la section 5, l’expression « contrat individuel de travail » n’impliquant pas la conclusion formelle d’un contrat, au sens du droit matériel. Au demeurant, l’usage de cette expression dans les instruments liant les États membres et/ou l’Union en matière de droit international privé remonte à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (18). Or, lors de l’adoption de cette convention, ladite expression a été préférée à celle de « relation de travail », proposée dans l’avant-projet de ladite convention, essentiellement au motif que cette dernière expression était inconnue de certains systèmes juridiques nationaux (19). Il serait donc erroné d’opposer « contrat » et « relation » dans le cadre de la section 5 (20).

36.      En conséquence, l’absence d’un contrat formel, au sens du droit matériel, entre les défendeurs au principal et une société Arcadia donnée n’exclut pas qu’un « contrat », aux fins des dispositions de la section 5, doive être inféré des faits. Inversement, les contrats conclus entre les intéressés et d’autres sociétés du groupe ne seront pas nécessairement considérés comme des « contrats individuels de travail », au sens de ladite section.

37.      En second lieu, il ressort de la décision de renvoi que, indépendamment des stipulations des contrats en question, les différentes affectations des défendeurs au principal en tant qu’employés de telle ou telle société Arcadia et leurs déplacements au sein du groupe n’ont pas, dans les faits, modifié la nature des fonctions qu’ils y ont exercées, ni eu d’incidence sur leurs rôles respectifs de CEO et de CFO de l’ensemble des sociétés Arcadia et du groupe lui-même. En somme, ces affectations étaient purement formelles. Lesdits contrats ont été rédigés par ou sous les consignes des intéressés et ceux-ci choisissaient non seulement les termes de ces contrats mais également d’avoir pareil contrat avec telle société plutôt qu’une autre (21).

38.      Dès lors, il y a lieu de déterminer, ensuite, si la relation qui existait entre les défendeurs au principal, en leur qualité de dirigeants sociaux, et chacune des sociétés Arcadia, indépendamment de l’existence ou non d’un contrat formel entre eux à un moment donné, peut s’analyser en un « contrat individuel de travail », au sens des dispositions de la section 5.

39.      En acceptant d’assumer les fonctions de dirigeant social, une personne accepte librement les obligations qui y sont attachées. De même, en confiant un mandat social à cette personne, la société assume volontairement certaines obligations à son égard. En particulier, les fonctions de dirigeant social sont, en règle générale, exercées contre rémunération (22). Il y a donc des obligations librement assumées entre la société et le dirigeant, relevant de la « matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, de la convention de Lugano II et du règlement Bruxelles I. Selon moi, il en est ainsi, que ce dirigeant ait été formellement nommé (dirigeant de droit) ou que, sans l’avoir été, il se comporte effectivement comme tel (dirigeant de fait) (23).

40.      Dans le cadre des « obligations contractuelles » liant ainsi le dirigeant et la société, le premier fournit à la seconde une prestation contre rémunération. Conformément aux explications données au point 34 des présentes conclusions, leur relation doit être qualifiée de « contrat individuel de travail », au sens de la section 5, uniquement si le dirigeant est, dans l’exercice de ses fonctions, subordonné à la société.

41.      À cet égard, dans l’arrêt Holterman, la Cour a jugé que, pour les besoins de la section 5, l’existence d’un lien de subordination « doit être appréciée dans chaque cas particulier en fonction de tous les éléments et de toutes les circonstances caractérisant les relations existant entre les parties ». La Cour a également indiqué qu’un dirigeant détenant une part dans le capital social suffisante pour influencer de manière « non négligeable » les personnes normalement compétentes pour lui donner des instructions et contrôler leur mise en œuvre ne saurait être subordonné à la société (24).

42.      Il serait erroné de lire ce raisonnement a contrario, en ce sens qu’un dirigeant qui ne détient pas de part dans le capital social, comme c’était le cas des défendeurs au principal, est, de ce seul fait, subordonné à la société. Si la Cour a indiqué, dans cet arrêt, une circonstance excluant en toute hypothèse une subordination, elle ne s’est pas prononcée sur les éléments de nature à caractériser celle-ci.

43.      S’agissant de ces éléments, il est possible de s’inspirer de la jurisprudence de la Cour relative à la notion de « travailleur », au sens de l’article 45 TFUE et de certaines directives d’harmonisation. Selon cette jurisprudence, ce qui caractérise un lien de subordination est le fait qu’un travailleur se trouve placé sous la direction d’une autre personne, laquelle lui impose non seulement les prestations à réaliser, mais surtout la manière de les accomplir et dont il doit respecter les instructions et les règles internes. Afin de déterminer l’existence d’un tel lien de subordination, il convient donc de s’attacher à l’autonomie et à la flexibilité dont dispose le travailleur pour choisir l’horaire, le lieu et les modalités d’exécution des missions qui lui ont été confiées et/ou à la surveillance et au contrôle que l’employeur exerce sur la manière dont le travailleur exécute ses fonctions (25).

44.      Il en ressort, ainsi que le font valoir le groupe Arcadia et la Confédération suisse, qu’un dirigeant social n’est subordonné à la société que s’il est soumis à la direction effective d’une autre personne dans l’exercice et l’organisation de ses fonctions. L’existence d’une telle direction s’apprécie au regard de la nature des fonctions en question, du cadre dans lequel elles sont exercées, de l’étendue des pouvoirs de l’intéressé et du contrôle dont il fait effectivement l’objet au sein de la société (26).

45.      Or, par hypothèse, des dirigeants sociaux, tels que les défendeurs au principal, qui, selon les indications données par la juridiction de renvoi, en leur qualité de CEO et de CFO, sont investis des pouvoirs les plus étendus pour gérer la société et agir en son nom et pour son compte et ont tout contrôle et toute autonomie sur la gestion quotidienne des affaires de celle-ci et l’exercice de leurs fonctions – ce que démontre en l’occurrence le fait que leurs contrats de travail successifs ont été rédigés par eux-mêmes ou sous leur responsabilité, qu’ils choisissaient les termes de ces contrats et leur employeur formel – ne sont pas, dans ces fonctions, subordonnés à la société.

46.      En particulier, contrairement à ce que font valoir les défendeurs au principal, la subordination ne saurait se confondre avec les directives générales que reçoit le dirigeant de la part des actionnaires quant à l’orientation des affaires de la société. Ces directives générales ne concernent pas l’exécution même des fonctions du dirigeant ou la manière dont il les organise. Un dirigeant social a pour mandat d’agir pour la société et, à ce titre, peut recevoir des instructions raisonnables relatives à sa mission. Pour les mêmes raisons, les mécanismes de contrôle prévus par la loi vis-à-vis des actionnaires ne caractérisent pas, en eux-mêmes, l’existence d’un lien de subordination. Tout mandataire doit rendre certains comptes à son commettant. En outre, la seule circonstance que ces mêmes actionnaires ont le pouvoir de révoquer le dirigeant social ne saurait suffire à caractériser ce lien. Le fait qu’ils aient un tel pouvoir de révocation ne signifie pas qu’ils se soient immiscés dans la manière de diriger la société. Ici encore, dans le cadre de n’importe quel mandat, un commettant peut unilatéralement mettre fin à la relation avec son mandataire, sans que cette circonstance démontre, en elle-même, une subordination.

47.      Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d’avis que, dans la présente affaire, il existait, certes, entre les défendeurs au principal et chacune des sociétés Arcadia, des « obligations contractuelles » réciproques, relevant de l’article 5, point 1, de la convention de Lugano II. Ces obligations ont parfois été formalisées dans des contrats, parfois non. En toute hypothèse, ces mêmes obligations ne sauraient s’analyser en des « contrats individuels de travail », au sens des dispositions de la section 5.

48.      Cette interprétation n’est pas remise en cause, contrairement à ce que font valoir les défendeurs au principal, par les arrêts Danosa (27) et Balkaya (28). À cet égard, je rappelle que, dans le premier arrêt, la Cour a jugé, concernant la directive 92/85/CEE (29), que s’il « ne peut être exclu » que des dirigeants sociaux ne relèvent pas de la notion de « travailleur », au sens de cette directive, « compte tenu des fonctions spécifiques qui leur sont confiées ainsi que du cadre dans lequel ces fonctions sont exercées et de la manière dont elles le sont », un dirigeant est subordonné à la société dès lors que (1) il fait partie intégrante de la société, (2) il doit rendre compte de sa gestion à un autre organe social et collaborer avec celui-ci et (3) il peut être révoqué par l’assemblée des associés (30). Dans l’arrêt Balkaya (31), la Cour a transposé ce raisonnement à la directive 98/59/CE (32) et, en s’appuyant sur des indices similaires, a qualifié un dirigeant social de « travailleur », au sens de cette directive.

