Language of document : ECLI:EU:C:2019:922

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 31 octobre 2019 (1)

Affaire C507/18

NH

contre

Associazione Avvocatura per i Diritti LGBTI – Rete Lenford

[demande de décision préjudicielle présentée par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie)]

« Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle – Article 3, paragraphe 1, sous a) – Accès à l’emploi – Déclarations publiques excluant le recrutement d’homosexuels – Article 8, paragraphe 1 – Article 9, paragraphe 2 – Mise en œuvre et voies de recours – Qualité pour agir d’une association en l’absence de victime identifiable – Demande de dommages et intérêts »






1.        Έπεα πτερόεντα, des paroles ailées. Cette formule, dont les origines remontent à Homère (2), a une double signification : les paroles s’envolent, emportées par le vent (3), mais aussi les paroles vont vite et se répandent à vive allure. La présente affaire, relative à des déclarations faites lors d’un entretien radiophonique, concerne plutôt la seconde. Aujourd’hui, les paroles prononcées à la radio ou à la télévision ou transmises par les médias sociaux se répandent rapidement et ont des conséquences. Les déclarations à l’origine de l’affaire au principal ont voyagé jusqu’à Luxembourg et offrent à la Cour l’occasion d’interpréter les dispositions de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (4). Le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de cette directive, qui interdit la discrimination dans l’accès à l’emploi, couvre-t-il aussi une déclaration d’ordre général faite à la radio, aux termes de laquelle la personne interrogée ne recruterait jamais d’homosexuels dans son cabinet d’avocats ? Et, en l’absence de victime identifiable, une association peut‑elle agir pour faire respecter l’interdiction de la discrimination en matière d’emploi et de travail, y compris en demandant l’octroi de dommages et intérêts ?

 Le cadre juridique

 La CEDH

2.        L’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après la « CEDH ») dispose :

« 1.      Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.      L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

3.        L’article 14 interdit la discrimination en ces termes :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

4.        Cependant, la CEDH ne protège pas spécifiquement le droit à l’emploi.

 Le droit de l’Union

 La Charte

5.        L’article 11, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (5) (ci‑après la « Charte ») dispose :

« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. »

6.        L’article 15, paragraphe 1, de la Charte dispose :

« Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée. »

7.        L’article 21, paragraphe 1, de la Charte interdit « toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».

8.        L’article 52, paragraphe 1, de la Charte dispose que « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ». L’article 52, paragraphe 3 dispose que « [d]ans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ».

 La directive 2000/78

9.        Le préambule de la directive 2000/78 énonce, notamment, ce qui suit :

« (1)      [...] l’Union européenne est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres et elle respecte les droits fondamentaux [...]

[...]

(9)      L’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité des chances pour tous et contribuent dans une large mesure à la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, ainsi qu’à l’épanouissement personnel.

[...]

(11)      La discrimination fondée sur [...] l’orientation sexuelle peut compromettre la réalisation des objectifs du traité CE, notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes.

[...]

(15)      L’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte appartient à l’instance judiciaire nationale ou à une autre instance compétente, conformément au droit national ou aux pratiques nationales [...]

[...]

(28)      La présente directive fixe des exigences minimales, ce qui donne aux États membres la liberté d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables. La mise en œuvre de la présente directive ne peut pas justifier une régression par rapport à la situation existant dans chaque État membre.

(29)      Les personnes qui ont fait l’objet d’une discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle devraient disposer de moyens de protection juridique adéquats. Pour assurer un niveau de protection plus efficace, les associations, les organisations ou les personnes morales doivent aussi être habilitées à engager une procédure, selon des modalités fixées par les États membres, pour le compte ou à l’appui d’une victime, sans préjudice des règles de procédure nationales relatives à la représentation et à la défense devant les juridictions.

(30)      La mise en œuvre effective du principe d’égalité requiert une protection judiciaire adéquate contre les rétorsions

[...]

(35)      Les États membres doivent mettre en place des sanctions effectives, proportionnelles et dissuasives applicables en cas de non‑respect des obligations découlant de la présente directive.

[...]

