CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA
présentées le 26 septembre 2018 (1)
Affaire C‑492/17
Südwestrundfunk
contre
Tilo Rittinger,
Patric Wolter,
Harald Zastera,
Dagmar Fahner,
Layla Sofan,
Marc Schulte
[demande de décision préjudicielle
formée par le Landgericht Tübingen (tribunal régional de Tübingen, Allemagne)]
« Recours préjudiciel – Aides d’État – Législation d’un État membre qui oblige tous les adultes détenant un logement sur le territoire national à verser une contribution aux entreprises de radiodiffusion publiques »
1. Les services fournis par les organismes publics de radiodiffusion en Allemagne répondent au mandat constitutionnel résultant de l’article 5 du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne), relatif à la liberté d’opinion, des moyens de communication, de l’art et de la science. Le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) a interprété cette disposition en ce sens qu’elle oblige à fournir de tels services en garantissant leur impartialité et leur diversité ainsi que l’objectivité et l’équilibre du contenu des programmes (2).
2. Étant donné que les États fédérés (les Länder) sont dotés de la compétence législative en matière de radiodiffusion publique, la création et la gestion des organismes audiovisuels publics, ainsi que la fourniture de leurs services au niveau fédéral, ont été réglementés au moyen d’une série d’accords conclus entre ces États fédérés. Il ressort de ceux-ci que les organismes publics (ARD et ZDF au niveau national (3), ainsi que d’autres, comme SWR (4), au niveau régional) sont financés au moyen de recettes provenant essentiellement de trois sources : la contribution audiovisuelle (sur laquelle porte le présent renvoi préjudiciel) (5), la vente d’espaces publicitaires et d’autres activités commerciales.
3. En 2007, la Commission européenne a déclaré (6) que le mode de financement du service public de radiodiffusion allemand pouvait être qualifié d’« aide existante », au sens de l’article 1er, sous b), i), du règlement (CE) no 659/1999 (7). Cependant, dans sa décision de 2007, la Commission a identifié certains éléments qui le rendaient incompatible avec le marché intérieur et elle a donc invité le gouvernement allemand à adopter une série de mesures, qu’il a effectivement prises. Aucune d’entre elles ne concernait la contribution (ancienne redevance) qui fait l’objet du présent renvoi préjudiciel.
4. Une réforme de ce mode de financement est entrée en vigueur en 2013 : en résumé, jusqu’à cette date, la redevance était due pour la possession de chaque appareil de réception de programmes audiovisuels dans un logement, alors qu’ensuite, la contribution est devenue exigible du simple fait de la détention d’un tel logement en tant que propriétaire ou locataire (8).
5. Le nouveau critère de calcul de la contribution a été contesté devant différentes juridictions allemandes (9), parmi lesquelles figure le Landgericht Tübingen (tribunal régional de Tübingen, Allemagne), qui a saisi la Cour de ses doutes au sujet de la conformité de cette contribution au droit de l’Union.
6. Conformément aux instructions de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse des questions préjudicielles relatives aux aides d’État.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. Le protocole no 29 annexé au traité FUE
7. Eu égard au rôle particulier que joue la radiodiffusion de service public dans les États membres en relation avec les besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ainsi qu’avec la nécessité de préserver le pluralisme dans les médias (premier considérant), le protocole no 29 annexé au traité FUE sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres, qui a été introduit par le traité d’Amsterdam (10), dispose ce qui suit :
« Les dispositions des traités sont sans préjudice de la compétence des États membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion dans la mesure où ce financement est accordé aux organismes de radiodiffusion aux fins de l’accomplissement de la mission de service public telle qu’elle a été conférée, définie et organisée par chaque État membre et dans la mesure où ce financement n’altère pas les conditions des échanges et de la concurrence dans l’Union européenne dans une mesure qui serait contraire à l’intérêt commun, étant entendu que la réalisation du mandat de ce service public doit être prise en compte. »
2. Le règlement no 659/1999
8. Aux termes de l’article 1er du règlement no 659/1999:
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “aide” : toute mesure remplissant tous les critères fixés à l’article [107], paragraphe 1, [TFUE] ;
b) “aide existante” :
i) […] toute aide existant avant l’entrée en vigueur du [TFUE] dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant, et toujours applicables après, ladite entrée en vigueur ;
ii) toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil ;
[…]
c) “aide nouvelle” : toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ;
[…]
f) “aide illégale”: une aide nouvelle mise à exécution en violation de l’article [108], paragraphe 3, [TFUE] ;
[…] »
3. Le règlement (CE) no 794/2004
9. Le considérant 4 du règlement (CE) no 794/2004 (11) indique ce qui suit :
« Pour des raisons de sécurité juridique, il convient de spécifier que les augmentations de faible importance n’excédant pas 20 % du budget initial d’un régime d’aides, notamment celles destinées à tenir compte des effets de l’inflation, ne doivent pas être notifiées à la Commission car il est peu probable qu’elles aient des incidences sur l’appréciation portée à l’origine par la Commission sur la compatibilité du régime d’aides, pour autant que les autres conditions de celui-ci restent inchangées. »
10. L’article 4 du règlement no 794/2004 dispose :
« 1. Aux fins de l’article 1er, point c), du règlement (CE) no 659/1999, on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché commun. Toutefois, une augmentation du budget initial d’un régime d’aides existant n’excédant pas 20 % n’est pas considérée comme une modification de l’aide existante.