49.      Toutefois, l’interprétation donnée par la Cour d’une notion dans un domaine réglementaire du droit de l’Union ne saurait être automatiquement transposée à un domaine distinct (33). Comme je l’ai indiqué, il ne s’agit que d’une source d’inspiration. La notion de « contrat individuel de travail », au sens des dispositions de la section 5, doit être interprétée en se référant principalement au système et aux objectifs de la convention de Lugano II et du règlement Bruxelles I (34) ainsi qu’aux principes généraux qui se dégagent des systèmes de droit nationaux (35). Ces précédents ne peuvent donc être transposés à ces instruments qu’avec circonspection. Je note, d’ailleurs, que dans l’arrêt Holterman, la Cour n’a pas appliqué expressis verbis cette jurisprudence, mais s’est contentée de s’y référer ponctuellement.

50.      À cet égard, je relève que les trois indices retenus par la Cour dans l’arrêt Danosa (36) pour juger qu’un dirigeant social est un « travailleur », au sens de la directive 92/85, sont réunis s’agissant de la vaste majorité d’entre eux. En effet, dans une certaine mesure, un tel dirigeant est en général (1) « intégré » dans la société, (2) doit rendre des comptes à un autre organe social – conseil d’administration ou de surveillance, assemblée des associés, etc. – et (3) peut être révoqué par un tel organe.

51.      Or, si la Cour a décidé d’étendre aux dirigeants sociaux, dans les arrêts Danosa (37) et Balkaya (38), la protection contre le licenciement offerte par les directives d’harmonisation de l’Union, transposer la logique ressortant de ces arrêts aux règles de compétence prévues par le règlement Bruxelles I et la convention de Lugano II aurait pour conséquence qu’une large partie du contentieux existant entre une société et ses dirigeants seraient vues sous le prisme de la notion de « contrat individuel de travail », et relèveraient partant des dispositions de la section 5.

52.      À cet égard, je me dois de rappeler que, dans les systèmes nationaux des États membres, la relation existant entre une société et ses dirigeants relève non pas du droit du travail mais du droit des sociétés. Les dirigeants sont des organes sociaux. Les fonctions de dirigeant social et les pouvoirs et obligations qui en découlent résultent des statuts de la société et des dispositions légales qui lui sont applicables. Certes, dans certains États membres, dont le Royaume-Uni, dirigeants et sociétés peuvent encadrer leurs droits et obligations respectifs par un contrat – qui peut être un contrat de gestion, de mandat ou de travail (39). Cela étant, le droit des sociétés demeure au cœur de leur relation.

53.      En particulier, le contentieux de la responsabilité des dirigeants sociaux à l’égard de la société et de ses actionnaires, toile de fond de la présente affaire, est un contentieux relevant dudit droit des sociétés, faisant en général l’objet de dispositions spécifiques dans le droit des États membres, réglementant les conditions et l’étendue de cette responsabilité (40).

54.      Une dissonance aussi flagrante entre les qualifications nationales et celle aux fins de la convention de Lugano II et du règlement Bruxelles I ne faciliterait pas l’application de ces instruments et la prévisibilité des règles de compétence qu’ils prévoient. De plus, les désavantages pratiques qui résulteraient d’une application généralisée de la section 5 aux dirigeants sociaux seraient bien peu adaptés à la spécificité du contentieux relatif à leur responsabilité et peu conformes à l’objectif de bonne administration de la justice. En la matière, la responsabilité solidaire des différents dirigeants sociaux d’une société pour les dommages causés à celle-ci dans sa gestion est une solution usuelle (41). Or, en application de la section 5, chacune de ces personnes devrait être attraite séparément devant les juridictions de son propre domicile, sans qu’il soit possible de regrouper ce contentieux devant un for unique.

55.      En outre, je rappelle que les règles de compétence du règlement Bruxelles I et, par extension, celles de la convention de Lugano II doivent être interprétées de manière cohérente avec les règles de conflit de lois prévues par le règlement Rome I (42). Or, si ce règlement contient à, son article 8, des dispositions relatives aux « contrats individuels de travail », il prévoit également, à son article 1er, point 2, sous f), que « les questions relevant du droit des sociétés », concernant notamment le « fonctionnement interne » de celles-ci, en sont exclues.

56.      À cet égard, il est généralement admis que relèvent de cette catégorie les questions liées aux pouvoirs et fonctionnement des organes de la société, y compris des dirigeants sociaux, et à leur responsabilité à l’égard de celle-ci et des actionnaires ou associés en cas d’usage fautif de ces pouvoirs (43). Compte tenu de l’exclusion ainsi prévue par le règlement Rome I, la détermination de la loi applicable à ces questions relève des règles de conflit de lois de chaque État membre.

57.      Compte tenu de tout ce qui précède, je doute fort que le législateur de l’Union et les rédacteurs de la convention de Lugano II aient entendu étendre l’application de la section 5 au contentieux de la responsabilité civile des dirigeants sociaux. Les intérêts en jeu en la matière sont, du reste, bien différents de ceux entourant la responsabilité des travailleurs à l’égard de leurs employeurs. L’équilibre à trouver n’est pas le même, et les règles de droit international privé participent à cet équilibre (44).

58.      En d’autres termes, il n’est pas possible, aux fins des dispositions de la section 5, de retenir une interprétation de la notion de « subordination » identique à celle retenue par la Cour dans les arrêts Danosa (45) et Balkaya (46), sauf à créer une véritable confusion entre les règles du droit du travail et celles du droit des sociétés, pouvant se justifier dans le contexte de ces arrêts, mais qui serait particulièrement inopportune dans le cadre des règles de compétence prévues par la convention de Lugano II.

59.      L’interprétation proposée aux points 45 à 47 des présentes conclusions n’est pas davantage remise en cause par l’argument des défendeurs au principal selon lequel les règles de la section 5 ne différencient pas entre catégories de travailleurs. En effet, je ne suggère pas à la Cour d’opérer des distinctions, non prévues par les rédacteurs de la convention de Lugano II, entre travailleurs subordonnés. Je lui propose simplement de retenir une acception de la notion de « subordination », aux fins de l’application de cette section, qui tienne compte des spécificités du droit des sociétés et de la réalité des mandats sociaux.

60.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question qu’un dirigeant social qui a tout contrôle et toute autonomie sur la gestion quotidienne des affaires de la société qu’il représente et l’exécution de ses propres fonctions, n’est pas subordonné à cette société et, partant, n’a pas avec celle-ci de « contrat individuel de travail », au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II. La circonstance que les actionnaires de ladite société ont le pouvoir de révoquer ce dirigeant ne remet pas en cause cette interprétation.

C.      Sur le test permettant de déterminer si une demande est « en matière de » contrat individuel de travail (première et troisième questions)

61.      D’emblée, si la Cour devait juger, comme je le lui suggère, qu’il ne saurait y avoir de « contrats individuels de travail », au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, entre des dirigeants sociaux aussi omnipotents que l’étaient les défendeurs au principal et les sociétés pour lesquelles ils exercent leurs fonctions, il ne serait pas nécessaire de répondre aux première et troisième questions de la juridiction de renvoi. Je ne les examine donc qu’à titre subsidiaire.

62.      Cela étant précisé, je rappelle que, en l’occurrence, les demandes présentées par Arcadia contre les défendeurs au principal reposent, pour l’essentiel, sur le délit de collusion par usage de moyens illicites (unlawful means conspiracy) et sur le délit de violation des obligations fiduciaires de loyauté et de bonne foi (breach of fiduciary duty). Or, en droit anglais, ces fondements juridiques sont de nature délictuelle (tort).

63.      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi cherche, par ses première et troisième questions, à savoir si une demande, présentée entre parties à un « contrat individuels de travail » et reposant sur de tels fondements juridiques délictuels, peut relever de la section 5 et, le cas échéant, selon quels critères.

