Language of document : ECLI:EU:C:2008:709

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

11 décembre 2008 (*)

«Pourvoi – Aides d’État – Projet de régime d’aides en faveur des petites et moyennes entreprises – Compatibilité avec le marché commun – Critères d’examen des aides d’État – Application dans le temps – Projet notifié avant l’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 70/2001 – Décision postérieure à cette entrée en vigueur – Confiance légitime – Sécurité juridique – Notification complète»

Dans l’affaire C‑334/07 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 17 juillet 2007,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. K. Gross, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Freistaat Sachsen, représenté par Me Th. Lübbig, Rechtsanwalt,

partie requérante en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), J. Makarczyk, P. Kūris et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 3 mai 2007, Freistaat Sachsen/Commission (T-357/02, Rec. p. II‑1261, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a partiellement annulé la décision 2003/226/CE de la Commission, du 24 septembre 2002, relative au régime d’aides envisagé par l’Allemagne – «Programme en faveur des petites et moyennes entreprises – Amélioration des performances des entreprises de Saxe» – Sous-programmes 1 (coaching), 4 (participation à des foires et expositions), 5 (coopération) et 7 (promotion de la stylique) (JO 2003, L 91, p. 13, ci-après «la décision litigieuse»).

 Le cadre juridique

2        Le règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), définit les procédures applicables à l’exercice, par la Commission, du pouvoir qui lui est conféré par l’article 88 CE de se prononcer sur la compatibilité des aides d’État avec le marché commun.

3        Le présent pourvoi met en jeu, plus particulièrement, les dispositions suivantes de ce règlement:

–        l’article 1er, sous f), qui définit l’«aide illégale» comme «une aide nouvelle mise à exécution en violation de l’article 93, paragraphe 3, du traité»;

–        l’article 1er, sous h), qui contient la définition suivante:

«‘parties intéressées’: tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle‑ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles.»

–        l’article 2, paragraphe 2, lequel dispose:

«Dans sa notification, l’État membre concerné fournit tous les renseignements nécessaires pour permettre à la Commission de prendre une décision conformément aux articles 4 et 7 (‘notification complète’).»

–        l’article 4, paragraphe 1, qui énonce:

«La Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception. Sans préjudice de l’article 8, elle prend une décision en application des paragraphes 2 [(décision selon laquelle la mesure notifiée ne constitue pas une aide)], 3 [(décision de ne pas soulever d’objections)] ou 4 [(décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen)].»

–        l’article 4, paragraphe 5, lequel prévoit:

«Les décisions visées aux paragraphes 2, 3 et 4 sont prises dans un délai de deux mois. Celui-ci court à compter du jour suivant celui de la réception d’une notification complète. La notification est considérée comme complète si, dans les deux mois de sa réception ou de la réception de toute information additionnelle réclamée, la Commission ne réclame pas d’autres informations. […]»

–        l’article 4, paragraphe 6, libellé comme suit:

«Lorsque la Commission n’a pas pris de décision en application des paragraphes 2, 3 ou 4 dans le délai prévu au paragraphe 5, l’aide est réputée avoir été autorisée par la Commission. L’État membre concerné peut alors mettre à exécution les mesures en cause après en avoir avisé préalablement la Commission, sauf si celle‑ci prend une décision en application du présent article dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception de cet avis.»

4        Dans le domaine des aides aux petites et moyennes entreprises, le règlement (CE) nº 994/98 du Conseil, du 7 mai 1998, sur l’application des articles [87] et [88] du traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’État horizontales (JO L 142, p. 1), confère à la Commission, à son article 1er, paragraphe 1, sous a), i), le pouvoir de déclarer, conformément à l’article 87 CE, que, dans certaines conditions, les aides aux petites et moyennes entreprises sont compatibles avec le marché commun et ne sont pas soumises à l’obligation de notification prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE.

