Language of document : ECLI:EU:C:2020:875

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 29 octobre 2020 (1)

Affaire C804/19

BU

contre

Markt24 GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (UE) n° 1215/2012 – Chapitre II, section 5 (articles 20 à 23) – Compétence en matière de contrats individuels de travail – Contrat de travail conclu, dans un État membre A, entre un travailleur domicilié dans cet État et un employeur domicilié dans un État membre B, portant sur des prestations de travail devant être accomplies dans ce dernier État – Contrat de travail non exécuté – Action en paiement de la rémunération convenue, intentée par le travailleur contre l’employeur – Exclusion des règles de compétence prévues dans le droit national de la juridiction saisie – Article 21, paragraphe 1, sous b), i) – Notion de “lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail” – Lieu où le travailleur devait accomplir son travail, tel que convenu dans le contrat »






I.      Introduction

1.        BU, une personne physique domiciliée en Autriche, a conclu un contrat de travail avec Markt24 GmbH, une société de droit allemand. Aux termes de ce contrat, la première devait accomplir, en faveur et sous la direction de la seconde, des prestations de nettoyage en Allemagne. Néanmoins, dans les faits, le contrat en question est resté lettre morte, et ce pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que Markt24 y mette fin en licenciant BU. Pendant cette période, ladite société n’a confié aucune tâche à la travailleuse, bien que celle-ci se soit tenue, à son domicile, prête à travailler. Cette même société ne lui a pas non plus versé la rémunération convenue.

2.        Dans ce contexte, BU a saisi le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg, Autriche), dans le ressort duquel se trouve son domicile, d’une action en paiement de cette rémunération dirigée contre Markt24. Cette juridiction a, quant à elle, saisi la Cour de la présente demande de décision préjudicielle, portant sur l’interprétation du règlement (UE) no 1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2) (ci‑après le « règlement Bruxelles I bis »).

3.        Par ses différentes questions, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à déterminer si elle est compétente pour connaître de l’action intentée par BU, ou bien si cette action aurait dû être portée devant une juridiction allemande. Cela dépend des points de savoir, d’abord, si les règles de compétence figurant dans le règlement Bruxelles I bis – en particulier son article 21, relatif aux actions intentées par les travailleurs contre leurs employeurs – sont applicables à pareille action, ensuite, si, le cas échéant, cet article permet au travailleur de saisir la juridiction de son domicile dans des circonstances telles que celles de l’espèce et, enfin, si, à défaut, ce règlement s’oppose à ce que cette dernière juridiction se déclare compétente au titre de règles nationales offrant au travailleur cette option.

4.        Dans les présentes conclusions, j’expliquerai qu’une action telle que celle intentée par BU relève du règlement Bruxelles I bis, de sorte que les juridictions compétentes pour connaître de cette action doivent être déterminées au regard des dispositions de ce règlement, à l’exclusion de règles nationales de compétence. J’expliquerai également que, dans une situation dans laquelle un contrat de travail n’a pas été exécuté, pour une raison quelconque, le travailleur peut attraire son employeur, au titre dudit article 21, soit devant les juridictions de l’État membre du domicile de ce dernier, soit devant celle du lieu où il devait accomplir son travail, tel que convenu dans ce contrat.

II.    Le cadre juridique

A.      Le règlement Bruxelles I bis

5.        Le considérant 18 du règlement Bruxelles I bis énonce que « [s]’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales ».

6.        La section 5 du chapitre II de ce règlement, intitulée « Compétence en matière de contrats individuels de travail », regroupe les articles 20 à 23 dudit règlement. L’article 20, paragraphe 1, de ce même règlement dispose :

« En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6, de l’article 7, point 5), et, dans le cas d’une action intentée à l’encontre d’un employeur, de l’article 8, point 1). »

7.        L’article 21, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis prévoit :

« Un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait :

a)      devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ;

ou

b)      dans un autre État membre :

i)      devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou

ii)      lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur. »

B.      Le droit autrichien

8.        L’article 4 du Bundesgesetz über die Arbeits- und Sozialgerichtsbarkeit (Arbeits- und Sozialgerichtsgesetz) (loi fédérale sur les juridictions compétentes en matière sociale), du 7 mars 1985 (ci-après l’« ASGG »), dispose, à son paragraphe 1, sous a) et d) :

« Est territorialement compétent pour connaître des litiges visés à l’article 50, paragraphe 1, au choix du demandeur :

1)      dans les cas visés aux points 1) à 3), également le tribunal dans le ressort duquel

a)      le travailleur a son domicile ou sa résidence habituelle pendant la durée de la relation de travail ou avait celui-ci ou celle-ci lors de la cessation de la relation de travail,

[...]

d)      la rémunération est due ou, en cas de cessation de la relation de travail, était due en dernier lieu [...] »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

9.        BU est une personne physique domiciliée à Salzbourg (Autriche). Markt24 est une société de droit allemand dont le siège se trouve à Unterschleißheim (Allemagne).

10.      À une certaine date, BU a été démarchée par un homme qui lui a affirmé que Markt24 était à la recherche d’employés, à la suite de quoi elle a signé, avec cet homme, dans une boulangerie sise à Salzbourg, un contrat de travail sur lequel figuraient le tampon de cette société ainsi qu’un numéro de téléphone autrichien et une adresse allemande. Aux termes de ce contrat, BU était engagée, à temps partiel, en qualité d’agent d’entretien pour effectuer des prestations de nettoyage à Munich (Allemagne) contre un salaire mensuel.

11.      Il était envisagé que BU entre en fonction le 6 septembre 2017. Cependant, celle-ci n’a jamais commencé à travailler. En effet, Markt24 ne lui a confié aucun travail. Alors que BU est restée joignable par téléphone et s’est tenue prête à travailler à son domicile, elle n’a effectué aucune activité de nettoyage ni aucun autre type de prestations pour cette société. BU n’avait pas le numéro de téléphone de l’homme avec lequel elle a conclu son contrat de travail. Pendant la durée de la relation de travail, BU n’a perçu aucune rémunération. Comme trois autres employés de ladite société, elle a néanmoins été enregistrée en tant que salariée auprès de l’organisme de sécurité sociale autrichien.

12.      Le 15 décembre 2017, Markt24 a licencié BU.

13.      Le 27 avril 2018, BU a attrait Markt24 devant le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg) en paiement d’arriérés de salaire, de gratifications dues prorata temporis et d’une indemnité compensatrice de congés payés pour la période s’étendant du 6 septembre au 15 décembre 2017. La requérante au principal soutient que cette juridiction est compétente au motif que ladite société avait un bureau à Salzbourg au début de leur relation de travail.

14.      L’assignation à comparaître n’ayant pu être signifiée à Markt24 et les représentants de cette société n’ayant pas de résidence connue, le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg) a désigné un mandataire pour la représenter en son absence. Par acte du 7 janvier 2019, ce dernier a soulevé l’incompétence internationale et territoriale de cette juridiction.

15.      Dans ces conditions, le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 21 du [règlement Bruxelles I bis] s’applique-t-il à une relation de travail dans le cadre de laquelle le travailleur, bien qu’ayant conclu un contrat de travail en Autriche en vue de travailler en Allemagne, n’a cependant effectué aucun travail, alors qu’il s’est tenu prêt à travailler pendant plusieurs mois en Autriche ?

En cas de réponse affirmative à la première question :

2)      L’article 21 du [règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens que peut trouver à s’appliquer une disposition de droit national permettant au travailleur de saisir (plus facilement) les juridictions du lieu où il réside pendant la durée de la relation de travail ou résidait lors de la cessation de celle-ci, telle que l’article 4, paragraphe 1, sous a), [de l’ASGG] ?

3)      L’article 21 du [règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens que peut trouver à s’appliquer une disposition de droit national permettant au travailleur de saisir (plus facilement) les juridictions du lieu où la rémunération est due ou était due lors de la cessation de la relation de travail, telle que l’article 4, paragraphe 1, sous d), de l’ASGG ?

En cas de réponse négative aux deuxième et troisième questions :

4)      a)      L’article 21 du [règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cas d’une relation de travail dans le cadre de laquelle le travailleur n’a effectué aucun travail, l’action doit être introduite devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur s’est tenu prêt à travailler ?

b)      L’article 21 du [règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cas d’une relation de travail dans le cadre de laquelle le travailleur n’a effectué aucun travail, l’action doit être introduite devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel s’est déroulée la phase précontractuelle et a été conclu le contrat de travail, même si ce dernier prévoit ou envisage que le travailleur travaille dans un autre État membre ?