(37)      Conformément au principe de subsidiarité [...], l’objectif de la présente directive, à savoir la création, dans [l’Union], d’un terrain d’action en ce qui concerne l’égalité en matière d’emploi et de travail, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres [...] »

10.      Aux termes de l’article 1er, la directive 2000/78 a pour objet d’« établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ».

11.      L’article 2 (« Concept de discrimination ») de la directive 2000/78 dispose :

« 1.      Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1 :

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b)      une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

[...]

5.      La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui. »

12.      Aux termes de l’article 3 (« Champ d’application ») de la directive 2000/78 :

« 1.      Dans les limites des compétences conférées à [l’Union], la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

a)      les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion ;

[...] »

13.      L’article 8 de la directive 2000/78 dispose :

« 1.      Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive.

2.      La mise en œuvre de la présente directive ne peut en aucun cas constituer un motif d’abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres dans les domaines régis par la présente directive. »

14.      Aux termes de l’article 9 (« Défense des droits ») de la directive 2000/78 :

« 1.      Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives [...] visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non‑respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement [...]

2.      Les États membres veillent à ce que les associations, les organisations ou les personnes morales qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la présente directive sont respectées puissent, pour le compte ou à l’appui du plaignant, avec son approbation, engager toute procédure judiciaire et/ou administrative prévue pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive.

[...] »

15.      L’article 17 de la directive 2000/78 dispose :

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles‑ci. Les sanctions ainsi prévues, qui peuvent comprendre le versement d’indemnité à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. [...] »

 Le droit italien

16.      Le decreto legislativo n. 216 – Attuazione della direttiva 2000/78/CE per la parità di trattamento in materia di occupazione e di condizioni di lavoro (décret législatif no 216, portant transposition de la directive 2000/78/CE en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail), du 9 juillet 2003 (ci‑après le « décret législatif no 216/2003 »), a transposé la directive 2000/78. Aux termes de son article 1er, ce décret législatif « contient les dispositions de mise en œuvre de l’égalité de traitement entre les personnes, indépendamment de leur religion, de leurs convictions personnelles, de leurs handicaps, de leur âge et de leur orientation sexuelle, en matière d’emploi et de travail. Il arrête les mesures nécessaires pour que ces facteurs ne soient pas cause de discrimination, dans une optique qui tient compte aussi de l’effet différent que les mêmes formes de discrimination peuvent exercer sur les femmes et les hommes ».

17.      L’article 2, paragraphe 1, du décret législatif no 216/2003 définit la discrimination comme suit :

« [...] on entend, par principe d’égalité de traitement, l’absence de toute discrimination directe ou indirecte à cause de la religion, des convictions personnelles, des handicaps, de l’âge ou de l’orientation sexuelle. Ce principe veut que ne soit exercée aucune discrimination directe ou indirecte, telles qu’elles sont définies ci‑dessous :

a)      une discrimination directe se produit lorsque, en raison de sa religion, de ses convictions personnelles, de son handicap, de son âge ou de son orientation sexuelle, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable ;

b)      une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère, une pratique, un acte, un accord ou un comportement apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour les personnes d’une religion ou de convictions données, les personnes présentant un handicap, les personnes d’un âge donné ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes [...] »

18.      Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du décret législatif no 216/2003 :

« Le principe d’égalité de traitement sans distinction de religion, de convictions personnelles, de handicap, d’âge et d’orientation sexuelle s’applique à toutes les personnes tant dans le secteur public que dans le secteur privé et bénéficie de la protection juridictionnelle, selon les formes prévues à l’article 4, en particulier dans les domaines suivants :

a)      accès à l’emploi et au travail salarié et indépendant, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement ; 

b)      [...] »

19.      L’article 5 du décret législatif no 216/2003 concerne la qualité pour agir et dispose :

« 1.      Les organisations syndicales, les associations et les organisations représentatives du droit ou de l’intérêt lésé, en vertu d’un mandat, donné par acte authentique ou acte sous seing privé authentifié, à peine de nullité, ont la qualité pour agir au sens de l’article 4, au nom et pour le compte ou à l’appui de la victime de la discrimination, contre la personne physique ou morale à laquelle le comportement ou l’acte discriminatoire est imputable.