5        Le règlement (CE) nº 70/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’État en faveur des petites et moyennes entreprises (JO L 10, p. 33), définit les critères auxquels doivent répondre les aides individuelles et les régimes d’aides en faveur des petites et moyennes entreprises pour être compatibles avec le marché commun, au sens de l’article 87, paragraphe 3, CE, et exempte ceux qui y répondent de l’obligation de notification prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE.

6        Conformément à son article 10, ce règlement est entré en vigueur le 2 février 2001, soit le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes.

7        La dernière phrase du quatrième considérant dudit règlement précise que «[l]’encadrement communautaire des aides d’État aux petites et moyennes entreprises [adopté par la Commission (JO 1996, C 213, p. 4)] sera abrogé à la date d’entrée en vigueur du présent règlement, puisqu’il sera remplacé par [celui‑ci]».

 Les antécédents du litige

8        Dans le cadre d’un programme du ministère de l’Économie et du Travail du Land de Saxe visant à l’amélioration des performances des petites et moyennes entreprises implantées sur le territoire de ce Land, celui-ci accorde aux personnes y exerçant une profession libérale ainsi qu’aux petites et moyennes entreprises y ayant leur siège ou leur établissement des subventions non remboursables pour des projets favorisant le développement de l’économie. Ces subventions sont prévues par un régime d’aides notifié une première fois à la Commission au cours de l’année 1992, autorisé par celle‑ci et prolongé à plusieurs reprises après avoir reçu de nouvelles autorisations. Ces aides visent à améliorer les capacités productives et concurrentielles des petites et moyennes entreprises.

9        Par lettre du 29 décembre 2000, parvenue à la Commission le 3 janvier 2001, la République fédérale d’Allemagne a notifié une nouvelle version de ce régime d’aides (ci-après la «notification initiale»).

10      Le 12 janvier 2001, la Commission a adopté le règlement n° 70/2001, qui est entré en vigueur le 2 février suivant.

11      Dans le courant du mois de décembre 2001, la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen à l’égard d’une partie des mesures prévues par le régime d’aides notifié, à savoir les mesures prévues par les sous-programmes «coaching», «participation à des foires et expositions», «coopération» et «promotion de la stylique» (ci-après, ensemble, les «quatre sous‑programmes en cause»). En revanche, la Commission a décidé que les autres mesures notifiées ne soulevaient pas d’objection.

12      Au terme de son examen, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a, en premier lieu, estimé que les mesures prévues par les quatre sous-programmes en cause constituent des aides d’État. Elle a, en second lieu, précisé que, pour être considérées comme compatibles avec le marché commun, ces aides doivent relever du champ d’application du règlement n° 70/2001 et respecter les seuils d’intensité fixés par ce texte, à l’exception des aides au fonctionnement prévues par le sous-programme «coopération», qu’elle a estimées incompatibles avec le marché commun.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

13      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait droit à la demande du Freistaat Sachsen tendant à l’annulation de plusieurs dispositions de la décision litigieuse, à savoir:

–        son article 2, second alinéa, selon lequel les aides qui sortent du champ d’application du règlement n° 70/2001 et excèdent les intensités d’aide fixées par ce texte sont incompatibles avec le marché commun;

–        son article 3, selon lequel les aides au fonctionnement prévues par le sous-programme «coopération» sont incompatibles avec le marché commun, ainsi que

–        son article 4, selon lequel la République fédérale d’Allemagne n’est autorisée à exécuter les quatre sous-programmes en cause qu’après les avoir mis en conformité avec ladite décision.

14      Le Tribunal a considéré que, en examinant la compatibilité des aides en cause au regard du règlement n° 70/2001, alors que ce texte n’était pas en vigueur à la date de la réception, par la Commission, de leur notification, la Commission avait fait une application rétroactive des nouvelles règles relatives aux petites et moyennes entreprises édictées par ce règlement.

