Language of document : ECLI:EU:C:2018:643

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

7 août 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives – Champ d’application – Cession de créance – Contrat de prêt conclu avec un consommateur – Critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause de ce contrat fixant le taux des intérêts moratoires – Conséquences de ce caractère »

Dans les affaires jointes C‑96/16 et C‑94/17,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites respectivement par le Juzgado de Primera Instancia n° 38 de Barcelona (tribunal de première instance n° 38 de Barcelone, Espagne), par décision du 2 février 2016, parvenue à la Cour le 17 février 2016, et par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décision du 22 février 2017, parvenue à la Cour le 23 février 2017, dans les procédures

Banco Santander SA

contre

Mahamadou Demba,

Mercedes Godoy Bonet (C‑96/16),

et

Rafael Ramón Escobedo Cortés

contre

Banco de Sabadell SA (C‑94/17),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, M. A. Tizzano (rapporteur), vice‑président de la Cour, MM. E. Levits, A. Borg Barthet et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 janvier 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour Banco Santander SA, par Mes A. M. Rodríguez Conde et J. M. Rodríguez Cárcamo, abogados,

–        pour Banco de Sabadell SA, par Mes A. M. Rodríguez Conde et J. M. Rodríguez Cárcamo, abogados,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme V. Ester Casas, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz, N. Ruiz García et M. van Beek ainsi que par Mme A. Cleenewerck de Crayencour, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 mars 2018,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, pour le premier, Banco Santander SA à Mme Mercedes Godoy Bonet et à M. Mahamadou Demba (C‑96/16), et, pour le second, M. Rafael Ramón Escobedo Cortés à Banco de Sabadell SA (C‑94/17), au sujet de l’exécution de contrats de prêt conclus entre ces parties.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le treizième considérant de la directive 93/13 énonce :

« considérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; que, par conséquent, il ne s’avère pas nécessaire de soumettre aux dispositions de la présente directive les clauses qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives [...] ; que, à cet égard, l’expression “dispositions législatives ou réglementaires impératives” figurant à l’article 1er paragraphe 2 couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ».

4        L’article 1er de cette directive dispose :

« 1.      La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

2.      Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives [...] ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »

5        L’article 3, paragraphes 1 et 3, de ladite directive prévoit :

« 1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

[...]

3.      L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »

6        L’article 4, paragraphe 1, de la même directive est libellé comme suit :

« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

7        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

8        L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

9        L’article 8 de ladite directive énonce :

« Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. »

10      Le point 1, sous e), de l’annexe de la même directive inclut, au sein de la liste des clauses visées à l’article 3, paragraphe 3, de celle‑ci, celles ayant pour objet ou pour effet « d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé ».

 Le droit espagnol

 Les dispositions relatives à la cession de créance

11      L’article 1535 du Código Civil (code civil), qui régit le droit du débiteur de racheter sa dette en cas de cession de créance, dispose :

« Lorsqu’une créance litigieuse est cédée, le débiteur a le droit de l’éteindre en remboursant au cessionnaire le prix que ce dernier a payé ainsi que les frais qu’il a exposés et les intérêts du prix à compter de la date de ce paiement.

Une créance est considérée comme litigieuse lorsque l’action en justice relative à celle-ci fait l’objet d’une contestation.

Le débiteur peut se prévaloir de son droit dans un délai de neuf jours à compter de la demande de paiement présentée par le cessionnaire. »

12      La substitution du cessionnaire d’une créance au cédant dans les procédures en cours est régie par les articles 17 et 540 de la Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000 portant code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, p. 575, ci-après le « code de procédure civile »), ledit article 17 s’appliquant dans le cadre des procédures au fond et ledit article 540 dans celui des procédures en exécution.

 Les dispositions relatives aux clauses abusives

13      L’article 82 du texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias (texte portant refonte de la loi générale pour la défense des consommateurs et des utilisateurs et d’autres lois complémentaires), approuvé par le Real Decreto Legislativo 1/2007 (décret royal législatif 1/2007), du 16 novembre 2007 (BOE n° 287, du 30 novembre 2007, p. 49181, ci-après la « LGDCU »), dispose :

« Sont considérées comme des clauses abusives toutes les stipulations n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle et toutes les pratiques non consenties expressément qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur et de l’utilisateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »

14      L’article 85, paragraphe 6, de la LGDCU prévoit que sont abusives « les clauses qui imposent au consommateur et usager qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé ». Cette disposition transpose les dispositions combinées de l’article 3, paragraphes 1 et 3, ainsi que du point 1, sous e), de l’annexe de la directive 93/13, tout en précisant que, en droit espagnol, le type de clause visé audit point 1, sous e), est toujours considéré comme étant abusif.

 La jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)

15      Il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑94/17 que, dans ses arrêts n° 265/2015, du 22 avril 2015, n° 470/2015, du 7 septembre 2015 et n° 469/2015, du 8 septembre 2015 (ci-après les « arrêts des 22 avril, 7 et 8 septembre 2015 »), le Tribunal Supremo (Cour suprême) a constaté que, en l’absence de critères légaux dont découleraient des règles claires aux fins de l’appréciation du caractère abusif des clauses non négociées définissant le taux des intérêts moratoires dans les contrats de prêt personnel conclus avec les consommateurs, les juridictions espagnoles de première instance et d’appel appliquaient des critères différents. Il en résultait une grande insécurité juridique et une différence arbitraire de traitement entre les consommateurs en fonction de la juridiction saisie du litige. D’importantes divergences existaient aussi dans la détermination des conséquences du caractère éventuellement abusif de ces clauses.

