Language of document : ECLI:EU:C:2012:137

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

13 mars 2012 (*)

«Pourvoi — Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives prises à l’encontre de la République islamique d’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire — Gel des fonds de la filiale d’une banque — Principe de proportionnalité — Détention ou contrôle de l’entité»

Dans l’affaire C‑380/09 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 25 septembre 2009,

Melli Bank plc, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par MM. D. Anderson et D. Wyatt, QC, ainsi que par M. R. Blakeley, barrister, mandatés par MM. S. Gadhia et T. Din, solicitors,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et R. Szostak, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

République française, représentée par Mme E. Belliard, ainsi que par MM. G. de Bergues, L. Butel et E. Ranaivoson, en qualité d’agents,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. S. Hathaway, en qualité d’agent, assisté de Mme S. Lee, barrister,

Commission européenne, représentée par Mme S. Boelaert et M. M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, Mme A. Prechal, présidents de chambre, M. A. Rosas (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, E. Juhász, D. Šváby, Mme M. Berger et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 mars 2011,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 juin 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Melli Bank plc (ci-après «Melli Bank») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil (T‑246/08 et T‑332/08, Rec. p. II‑2629, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté ses recours ayant pour objet, d’une part, dans les affaires T‑246/08 et T‑332/08, l’annulation du point 4 du tableau B de l’annexe de la décision 2008/475/CE du Conseil, du 23 juin 2008, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) no 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 163, p. 29, ci-après la «décision litigieuse»), en ce qu’il la concerne, et, d’autre part, dans l’affaire T‑332/08, éventuellement, une déclaration d’inapplicabilité de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement (CE) no 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 103, p. 1).

2        Ainsi que le Tribunal l’a exposé au point 1 de l’arrêt attaqué, la requérante, Melli Bank, est une société anonyme immatriculée et ayant son siège social au Royaume-Uni, agréée et réglementée par la Financial Services Authority (autorité des services financiers du Royaume-Uni). Elle a commencé à exercer ses activités bancaires au Royaume-Uni le 1er janvier 2002, à la suite de la transformation de la succursale dans cet État membre de Bank Melli Iran. Cette dernière, entité mère détenant entièrement Melli Bank, est une banque iranienne contrôlée par l’État iranien.

 Le cadre juridique

 Les résolutions 1737 (2006) et 1747 (2007) du Conseil de sécurité des Nations unies

3        En vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires (ci-après la «prolifération nucléaire»), le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le «Conseil de sécurité») a, le 23 décembre 2006, adopté la résolution 1737 (2006).

4        Au paragraphe 12 de cette résolution, le Conseil de sécurité:

«[a décidé] que tous les États devront geler les fonds, avoirs financiers et ressources économiques se trouvant sur leur territoire à la date de l’adoption de la présente résolution ou à tout moment ultérieur, qui sont la propriété ou sous le contrôle des personnes ou entités visées dans l’Annexe, ainsi que ceux des autres personnes ou entités que le Conseil [de sécurité] ou le Comité pourront désigner comme participant, étant directement associées ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, ou des personnes ou entités agissant en leur nom ou sur leurs instructions, ou des entités qui sont leur propriété ou sont sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites [...]»

5        L’annexe de la résolution 1737 (2006) établit la liste des personnes et des entités impliquées dans la prolifération nucléaire et dont les fonds et les ressources économiques (ci-après les «fonds») doivent être gelés.

6        Cette liste a été par la suite mise à jour par plusieurs résolutions, et notamment par la résolution 1747 (2007) du Conseil de sécurité, du 24 mars 2007, par laquelle les fonds de Bank Sepah, banque iranienne, et de sa filiale au Royaume-Uni, Bank Sepah International plc, ont été gelés. La requérante n’a pas fait l’objet de mesures de gel des fonds arrêtées par le Conseil de sécurité.

 La position commune 2007/140/PESC

7        En ce qui concerne l’Union européenne, la résolution 1737 (2006) a été mise en œuvre par la position commune 2007/140/PESC du Conseil, du 27 février 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 61, p. 49).

8        L’article 5, paragraphe 1, de la position commune 2007/140 est rédigé comme suit:

«Sont gelés tous les fonds [...] appartenant aux personnes et entités ci-après, de même que tous les fonds [...] que ces personnes ou entités possèdent, détiennent ou contrôlent, directement ou indirectement:

a)      les personnes et entités désignées à l’annexe de la résolution 1737 (2006), ainsi que les autres personnes et entités désignées par le Conseil de sécurité ou par le Comité conformément au point 12 de la résolution 1737 (2006); ces personnes et entités sont énumérées à l’annexe I;

b)      les personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui participent, sont directement associées ou apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, ou les personnes ou entités agissant en leur nom ou sur leurs instructions, ou les entités qui sont leur propriété ou sont sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites, telles qu’énumérées à l’annexe II.»

9        La requérante n’est pas mentionnée dans les annexes de la position commune 2007/140.

 Le règlement no 423/2007

10      Dans la mesure où les compétences de la Communauté européenne étaient concernées, la résolution 1737 (2006) a été mise en œuvre par le règlement no 423/2007, adopté sur la base des articles 60 CE et 301 CE, visant la position commune 2007/140 et dont le contenu est en substance semblable à celui de cette dernière, les mêmes noms d’entités et de personnes physiques figurant dans les annexes de ce règlement.