64.      Selon Arcadia, la section 5 ne s’applique pas à ses demandes puisqu’elles sont fondées non pas sur une obligation résultant des contrats de travail des défendeurs au principal (47), mais sur la violation de devoirs légaux existant indépendamment de ces contrats. En effet, ladite section serait, par nature, une subdivision de la catégorie « matière contractuelle », visée à l’article 5, point 1, de la convention de Lugano II. Or, une demande ayant de tels fondements juridiques relèverait de la « matière délictuelle », au sens de l’article 5, point 3, de cette convention, et serait donc exclue de cette même section.

65.      En revanche, les défendeurs au principal avancent que, aux fins de l’application de la section 5, le critère décisif serait de savoir si, indépendamment de la règle de droit matériel sur laquelle l’employeur fonde sa demande, le comportement reproché peut constituer un manquement aux obligations contractuelles résultant du contrat individuel de travail, dont il aurait pu se prévaloir (48). Or, tel est le cas en l’occurrence. À cet égard, il est constant qu’Arcadia aurait pu fonder ses demandes sur une violation des obligations contractuelles expresses ou implicites (breach of express and/or implied contractual duties) résultant des contrats de travail des intéressés (49). Ladite section s’appliquerait donc au litige au principal.

66.      Eu égard aux arguments des parties au principal, et afin de proposer une réponse exhaustive aux questions de la juridiction de renvoi, j’estime utile, d’abord, de revenir de manière générale sur la problématique des demandes délictuelles présentées entre cocontractants et d’analyser les solutions applicables en la matière dans le cadre de l’article 5, point 1, et de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I et de la convention de Lugano II (1). Puis, j’expliquerai les raisons pour lesquelles, à mes yeux, la section 5 appelle une solution différente (2).

1.      La problématique des demandes délictuelles présentées entre cocontractants

67.      Sur le plan théorique, dans le domaine de la responsabilité civile, la distinction entre ce qui relève de la matière contractuelle et ce qui appartient à la matière délictuelle dépend de la nature de l’obligation dont se prévaut le demandeur à l’encontre du défendeur. En somme, il s’agit de déterminer si cette obligation résulte de la violation d’un devoir dérivant immédiatement de la loi et opposable à tous (l’obligation est alors délictuelle), ou bien de l’effet d’un accord de volonté entre deux personnes (auquel cas, l’obligation est contractuelle) (50).

68.      Néanmoins, il arrive qu’un même comportement dommageable constitue, tout à la fois, un manquement à une obligation contractuelle et un manquement à un devoir légal opposable à tous. Il y a alors concours de responsabilités (ou concours d’obligations contractuelles et délictuelles).

69.      La fraude reprochée par le groupe Arcadia aux défendeurs au principal donne lieu à pareil concours de responsabilités. En effet, il existe en droit anglais un devoir général de ne pas conspirer aux fins de porter préjudice à autrui. Manquer à ce devoir constitue un délit civil (tort of conspiracy). Indépendamment, le fait pour un travailleur de nuire à son employeur constitue un manquement à son obligation contractuelle de loyauté. Le comportement dommageable génère donc potentiellement deux responsabilités distinctes.

70.      Face à un tel concours de responsabilités, certains systèmes nationaux, dont le droit anglais, laissent au requérant le choix de fonder sa demande à l’encontre de son cocontractant sur la responsabilité délictuelle et/ou sur la responsabilité contractuelle (51). En revanche, d’autres systèmes, dont le droit français, excluent en principe un tel choix, conformément à la règle dite du « non-cumul » : un requérant ne peut se prévaloir d’une obligation non contractuelle à l’encontre de son cocontractant lorsque les faits qu’il invoque constituent également un manquement contractuel.

71.      Le règlement Bruxelles I et la convention de Lugano II reprennent la dichotomie entre « matière contractuelle » (article 5, point 1) et « matière délictuelle » (article 5, point 3) et prévoient des règles de compétence différentes selon qu’une demande relève de l’une ou l’autre de ces catégories. La problématique du concours de responsabilité s’étend donc à ces instruments. Dans ce contexte, il s’agit de savoir si le choix d’un requérant de fonder sa demande à l’encontre de son cocontractant sur la responsabilité contractuelle et/ou sur la responsabilité délictuelle est déterminant pour la compétence juridictionnelle.

72.      La Cour s’est penchée une première fois sur la question dans son arrêt Kalfelis (52). L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait un particulier agissant contre sa banque afin d’obtenir réparation du préjudice qu’il avait subi dans le cadre d’opérations boursières, en se fondant cumulativement sur (1) la responsabilité contractuelle, (2) la responsabilité délictuelle et (3) l’enrichissement sans cause (quasi contractuel). Se posait notamment la question de savoir si le tribunal compétent en vertu de l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles pour se prononcer sur la responsabilité délictuelle l’était également s’agissant des fondements contractuel et quasi contractuel.

73.      À cet égard, la Cour a jugé que la notion de « matière délictuelle et quasi délictuelle » doit être définie de manière autonome comme comprenant « toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la “matière contractuelle” au sens de l’article 5, [point] 1 » de la convention de Bruxelles. Lu de manière isolée, ce passage tendrait à indiquer que le choix du demandeur de faire reposer sa demande contre son cocontractant sur la responsabilité délictuelle est sans pertinence aux fins de la compétence judiciaire : celle-ci tombera en toute hypothèse dans la catégorie « matière contractuelle ». Toutefois, la Cour a précisé « qu’un tribunal compétent, au titre de l’article 5, point 3, [de ladite convention] pour connaître de l’élément d’une demande reposant sur un fondement délictuel n’est pas compétent pour connaître des autres éléments de la même demande qui reposent sur des fondements non délictuels » (53).

74.      Malgré le caractère quelque peu ambigu de sa réponse, il semble que la Cour a considéré, dans cet arrêt, qu’il y a lieu de qualifier comme relevant de la « matière contractuelle » ou de la « matière délictuelle », chacun des fondements juridiques invoqués par le requérant, c’est‑à‑dire les différentes règles de droit matériel servant de cause à ses prétentions. La compétence juridictionnelle est, donc, susceptible de varier en fonction de la règle matérielle dont celui-ci se prévaut (54). Je précise qu’il ne s’agit pas de retenir, aux fins du règlement Bruxelles I ou de la convention de Lugano II, la qualification prévue en droit national. En réalité, pour la Cour, la règle invoquée renvoie à une obligation. C’est cette obligation qui, aux fins de ces instruments, doit être qualifiée, de manière autonome, de « contractuelle » – si elle est librement assumée entre les parties (55) – ou de « délictuelle ou quasi délictuelle » – si elle ne se rattache pas à la première catégorie. Lorsque, dans le cadre d’une même action, le requérant invoque des fondements juridiques distincts, il se prévaut d’obligations différentes – contractuelle, délictuelle, etc. – susceptibles de relever de la compétence d’autant de juges (56).

75.      La Cour s’est à nouveau penchée sur cette problématique dans l’arrêt Brogsitter (57). Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, un particulier demandait réparation à ses cocontractants au titre notamment de la responsabilité délictuelle, sur le fondement des règles de droit allemand contre la concurrence déloyale. Dans ce cadre, il leur reprochait, en particulier, d’avoir méconnu une obligation d’exclusivité résultant de leur contrat. La Cour avait alors été interrogée sur le point de savoir quelle qualification, au sens du règlement Bruxelles I, il convenait de donner à ces demandes.

76.      Prenant comme point de départ le dictum de l’arrêt Kalfelis (58)selon lequel la « matière délictuelle » comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la « matière contractuelle », la Cour a considéré qu’afin de faire rentrer les demandes en cause dans l’une ou l’autre de ces catégories, il y avait lieu de vérifier « si celles-ci revêtent, indépendamment de leur qualification en droit national, une nature contractuelle » (59).

77.      Selon la Cour, il en allait ainsi « si le comportement reproché peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu’elles peuvent être déterminées compte tenu de l’objet du contrat » (60) et que « [t]el sera a priori le cas si l’interprétation du contrat [...] apparaît indispensable pour établir le caractère licite ou, au contraire, illicite du comportement reproché [...] » (61). Dès lors, il appartenait au juge national de « déterminer si les actions intentées [...] ont pour objet une demande de réparation dont la cause (62) peut être raisonnablement regardée comme une violation des droits et des obligations du contrat [...], ce qui en rendrait indispensable la prise en compte pour trancher le recours » (63).