En cas de réponse négative à la première question :

5)      L’article 7, point 1, du [règlement Bruxelles I bis] s’applique-t-il à une relation de travail dans le cadre de laquelle le travailleur, bien qu’ayant conclu un contrat de travail en Autriche en vue d’accomplir un travail en Allemagne, n’a cependant effectué aucun travail, alors qu’il s’est tenu prêt à travailler pendant plusieurs mois en Autriche, lorsque peut trouver à s’appliquer une disposition de droit national lui permettant de saisir (plus facilement) les juridictions du lieu où il réside pendant la durée de la relation de travail ou résidait lors de la cessation de celle-ci, telle que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’ASGG, ou une disposition de droit national lui permettant de saisir (plus facilement) les juridictions du lieu où la rémunération est due ou était due lors de la cessation de la relation de travail, telle que l’article 4, paragraphe 1, sous d), de l’ASGG ? »

16.      La demande de décision préjudicielle, en date du 23 octobre 2019, est parvenue à la Cour le 31 du même mois. Markt24, le gouvernement tchèque et la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour. Il n’y a pas eu d’audience dans la présente affaire.

IV.    Analyse

17.      La présente affaire porte sur la compétence internationale des juridictions des États membres de l’Union pour connaître d’une action en paiement de la rémunération prévue dans un contrat de travail, intentée par un travailleur contre son employeur, dans les circonstances, pour le moins particulières, dans lesquelles le premier n’a accompli, dans les faits, aucune prestation en exécution de ce contrat, faute pour le second de lui avoir confié les tâches convenues. Comme je l’ai indiqué en introduction des présentes conclusions, ledit contrat est, pour ainsi dire, resté lettre morte entre le jour de sa signature et la date à laquelle l’employeur y a mis fin en licenciant le travailleur.

18.      Cette action s’inscrit dans le contexte d’un litige transfrontalier. En effet, la travailleuse en cause, BU, est domiciliée à Salzbourg, tandis que le siège de la société employeuse, Markt24, se situe en Allemagne – cette société ayant peut‑être eu, en outre, un bureau à Salzbourg au début de leur relation contractuelle (3). Par ailleurs, le contrat de travail litigieux a été conclu dans cette ville, alors que les prestations de travail convenues, à savoir des tâches de nettoyage, devaient être accomplies à Munich.

19.      Dans ce contexte, la première question de la juridiction de renvoi vise, en substance, à déterminer si les règles de compétence prévues dans le règlement Bruxelles I bis, en particulier celles figurant dans la section 5 de son chapitre II, s’appliquent à une action telle que celle intentée par BU contre Markt24.

20.      À ce stade, il convient de rappeler que cette section contient des règles spécifiques aux actions judiciaires « en matière de contrats individuels de travail ». Les règles en question, qui ont déjà donné lieu à une jurisprudence conséquente de la Cour (4), visent notamment (5) à protéger le travailleur, considéré comme partie faible au contrat de travail (6). Dans ce cadre, l’article 21 du règlement Bruxelles I bis offre différentes options de compétence à un travailleur souhaitant intenter une action contre son employeur. D’une part, conformément au paragraphe 1, sous a), de cet article, le travailleur peut attraire son employeur devant les juridictions de l’État membre du domicile de ce dernier – mais, précision importante, pas devant celles de son propre domicile. D’autre part, le paragraphe 1, sous b), dudit article donne au travailleur la faculté de porter son action, soit i) devant la juridiction du « lieu où ou à partir duquel [il] accomplit habituellement son travail » ou devant celle du « dernier lieu où il a accompli habituellement son travail », soit ii) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du « lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui [l’]a embauché [...] ».

21.      La juridiction de renvoi doute que ces règles soient applicables à l’action dont elle est saisie au motif que, si BU avait conclu un contrat de travail avec Markt24, elle n’a accompli, dans les faits, aucune prestation de travail en exécution de ce contrat. Néanmoins, j’expliquerai, dans une section A, pourquoi lesdites règles sont bien applicables à une telle action, indépendamment du fait que le contrat de travail litigieux n’a pas été exécuté.

22.      Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir si elle peut se déclarer compétente pour connaître de l’action intentée par BU sur le fondement des règles prévues dans son droit national – plus précisément à l’article 4, paragraphe 1, sous a) et d), de l’ASGG – au motif que ces règles donnent, soit directement, soit indirectement (7), aux travailleurs autrichiens la faculté de saisir la juridiction de leur propre domicile en Autriche et qu’elles sont, en cela, plus favorables à ces derniers que celles du règlement Bruxelles I bis. Toutefois, j’expliquerai dans une section B pourquoi seules les règles de compétence figurant dans ce règlement sont applicables à une telle action, à l’exclusion de pareilles règles nationales, et ce même lorsque les secondes sont plus favorables aux travailleurs que les premières.

23.      La quatrième question concerne, en substance, la règle prévue à l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis. Cette question vise à déterminer s’il est possible d’identifier un « lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail », au sens de cette disposition, dans des circonstances dans lesquelles aucune prestation de travail n’a été accomplie par le travailleur. Comme le souligne la juridiction de renvoi, la Cour n’a, jusqu’à présent, jamais eu à se prononcer sur la manière dont ladite disposition doit être interprétée dans un tel contexte. J’exposerai, dans la section C, les raisons pour lesquelles, même dans ces circonstances, ce « lieu » est identifiable et correspond non pas au lieu de la conclusion du contrat de travail ou à celui où le travailleur s’est tenu prêt à travailler, comme le suggère la juridiction de renvoi, mais  à celui où le travailleur devait accomplir son travail, tel que convenu dans ce contrat.

A.      Sur l’applicabilité du règlement Bruxelles I bis et, plus spécifiquement, de la section 5 de son chapitre II (première question)

24.      En premier lieu, il ne fait aucun doute, selon moi, qu’une action telle que celle intentée par BU relève du règlement Bruxelles I bis, pris dans son ensemble. En effet, cette action tombe manifestement dans le champ d’application matériel de ce règlement (8). Elle relève également de son champ d’application personnel, puisque les règles de compétence qu’il prévoit s’appliquent, en principe, lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre (9) et que le domicile de Markt24 se situe en Allemagne (10). Enfin, si l’application de ces règles requiert, par hypothèse, un élément d’extranéité (11), je rappelle que ladite action se rapporte à un litige transfrontalier (12).

25.      En second lieu, il est également clair, à mes yeux, que cette même action relève, plus spécifiquement, de la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis.

26.      À cet égard, je rappelle que, conformément à l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement, cette section s’applique aux actions judiciaires « en matière de contrats individuels de travail ». Deux conditions découlent de ce libellé : d’une part, il doit exister un « contrat individuel de travail » entre les parties au litige ; d’autre part, l’action doit être liée à ce « contrat ».

27.      S’agissant de la première condition, la Cour a itérativement jugé que ladite notion de « contrat individuel de travail » ne renvoie pas aux catégories prévues dans le droit national de la juridiction saisie (dit « lex fori »), mais doit recevoir une définition autonome, afin de garantir l’application uniforme des règles de compétence établies par le règlement Bruxelles I bis dans tous les États membres (13).

28.      La Cour a ainsi défini, de manière autonome, un tel « contrat » par référence à la notion de « relation de travail ». Selon une jurisprudence constante, la caractéristique essentielle de pareille relation est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (14).

29.      Il s’ensuit qu’un contrat doit être qualifié de « contrat individuel de travail », au sens de l’article 20, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, lorsqu’il fait naître les obligations correspondant à une telle relation de travail entre les parties contractantes. En l’occurrence, il est constant que le contrat conclu par BU avec Markt24, eu égard à ses stipulations, emportait de telles obligations et doit donc être qualifié comme tel (15).

30.      Quant à la seconde condition, celle-ci est manifestement remplie en l’espèce, dès lors que l’action de BU se fonde sur l’inexécution d’obligations découlant du contrat de travail litigieux (16).

31.      La juridiction de renvoi se demande néanmoins si, pour qu’une action relève de la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis, la relation de travail litigieuse doit présenter un certain caractère de durée et de stabilité, ce qui, le cas échéant, pourrait exclure l’application de cette section notamment dans une situation, telle que celle en cause dans la présente affaire, dans laquelle le travailleur n’a pas commencé à travailler.

32.      À l’instar de Markt24, du gouvernement tchèque et de la Commission, je ne suis pas de cet avis.  En effet, l’application de la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis exige, comme je l’ai indiqué, que l’action en cause soit relative à un « contrat individuel de travail » liant les parties au litige. En revanche, le point de savoir depuis quand ce contrat a été conclu (17) ou s’il a été exécuté dans les faits n’importe pas.

33.      Comme le fait valoir ce gouvernement, cette solution découle de l’objet même de ladite section, qui est de prévoir des règles de compétence pour les litiges « en matière de contrats individuels de travail ». De toute évidence, de tels litiges peuvent naître peu après la conclusion d’un tel contrat (18), voire avant son exécution (19). Sur ce dernier point, j’observe que, bien souvent, l’inexécution de tout ou partie des obligations découlant d’un contrat de travail est précisément la cause des demandes en justice relevant de cette même section.

34.      Au demeurant, l’interprétation opposée serait contraire à l’objectif d’un haut degré de prévisibilité des règles de compétence poursuivi dans le règlement Bruxelles I bis. En effet, conformément à cet objectif, comme le souligne la Commission, chaque partie au contrat doit pouvoir raisonnablement prévoir, dès la conclusion du contrat, devant quelle(s) juridiction(s) elle peut intenter une action contre, ou être attraite par, l’autre partie.

