Language of document : ECLI:EU:T:2017:48

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

1er février 2017 (1)

« Responsabilité non contractuelle – Précision de la requête – Recevabilité – Article 47 de la charte des droits fondamentaux – Délai raisonnable de jugement – Préjudice matériel – Intérêts sur le montant de l’amende non acquittée – Frais de garantie bancaire – Préjudice immatériel – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑479/14,

Kendrion NV, établie à Zeist (Pays-Bas), représentée initialement par Mes P. Glazener et T. Ottervanger, puis par Me Ottervanger, avocats,

partie requérante,

contre

Union européenne, représentée par la Cour de justice de l’Union européenne, représentée initialement par M. A. Placco, puis par MM. J. Inghelram et E. Beysen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, S. Noë et P. van Nuffel, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que la requérante aurait prétendument subi en raison de la durée de la procédure, devant le Tribunal, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667),

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

composé de M. S. Papasavvas, président, Mme I. Labucka, MM. E. Bieliūnas (rapporteur), V. Kreuschitz et I. S. Forrester, juges,

greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 juillet 2016,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 février 2006, la requérante, Kendrion NV, a introduit un recours contre la décision C(2005) 4634 de la Commission, du 30 novembre 2005, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] (affaire COMP/F/38.354 – Sacs industriels) (ci‑après la « décision C(2005) 4634 »). Dans sa requête, elle concluait, en substance, à ce que le Tribunal, à titre principal, annulât, en tout ou en partie, cette décision ou, à titre subsidiaire, annulât l’amende qui lui avait été infligée par ladite décision ou en réduisît le montant.

2        Par arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667), le Tribunal a rejeté ce recours.

3        Par requête déposée le 26 janvier 2012, la requérante a formé un pourvoi contre l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667).

4        Par arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771), la Cour a rejeté ce pourvoi.

II.    Procédure et conclusions des parties

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 juin 2014, la requérante a introduit le présent recours contre l’Union européenne, représentée par la Cour de justice de l’Union européenne.

6        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 8 septembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.

7        Par ordonnance du 6 janvier 2015, Kendrion/Union européenne (T‑479/14, non publiée, EU:T:2015:2), le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Cour de justice de l’Union européenne et réservé les dépens.

8        Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 février 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a formé un pourvoi, enregistré sous la référence C‑71/15 P, contre l’ordonnance du 6 janvier 2015, Kendrion/Union européenne (T‑479/14, non publiée, EU:T:2015:2).

9        Par ordonnance du 2 mars 2015, le président de la troisième chambre du Tribunal a, à la demande de la Cour de justice de l’Union européenne, suspendu la procédure dans la présente affaire jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑71/15 P, Cour de justice/Kendrion.

10      Par ordonnance du 18 décembre 2015, Cour de justice/Kendrion (C‑71/15 P, non publiée, EU:C:2015:857), l’affaire a été radiée du registre de la Cour.

11      À la suite de la reprise de la procédure dans la présente affaire, la Commission européenne a, par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 janvier 2016, demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Cour de justice de l’Union européenne.

12      Le 16 février 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a déposé un mémoire en défense.

13      Le 17 février 2016, le Tribunal a renvoyé la présente affaire devant la troisième chambre élargie.

14      Le 2 mars 2016, le Tribunal a décidé qu’un deuxième échange de mémoires n’était pas nécessaire. Par ailleurs, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, il a invité la Cour de justice de l’Union européenne à indiquer si elle avait demandé et obtenu l’autorisation de la requérante et de la Commission pour pouvoir produire certains documents qui figuraient dans les annexes du mémoire en défense et qui étaient afférents à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667) (ci-après l’« affaire T‑54/06 »).

15      Par ordonnance du 15 mars 2016, Kendrion/Union européenne (T‑479/14, non publiée, EU:T:2016:196), le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention déposée par la Commission au soutien des conclusions de la Cour de justice de l’Union européenne et précisé que les droits de la Commission seraient ceux prévus à l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du 2 mai 1991.

16      Le 18 mars 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a répondu à la question mentionnée au point 14 ci-dessus. Elle a conclu à ce qu’il plût au Tribunal de considérer, à titre principal, qu’elle ne devait pas demander et obtenir l’autorisation de la requérante et de la Commission pour pouvoir produire les documents afférents à l’affaire T‑54/06 et, à titre subsidiaire, que cette autorisation avait été donnée implicitement par la requérante et par la Commission. À titre très subsidiaire, la Cour de justice de l’Union européenne a demandé que sa réponse fût traitée comme une demande de mesure d’organisation de la procédure visant à ce que le Tribunal ordonnât la production, dans le cadre du présent recours, des documents constituant le dossier d’instance de l’affaire T‑54/06 et, en particulier, des documents annexés au mémoire en défense.

17      Le 4 avril 2016, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a décidé, premièrement, de retirer du dossier les documents qui figuraient dans les annexes du mémoire en défense déposé dans la présente affaire et qui étaient afférents à l’affaire T‑54/06. Cette décision était motivée par le fait, d’une part, que la Cour de justice de l’Union européenne n’avait ni demandé ni obtenu l’autorisation des parties dans l’affaire T‑54/06 pour pouvoir produire lesdits documents et, d’autre part, qu’elle n’avait pas demandé l’accès au dossier de ladite affaire en application de l’article 38, paragraphe 2, du règlement de procédure. Deuxièmement, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a décidé, en application de l’article 88, paragraphe 3, du règlement de procédure, d’inviter la requérante à prendre position sur la demande de mesure d’organisation de la procédure qui avait été formulée à titre très subsidiaire par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa réponse du 18 mars 2016, mentionnée au point 16 ci-dessus.

18      Le 12 avril 2016, la requérante a conclu à ce qu’il plût au Tribunal de décider en équité, en tenant compte des intérêts des deux parties et de la complexité procédurale de la demande formulée par la Cour de justice de l’Union européenne.

19      Le 11 mai 2016, le Tribunal a constaté que la mise en état et le règlement de la présente affaire nécessitaient, eu égard à son objet, la mise à sa disposition du dossier de l’affaire T‑54/06. Ainsi, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a décidé de verser au dossier de la présente affaire le dossier de l’affaire T‑54/06.

20      Le 17 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a demandé la signification du dossier de l’affaire T‑54/06.

21      Le 28 juin 2016, le Tribunal a demandé à la requérante de produire certains documents et posé une question à celle-ci pour réponse lors de l’audience de plaidoiries.

22      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 20 juillet 2016.

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner l’Union au paiement, au titre du préjudice matériel, d’une somme d’un montant de 2 308 463,98 euros ou, à tout le moins, d’un montant qu’il estimera raisonnable ;

–        condamner l’Union au paiement, au titre du préjudice immatériel, d’une somme d’un montant de 11 050 000 euros à titre principal ou, à titre subsidiaire, d’un montant de 1 700 000 euros ou, au moins, à titre plus subsidiaire, d’un montant fixé par les parties conformément aux modalités définies par le Tribunal ou, en tout cas, d’un montant raisonnable déterminé par le Tribunal lui-même ;

–        majorer, à partir du 26 novembre 2013, chacune des sommes allouées d’intérêts moratoires à un taux qu’il estimera raisonnable ;

–        condamner l’Union aux dépens.