78.      L’arrêt Brogsitter (64) marque, à mes yeux, un infléchissement de l’approche retenue dans l’arrêt Kalfelis (65). En effet, la Cour semble avoir changé de perspective dans l’exercice de qualification aux fins des règles de compétence prévues à l’article 5, point 1, et à l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I et de la convention de Lugano II. Elle s’est écartée d’une qualification prenant comme point de départ le fondement juridique matériel dont se prévaut le requérant pour retenir une qualification fondée sur les faits soutenant la demande. La manière dont celui-ci formule cette demande semble dénuée de pertinence dans une telle analyse.

79.      La portée exacte de l’arrêt Brogsitter (66) est cependant incertaine. À cet égard, Arcadia fait valoir que le « test Brogsitter » réside dans le point 25 de cet arrêt : une demande est « en matière contractuelle » lorsqu’il apparaît indispensable d’interpréter le contrat pour établir le caractère licite ou, au contraire, illicite du comportement reproché sur le terrain délictuel. Je partage cette analyse. À mon sens, la Cour entendait qualifier de « contractuelles » les demandes en responsabilité délictuelle dont le bien-fondé dépend du contenu des obligations contractuelles liant les parties au litige (67).

80.      En revanche, les défendeurs au principal sont d’avis que le « test Brogsitter » figure aux points 24 et 29 dudit arrêt : une demande est « en matière contractuelle » dès lors que le comportement reproché peut être considéré – c’est-à-dire est susceptible de constituer – un manquement aux obligations contractuelles, que le requérant s’en prévale ou non. À ce titre, il s’agirait non pas de savoir s’il apparaît indispensable d’établir le contenu des obligations contractuelles pour statuer sur la légalité du comportement reproché sur le terrain délictuel, mais s’il existe une potentielle correspondance entre ce comportement et le contenu de ces obligations. Dès lors que, au regard des faits, ledit comportement est susceptible de constituer tout à la fois une faute délictuelle et un manquement contractuel, et que le requérant pourrait ainsi se prévaloir de l’une et/ou de l’autre, la qualification contractuelle l’emporte aux fins de la compétence juridictionnelle.

81.      Or, la Cour semble, dans certains arrêts récents, avoir compris l’arrêt Brogsitter (68) de la même manière que les défendeurs au principal. En particulier, dans l’arrêt Holterman, qui concernait également, je le rappelle, une situation dans laquelle des fondements juridiques différents étaient invoqués au soutien d’une même demande en réparation, la Cour a jugé qu’afin de savoir si une telle demande était « en matière contractuelle » ou « en matière délictuelle », il y a uniquement lieu de vérifier si le comportement reproché peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles (69). Néanmoins, la Cour s’est contentée de réaffirmer ce critère sans véritablement l’appliquer (ou l’expliquer), de sorte qu’il est difficile d’être certain du sens que la Cour entendait lui donner.

82.      Il résulte de tout ce qui précède, à mes yeux, que la jurisprudence de la Cour est pour le moins ambiguë s’agissant de la manière dont l’article 5, point 1, et l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I et de la convention de Lugano II doivent être appliqués en cas de concours de responsabilités. Il serait utile que la Cour clarifie sa position à cet égard.

83.      Selon moi, aux fins de l’articulation entre l’article 5, point 1 et l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I et de la convention de Lugano II, compte tenu des objectifs de sécurité juridique, de prévisibilité et de bonne administration de la justice inhérents à ces instruments, il est préférable de retenir la logique résultant de l’arrêt Kalfelis (70) et de qualifier une demande de « contractuelle » ou de « délictuelle » au regard du fondement juridique matériel invoqué par le requérant. A minima, la Cour devrait se tenir à la lecture stricte de l’arrêt Brogsitter (71) figurant au point 79 des présentes conclusions. En d’autres termes, si une demande, présentée entre cocontractants, se fonde non pas sur une obligation résultant du contrat, mais sur les règles de la responsabilité civile délictuelle, et qu’il n’apparaît pas indispensable d’établir le contenu des obligations contractuelles pour statuer sur la légalité du comportement reproché, celle-ci devrait relever de l’article 5, point 3, desdits instruments (72).

84.      Certes, j’admets que faire dépendre la compétence juridictionnelle du fondement juridique matériel invoqué par le requérant autorise un degré de forum shopping, celui-ci pouvant, dans une certaine mesure, choisir son juge en visant les règles adéquates. Par ailleurs, un même comportement dommageable, appréhendé par le requérant sous l’angle de fondements juridiques différents, pourrait théoriquement relever de la compétence de juges distincts, entraînant ainsi un risque d’éclatement du litige. Dans ce contexte, une solution telle que celle proposée par les défendeurs au principal exclut un tel forum shopping et présente l’avantage de permettre une concentration des litiges nés à l’occasion d’une relation contractuelle devant le for contractuel.

85.      Il convient toutefois de relativiser les problèmes soulignés ci-avant. En effet, les rédacteurs de la convention de Lugano II et du règlement Bruxelles I ont eux-mêmes permis un certain forum shopping, en offrant au requérant des options de compétence. En cas de concours de responsabilités, les fors contractuel et délictuel présentent tous deux un lien étroit avec le litige, et ces instruments ne prévoient pas de hiérarchie entre les fors en question. Quant au risque d’éclatement du litige, ainsi que la Cour l’a elle-même relevé dans l’arrêt Kalfelis (73), le demandeur pourrait toujours introduire sa demande devant les juridictions du domicile du défendeur, conformément à l’article 2 desdits instruments, qui seront alors compétentes pour se prononcer sur l’intégralité de celle-ci.

86.      Je reconnais également qu’un aspect pratique pèse dans la balance. En effet, tandis que certains droits, dont le droit anglais, imposent aux demandeurs des règles de strict pleading, ceux-ci devant indiquer dans leur requête non seulement les faits et l’objet de leur demande, mais également les fondements juridiques sur lesquels ils s’appuient, d’autres ordres juridiques, dont le droit français, n’astreignent pas les demandeurs à une telle exigence. Néanmoins, ici encore, un certain relativisme est de mise. Le fait qu’un requérant ne soit pas tenu d’indiquer le fondement juridique dont il se prévaut ne signifie pas qu’il faille ne pas en tenir compte lorsqu’il a pris le soin de le faire.

87.      Mais, au-delà de ces considérations, ma position est essentiellement motivée par un impératif de simplicité des règles de compétence. Je rappelle que l’objectif de sécurité juridique exige que le juge national saisi puisse aisément se prononcer sur sa propre compétence, sans être contraint de procéder à un examen de l’affaire au fond (74).

88.      À cet égard, faire dépendre la compétence du fondement juridique matériel (ou de l’obligation) invoqué(e) par le demandeur offre au juge saisi une logique simple : comme je l’ai indiqué, c’est cette obligation qu’il devra qualifier de « contractuelle » ou de « délictuelle », au sens du règlement Bruxelles I ou de la convention de Lugano II. À l’inverse, exiger du juge qu’il qualifie la demande au regard des faits – existe-t-il un manquement contractuel dont le requérant aurait pu se prévaloir ? – complexifie considérablement sa mission. Comme le fait valoir Arcadia, cela revient à l’obliger à émettre des hypothèses sur la manière dont une affaire aurait pu être plaidée. Vérifier, au stade de la compétence, dans les faits, une éventuelle correspondance entre le comportement reproché et le contenu des obligations contractuelles n’est pas toujours une mince affaire. Dans bon nombre de cas, il serait particulièrement contraignant pour le juge de déterminer ou même d’imaginer, dès ce stade, le contenu de ces obligations : cela réclamerait d’établir la loi applicable, qui déterminera non seulement la méthode d’interprétation du contrat – essentielle pour en révéler la teneur – mais également toutes les suites (implied terms) qu’impose cette loi à un contrat de ce type. La prévisibilité des règles de compétence risquerait de pâtir de cette difficulté.

89.      Par ailleurs, je rappelle que, en principe, le juge saisi doit pouvoir déterminer sa compétence sur la base des seules allégations du demandeur (75). À l’inverse, obliger le juge à retenir une appréciation globale des faits impliquerait que, en pratique, le défendeur pourrait déjouer la règle de compétence en « matière délictuelle  de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I et de la convention de Lugano II, simplement en invoquant l’existence d’un contrat entre les parties et la possible concordance entre le comportement reproché et les obligations qu’il contient (76).

