Language of document : ECLI:EU:C:2013:776



ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

28 novembre 2013 (*)

«Pourvoi – Mesures restrictives prises à l’encontre de la République islamique d’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Mesures dirigées contre l’industrie du pétrole et du gaz iranien – Gel de fonds – Obligation de motivation – Obligation de justifier le bien-fondé de la mesure»

Dans l’affaire C‑348/12 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 6 juillet 2012,

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop et Mme R. Liudvinaviciute‑Cordeiro, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Manufacturing Support & Procurement Kala Naft Co., Tehran, établie à Téhéran (Iran), représentée par Mes F. Esclatine et S. Perrotet, avocats,

partie requérante en première instance,

Commission européenne, représentée par M. M. Konstantinidis et Mme E. Cujo, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász, A. Rosas (rapporteur), D. Šváby et C. Vajda, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 avril 2013,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 juillet 2013,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, le Conseil de l’Union européenne demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 avril 2012, Manufacturing Support & Procurement Kala Naft/Conseil (T‑509/10, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé, pour autant qu’ils concernent Manufacturing Support & Procurement Kala Naft Co., Tehran (ci-après «Kala Naft»):

–        la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39, et rectificatif JO L 197, p. 19);

–        le règlement d’exécution (UE) no 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) no 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 195, p. 25);

–        la décision 2010/644/PESC du Conseil, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413 (JO L 281, p. 81);

–        le règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement no 423/2007 (JO L 281, p. 1, ci-après, ensemble, les «actes litigieux»),

et a maintenu les effets de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement no 961/2010.

 Le cadre juridique et les antécédents du litige

2        Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires a été ouvert à la signature le 1er juillet 1968 à Londres, à Moscou et à Washington. Les 28 États membres de l’Union européenne en sont «Parties contractantes», de même que la République islamique d’Iran.

3        L’article II de ce traité prévoit notamment que «[t]out État non doté d’armes nucléaires qui est Partie au Traité s’engage à […] ne fabriquer ni acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs […]».

4        L’article III dudit traité prévoit, à son paragraphe 1, que «[t]out État non doté d’armes nucléaires qui est Partie au Traité s’engage à accepter les garanties stipulées dans un accord qui sera négocié et conclu avec l’Agence internationale de l’énergie atomique [(ci-après, l’«AIEA»)], conformément au Statut de l’[AIEA] et au système de garanties de ladite Agence, à seule fin de vérifier l’exécution des obligations assumées par ledit État aux termes du présent Traité en vue d’empêcher que l’énergie nucléaire ne soit détournée de ses utilisations pacifiques vers des armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs nucléaires […]».

5        Conformément à l’article III B 4 de ses statuts, l’AIEA adresse des rapports annuels sur ses travaux à l’Assemblée générale des Nations unies et, lorsqu’il y a lieu, au Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le «Conseil de sécurité»).

6        Préoccupé par les nombreux rapports du directeur général de l’AIEA et les résolutions du Conseil des gouverneurs de l’AIEA relatifs au programme nucléaire de la République islamique d’Iran, le Conseil de sécurité a, le 23 décembre 2006, adopté la résolution 1737 (2006), dont le point 12, lu en combinaison avec l’annexe, énumèrent une série de personnes et d’entités qui seraient impliquées dans la prolifération nucléaire et dont les fonds ainsi que les ressources économiques devraient être gelés.

7        Afin de mettre en œuvre la résolution 1737 (2006) dans l’Union, le Conseil a, le 27 février 2007, adopté la position commune 2007/140/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 61, p. 49).

8        L’article 5, paragraphe 1, de la position commune 2007/140 prévoyait le gel de tous les fonds et de toutes les ressources économiques de certaines catégories de personnes et d’entités énumérées aux points a) et b) de cette disposition. Ainsi, le point a) de cet article 5, paragraphe 1, visait les personnes et les entités désignées à l’annexe de la résolution 1737 (2006) ainsi que les autres personnes et les autres entités désignées par le Conseil de sécurité ou par le Comité du Conseil de sécurité créé conformément à l’article 18 de la résolution 1737 (2006). La liste de ces personnes et de ces entités figurait à l’annexe I de la position commune 2007/140. Le point b) dudit article 5, paragraphe 1, visait les personnes et les entités non mentionnées à l’annexe I qui, notamment, participent, sont directement associées ou apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération. La liste de ces personnes et de ces entités figurait à l’annexe II de ladite position commune.

9        Dans la mesure où les compétences de la Communauté européenne étaient concernées, la résolution 1737 (2006) a été mise en œuvre par le règlement (CE) no 423/2007, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 103, p. 1), adopté sur la base des articles 60 CE et 301 CE, visant la position commune 2007/140 et dont le contenu est en substance semblable à celui de cette dernière, les mêmes noms d’entités et de personnes physiques figurant aux annexes IV (personnes, entités et organismes désignés par le Conseil de sécurité) et V (personnes, entités et organismes autres que ceux figurant à l’annexe IV) de ce règlement.

10      L’article 7, paragraphe 2, sous a), du règlement no 423/2007 était rédigé comme suit:

«Sont gelés tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux personnes, entités ou organismes cités à l’annexe V, de même que tous les fonds [...] que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. L’annexe V comprend les personnes physiques et morales, entités et organismes non cités à l’annexe IV qui ont été reconnus conformément à l’article 5, paragraphe 1, point b), de la position commune 2007/140 [...]:

a)      comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération».

11      Constatant que la République islamique d’Iran ne respectait pas les résolutions du Conseil de sécurité, qu’elle a construit une centrale à Qom en violation de son obligation de suspendre toutes activités liées à l’enrichissement nucléaire et ne l’a révélé qu’au mois de septembre 2009, qu’elle n’informait pas l’AIEA et refusait de coopérer avec cette agence, le Conseil de sécurité a, par la résolution 1929 (2010), du 9 juin 2010, adopté des mesures plus sévères frappant notamment les compagnies maritimes iraniennes, le secteur des missiles balistiques pouvant emporter des armes nucléaires et le Corps des gardiens de la révolution islamique.

12      Si le Conseil de sécurité n’adopte pas de décision en ce qui concerne le secteur de l’énergie, le dix-septième considérant de la résolution est rédigé comme suit:

«Reconnaissant que l’accès à des sources d’énergie multiples et fiables est indispensable à une croissance et à un développement durables, tout en notant le lien potentiel entre les recettes que l’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération, et notant également que le matériel et les matières utilisés par les procédés chimiques de l’industrie pétrochimique sont très semblables à ceux qui sont employés dans certaines activités sensibles du cycle du combustible nucléaire».

13      Dans une déclaration annexée à ses conclusions du 17 juin 2010, le Conseil européen a souligné qu’il était de plus en plus préoccupé par le programme nucléaire iranien, s’est félicité de l’adoption, par le Conseil de sécurité, de la résolution 1929 (2010) et a pris acte du dernier rapport de l’AIEA, en date du 31 mai 2010.