15      Le Tribunal s’est essentiellement fondé sur les effets juridiques de la notification dans le cadre de la procédure d’examen des projets d’aides d’État. Il a relevé en particulier que l’article 4 du règlement n° 659/1999 prévoit, à son paragraphe 1, que la Commission procède à l’examen d’une notification dès sa réception et, à son paragraphe 5, que le délai de deux mois qui lui est imparti pour procéder à l’examen préliminaire de cette notification court à compter du jour suivant celui de la réception de celle-ci.

16      Le Tribunal en a déduit que, en principe, l’examen de la compatibilité d’une aide projetée avec le marché commun doit se faire sur la base des seules règles en vigueur à la date de la réception de la notification de cette aide par la Commission. Il a précisé que cette solution se justifie par des exigences de transparence et de prévisibilité en ce qu’elle permet d’éviter de donner la possibilité à la Commission de déterminer unilatéralement le régime juridique applicable aux aides qu’elle doit examiner.

17      Le Tribunal a également considéré que ce raisonnement est conforté par la jurisprudence. Il s’est référé à cet égard à l’arrêt du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission (C-74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869), relatif à l’application dans le temps des décisions successivement adoptées par la Commission quant à l’octroi d’aides d’État à la sidérurgie dans certains cas limitativement énumérés, communément appelées «codes des aides à la sidérurgie». Dans cet arrêt, la Cour a jugé que l’application des règles du code des aides à la sidérurgie en vigueur à la date à laquelle la Commission prend une décision à des aides versées sous l’empire d’un code précédent constitue une application rétroactive du code ultérieur.

18      Le Tribunal a ensuite estimé qu’il ressort tant des termes que de la finalité du règlement n° 70/2001 ainsi que des exigences découlant du respect des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique que ce texte n’a pas vocation à s’appliquer de manière rétroactive.

19      Le Tribunal a également décidé que la connaissance éventuelle par la République fédérale d’Allemagne, au moment de la notification initiale, de la modification prochaine des critères d’examen applicables aux aides ainsi notifiées ne permet pas de justifier l’application du règlement n° 70/2001.

20      Le Tribunal s’est enfin référé à la communication de la Commission sur la détermination des règles applicables à l’appréciation des aides d’État illégales (JO 2002, C 119, p. 22), selon laquelle elle a décidé d’apprécier la compatibilité de ces aides avec le marché commun au regard des règles en vigueur à la date de leur octroi. Le Tribunal a estimé que, si les projets d’aides notifiés devaient, en revanche, être appréciés au regard des règles en vigueur au jour de l’adoption de la décision prise par la Commission à leur sujet, cela inciterait les États membres à ne pas respecter leurs obligations procédurales lorsqu’ils envisagent d’octroyer une aide pour laquelle la réglementation applicable risque d’évoluer pour devenir plus stricte.

 Les conclusions des parties

21      Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de statuer définitivement sur le fond de l’affaire en rejetant le recours en annulation du Freistaat Sachsen et de condamner celui-ci aux dépens des deux instances.

22      Le Freistaat Sachsen conclut au rejet du pourvoi de la Commission et à la condamnation de celle-ci aux dépens de la procédure de pourvoi.

 Sur le pourvoi

23      La Commission invoque deux moyens à l’appui de son pourvoi. Elle soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, à titre principal, en estimant qu’elle avait à tort procédé à l’examen du projet de régime d’aides notifié par la République fédérale d’Allemagne au regard du règlement n° 70/2001 dès lors que ce texte n’était pas en vigueur à la date de la réception de la notification initiale et, à titre subsidiaire, en jugeant que cette notification devait être considérée comme complète.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

24      Par son premier moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a violé les articles 88, paragraphes 2 et 3, CE, 249, paragraphe 2, CE et 254, paragraphe 2, deuxième phrase, CE, les articles 3 et suivants du règlement n° 659/1999 ainsi que l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 70/2001 en jugeant que l’application de ce dernier texte à un projet de régime d’aides notifié avant l’entrée en vigueur dudit texte est contraire au principe de non‑rétroactivité et entache, dès lors, la décision litigieuse d’illégalité.