90.      Enfin, je rappelle encore qu’en « matière contractuelle », dans le cadre de l’article 5, point 1, du règlement Bruxelles I et de la convention de Lugano II, et hors cas des contrats spécifiques visés sous b) dudit point, la compétence est donnée au tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. Or, je m’interroge sur la mise en œuvre de cette règle si la demande du requérant ne se fondait précisément pas sur une obligation contractuelle particulière, mais que cette demande devait tout de même être qualifiée de « contractuelle » au regard des faits.

2.      Transposition de cette problématique à la section 5

91.      Cela étant, ainsi que je l’ai précédemment indiqué, la problématique des demandes délictuelles présentées entre cocontractants appelle, à mes yeux, une réponse différente s’agissant de l’application de la section 5.

92.      À cet égard, compte tenu notamment de l’existence d’une divergence linguistique entre les versions allemande, anglaise et française de l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II et du règlement Bruxelles I (77), il y a lieu de s’attacher avant tout à la systématique de ces instruments et à la finalité protectrice poursuivie par la section 5 (78).

93.      Or, le caractère autonome et impératif de cette section au sein desdits instruments ainsi que cette même finalité protectrice imposent, selon moi, que ladite section ne puisse être contournée par l’employeur simplement en formulant sa demande sur le terrain délictuel (79). Dans ce cadre, l’employeur ne saurait avoir de choix. À défaut, cette même section perdrait tout effet utile (80). Ces éléments font, en la matière, pencher la balance en faveur d’une qualification reposant non pas sur les fondements juridiques matériels invoqués par le requérant, mais sur les faits du litige.

94.      En conséquence, je suis d’avis qu’une demande est « en matière de contrat individuel de travail », pour les besoins de la section 5, dès lors qu’il existe, au regard des faits, un certain lien matériel entre cette demande et un tel « contrat ». Tel est le cas si la demande se rapporte à un différend né à l’occasion de la relation de travail, que le requérant fonde sa demande sur ledit « contrat » ou non, et peu importe qu’il apparaisse ou non indispensable d’établir le contenu des obligations contractuelles pour statuer sur le bienfondé de celle-ci. Cette condition doit être appréciée de manière largeEn d’autres termes, pour autant que cette condition soit remplie, même une prétention reposant sur les règles de la responsabilité civile délictuelle (tel que le conspiracy claim d’Arcadia), qui tomberait en principe dans le champ d’application de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I ou de la convention de Lugano II, relève de la section 5 (81).

95.      Concernant plus précisément la problématique sous-tendant les questions de la juridiction de renvoi, à savoir celle d’une demande en réparation portée par l’employeur contre le travailleur, je suis d’avis que cette demande relève de la section 5 si, comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt Holterman, le premier se prévaut de fautes prétendument commises par le second dans l’exercice de ses fonctions (82).

96.      Je ne peux cependant m’arrêter là. En effet, s’il est des situations où la faute alléguée s’inscrit clairement dans l’accomplissement même des fonctions assignées au travailleur et, à l’inverse, des cas où cette faute est dépourvue de tout lien avec ces fonctions (83), il existe également de nombreuses « zones grises ». Tel est le cas lorsque le travailleur, en commettant la faute litigieuse, n’agissait pas en vue de remplir ses fonctions, mais que cette faute peut néanmoins leur être rattachée par un lien de temps, de lieu ou encore de moyens (84). Faut-il donc affiner le test proposé au point précédent ?

97.      Je ne le pense pas. À mon sens, si des affinements sont possibles en droit matériel, en tant que conditions d’engagement de la responsabilité du travailleur, il serait inopportun de complexifier l’analyse aux fins de la compétence juridictionnelle. Il convient de rappeler que, en la matière, le juge saisi doit pouvoir aisément statuer sans rentrer dans une analyse poussée des faits.

98.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère de n’exclure du champ de la section 5 que les demandes de l’employeur à l’encontre du travailleur portant sur un comportement dommageable ne se rattachant par aucune circonstance objective – de lieu, de temps, de moyens ou de finalité – aux fonctions exercées par ce dernier (85).

99.      Cette interprétation n’est pas remise en cause par l’argument d’Arcadia selon lequel, conformément à la jurisprudence de la Cour, les règles de compétence spéciale sont d’interprétation stricte et ne sauraient recevoir une interprétation allant au-delà des hypothèses qu’elles envisagent (86).

100. En effet, selon moi, cette jurisprudence implique simplement qu’il n’est pas possible de s’affranchir des termes clairs de ces règles spéciales, quand bien même cela irait dans le sens de l’objectif qu’elles poursuivent.

101. Or, l’interprétation que je suggère ne s’affranchit aucunement des termes de l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, dont l’importance doit, du reste, être relativisée sur ce point, compte tenu de la divergence linguistique indiquée précédemment. Dans une situation dans laquelle un travailleur cause un dommage à son employeur, la relation de travail est, en règle générale, un élément de contexte déterminant. Cette relation aura placé le travailleur au lieu où la faute a été commise – par exemple, les locaux de l’employeur – ou lui aura donné les moyens de la commettre – tel que l’accès à certaines informations confidentielles de ce dernier. En somme, hors les cas où toute forme de rattachement aux fonctions du travailleur est exclue, il existe, entre une demande en réparation de l’employeur et les obligations résultant du « contrat individuel de travail », un lien matériel suffisant pour justifier que cette demande se rapporte auxdits « contrat », comme l’exigent les termes de cette disposition.

102. Cette même interprétation n’est pas non plus remise en cause par l’argument d’Arcadia selon lequel seule une demande étant par nature « en matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, de la convention de Lugano II et du règlement Bruxelles I peut être « en matière de contrats individuels de travail », aux fins des dispositions de la section 5. Certes, un « contrat individuel de travail » est une catégorie de contrat relevant de ladite « matière contractuelle ». Dans cette mesure, cette section est une lex specialis par rapport audit article 5, point 1. Toutefois, ce constat n’empêche pas d’apprécier le lien entre une demande et le « contrat » d’une manière plus généreuse dans le cadre de ladite section, dès lors que cela est nécessaire pour assurer l’impérativité de cette même section.

103. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux première et troisième questions qu’une demande présentée par l’employeur à l’encontre du travailleur est « en matière de » contrat individuel de travail, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, dès lors qu’elle se rapporte à un différend né à l’occasion de la relation de travail, indépendamment des fondements juridiques matériels invoqués par l’employeur dans sa requête. En particulier, une demande en réparation intentée par l’employeur à l’encontre du travailleur relève de la section 5 dès lors que le comportement reproché se rattache, dans les faits, aux fonctions exercées par le travailleur.

D.      Sur la notion d’« employeur », en particulier au sein d’un groupe de sociétés (quatrième question)

104. Les défendeurs au principal ont été attraits devant les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles, je le rappelle, par Arcadia London, Arcadia Singapore et Arcadia Switzerland ainsi que par l’actionnaire unique du groupe, Farahead. Or, les intéressés n’ont eu de contrat de travail, au sens du droit matériel, qu’avec une société Arcadia, dont l’identité a varié au cours du temps. Dès lors, par sa quatrième question, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur le point de savoir si les demandes portées à l’encontre d’un travailleur, par une personne qui n’est pas son employeur, au sens du droit matériel – comme l’étaient, en l’occurrence, les sociétés du groupe autres que la société-employeur –, peuvent relever de la section 5 et, si oui, dans quelles conditions.

105. Bien entendu, ici encore, il ne serait pas nécessaire de répondre à cette question si la Cour devait considérer, comme je le lui suggère, que les défendeurs au principal n’avaient de « contrats individuels de travail », au sens des dispositions de la section 5, avec aucune des sociétés Arcadia. Je réponds donc à cette question également à titre subsidiaire, et en partant de l’hypothèse selon laquelle les intéressés sont des « travailleurs », au sens de ces dispositions.

106. Cela étant précisé, une demande ne relève de la section 5, conformément à ses dispositions, que si elle est portée par l’une des parties au « contrat individuel de travail » – travailleur ou employeur – à l’encontre de l’autre partie. Dans ce cadre, l’employeur est, typiquement, la personne physique ou morale pour laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles elle verse une rémunération.