35.      Une telle interprétation remettrait également en cause l’objectif de protection du travailleur sous-tendant la section 5 du chapitre II de ce règlement. À cet égard, je rappelle que si cette section ne s’appliquait pas à un litige tel que celui opposant BU à Markt24, ce litige serait soumis aux règles générales prévues par ce règlement, qui sont, la plupart du temps (20), moins favorables au travailleur. En particulier, ce dernier perdrait le privilège de ne pouvoir être attrait par son employeur que devant les juridictions de son propre domicile (21) et de ne pas pouvoir se voir opposer une convention attributive de juridiction contraire à ses intérêts (22).

36.      Or, le seul fait qu’un contrat de travail ait été conclu depuis peu ou n’ait pas été exécuté dans les faits justifierait difficilement d’écarter, à l’égard des litiges auxquels ce contrat pourrait donner lieu, l’application des règles posées à ladite section. Même lorsqu’un travailleur rompt son contrat de travail immédiatement après l’avoir conclu, ou au tout début de son exécution, il mérite protection – et ce d’autant plus qu’une telle rupture pourrait être imputable à l’employeur. De manière similaire, lorsqu’un travailleur intente, comme en l’occurrence, une action contre son employeur au motif que le contrat n’a pas été exécuté par sa faute, il n’y a pas de raison que ce dernier puisse lui opposer une convention attributive de juridiction contraire à ses intérêts (23).

37.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la première question qu’une action en paiement de la rémunération convenue dans un contrat de travail, intentée par un travailleur domicilié dans un État membre contre un employeur domicilié dans un autre État membre, relève du règlement Bruxelles I bis et, plus spécifiquement, de la section 5 de son chapitre II, et ce même lorsqu’aucune prestation de travail n’a été accomplie, dans les faits, par ce travailleur en exécution du contrat litigieux.

B.      Sur l’exclusion des règles nationales de compétence (deuxième et troisième questions)

38.      Dans l’hypothèse où la Cour répondrait à la première question, comme je le lui suggère, qu’une action telle que celle intentée par BU relève du règlement Bruxelles I bis et, plus spécifiquement, de la section 5 de son chapitre II, la juridiction de renvoi demande, par ses deuxième et troisième questions, en substance, si ce règlement s’oppose à l’application de règles de compétence, prévues dans le droit national de cette juridiction, permettant au travailleur de saisir le tribunal dans le ressort duquel il a son domicile ou sa résidence habituelle pendant la durée de la relation de travail, ou de saisir le tribunal dans le ressort duquel la rémunération est due.

39.      À cet égard, il est constant que, en l’occurrence, les règles prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a) et d), de l’ASGG – ou à tout le moins la première d’entre elles – donneraient compétence à la juridiction de renvoi pour connaître de l’action intentée par BU. Cela étant, tout comme Markt24, le gouvernement tchèque et la Commission, je n’ai aucun doute quant au fait que le règlement Bruxelles I bis s’oppose à l’application de telles règles nationales de compétence.

40.      En effet, il ressort d’une lecture combinée de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis que, pour les litiges transfrontaliers en « matière civile et commerciale », les règles de compétence prévues dans ce règlement s’appliquent lorsque le défendeur est domicilié dans un État membre, tandis que les règles nationales de compétence sont pertinentes, en principe, uniquement lorsque le défendeur est domicilié dans un État tiers (24).

41.      De surcroît, lorsque les règles de compétence établies par le règlement Bruxelles I bis sont applicables, elles excluent, purement et simplement, celles prévues dans le droit national de la juridiction saisie. Cela découle de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement, qui précise que les seules dérogations admises à la règle de principe de la compétence des juridictions de l’État membre du domicile du défendeur, figurant audit article 4, paragraphe 1, sont celles prévues aux sections 2 à 7 du chapitre II dudit règlement (25).

42.      Par conséquent, puisque l’action intentée par BU contre Markt24 relève, comme je l’ai expliqué au point 24 des présentes conclusions, du règlement Bruxelles I bis et, plus précisément, de la section 5 de son chapitre II, la juridiction de renvoi ne saurait faire application des règles prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a) ou d), de l’ASGG (26). Elle doit, au contraire, déterminer sa compétence uniquement au regard des dispositions de ce règlement.

43.      Le fait que les règles nationales en question sont plus favorables aux travailleurs ne remet pas en cause cette interprétation.

44.      À cet égard, il convient de préciser que les dispositions de la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis ne constituent pas des « prescriptions minimales » de protection des travailleurs, à l’instar de celles établies par certaines directives d’harmonisation en matière sociale (27). En effet, ce règlement ne procède pas à une telle harmonisation minimale : il prévoit un régime unifié de règles de compétence, dans le but de faciliter la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale et, par-là, le bon fonctionnement du marché intérieur, ainsi que de garantir une certitude quant à la répartition des compétences entre les juridictions des États membres et, en cela, de renforcer la sécurité juridique (28).

45.      Les États membres ne disposent donc pas de la faculté de substituer ou d’ajouter, aux règles de compétence établies dans le règlement Bruxelles I bis, des règles nationales plus favorables aux travailleurs. Une telle faculté perturberait l’unification souhaitée par le législateur de l’Union, comme le fait valoir Markt24. Elle compromettrait également la sécurité juridique, ainsi que le souligne le gouvernement tchèque, puisque les employeurs pourraient plus difficilement anticiper devant quelles juridictions ils peuvent être attraits par les travailleurs qu’ils emploient (29).

46.      Compte tenu des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux deuxième et troisième questions que le règlement Bruxelles I bis s’oppose à l’application de règles de compétence, prévues dans le droit national de la juridiction saisie, qui permettent au travailleur de saisir le tribunal dans le ressort duquel il a son domicile ou sa résidence habituelle pendant la durée de la relation de travail, ou de saisir le tribunal dans le ressort duquel la rémunération est due.

C.      Sur la détermination du lieu de travail habituel, au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis (quatrième question)

47.      À supposer que la Cour juge, en réponse à la première question, comme je le lui suggère, qu’une action telle que celle intentée par BU contre Markt24 relève du règlement Bruxelles I bis et, plus spécifiquement, de la section 5 de son chapitre II, la juridiction de renvoi devra déterminer sa compétence au regard des règles envisagées dans cette section.

48.      Dans ce cadre, l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement Bruxelles I bis prévoit, je le rappelle, qu’un travailleur peut attraire son employeur devant les juridictions de l’État membre du domicile de ce dernier. En l’occurrence, il est constant que Markt24 a son domicile en Allemagne. Les juridictions allemandes sont donc compétentes au titre de cette disposition.

49.      La juridiction de renvoi s’interroge, dès lors, sur l’interprétation de l’article 21, paragraphe 1, sous b), de ce règlement. À cet égard, je rappelle que cette disposition permet au travailleur de porter son action contre l’employeur également :

–        i) devant la juridiction du « lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail » ou devant celle « du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail » ou

–        ii) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du « lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui [l’]a embauché [...] ».

50.      Le lieu de travail habituel constitue ainsi le critère principal de compétence dans le cadre de cette disposition, tandis que le lieu de l’établissement d’embauche est un critère subsidiaire. Le premier critère doit donc être examiné en priorité dans chaque affaire (30).

51.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le lieu de travail habituel, aux fins dudit article 21, paragraphe 1, sous b), i), doit être déterminé non pas par référence à la loi applicable au contrat de travail en cause (dite « lex contractus »), mais sur la base de critères autonomes définis par la Cour au regard du système et des objectifs du règlement Bruxelles I bis, et ce, là encore, afin d’assurer l’application uniforme, dans tous les États membres, des règles de compétence qu’il prévoit (31).

52.      Conformément à cette jurisprudence, ce lieu correspond à celui « où le travailleur exerce en fait les activités convenues avec son employeur » (32). L’identification dudit lieu est donc essentiellement une question de fait. Il revient aux juridictions nationales de déterminer ce même lieu au regard des circonstances de chaque affaire dont elles sont saisies, dans le respect des critères définis par la Cour.

53.      À cet égard, je rappelle que la particularité de l’affaire au principal est précisément que, s’il était envisagé, dans le contrat de travail litigieux, que BU exécuterait des prestations de travail à Munich, celle-ci n’a accompli, en fait, aucune activité pour Markt24.

54.      Dans de telles circonstances, l’application du point i) de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement Bruxelles I bis pourrait, de prime abord, sembler exclue au bénéfice de celle du point ii) de cette disposition. En effet, tant le libellé du premier point que la jurisprudence de la Cour évoquée au point 52 des présentes conclusions présupposent, à première vue, l’accomplissement effectif de prestations par le travailleur.

55.      Néanmoins, à l’instar de la Commission, j’estime qu’une telle interprétation serait inutilement restrictive et contraire à la finalité de ladite disposition.