14      Au point 4 de cette déclaration, le Conseil européen a considéré que l’instauration de nouvelles mesures restrictives était devenue inévitable. Compte tenu des travaux réalisés par le Conseil des affaires étrangères, il a invité ce dernier à adopter, lors de sa prochaine session, des mesures mettant en œuvre celles prévues dans la résolution 1929 (2010) du Conseil de sécurité ainsi que des mesures d’accompagnement, en vue de contribuer à répondre, par la voie des négociations, à l’ensemble des préoccupations que continue de susciter le développement, par la République islamique d’Iran, de technologies sensibles à l’appui de ses programmes nucléaire et balistique. Ces mesures devaient porter sur les secteurs suivants:

«le secteur du commerce, notamment les échanges de biens à double usage et des restrictions supplémentaires en matière d’assurances sur les échanges commerciaux; le secteur financier, y compris le gel des avoirs d’autres banques iraniennes et des restrictions dans le secteur de la banque et des assurances; le secteur iranien des transports, y compris la compagnie de transport maritime de la République islamique d’Iran (IRISL) et ses filiales, et le fret aérien; les grands secteurs de l’industrie gazière et pétrolière, avec l’interdiction de nouveaux investissements, de l’assistance technique et des transferts de technologies, d’équipements et de services liés à ces secteurs, notamment pour ce qui est des technologies de raffinage, de liquéfaction et de GNL; il conviendrait en outre d’étendre le dispositif d’interdiction de visas et de gel des avoirs en particulier à l’encontre des membres du Corps des gardiens de la révolution (IRGC)».

15      Par la décision 2010/413, le Conseil a mis cette déclaration en œuvre, abrogeant la position commune 2007/140 et adoptant des mesures restrictives supplémentaires par rapport à cette dernière.

16      Les considérants 22, 23 et 27 de la décision 2010/413 sont rédigés comme suit:

«(22) La [résolution du Conseil de sécurité] 1929 (2010) relève le lien potentiel entre les recettes que l’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération, et fait également observer que le matériel et les matières utilisés par les procédés chimiques de l’industrie pétrochimique sont très semblables à ceux qui sont employés dans certaines activités sensibles du cycle du combustible nucléaire.

(23) Conformément à la déclaration du Conseil européen, les États membres devraient interdire la vente et la fourniture à l’Iran, ainsi que le transfert à destination de ce pays, des équipements et technologies clés, ainsi que l’aide technique et financière connexe, qui pourraient être utilisés dans les grands secteurs de l’industrie du pétrole et du gaz naturel. De plus, les États membres devraient interdire tout nouvel investissement dans ces secteurs en Iran.

[…]

(27) Une nouvelle action de l’Union est nécessaire pour mettre en œuvre certaines mesures.»

17      L’article 4 de la décision 2010/413 est rédigé comme suit :

«1.       Sont interdits la vente et la fourniture, ainsi que le transfert, par les ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres, ou au moyen de navires ou d’aéronefs relevant de la juridiction d’États membres, d’équipements et de technologies essentiels destinés aux grands secteurs ci-après de l’industrie iranienne du pétrole et du gaz naturel, ou à des entreprises iraniennes ou appartenant à l’Iran qui ont des activités dans ces secteurs en dehors de l’Iran, qu’ils proviennent ou non de leur territoire:

a)       raffinage;

b)       gaz naturel liquéfié;

c)       exploration;

d)       production.

L’Union prend les mesures nécessaires afin de déterminer à quels articles la présente disposition devrait s’appliquer.

2.       Il est interdit de fournir aux entreprises d’Iran qui ont des activités dans les grands secteurs de l’industrie pétrolière et gazière iranienne visés au paragraphe 1 ou aux entreprises iraniennes ou appartenant à l’Iran qui ont des activités dans ces secteurs en dehors de l’Iran:

a)       une assistance ou une formation technique et d’autres services en rapport avec des équipements et des technologies essentiels tels que définis conformément au paragraphe 1;

b)       un financement ou une aide financière pour toute vente, toute fourniture, tout transfert ou toute exportation d’équipements et de technologies essentiels tels que définis conformément au paragraphe 1 ou pour la fourniture d’une assistance ou formation technique y afférente.

3.       Il est interdit de participer, sciemment ou volontairement, à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les interdictions visées aux paragraphes 1 et 2.»

18      L’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413 prévoit le gel des fonds de plusieurs catégories de personnes et d’entités. Le point a) de l’article 20, paragraphe 1, vise les personnes et les entités désignées par le Conseil de sécurité, qui sont énumérées à l’annexe I de la décision. Le point b) dudit article 20, paragraphe 1, concerne, notamment, les «personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui participent, sont directement associées ou apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, y compris en concourant à l’acquisition des articles, biens, équipements, matières et technologies interdits, ou les personnes ou entités agissant pour leur compte ou sur leurs ordres, ou les entités qui sont leur propriété ou sont sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites, […] telles qu’énumérées à l’annexe II».

19      Kala Naft est une société iranienne détenue par la National Iranian Oil Company (ci-après la «NIOC») et ayant pour vocation d’agir comme centrale d’achat pour les activités pétrolières, gazières et pétrochimiques du groupe de cette dernière. Elle est inscrite au point 24 de la partie I, B, de l’annexe II de la décision 2010/413. La motivation suivante est indiquée:

«Commercialise des équipements pour le secteur pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien. A tenté d’acheter du matériel (portes en alliage très résistant) utilisé exclusivement par l’industrie nucléaire. A des liens avec les sociétés prenant part au programme nucléaire.»

20      Par le règlement d’exécution no 668/2010, adopté en exécution de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007, le nom de Kala Naft, mentionné au point 22 de la partie I, B, de l’annexe du règlement d’exécution no 668/2010, a été ajouté à la liste des personnes morales, entités et organismes figurant dans le tableau I de l’annexe V du règlement no 423/2007.

21      La motivation est quasiment identique à celle figurant dans la décision 2010/413.

22      L’annexe II de la décision 2010/413 a été revue et réécrite par la décision 2010/644.

23      Les considérants 2 à 5 de cette décision 2010/644 sont rédigés comme suit:

«(2) Le Conseil a procédé à un réexamen complet de la liste des personnes et entités figurant à l’annexe II de la décision 2010/413/PESC, auxquelles l’article 19, paragraphe 1, point b), et l’article 20, paragraphe 1, point b), de ladite décision sont applicables. À cet égard, il a tenu compte des observations qui lui ont été soumises par les intéressés.

(3)       Le Conseil est parvenu à la conclusion que les personnes et les entités, à l’exception de deux entités, énumérées à l’annexe II de la décision 2010/413/PESC devraient continuer à faire l’objet des mesures restrictives particulières qui y sont prévues.

(4)       Le Conseil a également estimé qu’il convenait de modifier les mentions relatives à certaines entités figurant sur la liste.