24      La Cour de justice de l’Union européenne, soutenue par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, rejeter comme non fondée la demande d’indemnisation du préjudice matériel allégué et comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondée la demande d’indemnisation du préjudice immatériel allégué ;

–        à titre subsidiaire, rejeter comme non fondée la demande d’indemnisation du préjudice matériel allégué et allouer à la requérante une indemnisation pour le préjudice immatériel allégué d’un montant maximal de 5 000 euros ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

A.      Sur la recevabilité

25      La Cour de justice de l’Union européenne soutient que la requête manque de clarté et de précision en ce qui concerne la nature et l’étendue du préjudice immatériel allégué. En effet, la description du préjudice immatériel serait particulièrement vague et reposerait sur une confusion entre le préjudice matériel et le préjudice immatériel.

26      En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu conjointement avec l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du 2 mai 1991, toute requête doit contenir l’indication de l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Plus particulièrement, pour satisfaire à ces exigences, une requête tendant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 53 et jurisprudence citée).

27      En l’espèce, en premier lieu, il convient de souligner que, certes, l’argumentation de la requérante est sommaire en ce qui concerne la nature des préjudices immatériels qu’elle allègue. Toutefois, cette argumentation apparaît suffisante à la lumière de l’ensemble des explications et des références qui figurent dans la requête.

28      En effet, d’une part, la requérante souligne notamment qu’elle est « une entreprise cotée en bourse dont les heurs et malheurs sont suivis attentivement, non seulement par ses propres salariés, mais aussi par la presse, par des investisseurs et par ses clients ». La requérante précise que sa réputation a été inutilement écornée.

29      D’autre part, la requérante soutient, en substance, que les années supplémentaires d’incertitude ont eu une incidence négative sur la gestion, les investissements, l’attractivité et la stratégie de l’entreprise. Elle ajoute que cette incertitude a également causé un préjudice moral personnel à ses salariés ainsi qu’à ses dirigeants, soumis à une grande tension.

30      Enfin, l’ambiguïté dénoncée par la Cour de justice de l’Union européenne en ce qui concerne la relation entretenue entre les préjudices immatériels allégués et d’éventuels préjudices matériels relève de l’appréciation du bien-fondé de la demande d’indemnisation des préjudices immatériels allégués et, notamment, des critères d’évaluation et de réparation de ces derniers.

31      En second lieu, s’agissant de l’étendue des préjudices immatériels allégués, la requérante souligne à juste titre que, par définition, les préjudices immatériels qu’elle invoque ne se prêtent pas à un calcul exact. Par ailleurs, elle rappelle qu’il y a lieu de tenir compte du contexte et donc de la nature de l’affaire et de l’entreprise concernée pour déterminer le préjudice immatériel allégué. Enfin, la requérante évalue son préjudice selon une méthode dont la pertinence relève de l’appréciation du bien-fondé du recours.

32      Ainsi, la requête revêt une clarté et une précision suffisantes et la requérante a apporté suffisamment d’éléments pour apprécier la nature et l’étendue de ses prétendus préjudices immatériels. Ces éléments ont dès lors permis à la Cour de justice de l’Union européenne d’assurer sa défense et mettent le Tribunal en mesure de statuer sur le présent recours.

33      Compte tenu de ce qui précède, la fin de non-recevoir soulevée par la Cour de justice de l’Union européenne doit être rejetée.

B.      Sur le fond

34      En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

35      Selon une jurisprudence constante, il ressort de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE que l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, EU:C:1982:318, point 16, et du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106).

36      Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de la responsabilité non contractuelle de l’Union (arrêt du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, EU:C:1999:498, point 65 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, EU:C:1994:329, point 81). En outre, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission, C‑419/08 P, EU:C:2010:147, point 42 ; voir également, en ce sens, arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, point 13).

37      En l’espèce, la requérante soutient, premièrement, que la durée de la procédure dans l’affaire T‑54/06 a violé les exigences liées au respect du délai de jugement raisonnable (ci‑après le « délai raisonnable de jugement »). Deuxièmement, elle fait valoir que cette violation lui a causé des préjudices qui doivent être réparés.

1.      Sur la prétendue violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06

38      La requérante soutient en premier lieu que, dans l’arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771), la Cour a déjà décidé que la condition relative à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers était remplie en ce qui concerne le délai de jugement de l’affaire T‑54/06. Il ne serait donc pas nécessaire d’examiner plus avant les critères d’appréciation du caractère raisonnable d’un délai de jugement, ni leur application au cas d’espèce.

39      En second lieu, la requérante fait valoir que, dans l’affaire T‑54/06, un délai de 2 ans et 6 mois était un délai de jugement approprié en raison du fait que le Tribunal est une instance internationale, ce qui impliquerait une certaine complexité, notamment due au régime linguistique. Or, dans la présente affaire, aucun élément ne justifierait un délai de jugement supérieur à 2 ans et 6 mois. Ainsi, dans la mesure où la durée de la procédure dans l’affaire T‑54/06 aurait été de 5 ans et 9 mois, elle aurait dépassé de 3 ans et 3 mois le délai raisonnable de jugement.

40      La Cour de justice de l’Union européenne rétorque que les arguments de la requérante doivent être rejetés.

41      Premièrement, elle rappelle que, selon l’arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771), il appartient au Tribunal de se prononcer sur des recours tels que celui de l’espèce et de vérifier si les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union sont remplies.

42      Deuxièmement, l’allégation de la requérante, selon laquelle la durée de la procédure dans les affaires qui concernent l’application du droit de la concurrence est raisonnable uniquement si elle ne dépasse pas une période de 2 ans et 6 mois, ne présenterait aucun rapport avec la réalité des procédures devant le Tribunal, ainsi que le montrerait la durée moyenne des procédures devant cette juridiction constatée entre 2006 et 2015 dans ce type d’affaires. De même, la durée qui s’est écoulée entre la fin de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de la procédure dans l’affaire T‑54/06 aurait excédé de 16 mois seulement la durée moyenne de cette étape de la procédure, observée entre 2007 et 2010 dans les affaires qui concernaient l’application du droit de la concurrence.

43      Troisièmement et surtout, le caractère raisonnable d’un délai de jugement devrait être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, en particulier, au regard de la présence éventuelle d’une période d’inactivité anormalement longue. Ainsi, la durée totale de la procédure et la durée comprise entre la fin de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de la procédure dans l’affaire T‑54/06 seraient justifiées par le caractère volumineux des affaires qui concernent l’application du droit de la concurrence, par la circonstance que quinze recours parallèles avaient été introduits dans six langues différentes contre la décision C(2005) 4634 et par l’environnement multilingue dans lequel opère la Cour de justice de l’Union européenne. Par ailleurs, il faudrait tenir compte de la durée limitée du mandat des juges et de la maladie de longue durée de l’un des membres de la chambre à laquelle l’affaire T‑54/06 avait été attribuée.