16      Par conséquent, afin de mettre un terme à cette situation d’insécurité juridique et à ces disparités, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a estimé qu’il était nécessaire de définir les critères d’appréciation du caractère abusif desdites clauses et de déterminer ces conséquences.

17      À cette fin, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a, d’une part, relevé que, conformément à l’article 85, paragraphe 6, de la LGDCU, sont abusives les clauses qui imposent au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé. D’autre part, il a analysé les dispositions nationales applicables en cas de retard de paiement du débiteur en l’absence d’accord entre les parties dans divers domaines ainsi que les taux des intérêts moratoires généralement prévus par les contrats de prêt ayant fait l’objet d’une négociation individuelle avec les consommateurs.

18      Il a conclu de cette analyse que devaient être déclarées abusives les clauses non négociées des contrats de prêt personnel conclus avec les consommateurs relatives aux intérêts moratoires répondant au critère selon lequel le taux de ces intérêts dépasse de plus de deux points de pourcentage celui des intérêts ordinaires convenu entre les parties au contrat.

19      En effet, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a exposé que la fixation d’un tel taux d’intérêts moratoires entraîne un écart injustifié par rapport aux pourcentages prévus par les dispositions nationales applicables en cas de retard de paiement du débiteur mentionnées au point 17 du présent arrêt et qu’un professionnel ne pouvait pas raisonnablement estimer que, en traitant le consommateur équitablement, ce dernier accepterait, dans le cadre d’une négociation individuelle, une clause stipulant des intérêts d’un tel taux.

20      S’agissant des conséquences du caractère abusif des clauses en question, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a constaté que, dans les affaires dont il était saisi, le taux des intérêts moratoires fixé par ces clauses consistait en une majoration du taux des intérêts ordinaires par un certain nombre de points de pourcentage. Il en a déduit que, dans l’hypothèse où lesdites clauses seraient déclarées abusives, il conviendrait de supprimer intégralement la majoration que les intérêts moratoires représentent par rapport aux intérêts ordinaires, de sorte que seuls ces derniers continuent à courir. En revanche, il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de supprimer également lesdits intérêts ordinaires, qui conservent leur fonction de rémunération de la mise à disposition de l’argent prêté.

21      La solution retenue dans les arrêts des 22 avril, 7 et 8 septembre 2015 a été étendue aux contrats de prêt hypothécaire par les arrêts n° 705/2015, du 23 décembre 2015, n° 79/2016, du 18 février 2016 et n° 364/2016, du 3 juin 2016.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C96/16

22      Le 2 novembre 2009 et le 22 septembre 2011, M. Demba et Mme Godoy Bonet ont conclu avec l’établissement bancaire Banco Santander deux contrats de prêt, d’un montant de 30 750 euros avec une échéance au 2 novembre 2014 pour le premier et d’un montant de 32 153,63 euros avec une échéance au 22 septembre 2019 pour le second. Conformément aux conditions générales de ces contrats, les taux des intérêts ordinaires et moratoires applicables étaient respectivement de 8,50 % et de 18,50 % pour le premier contrat, et de 11,20 % et de 23,70 % pour le second contrat.

23      M. Demba et Mme Godoy Bonet ayant cessé de verser à Banco Santander les mensualités prévues par lesdits contrats, cette dernière a déclaré l’échéance anticipée de ceux-ci et a saisi la juridiction de renvoi, à savoir le Juzgado de Primera Instancia n° 38 de Barcelona (tribunal de première instance n° 38 de Barcelone, Espagne), d’une demande en exécution des créances détenues à l’égard de M. Demba et de Mme Godoy Bonet pour un montant total de 53 664,14 euros.

24      Bien que cette possibilité ne soit pas prévue par les contrats en cause, Banco Santander a, le 16 juin 2015, cédé ces créances par acte authentique à un tiers pour un montant estimé de 3 215,72 euros, en se fondant sur les dispositions pertinentes du code civil. Ce tiers a ainsi demandé à être substitué à Banco Santander dans la procédure d’exécution introduite par cette dernière devant la juridiction de renvoi.

25      Cette juridiction s’interroge sur le droit éventuel de M. Demba et de Mme Godoy Bonet de racheter leur dette et, ainsi, de l’éteindre, en remboursant audit tiers le montant que celui-ci a payé au titre de la cession en cause, majoré des intérêts, des frais et des dépens applicables.

26      À cet égard, elle souligne que, tout en prévoyant un tel droit de rachat, l’article 1535 du code civil limite cependant celui-ci aux créances dites « litigieuses », c’est-à-dire à celles faisant l’objet d’une contestation au fond dans le cadre d’une procédure déclaratoire. Ainsi, cet article ne prévoirait pas la possibilité pour le débiteur de se prévaloir de ce droit dans le cadre d’une procédure d’exécution de la créance, telle que la procédure au principal, ou d’une cession extrajudiciaire, ce qui, selon la juridiction de renvoi, ne garantit pas une protection suffisante des intérêts des consommateurs. Ladite juridiction ajoute qu’une telle protection n’est pas non plus assurée par les articles 17 et 540 du code de procédure civile, qui encadrent la substitution du cédant par le cessionnaire dans les procédures en cours, étant donné notamment que ces dispositions ne font pas mention du droit du débiteur de racheter sa dette prévu à l’article 1535 du code civil.