(5)       La liste des personnes et des entités visées à l’article 19, paragraphe 1, point b), et à l’article 20, paragraphe 1, point b), de la décision 2010/413/PESC devrait être mise à jour en conséquence.»

24      Le nom de Kala Naft a été repris au point 24 de la liste des entités figurant dans le tableau I de l’annexe II de la décision 2010/413 telle qu’elle résulte de la décision 2010/644. La motivation la concernant est identique à celle figurant dans la décision 2010/413.

25      Le règlement no 423/2007 a été abrogé par le règlement no 961/2010, lequel a été adopté sur la base de l’article 215 TFUE.

26      Les considérants 1 à 3 ainsi que 7 du règlement no 961/2010 sont rédigés comme suit:

«(1) Le 26 juillet 2010, le Conseil a approuvé la décision 2010/413/PESC confirmant les mesures restrictives prises depuis 2007 et prévoyant d’instaurer des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre de la République islamique d’Iran […] en vue de se conformer à la résolution 1929 (2010) du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que des mesures d’accompagnement, comme l’avait demandé le Conseil européen dans sa déclaration du 17 juin 2010.

(2)       Ces mesures restrictives comprennent, en particulier, […] des restrictions aux échanges commerciaux portant sur des équipements et technologies clés qui pourraient être utilisés dans l’industrie iranienne du pétrole et du gaz, ainsi que des restrictions aux investissements dans ces secteurs, […].

(3)       La décision 2010/413/PESC prévoit également des catégories supplémentaires de personnes devant être soumises à un gel des fonds et des ressources économiques ainsi que certaines autres modifications techniques apportées aux mesures existantes.

[…]

(7)       Afin de garantir la mise en œuvre efficace de l’interdiction portant sur la vente, la fourniture, le transfert ou l’exportation vers l’Iran de certains équipements ou technologies clés susceptibles d’être utilisés dans les secteurs essentiels des industries du pétrole et du gaz naturel, il convient de fournir une liste de ces équipements et technologies clés.»

27      L’article 8, paragraphes 1 et 2, du règlement no 961/2010 prévoit:

«1.       Il est interdit de vendre, de fournir, de transférer ou d’exporter des équipements ou technologies clés énumérés à l’annexe VI, directement ou indirectement, à toute personne, toute entité ou tout organisme iraniens ou aux fins d’une utilisation en Iran.

2.       À l’annexe VI figurent les équipements et technologies clés destinés aux secteurs essentiels ci-après de l’industrie du pétrole et du gaz naturel en Iran:

a)       exploration de pétrole brut et de gaz naturel;

b)       production de pétrole brut et de gaz naturel;

c)       raffinage;

d)       liquéfaction du gaz naturel.»

28      L’article 16 du règlement no 961/2010 prévoit notamment le gel des fonds et des ressources économiques appartenant à certaines personnes, entités ou à certains organismes ou étant contrôlés par eux. Le paragraphe 1 de cette disposition vise les personnes, entités ou organismes désignés par le Conseil de sécurité et énumérés à l’annexe VII de ce règlement.

29      Aux termes de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 961/2010:

«2.       Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités ou organismes énumérés à l’annexe VIII, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. L’annexe VIII comprend les personnes, physiques ou morales, les entités et les organismes […] qui ont été reconnus conformément à l’article 20, paragraphe 1, [sous] b), de la décision [2010/413]:

a)       comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, y compris en concourant à l’acquisition de biens et technologies interdits, ou comme étant détenus par une telle personne ou entité ou par un tel organisme, ou se trouvant sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites, ou agissant pour leur compte ou selon leurs instructions;

[…]»

30      Le nom de Kala Naft a été inscrit par le Conseil au point 29 de la liste des personnes morales, entités et organismes énumérés à l’annexe VIII, B, du règlement no 961/2010. Les motifs de cette inscription sont identiques à ceux figurant dans la décision 2010/413.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 octobre 2010, Kala Naft a introduit un recours en annulation contre la décision 2010/413 et le règlement d’exécution no 668/2010.

32      Dans ses observations du 6 décembre 2011, présentées en réponse à une question écrite du Tribunal, Kala Naft a élargi ses chefs de conclusions, demandant également l’annulation de la décision 2010/644 et du règlement no 961/2010, pour autant que ces actes la concernent.

33      Kala Naft présentait neuf moyens. Le premier moyen était tiré de l’illégalité de l’article 4 de la décision 2010/413 ainsi que de l’article 28 de ladite décision, relatif à la date d’entrée en vigueur de cette dernière. Le deuxième moyen était tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le troisième moyen était tiré d’une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Le quatrième moyen était tiré d’une violation du principe de proportionnalité. Le cinquième moyen était tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter les actes litigieux. Le sixième moyen était tiré d’un détournement de pouvoir. Le septième moyen était tiré d’une erreur de droit s’agissant de la notion d’implication dans la prolifération nucléaire. Le huitième moyen était tiré d’une erreur d’appréciation des faits s’agissant de ses activités. Le neuvième moyen, présenté à titre subsidiaire, était tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de proportionnalité.

34      Lors de l’audience devant le Tribunal, le Conseil et la Commission européenne ont fait valoir que le recours intenté par Kala Naft était irrecevable, pour autant qu’il était fondé sur une prétendue violation des droits fondamentaux de cette société.

35      Au point 39 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que, en vertu de l’article 275, premier alinéa, TFUE, il «n’est pas compétent pour connaître d’un recours visant à apprécier la légalité de l’article 4 de la décision 2010/413 et, partant, pour statuer sur la seconde branche du premier moyen».

36      Il a par ailleurs rejeté comme irrecevable l’argumentation soulevée par le Conseil et la Commission, qui concerne le fond du litige, et tirée de l’impossibilité, pour Kala Naft, de fonder son recours sur la violation de droits fondamentaux.

37      Il a ensuite rejeté le cinquième moyen, tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter les actes litigieux, et le sixième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir. Il a cependant accueilli la première branche du premier moyen, par laquelle était contestée l’entrée en vigueur rétroactive de la décision 2010/413, pour autant qu’elle tendait à l’annulation de l’article 28 de la décision 2010/413 et l’a rejetée comme inopérante pour le surplus.

38      S’agissant de la motivation des actes litigieux, le Tribunal a, au point 80 de l’arrêt attaqué, rejeté le deuxième moyen comme non fondé, pour autant qu’il visait les premier et deuxième motifs de l’inscription de Kala Naft sur les listes des actes litigieux fournis par le Conseil. Il a cependant accueilli le deuxième moyen et, partant, annulé les actes litigieux, pour autant que le troisième motif de l’inscription était concerné.