2.      Les personnes désignées au paragraphe 1 ont également la qualité pour agir dans les cas de discrimination collective, lorsque les personnes lésées par la discrimination ne sont pas directement et immédiatement identifiables. »

 Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

20.      NH est un avocat expérimenté. Les éléments portés à la connaissance de la Cour ne permettent pas de tirer de conclusions définitives quant au statut précis qui est actuellement le sien dans le cabinet d’avocats auquel il est associé. Au cours d’un entretien dans une émission radiophonique, NH a affirmé que jamais il ne recruterait ni ne voudrait faire travailler dans son cabinet une personne homosexuelle. Au moment où il a tenu ces propos, aucune procédure de recrutement n’était en cours au cabinet d’avocats de NH.

21.      L’Associazione Avvocatura per i Diritti LGBTI – Rete Lenford (association d’avocats pour la défense des droits des LGBTI – Réseau Lenford) (ci‑après l’« Associazione ») (6) est une association d’avocats qui, aux termes de ses statuts, a pour objectif « de contribuer à développer et diffuser la culture et le respect des droits des personnes [LGBTI] » et de créer un réseau d’avocats pour leur offrir une défense en justice et utiliser les outils de défense collective en leur nom devant les juridictions nationales et internationales. L’Associazione a agi en justice contre NH et a conclu à ce qu’il soit condamné à publier des extraits de la décision à intervenir dans un quotidien national, à élaborer un plan visant à éliminer la discrimination et à payer des dommages et intérêts à l’Associazione pour un préjudice non patrimonial.

22.      Par ordonnance du 6 août 2014, le Tribunale di Bergamo (tribunal de Bergame, Italie), siégeant en tant que juge du travail, a constaté que NH avait agi illégalement. Ce juge a déclaré le comportement du requérant illégal en tant que discriminatoire, a ordonné la publication de sa décision et a condamné NH à payer 10 000 euros de dommages et intérêts à l’Associazione.

23.      Par arrêt du 23 janvier 2015, la Corte d’appello di Brescia (cour d’appel de Brescia, Italie) a rejeté l’appel interjeté contre cette ordonnance.

24.      NH s’est pourvu en cassation contre cet arrêt devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) (ci‑après le « juge de renvoi »).

25.      Le juge de renvoi se demande si l’Associazione est une entité représentative d’intérêts collectifs aux fins de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2000/78 et, partant, a la qualité pour agir contre NH. Il se demande également si les déclarations de NH relèvent du champ d’application de la directive 2000/78, du fait qu’elles concernent « l’emploi », ou si elles doivent être considérées comme la simple expression d’une opinion, sans rapport avec une procédure de recrutement discriminatoire.

26.      Dans ces circonstances, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 9 de la directive 2000/78 doit-il être interprété en ce sens qu’une association composée d’avocats spécialisés dans la défense en justice d’une catégorie de personnes ayant une orientation sexuelle différente et qui a pour objectif, aux termes de ses statuts, de promouvoir la culture et le respect des droits de cette catégorie, est automatiquement porteuse d’un intérêt collectif et constitue une association de tendance ou de conviction sans but lucratif, ayant qualité pour agir en justice, y compris en réparation, lorsque se produisent des faits jugés discriminatoires contre cette catégorie de personnes ?

2)      Les articles 2 et 3 de la directive 2000/78 doivent-ils être interprétés en ce sens que le champ d’application du régime de lutte contre la discrimination que prévoit cette directive couvre l’expression d’une opinion contraire à la catégorie des personnes homosexuelles faite lors d’un entretien dans le cadre d’une émission radiophonique de divertissement, dans laquelle la personne interrogée a déclaré que jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler ces personnes dans son cabinet, alors même qu’aucune procédure de recrutement n’aurait été en cours ni n’aurait été programmée par cette personne ? »

27.      NH, l’Associazione, les gouvernements italien et grec, et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Lors de l’audience du 15 juillet 2019, NH, l’Associazione, le gouvernement italien et la Commission ont présenté des observations orales.