[…] »
4. La communication de 2009
11. Aux termes du point 21 de la communication de la Commission de 2009 concernant l’application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d’État (12) :
« Seul l’effet, et non l’objet, de l’intervention publique est déterminant pour juger de son caractère d’aide d’État au sens de l’article [107], paragraphe 1 […] Les organismes publics de radiodiffusion sont habituellement financés sur le budget de l’État ou par une redevance qui frappe les détenteurs d’équipements de radiodiffusion. […] Ces mesures financières émanent normalement des pouvoirs publics et entraînent le transfert de ressources d’État […] »
B. Le droit allemand
12. Parmi les accords conclus entre les États fédérés en matière de radiodiffusion publique, il convient de mentionner, aux fins de la présente affaire : a) le traité d’État relatif à la radiodiffusion et aux médias électroniques(13) b) le traité d’État sur le financement de la radiodiffusion (14) , et c) le traité d’État sur la contribution audiovisuelle (15).
1. Le traité d’État relatif à la radiodiffusion
13. Les articles 12 à 14 du traité d’État relatif à la radiodiffusion déterminent les principes fondamentaux sur lesquels repose le financement de la radiodiffusion publique en Allemagne. La dotation financière doit permettre au service public de radiodiffusion de remplir les missions définies par la Constitution et la loi, en garantissant son maintien et son développement.
14. L’article 13 expose les trois piliers fondamentaux de son financement (la contribution audiovisuelle, les recettes publicitaires et les recettes diverses), en soulignant que la contribution audiovisuelle doit constituer sa principale source de financement.
15. Il est instauré une commission de contrôle et d’évaluation des besoins financiers des organismes publics de radiodiffusion (16). En vertu de l’article 14 du traité d’État relatif à la radiodiffusion, ces besoins sont déterminés conformément aux principes d’économie et d’efficience, en tenant compte des possibilités de rationalisation, sur la base des prévisions établies par ces organismes eux-mêmes.
16. En ce qui concerne la fixation du montant de la contribution, l’article 14, paragraphe 4, du traité d’État relatif à la radiodiffusion renvoie au traité d’État sur le financement de la radiodiffusion.
2. La loi du Land sur la contribution audiovisuelle
17. Comme il appartient aux États fédérés de mettre en œuvre dans leurs législations les traités d’État susmentionnés, il convient de mentionner la loi du Land de Bade-Wurtemberg, dont la compatibilité avec le droit de l’Union fait l’objet des interrogations du juge de renvoi.
18. L’article 1er de la loi du Land sur la contribution audiovisuelle (17) dispose :
« La contribution audiovisuelle a pour objet d’assurer le financement approprié du service public de radiodiffusion, au sens de l’article 12, paragraphe 1, du traité d’État relatif à la radiodiffusion, et des missions énoncées à l’article 40 de ce même traité. »
19. Aux termes de l’article 2 de la loi du Land sur la contribution audiovisuelle :
« 1. Dans le secteur privé, une contribution audiovisuelle est acquittée pour tout logement par le détenteur de celui-ci (le redevable de la contribution).
2. On entend par détenteur d’un logement toute personne majeure qui habite elle-même le logement. Est présumée détenteur du logement toute personne qui :
1. y a son domicile déclaré, en application des dispositions en matière d’enregistrement, ou
2. est désignée comme locataire dans le contrat de location afférent au logement.
[…] »
20. En vertu de l’article 10 de la loi du Land sur la contribution audiovisuelle, les recettes de la contribution audiovisuelle reviennent principalement à l’organisme régional de radiodiffusion du lieu de situation du logement.
21. Ce même article 10 dispose ce qui suit :
« […]
(5) Le montant des arriérés de contribution audiovisuelle est déterminé par l’organisme régional de radiodiffusion […]
(6) Les avis de recouvrement sont exécutés par voie de procédure d’exécution administrative […] »
3. La Loi de Bade-Wurtemberg sur l’exécution par voie administrative
22. En Allemagne, les modalités de recouvrement des dettes à l’égard de l’administration sont réglées par les lois des États fédérés. Dans celle du Land de Bade-Wurtemberg (18), les articles 13 et 14 prévoient, respectivement, les actes et les titres sur la base desquels les créances des administrations peuvent faire l’objet d’une exécution, ainsi que les conditions de forme requises à cet égard. Une sommation accordant un délai d’au moins une semaine pour un paiement volontaire est ainsi requise.
23. L’article 15 de ladite loi, relatif au recouvrement des créances par voie administrative, renvoie, en substance, aux dispositions de l’Abgabenordnung (code allemand des impôts), qui s’appliquent mutatis mutandis, à la condition toutefois que l’exécution de la créance soit assurée par l’administration compétente et non par un huissier de justice (19).
II. Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles
24. Dans les affaires dont est saisie la juridiction de renvoi, les débiteurs sont redevables de la contribution et ont omis de la verser ou ne l’ont pas versée intégralement, à différentes périodes comprises entre le mois de janvier 2013 et la fin de l’année 2016.
25. En 2015 et 2016, SWR a dressé à l’encontre de chacun des débiteurs, sur la base de ses propres liquidations et presque toujours pour des montants de plusieurs centaines d’euros, des titres exécutoires par lesquels SWR réclame le paiement de la contribution, augmenté des frais de sommation et des pénalités de retard.
26. Les débiteurs ont refusé le paiement, en remettant notamment en cause la conformité de la nouvelle législation à l’article 108 TFUE. Selon eux : a) la modification du fait générateur était substantielle et aurait donc dû être notifiée à la Commission avant son entrée en vigueur ; b) la contribution sert à financer un monopole du système de transmission DVB-T2 de télévision numérique terrestre, qui exclut les opérateurs étrangers, et c) le régime d’exécution forcée de la contribution impayée, au moyen d’un privilège de l’administration, constitue une autre aide incompatible avec l’article 107 TFUE, car il soustrait les organismes publics de radiodiffusion à la procédure d’exécution forcée de droit commun.
27. En conséquence des recours des débiteurs, l’Amtsgericht Tübingen (tribunal de district de Tübingen, Allemagne) a ordonné la suspension temporaire de trois de ces procédures d’exécution forcée. Les juridictions compétentes des villes de Reutlingen et Calw ont rejeté les recours des débiteurs en cause en ce qui concerne les trois autres procédures d’exécution forcée.
28. Il a été fait appel de ces jugements devant le Landgericht Tübingen (tribunal régional de Tübingen). Dans trois de ces appels, SWR conteste la suspension des procédures d’exécution susmentionnées. Dans les trois autres, les débiteurs contestent le rejet de leurs demandes.
29. Pour ce qui a trait aux questions que j’analyserai dans les présentes conclusions, la juridiction de renvoi indique, en premier lieu, que la contribution est versée uniquement aux organismes publics de radiodiffusion, notamment ZDF et SWR. Puisque cette contribution n’est pas volontaire, n’est soumise à aucune condition et ne s’accompagne d’aucune contrepartie, elle est assimilable à un impôt et constitue, du fait de sa nature normative, une aide d’État (20).
30. Pour la juridiction de renvoi, la réforme législative affectant le fait générateur de la contribution (auparavant, la possession d’un récepteur et, désormais, la détention d’un logement) implique, depuis le 1er janvier 2013, une modification substantielle qui aurait dû être notifiée à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. En tout état de cause, l’aide résultant de cette modification ne serait pas compatible avec le marché intérieur, en application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE.
31. En deuxième lieu, la contribution serait contraire au droit de l’Union dans la mesure où une partie des recettes obtenues sert à mettre en place un système de transmission de télévision numérique terrestre, à savoir le DVB-T2, sous la forme d’un monopole dont les radiodiffuseurs des autres États membres sont exclus. Pour la juridiction de renvoi, la situation est assimilable à celle de l’affaire relative au passage de la technologie analogique à la technologie numérique, qui a donné lieu à l’arrêt du 15 septembre 2011, Allemagne/Commission (21).
32. De plus, il s’agirait d’un impôt affecté à une fin, puisque le nombre de redevables, qui couvre toute la population adulte, aurait été étendu, ce qui aurait conduit à une augmentation significative des recettes d’environ 700 millions d’euros par an. En somme, la nouvelle législation serait constitutive d’une aide d’État illégale, car les activités des organismes publics et privés dans le cadre de la DVB-T2 seraient financées à travers l’impôt.
33. En troisième lieu, la juridiction de renvoi considère que les organismes publics de radiodiffusion bénéficient d’une autre aide d’État, dans la mesure où ils ont la faculté de dresser leurs propres titres exécutoires en vue du recouvrement des contributions impayées. Le mécanisme d’exécution de droit public, qui est plus efficace, rapide et économique que la voie exécutoire ordinaire, à laquelle les administrations ne sont pas tenues de recourir, se traduit par une réduction des coûts d’exécution.
34. Dans ce contexte, le Landgericht Tübingen (tribunal régional de Tübingen) a saisi la Cour de sept questions préjudicielles, dont je ne reproduis, pour les raisons indiquées, que les trois premières :
« 1) [La] loi de Bade-Wurtemberg du 18 octobre 2011, portant application du traité d’État sur la contribution audiovisuelle du 17 décembre 2010 […], tel[le] que modifié[e] en dernier lieu par l’article 4 du […] [d]ix-neuvième traité d’État modificatif sur la radiodiffusion […] du 3 décembre 2015 […] est-[elle] incompatible avec le droit de l’Union, au motif que la contribution prévue par ce texte et qui doit en principe être acquittée sans exception depuis le 1er janvier 2013 par tout adulte résidant en Bade-Wurtemberg au profit des organismes de radiodiffusion SWR et ZDF constitue une aide en leur faveur contraire au droit de l’Union, en ce qu’elle profite exclusivement à ces organismes publics de radiodiffusion, au détriment d’organismes privés de radiodiffusion ? Les articles 107 et 108 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens que la loi sur la contribution audiovisuelle aurait dû être approuvée par la Commission et que, à défaut d’une telle approbation, elle est sans effet ?