39      Au point 97 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le Conseil n’avait pas violé les droits de la défense de Kala Naft en ce qui concerne la communication initiale des éléments à charge. Au point 101 de cet arrêt, il a estimé que le Conseil avait cependant violé ces droits en ne répondant pas à la demande d’accès au dossier formulée par Kala Naft en temps utile. Au point 105 dudit arrêt, il a jugé que le droit de Kala Naft de faire valoir utilement son point de vue sur les éléments retenus à son égard a été respecté. Prenant par ailleurs en considération, au point 107 de l’arrêt attaqué, le fait que le Conseil n’a pas répondu à la demande de Kala Naft visant à obtenir un accès aux éléments du dossier, formulée avant l’expiration du délai de recours, le Tribunal a considéré que cette circonstance constitue une violation du droit de Kala Naft à une protection juridictionnelle effective. Par conséquent, le Tribunal a accueilli le troisième moyen et a annulé les actes litigieux, pour autant qu’ils concernent Kala Naft.

40      Le Conseil ayant confirmé que son dossier ne contenait pas de preuves ou d’éléments d’information autres que ceux reproduits dans la motivation des actes litigieux, le Tribunal a estimé utile, par économie de procédure et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’examiner les septième et huitième moyens, tirés respectivement d’une erreur de droit s’agissant de la notion d’implication dans la prolifération nucléaire et d’une erreur d’appréciation des faits s’agissant des activités de Kala Naft. Il a accueilli le septième moyen et, par conséquent, annulé les actes litigieux, pour autant que le premier motif de l’inscription de cette société sur les listes de ces actes était concerné. Par ailleurs, il a conclu que le Conseil n’avait pas apporté la preuve des allégations invoquées dans le cadre du deuxième motif d’inscription et a, dès lors, accueilli le huitième moyen et annulé les actes litigieux, pour autant que ce motif est concerné.

41      Le Tribunal n’a pas examiné les quatrième et neuvième moyens.

42      Afin d’éviter qu’il soit porté atteinte à la sécurité juridique, le Tribunal a maintenu les effets de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, jusqu’à la décision de la Cour statuant sur le pourvoi. Conformément à l’article 60, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi a un effet suspensif sur la décision du Tribunal annulant un règlement, en l’espèce le règlement no 961/2010, jusqu’à la décision par laquelle la Cour statue sur le pourvoi.

 Les conclusions des parties

43      Le Conseil demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de se prononcer à titre définitif sur le litige et de rejeter comme irrecevable le recours de Kala Naft contre les actes litigieux ou, à titre subsidiaire, de rejeter le recours comme non fondé;

–        de condamner Kala Naft aux dépens exposés par le Conseil en première instance et dans le cadre du pourvoi.

44      Kala Naft demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi formé par le Conseil;

–        de condamner le Conseil aux dépens.

45      La Commission demande à la Cour:

–        d’accueillir le pourvoi du Conseil comme fondé;

–        de condamner Kala Naft aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit en ce qui concerne la recevabilité du recours ou de certains moyens de Kala Naft

46      Le premier moyen est relatif à la recevabilité de certains moyens soulevés par Kala Naft. Il concerne les points 43 à 46 de l’arrêt attaqué, rédigés comme suit:

«43      Lors de l’audience, le Conseil et la Commission ont fait valoir que [Kala Naft] devait être considérée comme une organisation gouvernementale et, partant, une émanation de l’État iranien, qui ne pouvait invoquer les protections et les garanties liées aux droits fondamentaux. Ils estiment, par conséquent, que les moyens du recours tirés d’une prétendue violation desdits droits doivent être déclarés irrecevables.

44      À cet égard, en premier lieu, il convient d’observer que le Conseil et la Commission ne contestent pas le droit même de [Kala Naft] à demander l’annulation des actes [litigieux]. Ils contestent seulement qu’elle soit titulaire de certains droits qu’elle invoque afin d’obtenir cette annulation.

45      Or, en deuxième lieu, la question de savoir si le requérant est ou non titulaire du droit invoqué au soutien d’un moyen d’annulation ne concerne pas la recevabilité de ce même moyen, mais son bien-fondé. Par conséquent, l’argumentation du Conseil et de la Commission, tirée de ce que [Kala Naft] serait une organisation gouvernementale, doit être rejetée pour autant qu’elle vise au constat de l’irrecevabilité partielle du recours.

46      En troisième lieu, ladite argumentation a été présentée, pour la première fois, lors de l’audience, sans que le Conseil ou la Commission ait invoqué le fait qu’elle était fondée sur des éléments de droit ou de fait qui se seraient révélés pendant la procédure. Pour autant que le fond du litige est concerné, elle constitue donc un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, ce qui implique qu’elle doit être déclarée irrecevable.»

 Argumentation des parties

47      Le Conseil estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la question de savoir si Kala Naft pouvait invoquer un moyen tiré de la violation de droits fondamentaux concernait non pas la recevabilité de ce moyen, mais seulement son bien-fondé. Il est de l’avis que, si une entité qui constitue une organisation gouvernementale au sens de l’article 34 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ne saurait être bénéficiaire du droit fondamental à la protection de la propriété ni d’autres droits fondamentaux, elle n’a pas qualité (locus standi) pour invoquer une prétendue violation de ces droits devant le Tribunal.

48      Il reconnaît que les institutions n’ont soulevé cette objection qu’au stade de la procédure orale, mais fait valoir que les conditions de recevabilité d’un recours relèvent des fins de non-recevoir d’ordre public.

49      La Commission soutient le Conseil dans son argumentation et fait valoir que les États ne sauraient bénéficier des droits fondamentaux, tout en reconnaissant qu’ils peuvent faire valoir des droits procéduraux ou des droits découlant du droit international.

 Appréciation de la Cour

50      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 59 de ses conclusions, le recours de Kala Naft s’inscrivait dans le cadre de l’article 275, second alinéa, TFUE. Cette société avait la qualité pour contester, devant le juge de l’Union, son inscription sur la liste figurant dans les actes litigieux, cette inscription la concernant directement et individuellement au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Son intérêt à agir ne pouvait, de ce fait, être contesté.

51      C’est dès lors à bon droit que le Tribunal a considéré, au point 45 de l’arrêt attaqué, que l’argumentation relative à la possibilité, pour Kala Naft, d’invoquer les protections et les garanties liées aux droits fondamentaux ne concernait pas la recevabilité du recours ni même d’un moyen, mais avait trait au fond du litige.

52      Cette argumentation ayant été présentée, pour la première fois, lors de l’audience, sans que le Conseil ou la Commission ait invoqué le fait qu’elle était fondée sur des éléments de droit ou de fait qui se seraient révélés pendant la procédure, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 46 de l’arrêt attaqué, qu’elle constituait un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, ce qui impliquait qu’elle devait être déclarée irrecevable.

53      Il y a, dès lors, lieu de rejeter le premier moyen du pourvoi.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit en ce qui concerne la violation de l’obligation de motivation des actes litigieux et le bien-fondé de la mesure

54      Dans chacun des actes litigieux, trois motifs étaient prévus afin de justifier l’imposition des mesures restrictives à l’encontre de Kala Naft.