44      À cet égard, il convient de souligner que l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose notamment que « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi ».

45      Un tel droit, dont l’existence avait été affirmée avant l’entrée en vigueur de la charte des droits fondamentaux en tant que principe général de droit de l’Union, a été jugé applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission (voir arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, EU:C:2009:456, point 178 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, il ressort d’un examen détaillé du dossier de l’affaire T‑54/06 que, ainsi que l’a souligné à juste titre la Cour dans l’arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771), la durée de la procédure dans l’affaire T‑54/06, qui s’est élevée à près de 5 ans et 9 mois, ne peut être justifiée par aucune des circonstances propres à ladite affaire.

47      En premier lieu, il importe de relever que l’affaire T‑54/06 concernait un litige afférent à l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et que, selon la jurisprudence, l’exigence fondamentale de sécurité juridique dont doivent bénéficier les opérateurs économiques ainsi que l’objectif d’assurer que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur présentent un intérêt considérable non seulement pour la partie requérante elle-même et pour ses concurrents, mais également pour les tiers, en raison du grand nombre de personnes concernées et des intérêts financiers en jeu (arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, EU:C:2009:456, point 186).

48      En deuxième lieu, il convient de constater que, dans l’affaire T‑54/06, une durée d’environ 3 ans et 10 mois, soit 46 mois, s’est écoulée entre, d’une part, la fin de la phase écrite de la procédure marquée par le dépôt, le 19 février 2007, de la duplique de la Commission et, d’autre part, l’ouverture, le 30 novembre 2010, de la phase orale de la procédure.

49      Au cours de cette période, il est procédé, notamment, à la synthèse des arguments des parties, à la mise en état des affaires, à une analyse en fait et en droit des litiges et à la préparation de la phase orale de la procédure. Ainsi, la durée de cette période dépend, en particulier, de la complexité du litige ainsi que du comportement des parties et de la survenance d’incidents procéduraux.

50      S’agissant de la complexité du litige, d’abord, il y a lieu de rappeler que l’affaire T‑54/06 concernait un recours introduit contre une décision de la Commission relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE.

51      Or, ainsi que cela ressort du dossier de l’affaire T‑54/06, les recours qui concernent l’application du droit de la concurrence par la Commission présentent un degré de complexité supérieur à d’autres types d’affaires, compte tenu, notamment, de la longueur de la décision attaquée, du volume du dossier et de la nécessité d’effectuer une appréciation détaillée de faits nombreux et complexes, souvent étendus dans le temps et dans l’espace.

52      Ainsi, une durée de 15 mois entre la fin de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de la procédure constitue en principe une durée appropriée pour traiter les affaires qui concernent l’application du droit de la concurrence, telles que l’affaire T‑54/06.

53      Ensuite, il est nécessaire de tenir compte de la circonstance que plusieurs recours avaient été introduits contre la décision C(2005) 4634.

54      En effet, des recours introduits contre une même décision adoptée par la Commission en application du droit de la concurrence de l’Union nécessitent, en principe, un traitement parallèle, y compris lorsque ces recours ne sont pas joints. Ce traitement parallèle est notamment justifié par la connexité desdits recours ainsi que par la nécessité d’assurer une cohérence dans l’analyse de ceux-ci et dans la réponse qu’il convient de leur apporter.

55      Ainsi, le traitement parallèle d’affaires connexes peut justifier un allongement, d’une durée d’un mois par affaire connexe supplémentaire, de la période comprise entre la fin de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de celle-ci.

56      En l’espèce, quinze recours avaient été introduits contre la décision C(2005) 4634. Cependant, d’une part, une partie requérante s’était désistée de son recours contre cette décision (ordonnance du 6 juillet 2006, Cofira-Sac/Commission, T‑43/06, non publiée, EU:T:2006:192). D’autre part, deux recours introduits contre la décision C(2005) 4634 avaient donné lieu au prononcé des arrêts du 13 septembre 2010, Trioplast Wittenheim/Commission (T‑26/06, non publié, EU:T:2010:387), et du 13 septembre 2010, Trioplast Industrier/Commission (T‑40/06, EU:T:2010:388).

57      Dans ces conditions, le traitement des douze autres affaires relatives à des recours introduits contre la décision C(2005) 4634 a justifié un allongement de la procédure de 11 mois dans l’affaire T‑54/06.

58      Par conséquent, une durée de 26 mois (15 mois plus 11 mois) entre la fin de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de la procédure était appropriée pour traiter l’affaire T‑54/06.

59      Enfin, le degré de complexité factuelle, juridique et procédurale de l’affaire ne justifie pas de retenir une durée plus longue en l’espèce. À cet égard, il convient notamment de relever que, entre la fin de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de la procédure dans l’affaire T‑54/06, la procédure n’a été ni interrompue ni retardée par l’adoption, par le Tribunal, d’une quelconque mesure d’organisation de celle-ci.

60      S’agissant du comportement des parties et de la survenance d’incidents procéduraux dans l’affaire T‑54/06, la durée qui s’est écoulée entre la fin de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de la procédure dans l’affaire T‑54/06 n’a aucunement été influencée par un tel comportement ou par la survenance de tels incidents.

61      Dès lors, au regard des circonstances de l’affaire T‑54/06, la durée de 46 mois qui s’est écoulée entre la fin de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de la procédure laisse apparaître une période d’inactivité injustifiée de 20 mois dans cette affaire.

62      En troisième lieu, l’examen du dossier de l’affaire T‑54/06 n’a révélé aucune circonstance permettant de conclure à l’existence d’une période d’inactivité injustifiée, d’une part, entre la date du dépôt de la requête et la date du dépôt de la duplique et, d’autre part, entre l’ouverture de la phase orale de la procédure et le prononcé de l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667).

63      Il s’ensuit que la procédure, qui a été suivie dans l’affaire T‑54/06 et qui s’est achevée avec le prononcé de l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667), a violé l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux en ce qu’elle a dépassé de 20 mois le délai raisonnable de jugement, ce qui constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit de l’Union ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

2.      Sur les préjudices allégués et le supposé lien de causalité

64      Selon une jurisprudence constante, le dommage dont il est demandé réparation dans le cadre d’une action en responsabilité non contractuelle de l’Union doit être réel et certain, ce qu’il appartient à la partie requérante de prouver (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 27 et jurisprudence citée). Il incombe à cette dernière d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue du préjudice qu’elle invoque (voir arrêt du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission, C‑362/95 P, EU:C:1997:401, point 31 et jurisprudence citée).