2) Les articles 107 et 108 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent aux dispositions [de la loi du Land sur la contribution audiovisuelle] prévoyant que tout adulte résidant en Bade-Wurtemberg doit en principe acquitter sans exception une contribution destinée exclusivement aux radiodiffuseurs officiels ou du service public, au motif que cette contribution implique une aide en leur faveur visant à exclure, pour des raisons techniques, les radiodiffuseurs des États de l’Union européenne, dans la mesure où lesdites contributions sont utilisées aux fins de la mise en place d’un système de transmission concurrent (monopole de la norme DVB-T2) dont il n’est pas prévu qu’il soit utilisé par des radiodiffuseurs étrangers ? Les articles 107 et 108 TFUE doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’ils ne s’appliquent pas qu’à des formes directes d’aide financière, mais visent également d’autres privilèges significatifs du point de vue économique (habilitation à délivrer un titre exécutoire, droit d’agir en tant qu’entreprise commerciale comme en tant qu’autorité publique, situation plus favorable en ce qui concerne les modalités de calcul des dettes) ?
3) Est-il compatible avec le principe d’égalité de traitement et l’interdiction des aides préférentielles qu’en application d’une loi nationale du Land de Bade‑Wurtemberg, un télédiffuseur allemand, entité de droit public conçue comme une autorité publique tout en étant en concurrence, sur le marché publicitaire, avec les télédiffuseurs du secteur privé, soit privilégié par rapport à ces derniers, en ce qu’il n’est pas tenu, contrairement à ses concurrents privés, de saisir une juridiction ordinaire aux fins de rendre exécutoires les créances qu’il détient à l’encontre des téléspectateurs avant d’en poursuivre l’exécution forcée, mais peut délivrer lui-même, sans recours au juge, un titre exécutoire qui l’autorise de la même façon à procéder à l’exécution forcée ? »
III. La procédure devant la Cour
35. La décision de renvoi est parvenue au greffe de la Cour le 11 août 2017. Des observations écrites ont été déposées par SWR, le gouvernement allemand, le gouvernement suédois ainsi que par la Commission, dont les représentants respectifs ont assisté à l’audience qui s’est tenue le 4 juillet 2018.
36. À l’occasion de l’audience, les parties se sont prononcées sur les questions spécifiques que la Cour les avait invitées à aborder : a) les motifs de l’instauration de la contribution ; b) l’augmentation des recettes consécutive à la modification de la législation et l’affectation exclusive de celles-ci au financement des activités de radiodiffusion publique, et c) le fonctionnement du mécanisme d’exécution forcée des contributions impayées.
IV. Analyse
37. Dans leurs observations écrites, SWR et le gouvernement allemand invoquent l’irrecevabilité partielle ou totale du renvoi préjudiciel. Eu égard au caractère limité des présentes conclusions, qui se cantonnent aux questions susmentionnées, je ne me prononcerai pas sur cette objection, sauf en ce qui concerne la deuxième question.
A. La modification de la contribution audiovisuelle en tant qu’aide nouvelle (première question préjudicielle)
1. Résumé des arguments des parties
38. Les parties qui ont déposé des observations conviennent du fait que la loi du Land sur la contribution audiovisuelle ne modifie pas substantiellement l’aide examinée par la décision de 2007. En conséquence, celle-ci ne pouvant pas être qualifiée d’aide nouvelle, il n’était pas nécessaire de la notifier à la Commission.
39. SWR, qui est soutenu par le gouvernement allemand, considère que les conditions déterminées par la jurisprudence de la Cour pour que la notification de la mesure soit requise ne sont pas réunies (22). Ainsi, les éléments suivants n’auraient fait l’objet d’aucune modification : a) le domaine d’activité du service public de radiodiffusion ; b) les bénéficiaires de la contribution, qui restent les seuls organismes publics ; c) la source de financement, le critère pertinent à cet égard restant la possibilité de recevoir des programmes de radiodiffusion et non le fait de suivre concrètement ces programmes, et d) le montant de la contribution. La modification du fait générateur répondrait à la nécessité de faire face à la croissance des impayés et d’alléger la charge de la preuve dans le cadre des nombreuses procédures en recouvrement.
40. Le régime de financement des organismes publics de radiodiffusion allemands ayant déjà été qualifié d’aide existante dans la décision de 2007, le gouvernement suédois affirme qu’il conviendrait d’analyser la portée des modifications introduites. La réforme du mode de perception de la contribution constitue une simple modification administrative qui n’affecte pas la substance du régime. Il n’existerait donc pas de modification d’une aide existante, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004 et de la communication de 2009. En tout état de cause, en vertu du protocole no 29, les dispositions du traité FUE ne s’opposeraient pas à ce que les États membres déterminent le mode de financement de ce service public.