27      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi émet des doutes sur la compatibilité avec le droit de l’Union et, en particulier, avec la directive 93/13 d’une pratique consistant pour un professionnel, en l’absence d’une clause contractuelle spécifique en ce sens, à céder ou à acheter une créance pour un faible prix, sans que le débiteur ne soit préalablement informé de cette cession ou n’y donne son consentement et sans lui donner la possibilité de racheter sa dette, et ainsi de l’éteindre, en remboursant au cessionnaire le prix que celui-ci a versé au titre de ladite cession, majoré des frais, intérêts et dépens applicables.

28      Par ailleurs, cette juridiction s’interroge sur les éléments à prendre en compte pour examiner le caractère éventuellement abusif des clauses des contrats en cause au principal fixant le taux des intérêts moratoires applicable et sur les conséquences à tirer d’un tel caractère. Dans ce cadre, elle nourrit des doutes sur la compatibilité avec la directive 93/13 de la jurisprudence issue des arrêts du Tribunal Supremo (Cour suprême) des 22 avril, 7 et 8 septembre 2015.

29      Dans ce contexte, le Juzgado de Primera Instancia n° 38 de Barcelona (tribunal de première instance n° 38 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      a)      La pratique d’un professionnel consistant à céder ou à acheter une créance sans donner au consommateur la possibilité d’éteindre la dette en payant le prix, les intérêts et les dépens au cessionnaire est-elle conforme au droit de l’Union et, plus précisément, à l’article 38 de la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne] [...] ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 2, à l’article 12 et à l’article 169, paragraphe 1, TFUE ?

b)      Cette pratique d’un professionnel, qui consiste à acheter la dette d’un consommateur pour un montant dérisoire sans que ce dernier en ait connaissance ou y consente, sans que cette pratique ne figure dans une condition générale ou une clause abusive imposée dans le contrat et sans donner au consommateur l’opportunité de participer à cette opération en exerçant le droit de rachat, est-elle conforme aux principes énoncés dans la directive [93/13] et, par extension, au principe d’effectivité, ainsi qu’[à l’article] 3, paragraphe 1, et [à l’article] 7, paragraphe 1, de cette directive ?

2)      a)      Afin de garantir la protection des consommateurs et des utilisateurs et le respect de la jurisprudence qui la met en œuvre, est-il conforme au droit de l’Union, à la directive 93/13 et, plus particulièrement, à [son article] 6, paragraphe 1, et [son article] 7, paragraphe 1, de fixer comme critère non équivoque que, dans les contrats de prêt sans garantie réelle conclus avec des consommateurs, une clause non négociée prévoyant un taux d’intérêts moratoires dépassant de plus de deux points de pourcentage le taux d’intérêts [ordinaires] est abusive ?

b)      Afin de garantir la protection des consommateurs et des utilisateurs et le respect de la jurisprudence qui la met en œuvre, est-il conforme au droit de l’Union, à la directive 93/13 et, plus particulièrement, à [son article] 6, paragraphe 1, et à [son article] 7, paragraphe 1, d’établir comme conséquence que les intérêts [ordinaires] continuent à courir jusqu’au remboursement complet de la dette ? »

 L’affaire C94/17

30      Le 11 janvier 1999, M. Escobedo Cortés a conclu avec la Caja de Ahorros del Mediterrráneo, devenue Banco de Sabadell, un contrat de prêt hypothécaire d’un montant de 17 633,70 euros, remboursable par mensualités. Les clauses 3 et 3 bis de ce contrat prévoyaient un taux d’intérêts ordinaires de 5,5 % par an, sous réserve de variation à partir de la première année. Au moment des faits pertinents au principal, ce taux s’élevait à 4,75 % par an. La clause 6 dudit contrat stipulait que le taux des intérêts moratoires était de 25 % par an.

31      M. Escobedo Cortés, en retard de paiement, a introduit devant le Juzgado de Primera Instancia (tribunal de première instance, Espagne) un recours contre Banco de Sabadell tendant à l’annulation, notamment, de cette dernière clause, au motif que celle-ci présentait un caractère abusif.

32      Ce tribunal a déclaré que ladite clause était abusive et a, par conséquent, estimé que le taux des intérêts moratoires applicable devait être réduit à la limite prévue à l’article 114, paragraphe 3, de la Ley Hipotecaria (loi hypothécaire), telle que modifiée par la Ley 1/2013 de medidas para reforzar la protección a los deudores hipotecarios, reestructuración de deuda y alquiler social (loi 1/2013 relative aux mesures visant à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, la restructuration de la dette et le loyer social), du 14 mai 2013 (BOE n° 116, du 15 mai 2013, p. 36373), qui correspond à un taux trois fois supérieur au taux d’intérêt légal. Cette décision a été confirmée en appel par un arrêt du 18 septembre 2014 de l’Audiencia Provincial de Alicante (cour provinciale d’Alicante, Espagne).