65      Toujours selon une jurisprudence constante, la condition relative au lien de causalité posée à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE porte sur l’existence d’un lien de cause à effet suffisamment direct entre le comportement des institutions et le dommage (arrêts du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission, C‑419/08 P, EU:C:2010:147, point 53, et du 14 décembre 2005, Beamglow/Parlement e.a., T‑383/00, EU:T:2005:453, point 193 ; voir également, en ce sens, arrêt du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, EU:C:1979:223, point 21). Il appartient à la partie requérante d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué (voir arrêt du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T‑149/96, EU:T:1998:228, point 101 et jurisprudence citée).

66      En l’espèce, la requérante soutient que la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 lui a causé des préjudices matériels et immatériels.

a)      Sur les préjudices matériels allégués et le supposé lien de causalité

67      La requérante soutient qu’elle a subi un préjudice matériel qui consisterait en des charges financières additionnelles qu’elle a dû supporter au cours de la période comprise entre le 26 août 2010, date à laquelle la Cour aurait dû rendre son arrêt, et le 26 novembre 2013, date à laquelle la Cour a effectivement rendu son arrêt Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771). Le montant de ces charges s’élèverait à 2 308 463,98 euros. Ce montant serait calculé selon la méthode qui suit. Dans un premier temps, il conviendrait d’additionner, d’une part, les frais de la garantie bancaire qui a été constituée afin de ne pas acquitter immédiatement le montant de l’amende infligée par la décision C(2005) 4634 (ci‑après les « frais de garantie bancaire ») et, d’autre part, les intérêts payés sur le montant de l’amende (ci‑après les « intérêts sur le montant de l’amende »). Dans un second temps, il conviendrait de déduire du résultat de cette addition les frais que la requérante aurait dû supporter si elle avait été obligée de payer l’amende le 26 août 2010.

68      La Cour de justice de l’Union européenne fait valoir, en premier lieu, qu’il n’existe pas de lien de causalité suffisamment direct entre, d’une part, le préjudice matériel afférent aux frais de garantie bancaire et aux intérêts sur le montant de l’amende et, d’autre part, la violation du délai raisonnable de jugement. En effet, d’abord, ce préjudice matériel découlerait du propre choix de la requérante. En outre, l’existence d’un lien de causalité ne pourrait pas être établie sur la base du seul constat que, en l’absence de dépassement du délai raisonnable de jugement, la requérante ne se serait pas trouvée dans l’obligation de payer des frais de garantie bancaire et des intérêts sur le montant de l’amende pour la période correspondant à ce dépassement.

69      En second lieu, les intérêts que la requérante a dû payer ne pourraient pas être qualifiés de préjudice. En effet, ces intérêts constitueraient la compensation du fait que la Commission n’a pas pu disposer d’une somme dont elle était en droit de disposer et la requérante bénéficierait d’un enrichissement sans cause si elle se voyait accorder une indemnisation pour un montant équivalent à ces intérêts. À titre subsidiaire, la Cour de justice de l’Union européenne soutient que les tableaux produits en annexe à la requête ne prouvent pas le préjudice matériel que la requérante aurait subi. Elle précise que l’existence et l’étendue du préjudice matériel ne sauraient être déterminées simplement en équité.

1)      Observations liminaires

70      Il convient de souligner que l’article 2 de la décision C(2005) 4634 prévoyait que les amendes infligées par cette décision devaient être payées dans un délai de trois mois à compter de sa signification. En application de l’article 86 du règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 357, p. 1), l’article 2 de cette décision précisait que, à l’expiration de ce délai de trois mois, des intérêts seraient automatiquement dus au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) à ses opérations principales de refinancement le premier jour du mois au cours duquel ladite décision était adoptée, majoré de trois points et demi de pourcentage, soit un taux de 5,56 %.

71      Conformément à l’article 299, premier alinéa, TFUE, la décision C(2005) 4634 formait titre exécutoire, dès lors qu’elle comportait, en son article 2, une obligation pécuniaire à la charge de la requérante. Par ailleurs, l’introduction d’un recours en annulation contre cette décision, en application de l’article 263 TFUE, n’a pas remis en cause le caractère exécutoire de ladite décision, dans la mesure où, aux termes de l’article 278 TFUE, les recours formés devant la Cour de justice de l’Union européenne n’ont pas d’effet suspensif.

72      Par lettre datée du 13 décembre 2005, la Commission a signifié la décision C(2005) 4634 à la requérante. À cette occasion, elle a signalé que, si la requérante engageait une procédure devant le Tribunal ou devant la Cour, aucune mesure de recouvrement ne serait prise tant que l’affaire serait pendante, pour autant que deux conditions soient respectées avant la date d’expiration du délai de paiement. En application de l’article 86, paragraphe 5, du règlement n° 2342/2002, ces deux conditions étaient les suivantes : premièrement, la créance de la Commission devait produire des intérêts à partir de la date d’expiration du délai de paiement au taux de 3,56 %, deuxièmement, une garantie bancaire acceptable pour la Commission, couvrant à la fois la dette et les intérêts ou majorations de la dette, devait être fournie avant la date limite de paiement.

73      La requérante a décidé de ne pas acquitter immédiatement le montant de l’amende qui lui avait été infligée et de constituer une garantie bancaire, moyennant le paiement d’intérêts au taux de 3,56 %.

74      C’est à la lumière de ces observations qu’il convient d’examiner les préjudices matériels allégués et le supposé lien de causalité entre ces préjudices et la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06.

2)      Sur le paiement d’intérêts sur le montant de l’amende

75      En premier lieu, il importe de constater que, en raison de l’application combinée de l’article 299, premier alinéa, TFUE et de l’article 278 TFUE, mentionnés au point 71 ci-dessus, le montant de l’amende infligée par la décision C(2005) 4634 était dû à la Commission malgré l’introduction d’un recours en annulation contre ladite décision. Ainsi, les intérêts sur le montant de l’amende, dont le taux était de 3,56 %, doivent être qualifiés d’intérêts de retard.

76      En second lieu, il convient de relever que, au cours de la procédure dans l’affaire T‑54/06, la requérante n’a pas acquitté le montant de l’amende, ni les intérêts de retard. Ainsi, au cours de la procédure dans ladite affaire, la requérante a eu la jouissance de la somme qui correspondait au montant de cette amende majorée des intérêts de retard.

77      Or, la requérante n’apporte pas d’éléments permettant de démontrer que, au cours de la période qui correspond au dépassement du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06, le montant des intérêts de retard, ultérieurement payés à la Commission, a été supérieur à l’avantage dont elle a pu bénéficier en raison de la jouissance de la somme, égale au montant de l’amende majorée des intérêts de retard. En d’autres termes, la requérante ne démontre pas que les intérêts sur le montant de l’amende qui ont couru au cours de la période qui correspond au dépassement du délai raisonnable de jugement étaient supérieurs à l’avantage qu’elle a pu retirer de l’absence de paiement de l’amende, majorée des intérêts qui étaient échus à la date à laquelle la violation du délai raisonnable de jugement est intervenue et des intérêts qui sont arrivés à échéance pendant que cette violation se poursuivait.