11      L’article 5 de ce règlement interdit certaines transactions avec des personnes ou entités se trouvant en Iran ou aux fins d’une utilisation dans ce pays.

12      L’article 7 dudit règlement est rédigé comme suit:

«1.      Sont gelés tous les fonds [...] qui appartiennent aux personnes, aux entités ou aux organismes cités à l’annexe IV, de même que tous les fonds [...] que ces personnes, entités et organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. L’annexe IV comprend les personnes, entités et organismes désignés par le Conseil de sécurité [...] ou par le comité des sanctions conformément au paragraphe 12 de la résolution 1737 (2006) du Conseil de sécurité [...].

2.      Sont gelés tous les fonds [...] qui appartiennent aux personnes, entités ou organismes cités à l’annexe V, de même que tous les fonds [...] que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. L’annexe V comprend les personnes physiques et morales, entités et organismes non cités à l’annexe IV qui ont été reconnus conformément à l’article 5, paragraphe 1, point b), de la position commune 2007/140[...]:

a)      comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération; ou

b)      comme participant, étant directement associés ou apportant un appui à la mise au point par l’Iran de vecteurs d’armes nucléaires; ou

c)      comme agissant au nom ou sur les instructions d’une personne, d’une entité ou d’un organisme visé aux points a) ou b); ou

d)      comme une personne morale, une entité ou un organisme détenu ou contrôlé par une personne, une entité ou un organisme visé aux points a) ou b), y compris par des moyens illicites. 

3.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes cités aux annexes IV et V, ni dégagé à leur profit.

4.      Il est interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner les mesures visées aux paragraphes 1, 2 et 3.»

13      La requérante n’est pas mentionnée dans l’annexe V du règlement no 423/2007.

14      L’article 13 de ce règlement impose aux personnes et aux entités concernées de fournir diverses informations aux autorités compétentes et de coopérer avec celles-ci.

15      L’article 15, paragraphes 2 et 3, dudit règlement est rédigé comme suit:

«2.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, établit, révise et modifie la liste des personnes, des organismes et des entités visée à l’article 7, paragraphe 2, en pleine conformité avec les décisions du Conseil relatives à l’annexe II de la position commune 2007/140[...]. La liste de l’annexe V est examinée à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

3.      Le Conseil donne les raisons individuelles et spécifiques pour les décisions prises en vertu du paragraphe 2 et les porte à la connaissance des personnes, des entités et des organismes concernés.»

16      L’article 16 du même règlement prévoit que les États membres déterminent les sanctions applicables en cas de violation des dispositions de ce dernier.

 La résolution 1803 (2008) du Conseil de sécurité

17      Aux termes du point 10 de la résolution 1803 (2008) du Conseil de sécurité, du 3 mars 2008, ce dernier a demandé «à tous les États de faire preuve de vigilance s’agissant des activités menées par les institutions financières sises sur leur territoire avec toutes les banques domiciliées en Iran, en particulier la Banque Melli et la Banque Saderat, ainsi qu’avec leurs succursales et leurs agences à l’étranger, afin d’éviter que ces activités concourent à des activités posant un risque de prolifération, ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires».

 La position commune 2008/479/PESC

18      La position commune 2008/479/PESC du Conseil, du 23 juin 2008, modifiant la position commune 2007/140 (JO L 163, p. 43), a notamment remplacé l’annexe II de cette dernière. Cette annexe comporte un tableau A, intitulé «Personnes physiques», et un tableau B, intitulé «Entités».

19      En vertu de la position commune 2008/479, Bank Melli Iran et Melli Bank ont été incluses parmi les entités visées par le gel des fonds. En effet, le tableau B, point 5, de l’annexe de cette dernière comprend, dans une première colonne intitulée «Nom», les indications suivantes:

«Bank Melli, Melli Bank Iran et toutes ses succursales et filiales

a)      Melli Bank plc

b)      Bank Melli Iran Zao».

20      Dans une deuxième colonne, intitulée «Informations d’identification», est indiquée une adresse en face du nom de chacune des banques concernées.

21      La troisième colonne, intitulée «Motifs», contient le texte suivant:

«Apporte ou tente d’apporter un soutien financier à des sociétés participant aux programmes nucléaire et de missiles de l’Iran ou achetant des biens destinés à ces programmes (AIO, SHIG, SBIG, AEOI, Novin Energy Company, Mesbah Energy Company, Kalaye Electric Company et DIO). La Bank Melli sert de facilitateur pour les activités sensibles de l’Iran. Elle a facilité de nombreux achats de matériels sensibles pour les programmes nucléaire et de missiles iraniens. Elle a fourni une série de services financiers pour le compte d’entités liées aux industries nucléaires et de missiles de l’Iran, y compris l’ouverture de lettres de crédit et la gestion de comptes. La plupart des sociétés précitées sont visées dans les résolutions 1737 et 1747 du [Conseil de sécurité].»

22      Dans la quatrième colonne, intitulée «Date d’inscription», est indiquée la date du «23.6.2008».

 La décision litigieuse

23      Le 23 juin 2008, le Conseil a également adopté la décision litigieuse. L’annexe de cette décision remplace l’annexe V du règlement no 423/2007. Elle comprend un tableau A, intitulé «Personnes physiques», et un tableau B, intitulé «Personnes morales, entités et organes», comportant tous deux les mêmes colonnes que celles figurant à l’annexe de la position commune 2008/479. La requérante est inscrite au point 4 dudit tableau B. Les indications relatives à la requérante sont identiques à celles qui figurent à l’annexe de ladite position commune, à l’exception de la date d’inscription, qui correspond au 24 juin 2008. Ladite décision a été publiée le 24 juin 2008 au Journal officiel de l’Union européenne.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 juin 2008, la requérante a introduit le recours dans l’affaire T‑246/08, par lequel elle demandait l’annulation du point 4 du tableau B de l’annexe de la décision litigieuse en ce qu’il la concerne, ainsi que la condamnation du Conseil aux dépens.