41. Eu égard aux considérants 142 à 151 de la décision de 2007, la Commission considère que les recettes de la contribution audiovisuelle doivent être qualifiées d’aide d’État, à l’instar de celles de la redevance audiovisuelle à laquelle elle a succédé.
42. En effet, ces recettes restent soumises aux critères fixés par la loi (23), bénéficient à un organisme public d’intérêt général, et leur prélèvement, leur calcul ainsi que leur utilisation sont soumis au contrôle de l’État (24). Il s’agirait, en somme, d’un financement par l’État ou par des fonds publics (25).
43. À l’instar de SWR et du gouvernement allemand, la Commission considère que l’objectif poursuivi, la nature de l’avantage, le cercle des bénéficiaires et leurs activités ainsi que la base juridique et le montant de la contribution audiovisuelle restent inchangés, seuls les paramètres de calcul (qui se réfèrent non plus à l’appareil récepteur, mais au logement) ayant subi une modification, justifiée par l’évolution technologique et notamment la multiplication des dispositifs multimédias portables.
2. Appréciation
44. Bien que la première question préjudicielle se divise en deux branches, il suffit en réalité de déterminer si la nouvelle loi du Land sur la contribution audiovisuelle aurait dû être notifiée à la Commission, car il s’agit d’une modification substantielle du régime de financement approuvé (sous certaines conditions) par la décision de 2007.
45. Il ressort de la jurisprudence que les modifications apportées à un régime d’aides d’État peuvent porter soit sur des aides existantes, soit sur des projets initiaux notifiés à la Commission (26). En l’espèce, il est constant que la réforme législative de 2011 modifie une aide existante ou un régime d’aides déjà autorisé, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999.
46. Le débat se cristallise donc autour de la question de savoir si cette modification présente un caractère substantiel ou purement formel ou administratif. Une fois cette question résolue, il sera possible de déterminer la compatibilité de la nouvelle mesure avec le marché commun (27), conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004.
47. Le caractère mineur de la modification de l’aide existante, qui n’entraînerait aucune obligation de notification, dépend de la question de savoir si les modifications affectent des « éléments constitutifs des régimes d’aides préexistants » (28). Une « modification substantielle » survient lorsque des changements sont apportés à un ou plusieurs de ces éléments fondamentaux, qu’ils soient de nature subjective (29), objective (30) ou temporelle (31).
48. S’agissant d’aides existantes avant l’entrée en vigueur du traité FUE, l’importance de la modification doit être évaluée en fonction du contenu de l’aide elle-même, de ses modalités et de ses limites (32). Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, l’aide, existante ou non (33), a préalablement été examinée et approuvée par la Commission, c’est la décision de cette dernière qui sert de référence (34).
49. Dans ces conditions, je pense que la réforme introduite par la loi du Land sur la contribution audiovisuelle ne relève pas de la notion de « modification substantielle du régime antérieur ».
50. La modification concerne le financement d’un service d’intérêt économique général (celui de la radiodiffusion publique en Allemagne), pour lequel vaut également la distinction entre aides existantes et aides nouvelles (35). En conséquence, dans la décision de 2007, la Commission a analysé aussi bien l’existence d’un avantage au niveau du financement de ce service public au moyen de (ce qui était alors) la redevance, à la lumière des critères de la jurisprudence Altmark (36), que sa compatibilité avec le marché intérieur, conformément à l’article 106, paragraphe 2, TFUE.
51. Il convient de rappeler que la modification introduite par la loi du Land sur la contribution audiovisuelle consiste à substituer la possession d’un appareil récepteur des signaux émis par les organismes de radiodiffusion allemands, en tant que fait générateur de l’obligation de payer la contribution, par la simple détention d’un logement, dans lequel habite une personne majeure. La règle est donc la suivante : « un logement, une contribution ».
52. Il découle des informations disponibles que ce changement ne touche pas les bénéficiaires de l’aide, qui restent les organismes publics de radiodiffusion, alors qu’il affecte les redevables de la contribution, puisque l’obligation de paiement s’étend à des détenteurs d’immeubles qui n’y étaient pas nécessairement soumis auparavant.
53. Les éléments temporels restent également inchangés, car, tant que le mandat constitutionnel auquel j’ai fait référence subsistera (37), les pouvoirs publics devront veiller à ce que les organismes de radiodiffusion disposent des moyens indispensables à leur mission.
54. En ce qui concerne les éléments objectifs, la finalité de la mesure (financer le service public) et le cercle des activités subventionnées restent inchangés. Comme je l’ai déjà mis en évidence, la modification se limite au remplacement du critère de la détention d’un appareil par celui de l’occupation d’un logement.
55. Cette modification pourrait en théorie impliquer une augmentation du nombre de redevables de la contribution, et donc une hausse des recettes perçues par les organismes de radiodiffusion à ce titre. Toutefois, il ne semble pas que tel ait été le cas en pratique. La Commission reproduit les chiffres publiés par la KEF (38), qui montrent que lesdites recettes sont restées stables entre 2009 (avant la modification législative) et 2016 (39).