55      Au point 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le troisième de ces motifs pour défaut de motivation:

«En revanche, le troisième motif, selon lequel [Kala Naft] entretient des liens avec les sociétés prenant part au programme nucléaire iranien, présente un caractère insuffisant, en ce qu’il ne lui permet pas de comprendre quel type de relations avec quelles entités lui est effectivement reproché, de sorte qu’elle n’est pas en mesure de vérifier le bien-fondé de cette allégation et de la contester avec le moindre degré de précision.»

56      Aux points 113 à 119 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que le premier motif, tiré de la commercialisation d’équipements pour le secteur pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien, était entaché d’une erreur de droit s’agissant de la notion d’implication dans la prolifération nucléaire:

«113      Ainsi qu’il ressort du point 77 ci-dessus, le premier motif fourni par le Conseil n’est pas fondé sur un comportement concret de [Kala Naft] impliquant cette dernière dans la prolifération nucléaire. En effet, il repose sur le constat selon lequel [Kala Naft] présente un risque particulier d’y être impliquée, en raison de sa position en tant que centrale d’achat du groupe de la National Iranian Oil Company.

114      Or, l’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413 prévoit le gel des fonds des ‘personnes et entités […] qui […] apportent un appui’ à la prolifération nucléaire. De même, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007 et l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 visent notamment les entités désignées comme ‘apportant un appui’ à la prolifération nucléaire.

115      La formule employée par le législateur implique que l’adoption des mesures restrictives à l’égard d’une entité, en raison de l’appui qu’elle aurait apporté à la prolifération nucléaire, présuppose que celle-ci ait préalablement adopté un comportement correspondant à ce critère. En revanche, en l’absence d’un tel comportement effectif, le seul risque que l’entité concernée apporte un appui à la prolifération nucléaire dans le futur n’est pas suffisant.

116      Il y a lieu, dès lors, de constater que, en ayant adopté l’interprétation opposée de l’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413, de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007 et de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010, le Conseil a commis une erreur de droit.»

57      Aux points 120 à 125 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, en ce qui concerne le deuxième des motifs d’inscription, le Conseil avait commis une erreur d’appréciation des faits s’agissant des activités de Kala Naft:

«120      […] l’examen du présent moyen est limité au deuxième motif fourni par le Conseil, tiré de ce que [Kala Naft] aurait tenté d’acquérir des portes en alliage très résistant utilisées exclusivement par l’industrie nucléaire.

121      Sur ce point, [Kala Naft] fait valoir que, contrairement à ce qu’a retenu le Conseil dans la motivation des actes [litigieux], les portes qu’elle acquiert ne sont pas utilisées exclusivement par l’industrie nucléaire, mais également dans les secteurs gazier, pétrolier et pétrochimique.

122      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste le bien-fondé de l’argumentation de [Kala Naft]. Il fait valoir que cette dernière n’a pas démontré qu’elle n’avait jamais essayé d’acquérir des portes utilisées exclusivement par l’industrie nucléaire.

123      Selon la jurisprudence, le contrôle juridictionnel de la légalité d’un acte par lequel des mesures restrictives ont été adoptées à l’égard d’une entité s’étend à l’appréciation des faits et des circonstances invoqués comme la justifiant, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels est fondée cette appréciation. En cas de contestation, il appartient au Conseil de présenter ces éléments en vue de leur vérification par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt [du Tribunal du 14 octobre 2009] Bank Melli Iran/Conseil, [T‑390/08, Rec. p. II‑3967], points 37 et 107).

124      En l’espèce, le Conseil n’a produit aucun élément d’information ou de preuve concernant le deuxième motif, allant au-delà de la motivation des actes [litigieux]. Ainsi qu’il l’admet, en substance, lui-même, il s’est fondé sur de simples allégations, non étayées par un quelconque élément de preuve, selon lesquelles [Kala Naft] aurait tenté d’acquérir des portes en alliage très résistant utilisées exclusivement par l’industrie nucléaire.»

 Argumentation des parties

58      Le Conseil soutient, en premier lieu, que le Tribunal a commis une erreur de droit en examinant de façon séparée et distincte les trois motifs figurant dans les actes litigieux. Il estime notamment que le premier motif, relatif à la commercialisation d’équipements pour les secteurs pétroliers et gaziers, est pertinent en liaison avec le troisième, relatif aux liens entretenus avec des sociétés prenant part au programme nucléaire iranien.

59      Le Conseil soutient, en deuxième lieu, que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas dûment compte, lors de son examen des deuxième et troisième motifs d’inscription, de la circonstance que ces motifs étaient fondés sur des informations qui provenaient de sources confidentielles.

60      Kala Naft fait valoir, en premier lieu, que c’est le Conseil lui-même qui a considéré chacun des éléments de la motivation figurant dans les actes litigieux comme suffisant, par lui-même, à justifier ses décisions. Elle estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant le troisième motif et que, en outre, le moyen du Conseil devait être considéré comme nouveau et dès lors irrecevable.

61      Reprenant à son compte le raisonnement tenu par le Tribunal aux points 114 et 115 de l’arrêt attaqué, Kala Naft soutient, en deuxième lieu, que le premier motif, intrinsèquement vicié, ne pouvait avoir pour effet de valider le troisième motif.

62      En troisième lieu, Kala Naft soutient que, même en lisant ensemble les deux motifs, le troisième motif reste obscur, puisqu’il serait impossible de comprendre à quelles sociétés et à quels liens le Conseil fait référence.

63      S’agissant des éléments de preuve, Kala Naft fait valoir que le Conseil n’a invoqué la confidentialité des preuves que lors de l’audience. Il s’agirait donc d’un moyen nouveau, que l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal interdisait à celui-ci d’examiner.

 Appréciation de la Cour

64      Par ce moyen, le Conseil fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit, d’une part, en considérant que les motifs prévus dans les actes litigieux présentent un caractère insuffisant et, d’autre part, en jugeant que le Conseil n’était pas fondé à adopter les actes litigieux en ce qu’ils concernent Kala Naft, dès lors qu’aucun des trois motifs prévus dans ces actes ne pouvait justifier l’adoption de la mesure en cause à son égard.

65      Il y a lieu de rappeler que les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, ci-après l’«arrêt Kadi II», point 97).

66      Au rang de ces droits fondamentaux figurent, notamment, le respect des droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt Kadi II, point 98).

67      Le premier de ces droits, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité (voir arrêt Kadi II, point 99).

68      Le second desdits droits fondamentaux, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêts du 4 juin 2013, ZZ, C‑300/11, point 53 et jurisprudence citée, ainsi que Kadi II, point 100).

69      L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir arrêts ZZ, précité, point 51, et Kadi II, point 101).

70      En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑110/10 P, Rec. p. I‑10439, point 63), notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt Kadi II, point 102; voir également, en ce sens, à propos du respect du devoir de motivation, arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, points 139 et 140, ainsi que Conseil/Bamba, C‑417/11 P, point 53)

71      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt Conseil/Bamba, précité, point 54).