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 août 2008, la requérante a introduit le recours dans l’affaire T‑332/08, par lequel elle demandait au Tribunal:

–        d’annuler le point 4 du tableau B de l’annexe de la décision litigieuse en ce qu’il la concerne;

–        s’il estimait que l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 était d’application obligatoire, de déclarer son inapplicabilité, en vertu de l’article 241 CE, et

–        de condamner le Conseil aux dépens.

26      La République française, le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission des Communautés européennes ont été admis à intervenir devant le Tribunal, au soutien des conclusions du Conseil.

27      À l’appui de ses conclusions, la requérante invoquait plusieurs moyens. Le premier moyen était tiré de l’absence de participation de Bank Melli Iran au financement de la prolifération nucléaire. Le deuxième moyen était tiré d’une erreur d’interprétation et d’application de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007, en ce que le Conseil disposait d’une marge d’appréciation. Le troisième moyen, développé à titre subsidiaire, était tiré de l’illégalité, pour violation du principe de proportionnalité, de cet article 7, paragraphe 2, sous d), en ce qu’il imposerait au Conseil d’inclure la requérante dans la liste figurant à l’annexe V dudit règlement. Le quatrième moyen était tiré d’une erreur d’interprétation ou d’application dudit article 7, paragraphe 2, sous d), en ce que la requérante n’est pas une entité «détenue ou contrôlée» par l’entité mère au sens de cette disposition. Le cinquième moyen était tiré de la violation du principe de non-discrimination. Le sixième moyen était tiré de la violation de l’obligation de motivation de la décision litigieuse.

28      Le Tribunal a déclaré le premier moyen irrecevable, aux motifs que l’absence de participation de Bank Melli Iran au financement de la prolifération nucléaire était simplement alléguée dans la requête et que, pour autant que ce moyen avait été soulevé par la suite, il était nouveau.

29      Le Tribunal a ensuite examiné chacun des autres moyens et les a écartés.

 Les conclusions des parties au pourvoi

30      Melli Bank demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        d’accueillir les recours formés dans les affaires T‑246/08 et T‑332/08;

–        d’annuler le point 4 du tableau B de l’annexe de la décision litigieuse, pour autant qu’il la concerne;

–        de déclarer l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 inapplicable s’il est constaté qu’il a un effet obligatoire, et

–        de condamner le Conseil aux dépens du pourvoi et de la procédure de première instance.

31      Le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission demandent à la Cour de:

–        rejeter le pourvoi, et

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

32      Le pourvoi est fondé sur quatre moyens. Par le premier moyen, qui comprend deux branches, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 constitue une disposition obligatoire, alors que cette interprétation est contraire, selon la première branche de ce moyen, au texte de cette disposition et, selon la seconde branche de celui-ci, au principe de proportionnalité. Par le deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que ledit article 7, paragraphe 2, sous d), est conforme au principe de proportionnalité. Par le troisième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la formulation et l’application du critère visant à déterminer si elle était détenue et contrôlée par l’entité mère. Par le quatrième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que le Conseil avait rempli son obligation de motiver sa décision de l’inscrire sur la liste des personnes, des entités et des organismes visés à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007

 Argumentation des parties

33      La première branche du premier moyen vise essentiellement les points 61 à 67 de l’arrêt attaqué, ainsi que les points 69 et 70 de ce dernier.

34      La requérante conteste l’analyse de l’expression «sont gelés», figurant à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, à laquelle le Tribunal a procédé au point 63 de l’arrêt attaqué et de laquelle il conclut que le Conseil ne disposait pas d’un pouvoir d’appréciation. Selon la requérante, l’utilisation de l’expression «qui ont été reconnus», dans la deuxième phrase dudit paragraphe 2, nuance l’utilisation antérieure du terme «comprend» et prouve que le Conseil devait se livrer à une opération d’évaluation et d’identification afin de déterminer si les actifs des entités détenues ou contrôlées devaient être gelés. Par ailleurs, cette conclusion du Tribunal serait en contradiction avec les points 64 et 65 de l’arrêt attaqué, dans lesquels celui-ci estime que le Conseil devait apprécier si les conditions d’application de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 étaient réunies, y compris à l’égard de filiales intégralement détenues par des entités reconnues comme participant à la prolifération nucléaire.

35      Selon la requérante, le règlement no 423/2007 envisage une approche personnalisée de l’inscription sur la liste des personnes, des entités et des organismes visés à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, ce qui justifie l’obligation de motiver spécialement l’inscription de chaque entité sur cette liste, figurant à l’article 15, paragraphe 3, de ce règlement, qui impose au Conseil d’indiquer les raisons pour lesquelles il considère qu’une entité spécifique remplit les conditions requises pour figurer sur ladite liste.