33      M. Escobedo Cortés a formé un pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi, à savoir le Tribunal Supremo (Cour suprême), contre cet arrêt, au motif que celui-ci viole l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13. En effet, selon lui, dès lors que la clause du contrat de prêt au principal fixant le taux des intérêts moratoires a été déclarée abusive, ce contrat ne doit plus produire d’intérêts ni moratoires ni ordinaires.

34      Selon cette juridiction, ce pourvoi soulève des doutes s’agissant de l’interprétation de plusieurs dispositions de cette directive, dont l’application est indispensable afin de trancher celui‑ci, en ce qui concerne la constatation du caractère abusif de cette clause et les conséquences de ce caractère. En particulier, des incertitudes subsisteraient sur la compatibilité de sa jurisprudence issue des arrêts des 22 avril 2015, 7 et 8 septembre 2015 ainsi que des arrêts des 23 décembre 2015, 18 février 2016 et 3 juin 2016, visés au point 21 du présent arrêt, avec ladite directive.

35      Dans ce contexte, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 3, lu en combinaison avec le point 1, sous e), de l’annexe et l’article 4, paragraphe 1, de la directive [93/13] s’opposent-ils à une jurisprudence d’après laquelle la clause d’un contrat de prêt prévoyant un taux d’intérêts moratoires représentant une majoration de plus de deux points de pourcentage du taux d’intérêts [ordinaires] annuel fixé dans le contrat est une indemnité disproportionnellement élevée imposée au consommateur en retard de paiement et est, par conséquent, abusive ?

2)      Les dispositions combinées de l’article 3 et du point 1, sous e), de l’annexe de la directive [93/13], ainsi que de [l’article] 4, paragraphe 1, de [l’article] 6, paragraphe 1, et de [l’article] 7, paragraphe 1, de cette directive s’opposent-ils à une jurisprudence qui, pour statuer sur le caractère abusif d’une clause d’un contrat de prêt fixant le taux d’intérêts moratoires, désigne en tant qu’objet du contrôle du caractère abusif le surcoût que ce taux représente par rapport au taux d’intérêts [ordinaires] dans la mesure où il constitue “une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé imposée au consommateur qui n’exécute pas ses obligations” et décide que la conséquence de la constatation de ce caractère abusif doit être la suppression totale de ce surcoût, de sorte que seuls les intérêts [ordinaires] continuent à courir jusqu’au remboursement du prêt ?

3)      En cas de réponse positive à la deuxième question, l’annulation d’une clause fixant le taux d’intérêts moratoires en raison de son caractère abusif doit-elle avoir d’autres effets, comme par exemple la suppression totale du cours des intérêts, tant [ordinaires] que moratoires, ou la production d’intérêts au taux légal lorsque l’emprunteur n’exécute pas son obligation de payer les remboursements du prêt aux échéances convenues, afin que ses effets soient compatibles avec la directive [93/13] ? »

 La procédure devant la Cour

36      Par ordonnances du président de la Cour du 13 juillet 2016 et du 5 avril 2017, les demandes respectives du Juzgado de Primera Instancia n° 38 de Barcelona (tribunal de première instance n° 38 de Barcelone) et du Tribunal Supremo (Cour suprême) tendant à ce que les affaires C‑96/16 et C‑94/17 soient soumises à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour ont été rejetées.

37      Par décision de la Cour du 21 novembre 2017, ces affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question, sous a), et la première question, sous b), dans l’affaire C96/16

38      Par sa première question, sous a), et sa première question, sous b), dans l’affaire C‑96/16, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une pratique d’un professionnel consistant à céder ou à acheter une créance détenue à l’égard d’un consommateur, sans que la possibilité d’une telle cession ne soit prévue par le contrat de prêt conclu avec ce consommateur, sans que ce dernier ne soit préalablement informé de cette cession ou n’y donne son consentement et sans que la faculté lui soit offerte de racheter sa dette, et ainsi de l’éteindre, en remboursant au cessionnaire le prix que celui-ci a versé au titre de ladite cession, majoré des frais, intérêts et dépens applicables.

39      À cet égard, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 43 de ses conclusions, il ressort du libellé de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que de l’économie générale de celle‑ci que cette directive ne s’applique qu’aux clauses contractuelles, à l’exclusion des simples pratiques.

40      Or, en l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’aucune clause des contrats au principal ne prévoit ni n’encadre la possibilité pour Banco Santander de céder à un tiers la créance qu’il détient à l’égard des débiteurs au principal ainsi que le droit éventuel de ces derniers de racheter leur dette auprès de ce tiers. Ainsi, cette cession aurait été effectuée sur le fondement des dispositions pertinentes du code civil.

41      Il s’ensuit que ladite directive ne s’applique pas aux pratiques visées par la première question, sous a), et la première question, sous b), dans l’affaire C‑96/16, en l’absence de toute clause contractuelle à cet égard.

42      Pour autant que, par ces questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la directive 93/13 s’oppose aux dispositions nationales règlementant la cession de créance ainsi que la substitution du cessionnaire au cédant dans les procédures en cours, qui figurent à l’article 1535 du code civil ainsi qu’aux articles 17 et 540 du code de procédure civile, au motif que ces dispositions ne garantiraient pas une protection suffisante des intérêts des consommateurs pour les raisons rappelées au point 26 du présent arrêt, il importe de relever que, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ne sont pas soumises aux dispositions de ladite directive.