 Appréciation

 Remarques préliminaires

28.      Les faits à l’origine de la présente affaire sont constants. NH a effectivement déclaré, lors d’un entretien radiophonique, qu’il ne recruterait pas ni ne voudrait faire travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet d’avocats. L’affaire porte sur la qualification de ces faits. Constituent-ils une discrimination en matière d’emploi au sens de la directive 2000/78 ? Si tel est le cas, l’Associazione peut-elle agir contre NH, en l’absence de victime identifiable ?

29.      Il faut donc vérifier d’abord si la situation en cause dans l’affaire au principal relève du champ d’application de la directive 2000/78, puis déterminer si l’Associazione a qualité pour agir pour faire respecter les dispositions de cette directive. C’est dans cet ordre que j’examinerai les questions préjudicielles (inversant ainsi l’ordre dans lequel elles sont posées dans la décision de renvoi).

30.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, il ressort tant de l’intitulé et du préambule que du contenu et de la finalité de la directive 2000/78 que celle‑ci tend à établir un cadre général pour assurer à toute personne l’égalité de traitement « en matière d’emploi et de travail », en lui offrant une protection efficace contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés à son article 1er, au nombre desquels figure l’orientation sexuelle (7).

31.      La directive a également pour objectif la création, dans l’Union européenne, d’un terrain d’action en ce qui concerne l’égalité en matière d’emploi et de travail (8). La protection assurée par la directive doit cependant être considérée comme une exigence minimale – de sorte que les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables (9). La directive 2000/78 offre une protection sur deux niveaux différents : le niveau matériel, en interdisant la discrimination directe et indirecte fondée, entre autres, sur l’orientation sexuelle, et le niveau de la mise en œuvre, en prévoyant des exigences minimales pour les voies de recours que les États membres doivent offrir en cas de discrimination.

 La deuxième question

32.      La deuxième question concerne le champ d’application de la directive 2000/78. Une déclaration faite pendant une émission radiophonique, dans laquelle la personne interrogée déclare clairement et sans équivoque que jamais elle ne recruterait ni ne ferait travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet d’avocats, relève-t-elle du champ d’application de cette directive même si la déclaration est sans rapport avec une quelconque procédure de recrutement en cours ou programmée pour l’avenir ?

33.      L’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination appartient à l’instance juridictionnelle nationale ou à une autre instance compétente, conformément au droit national ou aux pratiques nationales (10). Cela dit, il me semble que si la directive 2000/78 s’applique, les faits de l’espèce, tels qu’ils ont été présentés à la Cour, sont de nature à constituer une discrimination directe. Il est évident qu’une personne homosexuelle qui serait candidate à un emploi dans le cabinet d’avocats de NH serait traitée moins favorablement – en fait, ne serait pas engagée – sur la base de son orientation sexuelle qu’une autre personne dans une situation comparable (11).

34.      Les faits décrits par le juge de renvoi relèvent-ils du champ d’application de la directive 2000/78 ? Sont-ils couverts par l’intitulé « emploi et travail » et, plus précisément, par la notion de « conditions d’accès à l’emploi », qui figure à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive ?

 Le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78

35.      Le juge de renvoi se demande s’il existe un lien suffisant entre les déclarations faites par NH pendant l’entretien radiophonique et l’accès à l’emploi, étant donné que, au moment où ces déclarations ont été faites, aucune procédure de recrutement ni même aucune offre d’emploi n’était en cours au cabinet d’avocats de NH. Il observe également que la simple affirmation d’une opinion, qui ne présente pas de lien minimal avec une procédure de recrutement, est protégée par la liberté d’expression.

36.      NH affirme qu’il n’y avait pas de procédure de recrutement en cours ni programmée. Ses déclarations ne s’inscrivaient donc pas dans un contexte professionnel. Il exprimait son opinion personnelle en tant que simple citoyen.

37.      Lors de l’audience, le gouvernement italien a souligné que le contexte dans lequel les déclarations ont été faites devrait être pris en considération. Le lien avec l’accès à l’emploi pourrait varier selon que les déclarations ont été faites lors d’une émission sérieuse à laquelle participent des employeurs et des journalistes d’information, ou lors d’une émission de satire politique empreinte d’ironie.