36      Le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission contestent cette interprétation.

 Appréciation de la Cour

37      L’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 dispose que «[s]ont gelés tous les fonds [...] qui appartiennent aux personnes, entités ou organismes cités à l’annexe V, de même que tous les fonds [...] que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent» et que «[l]’annexe V comprend les personnes physiques et morales, entités et organismes non cités à l’annexe IV qui ont été reconnus conformément à l’article 5, paragraphe 1, point b), de la position commune 2007/140/PESC [...] comme une personne morale, une entité ou un organisme détenu ou contrôlé par une personne, une entité ou un organisme visé aux points a) ou b) [participant, étant directement associé ou apportant un appui à la prolifération nucléaire], y compris par des moyens illicites». 

38      Conformément à une jurisprudence constante (voir, par analogie, arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, Rec. p. 3781, point 12, et du 23 février 2010, Teixeira, C‑480/08, Rec. p. I‑1107, point 48), le Tribunal a tenu compte, pour interpréter l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007, du libellé et du contexte de ladite disposition ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie .

39      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 40 de ses conclusions, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, à la lecture du texte de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007, que cette disposition imposait au Conseil de geler les fonds d’une entité «détenue ou contrôlée» par une entité reconnue comme participant à la prolifération nucléaire, au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous a) ou b), du même règlement, le Conseil appréciant au cas par cas la qualité d’entité «détenue ou contrôlée» de l’entité concernée.

40      À juste titre, le Tribunal a estimé, aux points 64 et 65 de l’arrêt attaqué, que, eu égard aux termes «ont été reconnus» figurant dans la partie introductive de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, la qualité d’entité «détenue ou contrôlée» devait faire l’objet d’une appréciation au cas par cas par le Conseil en fonction, notamment, du degré de la détention ou de l’intensité du contrôle en cause. À juste titre également, le Tribunal a souligné, aux points 63 et 69 dudit arrêt, que, eu égard à l’emploi de la formule «‘sont gelés’» dans cette même disposition du règlement no 423/2007, l’adoption d’une mesure de gel des fonds s’impose à l’égard d’une entité reconnue par le Conseil comme étant détenue ou contrôlée par une entité elle-même reconnue comme participant à la prolifération nucléaire, et n’a pas à être motivée par le fait que l’entité détenue ou contrôlée participe elle-même à cette prolifération.

41      Ces deux appréciations du Tribunal ne sont pas contradictoires, dès lors que la première vise l’obligation de vérifier, avec un certain pouvoir d’appréciation, la qualité d’entité «détenue ou contrôlée» de l’entité concernée, tandis que la seconde porte sur l’obligation de geler les fonds d’une telle entité sans contrôler si elle participe elle-même à la prolifération nucléaire.

42      Il ne saurait, dans ces conditions, être déduit de l’existence d’un pouvoir d’appréciation du Conseil relatif à la qualité d’entité détenue ou contrôlée que celui-ci dispose également du pouvoir d’apprécier la contribution d’une telle entité à la prolifération nucléaire aux fins de décider d’imposer le gel de ses fonds.

43      Aucune conclusion en faveur de la reconnaissance d’un tel pouvoir ne saurait non plus être tirée de l’obligation de motivation visée à l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 423/2007. En effet, les raisons individuelles et spécifiques que le Conseil est tenu de donner sont celles relatives à l’inscription des personnes, des entités et des organismes concernés sur la liste en cause, à savoir, selon le cas, la participation aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran ou, s’agissant des entités détenues ou contrôlées, les motifs qui l’ont amené à considérer que la condition de la détention ou du contrôle est remplie.

44      Eu égard à ce qui précède, la première branche du premier moyen du pourvoi n’est pas fondée et doit, par conséquent, être rejetée.

 Sur la seconde branche du premier moyen et le deuxième moyen, tirés d’une violation du principe de proportionnalité

 Argumentation des parties

45      Par la seconde branche du premier moyen, la requérante fait valoir que, en interprétant l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 en ce sens qu’il ne laisserait pas au Conseil de marge d’appréciation pour déterminer si une filiale remplit les critères énoncés par cette disposition, le Tribunal a violé le principe de proportionnalité. Par le deuxième moyen, elle soutient que, si la Cour devait considérer que l’application de l’article 7, paragraphe 2, sous d), dudit règlement est réputée avoir un caractère obligatoire, cette disposition enfreindrait elle-même le principe de proportionnalité et devrait dès lors être déclarée inapplicable en l’espèce, conformément à l’article 241 CE, ce qui priverait la décision litigieuse de base légale. Ces branche et moyen visent essentiellement les points 75, 76, 99, 102 et 103 de l’arrêt attaqué ainsi que les points 107 à 110 de celui-ci.

46      La requérante critique le raisonnement suivi par le Tribunal en ce que ce dernier n’a pas tenu compte des résolutions du Conseil de sécurité pour interpréter l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007. Elle rappelle le lien existant entre ces résolutions et ce règlement, qui résulte notamment des premier, deuxième, cinquième et sixième considérants dudit règlement ainsi que des considérants de la position commune 2007/140. Par ailleurs, la résolution 1803 (2008), même si son adoption est intervenue postérieurement à celle du règlement no 423/2007, revêtirait une importance particulière pour l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, sous d), de ce règlement. En effet, le fait que le Conseil de sécurité n’a pris aucune mesure de gel des fonds à l’encontre de la requérante, mais a, au point 10 de cette résolution, recommandé aux États de «faire preuve de vigilance», indiquerait que des mesures moins graves qu’un gel des fonds pouvaient être efficaces pour atteindre les objectifs poursuivis par les résolutions du Conseil de sécurité.