56. En tout état de cause, les sommes perçues par les organismes publics de radiodiffusion ne dépendent pas uniquement des recettes générales de la contribution (40). Parmi les facteurs qui ont une influence sur la détermination du montant des recettes finales de ces organismes provenant de la contribution, il convient de souligner l’intervention de la KEF, qui contrôle et détermine les besoins financiers des organismes publics de radiodiffusion (41). Les rapports de la KEF servent de base aux décisions formelles des parlements et des gouvernements des États fédérés, qui fixent le montant de la contribution (42).
57. Il convient donc de constater que ni la hausse du nombre de redevables de la contribution ni l’augmentation (supposée) des recettes finales qui en découle ne sont pertinentes pour juger de la nouveauté de la mesure, au sens susmentionné. Quel que soit le montant de ces recettes, la part de celles-ci qui est destinée aux organismes publics de radiodiffusion (c’est-à-dire la part qui peut véritablement être qualifiée d’aide d’État) est celle que déterminent les gouvernements et les parlements des États fédérés, après l’intervention de la KEF. Il n’existe donc pas de relation automatique entre l’augmentation (éventuelle) de la recette finale et le montant de l’aide que perçoivent les organismes publics de radiodiffusion.
58. Autrement dit, une modification du rôle joué par la KEF (43), de ses critères d’affectation aux besoins objectifs de financement ou de l’obligation des gouvernements ou des parlements des États fédérés de respecter ses propositions, en vue de fixer le montant de la contribution, pourrait avoir davantage de répercussions sur le montant de l’aide que la modification de l’élément objectif du fait générateur de la contribution.
59. Il convient de prendre en compte le fait que, dans le cadre d’une analyse à l’aune des critères de la jurisprudence Altmark, l’intervention de la KEF est pertinente afin que l’aide octroyée aux organismes publics de radiodiffusion respecte, sans les dépasser, les sommes nécessaires à la couverture des coûts inhérents à leur obligation de service public (44).
60. Le protocole no 29 annexé au traité FUE est ainsi respecté ; il reconnaît la faculté des États membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion « dans la mesure où » les fonds sont octroyés aux organismes de radiodiffusion « aux fins de l’accomplissement de la mission de service public telle qu’elle a été conférée, définie et organisée par chaque État membre ».
61. De plus, la KEF se porte garante du fait que les recettes générées par les activités commerciales des organismes publics de radiodiffusion sont déduites du montant de l’aide. Il en va de même des éventuelles recettes excédentaires générées par la contribution, si elles ne servent pas à couvrir les coûts prévus (45). Selon le gouvernement allemand, ces excédents sont utilisés pour alimenter les réserves financières des organismes publics de radiodiffusion, qui ne peuvent pas en disposer avant que la KEF ne les ait évaluées en vue de déterminer les besoins de financement.
62. Dans ce contexte, la simple modification de la base sur laquelle est déterminée l’obligation de paiement à la charge des redevables ne présente pas le poids suffisant pour changer, à elle seule, le montant de l’aide publique perçue par les organismes de radiodiffusion et donc influer sur la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur (46).
63. Au cas où les éléments qui précèdent ne suffiraient pas, il convient d’ajouter que la modification du fait générateur s’explique aussi, entre autres, par les progrès technologiques. Le maintien du système antérieur (« un appareil, une redevance ») aurait fait courir le risque d’une multiplication des recettes, compte tenu de la prolifération de nouveaux appareils, tels que les ordinateurs individuels (47) ou les téléphones intelligents, qui permettent d’accéder aux programmes de radiodiffusion (48).
64. La réforme répond également à la volonté de simplifier la gestion de la collecte de la redevance qui, comme il ressort des observations déposées, connaissait une augmentation des impayés sous l’empire du système fondé sur la détention d’appareils récepteurs.
65. Dans ces conditions, je considère que le changement apporté par la loi du Land sur la contribution audiovisuelle ne présente pas une portée suffisante, tant sur le plan qualitatif que sur le plan quantitatif, pour être regardé comme une modification substantielle, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, qui devrait être notifiée à la Commission.
B. La contribution en tant qu’aide à la création d’un système de transmission concurrent (monopole DVB-T2) dont l’usage par des émetteurs étrangers n’est pas prévu (première partie de la deuxième question préjudicielle)
1. Résumé des arguments des parties
66. Dans ses observations écrites, SWR souligne que l’accessibilité technique du service public est intimement liée à la mission d’intérêt général de la radiodiffusion. SWR considère que le système de transmission DVB-T2 ne crée pas de monopole en faveur des organismes publics de radiodiffusion, car 26 des 40 canaux resteraient à la disposition des concurrents. En tout état de cause, le développement de ce système ne serait pas constitutif d’un avantage au sens de l’article 107 TFUE et n’engendrerait aucune discrimination des opérateurs étrangers, puisqu’il découle de la nature des organismes publics de radiodiffusion que leurs fonctions impliquent la diffusion sur l’ensemble du territoire pour lequel ils assurent la radiodiffusion.