107. En revanche, une demande portée par un tiers audit « contrat » à l’encontre du travailleur ou de l’employeur, ou une demande portée par l’une de ces parties à l’encontre d’un tel tiers, ne relève pas de cette section. Deux nuances s’imposent néanmoins, en particulier dans le cas d’un groupe de sociétés.

108. D’une part, ainsi que je l’ai indiqué dans le cadre de l’analyse de la deuxième question, la qualification autonome de « contrat individuel de travail » et, à cet égard, le test du lien de subordination permettent de considérer qu’une société avec laquelle le travailleur n’a pas conclu de contrat, au sens du droit matériel, a tout de même un tel « contrat » avec lui. Au sein d’un groupe de sociétés, l’« employeur » d’un travailleur, ayant formellement un contrat de travail avec une société A, peut donc être une société B, voire ces deux sociétés, selon qui exerce le pouvoir effectif de direction (87).

109. D’autre part, si, en accord avec ce test, un travailleur a un « contrat individuel de travail » uniquement avec la société A, mais est attrait en justice par la société B, l’objectif de protection poursuivi par la section 5 justifie de retenir une approche tenant à la réalité du litige : si la demande de la société B concerne un comportement commis par le travailleur à l’occasion de l’exécution de son « contrat » à l’égard de la société A, alors la société B devrait également être regardée comme étant l’« employeur », au sens de l’article 20, paragraphe 1, de la convention de Lugano II. Des sociétés d’un même groupe devraient être tenues aux mêmes restrictions en termes de compétence juridictionnelle(88). À défaut, je crains que cela ne laisse, ici encore, une certaine faculté de contournement de la section 5 à la disposition des employeurs internationaux. Dès lors qu’il existe un lien organique et économique entre ces deux sociétés et que la seconde a un intérêt à la bonne exécution du contrat, cela ne contreviendrait pas à l’objectif de sécurité juridique (89). Cela permettrait, du reste, de manière opportune, d’éviter la multiplicité des fors compétents pour une même relation de travail et participerait ainsi à la bonne administration de la justice.

110. Compte tenu de ce qui précède, je suggère à la Cour de répondre à la quatrième question que lorsque, au sein d’un groupe de sociétés, un travailleur a un contrat de travail, au sens du droit matériel, avec une société donnée, mais qu’il est attrait par une autre société, cette seconde société peut être considérée comme l’« employeur » du travailleur, aux fins des dispositions de la section 5, si :

–        le travailleur accomplit ses fonctions, dans les faits, en faveur et sous la direction de la seconde société, ou

–        la seconde société attrait le travailleur pour un comportement commis à l’occasion de l’exécution de son contrat avec la première société.

V.      Conclusion

111. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) :

1)      L’article 18, paragraphe 1, de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté par la décision 2009/430/CE du Conseil du 27 novembre 2008 (« convention de Lugano II »), doit être interprété en ce sens qu’un dirigeant social qui a tout contrôle et toute autonomie sur la gestion quotidienne des affaires de la société qu’il représente et l’exécution de ses propres fonctions, n’est pas subordonné à cette société et, partant, n’a pas avec celle-ci de « contrat individuel de travail », au sens de cette disposition. La circonstance que les actionnaires de ladite société ont le pouvoir de révoquer ce dirigeant ne remet pas en cause cette interprétation.

2)      Une demande présentée par l’employeur à l’encontre du travailleur est « en matière de » contrat individuel de travail, au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la convention de Lugano II dès lors qu’elle se rapporte à un différend né à l’occasion de la relation de travail, indépendamment des fondements juridiques matériels invoqués par l’employeur dans sa requête. En particulier, une demande en réparation intentée par l’employeur à l’encontre du travailleur relève du titre II, section 5, de cette convention dès lors que le comportement reproché se rattache, dans les faits, aux fonctions exercées par le travailleur.

3)      Lorsque, au sein d’un groupe de sociétés, un travailleur a un contrat de travail, au sens du droit matériel, avec une société donnée, mais qu’il est attrait par une autre société, cette seconde société peut être considérée comme l’« employeur » du travailleur, aux fins des dispositions du titre II, section 5, de la convention de Lugano II, si :

–        le travailleur accomplit ses fonctions, dans les faits, en faveur et sous la direction de la seconde société, ou

–        la seconde société attrait le travailleur pour un comportement commis à l’occasion de l’exécution de son contrat avec la première société.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2007, L 339, p. 1. Convention dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1).


3      Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I »). Ce règlement a remplacé la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la « convention de Bruxelles »). Il a récemment été lui-même remplacé par le règlement (UE) nº 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).


4      Il convient, en outre, pour l’interprétation de ladite convention, de tenir compte des décisions nationales concernant ces instruments. Voir article 1er du protocole nº 2 sur l’interprétation uniforme de la [convention de Lugano II] et sur le comité permanent (JO 2007, L 339, p. 27) et arrêts du 2 avril 2009, Gambazzi (C‑394/07, EU:C:2009:219, point 36), ainsi que du 20 décembre 2017, Schlömp (C‑467/16, EU:C:2017:993, points 46 à 51).


5      Cette disposition prévoit qu’une personne peut être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, « devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ».


6      Voir arrêts du 22 mai 2008, Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline (C‑462/06, EU:C:2008:299, points 19 et 20), du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, point 51), ainsi que du 21 juin 2018, Petronas Lubricants Italy (C‑1/17, EU:C:2018:478, point 25).


7      Les règles de compétence prévues par la convention de Lugano II et le règlement Bruxelles I poursuivent, de manière générale, l’objectif d’assurer la sécurité juridique. Elles doivent, à ce titre, présenter un haut degré de prévisibilité : le demandeur doit pouvoir déterminer facilement les juridictions devant lesquelles il peut intenter son action, et le défendeur raisonnablement prévoir celles devant lesquelles il peut être attrait. En outre, ces règles visent à assurer une bonne administration de la justice. Voir arrêts du 19 février 2002, Besix (C‑256/00, EU:C:2002:99, point 26), et du 10 avril 2003, Pugliese (C‑437/00, EU:C:2003:219, point 16).


8      Voir considérant 13 du règlement Bruxelles I ainsi qu’arrêts du 19 juillet 2012, Mahamdia (C‑154/11, EU:C:2012:491, point 44), et du 21 juin 2018, Petronas Lubricants Italy (C‑1/17, EU:C:2018:478, point 23).


9      Ce second volet est abordé par la juridiction de renvoi dans le cadre de sa quatrième question. Néanmoins, j’estime utile de l’examiner dès à présent.


10      Voir notamment arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 19 ainsi que jurisprudence citée).


11      Voir Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)], 19 août 2016, Peter Miles Bosworth and Colin Hurley v Arcadia Petroleum Ltd e.a., [2016] EWCA Civ 818, points 90 et 91.


12      Un dirigeant de fait est une personne qui, sans avoir été formellement nommée dirigeant social, exerce effectivement de telles fonctions.


13      M. Bosworth a été nommé administrateur d’Arcadia Singapore pour une certaine période, et M. Hurley a pour sa part été nommé administrateur d’Arcadia London, puis d’Arcadia Singapore. Indépendamment de ces nominations, les intéressés exerçaient, dans les faits, ces fonctions pour toutes les sociétés Arcadia concernées, pendant toute la période que couvrent les faits du litige au principal.


14      Il ne ressort pas clairement de la décision de renvoi si cette qualification est effectuée au titre de la lex causæ ou de la lex fori.


15      Voir arrêt du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, ci-après l’« arrêt Holterman », EU:C:2015:574, points 35 à 37).


16      Voir arrêt Holterman, points 39 à 45 et 49. La Cour s’est également référée, dans les deux premiers points, au fait que travailleur et employeur sont liés par un lien durable qui insère le premier dans le cadre d’une certaine organisation des affaires du second. Néanmoins, le fait que la Cour n’a pas repris cet élément dans sa réponse au point 49 de cet arrêt et dans son dispositif indique, selon moi, qu’elle ne le considère pas comme une condition de la qualification de « contrat individuel de travail », au sens de la section 5, mais comme une simple description de ce type de contrat.