47      La requérante estime, par ailleurs, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, ainsi qu’il l’a énoncé à la dernière phrase du point 103 de l’arrêt attaqué, que le gel des fonds des entités détenues ou contrôlées par une entité reconnue comme participant à la prolifération nucléaire était nécessaire et approprié pour assurer l’efficacité des mesures adoptées à l’encontre de cette dernière et pour garantir que ces mesures ne seront pas contournées. Selon la requérante, les articles 5, paragraphe 1, 7, paragraphes 3 et 4, 13 ainsi que 16 du règlement no 423/2007 prévoient déjà des mesures efficaces. Ce serait à tort que le Tribunal a écarté les mesures alternatives proposées par la requérante comme n’étant pas susceptibles de prévenir d’éventuelles transactions incompatibles avec les mesures restrictives arrêtées. En tout état de cause, s’agissant des mesures alternatives ex post, il aurait été possible de ne prévoir l’inscription de la filiale sur la liste qu’après avoir utilisé lesdites mesures. En statuant comme il l’a fait, le Tribunal aurait dénaturé le principe de proportionnalité et déplacé la charge de la preuve en exigeant que la requérante démontre l’efficacité absolue des mesures alternatives.

48      En outre, selon la requérante, le rejet catégorique par le Tribunal, au point 107 de l’arrêt attaqué, de son argumentation tirée de l’efficacité de ces mesures alternatives était manifestement inapproprié compte tenu de l’ampleur de l’atteinte portée à ses droits fondamentaux par les mesures de gel des fonds.

49      La requérante constate que seules deux des vingt filiales de Bank Melli Iran ont été mentionnées dans la décision litigieuse. Elle aurait de même fourni au Tribunal un autre exemple, mentionné au point 53 de l’arrêt attaqué, duquel il ressortait que le Conseil aurait inscrit une entité mère sur la liste en cause sans mentionner aucune de ses six filiales. Elle en déduit soit que le Conseil dispose d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’il applique l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007, ainsi qu’elle le soutient, soit que cette pratique démontre le caractère disproportionné de l’obligation d’inscrire toutes les filiales sur ladite liste.

50      La requérante en conclut que le Conseil dispose d’une marge d’appréciation et que le Tribunal a commis une erreur de droit en interprétant l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 en ce sens que son application a un caractère obligatoire. À tout le moins, ledit article 7, paragraphe 2, sous d), serait ambigu. Or, selon la jurisprudence, lorsqu’une disposition de droit dérivé est susceptible de faire l’objet de plus d’une interprétation, il conviendrait de donner la préférence à celle qui rend cette disposition conforme au traité. En l’espèce, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en n’interprétant pas l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 en ce sens que le Conseil disposait d’une marge d’appréciation.

51      Le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission considèrent que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure en cause.

 Appréciation de la Cour

52      Il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, Rec. p. I‑11453, point 122; du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, Rec. p. I‑10423, point 68, ainsi que du 8 juin 2010, Vodafone e.a., C‑58/08, Rec. p. I‑4999, point 51).

53      La requérante conteste non pas la légitimité du but poursuivi, à savoir la lutte contre la prolifération nucléaire en Iran en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales, mais le caractère approprié et nécessaire du gel des fonds des entités détenues ou contrôlées. Elle reproche, en premier lieu, au Tribunal de ne pas avoir suffisamment tenu compte des résolutions du Conseil de sécurité pour interpréter l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007.

54      À cet égard, il importe de rappeler que les résolutions du Conseil de sécurité, d’une part, et les positions communes du Conseil ainsi que les règlements de ce dernier, d’autre part, relèvent d’ordres juridiques distincts. En effet, les actes adoptés dans le cadre, d’une part, des Nations unies et, d’autre part, de l’Union le sont par des organes qui disposent de pouvoirs autonomes, qui leur sont attribués par leurs chartes de base que sont les traités qui les ont créées (arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, Rec. p. I‑11381, points 100 et 102).

55      Au point 103 de l’arrêt Bank Melli Iran/Conseil, précité, la Cour a rappelé que, lors de l’élaboration de mesures communautaires ayant pour objet la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité visée par une position commune, la Communauté doit tenir dûment compte des termes et des objectifs de la résolution concernée. De même, il y a lieu de tenir compte du texte et de l’objet d’une résolution du Conseil de sécurité pour l’interprétation du règlement qui vise à mettre celle-ci en œuvre (arrêt Bank Melli Iran/Conseil, précité, point 104 et jurisprudence citée).

56      Le Tribunal a tenu compte de la résolution 1737 (2006) puisqu’il a constaté, au point 6 de l’arrêt attaqué, qu’elle avait été mise en œuvre par le règlement no 423/2007 dont le contenu est en substance identique à celui de la position commune 2007/140. À cet égard, la requérante ne démontre pas en quoi le Tribunal aurait pu aboutir à une conclusion différente en ce qui concerne la nécessité de geler les fonds des entités détenues ou contrôlées. Il y a lieu, en effet, de constater que, à son point 12, la résolution 1737 (2006) prévoit explicitement le gel des fonds des entités qui sont la propriété ou sont sous le contrôle des personnes ou des entités participant aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran.