78      Cette appréciation n’est pas remise en cause par la méthode de calcul proposée par la requérante, qui aurait consisté à déduire du montant du préjudice allégué les frais de financement qu’elle aurait dû supporter, au titre du financement par une banque, si elle avait été obligée de payer l’amende le 26 août 2010.

79      En effet, dans la requête, la requérante ne soutient, à aucun moment, ni, a fortiori, ne démontre, qu’elle aurait été obligée d’avoir recours à un financement par un tiers aux fins de payer le montant de l’amende infligée dans la décision C(2005) 4634.

80      Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas établi que, au cours de la période qui correspond au dépassement du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06, la requérante a subi un préjudice réel et certain lié au paiement d’intérêts de retard sur le montant de l’amende non acquittée. La demande de réparation d’un prétendu préjudice subi de ce chef doit donc être rejetée, sans qu’il soit besoin d’apprécier l’existence du lien de causalité invoqué.

3)      Sur le paiement de frais de garantie bancaire

81      En premier lieu, s’agissant du préjudice, il ressort du dossier que la requérante a constitué une garantie bancaire et qu’elle a payé, sous la forme de commissions trimestrielles, des frais de garantie bancaire au cours de la procédure dans l’affaire T‑54/06.

82      Il s’ensuit que la requérante démontre qu’elle a subi un préjudice réel et certain en raison du paiement de frais de garantie bancaire au cours de la période qui correspond au dépassement du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06.

83      En deuxième lieu, s’agissant du lien de causalité, il convient de relever, d’une part, que, si la procédure dans l’affaire T‑54/06 n’avait pas dépassé le délai raisonnable de jugement, la requérante n’aurait pas dû s’acquitter de frais de garantie bancaire au cours de la période qui correspond à ce dépassement.

84      Ainsi, il existe un lien de cause à effet entre la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 et la survenance du préjudice qui a été enduré par la requérante en raison du paiement, par celle‑ci, de frais de garantie bancaire au cours de la période qui correspond au dépassement de ce délai raisonnable de jugement.

85      D’autre part, il y a lieu de souligner que, certes, le comportement reproché doit être la cause déterminante du préjudice (ordonnance du 31 mars 2011, Mauerhofer/Commission, C‑433/10 P, non publiée, EU:C:2011:204, point 127, et arrêt du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, EU:T:2006:121, point 130 ; voir également, en ce sens, arrêt du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission, C‑419/08 P, EU:C:2010:147, point 61). En d’autres termes, même dans le cas d’une éventuelle contribution des institutions au préjudice dont l’indemnisation est demandée, ladite contribution pourrait être trop éloignée en raison d’une responsabilité incombant à d’autres personnes, le cas échéant à la partie requérante (arrêt du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission, C‑419/08 P, EU:C:2010:147, point 59, et ordonnance du 31 mars 2011, Mauerhofer/Commission, C‑433/10 P, non publiée, EU:C:2011:204, point 132).

86      Par ailleurs, il a déjà été jugé qu’un préjudice allégué, consistant en des frais de garantie bancaire encourus par une société sanctionnée par une décision de la Commission ultérieurement annulée par le Tribunal, ne résultait pas directement de l’illégalité de cette décision, au motif que ce préjudice résultait du propre choix de cette société de constituer une garantie bancaire afin de ne pas exécuter l’obligation de payer l’amende dans le délai imparti par la décision litigieuse [voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission, T‑28/03, EU:T:2005:139, point 123, et ordonnance du 12 décembre 2007, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑113/04, non publiée, EU:T:2007:377, point 38].

87      Toutefois, en l’espèce, il convient de relever que, premièrement, au moment où la requérante a introduit son recours dans l’affaire T‑54/06, le 22 février 2006, et au moment où elle a constitué une garantie bancaire, la violation du délai raisonnable de jugement était imprévisible. En outre, la requérante pouvait légitimement s’attendre à ce que son recours soit traité dans un délai raisonnable.

88      Deuxièmement, le dépassement du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 est intervenu postérieurement au choix initial de la requérante de constituer une garantie bancaire.

89      Ainsi, les faits de la présente affaire diffèrent d’une manière substantielle de ceux qui ont été constatés dans l’arrêt du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission (T‑28/03, EU:T:2005:139), et dans l’ordonnance du 12 décembre 2007, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑113/04, non publiée, EU:T:2007:377), mentionnés au point 86 ci-dessus. Le lien entre le dépassement du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 et le paiement de frais de garantie bancaire au cours de la période qui correspond à ce dépassement ne peut donc, contrairement à ce que prétend la Cour de justice de l’Union européenne, avoir été rompu par le choix initial de la requérante de ne pas payer immédiatement l’amende infligée par la décision C(2005) 4634 et de constituer une garantie bancaire.

90      Il s’ensuit qu’il existe un lien de causalité suffisamment direct entre la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 et le préjudice subi par la requérante, en raison du paiement de frais de garantie bancaire au cours de la période qui correspond au dépassement dudit délai.

91      En troisième lieu, la requérante soutient qu’elle a subi un préjudice matériel qui consisterait en des charges financières additionnelles qu’elle a dû supporter au cours de la période comprise entre le 26 août 2010 et le 26 novembre 2013, date à laquelle la Cour a rendu son arrêt Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771) (voir le point 67 ci-dessus).

92      À cet égard, d’abord, il y a lieu de relever que, dans son recours, la requérante invoque une violation du délai raisonnable de jugement uniquement dans l’affaire T‑54/06. Elle n’invoque donc pas une violation du délai raisonnable de jugement en raison de la durée totale de la procédure dans l’affaire T‑54/06 avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771).

93      Ainsi, en l’espèce, il a été uniquement constaté que la procédure dans l’affaire T‑54/06 avait violé le délai raisonnable de jugement (voir le point 63 ci-dessus).

94      Ensuite, la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 a pris fin avec le prononcé de l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667).

95      Ainsi, à partir du 16 novembre 2011, la requérante était en mesure d’apprécier l’existence d’une violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 et le préjudice qu’elle avait enduré en raison du paiement de frais de garantie bancaire au cours de la période correspondant au dépassement dudit délai.

96      D’ailleurs, dans le pourvoi qu’elle a formé le 26 janvier 2012 contre l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667), la requérante a fait valoir que la longueur excessive de la procédure dans l’affaire T‑54/06 avait eu, pour elle, des conséquences préjudiciables et demandé, à ce titre, la réduction du montant de l’amende qui lui avait été infligée.

97      Enfin, la décision C(2005) 4634, qui a infligé une amende à la requérante, est devenue définitive uniquement le 26 novembre 2013 et la faculté offerte par la Commission de constituer une garantie bancaire a pris fin à cette date, en raison du choix de la requérante de former un pourvoi contre l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667).