43      Selon une jurisprudence constante de la Cour, ainsi qu’il ressort du treizième considérant de la directive 93/13, l’exclusion du champ d’application de cette directive prévue audit article 1er, paragraphe 2, s’étend aux dispositions du droit national s’appliquant entre les parties contractantes indépendamment de leur choix et à celles qui sont applicables par défaut, c’est-à-dire en l’absence d’un arrangement différent des parties à cet égard. Cette exclusion est justifiée par le fait qu’il est légitime de présumer que le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats, équilibre que le législateur de l’Union a explicitement entendu préserver (voir, en ce sens, ordonnance du 7 décembre 2017, Woonhaven Antwerpen, C‑446/17, non publiée, EU:C:2017:954, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).

44      Il ressort, en substance, de la jurisprudence de la Cour que ladite exclusion couvre les dispositions législatives ou réglementaires impératives autres que celles se rapportant au contrôle des clauses abusives, notamment celles relatives à l’étendue des pouvoirs du juge national afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle (voir, en ce sens, ordonnance du 7 décembre 2017, Woonhaven Antwerpen, C‑446/17, non publiée, EU:C:2017:954, point 27 et jurisprudence citée).

45      Dans l’ordonnance du 5 juillet 2016, Banco Popular Español et PL Salvador (C‑7/16, non publiée, EU:C:2016:523, points 24 à 27), la Cour a déjà jugé, à la lumière de cette jurisprudence, que l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 couvrait une disposition nationale telle que l’article 1535 du code civil au motif que cet article constituait une disposition impérative et qu’il ne concernait pas l’étendue des pouvoirs du juge national pour apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle. À ce denier égard, il convient d’ajouter, de manière plus générale, que ledit article 1535 ne semble pas se rapporter au contrôle des clauses abusives.

46      À la lumière des informations contenues dans la décision de renvoi, il semble qu’il en aille de même des articles 17 et 540 du code de procédure civile, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

47      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question, sous a), et à la première question, sous b), dans l’affaire C‑96/16, d’une part, que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle n’est pas applicable à une pratique d’un professionnel consistant à céder ou à acheter une créance détenue à l’égard d’un consommateur, sans que la possibilité d’une telle cession ne soit prévue par le contrat de prêt conclu avec ce consommateur, sans que ce dernier ne soit préalablement informé de cette cession ou n’y donne son consentement et sans que la faculté lui soit offerte de racheter sa dette, et ainsi de l’éteindre, en remboursant au cessionnaire le prix que celui-ci a versé au titre de ladite cession, majoré des frais, intérêts et dépens applicables. D’autre part, cette directive n’est pas non plus applicable à des dispositions nationales, telles que celles figurant à l’article 1535 du code civil ainsi qu’aux articles 17 et 540 du code de procédure civile, qui encadrent une telle possibilité de rachat et régissent la substitution du cédant par le cessionnaire dans les procédures en cours.

 Sur la seconde question, sous a), dans l’affaire C96/16 et la première question dans l’affaire C94/17

48      Par la seconde question, sous a), dans l’affaire C‑96/16 et la première question dans l’affaire C‑94/17, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une jurisprudence nationale, telle que celle du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal, selon laquelle une clause non négociée d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur fixant le taux des intérêts moratoires applicable est abusive, au motif qu’elle impose au consommateur en retard de paiement une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé, dès lors que ce taux dépasse de plus de deux points de pourcentage celui des intérêts ordinaires prévu par ce contrat.

 Sur la recevabilité

49      Tant Banco Santander et le gouvernement espagnol, dans l’affaire C‑96/16, que Banco de Sabadell, dans l’affaire C‑94/17, font valoir que les questions rappelées au point précédent du présent arrêt sont irrecevables au motif qu’elles soulèvent une problématique purement hypothétique.

50      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Dès lors que ces questions portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 19 ainsi que jurisprudence citée).

51      En effet, de telles questions bénéficient d’une présomption de pertinence. Il n’est possible pour la Cour de refuser de statuer sur celles-ci que lorsque, notamment, les exigences concernant le contenu de la demande de décision préjudicielle figurant à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour ne sont pas respectées, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de la validité d’une règle de l’Union, demandée par la juridiction nationale, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 20 ainsi que jurisprudence citée).

52      Or, en l’occurrence, s’agissant, en premier lieu, de la seconde question, sous a), dans l’affaire C‑96/16, il ressort de la décision de renvoi dans cette affaire que la juridiction de renvoi ne s’est pas encore prononcée définitivement sur le caractère abusif des clauses des contrats en cause au principal fixant le taux des intérêts moratoires. En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 53 de ses conclusions, il découle de cette même décision que, par cette question, cette juridiction cherche en substance à savoir si le critère dégagé par le Tribunal Supremo (Cour suprême), tel que rappelé au point 18 du présent arrêt, est compatible avec le système de protection des consommateurs établi par la directive 93/13 dans la mesure où il s’appliquerait de manière objective etautomatique, sans permettre au juge national saisi de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Une réponse à ladite question serait utile à ladite juridiction notamment afin de déterminer sur la base de quels éléments celle-ci doit se fonder pour vérifier le caractère abusif des clauses au principal.