56.      En effet, comme la Cour l’a expliqué dans sa jurisprudence, le critère du lieu de travail habituel désigne la juridiction qui est, en règle générale, la plus proche du contrat de travail et des litiges le concernant (33). Ce critère est également réputé offrir une protection adéquate au travailleur puisque, dans la plupart des cas, c’est en ce lieu qu’il peut intenter à moindres frais une action contre son employeur (34). En revanche, le critère du lieu de l’établissement d’embauche ne désigne pas toujours une juridiction ayant un lien aussi étroit avec le contrat – dès lors que cet établissement peut présenter un caractère fortuit – et n’offre pas la même protection au travailleur – puisque l’employeur a généralement la pleine maîtrise de la définition du lieu d’embauche (35). Partant, conformément à cette jurisprudence, le premier critère doit être interprété de façon large et n’est supplanté par le second que dans les situations (exceptionnelles) où le juge saisi n’est pas en mesure de déterminer un tel lieu de travail (36).

57.      Or, à l’instar du gouvernement tchèque, j’estime que, dans une affaire telle que celle au principal, bien qu’aucune prestation n’ait été accomplie, dans les faits, par le travailleur, il est possible de déterminer un lieu de travail habituel, aux fins de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis, sur la base du contrat conclu par les parties. Je ne vois surtout pas de raison de priver les travailleurs, dans toutes les situations dans lesquelles, pour une raison quelconque, leur contrat de travail n’a pas, ou pas encore, été exécuté, d’une option de compétence réputée favorable à leurs intérêts. En conséquence, le critère du lieu de l’établissement d’embauche, tel que prévu au paragraphe 1, sous b), ii), de cet article, ne trouve pas, selon moi, à s’appliquer en l’occurrence (37).

58.      Quant à l’identification de ce lieu de travail habituel, je partage l’avis unanime de Markt24, du gouvernement tchèque et de la Commission selon lequel, dans toutes les situations dans lesquelles un litige survient entre travailleur et employeur alors que le contrat de travail n’a pas, ou pas encore, été exécuté, ledit lieu correspond à celui où le travailleur doit, ou devait, accomplir son travail, tel que convenu, en principe, dans ce contrat (38). En l’occurrence, j’estime donc que l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis donne compétence non pas à la juridiction de renvoi, mais aux tribunaux de la ville de Munich, où se situe le lieu de travail convenu par les parties au principal dans leur contrat.

59.      J’exposerai, dans la sous-section 1, le bien-fondé de cette interprétation avant de rejeter, dans la sous-section 2, les solutions alternatives évoquées par la juridiction de renvoi.

1.      Le bien-fondé de l’interprétation proposée

60.      Premièrement, si l’identification du lieu de travail habituel est, comme je l’ai indiqué au point 52 des présentes conclusions, essentiellement une question de fait, cela ne signifie pas que l’intention des parties au contrat de travail quant à ce lieu n’importe pas. Il convient, au contraire, de tenir compte de la façon dont celles-ci ont envisagé l’exécution de leur contrat (39). La Cour a d’ailleurs déjà tenu compte de cette intention dans sa jurisprudence (40).

61.      Je précise qu’il ne s’agit pas de permettre à l’employeur de déterminer artificiellement la juridiction compétente en stipulant un lieu de travail fictif dans le contrat de travail. En effet, d’une part, le lieu de travail prévu dans le contrat n’est pertinent que pour autant qu’il reflète l’intention réelle des parties. Si le travailleur démontre, au moyen d’éléments objectifs, qu’il devait en réalité exercer ses activités dans un autre lieu, cette considération l’emporte (41). D’autre part, il est certain que, dans toutes les situations dans lesquelles un contrat de travail a été exécuté, la manière dont il l’a été est décisive. En cas de divergence entre le lieu de travail stipulé dans ce contrat et celui où, en pratique, le travailleur a accompli ses activités, la réalité des faits prime, et ce afin d’empêcher toute manipulation de la compétence par l’employeur, conformément à l’objectif de protection du travailleur sous-tendant l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis (42). Néanmoins, lorsque le contrat de travail n’a pas été exécuté, l’intention exprimée par les parties au contrat est, en principe, le seul élément permettant véritablement d’établir un lieu de travail habituel aux fins de cette disposition. En somme, les stipulations du contrat sont déterminantes notamment lorsque son absence d’exécution, ou la durée très courte de cette exécution, empêche d’établir ce lieu au regard de la manière dont la relation se déroule en pratique.

62.      Cela m’amène au fait que, deuxièmement, cette interprétation est, à mes yeux, conforme audit objectif de protection du travailleur. En particulier, la logique, rappelée au point 56 des présentes conclusions, selon laquelle c’est au lieu de travail habituel que le travailleur peut, en règle générale, intenter une action contre son employeur à moindres frais, est valable également lorsque le contrat de travail litigieux n’a pas, ou pas encore, été exécuté dans les faits.

63.      Troisièmement, ladite interprétation garantit, selon moi, un haut degré de prévisibilité des règles de compétence, comme le fait valoir le gouvernement tchèque. En effet, le lieu de travail envisagé par les parties est, en principe, aisément identifiable sur la base du contrat de travail. Le travailleur peut ainsi déterminer facilement la juridiction devant laquelle il pourra intenter une éventuelle action, et l’employeur anticiper celle devant laquelle il pourra être attrait, et ce dès la conclusion du contrat (43). En outre, cette solution est généralisable à toutes les situations dans lesquelles un contrat de travail n’a pas été exécuté pour une raison quelconque (44), ce qui participe également à assurer la sécurité juridique (45).

64.      Quatrièmement, cette même interprétation est conforme au principe de proximité sous-tendant l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis, évoqué au point 56 des présentes conclusions. En effet, la proximité se conçoit au regard du rapport juridique établi par ce contrat et des questions qu’il est susceptible de générer. Dans cette optique, le juge du lieu de travail habituel, tel qu’envisagé par les parties au contrat de travail, est proche des litiges relatifs à ce contrat, même lorsque ce dernier n’a pas, ou pas encore, été exécuté.

65.      Au surplus, un argument historique soutient l’interprétation que je suggère. À cet égard, il convient de rappeler que les règles de compétence applicables aux litiges relatifs aux contrats de travail se rattachaient initialement à l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles. En particulier, cette disposition, dans sa version modifiée issue de la convention de San Sebastián (46), donnait compétence à la juridiction du « lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée » et précisait que « en matière de contrat individuel de travail, ce lieu est celui où le travailleur accomplit habituellement son travail ». Ainsi, il suffisait de lire conjointement ces deux incises pour savoir, sans l’ombre d’un doute, que, en matière de contrat de travail, la compétence était donnée à la juridiction du lieu où la prestation de travail a été ou doit être exécutée (47). Or, rien ne tend à indiquer que, en déplaçant les règles de compétence en matière de contrat individuel dans une section autonome, le législateur de l’Union ait entendu revenir sur cette solution (48).

2.      Le rejet des solutions alternatives

66.      La juridiction de renvoi envisage, dans les branches de sa quatrième question, deux solutions alternatives à celle suggérée dans les présentes conclusions. En substance, cette juridiction se demande s’il serait possible, dans une situation dans laquelle aucune prestation de travail n’a été accomplie, dans les faits, en exécution du contrat de travail litigieux, faute pour l’employeur d’avoir confié au travailleur les tâches convenues, de donner compétence, au titre de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis, (1) à la juridiction du lieu où le travailleur s’est tenu prêt à travailler ou (2), à la juridiction du lieu où s’est déroulée la phase précontractuelle et où le contrat de travail a été conclu.

67.      En l’occurrence, l’une ou l’autre solution reviendrait à donner compétence à la juridiction de renvoi, les deux lieux évoqués au point précédent se trouvant dans son ressort : d’une part, c’est à son domicile, à Salzbourg, que BU s’est tenue prête à travailler ; d’autre part, la phase précontractuelle s’est déroulée, et le contrat de travail litigieux a été conclu, dans cette ville.

68.      Toutefois, à l’instar de Markt24, du gouvernement tchèque et de la Commission, j’ai de sérieuses réserves à l’égard de ces solutions alternatives. À mon sens, celles-ci s’éloigneraient sensiblement du critère de compétence prévu à l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis et de la nature de l’examen qu’appelle l’identification d’un lieu de travail habituel. En effet, il convient, à cet égard, de s’attacher non pas à n’importe quelle circonstance du litige, mais, par hypothèse, à celles relatives aux prestations de travail en cause.

69.      Plus spécifiquement, s’agissant de la première solution suggérée par la juridiction de renvoi, j’estime que le lieu où le travailleur s’est tenu prêt à travailler n’est pas pertinent aux fins dudit article 21, paragraphe 1, sous b, i).

70.      En effet, d’une part, il ne saurait s’agir du « lieu où [...] le travailleur accomplit habituellement son travail », au sens de cette disposition. Même en retenant une acception particulièrement large de ce qui constitue une prestation de « travail », le simple fait d’attendre de se voir confier les tâches convenues ne peut pas être considéré comme telle (49). Du reste, la présente affaire repose, je le rappelle, sur la prémisse selon laquelle aucune prestation n’a été fournie en exécution du contrat.

71.      D’autre part, on ne saurait considérer, en l’occurrence, le domicile de BU, où celle-ci s’est tenue prête à travailler, comme le « lieu [...] à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail », au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis, au motif, par exemple, que BU aurait dû partir de son domicile pour accomplir son travail à Munich et y serait retournée une fois ses tâches accomplies.