98      Il s’ensuit que le paiement de frais de garantie bancaire après le prononcé de l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667), qui a mis fin à la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06, ne présente pas un lien de causalité suffisamment direct avec cette violation, dans la mesure où le paiement de tels frais découle du choix personnel et autonome de la requérante, postérieur à ladite violation, de ne pas payer l’amende, de ne pas demander le sursis à l’exécution de la décision C(2005) 4634 et de former un pourvoi contre l’arrêt susvisé.

99      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il existe un lien de causalité suffisamment direct entre, d’une part, la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 et, d’autre part, le préjudice qui a été subi par la requérante avant le prononcé de l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667), et qui consiste dans le paiement de frais de garantie bancaire au cours de la période qui correspond au dépassement de ce délai raisonnable.

4)      Sur l’évaluation du préjudice matériel subi

100    En premier lieu, il importe de rappeler que la durée de la procédure dans l’affaire T‑54/06 a dépassé de 20 mois le délai raisonnable de jugement dans cette affaire (voir le point 63 ci-dessus).

101    En deuxième lieu, d’une part, la requérante précise, dans la requête, que le préjudice matériel qu’elle a subi consiste dans « les charges financières supplémentaires qu’elle a dû supporter au cours de la période considérée, à savoir la période allant du 26 août 2010 au 26 novembre 2013 » (voir le point 67 ci-dessus). En outre, au soutien de sa demande de réparation, elle fournit des informations sur les frais de garantie bancaire qu’elle a payés au cours de cette période.

102    Ainsi, lue à la lumière des motifs de la requête, la demande de réparation formulée par la requérante dans son premier chef de conclusions correspond aux frais encourus à partir du 26 août 2010.

103    Or, il découle des règles régissant la procédure devant les juridictions de l’Union, notamment de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, que le litige est en principe déterminé et circonscrit par les parties et que le juge de l’Union ne peut statuer ultra petita (arrêts du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e.a., C‑272/12 P, EU:C:2013:812, point 27, et du 3 juillet 2014, Electrabel/Commission, C‑84/13 P, non publié, EU:C:2014:2040, point 49).

104    Ainsi, le Tribunal ne peut s’écarter de la demande de la requérante et décider d’office de réparer un préjudice subi antérieurement au 26 août 2010, c’est‑à‑dire un préjudice subi au cours d’une période chronologiquement différente de celle au cours de laquelle elle prétend avoir subi un préjudice.

105    D’autre part, les frais de garantie bancaire payés par la requérante postérieurement au 16 novembre 2011 ne présentent pas un lien de causalité suffisamment direct avec la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 (voir le point 98 ci-dessus).

106    Dès lors, en l’espèce, le préjudice qui peut être réparé correspond aux frais de garantie bancaire payés par la requérante entre le 26 août 2010 et le 16 novembre 2011.


107    En troisième lieu, il ressort des pièces produites par la requérante que les frais de garantie bancaire ont été payés sur une base trimestrielle. Ces pièces montrent également que, entre le 26 août 2010 et le 31 décembre 2011, les frais de garantie bancaire payés par la requérante ont été les suivants :

Période

Frais (euros)

26.8.2010-31.12.2010

175 709,87

31.12.2010-14.3.2011

81 382,15

14.3.2011-31.3.2011

18 983,87

31.3.2011-30.6.2011

102 533,99

30.6.2011-30.9.2011

104 603,82

30.9.2011-31.12.2011

105 555,48

Total

588 769,18


108    Il s’ensuit que les frais de garantie bancaire payés par la requérante au cours de la période comprise entre le 26 août 2010 et le 16 novembre 2011 se sont élevés à 588 769,18 euros.

109    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’accorder une indemnité d’un montant de 588 769,18 euros à la requérante à titre de réparation du préjudice matériel que lui a causé la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 et qui consiste dans le paiement de frais de garantie bancaire additionnels.

b)      Sur les préjudices immatériels allégués et le supposé lien de causalité

110    La requérante fait valoir, en premier lieu, que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il existe une présomption solide quoique réfragable selon laquelle la durée excessive d’une procédure entraîne un dommage immatériel. Par ailleurs, la requérante serait « une entreprise cotée en bourse dont les heurs et malheurs seraient suivis attentivement, non seulement par ses propres salariés, mais aussi par la presse, par des investisseurs et par ses clients ». Ainsi, la réputation de la requérante aurait été inutilement écornée. Enfin, les années supplémentaires d’incertitude auraient eu une incidence négative sur la gestion, les investissements, l’attractivité et la stratégie de l’entreprise. En outre, l’incertitude prolongée aurait également causé un préjudice moral personnel aux salariés ainsi qu’aux dirigeants de la requérante.

111    En second lieu, la requérante souligne qu’une évaluation précise du préjudice immatériel allégué est difficile en raison de la nature de ce préjudice. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme insisterait sur l’importance des affaires similaires lorsqu’elle évalue les préjudices. Ainsi, la meilleure référence pour évaluer le préjudice immatériel subi en l’espèce serait les affaires dans lesquelles le Tribunal ou la Cour ont constaté une violation du délai raisonnable et réduit, à titre de « satisfaction équitable », l’amende infligée par une décision de la Commission pour infraction aux règles de concurrence de l’Union.

112    Dans ces conditions, la requérante demande, à titre principal, une réparation d’un montant de 11 050 000 euros pour la période comprise entre le 26 août 2010 et le 26 novembre 2013, ce qui correspond à l’application d’un taux de 10 %, par année de retard, au montant de l’amende qui lui a été infligée par la décision C(2005) 4634. À titre subsidiaire, la requérante demande une réparation d’un montant de 1 700 000 euros, qui correspond à 5 % du montant de l’amende qui lui a été infligée par la décision C(2005) 4634. La requérante demande, à titre plus subsidiaire, une réparation d’un montant fixé par les parties conformément aux modalités définies par le Tribunal ou, à titre encore plus subsidiaire, d’un montant raisonnable déterminé par le Tribunal lui-même.

113    La Cour de justice de l’Union européenne rétorque, en premier lieu, que la requérante ne prouve pas l’existence d’un préjudice immatériel. Elle rappelle qu’il incombe à la requérante de rapporter la preuve du préjudice qu’elle allègue. Or, le préjudice allégué serait décrit d’une manière extrêmement vague, reposerait sur une confusion entre le préjudice immatériel et le préjudice matériel et ne serait pas étayé par le moindre élément de preuve. Par ailleurs, la requérante réclamerait des dommages et intérêts punitifs.

114    En deuxième lieu, et à titre subsidiaire, la Cour de justice de l’Union européenne soutient que la requérante ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice immatériel allégué et la prétendue méconnaissance du délai raisonnable de jugement. En effet, le préjudice immatériel allégué découlerait uniquement de l’infraction aux règles de concurrence commise par la requérante. Le prétendu délai déraisonnable de jugement n’aurait pas aggravé les conséquences immatérielles du constat d’infraction opéré par la Commission, dans la mesure où le Tribunal aurait confirmé ce constat d’infraction et le montant de l’amende infligée.