25      La Commission considère que l’application du règlement n° 70/2001 au régime d’aides en cause ne présente aucun caractère rétroactif, mais est conforme au principe d’application immédiate, en vertu duquel un texte de droit communautaire s’applique dès son entrée en vigueur aux situations en cours et qui se poursuivent dans le temps.

26      La Commission fait valoir que, en jugeant que la notification d’un projet d’aide d’État crée une situation juridique dont il découle que doivent être appliquées les règles en vigueur à la date à laquelle cette notification est faite, le Tribunal a adopté une position juridiquement erronée.

27      La Commission estime, en effet, qu’une telle notification n’a que des effets procéduraux. Elle ajoute que l’examen auquel elle doit procéder ne porte pas sur cette notification en tant que telle, mais sur l’aide notifiée, et qu’il doit être mené non au regard des seules informations transmises dans le cadre de ladite notification, mais aussi au regard des éléments de fait qui sont d’actualité et des règles de droit qui sont en vigueur lorsqu’elle adopte sa décision. Elle se réfère à cet égard aux articles 3, 4, paragraphes 2 à 4 et 6, 5, paragraphe 1, 6 et 7, paragraphes 2 à 4, du règlement n° 659/1999.

28      La Commission fait également valoir que la notification d’un projet d’aide d’État constitue une obligation imposée par le traité aux États membres et ne crée pas de droits.

29      Elle précise que l’examen immédiat de la notification prévu à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 n’exclut pas que la Commission exige des renseignements supplémentaires de l’État membre concerné en application de l’article 5 de ce règlement.

30      La Commission soutient que le délai de deux mois qui commence à courir à compter de la réception de la notification, en vertu de l’article 4, paragraphe 5, du règlement n° 659/1999, et à l’expiration duquel, conformément à l’article 4, paragraphe 6, de ce texte, l’aide sera réputée de plein droit avoir été autorisée constitue un simple délai de procédure. Elle fait valoir que, conformément à l’article 4, paragraphe 6, seconde phrase, de ce règlement, elle est en tout état de cause habilitée à prendre une décision à l’expiration de ce délai et, le cas échéant, à ouvrir une procédure formelle d’examen.

31      La Commission souligne par ailleurs que la République fédérale d’Allemagne avait une pleine connaissance du projet devant déboucher sur le règlement n° 70/2001 du fait, notamment, de sa participation aux travaux relatifs à ce projet.

32      Elle estime que l’arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, n’est pas pertinent pour la présente affaire, parce qu’il concerne des aides illégales et que la solution retenue par la Cour dans cet arrêt se justifiait, en outre, par le caractère spécifique des codes des aides à la sidérurgie.

33      La Commission conteste également l’analyse du Tribunal selon laquelle le fait que le règlement n° 70/2001 donne aux États membres la possibilité de vérifier par eux-mêmes l’existence d’une obligation de notification révèle que ce texte n’a pas vocation à s’appliquer à des notifications antérieures. Elle souligne à cet égard que, en l’espèce, après l’entrée en vigueur dudit texte, la République fédérale d’Allemagne pouvait vérifier si les mesures qu’elle avait notifiées bénéficiaient d’une exemption et retirer, le cas échéant, sa notification, conformément à l’article 8 du règlement n° 659/1999. La Commission ajoute qu’il résulte du quatrième considérant du règlement n° 70/2001 que les États membres peuvent notifier des aides d’État qui relèvent de ce texte. Elle soutient aussi que ledit texte ne s’oppose pas au maintien des notifications existantes lors de son entrée en vigueur.

34      La Commission fait encore valoir que la précision contenue dans la deuxième phrase du quatrième considérant du règlement n° 70/2001, selon laquelle les régimes notifiés seront examinés par la Commission «notamment» à la lumière des critères prévus par ce règlement, ne saurait être interprétée comme permettant l’application de l’encadrement communautaire des aides d’État aux petites et moyennes entreprises adopté au cours de l’année 1996, celui-ci ayant été abrogé par ledit règlement, ainsi que le précise expressément ledit considérant.