72.      À cet égard, je précise que cette incise, ajoutée dans le règlement Bruxelles I bis par le législateur de l’Union (50), vise à codifier la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, lorsque l’activité d’un travailleur se localise en différents endroits – comme c’est le cas pour les travailleurs itinérants, le personnel navigant ou routier, etc. –, il convient, pour déterminer son lieu de travail habituel, à défaut de pouvoir localiser un lieu « où » le travail en question est principalement accompli, de s’attacher à celui « à partir duquel » ce travailleur s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur (51). En d’autres termes, dans une telle hypothèse, le juge saisi doit tâcher d’identifier une « base » à partir de laquelle le travailleur organise son activité – base qui, dans certains cas, coïncide avec son domicile(52).

73.      Or, cette jurisprudence n’est pas transposable à une affaire telle que celle au principal. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’un travail plurilocalisé. Les prestations convenues devaient, au contraire, être accomplies en un lieu unique. Le domicile de BU ne constituait pas une « base » à partir de laquelle elle devait organiser ses activités pour son employeur.

74.      De surcroît, retenir une interprétation du « lieu [...] à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail », telle que celle évoquée au point 71 des présentes conclusions, tendrait à indiquer que n’importe quel travailleur frontalier, qui habite dans un État membre A et se rend tous les matins dans un État membre B pour accomplir, en un lieu habituel, son activité professionnelle avant de retourner, le soir, dans l’État membre A, aurait l’option de saisir la juridiction de son domicile alors qu’il s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur dans l’État membre B. Un tel résultat serait contraire à la logique même de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis.

75.      Du reste, une interprétation de cette disposition consistant, dans une situation telle que celle au principal, à donner compétence à la juridiction du lieu où le travailleur s’est tenu prêt à travailler serait incompatible avec l’objectif d’un haut degré de prévisibilité des règles de compétence. En effet, elle constituerait une réponse éminemment casuistique, fondée sur une interprétation pour le moins créative et, en cela, inattendue du critère du lieu habituel de travail, ne permettant, en outre, aucune généralisation pour d’autres situations dans lesquelles un contrat de travail n’a pas été exécuté.

76.      L’objectif de protection des travailleurs n’autoriserait pas non plus pareille solution. À cet égard, nul ne conteste que cette solution leur serait particulièrement favorable, dès lors qu’elle reviendrait à offrir à ceux-ci un forum actoris. Néanmoins, l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement Bruxelles I bis n’offre pas une protection maximale aux travailleurs. Le législateur de l’Union n’a notamment pas prévu la possibilité, pour ceux-ci, de saisir, en tant que telle, la juridiction de leur domicile (53), bien qu’il l’ait fait pour les consommateurs (54). En l’état actuel de ce règlement, la juridiction du domicile du travailleur peut être compétente, au titre du point i) de cette disposition, uniquement dans la mesure où ce domicile coïncide effectivement avec son lieu de travail habituel (55). On ne saurait contourner le problème en dénaturant ce dernier critère. En effet, il n’est pas possible de s’affranchir des termes clairs de ladite disposition, quand bien même cela irait dans le sens de cet objectif de protection (56).

77.      En ce qui concerne la seconde solution suggérée par la juridiction de renvoi, je me bornerai à observer que le lieu où s’est déroulée la phase précontractuelle et où le contrat de travail a été conclu ne constitue pas, là encore, le critère de compétence choisi par le législateur de l’Union à l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis (57). En outre, aux fins de déterminer le lieu de travail habituel, conformément à cette disposition, il y a lieu, comme je l’ai indiqué au point 68 des présentes conclusions, de s’attacher aux circonstances relatives aux prestations de travail en cause, à l’exclusion de celles entourant la négociation et la conclusion du contrat de travail (58).

78.      Une dernière objection, relative au principe de proximité, doit être examinée avant de conclure cette section. Ainsi que je l’ai itérativement indiqué dans les présentes conclusions, ce principe sous-tend le critère du lieu de travail habituel. Le juge de ce lieu est, en effet, réputé être le plus proche des litiges relatifs au contrat de travail. Néanmoins, les circonstances concrètes de l’affaire au principal, considérées dans leur ensemble, tendent à indiquer un autre lieu : BU est domiciliée à Salzbourg ; elle a été démarchée, dans cette ville, par un homme agissant manifestement au nom et pour le compte de Markt24 ; cette société avait peut-être un bureau dans ladite ville ; la phase précontractuelle s’y est déroulée et le contrat y a été conclu ; BU a été inscrite à la sécurité sociale autrichienne. Ne faudrait-il donc pas donner compétence à la juridiction de renvoi au motif qu’elle est, compte tenu de toutes ces circonstances, la plus proche du litige ?

79.      La réponse est clairement négative. Le critère du lieu habituel de travail, tel que prévu à l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis, traduit une mise en balance, effectuée de manière abstraite par le législateur de l’Union, entre les exigences de prévisibilité, de proximité et de protection des travailleurs. Dans ce contexte, la compétence est donnée au juge du lieu de travail habituel parce que ce dernier est, en règle générale, le plus proche des litiges en matière de contrats individuels de travail. Il n’y a pas lieu, en revanche, de vérifier si tel est concrètement le cas dans chaque affaire. Un juge autre que celui du lieu de travail habituel ne saurait donc se déclarer compétent, au titre de cette disposition, au motif qu’il est, eu égard à l’ensemble des circonstances dont il est saisi, plus proche du litige en question (59).

80.      Une lecture comparée de ladite disposition avec l’article 8 du règlement Rome I confirme cette interprétation.

81.      En effet, alors que cet article 8 prévoit, à ses paragraphes 2 et 3, afin de déterminer la loi applicable à un contrat de travail, des critères analogues à ceux figurant à l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement Bruxelles I bis (60), son paragraphe 4 contient une « clause d’exception » ne trouvant pas d’équivalent audit article 21. Ledit paragraphe 4 prévoit, à cet égard, que « [s]’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé aux paragraphes 2 ou 3, la loi de cet autre pays s’applique ». Cette « clause d’exception » permet ainsi au juge d’appliquer, au contrat de travail dont il est saisi, une loi autre que celle du pays dans lequel le travailleur accomplit habituellement son travail lorsque, compte tenu de l’ensemble des circonstances – telles que la nationalité des parties, le lieu d’embauche, le lieu du paiement de la rémunération, celui d’enregistrement à la sécurité sociale, etc. –, cette autre loi apparaît plus proche de ce contrat (61).

82.      Or, si l’article 21 du règlement Bruxelles I bis et l’article 8 du règlement Rome I doivent être interprétés de manière cohérente (62), il n’en va ainsi que dans la mesure où leurs dispositions sont équivalentes. Il n’est donc pas possible d’intégrer au premier article, par voie d’interprétation, pareille « clause d’exception » au motif que le second en prévoit une (63). Là encore, on ne saurait contourner le problème, dans une affaire telle que la présente, en déterminant le lieu de travail habituel, tel que prévu audit article 21, paragraphe 1, sous b), i), au regard de circonstances – domicile du travailleur, lieu de conclusion du contrat, etc. – n’ayant pas, en tant que telles, de rapport avec les prestations de travail en cause. Pareille interprétation dénaturerait ce critère de compétence, ainsi que je l’ai indiqué au point 68 des présentes conclusions, et serait, en outre, de nature à créer des incohérences avec le règlement Rome I, puisqu’elle perturberait le fonctionnement du système de critères de principe/clause d’exception que ce règlement établit aux paragraphes 2 à 4 de son article 8.

83.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la quatrième question que, lorsqu’un travailleur et un employeur ont conclu un contrat de travail et que, pour une raison quelconque, aucune prestation de travail n’a été accomplie, dans les faits, par ce travailleur en exécution du contrat, le « lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail », au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis, correspond, en principe,  au lieu de travail convenu dans ledit contrat.

84.      Cela étant, puisque le lieu où BU devait accomplir son travail, conformément au contrat de travail litigieux, ne se trouve pas dans le ressort de la juridiction de renvoi, et bien que cette dernière n’ait pas posé de question sur ce point, il me semble opportun, afin de lui fournir une réponse utile, d’exposer, dans une section D, pourquoi cette juridiction est susceptible d’être compétente au titre de l’article 7, point 5, du règlement Bruxelles I bis.

D.      Sur l’éventuelle application de l’article 7, point 5, du règlement Bruxelles I bis

85.      Il convient de rappeler que l’article 20, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis réserve expressément, à l’égard des demandes « en matière de contrats individuels de travail », l’application de l’article 7, point 5, de ce règlement.

86.      Ledit article 7, point 5, offre une option de compétence à tout demandeur. Il lui permet d’intenter son action, « s’il s’agit d’une contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, devant la juridiction du lieu de leur situation ».

87.      Deux conditions ressortent de ce libellé : d’une part, il doit exister une « succursale », une « agence » ou « tout autre établissement » du défendeur dans le ressort de la juridiction saisie ; d’autre part, la demande doit être « relative à l’exploitation » de cette entité.