115    En troisième lieu, et à titre encore plus subsidiaire, la Cour de justice de l’Union européenne fait valoir que le préjudice immatériel réparable devrait être évalué à 5 000 euros au maximum.

116    Il convient d’apprécier, premièrement, les préjudices immatériels prétendument subis par les dirigeants et par les salariés de la requérante et, deuxièmement, les préjudices immatériels prétendument subis par la requérante elle-même.

1)      Sur les préjudices immatériels prétendument subis par les dirigeants et par les salariés de la requérante

117    Il importe de relever que les conclusions de la requête visent uniquement les intérêts propres de la requérante et non les intérêts personnels de ses dirigeants ou de ses salariés. Par ailleurs, la requérante n’invoque pas une cession de droits ou un mandat explicite qui l’habiliterait à présenter une demande de réparation des préjudices subis par ses dirigeants et par ses salariés.

118    Ainsi, la demande de réparation des préjudices immatériels prétendument subis par les dirigeants et les salariés de la requérante doit être rejetée comme irrecevable, au motif qu’il ne ressort pas du dossier que la requérante était habilitée, par lesdits dirigeants et salariés, à introduire un recours en indemnité en leur nom (voir, en ce sens, ordonnance du 12 mai 2010, CPEM/Commission, C‑350/09 P, non publiée, EU:C:2010:267, point 61, et arrêt du 30 juin 2009, CPEM/Commission, T‑444/07, EU:T:2009:227, points 39 et 40).

119    En tout état de cause, l’existence d’un préjudice subi par des dirigeants ou des salariés de la requérante n’est pas établie. En effet, d’une part, la requérante procède par pures affirmations et n’apporte aucun élément concret qui démontrerait l’angoisse et les désagréments qui auraient été endurés par ses dirigeants et par ses salariés en raison de la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06. D’autre part, la requérante ne démontre pas que ses dirigeants et ses salariés auraient subi un préjudice personnel, direct et distinct de celui qu’elle aurait personnellement subi.

120    Par conséquent, la demande de réparation des préjudices immatériels prétendument subis par les dirigeants et par les salariés de la requérante doit être rejetée comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondée.

2)      Sur les préjudices immatériels prétendument subis par la requérante

121    Il ressort de la jurisprudence que, dans la mesure où un requérant n’avance aucun élément de nature à démontrer l’existence et à déterminer l’étendue de son préjudice moral ou immatériel, il lui incombe, tout au moins, d’établir que le comportement incriminé était, par sa gravité, de nature à lui causer un tel dommage (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié, EU:C:2009:461, point 38 ; du 28 janvier 1999, BAI/Commission, T‑230/95, EU:T:1999:11, point 39, et du 16 octobre 2014, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑297/12, non publié, EU:T:2014:888, points 31, 46 et 63).

122    En premier lieu, il convient de rappeler que la requérante invoque une atteinte à sa réputation, notamment à l’égard des investisseurs et de ses clients.

123    Cependant, l’argumentation de la requérante n’est pas étayée par des éléments de preuve qui démontreraient que, par sa gravité, la violation du délai raisonnable de jugement était susceptible d’avoir une incidence sur sa réputation, au‑delà de l’incidence causée par la décision C(2005) 4634.

124    Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la requérante ne démontre pas que la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 était de nature à porter atteinte à sa réputation.

125    En tout état de cause, en l’espèce, le constat de la violation du délai raisonnable de jugement effectué au point 63 ci-dessus serait, eu égard à l’objet et à la gravité de cette violation, suffisant pour réparer l’atteinte à la réputation alléguée par la requérante.

126    En deuxième lieu, la circonstance que la requérante a été placée dans une situation d’incertitude, notamment quant au succès de son recours contre la décision C(2005) 4634, est inhérente à toute procédure juridictionnelle. Par ailleurs, la requérante était nécessairement consciente que l’affaire T‑54/06 présentait un certain degré de complexité et que cette complexité était liée, d’une part, au nombre de recours parallèles successivement introduits devant le Tribunal dans différentes langues de procédure contre la décision C(2005) 4634 et, d’autre part, à la nécessité, pour cette juridiction, de procéder à une instruction approfondie de dossiers volumineux et, en particulier, à la nécessité d’établir les faits et de procéder à un examen matériel du litige.

127    Cependant, la durée totale de la procédure dans l’affaire T‑54/06, de 5 ans et 9 mois, a dépassé la durée prévisionnelle que la requérante avait pu envisager, notamment au moment de l’introduction de son recours. Par ailleurs, la procédure dans l’affaire T‑54/06 laisse apparaître une période de 3 ans et 10 mois comprise entre la clôture de la phase écrite de la procédure et l’ouverture de la phase orale de la procédure. Ces délais ne sont aucunement justifiés par l’adoption de mesures d’organisation de la procédure, de mesures d’instruction ou par la survenance d’incidents procéduraux. Enfin, la requérante n’a aucunement contribué, par son comportement, au délai de jugement observé. Au contraire, la requérante a manifesté à deux reprises, au moins, son attente auprès du Tribunal et demandé un traitement urgent de l’affaire T‑54/06.

128    Dans ces conditions, la méconnaissance du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 était de nature à plonger la requérante dans une situation d’incertitude qui a dépassé l’incertitude habituellement provoquée par une procédure juridictionnelle. Cet état d’incertitude prolongé a nécessairement exercé une influence sur la planification des décisions à prendre et sur la gestion de cette société et a donc été constitutif d’un préjudice immatériel.

129    En troisième lieu, dans les circonstances de l’espèce, le préjudice immatériel subi par la requérante, en raison de l’état d’incertitude prolongé dans lequel elle a été placée, ne se trouve pas entièrement réparé par le constat d’une violation du délai raisonnable de jugement.

130    À cet égard, premièrement, il convient de relever que l’indemnité, demandée par la requérante et rappelée au point 112 ci-dessus, vise à la réparation de plusieurs préjudices immatériels et, notamment, d’une atteinte à la réputation qui n’est pas démontrée et qui, en tout état de cause, est suffisamment réparée par le constat d’une violation du délai raisonnable de jugement (voir les points 122 à 125 ci-dessus).

131    Deuxièmement, la Cour a jugé que, compte tenu de la nécessité de faire respecter les règles de concurrence du droit de l’Union, le juge de l’Union ne saurait permettre, au seul motif de la méconnaissance d’un délai raisonnable de jugement, à la partie requérante de remettre en question le bien-fondé ou le montant d’une amende alors que l’ensemble des moyens dirigés contre les constatations opérées au sujet du montant de cette amende et des comportements qu’elle sanctionne ont été rejetés (arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission, C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 87 ; voir également, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, EU:C:2009:456, point 194, et du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C‑414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, point 105).

132    Il s’ensuit que le non-respect d’un délai raisonnable de jugement, dans le cadre de l’examen d’un recours juridictionnel introduit contre une décision de la Commission infligeant une amende à une entreprise pour violation des règles de concurrence du droit de l’Union, ne saurait conduire à l’annulation, totale ou partielle, de l’amende infligée par cette décision (arrêts du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, point 78, et du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission, C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 88 ; voir également, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C‑414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, point 107).