53      S’agissant, en second lieu, de la première question dans l’affaire C‑94/17, il n’apparaît pas non plus de manière manifeste que cette question n’aurait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème serait de nature purement hypothétique. En effet, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 54 de ses conclusions, la juridiction de renvoi a, en substance, indiqué que le pourvoi dont elle est saisie, bien que portant concrètement sur les conséquences du caractère abusif de la clause en cause au principal, soulève également des doutes concernant l’interprétation des dispositions de la directive 93/13 relatives à la constatation de ce caractère. Par ailleurs, il ne peut être exclu que, conformément au droit espagnol, cette juridiction puisse ou doive réexaminer d’office ledit caractère dans le cadre du pourvoi pendant devant elle et, plus particulièrement, les critères à l’aune desquels ce caractère doit être établi – point qu’elle ne paraît pas avoir encore définitivement tranché – et ce d’autant que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la question de savoir si une clause contractuelle doit être déclarée abusive doit être assimilée à une question d’ordre public, le juge national étant tenu, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 44, et du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, points 40, 41 et 44).

54      Par conséquent, la seconde question, sous a), dans l’affaire C‑96/16 et la première question dans l’affaire C‑94/17 sont recevables.

 Sur le fond

–       Observations liminaires

55      Banco Santander ainsi que Banco de Sabadell font valoir que le critère dégagé dans la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal, qui est mentionné au point 18 du présent arrêt, n’est pas contraignant. Ainsi, selon ces établissements bancaires, bien que les juridictions espagnoles semblent, dans les faits, avoir appliqué de manière automatique ce critère, le juge national pourrait toujours, si les circonstances de l’espèce le justifient, s’en écarter.

56      Par ailleurs, lors de l’audience devant la Cour, le gouvernement espagnol a exposé que la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) constitue un complément de l’ordre juridique national dans la mesure où elle assure une interprétation uniforme de la loi par les juridictions nationales. Cependant, selon ce gouvernement, cette jurisprudence n’a pas de valeur contraignante ou obligatoire, en ce sens qu’elle est dépourvue de caractère normatif erga omnes, n’a pas force de loi et n’est pas une source de droit dans cet ordre juridique. Ainsi, les juridictions inférieures pourraient s’en écarter et tenter d’amener le Tribunal Supremo (Cour suprême) à la modifier. Ledit gouvernement a ajouté que ladite jurisprudence est toutefois revêtue d’une force d’exemplarité, en ce sens que les décisions des juridictions nationales inférieures peuvent être annulées par le Tribunal Supremo (Cour suprême) si elles s’écartent de cette même jurisprudence.

57      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de l’ordre juridique national, la Cour est en principe tenue de se fonder sur les qualifications résultant de la décision de renvoi. En effet, selon une jurisprudence constante, la Cour n’est pas compétente pour interpréter le droit interne d’un État membre (arrêt du 16 février 2017, Agro Foreign Trade & Agency, C‑507/15, EU:C:2017:129, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

58      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 65 à 67 de ses conclusions, il découle des décisions de renvoi que, selon les juridictions de renvoi, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a, dans la jurisprudence en cause au principal, établi une présomption irréfragable selon laquelle est abusive une clause répondant au critère mentionné au point 18 du présent arrêt.

59      En outre, il ressort également en substance de ces décisions ainsi que des considérations exposées au point 56 du présent arrêt que le caractère contraignant de cette jurisprudence à l’égard des juridictions espagnoles inférieures ne saurait être exclu, en ce sens que celles-ci sont tenues, sous peine d’encourir la censure du Tribunal Supremo (Cour suprême) saisi sur pourvoi, de déclarer abusive une telle clause.

60      Dans ces conditions, la Cour doit répondre aux questions posées en se fondant sur les prémisses exposées aux deux points précédents du présent arrêt.

61      Par ailleurs, il importe de relever que, s’il résulte de la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal que toute clause satisfaisant au critère mentionné au point 18 du présent arrêt est présumée abusive, cette jurisprudence ne semble en revanche pas priver le juge national de la possibilité de considérer qu’une clause d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur ne remplissant pas ce critère, c’est-à-dire une clause fixant un taux d’intérêts moratoires ne dépassant pas de plus de deux points de pourcentage celui des intérêts ordinaires prévu par le contrat, est néanmoins abusive et, le cas échéant, de l’écarter, ce qu’il appartient aux juridictions de renvoi de vérifier.

–       Sur la réponse à la seconde question, sous a), dans l’affaire C96/16 et à la première question dans l’affaire C94/17

62      Afin de répondre aux questions posées, il importe de relever d’emblée, sous réserve des vérifications à opérer par les juridictions de renvoi, que le Tribunal Supremo (Cour suprême) semble s’être fondé, pour définir le critère mentionné au point 18 du présent arrêt, sur les orientations dégagées par la Cour s’agissant de l’appréciation du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle.

63      En effet, il ressort des considérations exposées aux points 17 à 19 du présent arrêt ainsi que du dossier dont dispose la Cour que le Tribunal Supremo (Cour suprême) a, à cette fin, examiné les règles nationales applicables dans divers domaines du droit et a cherché à déterminer le niveau du taux d’intérêts moratoires qui pourrait être raisonnablement accepté par un consommateur traité de façon loyale et équitable à l’issue d’une négociation individuelle, tout en veillant notamment à préserver la fonction de ces intérêts, qui serait en particulier de dissuader les retards de paiement et d’indemniser de manière proportionnée le créancier en cas de tels retards. Il semble donc que le Tribunal Supremo (Cour suprême) se soit conformé aux exigences rappelées notamment dans l’arrêt du 14 mars 2013, Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164, points 68, 69, 71 et 74).