88.      S’agissant de la première condition, la Cour a défini les notions de « succursale », d’« agence » et de « tout autre établissement » de manière autonome, comme supposant l’existence d’un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère. Ce centre doit être pourvu d’une direction et être matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers qui sont ainsi dispensés de s’adresser directement à la maison mère (64). En somme, ces notions visent toute structure stable d’une entreprise, y compris des bureaux, quand bien même cette structure ne serait pas dotée de la personnalité juridique (65).

89.      S’agissant de la seconde condition, la notion d’« exploitation » d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement comprend, notamment, les litiges relatifs aux engagements contractuels pris par l’entité en cause au nom de la maison mère (66). À cet égard, la Cour a jugé que cette condition exige que ladite entité ait négocié et/ou conclu le contrat en question, pas que les obligations découlant de ce contrat doivent être exécutées dans l’État membre où elle est établie (67).

90.      Il découle de ce qui précède que, en matière de contrats individuels de travail, un travailleur peut attraire son employeur, au titre de l’article 7, point 5, du règlement Bruxelles I bis, devant la juridiction du lieu dans lequel ce dernier dispose d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, pour autant que cette entité ait été  impliquée dans la négociation et/ou la conclusion du contrat de travail litigieux – c’est-à-dire, concrètement, que le travailleur ait été embauché par, ou par l’intermédiaire de, ladite entité –, et ce quand bien même il a accompli, ou devait accomplir, son travail en un lieu différent (68). Les circonstances entourant la négociation et la conclusion du contrat de travail sont donc les seules pertinentes aux fins de cette disposition.

91.      En l’occurrence, je rappelle que le contrat de travail litigieux a été négocié ainsi que conclu, dans le ressort de la juridiction de renvoi, par BU avec un homme agissant manifestement au nom et pour le compte de Markt24.

92.      Si cet homme n’était présent à Salzbourg qu’à titre purement passager afin d’embaucher BU, cela ne saurait suffire à fonder la compétence de cette juridiction au titre de l’article 7, point 5, du règlement Bruxelles I bis. En revanche, si Markt24 avait un bureau dans cette ville, il serait concevable d’admettre que ce bureau a été impliqué dans la négociation et/ou la conclusion du contrat de travail et que, en conséquence, cette disposition s’applique (69). Or, je relève que BU soutient que Markt24 avait bien un bureau à Salzbourg au début de la relation de travail (70), ce que le mandataire représentant cette société en son absence conteste néanmoins. Il reviendrait à la juridiction de renvoi de le vérifier.

93.      Je précise que, à mon sens, le point de savoir si cet éventuel bureau existe à l’heure actuelle n’importe pas tant que celui de savoir s’il existait à l’époque de l’embauche de BU. Par ailleurs, le point de savoir si l’homme qui a démarché BU était employé ou non par ledit bureau n’est pas décisif selon moi. L’organisation interne de l’employeur ne compte pas tant, en effet, que l’apparence de son entreprise au yeux des tiers. Il s’agit donc plutôt de déterminer si BU pouvait légitimement croire que cet homme provenait de, ou agissait de concert avec, ce même bureau. Quant au fait que le contrat de travail litigieux a été conclu non pas dans le bureau en question, mais dans une boulangerie sise à Salzbourg, j’estime que cela ne devrait pas non plus être décisif pour l’application dudit article 7, point 5. À défaut, il serait bien trop aisé pour un défendeur de contourner le chef de compétence prévu à cette disposition, dès lors qu’il suffirait, pour ses préposés, de conclure le contrat en dehors de ses locaux.

E.      Sur la cinquième question

94.      La cinquième question, relative à l’interprétation de l’article 7, point 1, du règlement Bruxelles I bis, n’est pertinente que dans l’hypothèse où la Cour répondrait, dans le cadre de l’examen de la première question, qu’une action telle que celle intentée par BU ne relève pas de la section 5 du chapitre II de ce règlement (71). Dès lors que, comme je l’ai expliqué dans les présentes conclusions, cette section s’applique incontestablement à pareille action, il n’y a pas lieu d’y répondre.

V.      Conclusion

95.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg, Autriche) :

1)      Une action en paiement de la rémunération convenue dans un contrat de travail, intentée par un travailleur domicilié dans un État membre contre un employeur domicilié dans un autre État membre, relève du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et, plus spécifiquement, de la section 5 de son chapitre II, et ce même lorsqu’aucune prestation de travail n’a été accomplie, dans les faits, par ce travailleur en exécution du contrat litigieux.

2)      Le règlement no 1215/2012 s’oppose à l’application de règles de compétence, prévues dans le droit national de la juridiction saisie, qui permettent au travailleur de saisir le tribunal dans le ressort duquel il a son domicile ou sa résidence habituelle pendant la durée de la relation de travail, ou de saisir le tribunal dans le ressort duquel la rémunération est due.

3)      Lorsqu’un travailleur et un employeur ont conclu un contrat de travail et que, pour une raison quelconque, aucune prestation de travail n’a été accomplie, dans les faits, par ce travailleur en exécution du contrat, le « lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail », au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012, correspond, en principe,  au lieu de travail convenu dans ledit contrat.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (JO 2012, L 351, p. 1).


3      Ce point est débattu entre les parties au principal (voir points 85 à 93 des présentes conclusions).


4      Je rappelle que le règlement Bruxelles I bis a remplacé le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1) (ci-après le « règlement Bruxelles I »), qui avait lui‑même remplacé la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (JO 1972, L 299, p. 32) (ci-après la « convention de Bruxelles »). Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’interprétation fournie par celle‑ci concernant les dispositions de la convention de Bruxelles et du règlement Bruxelles I est transposable aux dispositions équivalentes du règlement Bruxelles I bis. En particulier, l’interprétation donnée par la Cour, en matière de contrats individuels de travail, à l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles est transposable à l’article 19, point 2, du règlement Bruxelles I [voir arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, points 45 et 46)] et la jurisprudence afférente à ces deux dispositions vaut également pour l’article 21, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Je me référerai donc, par commodité, uniquement à ce dernier règlement dans les présentes conclusions, tout en citant indifféremment des arrêts et conclusions relatifs aux instruments qui l’ont précédé. Je ne distinguerai entre ces instruments que lorsque nécessaire.


5      Les règles de compétence prévues dans le règlement Bruxelles I bis visent, de manière générale, à assurer la sécurité juridique et, dans ce cadre, à renforcer la protection juridique des personnes établies sur le territoire des États membres. Ces règles doivent, à ce titre, présenter un haut degré de prévisibilité : le demandeur doit pouvoir déterminer facilement les juridictions devant lesquelles il peut intenter son action et le défendeur raisonnablement anticiper celles devant lesquelles il peut être attrait. En outre, lesdites règles visent à assurer une bonne administration de la justice. Voir considérants 15 et 16 de ce règlement ainsi que, notamment, arrêt du 4 octobre 2018, Feniks (C‑337/17, EU:C:2018:805, point 34 et jurisprudence citée).


6      Voir considérant 18 du règlement Bruxelles I bis ainsi que, notamment, arrêt du 21 juin 2018, Petronas Lubricants Italy (C‑1/17, EU:C:2018:478, point 23 et jurisprudence citée).


7      Selon ma compréhension, l’article 4, paragraphe 1, sous d), de l’ASGG donne compétence à la juridiction du domicile du travailleur dans les cas où, selon la loi applicable au contrat de travail, la rémunération est portable et doit, ainsi, être versée à ce domicile par l’employeur.


8      Je rappelle que, même avant l’introduction de règles spécifiques en matière de contrats individuels de travail dans la convention de Bruxelles, la Cour avait jugé que les litiges relatifs à de tels contrats relèvent de la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Voir arrêt du 13 novembre 1979, Sanicentral (25/79, EU:C:1979:255, point 3).


9      Voir considérant 13 et article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Néanmoins, certaines dispositions de ce règlement s’appliquent même lorsque le défendeur est domicilié dans un État tiers. Voir, notamment, article 20, paragraphe 2, et article 21, paragraphe 2, dudit règlement.


10      Conformément à l’article 63, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, pour l’application de celui-ci, les sociétés sont domiciliées, notamment, là où est situé leur siège statutaire.


11      Voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins (C‑9/12, EU:C:2013:860, point 18 et jurisprudence citée).


12      Voir point 18 des présentes conclusions.


13      Voir arrêt du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:574, points 35 à 37), ainsi que, par analogie, arrêt du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:310, point 24).


14      Voir arrêt du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:574, point 41), ainsi que, par analogie, arrêt du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:310, point 25).


15      Je n’entends pas indiquer que la qualification d’un contrat, aux fins de l’article 20, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, dépend uniquement de ses stipulations. En effet, lorsque ces stipulations ne correspondent pas à la manière dont la relation se déroule en pratique, la réalité des faits prime (voir point 61 des présentes conclusions). En particulier, un contrat présenté comme étant un « contrat individuel de travail » ne recevra pas cette qualification si, dans les faits, aucune subordination n’existe entre les parties, et inversement [voir, par analogie, arrêt du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:310, point 34)]. Néanmoins, ce problème ne se pose pas en l’occurrence. Le juge saisi peut déterminer la qualification du contrat litigieux – qui, du reste, n’est contestée par personne – au regard de ses stipulations, même s’il n’est pas possible de confirmer la nature de la relation au regard des faits, puisque ce contrat n’a pas été exécuté.