133    Or, une méthode de calcul de la réparation du préjudice immatériel causé par une méconnaissance du délai raisonnable de jugement, qui consisterait, ainsi que le demande la requérante, à appliquer un certain pourcentage au montant de l’amende infligée par la Commission, aurait pour conséquence de remettre en cause ladite amende, bien qu’il ne soit pas établi que la méconnaissance du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06 ait exercé une influence sur le montant de cette amende.

134    Les demandes de la requérante visant à la réparation du préjudice immatériel allégué au moyen d’une réduction du montant de l’amende infligée par la décision C(2005) 4634 doivent donc être rejetées.

135    Troisièmement, compte tenu des appréciations portées aux points 126 à 134 ci-dessus et, en particulier, de l’ampleur de la méconnaissance du délai raisonnable de jugement, du comportement de la requérante et de l’attente qu’elle a manifestée au cours de la procédure, de la nécessité de faire respecter les règles de concurrence de l’Union et de l’efficacité du présent recours, il y a lieu de décider ex aequo et bono qu’une indemnité de 6 000 euros, accordée à la requérante, constitue une réparation adéquate du préjudice qu’elle a subi en raison de l’état d’incertitude prolongé dans lequel elle s’est trouvée au cours de la procédure dans l’affaire T‑54/06.

c)      Sur les intérêts

136    Par son troisième chef de conclusions, la requérante demande au Tribunal d’assortir le montant de la réparation, qu’il est susceptible de lui allouer, d’intérêts moratoires qui commenceraient à courir à partir du 26 novembre 2013.

137    Il ressort de la jurisprudence que l’obligation de payer des intérêts moratoires naît, en principe, à partir de l’arrêt qui constate l’obligation de réparer le préjudice (voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C‑152/88, EU:C:1990:259, point 32 et jurisprudence citée).

138    Pour la fixation du taux des intérêts moratoires, il est approprié de tenir compte de l’article 83, paragraphe 2, sous b), et de l’article 111, paragraphe 4, sous a), du règlement délégué (UE) n° 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (JO 2012, L 362, p. 1). En application de ces dispositions, le taux d’intérêt pour les créances non remboursées dans les délais est le taux appliqué par la BCE à ses opérations principales de refinancement tel que publié au Journal officiel de l’Union européenne, série C, en vigueur le premier jour de calendrier du mois de la date limite, majoré de trois points et demi de pourcentage.

139    En l’espèce, les indemnités visées aux points 109 et 135 ci-dessus doivent être majorées d’intérêts moratoires, à compter du prononcé du présent arrêt et jusqu’à complet paiement.

140    Le taux des intérêts moratoires sera celui fixé par la BCE pour ses opérations principales de refinancement, majoré de trois points et demi de pourcentage.

d)      Conclusion sur le montant des indemnités et sur les intérêts

141    Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, le présent recours doit être accueilli partiellement en ce qu’il tend à la réparation des préjudices subis par la requérante en raison de la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06.

142    L’indemnité due à la requérante à titre de réparation du préjudice qu’elle a subi en raison du paiement de frais de garantie bancaire additionnels s’élève à 588 769,18 euros.

143    L’indemnité due à la requérante à titre de réparation de son préjudice immatériel s’élève à la somme de 6 000 euros.

144    Le montant des indemnités visées aux points 142 et 143 ci-dessus sera majoré d’intérêts moratoires dans les conditions visées aux points 139 et 140 ci-dessus.

145    Le recours est rejeté pour le surplus.

IV.    Sur les dépens

146    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Or, dans l’ordonnance du 6 janvier 2015, Kendrion/Union européenne (T‑479/14, non publiée, EU:T:2015:2), l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Cour de justice de l’Union européenne a été rejetée et les dépens ont été réservés. Il convient donc de condamner l’Union, représentée par la Cour de justice de l’Union européenne, à supporter, outre ses propres dépens, ceux qui ont été exposés par la requérante et qui sont afférents à l’exception d’irrecevabilité ayant donné lieu à l’ordonnance du 6 janvier 2015, Kendrion/Union européenne (T‑479/14, non publiée, EU:T:2015:2).

147    En vertu de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

148    En l’espèce, la requérante a obtenu satisfaction en partie en ce qui concerne ses chefs de conclusions sur le fond. Cependant, elle a largement succombé en sa demande d’indemnité. Dans ces conditions, et eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, il y a lieu de décider que chacune des parties supportera ses propres dépens.

149    Selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Il convient de décider que la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      L’Union européenne, représentée par la Cour de justice de l’Union européenne, est condamnée à payer une indemnité de 588 769,18 euros à Kendrion NV au titre du préjudice matériel subi par cette société en raison de la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, non publié, EU:T:2011:667).

2)      L’Union, représentée par la Cour de justice de l’Union européenne, est condamnée à payer une indemnité de 6 000 euros à Kendrion au titre du préjudice immatériel que cette société a subi en raison de la violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T‑54/06.

3)      Chacune des indemnités visées aux points 1) et 2) ci-dessus sera majorée d’intérêts moratoires, à compter du prononcé du présent arrêt et jusqu’à complet paiement, au taux fixé par la Banque centrale européenne (BCE) pour ses opérations principales de refinancement, majoré de trois points et demi de pourcentage.

4)      Le recours est rejeté pour le surplus.

5)      L’Union, représentée par la Cour de justice de l’Union européenne, est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens qui ont été exposés par Kendrion et qui sont afférents à l’exception d’irrecevabilité ayant donné lieu à l’ordonnance du 6 janvier 2015, Kendrion/Union européenne (T‑479/14, non publiée, EU:T:2015:2).

6)      Kendrion, d’une part, et l’Union, représentée par la Cour de justice de l’Union européenne, d’autre part, supporteront leurs propres dépens afférents au recours ayant donné lieu au présent arrêt.

7)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Papasavvas

Labucka

Bieliūnas

Kreuschitz

 

      Forrester

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er février 2017.

Signatures



Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur la recevabilité

B. Sur le fond

1. Sur la prétendue violation du délai raisonnable de jugement dans l’affaire T54/06

2. Sur les préjudices allégués et le supposé lien de causalité

a) Sur les préjudices matériels allégués et le supposé lien de causalité

1) Observations liminaires

2) Sur le paiement d’intérêts sur le montant de l’amende

3) Sur le paiement de frais de garantie bancaire

4) Sur l’évaluation du préjudice matériel subi

b) Sur les préjudices immatériels allégués et le supposé lien de causalité

1) Sur les préjudices immatériels prétendument subis par les dirigeants et par les salariés de la requérante

2) Sur les préjudices immatériels prétendument subis par la requérante

c) Sur les intérêts

d) Conclusion sur le montant des indemnités et sur les intérêts

IV. Sur les dépens


1      Langue de procédure : le néerlandais.