38.      Peut-on considérer que des déclarations telles que celles qui sont à l’origine de l’affaire au principal, faites alors qu’aucune procédure de recrutement n’était en cours, relèvent de la notion d’« accès à l’emploi » au titre de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 ?

39.      Cette disposition prévoit que la discrimination doit être évitée en ce qui concerne les « critères de sélection », les « conditions de recrutement » et la « promotion ». Elle n’indique cependant pas ce qu’il faut entendre par « accès à l’emploi ».

40.      Il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (12).

41.      La directive 2000/78 concrétise, dans les domaines qu’elle couvre, le principe général de non‑discrimination consacré à l’article 21 de la Charte (13). Cette directive n’établit pas elle‑même le principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Le principe même de l’interdiction de ces formes de discrimination trouve sa source, ainsi qu’il ressort des considérants 3 et 4 de ladite directive, dans divers instruments internationaux et dans les traditions constitutionnelles communes aux États membres (14). La directive a pour objectif de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement en établissant un cadre général pour lutter contre la discrimination en ce qui concerne l’emploi et le travail afin de garantir l’égalité des chances pour tous et de contribuer à la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, ainsi qu’à l’épanouissement personnel (15).

42.      Eu égard à l’objet de la directive 2000/78 et à la nature des droits qu’elle vise à protéger, le champ d’application de ladite directive ne peut être défini de manière restrictive (16). Cette conclusion s’applique également aux termes de la directive qui définissent son champ d’application matériel, tels que l’emploi, l’accès, l’orientation et la formation professionnelles, les conditions de travail, la protection sociale et les avantages sociaux. L’égalité de traitement en matière d’accès à des activités salariées ou non salariées implique l’élimination de toute discrimination résultant de toute disposition qui empêche l’accès de personnes à toutes formes d’emploi et de profession (17). L’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité des chances pour tous (18).

43.      Le terme « accès » est défini comme la « possibilité d’atteindre un lieu ou d’y pénétrer » (19). S’agissant de l’« accès à l’emploi », le terme recouvre les conditions, les critères, les moyens, la manière d’obtenir un travail salarié. Si un employeur choisit de ne pas embaucher certaines personnes à cause de leur orientation sexuelle (perçue), il établit un critère de sélection discriminatoire (négatif) à l’emploi. Une telle situation relève clairement du champ d’application de la directive 2000/78.

44.      L’accès à l’emploi et l’accès à l’épanouissement professionnel sont, comme l’a dit l’avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions dans l’affaire Coleman, « d’une importance cruciale pour tout individu, non seulement parce qu’ils sont un moyen pour celui‑ci de gagner sa vie, mais aussi parce qu’ils constituent un moyen important de s’accomplir soi-même et de réaliser son potentiel. Quiconque traite de façon discriminatoire une personne appartenant à une catégorie visée par une classification suspecte prive injustement celle‑ci d’options valables. Partant, la capacité de cette personne de mener une vie autonome se trouve gravement compromise, puisqu’un aspect important de son existence est déterminé non par ses propres choix, mais par les préjugés d’un autre. En traitant les personnes appartenant à une telle catégorie moins favorablement à cause de leurs caractéristiques, on les empêche d’exercer leur autonomie. Dans cette situation, il est justifié et raisonnable d’appliquer des dispositions de lutte contre la discrimination. En substance, lorsque nous montrons un attachement à l’égalité et que nous nous engageons à réaliser cette égalité par la voie juridique, nous nous donnons pour objectif de garantir à toute personne les conditions nécessaires à son autonomie » (20).

45.      Même si elle ne traite pas directement de la question qui se pose en l’espèce, la jurisprudence de la Cour donne quelques indications quant à ce que signifie « accès à l’emploi ».

46.      Dans des affaires de discrimination fondée sur le sexe, la Cour a donné une définition large de l’« accès à l’emploi ». Ainsi, elle a jugé que « la notion d’accès à un emploi ne concerne pas seulement les conditions existant avant la naissance d’une relation de travail » mais aussi les facteurs qui influencent la décision d’une personne d’accepter ou non une offre d’emploi (21).