16      De surcroît, je rappelle qu’il suffit, pour que cette seconde condition soit remplie, qu’il existe un lien matériel entre l’action et le contrat individuel de travail en cause. Tel est le cas si cette action se rapporte à un différend né à l’occasion de son exécution, quand bien même elle ne serait pas fondée sur une obligation découlant de ce contrat. Voir mes conclusions dans l’affaire Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:65, points 92 à 98).


17      Je précise néanmoins que l’application de la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis n’exige pas la conclusion formelle d’un contrat entre les parties, dès lors que cette section s’applique également aux relations de travail de fait [voir, par analogie, arrêt du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:310, point 27)]. Je précise également que les parties doivent être liées par un contrat de travail ou une relation de travail de fait au moment des faits litigieux, peu importe que l’action soit introduite, comme en l’espèce, après que ce contrat ou cette relation a pris fin.


18      Je précise que je n’entends pas me prononcer ici sur le point de savoir si la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis s’applique aux litiges survenus avant, ou relatifs à, la conclusion d’un contrat de travail, tels qu’une action pour discrimination à l’embauche.


19      Un litige peut survenir avant même l’exécution d’un contrat de travail pour de multiples raisons. Par exemple, un travailleur pourrait tomber malade immédiatement après la conclusion du contrat. Si l’employeur venait à licencier ce travailleur avant son retour de congé de maladie, un litige pourrait naître concernant ce licenciement. Travailleur et employeur pourraient également conclure un contrat de travail prévoyant une date d’entrée en fonctions lointaine, afin de permettre au premier de finir ses activités auprès d’une précédente entreprise. Si le travailleur venait à rompre le contrat avant même son entrée en fonction, l’employeur pourrait vouloir l’attraire en justice.


20      Voir, pour une analyse comparative et nuancée des règles de compétence figurant dans les sections 1, 2 et 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis, Grušić, U., The European Private International Law of Employment, Cambridge University Press, 2015, p. 106 à 129.


21      Voir article 22, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.


22      Voir article 23 du règlement Bruxelles I bis.


23      En outre, faire dépendre l’application de la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis d’une condition tenant à la durée et à la stabilité de la relation de travail risquerait d’exclure de cette section les litiges relatifs aux contrats de travail dits « atypiques », tels que ceux des travailleurs embauchés pour une durée déterminée, voire très courte (un évènement), alors que ces travailleurs méritent tout particulièrement protection. Voir mes conclusions dans l’affaire Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:65, note en bas de page 20).


24      Voir également considérants 13 et 14 du règlement Bruxelles Ibis. Néanmoins, ainsi que je l’ai indiqué dans la note en bas de page 9 des présentes conclusions, certaines dispositions de ce règlement s’appliquent même lorsque le défendeur est domicilié dans un État tiers.


25      Voir arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins (C‑9/12, EU:C:2013:860, points 20 à 22).


26      Contrairement à ce que laisse entendre la juridiction de renvoi, je ne considère pas que cette interprétation permettrait à un employeur de contourner les règles de l’ASGG simplement en stipulant, dans le contrat de travail qu’il conclurait avec un travailleur autrichien, que le lieu de travail habituel de ce dernier se situe dans un autre État membre. En effet, l’application du règlement Bruxelles I bis dépend de circonstances objectives, telles que le domicile du défendeur et le lieu réel de travail habituel (voir point 61 des présentes conclusions). Du reste, s’agissant du litige au principal, celui-ci aurait un caractère transfrontalier et relèverait donc de ce règlement même dans l’hypothèse où le contrat aurait envisagé un lieu de travail habituel en Autriche, puisque BU et Markt24 ne sont pas domiciliées dans le même État membre.


27      Voir, par exemple, directive 2003/88/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).


28      Voir considérants 4 et 6 du règlement Bruxelles I bis ainsi que, notamment, arrêt du 1er mars 2005, Owusu (C‑281/02, EU:C:2005:120, points 39 et 43).


29      Du reste, selon la Cour, la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis « présente un caractère non seulement spécifique, mais encore exhaustif » [voir, notamment, arrêt du 22 mai 2008, Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline (C‑462/06, EU:C:2008:299, point 18)]. Cette affirmation est, à mes yeux, excessive, puisque différentes dispositions de ce règlement s’appliquent en matière de contrats individuels de travail bien qu’elles ne figurent pas dans cette section et que celle-ci ne réserve pas expressément leur application (voir, notamment, article 26 dudit règlement). Néanmoins, cette même affirmation souligne encore une fois que le juge saisi ne saurait faire application, s’agissant en particulier des demandes relevant de cette même section, des règles de compétence prévues dans son droit national.


30      À cet égard, je précise que, selon moi, l’hypothèse particulière du « dernier lieu où il a accompli habituellement son travail », au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis, n’est pas pertinente en l’occurrence.


31      Voir, notamment, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, points 47 et 48 ainsi que jurisprudence citée).


32      Voir, notamment, arrêt du 10 avril 2003, Pugliese (C‑437/00, EU:C:2003:219, point 19 et jurisprudence citée).


33      En effet, c’est le juge du lieu où doit s’exécuter l’obligation d’effectuer le travail qui est le plus apte à trancher les demandes relatives à un contrat de travail. Voir, notamment, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, point 58 et jurisprudence citée).


34      Voir, notamment, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, point 58 et jurisprudence citée).


35      Voir, en ce sens, arrêt du 15 février 1989, Six Constructions (32/88, EU:C:1989:68, points 13 et 14). Voir également, par analogie, arrêt du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2011:151, point 43), et conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Schlecker (C‑64/12, EU:C:2013:241, note en bas de page 27).


36      Voir, notamment, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, point 57). Voir également, par analogie, arrêt du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2011:151, point 43).


37      Néanmoins, le for du lieu de l’établissement d’embauche, tel que prévu à l’article 21, paragraphe 1, sous b), ii), du règlement Bruxelles I bis, coïncide, en principe, avec celui désigné à l’article 7, point 5, de ce règlement. En pratique, le for de ce lieu est donc généralement disponible, grâce à cette dernière disposition, pour le travailleur  (voir points 85 à 92 des présentes conclusions).


38      En d’autres termes, lorsque le contrat de travail n’a pas été exécuté, le lieu pertinent est celui où le travailleur aurait dû exercer son activité aux termes de ce contrat. Dans l’hypothèse où plusieurs lieux de travail ont été convenus dans le contrat de travail, la jurisprudence selon laquelle il convient de déterminer un lieu de travail principal, et les critères dégagés par la Cour à cette fin, s’appliquent mutatis mutandis. Il pourrait alors être nécessaire de déterminer un lieu « à partir duquel » le travailleur devait (ou aurait dû) accomplir son activité. (voir point 72 des présentes conclusions). Cette hypothèse n’est toutefois pas en cause en l’occurrence (voir point 73 des présentes conclusions).


39      Voir, en ce sens, arrêt du 15 février 1989, Six Constructions (32/88, EU:C:1989:68, point 20), et, par analogie, conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2010:789, point 91).


40      La Cour a notamment jugé que, lorsqu’un travailleur a accompli son travail pendant une certaine durée à un endroit déterminé, puis s’est mis à exercer ses activités en un lieu différent, ce dernier lieu est déterminant lorsque « selon la volonté claire des parties, [il] est destiné à devenir un nouveau lieu de travail habituel » [arrêt du 27 février 2002, Weber (C‑37/00, EU:C:2002:122, point 54)].


41      Je précise que, en l’occurrence, BU ne conteste pas qu’elle aurait dû travailler à Munich.


42      Voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, point 62). Voir également, par analogie, arrêts du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe (C‑115/11, EU:C:2012:606, points 41 à 46), et du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:842, point 62). Voir encore note en bas de page 15 des présentes conclusions.


43      Voir, à cet égard, point 34 des présentes conclusions. Par analogie, dans le domaine des conflits de lois, la loi applicable à un contrat doit, dans la mesure du possible, pouvoir être déterminée ab initio, dans un même souci de sécurité juridique. La solution proposée, transposée à l’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (JO 2008, L 177, p. 6, ci-après « règlement Rome I »), permet également ce résultat.


44      Voir, pour différents exemples, note en bas de page 19 des présentes conclusions.


45      En effet, si la détermination du lieu habituel de travail est essentiellement une question de fait, susceptible de varier d’une affaire à l’autre, la jurisprudence de la Cour doit permettre une certaine généralisation des solutions, sauf à tomber dans une approche purement casuistique supprimant toute prévisibilité pour les plaideurs. La jurisprudence rendue par la Cour jusqu’à présent permet, d’ailleurs, de telles généralisations. Je vise, par exemple, la présomption selon laquelle, lorsqu’un travailleur accomplit son travail dans plusieurs États membres, mais qu’il dispose d’un bureau d’où il organise son activité, le lieu où se trouve ce bureau est réputé, sauf preuve contraire, correspondre à celui où il accomplit habituellement son activité pour l’employeur (voir point 72 des présentes conclusions).