17      Voir, par analogie, Rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, par Mario Giuliano, professeur à l’université de Milan, et Paul Lagarde, professeur à l’université de Paris I (JO 1980, C 282, p. 1), spéc. p. 25. Voir aussi Baker Chiss, C., « Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Compétence – Règles de compétences spéciales – Règles de compétence protectrices des parties faibles – Contrat de travail – Articles 20 à 23 du règlement (UE) nº 1215 /2012 », JurisClasseur Droit international, fasc. 584-155, 15 septembre 2014, § 29 à 38 et 46 ; Merrett, L., Employment Contracts in Private International Law, Oxford University Press, 2011, p. 62-77, et Grušić, U., The European Private International Law of Employment, Cambridge University Press, 2015, p. 78-83.


18      JO 1980, L 266, p. 1.


19      Voir Grušić, U., op. cit., p. 61-62.


20      Une telle interprétation est, du reste, essentielle pour remplir l’objectif de protection poursuivi par la section 5. L’interprétation de la notion de « contrat individuel de travail », au sens de cette section, doit être suffisamment large pour couvrir l’ensemble des travailleurs ayant un besoin de protection, dont ceux dans une relation de travail « atypique », sans véritable contrat, mais tout aussi dépendants de leur employeur.


21      Arcadia a d’ailleurs fait valoir devant les juridictions nationales que le choix des défendeurs au principal d’être formellement employés par Arcadia London ou Arcadia Singapore, mais pas par Arcadia Switzerland, s’explique simplement par le fait qu’ils étaient taxés en Suisse selon un régime fiscal interdisant tout travail rémunéré dans cet État. Voir Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)](Cour d’appel), 19 août 2016, Peter Miles Bosworth and Colin Hurley v Arcadia Petroleum Ltd e.a., [2016] EWCA Civ 818, point 71.


22      Tel était bien le cas en l’occurrence. Le fait que la rémunération des défendeurs au principal a été versée uniquement par certaines sociétés du groupe Arcadia est, à mon sens, dénué de pertinence. La forme que prend la rémunération et la manière dont son versement est organisé n’importe pas. Voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins (C‑9/12, EU:C:2013:860, points 39 et 40).


23      Voir arrêt Holterman, points 53 et 54. Voir également, sur la notion de « matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, du règlement Bruxelles I, arrêts du 17 juin 1992, Handte (C‑26/91, EU:C:1992:268, point 15), et du 17 septembre 2002, Tacconi (C‑334/00, EU:C:2002:499, point 23). .


24      Voir arrêt Holterman, points 46 et 47.


25      Voir arrêts du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum (66/85, EU:C:1986:284, point 18), du 13 janvier 2004, Allonby (C‑256/01, EU:C:2004:18, point 72), du 4 décembre 2014, FNV Kunsten Informatie en Media (C‑413/13, EU:C:2014:2411, points 36 et 37), ainsi que du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a. (C‑147/17, EU:C:2018:926, point 45).


26      Voir, par analogie, arrêt du 11 novembre 2010, Danosa (C‑232/09, EU:C:2010:674, point 47), et, en ce sens, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:309, point 32).


27      Arrêt du 11 novembre 2010 (C‑232/09, EU:C:2010:674).


28      Arrêt du 9 juillet 2015 (C‑229/14, EU:C:2015:455).


29      Directive du Conseil du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) (JO 1992, L 348, p. 1).


30      Arrêt du 11 novembre 2010, Danosa (C‑232/09, EU:C:2010:674, points 48 à 51).


31      Arrêt du 9 juillet 2015 (C‑229/14, EU:C:2015:455, points 37 à 41).


32      Directive du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO 1998, L 225, p. 16).


33      Voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch (C‑533/07, EU:C:2009:257, points 33 à 40), ainsi que mes conclusions dans les affaires jointes Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:312, point 112).


34      Voir conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:309, point 25).


35      Voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2013, Schneider (C‑386/12, EU:C:2013:633, point 18), du 19 décembre 2013, Corman-Collins (C‑9/12, EU:C:2013:860, point 28), et du 14 juillet 2016, Granarolo (C‑196/15, EU:C:2016:559, point 23).


36      Arrêt du 11 novembre 2010 (C‑232/09, EU:C:2010:674).


37      Arrêt du 11 novembre 2010 (C‑232/09, EU:C:2010:674).


38      Arrêt du 9 juillet 2015 (C‑229/14, EU:C:2015:455).


39      Voir conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:309, note en bas de page 28). Voir le Companies Act 2006, partie 10, chapitre 5, § 227, intitulé « Director’s service contracts ». En revanche, dans d’autres États membres, et notamment en France, le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail n’est possible que si le dirigeant exerce des fonctions techniques distinctes de celles inhérentes à un tel mandat. Le cas échéant, l’intéressé a alors deux statuts indépendants : les fonctions de dirigeant sont soumises aux règles du droit des sociétés, tandis que les fonctions de travailleur sont soumises aux règles protectrices du droit du travail, et le dirigeant reçoit deux rémunérations différentes. Voir Bavozet, F., « dirigeants salariés et assimilés. - Affiliation au régime des salariés. - Conditions de cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social », JurisClasseur, fasc. S-7510, 7 février 2018.


40      Voir, à titre d’exemple, article L. 223-22 du code de commerce français, articles 236 et suivants de la Ley de Sociedades de Capital (loi espagnole sur les sociétés de capitaux), du 2 juillet 2010 (BOE nº 161, du 3 juillet 2010, p. 58472), et articles 361 et 363 à 365 de la Selskabsloven (loi danoise sur les sociétés). Ces règles ont été très partiellement harmonisées par les articles 106 et 152 de la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L 169, p. 46). Voir aussi article 51 du règlement (CE) nº 2157/2001 du Conseil, du 8 octobre 2001, relatif au statut de la société européenne (SE) (JO 2001, L 294, p. 1).


41      Voir, à titre exemplatif, article L. 223-22 du code de commerce français et article 237 de la loi espagnole sur les sociétés de capitaux.


42      Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6). Voir considérant 7 dudit règlement ainsi qu’arrêt du 21 janvier 2016, ERGO Insurance et Gjensidige Baltic (C‑359/14 et C‑475/14, EU:C:2016:40, points 43 à 45).


43      Il est également généralement admis que ces questions relèvent de la lex societatis. Voir rapport Giuliano-Lagarde, précité, p. 12 ; Cour de cassation, 1re chambre civile (France), 1er juillet 1997, no 95-15.262, M. X c. Société Africatours ; Cohen, D., « La responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit international privé », Revue critique de droit international privé, 2003, p. 585, et Menjucq, M., Droit international et européen des sociétés, LGDJ, Paris, 2011 (3e éd.), p. 116-117.


44      Il s’agit d’opérer une délicate mise en balance entre, d’une part, l’objectif de protéger les intérêts des associés et d’assurer la confiance nécessaire au bon fonctionnement de toute entreprise, en garantissant, sous peine d’une responsabilité-sanction, que les dirigeants se montrent raisonnables et, d’autre part, le besoin de ne pas paralyser la direction des sociétés par une responsabilité systématique et excessive, un tel exercice de direction nécessitant une prise de risques. Voir Guyon, Y., « Responsabilité civile des dirigeants », JurisClasseur Sociétés Traité, § 1 et doctrine citée.


45      Arrêt du 11 novembre 2010 (C‑232/09, EU:C:2010:674).


46      Arrêt du 9 juillet 2015 (C‑229/14, EU:C:2015:455).


47      Critère visé, en substance, dans les première et troisième questions préjudicielles, sous b).


48      Critère visé, en substance, dans les première et troisième questions préjudicielles, sous a).


49      Ce que le groupe avait d’ailleurs fait dans sa requête initiale, avant de se raviser après que les défendeurs ont soulevé l’application de la section 5.


50      Étant entendu que toutes les obligations trouvent leur source première dans la loi, dès lors qu’aucune n’existerait si la loi ne le permettait pas (par l’imposition de règles imposant l’effet obligatoire des conventions et leurs validités, etc.).


51      Dans le droit matériel des États membres, les responsabilités contractuelles et délictuelles sont susceptibles d’être soumises à des régimes différents en termes de charge de la preuve, d’étendue de la réparation disponible, de prescription, etc. Il peut donc être dans l’intérêt d’un demandeur de choisir l’une ou l’autre voie.