72      S’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, la Cour a jugé que, eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt Kadi II, point 130).

73      Par ailleurs, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige également que le juge de l’Union s’assure que la décision, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir arrêt Kadi II, point 119).

74      En l’espèce, afin d’apprécier la régularité du contrôle de la motivation et du bien-fondé des actes litigieux effectué par le Tribunal, il y a lieu d’examiner tout d’abord la manière dont le Tribunal a identifié et interprété les règles générales des textes applicables avant d’examiner plus particulièrement la manière dont il a contrôlé la motivation et le bien-fondé des actes litigieux.

75      À cet égard, il ne ressort d’aucun élément de l’arrêt attaqué que le Tribunal a tenu compte de l’évolution de la réglementation de l’Union depuis la résolution 1929 (2010) du Conseil de sécurité.

76      Ainsi, son interprétation de cette réglementation l’a conduit, comme il ressort des points 113 et 114 de cet arrêt, à rechercher un lien direct entre Kala Naft et la prolifération nucléaire, alors qu’il résulte explicitement de la décision 2010/413 et du règlement no 961/2010 que l’industrie iranienne du pétrole et du gaz peut faire l’objet de mesures restrictives, notamment lorsqu’elle concourt à l’acquisition de biens et de technologies interdits, le lien entre ces biens et ces technologies et la prolifération nucléaire étant établi par le législateur de l’Union dans les règles générales des dispositions applicables.

77      En effet, l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 961/2010 établit une interdiction de vendre, de fournir, de transférer ou d’exporter des équipements ou des technologies clés énumérés à l’annexe VI, directement ou indirectement, à toute personne, à toute entité ou à tout organisme iraniens, ou aux fins d’une utilisation en Iran. Selon l’article 8, paragraphe 2, de ce règlement, l’annexe VI reprend les équipements et technologies clés destinés aux secteurs essentiels de l’industrie du pétrole et du gaz naturel en Iran. Il ressort de ces dispositions que la notion d’«acquisition de biens et technologies interdits», au sens de l’article 16, paragraphe 2, dudit règlement, recouvre l’acquisition d’équipements et technologies clés destinés aux secteurs essentiels de l’industrie du pétrole et du gaz naturel en Iran.

78      Il apparaît d’ailleurs que la citation dudit article 16, paragraphe 2, figurant au point 11 de l’arrêt attaqué, de même que la référence à cet article figurant au point 114 de l’arrêt attaqué, ne mentionnent pas la partie de cette disposition aux termes de laquelle sont visés par les mesures restrictives ceux qui participent, sont directement associés ou apportent un appui aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran, «y compris en concourant à l’acquisition de biens et technologies interdits».

79      S’agissant du règlement d’exécution no 668/2010, il y a lieu de constater qu’il mettait en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007 qui, à la différence de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 961/2010, ne visait pas explicitement l’acquisition de biens et de technologies interdits.

80      Toutefois, l’article 7, paragraphe 2, sous a), du règlement no 423/2007 vise la participation, l’association directe ou l’appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération. Or, il convient de constater que la notion d’«appui» implique un degré de rattachement aux activités nucléaires de l’Iran moindre que les notions de «participation» et d’«association directe», et qu’elle est susceptible de recouvrir l’acquisition ou la commercialisation de biens et de technologies liés à l’industrie du gaz et du pétrole.

81      Cette interprétation est corroborée par l’adoption, postérieurement à l’adoption du règlement no 423/2007, de la résolution 1929 (2010) du Conseil de sécurité, de la déclaration du Conseil européen du 17 juin 2010 et de la décision 2010/413, qui mentionnent les revenus du secteur de l’énergie et le risque lié au matériel destiné à l’industrie du pétrole et du gaz.

82      En effet, la résolution du Conseil de sécurité 1929 (2010), à laquelle le considérant 22 de la décision 2010/413 fait référence, relève le lien potentiel entre les recettes que la République islamique d’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires constituant un risque de prolifération, et mentionne que le matériel et les matières utilisés par les procédés chimiques de l’industrie pétrochimique sont très semblables à ceux qui sont employés dans certaines activités sensibles du cycle du combustible nucléaire. Par ailleurs, dans sa déclaration du 17 juin 2010, le Conseil européen estime que les nouvelles mesures à adopter doivent porter notamment sur les grands secteurs de l’industrie gazière et pétrolière, avec l’interdiction de nouveaux investissements, de l’assistance technique et des transferts de technologies, d’équipements et de services liés à ces secteurs.

83      À la lumière de cette résolution du Conseil de sécurité (arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, Rec. p. I‑11381, point 104 et jurisprudence citée), de cette déclaration du Conseil européen et de la décision 2010/413 qui mentionnent les revenus du secteur de l’énergie et le risque lié au matériel destiné à l’industrie du pétrole et du gaz, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007 devait, aux fins de l’appréciation de la légalité de la mesure restrictive adoptée par le règlement d’exécution no 668/2010, être interprété en ce sens que la commercialisation d’équipements et de technologies essentiels destinés à l’industrie du gaz et du pétrole était susceptible d’être considérée comme un appui aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran.

84      Le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 113 à 115 de l’arrêt attaqué, que l’adoption de mesures restrictives à l’égard d’une entité présuppose que celle-ci ait préalablement adopté un comportement répréhensible effectif, le seul risque que l’entité concernée adopte un tel comportement dans le futur n’étant pas suffisant.

85      En effet, les différentes dispositions des actes litigieux prévoyant le gel des fonds sont rédigées de manière générale («participant, étant directement associés ou apportant un appui […]»), sans référence à des comportements préalables à une décision de gel des fonds. Il en résulte que, même lorsqu’elles visent une entité déterminée, la référence à une finalité générale telle que révélée par les statuts de cette entité peut suffire à justifier l’adoption de mesures restrictives.

86      Il convient ensuite d’examiner le caractère suffisamment précis et concret des motifs prévus dans les actes litigieux, ainsi que, le cas échéant, le caractère établi de la matérialité des faits correspondant au motif concerné à la lumière des éléments qui ont été communiqués (voir arrêt Kadi II, point 136).

87      S’agissant du premier motif des actes litigieux, selon lequel Kala Naft commercialise des équipements pour les secteurs pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré que celui-ci était suffisamment précis et concret pour permettre à Kala Naft de vérifier le bien‑fondé des actes litigieux, de se défendre devant le Tribunal et à ce dernier d’exercer son contrôle.

88      S’agissant du bien-fondé de la mesure et, plus particulièrement, de la matérialité des faits allégués dans ce premier motif, il y a lieu de constater que, en application de l’article 7, paragraphe 2, sous a), du règlement no 423/2007, de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, et de l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010, interprétés à la lumière de la résolution 1929 (2010) du Conseil de sécurité et de la déclaration du Conseil européen du 17 juin 2010, le Conseil était en droit de considérer que des mesures pouvaient être adoptées à l’encontre de Kala Naft en ce qu’elle commercialisait des équipements pour les secteurs pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien.