46      Convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du royaume d’Espagne et de la République portugaise à la convention de Bruxelles (JO 1989, L 285, p. 1).


47      D’ailleurs, lorsque les règles en matière de contrats individuels de travail faisaient encore partie intégrante de l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, la Cour se référait expressément au lieu où a été ou doit être exécuté le travail. Voir arrêts du 15 janvier 1987, Shenavai (266/85, EU:C:1987:11, point 16) ; du 15 février 1989, Six Constructions (32/88, EU:C:1989:68, points 14, 19 et 22) ; du 13 juillet 1993, Mulox IBC (C‑125/92, EU:C:1993:306, point 17) ; du 9 janvier 1997, Rutten (C‑383/95, EU:C:1997:7, point 16), ainsi que du 10 avril 2003, Pugliese (C‑437/00, EU:C:2003:219, point 17).


48      Au demeurant, ladite solution est toujours prévue expressément, pour la généralité des contrats, à l’article 7, point 1, du règlement Bruxelles I bis.


49      À ce sujet, je précise qu’il n’est pas a priori question, dans l’affaire au principal, d’une astreinte, au sens du droit du travail, c’est-à-dire d’une période pendant laquelle le travailleur, sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a néanmoins l’obligation d’être physiquement présent à son domicile ou aux alentours de celui-ci, de répondre à tout moment aux éventuels appels de l’employeur et, le cas échéant, de se rendre sur son lieu de travail ou en intervention en un court délai pour effectuer une prestation [voir, notamment, arrêt du 21 février 2018, Matzak (C‑518/15, EU:C:2018:82, point 61)]. En effet, la décision de renvoi ne comporte aucun élément de nature à laisser entendre que de telles obligations pesaient sur BU en vertu du contrat de travail litigieux. Si cette décision mentionne que cette dernière est restée joignable par téléphone et s’est tenue prête à travailler à son domicile (voir point 11 des présentes conclusions), cela signifie simplement, selon moi, qu’elle est restée généralement disponible pour exécuter le travail convenu, pas qu’elle avait l’obligation d’être physiquement présente à son domicile, de répondre aux appels de son employeur à tout moment et de se tenir prête à partir rapidement à Munich pour remplir une éventuelle tâche urgente de nettoyage. En tout état de cause, même dans l’hypothèse d’une astreinte, selon moi, le domicile d’un travailleur ne saurait être considéré comme son lieu de travail habituel, aux fins de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis, au seul motif qu’il y attend d’être contacté par son employeur pour se rendre sur son lieu de travail ou en intervention.


50      En effet, l’article 19, paragraphe 2, sous a), du règlement Bruxelles I se référait uniquement au « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ».


51      Voir, notamment, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, point 58 ainsi que jurisprudence citée).


52      Le lieu où se situe le domicile du travailleur peut également, dans certaines circonstances, constituer un indice de l’endroit où se situe son lieu principal de travail, dès lors que la plupart des travailleurs exercent leur activité professionnelle à proximité de leur domicile. L’État membre dans lequel le travailleur a été inscrit auprès d’un organisme de sécurité sociale peut aussi constituer un tel indice [voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Mulox IBC (C‑125/92, non publiées, EU:C:1993:217, point 35)]. Néanmoins, si, en l’occurrence, BU a été enregistrée auprès de la sécurité sociale autrichienne (voir point 11 des présentes conclusions), cette circonstance ne saurait primer le fait que le travail ne devait pas être accompli en Autriche, et qu’il ne l’a pas non plus été dans les faits.


53      Et ce même lorsque l’action intentée par le travailleur concerne, comme c’est le cas en l’occurrence, des obligations de rémunération devant éventuellement, conformément à la lex contractus, être exécutées à son domicile. En effet, l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis donne compétence à la juridiction du lieu habituel de travail quelle que soit l’obligation découlant du contrat de travail en cause.


54      Voir article 18, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.


55      Au demeurant, j’observe que le critère du lieu de travail habituel permet déjà, dans bon nombre de cas, aux travailleurs de saisir la juridiction de leur domicile, puisque la plupart des travailleurs exercent leur activité professionnelle à proximité de ce domicile, voire à domicile. Dans les circonstances de l’affaire au principal, l’inconvénient que représenterait pour BU le fait de devoir saisir, au titre de l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement Bruxelles I bis, une juridiction allemande résulterait simplement du fait qu’elle s’est engagée, en concluant le contrat de travail litigieux, à travailler dans un autre État membre. Ainsi, cette disposition n’aurait, en toute hypothèse, pas donné à celle-ci la faculté de porter une demande afférente à ce contrat en Autriche, et le seul fait que ledit contrat n’a pas été exécuté ne justifie pas de dénaturer le critère de compétence qu’elle prévoit.


56      Voir mes conclusions dans l’affaire Bosworth et Hurley (C‑603/17, EU:C:2019:65, point 100).


57      Voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:842, point 55).


58      En revanche, ces dernières circonstances sont pertinentes aux fins de l’application de l’article 7, point 5, et de l’article 21, paragraphe 1, sous b), ii), du règlement Bruxelles I bis, comme je le préciserai au point 90 des présentes conclusions.


59      De même, il n’est pas possible, pour la juridiction désignée par cette disposition, de refuser sa compétence au motif qu’une autre serait mieux placée, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, pour juger du litige [voir, par analogie, arrêt du 29 juin 1994, Custom Made Commercial (C‑288/92, EU:C:1994:268, point 21)].


60      Plus précisément, l’article 8 du règlement Rome I dispose, à ses paragraphes 1 à 3 : « 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article. 2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays. 3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur. »


61      En d’autres termes, tandis que l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement Bruxelles I bis prévoit une règle rigide de compétence, l’article 8, paragraphe 2, du règlement Rome I pose une présomption réfragable s’agissant de la loi applicable.


62      Voir arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, points 55 et 56).


63      À cet égard, je m’interroge sur le raisonnement adopté par la Cour au point 73 de l’arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688). En effet, après avoir rappelé, à juste titre, que, en matière de transport aérien, le « lieu [...] à partir duquel » le personnel navigant accomplit habituellement son travail coïncide, en principe, avec sa « base d’affectation », soit l’aéroport d’où il commence et termine son travail, la Cour a jugé, dans ce point, que la compétence devrait échapper à la juridiction de ce lieu « dans l’hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque cas d’espèce, des demandes, telles que celles en cause au principal, présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un [autre] endroit », en se référant notamment, « par analogie », à l’arrêt du 12 septembre 2013, Schlecker (C‑64/12, EU:C:2013:551, point 38). Or, ce dernier arrêt concernait la question du droit applicable à un contrat de travail et la possibilité pour le juge de faire usage de la « clause d’exception » décrite ci-dessus [dans sa version antérieure issue de l’article 6, paragraphe 2, dernier alinéa, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1)]. À mon sens, ledit point 73 ne peut être compris que comme indiquant qu’il est possible que la prestation de travail en elle-même soit plus étroitement liée à un autre lieu que celui de la « base d’affectation » (par exemple, parce que le travailleur aurait eu une autre base plus significative dans un autre État membre, etc.) et que, partant, le lieu d’accomplissement principal du travail s’y trouve. Il ne saurait s’agir de prendre en compte l’ensemble des circonstances de fait de l’espèce, y compris celles sans rapport avec l’exécution de cette prestation, afin de déterminer la juridiction la plus proche du litige.


64      Voir, notamment, arrêt du 11 avril 2019, Ryanair (C‑464/18, EU:C:2019:311, point 33 et jurisprudence citée).


65      Selon moi, les notions de « succursale », d’« agence » et de « tout autre établissement », prévues à l’article 7, point 5, du règlement Bruxelles I bis, ont le même sens que la notion d’« établissement » qui a embauché le travailleur, figurant à l’article 21, paragraphe 1, sous b), ii), de ce règlement. Voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:842, points 54 et 58).


66      Voir arrêt du 22 novembre 1978, Somafer (33/78, EU:C:1978:205, point 13).


67      Voir arrêt du 6 avril 1995, Lloyd’s Register of Shipping (C‑439/93, EU:C:1995:104, point 22).


68      Voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:842, points 43 à 52). Ainsi, comme je l’ai indiqué dans la note en bas de page 37 des présentes conclusions, le for prévu à l’article 7, point 5, du règlement Bruxelles I bis coïncide, en principe, avec celui de l’« établissement qui a embauché le travailleur », au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), ii), de ce règlement. La différence entre ces deux règles est que la première est toujours applicable, tandis que la seconde ne l’est qu’en l’absence de lieu de travail habituel. Voir Grušić, U., op. cit., p. 125.


69      Voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd (C‑384/10, EU:C:2011:842, points 55 et 56).


70      Voir point 13 des présentes conclusions.


71      En effet, la section 5 du chapitre II du règlement Bruxelles I bis exclut l’application de l’article 7, point 1, de ce règlement. Voir, notamment, arrêt du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:574, point 51).