67. Le gouvernement allemand, qui partage les arguments de SWR, insiste toutefois à titre principal sur le défaut de pertinence de la mise en place du système de transmission numérique terrestre DVB-T2 aux fins de l’analyse des modifications apportées à la redevance à la lumière des règles du traité FUE en matière d’aides d’État.
68. La Commission ne voit pas non plus comment l’utilisation des recettes de la contribution audiovisuelle pour les investissements dans les nouvelles technologies peut conduire à la constitution d’un monopole dans le domaine de la télévision numérique terrestre DVB‑T2, et elle fournit des données qui établiraient que celle-ci est à la disposition des opérateurs privés. D’une part, elle estime que les investissements des radiodiffuseurs publics représentent des coûts liés à l’accomplissement de leur mission de service public. D’autre part, elle renvoie au point 74 de la communication sur la radiodiffusion publique, qui mentionne explicitement la constitution de réserves financières exceptionnelles en vue d’investissements technologiques importants, qui sont nécessaires à l’accomplissement de ladite mission. En conséquence, ces investissements seraient compatibles avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE.
69. Le gouvernement suédois ne se prononce pas sur cette question.
2. Appréciation
70. Dans la première partie de sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi semble demander que la contribution, telle qu’elle a été instaurée par la loi du Land sur la contribution audiovisuelle, soit déclarée incompatible avec les articles 107 et 108 TFUE, parce que ses recettes sont utilisées afin de permettre le passage du système de transmission numérique des signaux DVB-T à un système plus avancé (DVB-T2), dont les émetteurs des autres États membres seraient exclus.
71. Je rejoins les critiques des parties qui ont déposé des observations écrites sur la pertinence de cette question et la manière dont elle est posée, car le cadre juridique de référence n’est pas exposé avec la clarté requise. Cette circonstance empêche de déterminer la conformité de la loi du Land sur la contribution audiovisuelle au droit de l’Union sur ce point.
72. À titre subsidiaire, je pense que la question repose sur des prémisses ambiguës ou insuffisamment étayées. S’agissant, par exemple, de la technologie DVB-T2, elle la qualifie de monopole, alors que cette technologie est ouverte aux radiodiffuseurs publics et privés, de sorte que les opérateurs publics allemands ne se trouvent pas dans une situation privilégiée par rapport aux opérateurs privés.
73. Dans le cadre du passage à la nouvelle technologie DVB-T2, ce sont les autorités compétentes (et non les organismes de radiodiffusion) qui prennent les décisions sur les capacités de transmission et la planification des zones de diffusion. Comme l’affirme la Commission, quelles que soient les modifications apportées au fait générateur de la contribution, celles-ci n’ont rien à voir avec le fait que le nombre de fréquences disponibles soit, en Allemagne comme dans d’autres États membres, limité en vertu d’autres règles.
74. Le fait que les recettes de la contribution permettent aux radiodiffuseurs publics d’accéder à la technologie DVB-T2 n’invalide pas, en soi, la loi du Land sur la contribution audiovisuelle, et n’est pas nécessairement constitutif d’une aide d’État contraire au traité FUE. Comme je l’ai indiqué en réponse à la première question préjudicielle, la KEF doit effectuer l’analyse des dépenses et des investissements (notamment ceux liés aux avancées technologiques, telles que le DVB-T2), afin de déterminer ceux qui sont justifiés par l’accomplissement des missions de service public confiées aux organismes qui se trouvent sous son contrôle (49).
75. En conséquence, même dans l’hypothèse où la Cour pourrait apporter à la juridiction de renvoi des éléments d’appréciation quant à la qualification d’aides d’État des sommes collectées au moyen de la contribution et utilisées pour la création du système DVB-T2, ceux-ci seraient dépourvus d’intérêt aux fins d’évaluer la compatibilité entre la loi du Land sur la contribution audiovisuelle et le droit de l’Union.
C. Le mécanisme d’exécution administrative de la contribution impayée en tant qu’aide nouvelle (seconde partie de la deuxième question préjudicielle et troisième question préjudicielle)
1. Résumé des arguments des parties
76. SWR et le gouvernement allemand observent que lorsqu’ils perçoivent la contribution audiovisuelle, également par voie d’exécution, les organismes régionaux de radiodiffusion exercent une mission de service public qui leur a été confiée par la loi et ils agissent en tant qu’entités de droit public (c’est-à-dire en tant qu’entités de l’administration indirecte de l’État), ce qui les distingue des opérateurs privés.
77. Ils font valoir que le recours à l’exécution administrative des créances résultant du non-paiement de la contribution audiovisuelle est l’un des aspects que la Commission a examinés dans la décision de 2007.
78. Le gouvernement allemand ajoute que tant le financement du service public de radiodiffusion que le fait générateur et la procédure de recouvrement relèvent de la compétence des États membres.