64      En qui concerne le point de savoir si la directive 93/13 s’oppose à l’application d’un critère jurisprudentiel, tel que celui mentionné au point 18 du présent arrêt, dans la mesure où il en résulte que toute clause contractuelle y répondant est présumée, de manière irréfragable, abusive, il convient de rappeler que cette directive repose sur la prémisse selon laquelle le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (arrêt du 21 décembre 2016, Biuro podróży « Partner », C‑119/15, EU:C:2016:987, point 28 et jurisprudence citée).

65      Eu égard à une telle situation d’infériorité, ladite directive énonce, à son article 3, paragraphe 1, l’interdiction de clauses standardisées qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat (arrêt du 21 mars 2013, RWE Vertrieb, C‑92/11, EU:C:2013:180, point 42).

66      Il appartient au juge national de vérifier si les clauses contractuelles dont il est saisi doivent être qualifiées d’abusives, en tenant, en principe, compte, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de cette même directive, de l’ensemble des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 71).

67      La Cour a, en substance, déduit de ces dispositions ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 que celle-ci s’opposerait à une réglementation nationale définissant un critère au regard duquel le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié, dans l’hypothèse où cette réglementation empêcherait le juge national saisi d’une clause ne satisfaisant pas à ce critère d’examiner ce caractère et, le cas échéant, de déclarer cette clause abusive et de l’écarter (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, points 28 à 42). Comme il a été exposé au point 61 du présent arrêt, il ne semble toutefois pas que tel soit l’effet de la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal.

68      À cet égard, comme M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 60 de ses conclusions, il ne saurait être exclu que, dans leur rôle d’harmonisation dans l’interprétation du droit et dans un souci de sécurité juridique, les juridictions suprêmes d’un État membre, telles que le Tribunal Supremo (Cour suprême), puissent, dans le respect de la directive 93/13, élaborer certains critères à l’aune desquels les juridictions inférieures doivent examiner le caractère abusif des clauses contractuelles.

69      Or, si la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal ne paraît certes pas relever des dispositions plus strictes pouvant être adoptées par les États membres afin d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur en vertu de l’article 8 de cette directive dès lors, notamment, que, comme le gouvernement espagnol l’a exposé lors de l’audience devant la Cour, cette jurisprudence ne semble pas avoir force de loi ni constituer une source de droit dans l’ordre juridique espagnol, il n’en demeure pas moins que l’élaboration d’un critère jurisprudentiel, tel que celui dégagé en l’occurrence par le Tribunal Supremo (Cour suprême), s’inscrit dans l’objectif de protection des consommateurs poursuivi par ladite directive. En effet, il résulte de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que de l’économie générale de celle-ci que cette directive ne vise pas tant à garantir un équilibre contractuel global entre les droits et les obligations des parties au contrat qu’à éviter la survenance d’un déséquilibre entre ces droits et ces obligations au détriment des consommateurs.

70      Il s’ensuit que ladite directive ne s’oppose pas à l’établissement d’un tel critère.

71      Dès lors, il y a lieu de répondre à la seconde question, sous a), dans l’affaire C‑96/16 et à la première question dans l’affaire C‑94/17 que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une jurisprudence nationale, telle que celle du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal, selon laquelle une clause non négociée d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur fixant le taux des intérêts moratoires applicable est abusive, au motif qu’elle impose au consommateur en retard de paiement une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé, dès lors que ce taux dépasse de plus de deux points de pourcentage celui des intérêts ordinaires prévu par ce contrat.

 Sur la seconde question, sous b), dans l’affaire C96/16 et la deuxième question dans l’affaire C94/17

72      Par la seconde question, sous b), dans l’affaire C‑96/16 et la deuxième question dans l’affaire C‑94/17, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une jurisprudence nationale, telle que celle du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal, selon laquelle la conséquence du caractère abusif d’une clause non négociée d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur fixant le taux des intérêts moratoires consiste en la suppression totale de ces intérêts, les intérêts ordinaires prévus par ce contrat continuant à courir.

73      Afin de répondre à ces questions, il importe de rappeler que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, le juge national saisi d’une clause contractuelle abusive est uniquement tenu d’écarter l’application de celle‑ci afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sans qu’il soit habilité à réviser le contenu de cette clause. En effet, ce contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression de ladite clause, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible (arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 71 et jurisprudence citée).

74      Si la Cour a reconnu la possibilité pour le juge national de substituer à une clause abusive une disposition de droit interne à caractère supplétif, il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette possibilité est limitée aux hypothèses dans lesquelles l’invalidation de cette clause obligerait le juge à annuler le contrat dans son ensemble, exposant par là le consommateur à des conséquences telles que ce dernier en serait pénalisé. Dans cette perspective, ainsi que la Cour l’a, en substance, jugé, l’annulation d’une clause d’un contrat de prêt fixant le taux des intérêts moratoires applicable ne saurait avoir de conséquences négatives pour le consommateur concerné dans la mesure où les montants pouvant être réclamés à ce dernier par le prêteur seront nécessairement moindres en l’absence d’application de ces intérêts moratoires (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, points 33 et 34).