57      Quant à la résolution 1803 (2008), celle-ci n’impose pas aux États des mesures précises, mais leur demande de faire preuve de vigilance, s’agissant des activités exercées par les institutions financières sises sur leur territoire avec Bank Melli Iran, afin d’éviter que ces activités concourent à des activités posant un risque de prolifération nucléaire (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, précité, point 107). Il ne saurait être déduit de cette recommandation l’absence de nécessité de geler les fonds des entités détenues ou contrôlées par Bank Melli Iran.

58      Dans ces conditions, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 103 de l’arrêt attaqué, que, lorsque les fonds d’une entité reconnue comme participant à la prolifération nucléaire sont gelés, il existe un risque non négligeable que celle‑ci exerce une pression sur les entités qu’elle détient ou contrôle, pour contourner l’effet des mesures qui la visent, et que le gel des fonds de ces entités est nécessaire et approprié pour assurer l’efficacité des mesures adoptées et garantir que ces mesures ne seront pas contournées.

59      S’agissant, en deuxième lieu, des mesures alternatives évoquées par la requérante, il y a lieu d’emblée de constater que, au point 109 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’examen des mesures d’approbation préalable des transactions et de surveillance de ces dernières par un mandataire indépendant, ainsi que l’interdiction totales des transactions avec la République islamique d’Iran, invoquées pour la première fois lors de l’audience, au motif que celles-ci l’avaient été en méconnaissance des articles 48, paragraphe 2, et 76 bis, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal. Au point 107 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que l’argument tiré du caractère adéquat des mesures de surveillance et de contrôle existant au moment de l’adoption de la décision litigieuse par rapport au risque exposé au point 103 de cet arrêt n’avait pas été étayé, constatant ainsi une absence d’éléments de preuve qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler dans le cadre d’un pourvoi. Quant aux mesures ex post visées au point 108 dudit arrêt, le Tribunal a évalué l’efficacité de celles-ci par des appréciations de fait qu’il n’appartient pas non plus à la Cour de contrôler dans le cadre d’un pourvoi.

60      Eu égard à ces éléments, la conclusion du Tribunal, figurant au point 110 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les mesures alternatives proposées par la requérante n’étaient pas appropriées pour atteindre l’objectif poursuivi, ne saurait être remise en cause.

61      De même, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions et pour les motifs retenus par le Tribunal aux points 111 et 112 de l’arrêt attaqué, celui-ci a pu conclure sans commettre d’erreur de droit que, étant donné l’importance primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, les restrictions à la liberté d’exercer une activité économique ainsi qu’au droit de propriété d’un établissement bancaire, causées par les mesures de gel des fonds, n’étaient pas démesurées par rapport aux buts visés.

62      La requérante invoque, en troisième lieu, le fait que le Conseil n’a pas pour pratique de geler les fonds de toutes les entités détenues ou contrôlées par des entités reconnues comme participant à la prolifération nucléaire. Le Tribunal n’a cependant pas commis d’erreur de droit en jugeant:

–        au point 73 de l’arrêt attaqué, que le Conseil pouvait légitimement ne pas appliquer l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 à des entités qui, selon lui, ne remplissaient pas les critères d’application de cette disposition;

–        au point 74 de cet arrêt, qu’il n’était pas possible d’identifier, dans tous les cas, toutes les entités détenues ou contrôlées par une entité reconnue comme participant à la prolifération nucléaire et,

–        au point 75 dudit arrêt, qu’une éventuelle pratique divergente du Conseil, à la supposer illégale, ne saurait entraîner, pour les entités concernées, une confiance légitime, non plus que le droit d’invoquer à leur profit une illégalité commise en faveur d’autrui.

63      C’est également sans commettre d’erreur de droit que, au point 76 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que la jurisprudence relative à l’interprétation des actes communautaires invoquée par la requérante et rappelée au point 50 du présent arrêt n’était pas pertinente, dès lors qu’il n’y avait pas de doute en ce qui concerne l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007.

64      Il résulte de ces considérations que le Tribunal n’a violé le principe de proportionnalité ni dans son interprétation de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 ni dans le contrôle qu’il a effectué de l’application de cette disposition à la requérante. Par conséquent, la seconde branche du premier moyen et le deuxième moyen du pourvoi ne sont pas fondés et doivent être rejetés.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’appréciation selon laquelle la requérante est détenue ou contrôlée par son entité mère

 Argumentation des parties

65      La requérante critique les points 119 à 129 de l’arrêt attaqué. Elle relève que le critère à prendre en considération est celui exposé au point 121 de cet arrêt, selon lequel il importe de rechercher si, «du fait qu’elle est détenue par [Bank Melli Iran], la requérante peut être amenée, avec une probabilité non négligeable, à contourner l’effet des mesures adoptées à l’encontre de son entité mère».

66      Le Tribunal aurait cependant commis une erreur de droit en considérant, au point 123 de l’arrêt attaqué, que seules des circonstances exceptionnelles étaient susceptibles de justifier un défaut d’application de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 à une filiale intégralement détenue par une entité considérée comme participant à la prolifération nucléaire.

67      La requérante invoque également l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en tenant compte, de manière inappropriée, de précédents en matière de droit de la concurrence. La requérante soutient que la présomption utilisée dans le droit de la concurrence est réfragable. Par ailleurs, alors que, dans ce droit, les sociétés concernées sont autorisées à présenter des observations à la Commission, tel n’aurait pas été le cas en l’espèce, la requérante ayant été inscrite sur la liste en cause sans avoir eu la possibilité de contester la position du Conseil.