35      Enfin, la Commission considère que le parallèle établi par le Tribunal entre le projet de régime d’aides notifié et les aides illégales n’est pas pertinent. Elle fait valoir à cet égard que la communication de la Commission sur la détermination des règles applicables à l’appréciation des aides d’État illégales à laquelle le Tribunal a fait référence n’aurait de toute façon pas été applicable si les aides notifiées par la République fédérale d’Allemagne avaient été illégales. En effet, cette communication vaudrait exclusivement pour l’application de directives ou d’instruments similaires, son quatrième alinéa précisant d’ailleurs qu’elle «est sans préjudice de l’interprétation des règlements du Conseil et de la Commission dans le domaine des aides d’État».

36      Le Freistaat Sachsen soutient que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’application du règlement n° 70/2001 à un projet de régime d’aides notifié avant l’entrée en vigueur de ce texte était constitutive d’une application rétroactive de celui-ci de nature à entacher d’illégalité la décision litigieuse.

37      Le Freistaat Sachsen considère que la notification d’un projet d’aide ne constitue pas qu’une simple obligation pour les États membres, mais que cet acte entraîne aussi des obligations particulières pour la Commission et qu’il fait courir un délai dont l’expiration entraîne des conséquences juridiques importantes pour les parties en présence.

38      Le Freistaat Sachsen estime que la sécurité juridique s’oppose en principe à l’application rétroactive des textes communautaires qui ne contiennent pas de disposition explicite en ce sens.

39      Il considère que la solution dégagée par la Cour dans l’arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, précité, à l’égard des aides illégales doit s’appliquer aux aides notifiées.

40      Il estime que la notification d’un projet d’aide par un État membre fonde la confiance légitime de celui-ci à ce que les critères d’examen soient ceux en vigueur à la date de cette notification. Il réserve toutefois l’hypothèse dans laquelle la règle entrée en vigueur après la notification d’un projet d’aide est plus favorable pour l’État membre en cause que celle qui était en vigueur lors de cette notification.

41      Le Freistaat Sachsen estime ensuite que, dès lors que la Commission soutient que les aides illégales doivent être appréciées selon les dispositions en vigueur au moment de leur octroi, il convient également d’appliquer le droit en vigueur au moment où les aides régulièrement notifiées «naissent», c’est-à-dire lors de leur notification, afin de ne pas défavoriser les États membres qui respectent leurs obligations procédurales.

42      À titre subsidiaire, le Freistaat Sachsen soutient que, dans l’hypothèse où le premier moyen de la Commission serait considéré comme fondé par la Cour, la décision litigieuse devrait en tout état de cause être annulée au motif que la Commission n’a pas exercé réellement son pouvoir d’appréciation. À cet égard, celle-ci n’aurait pas pris en compte les particularités du Land de Saxe et du régime d’aides notifié lorsqu’elle a appliqué le règlement n° 70/2001.

 Appréciation de la Cour

43      Selon une jurisprudence constante, une règle nouvelle s’applique en principe immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne (voir en ce sens, notamment, arrêts du 14 avril 1970, Brock, 68/69, Rec. p. 171, point 7, et du 10 juillet 1986, Licata/CES, 270/84, Rec. p. 2305, point 31). La Cour a également jugé que le principe de protection de la confiance légitime ne saurait être étendu au point d’empêcher, de façon générale, une règle nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la règle ancienne (voir, notamment, arrêts du 14 janvier 1987, Allemagne/Commission, 278/84, Rec. p. 1, point 36, et du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, Rec. p. 4563, point 19).

44      En revanche, les règles communautaires de droit matériel doivent être interprétées comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leur finalité ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué (voir, notamment, arrêt du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C‑162/00, Rec. p. I‑1049, point 49).