75      Par ailleurs, la directive 93/13 n’exige pas que le juge national écarte, outre la clause déclarée abusive, celles qui n’ont pas été qualifiées comme telles. En effet, l’objectif poursuivi par cette directive consiste à protéger le consommateur et à rétablir l’équilibre entre les parties en écartant l’application des clauses considérées comme abusives, tout en maintenant, en principe, la validité des autres clauses du contrat en cause (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2013, Jőrös, C‑397/11, EU:C:2013:340, point 46, et du 31 mai 2018, Sziber, C‑483/16, EU:C:2018:367, point 32).

76      En particulier, il ne découle pas de ladite directive que la mise à l’écart ou l’annulation de la clause d’un contrat de prêt fixant le taux des intérêts moratoires, du fait du caractère abusif de celle-ci, devrait également entraîner celle de la clause de ce contrat fixant le taux des intérêts ordinaires et ce d’autant que ces différentes clauses doivent être clairement distinguées. À ce dernier égard, il convient en effet de relever que, ainsi qu’il résulte de la décision de renvoi dans l’affaire C‑94/17, les intérêts moratoires visent à sanctionner l’inexécution par le débiteur de son obligation d’effectuer les remboursements du prêt aux échéances contractuellement convenues, à dissuader ce débiteur de prendre du retard dans l’exécution de ses obligations et, le cas échéant, à indemniser le prêteur du préjudice subi du fait d’un retard de paiement. En revanche, les intérêts ordinaires ont une fonction de rétribution de la mise à disposition d’une somme d’argent par le prêteur jusqu’au remboursement de celle-ci.

77      Comme M. l’avocat général l’a relevé au point 90 de ses conclusions, ces considérations s’appliquent quelle que soit la manière dont sont rédigées la clause contractuelle déterminant le taux des intérêts moratoires et celle fixant le taux des intérêts ordinaires. En particulier, elles valent non seulement lorsque le taux des intérêts moratoires est défini indépendamment du taux des intérêts ordinaires, dans une clause distincte, mais également lorsque le taux des intérêts moratoires est déterminé sous la forme d’une majoration du taux des intérêts ordinaires par un certain nombre de points de pourcentage. Dans ce dernier cas, la clause abusive consistant en cette majoration, la directive 93/13 exige uniquement que ladite majoration soit annulée.

78      En l’occurrence, sous réserve des vérifications à opérer par les juridictions de renvoi, il ressort des décisions de renvoi que la solution retenue dans la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal implique que le juge national, qui a constaté le caractère abusif de la clause d’un contrat de prêt fixant le taux des intérêts moratoires, écarte purement et simplement l’application de cette clause ou de la majoration que ces intérêts représentent par rapport aux intérêts ordinaires, sans pouvoir substituer à ladite clause des dispositions législatives supplétives ni réviser la clause en question, tout en maintenant la validité des autres clauses de ce contrat, en particulier celle relative aux intérêts ordinaires.

79      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question, sous b), dans l’affaire C‑96/16 et à la deuxième question dans l’affaire C‑94/17 que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une jurisprudence nationale, telle que celle du Tribunal Supremo (Cour suprême) en cause au principal, selon laquelle la conséquence du caractère abusif d’une clause non négociée d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur fixant le taux des intérêts moratoires consiste en la suppression totale de ces intérêts, les intérêts ordinaires prévus par ce contrat continuant à courir.

 Sur la troisième question dans l’affaire C94/17

80      Compte tenu de la réponse négative apportée à la deuxième question dans l’affaire C‑94/17, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question dans cette affaire.

 Sur les dépens

81      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1)      La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens, d’une part, qu’elle n’est pas applicable à une pratique d’un professionnel consistant à céder ou à acheter une créance détenue à l’égard d’un consommateur, sans que la possibilité d’une telle cession ne soit prévue par le contrat de prêt conclu avec ce consommateur, sans que ce dernier ne soit préalablement informé de cette cession ou n’y donne son consentement et sans que la faculté lui soit offerte de racheter sa dette, et ainsi de l’éteindre, en remboursant au cessionnaire le prix que celui-ci a versé au titre de ladite cession, majoré des frais, intérêts et dépens applicables. D’autre part, cette directive n’est pas non plus applicable à des dispositions nationales, telles que celles figurant à l’article 1535 du Código Civil (code civil) ainsi qu’aux articles 17 et 540 de la Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000 portant code de procédure civile), du 7 janvier 2000, qui encadrent une telle possibilité de rachat et régissent la substitution du cédant par le cessionnaire dans les procédures en cours.

2)      La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une jurisprudence nationale, telle que celle du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) en cause au principal, selon laquelle une clause non négociée d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur fixant le taux des intérêts moratoires applicable est abusive, au motif qu’elle impose au consommateur en retard de paiement une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé, dès lors que ce taux dépasse de plus de deux points de pourcentage celui des intérêts ordinaires prévu par ce contrat.

3)      La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une jurisprudence nationale, telle que celle du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) en cause au principal, selon laquelle la conséquence du caractère abusif d’une clause non négociée d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur fixant le taux des intérêts moratoires consiste en la suppression totale de ces intérêts, les intérêts ordinaires prévus par ce contrat continuant à courir.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.