68      La requérante soutient, en outre, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’application qu’il a faite, en ce qui la concerne, du critère énoncé au point 121 de l’arrêt attaqué. Notamment, il aurait commis une telle erreur en accordant une trop grande importance à la capacité de l’entité mère de nommer les directeurs de Melli Bank. Cette dernière rappelle à cet égard les nombreux éléments invoqués au point 17 de la requête déposée devant le Tribunal ainsi que les restrictions apportées à ses échanges et en conclut qu’il n’était pas nécessaire d’adopter une mesure telle que le gel de ses fonds.

69      Selon la requérante, en partant du principe qu’elle adoptera un comportement illégal, la décision litigieuse et l’arrêt attaqué violent le principe de la présomption d’innocence, le gel des fonds étant assimilable à une sanction pénale.

70      La Commission souligne que, dans le cadre de ce moyen également, la requérante ne démontre pas en quoi le raisonnement du Tribunal serait entaché d’une erreur de droit. Par ailleurs, la requérante contesterait l’appréciation de faits et de preuves.

71      La République française, le Royaume-Uni et la Commission contestent le critère retenu par le Tribunal dans la première phrase du point 121 de l’arrêt attaqué. Selon eux, l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 contient une condition alternative, si bien que, s’il est établi que la requérante est entièrement détenue par Bank Melli Iran, il n’est plus nécessaire de démontrer l’existence d’un contrôle de celle-ci. Selon la Commission, les différents éléments retenus par le Tribunal pour établir l’existence d’un tel contrôle doivent être considérés «plutôt comme des aspects qui [...] démontrent la ratio legis» dudit article 7, paragraphe 2, sous d).

72      Le Royaume-Uni relève cependant que, quand bien même le critère retenu par le Tribunal serait-il admis, la requérante ne démontre pas que ce dernier aurait commis une erreur de droit dans le raisonnement qu’il a suivi.

73      S’agissant de l’utilisation, par le Tribunal, de critères tirés du droit de la concurrence, le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission font valoir que le Tribunal s’est seulement inspiré de ceux-ci.

74      Ces institutions et États membres rappellent la jurisprudence de la Cour selon laquelle le gel des fonds constitue une mesure conservatoire et non une sanction.

 Appréciation de la Cour

75      L’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 prévoit le gel des fonds des entités reconnues comme étant détenues ou contrôlées par des entités qui ont été elles-mêmes reconnues comme participant, étant directement associées ou apportant un appui à la prolifération nucléaire au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous a) ou b), dudit règlement. Cette disposition doit être interprétée à la lumière du paragraphe 12 de la résolution 1737 (2006), qui prévoit le gel des fonds des entités qui sont la propriété ou sont sous le contrôle de personnes ou d’entités désignées comme participant, étant directement associées ou apportant un appui à la prolifération nucléaire.

76      L’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 prévoit deux critères alternatifs, à savoir la détention et le contrôle. Il ressort de la décision litigieuse ainsi que des observations présentées par le Conseil lors de l’audience devant le Tribunal, telles que rapportées par ce dernier au point 120 de l’arrêt attaqué, que le gel des fonds de la requérante a été effectué au motif qu’elle était une entité «détenue» par Bank Melli Iran. C’est donc à juste titre que le Tribunal a limité son contrôle à la vérification de la détention de Melli Bank par Bank Melli Iran.

77      La requérante ne conteste pas être entièrement détenue par Bank Melli Iran. Elle considère cependant que le Tribunal n’a pas vérifié à suffisance de droit si, en raison de sa détention par Bank Melli Iran, elle pouvait être amenée, avec une probabilité non négligeable, à contourner l’effet des mesures adoptées à l’encontre de son entité mère, faisant ainsi référence à la première phrase du point 121 de l’arrêt attaqué.

78      À cet égard, force est de constater que, malgré le libellé clair de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007, interprété à la lumière du paragraphe 12 de la résolution 1737 (2006) et alors qu’il n’était pas contesté par la requérante qu’elle était intégralement détenue par Bank Melli Iran, le Tribunal a estimé nécessaire de procéder à un contrôle complémentaire.

79      Ce faisant, il n’a pas correctement appliqué le droit de l’Union. En effet, lorsqu’une entité est détenue à 100 % par une entité considérée comme participant à la prolifération nucléaire, la condition de détention visée à l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007 est remplie.

80      Cette erreur de droit n’entraîne cependant pas l’annulation de l’arrêt attaqué, dès lors que, en tout état de cause, le Tribunal a rejeté le moyen de la requérante.

81      Contrairement à ce que soutient la requérante, la mesure adoptée à son égard, en conséquence de sa détention intégrale par Bank Melli Iran, ne saurait porter atteinte à la présomption d’innocence. En effet, l’adoption, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007, de mesures de gel de fonds ne vise précisément pas un comportement autonome d’une entité telle que la requérante et n’exige donc pas, de celle-ci, un comportement contraire aux prescriptions dudit règlement.

82      Par conséquent, le troisième moyen n’est pas fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’un défaut de motivation

 Argumentation des parties

83      La requérante conteste le raisonnement suivi par le Tribunal et développé aux points 143 à 151 de l’arrêt attaqué. Elle rappelle que la motivation d’un acte faisant grief doit être communiquée à l’intéressé en même temps que cet acte et relève que, en l’espèce, la décision litigieuse ne contenait aucune «raison individuelle et spécifique», ainsi que l’exigerait l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 423/2007. Dans son mémoire en réplique, elle indique que ladite décision aurait dû lui être notifiée.