47.      Dans l’affaire Feryn, qui concerne l’interprétation de la directive 2000/43, le directeur de la société avait déclaré publiquement que son entreprise cherchait à recruter des installateurs, mais qu’elle ne pouvait embaucher des « allochtones » en raison des réticences des clients à leur donner accès, le temps des travaux, à leur domicile privé. La Cour a jugé que « [p]euvent constituer de tels faits de nature à faire présumer une politique d’embauche discriminatoire les déclarations par lesquelles un employeur fait savoir publiquement que, dans le cadre de sa politique de recrutement, il n’embauchera pas de salariés issus d’une certaine origine ethnique ou raciale ». Le fait pour un employeur de déclarer publiquement qu’il ne recrutera pas de salariés ayant une certaine origine ethnique ou raciale, ce qui est évidemment de nature à dissuader sérieusement certains candidats de déposer leur candidature et, partant, à faire obstacle à leur accès au marché du travail, constitue une discrimination directe à l’embauche, qui ne suppose pas que soit identifiable un plaignant soutenant qu’il aurait été victime d’une telle discrimination (22).

48.      Plus proche de la situation qui nous occupe est l’affaire Asociația Accept, qui – comme la présente affaire – concerne l’interprétation de la directive 2000/78. Dans cette affaire, un important actionnaire du FC Steaua qui s’était comporté comme le « commanditaire » du club avait déclaré, dans le cadre d’une interview donnée aux médias concernant l’éventuel transfert d’un footballeur professionnel X, qu’il ne prendrait pas un homosexuel dans l’équipe. Le club de football n’avait engagé aucune négociation en vue du recrutement de X, qui était présenté comme homosexuel. Cependant, le club n’avait pas recruté ce joueur, probablement à cause de son orientation sexuelle (23).

49.      La Cour a jugé que des faits tels que ceux à l’origine du litige au principal permettaient de présumer l’existence d’une discrimination au sens de la directive 2000/78. Il était sans incidence que « le système de recrutement de footballeurs professionnels ne se fonde pas sur une offre publique ou sur une négociation directe à la suite d’une procédure de sélection qui suppose le dépôt de candidatures et une présélection de celles‑ci au regard de leur intérêt pour l’employeur ». En outre, « un employeur défendeur ne saurait réfuter l’existence de faits permettant de présumer qu’il mène une politique d’embauche discriminatoire en se limitant à soutenir que les déclarations suggestives de l’existence d’une politique d’embauche homophobe émanent d’une personne qui, bien qu’elle affirme et semble jouer un rôle important dans la gestion de cet employeur, n’est pas juridiquement capable de le lier en matière d’embauche ». Le fait qu’un tel employeur « n’ait pas clairement pris ses distances avec les déclarations en cause constitue un élément dont l’instance saisie peut tenir compte dans le cadre d’une appréciation globale des faits ». La perception des milieux concernés peut aussi constituer un indice pertinent pour l’appréciation globale des déclarations en cause. En outre, la circonstance qu’un club de football professionnel n’ait engagé aucune négociation en vue du recrutement d’un sportif présenté comme étant homosexuel « n’exclut pas la possibilité que des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination pratiquée par ce club puissent être regardés comme établis » (24).

50.      Je déduis de ce qui précède les principes suivants, concernant la portée de la notion d’« accès à l’emploi » figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 : i) cette notion doit recevoir une interprétation autonome et uniforme dans toute l’Union ; ii) étant donné l’objet de la directive 2000/78 et la nature des droits qu’elle vise à protéger, cette notion ne peut pas faire l’objet d’une interprétation restrictive ; iii) déclarer publiquement que des personnes appartenant à un groupe protégé ne seront pas recrutées est évidemment de nature à dissuader certains candidats de déposer leur candidature et à faire obstacle à leur accès au marché du travail ; iv) la méthode de recrutement est sans pertinence (peu importe qu’il y ait eu un appel à candidatures, une procédure de sélection, etc.) ; v) dès lors que la personne qui est l’auteur des déclarations discriminatoires relatives au critère de sélection peut raisonnablement être considérée comme exerçant une influence sur l’employeur potentiel, le fait que cette personne ne soit pas juridiquement capable de le lier en matière d’embauche est également sans pertinence ; vi) le fait que l’employeur n’aurait pas engagé de négociations en vue de recruter une personne présentée comme un membre d’un groupe protégé n’exclut pas la possibilité d’établir l’existence d’une discrimination ; et vii) il n’est pas nécessaire d’identifier un plaignant pour établir l’existence d’une discrimination. Le point de savoir si l’employeur effectif a clairement pris ses distances avec les déclarations en cause et la perception des milieux concernés sont également des éléments pertinents qui peuvent être pris en compte.