52      Arrêt du 27 septembre 1988 (189/87, EU:C:1988:459).


53      Arrêt du 27 septembre 1988, Kalfelis (189/87, EU:C:1988:459, points 16 à 19).


54      La Cour a d’ailleurs confirmé cette approche par la suite. Voir, notamment, arrêt du 16 mai 2013, Melzer (C‑228/11, EU:C:2013:305, point 21). Voir également Zogg, S., « Accumulation of Contractual and Tortious Causes of Action Under the Judgments Regulation », Journal of Private International Law, 9:1, p. 39- 76, spec. p. 42 et 43.


55      Arrêt du 17 juin 1992, Handte (C‑26/91, EU:C:1992:268, point 15).


56      Conformément à cette approche, dans la présente affaire, les différents claims d’Arcadia à l’encontre des défendeurs au principal reposent sur autant de causes – breach of fiduciary duty, conspiracy, etc. – devant être qualifiées séparément. À cet égard, le délit de conspiracy renvoie, comme je l’ai indiqué, à la violation d’un devoir légal opposable à tous et relève donc de la « matière délictuelle ». En revanche, le délit de breach of fiduciary duty est une cause relevant de la « matière contractuelle ». En effet, les obligations fiduciaires en question étaient librement assumées par les défendeurs au principal à l’égard d’Arcadia (voir le point 39 des présentes conclusions).


57      Arrêt du 13 mars 2014 (C‑548/12, EU:C:2014:148).


58      Arrêt du 27 septembre 1988 (189/87, EU:C:1988:459, point 17).


59      Arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148, points 20 et 21) (souligné par mes soins).


60      Arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148, point 24). Ce point est en substance repris dans la réponse au point 29 de l’arrêt et dans son dispositif.


61      Arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148, point 25).


62      La Cour semble ici avoir retenu une acception de la notion de « cause » renvoyant non pas à la règle de droit matériel invoquée par le demandeur au soutien de sa prétention (sens dans lequel cette notion est utilisée au point 74 des présentes conclusions), mais aux faits mentionnés dans la demande.


63      Arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148, point 26).


64      Arrêt du 13 mars 2014 (C‑548/12, EU:C:2014:148).


65      Arrêt du 27 septembre 1988 (189/87, EU:C:1988:459).


66      Arrêt du 13 mars 2014 (C‑548/12, EU:C:2014:148).


67      Voir, pour une compréhension similaire, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:309, point 48), ainsi que conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Granarolo (C‑196/15, EU:C:2015:851, points 14 et 18). L’avocat général Cruz Villalón avait ainsi proposé, dans ces conclusions, de transposer ce test à la section 5.


68      Arrêt du 13 mars 2014 (C‑548/12, EU:C:2014:148).


69      Arrêt Holterman, points 32 et 71, faisant référence aux points 24 à 27 de l’arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148). Si la Cour a visé ces quatre points, elle ne s’est finalement attachée qu’au premier d’entre eux. Voir aussi arrêt du 14 juillet 2016, Granarolo (C‑196/15, EU:C:2016:559, point 21).


70      Arrêt du 27 septembre 1988 (189/87, EU:C:1988:459, point 20).


71      Arrêt du 13 mars 2014 (C‑548/12, EU:C:2014:148).


72      Selon cette approche, les demandes d’Arcadia, dans la mesure où elles se fondent sur le délit de conspiracy, tomberaient dans cette catégorie, à supposer que la section 5 ne s’applique pas. En effet, il n’est pas nécessaire d’établir le contenu des obligations contractuelles liant les défendeurs au principal à Arcadia pour juger qu’un comportement constitutif de ce délit est illégal.


73      Arrêt du 27 septembre 1988 (189/87, EU:C:1988:459, point 20).


74      Arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa (C‑269/95, EU:C:1997:337, point 27), et du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 61).


75      Voir arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 62).


76      Voir, par analogie, arrêt du 4 mars 1982, Effer (38/81, EU:C:1982:79, point 7).


77      En effet, tandis que le libellé des deux dernières versions est relativement large (« in matters relating to individual contracts of employment » ; « en matière de contrat individuel de travail »), celui de la première version est sensiblement plus restreint (« [b]ilden ein individueller Arbeitsvertrag oder Ansprüche aus einem individuellen Arbeitsvertrag den Gegenstand des Verfahrens »).


78      Voir, par analogie, arrêt du 30 mai 2013, Genil 48 et Comercial Hostelera de Grandes Vinos (C‑604/11, EU:C:2013:344, point 38 et jurisprudence citée). La Cour a souligné que cet objectif de protection doit être pris en compte dans l’interprétation des dispositions de la section 5. Voir arrêt du 19 juillet 2012, Mahamdia (C‑154/11, EU:C:2012:491, point 60).


79      Les « jeux de plaideurs » qu’une telle approche entraînerait sont particulièrement visibles lorsque, comme dans la présente affaire, le requérant invoque initialement la violation du contrat, puis modifie sa requête pour en retirer tout aspect contractuel.


80      Les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles ont, à cet égard, rendu des précédents riches en enseignement. Initialement, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale)] avait jugé, dans son arrêt Swithenbank Foods Ltd. v Bowers, juge McGonigal [(2002) 2 All ER (Comm) 974, points 24 à 26], que la section 5 s’applique uniquement lorsque l’employeur fonde sa demande à l’encontre du travailleur sur le contrat de travail. Cet arrêt a été reviré par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)] dans son arrêt Alfa Laval Tumba v Separator Spares [(2012) EWCA Civ 1569, points 24 et 25], précisément afin d’éviter tout risque de contournement de cette section, au profit d’une approche large et centrée sur la substance du litige.


81      Voir, dans le même sens, Hess, B., Pfeiffer, T., et Schlosser, P., The Brussels I Regulation 44/2001: Application and Enforcment in the EU (rapport Heidelberg), C. H. Beck, Munich, 2008, points 356 à 359 ; Merrett, L., « Jurisdiction Over Individual Contracts of Employment », in Dickinson, A., et Lein, E. (éd.), The Brussels I Regulation Recast, Oxford University Press, Oxford, 2015, p. 242-243 ; Grušić, U., op. cit., p. 92 ; Baker Chiss, C., op. cit., § 49 et 50. Le fait qu’une demande aurait pu être fondée sur un manquement aux obligations contractuelles est une bonne indication à cet égard. Néanmoins, il ne saurait s’agir d’un test en soi, compte tenu de sa complexité, soulignée au point 88 des présentes conclusions.


82      Arrêt Holterman, point 49. Une même personne pouvant avoir plusieurs fonctions dans une entreprise, ce sont aux fonctions exercées dans le cadre de la relation de travail qu’il faut s’attacher.


83      Deux hypothèses extrêmes peuvent être opposées. D’une part, celle d’un chauffeur routier qui, en cours de livraison, cause un accident en conduisant en état d’ébriété un camion de l’entreprise. D’autre part, celle d’un autre chauffeur provoquant un accident dommageable pour son employeur, un jour de congé, hors de son lieu de travail, avec sa voiture personnelle.


84      Je vise des cas où la faute a été commise pendant les horaires de travail, ou sur le lieu de travail, ou n’a été rendue possible que grâce aux fonctions, ou encore dont l’accomplissement a été facilité par celles-ci.


85      Dans une situation où un travailleur exerce des fonctions en tant que travailleur, et d’autres fonctions sous un autre statut, il y a lieu de vérifier à quelles fonctions la faute alléguée se rattache : la section 5 ne sera applicable que s’il s’agit des fonctions exercées en qualité de travailleur.


86      Voir notamment arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis (189/87, EU:C:1988:459, point 19), du 20 janvier 2005, Engler (C‑27/02, EU:C:2005:33, point 43), ainsi que du 22 mai 2008, Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline (C‑462/06, EU:C:2008:299, point 28).


87      Voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:842, points 59 à 65).


88      Voir, en ce sens, Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)], Samengo-Turner v J & H Marsh & McLennan (Services) Ltd, [2007] EWCA Civ 732, points 32 à 35, et James Petter v EMC Europe Limited, EMC Corporation, [2015] EWCA Civ 828, points 20 et 21.


89      Voir, par analogie, arrêt du 10 avril 2003, Pugliese (C‑437/00, EU:C:2003:219, points 23 et 24).