89      Il suffit en effet de rappeler que Kala Naft est la centrale d’achat du groupe de la compagnie pétrolière nationale iranienne, la NIOC. Cela figure dans les statuts de cette société et n’est pas contesté par celle-ci. Kala Naft expose elle-même, au point 27 de sa requête devant le Tribunal, que sa vocation exclusivement pétrolière, gazière et pétrochimique ressort avec clarté de ses méthodes de travail.

90      En outre, dans le cadre de ses contestations relatives au deuxième motif des actes litigieux, Kala Naft expose elle-même, aux points 63, 64 et 118 de sa requête devant le Tribunal, qu’elle concourt, de manière habituelle, à l’acquisition de portes en alliages pour la NIOC ou ses filiales. En tout état de cause, en raison de ce rôle au sein du groupe de la NIOC, qui implique nécessairement l’achat d’une très grande quantité de biens utilisés par les entreprises de la NIOC, le Conseil pouvait considérer que, dans le cadre de son activité, Kala Naft concourait à l’acquisition de biens et de technologies interdits, au sens des articles 4 et 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 ainsi que des articles 8, paragraphes 1 et 2, et 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 et, notamment, d’équipements pour les secteurs pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien ainsi que mentionné dans la motivation des actes litigieux.

91      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les faits allégués dans le premier motif sont avérés à suffisance de droit et que ce premier motif justifiait en soi les inscriptions sur les listes des actes litigieux. Eu égard à ce qui a été rappelé au point 72 du présent arrêt, il n’y a pas lieu de vérifier le caractère suffisamment précis et concret des deuxième et troisième motifs des actes litigieux ni de contrôler si ces motifs étaient étayés et pouvaient constituer, en soi, une base suffisante pour soutenir les actes litigieux.

92      Quand bien même les éléments justifiant le bien-fondé du premier motif de ces inscriptions ressortiraient des mémoires échangés lors de la procédure devant les juridictions de l’Union, et non d’une motivation complète et explicite étayée par des éléments d’information pertinents, cela n’affecte pas la légalité de ces actes, dès lors que la motivation pouvait être comprise par Kala Naft et que les éléments d’information pertinents, tels les statuts de cette société, étaient connus de cette dernière.

93      Au vu des erreurs de droit commises par le Tribunal, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le recours devant le Tribunal

94      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

95      À la suite de l’annulation de l’arrêt attaqué, il incombe à la juridiction saisie de se prononcer à nouveau sur le recours en annulation introduit par Kala Naft.

96      En l’espèce, les conditions sont remplies pour que la Cour statue elle-même sur le litige. En effet, les arguments développés par les parties devant le Tribunal figurent dans les mémoires échangés lors de la procédure écrite devant cette juridiction. Par ailleurs, dans la partie de leurs mémoires relative à l’hypothèse de l’accueil du pourvoi, les parties ont eu l’occasion, devant la Cour, de prendre une nouvelle fois position sur ces arguments et, éventuellement, sur la réponse donnée par le Tribunal.

 Sur le premier moyen

97      Kala Naft soutient que la décision 2010/413 est illégale en ce que l’article 28 de celle-ci a prévu que cette décision entrerait en vigueur le jour de son adoption, lequel précédait le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. Elle fait valoir, notamment, que l’article 4 de la décision 2010/413 prévoit des mesures d’interdiction dont la portée n’est pas déterminée avec une précision suffisante. Par la combinaison de ses articles 4 et 28, la décision 2010/413 prononcerait une interdiction, pénalement sanctionnée par la législation des États membres, ne permettant pas à ses destinataires de mesurer la portée de l’interdiction.

98      Aucune des parties n’a pris position, devant la Cour, sur ce moyen.

99      Pour les mêmes motifs que ceux développés aux points 36 à 38 de l’arrêt du Tribunal, il y a lieu de conclure que, en vertu de l’article 275, premier alinéa, TFUE, la Cour n’est pas compétente pour connaître d’un recours visant à apprécier la légalité de l’article 4 de la décision 2010/413.

100    La contestation de la légalité de l’article 28 étant liée à celle de l’article 4, il n’y a pas lieu de répondre au moyen de Kala Naft.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

101    Kala Naft soutient que les actes litigieux n’ont pas été motivés par le Conseil à suffisance de droit, de sorte qu’elle n’est pas en mesure d’identifier les faits qui lui sont reprochés et de vérifier ou de réfuter le bien‑fondé des motifs qui ont été retenus contre elle.

102    Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 72 et 87 du présent arrêt, il y a lieu de rejeter ce moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense de Kala Naft et de son droit à une protection juridictionnelle effective

103    Kala Naft fait valoir, par son troisième moyen, que, en adoptant la décision 2010/413 et le règlement d’exécution no 668/2010, le Conseil a violé ses droits de la défense, ce qui implique également une violation de son droit à une protection juridictionnelle effective.

104    Pour les mêmes motifs que ceux développés aux points 94 à 104 de l’arrêt du Tribunal, il y a lieu de considérer que le droit de Kala Naft à faire valoir utilement son point de vue a été respecté.

105    S’agissant des éléments établissant la réalité des motifs retenus à l’encontre de Kala Naft, il suffit de constater que la fonction de centrale d’achat du groupe de la NIOC qu’elle exerce résulte tant de ses statuts que des brochures qu’elle édite. Le Conseil n’était dès lors pas tenu d’établir la preuve de l’activité de Kala Naft par d’autres éléments.

106    En ce qui concerne la preuve de la tentative d’achat de matériel utilisé exclusivement par l’industrie nucléaire, il y a lieu de considérer qu’une éventuelle violation des droits de la défense de Kala Naft serait sans incidence pour la solution du litige étant donné que le premier motif de l’inscription de Kala Naft sur les listes des actes litigieux justifiait, ainsi qu’il a été constaté au point 91 du présent arrêt, en soi l’inscription de cette dernière sur ces listes.

 Sur le cinquième moyen, tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter les actes litigieux

107    Kala Naft soutient que le Conseil n’était pas compétent pour adopter les actes litigieux. Elle fait valoir que ces actes ont pour fondement juridique la déclaration du Conseil européen du 17 juin 2010, mais que celle-ci se borne à prévoir la mise en œuvre, par le Conseil, de la résolution 1929 (2010) du Conseil de sécurité et l’adoption des mesures d’accompagnement et ne prévoit pas l’adoption de mesures de gel de fonds autonomes. En outre, la résolution 1929 (2010) ne contiendrait pas de mesures visant l’industrie pétrolière et gazière iranienne ou Kala Naft. Elle en déduit que le Conseil n’était pas compétent pour adopter des mesures restrictives à son égard sur le fondement de la déclaration du Conseil européen du 17 juin 2010.