51.      Au vu de ces éléments, quelle doit être la force du lien avec une procédure de recrutement effective pour que des déclarations discriminatoires telles que celles en cause dans l’affaire au principal relèvent du champ d’application de la directive 2000/78 ?

52.      Il me semble qu’un lien purement hypothétique ne serait pas suffisant. Ainsi, supposons qu’une personne déclare : « Si j’étais avocat, je ne recruterais jamais une personne LGBTI dans mon cabinet ». Si l’auteur de cette déclaration est un architecte et non un avocat et n’exerce aucune fonction quelconque dans un cabinet d’avocats, cette déclaration, aussi regrettable soit-elle, n’a pas de véritable lien avec l’accès à l’emploi. Il en irait de même si une personne qui n’a pas de jardin ni l’intention d’en acquérir un déclarait ne jamais vouloir employer un jardinier LGBTI. On peut multiplier les exemples. En fonction de leurs éléments constitutifs, le lien entre les déclarations discriminatoires et un accès potentiel à l’emploi sera plus étroit ou plus lâche.

53.      Cependant, les principes que j’ai dégagés de la jurisprudence de la Cour permettent de déduire une liste (non exhaustive) de critères pour déterminer dans quels cas des déclarations discriminatoires présentent un lien suffisant avec l’accès à l’emploi pour relever du champ d’application de la directive 2000/78.

54.      Ainsi, il y a lieu d’examiner le statut et la qualité de l’auteur des déclarations. Celui-ci doit être soit un véritable employeur potentiel, soit quelqu’un qui, de iure ou de facto, est en mesure d’exercer une influence significative sur la politique de recrutement de l’employeur potentiel ou, à tout le moins, peut raisonnablement être perçu comme étant en mesure d’exercer une telle influence, même s’il n’est pas juridiquement capable de lier l’employeur en matière d’embauche.

55.      Doivent également être pris en compte la nature et le contenu des déclarations. Celles-ci doivent concerner l’emploi dans le secteur d’activité de l’employeur potentiel ou de leur auteur – partant, un secteur dans lequel cette personne est susceptible d’embaucher. Les déclarations doivent établir que l’employeur a l’intention de discriminer des membres du groupe protégé. Elles doivent aussi être de nature à dissuader les membres du groupe protégé de présenter leur candidature dans le cas où un poste serait vacant chez cet employeur potentiel. À cet égard, il me semble qu’il devrait y avoir une présomption iuris tantum que, tôt ou tard, l’employeur potentiel souhaitera embaucher et que, lorsqu’il le fera, il appliquera le critère discriminatoire dont il a publiquement déclaré qu’il faisait partie de sa politique de recrutement. Il incomberait alors à l’employeur potentiel de renverser cette présomption dans chaque cas précis de recrutement (25).

56.      Le contexte dans lequel les déclarations ont été faites est également pertinent. S’agissait-il de propos tenus en privé (par exemple à table avec le partenaire du locuteur), ou de déclarations faites en public (ou, pire encore, en direct à l’antenne puis reproduites dans les médias sociaux) ? Cela dit, je réfute avec force l’affirmation selon laquelle une déclaration discriminatoire « humoristique », en quelque sorte, « ne compte pas » ou est acceptable. L’humour est un instrument puissant dont il n’est que trop facile d’abuser. On imagine aisément l’effet glaçant de « plaisanteries » homophobes faites par un employeur potentiel en présence de candidats LGBTI.