84      En premier lieu, il ne suffisait pas, selon la requérante, que le Conseil mentionne, dans la décision litigieuse, que celle-ci avait été prise conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, dès lors que cette disposition contient divers cas de figure en vertu desquels le Conseil aurait pu procéder à son inscription sur la liste en cause.

85      En deuxième lieu, aucune raison n’aurait été donnée en ce qui concerne le motif pour lequel le Conseil avait estimé qu’il existait une probabilité non négligeable que la requérante puisse être amenée à contourner les effets de l’inscription de son entité mère sur cette liste.

86      La requérante soutient, en troisième lieu, que l’affirmation du Tribunal selon laquelle le Conseil avait implicitement estimé que la requérante était détenue par son entité mère, au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous d), du règlement no 423/2007, et qu’elle était donc inscrite sur ladite liste sur ce fondement constitue une conclusion hâtive qui ne découle nullement du libellé de la décision litigieuse.

87      En quatrième lieu, la requérante fait valoir que la possibilité d’introduire un recours contre la décision litigieuse n’infirme pas le fait que le Conseil a méconnu l’obligation de motivation de cette décision.

88      En cinquième lieu, la requérante signale qu’elle a entamé un échange de courriers avec le Conseil afin de tenter d’établir les raisons de son inscription sur la liste en cause et celles du gel de ses fonds, mais que le Conseil a refusé de lui communiquer son dossier.

89      Le Conseil, la République française et la Commission contestent la recevabilité du moyen tiré de l’absence de notification de la décision litigieuse.

90      La Commission relève que la requérante ne conteste pas le principe énoncé par le Tribunal au point 146 de l’arrêt attaqué, selon lequel, outre l’indication de la base légale, l’obligation de motivation à laquelle le Conseil était tenu portait sur la circonstance que l’entité concernée était détenue ou contrôlée par une entité reconnue comme participant à la prolifération nucléaire, au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous a) ou b), du règlement no 423/2007.

91      À cet égard, le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission considèrent que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit, aux points 147 et suivants de l’arrêt attaqué, lorsqu’il a considéré que la décision litigieuse était suffisamment motivée. Notamment, la mention de Melli Bank au point 4 du tableau B de l’annexe de ladite décision permettait à la requérante de savoir que le gel des fonds intervenait en raison de sa qualité de filiale de Bank Melli Iran.

 Appréciation de la Cour

92      Il convient d’emblée d’écarter le moyen tiré du défaut de notification de la décision litigieuse. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, ce moyen n’a pas été soulevé devant le Tribunal. Or, dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les juges du fond (arrêt du 15 septembre 2011, Allemagne/Commission, C‑544/09 P, point 63).

93      S’agissant de l’obligation de motivation, la requérante ne conteste pas le principe selon lequel cette obligation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, que le Tribunal a rappelé aux points 143 à 145 de l’arrêt attaqué. Elle soutient cependant que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la motivation de la décision litigieuse était suffisante et satisfaisait à l’obligation visée à l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 423/2007 de donner les raisons individuelles et spécifiques de cette décision.

94      Au point 147 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le Conseil avait indiqué, tant dans le titre de la décision litigieuse qu’au deuxième considérant de celle-ci, la base légale sur laquelle cette décision avait été adoptée, à savoir l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, et, au point 4 du tableau B de l’annexe de ladite décision, le fait que Bank Melli Iran participait à la prolifération nucléaire et le fait que la requérante figurait parmi les succursales et filiales de cette société.

95      Contrairement à ce que soutient la requérante, c’est sans entacher l’arrêt attaqué d’erreur de droit que la Tribunal a jugé qu’il n’était pas nécessaire de préciser que la décision litigieuse, en ce qui la concernait, avait été adoptée en application de l’article 7, paragraphe 2, sous d), dudit règlement, dès lors qu’il y était fait mention des succursales et des filiales de Bank Melli Iran.

96      Le Tribunal n’a dès lors pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 148 de l’arrêt attaqué, que la mention de la requérante comme filiale de Bank Melli Iran, fait nécessairement connu de la requérante et qui n’avait jamais été contesté, était suffisante au regard de la jurisprudence en matière d’obligation de motivation qu’il avait rappelée.

97      En ce qui concerne la possibilité d’introduire un recours, l’argument de la requérante procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, le Tribunal n’a pas, au point 151 de cet arrêt, indiqué simplement que la requérante avait pu introduire un recours, mais il a détaillé le contenu de la requête déposée dans l’affaire T‑246/08 pour conforter sa conclusion relative au caractère suffisant de la motivation, considérant à cet égard que, au moment de former son recours, la requérante était consciente du lien existant entre le gel de ses fonds et la participation à la prolifération nucléaire reprochée à son entité mère, Bank Melli Iran.

98      S’agissant de l’argument tiré de l’absence de communication du dossier du Conseil, celui-ci n’est pas pertinent aux fins de l’examen du moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation de la décision litigieuse, dans la mesure où le Tribunal a jugé, sans commettre d’erreur de droit, que la motivation de ladite décision était suffisante au regard de la jurisprudence en la matière.

99      Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être écarté.

100    Aucun des moyens invoqués par la requérante n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

 Sur les dépens

101    Aux termes de l’article 122 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, de ce règlement applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Melli Bank plc est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.