108    À cet égard, il y a lieu de relever que, s’ils doivent être pris en considération pour l’interprétation des actes litigieux, ni la résolution 1929 (2010) du Conseil de sécurité ni la déclaration du Conseil européen du 17 juin 2010 ne peuvent en constituer la base juridique.

109    Il y a lieu de constater que les décisions 2010/413 et 2010/644 sont fondées sur l’article 29 TUE, que le règlement d’exécution no 668/2010 est fondé sur l’article 291, paragraphe 2, TFUE et le règlement no 423/2007, et que le règlement no 961/2010 est fondé sur l’article 215 TFUE. Ces dispositions des traités donnaient au Conseil la compétence pour adopter les actes litigieux, contenant des mesures restrictives autonomes, distinctes de mesures recommandées spécifiquement par le Conseil de sécurité.

110    Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

 Sur le sixième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

111    Kala Naft soutient que le Conseil a commis un détournement de pouvoir. Elle fait valoir que le Conseil a adopté des mesures restrictives à son égard sans disposer de preuves quant à son implication dans la prolifération nucléaire et sans respecter ses droits procéduraux. Ces circonstances impliquent, selon cette société, que le Conseil a effectivement cherché à détourner le régime de mesures restrictives lié à la prolifération nucléaire afin d’atteindre l’industrie pétrolière, gazière et pétrochimique iranienne.

112    Il suffit à cet égard de relever que, ainsi qu’il a été rappelé aux points 76 à 83 du présent arrêt, les actes litigieux ont visé l’industrie pétrolière, gazière et pétrochimique iranienne en raison du risque que cette industrie présentait pour la prolifération nucléaire, tant par les revenus qu’elle générait que par l’utilisation de matériel et de matières semblables à ceux utilisés dans certaines activités sensibles du cycle du combustible nucléaire.

113    Par conséquent, le moyen n’est pas fondé.

 Sur le septième moyen, tiré d’une erreur de droit s’agissant de la notion d’implication dans la prolifération nucléaire

114    Kala Naft fait valoir que, en s’appuyant sur le premier motif de son inscription sur la liste des actes litigieux, tiré de ce qu’elle commercialise des équipements pour les secteurs pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien, le Conseil a commis une erreur de droit. En effet, cette circonstance ne justifierait pas, à elle seule, l’adoption de mesures restrictives.

115    Ainsi qu’il ressort des points 87 à 90 du présent arrêt, l’activité de Kala Naft dans les secteurs pétrolier et gazier, attestée par les statuts mêmes de cette société, était suffisante pour justifier l’adoption des mesures restrictives.

116    Le septième moyen n’est, dès lors, pas fondé.

 Sur le huitième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation des faits s’agissant des activités de Kala Naft

117    Kala Naft conteste exercer une activité de commercialisation d’équipements ayant un lien avec le programme nucléaire. Elle fait valoir que son rôle de centrale d’achat de la NIOC ne constitue pas une activité de commercialisation.

118    Il y a lieu de considérer que le terme «commercialise» décrit à suffisance de droit l’activité de Kala Naft justifiant son inscription sur la liste et permet à cette société d’en comprendre la raison.

 Sur les quatrième et neuvième moyens, tirés d’une violation du principe de proportionnalité

119    Kala Naft conteste l’objectif d’intérêt général susceptible de justifier les restrictions à l’usage du droit de propriété et au droit d’exercer librement une activité économique, dès lors que ni le Conseil de sécurité ni le Conseil européen n’ont prévu l’adoption de mesures visant le secteur pétrolier et gazier. Par ailleurs, quand bien même un tel objectif existerait, le rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi n’aurait pas été respecté.

120    Pour autant que Kala Naft conteste la proportionnalité des règles générales sur le fondement desquelles a été décidée son inscription sur les listes, il y a lieu de rappeler que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, la Cour a jugé qu’il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Elle en a déduit que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, Rec. p. I‑1233, point 33).

121    Il y a lieu, également, de rappeler que les droits fondamentaux mentionnés par Kala Naft ne sont pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union (voir arrêt Bank Melli Iran/Conseil, précité, point 113).

122    Tel est en effet le cas du droit de propriété et de la liberté d’exercer une activité économique. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées au droit d’exercer librement une activité professionnelle, tout comme à l’usage du droit de propriété, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir arrêt Bank Melli Iran/Conseil, précité, point 114).

123    En ce qui concerne plus particulièrement la liberté d’exercer une activité économique, la Cour a jugé notamment que, eu égard au libellé de l’article 16 de la Charte, qui se distingue de celui des autres libertés fondamentales consacrées au titre II de celle-ci tout en étant proche de celui de certaines dispositions du titre IV de cette même Charte, cette liberté peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique (voir arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11, point 46).

124    À cet égard, il y a lieu de relever que les différents actes litigieux ont pour objectif d’empêcher la prolifération nucléaire et d’exercer ainsi une pression sur la République islamique d’Iran afin qu’elle mette fin aux activités concernées. Cet objectif s’inscrit dans le cadre plus général des efforts liés au maintien de la paix et de la sécurité internationale et est, par conséquent, légitime (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, précité, point 115).

125    Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Kala Naft, le Conseil de sécurité avait évoqué les risques liés à l’industrie pétrochimique dans le dix-septième considérant de la résolution 1929 (2010) et le Conseil européen avait, dans sa déclaration du 17 juin 2010, invité le Conseil des affaires étrangères à adopter des mesures dans les secteurs de l’industrie gazière et pétrolière.

126    S’agissant de la proportionnalité des mesures, il importe de rappeler les nombreux rapports de l’AIEA, le grand nombre de résolutions du Conseil de sécurité, de même que les différentes mesures de l’Union. Les mesures restrictives adoptées tant par le Conseil de sécurité que par l’Union sont progressives et justifiées par l’absence de succès des mesures adoptées précédemment. Il résulte de cette démarche fondée sur la progressivité de l’atteinte aux droits en fonction de l’effectivité des mesures que leur proportionnalité est établie.

127    Il s’ensuit que les moyens ne sont pas fondés.

128    L’ensemble des moyens ayant été rejetés, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

129    En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 138 du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose, à son paragraphe 1, que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

130    Le pourvoi du Conseil étant accueilli et le recours de Kala Naft contre les actes litigieux étant rejeté, il y a lieu, conformément aux conclusions du Conseil, de condamner Kala Naft à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil dans les deux instances.

131    La Commission, partie intervenante, supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 avril 2012, Manufacturing Support & Procurement Kala Naft/Conseil (T‑509/10), est annulé.

2)      Le recours en annulation de Manufacturing Support & Procurement Kala Naft Co., Tehran, est rejeté.

3)      Manufacturing Support & Procurement Kala Naft Co., Tehran, est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne relatifs tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.

4)      la Commission européenne supporte ses propres dépens tant dans la procédure de première instance que dans celle de pourvoi.

Signatures


* Langue de procédure: le français.