45      La notification des projets d’aides d’État, prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE, constitue un élément central du dispositif communautaire de contrôle de ces aides et les entreprises qui bénéficient de celles-ci ne peuvent se prévaloir d’une confiance légitime dans leur régularité si elles n’ont pas été accordées dans le respect de cette procédure (arrêts du 20 mars 1997, Alcan Deutschland, C‑24/95, Rec. p. I‑1591, point 25, et du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, non encore publié au Recueil, point 104).

46      Conformément à l’article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE, l’État membre qui envisage d’accorder une aide ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que ladite procédure ait abouti à une décision finale de la Commission.

47      L’interdiction prévue à cette disposition vise à garantir que les effets d’une aide ne se produisent pas avant que la Commission n’ait eu un délai raisonnable pour examiner le projet en détail et, le cas échéant, entamer la procédure prévue au paragraphe 2 du même article (arrêts du 14 février 1990, France/Commission, dit «Boussac Saint Frères», C‑301/87, Rec. p. I-307, point 17, ainsi que du 12 février 2008, CELF et Ministre de la Culture et de la Communication, C-199/06, non encore publié au Recueil, point 36).

48      L’article 88, paragraphe 3, CE institue ainsi un contrôle préventif sur les projets d’aides nouvelles (arrêts du 11 décembre 1973, Lorenz, 120/73, Rec. p. 1471, point 2, ainsi que CELF et Ministre de la Culture et de la Communication, précité, point 37).

49      Dans le cadre de ce contrôle, l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, qui prévoit que la Commission doit procéder à l’examen d’une notification «dès sa réception», impose simplement une obligation de diligence particulière à cette institution et ne constitue donc pas une règle d’application ratione temporis des critères d’appréciation de la compatibilité des projets d’aides notifiés avec le marché commun. Une telle règle ne saurait non plus être déduite de l’article 4, paragraphe 5, deuxième phrase, du même règlement, qui prévoit que le délai de deux mois pendant lequel la Commission procède à l’examen préliminaire de la notification court à compter du jour suivant celui de la réception d’une notification complète.

50      En revanche, la question de savoir si une aide est une aide d’État au sens du traité doit être résolue sur la base d’éléments objectifs qui s’apprécient à la date à laquelle la Commission prend sa décision (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C-217/03, Rec. p. I‑5479, point 137, ainsi que du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C-341/06 P et C-342/06 P, non encore publié au Recueil, point 95). Partant, c’est sur l’appréciation de la situation opérée par la Commission à cette date que porte le contrôle du juge communautaire (arrêt Chronopost et La Poste/UFEX e.a., précité, point 144).

51      Il convient aussi de souligner que les règles, principes et critères d’appréciation de la compatibilité des aides d’État en vigueur à la date à laquelle la Commission prend sa décision peuvent, en principe, être considérés comme mieux adaptés au contexte concurrentiel.

52      Il résulte de ce qui précède que, si la notification des projets d’aides est une exigence essentielle à leur contrôle, elle ne constitue néanmoins qu’une obligation procédurale, destinée à permettre à la Commission d’assurer un contrôle à la fois préventif et effectif des aides que les États membres se proposent d’accorder aux entreprises. Elle ne saurait, dès lors, avoir pour effet de fixer le régime juridique applicable aux aides qui en font l’objet.

53      En conséquence, la notification par un État membre d’une aide ou d’un régime d’aides projetés ne crée pas une situation juridique définitivement constituée qui impliquerait que la Commission se prononce sur leur compatibilité avec le marché commun en faisant application des règles en vigueur à la date à laquelle cette notification a eu lieu. Il appartient, au contraire, à la Commission d’appliquer les règles en vigueur au moment où elle se prononce, seules règles en fonction desquelles doit s’apprécier la légalité de la décision qu’elle prend à cet égard.