79. Pour la Commission, la possibilité d’établir des titres exécutoires représente un avantage à l’égard des opérateurs privés. Dans la mesure où ce privilège relève de la compensation que reçoivent les organismes publics de radiodiffusion pour l’accomplissement de leur mission de service public, il serait compatible avec les règles en matière d’aides d’État (50). Ledit privilège pourrait être qualifié de droit accessoire à la mission publique de radiodiffusion et il représenterait un élément inhérent à l’aide existante, comme l’indique la décision de 2007.
80. Le gouvernement suédois n’a pas non plus présenté d’observations au sujet de cette question préjudicielle.
2. Appréciation
81. La troisième question préjudicielle est liée à la seconde partie de la deuxième question préjudicielle, toutes deux portant sur le régime de l’exécution administrative aux fins du recouvrement des contributions impayées. Je les analyserai donc conjointement
82. La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner, bien que de manière incidente, une question relative au régime de l’exécution administrative des créances impayées au titre de la redevance audiovisuelle, et elle a constaté que les organismes disposant de cette faculté jouissent de prérogatives de puissance publique (51). Le fait que l’affaire en question porte sur des marchés publics ne fait pas obstacle à la transposition de cette conclusion en l’espèce.
83. Il est vrai que, conformément à l’arrêt Trapeza Eurobank Ergasias (52), auquel la Commission renvoie, une telle mesure pourrait être qualifiée de privilège vis-à-vis d’autres concurrents de droit privé. Toutefois, il ne faut pas oublier que la contribution est exclusivement destinée au financement de la mission de service public confiée aux organismes publics de radiodiffusion et non à celui d’activités commerciales. Par conséquent, le recouvrement au moyen d’une procédure relevant d’un privilège de l’administration garantit la collecte des fonds nécessaires pour remplir ladite mission, conformément au mandat de la loi.
84. Si, comme l’affirme le juge de renvoi, la contribution présente une nature similaire à celle d’un impôt, il n’est pas illogique que soient employés des moyens (d’exécution) identiques à ceux utilisés pour recouvrer les impôts. Eu égard à son caractère de prérogative de droit public, tant le paiement volontaire que le recouvrement par voie d’exécution mettent en évidence le fait qu’elle est inhérente à la garantie de la fourniture du service public de radiodiffusion. Le système d’exécution forcée contribue de la même manière à l’efficacité du recouvrement.
85. Quoi qu’il en soit, l’argument décisif pour la réponse à cette question, en ce qui concerne le régime des aides publiques, est que, comme l’indiquent SWR et le gouvernement allemand, la Commission a déjà pris en compte, dans la décision de 2007, l’existence de la prérogative de recouvrement des impayés au moyen d’une procédure exécutoire de nature administrative.
86. Dans sa décision, la Commission a indiqué que les organismes de radiodiffusion s’étaient vus accorder le droit de collecter la contribution directement, y compris par la voie administrative (53). Cette appréciation permettait de considérer que les recettes ainsi obtenues restaient sous le contrôle public et présentaient donc le caractère de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (54).
87. La loi du Land sur la contribution audiovisuelle n’ayant apporté aucune innovation à cet égard, le système d’exécution administrative prévu par la législation antérieure reste inchangé et est donc couvert par la décision de 2007.
88. Par ailleurs, la différence de traitement entre les opérateurs de radiodiffusion publics et privés à cet égard ne saurait être analysée isolément, mais doit être vue au regard de l’ensemble des droits et obligations que la loi prévoit pour chacun d’entre eux. Les organismes de droit public font l’objet de limitations, découlant de l’exercice de leurs missions de service public, qui ne pèsent pas sur les opérateurs privés. En contrepartie, rien ne s’oppose à ce qu’ils jouissent de facultés exorbitantes, par rapport à celles prévues par le droit privé, soumises à un contrôle juridictionnel postérieur.
89. La différence des statuts juridiques peut justifier que, pour la perception d’une contribution présentant une nature de droit public, les instruments à caractère administratif prévus en vue de procéder à son exécution forcée puissent être utilisés en cas de défaut de paiement.
V. Conclusion
90. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de déclarer irrecevable la première partie de la deuxième question préjudicielle et d’apporter la réponse suivante aux trois premières questions préjudicielles du Landgericht Tübingen (tribunal régional de Tübingen, Allemagne) :
1) La loi de Bade-Wurtemberg du 18 octobre 2011, portant application du traité d’État sur la contribution audiovisuelle du 17 décembre 2010, qui modifie le fait générateur de la contribution audiovisuelle en remplaçant la possession d’un appareil récepteur par la détention d’un logement :
– ne constitue pas une modification d’une aide existante, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] ;
– ne crée donc pas d’aide nouvelle, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE], qui aurait dû être notifiée à la Commission, en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ou approuvée par celle-ci.
2) Les articles 107 et 108 TFUE ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que la loi susmentionnée du Land de Bade-Wurtemberg, qui autorise les organismes publics de radiodiffusion financés par une contribution audiovisuelle à émettre leurs propres titres exécutoires et à procéder à leur exécution, en vue de recouvrer ladite contribution en cas de non-paiement, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la voie juridictionnelle ordinaire.