54      Contrairement à ce que soutient le Freistaat Sachsen, cette solution n’est pas de nature à inciter les États membres à mettre en œuvre immédiatement les aides qu’ils projettent sans les notifier, afin de bénéficier du régime juridique en vigueur au moment de cette mise en œuvre. En effet, à supposer même que la compatibilité avec le marché commun d’une aide illégale s’apprécie dans tous les cas à la date à laquelle elle a été versée, les États membres ne peuvent que difficilement anticiper dans leurs détails les changements de la réglementation. En outre, l’octroi d’une aide illégale peut exposer l’État membre qui l’a versée à devoir la récupérer ainsi qu’à réparer les dommages causés en raison du caractère illégal de cette aide (voir en ce sens, notamment, arrêt CELF et Ministre de la Culture et de la Communication, précité, point 55).

55      Il y a lieu, toutefois, de relever qu’il résulte de l’article 88, paragraphe 2, CE ainsi que de l’article 1er, sous h), du règlement n° 659/1999 que, lorsque la Commission décide d’ouvrir la procédure formelle d’examen au sujet d’un projet d’aide, elle doit mettre les intéressés, au nombre desquels la ou les entreprises concernées, en mesure de présenter leurs observations. Cette règle a le caractère d’une formalité substantielle.

56      Il en résulte que, lorsque le régime juridique sous l’empire duquel un État membre a procédé à la notification d’une aide projetée vient à changer avant que la Commission ne prenne sa décision, celle-ci doit, en vue de statuer, comme elle y est obligée, sur la base des règles nouvelles, demander aux intéressés de prendre position sur la compatibilité de cette aide avec ces dernières. Il n’en va autrement que si le nouveau régime juridique ne comporte pas de modification substantielle par rapport à celui précédemment en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2008, Ferriere Nord/Commission, C-49/05 P, points 68 à 71).

57      En l’espèce, il est constant, premièrement, que le régime d’aides envisagé a été notifié à la Commission avant l’entrée en vigueur du règlement n° 70/2001, deuxièmement, que, à la date de l’entrée en vigueur de ce dernier, la Commission n’avait pas encore statué et, troisièmement, que ce règlement était en vigueur à la date de la décision litigieuse.

58      Il ressort aussi du dossier que la Commission a demandé aux parties intéressées de prendre position sur l’application dudit règlement au régime d’aides notifié.

59      Il résulte de tout ce qui précède que, en jugeant que la décision litigieuse viole le principe de non-rétroactivité, le Tribunal a entaché son arrêt d’une erreur de droit. Il s’ensuit que le premier moyen de la Commission est fondé. Dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second moyen, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le renvoi de l’affaire au Tribunal

60      Il résulte de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice que, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

61      En l’espèce, dès lors que le moyen tiré de ce que l’application du règlement n° 70/2001 à la décision litigieuse présente un caractère rétroactif est infondé, il convient de se prononcer sur les quatrième et cinquième moyens invoqués par le Freistaat Sachsen devant le Tribunal, tirés, d’une part, de l’absence d’exercice, par la Commission, de son pouvoir d’appréciation lors de l’examen des aides en cause ainsi que de la violation de l’obligation de motivation qui en résulterait et, d’autre part, de ce que la Commission n’aurait pas démontré que la concurrence serait effectivement ou potentiellement faussée par ces aides ainsi que de la violation de l’obligation de motivation qui en résulterait.

62      La réponse à ces moyens implique des appréciations de faits complexes sur la base d’éléments qui n’ont pas été appréciés par le Tribunal. Devant la Cour, le Freistaat Sachsen s’est limité à soutenir, sans davantage de précisions, que la décision litigieuse doit être annulée faute, pour la Commission, d’avoir exercé son pouvoir d’appréciation, au motif qu’elle n’aurait pris en compte ni les particularités du Land de Saxe ni celles du projet de régime d’aides notifié lorsqu’elle a appliqué le règlement n° 70/2001.

63      Il en résulte que le litige n’est pas en état d’être jugé par la Cour, de sorte qu’il y a lieu de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue sur ces deux moyens.

 Sur les dépens

64      L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 3 mai 2007, Freistaat Sachsen/Commission (T‑357/02), est annulé.

2)      L’affaire est renvoyée au Tribunal de première instance des Communautés européennes.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.