57.      Enfin, il importe de vérifier dans quelle mesure la nature, le contenu et le contexte des déclarations peuvent dissuader des personnes appartenant au groupe protégé de poser leur candidature pour un emploi auprès de l’employeur concerné. Ainsi que l’avocat général Poiares Maduro l’a exposé de manière convaincante dans l’affaire Feryn, « [d]ans tout processus de recrutement, la “sélection” la plus importante se fait entre ceux qui posent leur candidature et ceux qui ne la posent pas. On ne peut raisonnablement pas s’attendre à ce que quelqu’un pose sa candidature à un emploi alors qu’il sait à l’avance que son origine raciale ou ethnique lui ôte toute chance d’être engagé. Par conséquent, une déclaration publique de la part d’un employeur indiquant que les personnes d’une certaine origine raciale ou ethnique ne doivent pas poser leur candidature a un effet qui est loin d’être hypothétique. Ne pas qualifier cette déclaration d’acte de discrimination reviendrait à ignorer la réalité sociale selon laquelle de telles déclarations ont un effet humiliant et démoralisant sur les personnes de cette origine qui veulent participer au marché de l’emploi et, en particulier, sur ceux qui souhaiteraient travailler pour l’employeur en question » (26).

58.      Il ressort des éléments présentés à la Cour que NH est un avocat expérimenté et que les déclarations qu’il a faites concernaient son propre cabinet. Il a clairement formulé un critère de recrutement (négatif) qui est discriminatoire à l’égard de candidats homosexuels potentiels. Ses déclarations ont été faites publiquement à la radio. Elles ont été largement diffusées – en effet, le gouvernement italien a déclaré lors de l’audience qu’elles étaient faciles à trouver sur Internet. Ces déclarations étaient susceptibles de dissuader des candidats homosexuels potentiels de postuler comme avocats ou assistants auprès de ce cabinet d’avocats.

59.      J’en conclus que des déclarations telles que celles qui ont été faites dans l’affaire au principal sont susceptibles de relever du champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78. Il appartient au juge de renvoi d’établir et apprécier les faits pertinents d’une manière suffisamment approfondie pour parvenir à formuler les conclusions qui s’imposent (27).

 L’ingérence dans la liberté d’expression

60.      Le juge de renvoi se demande si les déclarations de NH pourraient être protégées par la liberté d’expression, tout en constatant que la législation contre la discrimination ne peut être considérée comme affectant cette liberté.

61.      La liberté d’expression, le droit de travailler et le principe de non‑discrimination sont tous des droits fondamentaux consacrés par la Charte (respectivement à l’article 11, paragraphe 1, à l’article 15, paragraphe 1, et à l’article 21, paragraphe 1). La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. En tant que principe, elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (28). La liberté d’expression fait cependant l’objet de limitations (29).

62.      Selon moi, en adoptant la directive 2000/78, le législateur de l’Union a clairement exprimé un choix. Des déclarations qui sont discriminatoires et qui relèvent du champ d’application de la directive 2000/78 ne peuvent être exonérées par l’invocation de la liberté d’expression. Un employeur ne peut donc pas déclarer qu’il ne recruterait jamais de personnes LGBTI, ou de personnes handicapées, ou de chrétiens, de musulmans ou de juifs, puis invoquer la liberté d’expression comme moyen de défense. En faisant une telle déclaration, il n’exerce pas son droit à la liberté d’expression. Il énonce une politique de recrutement discriminatoire.

63.      Le choix du législateur de l’Union était-il licite ?

64.      L’article 52, paragraphe 1, de la Charte permet d’apporter des limitations à l’exercice des droits et libertés qui y sont reconnus, à la condition qu’elles soient prévues par la loi, respectent le contenu essentiel de ces droits et libertés et, dans le respect du principe de proportionnalité, soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui (30).

65.      Ces conditions sont remplies en l’espèce.

66.      Premièrement, les limitations à la liberté d’expression sont prévues par la loi, à savoir la directive 2000/78.

67.      Deuxièmement, ainsi que le gouvernement grec l’a fait valoir dans ses observations écrites, les limitations que la directive 2000/78 apporte à l’exercice de la liberté d’expression sont justifiées par les objectifs de la directive, notamment l’égalité de traitement en ce qui concerne l’emploi et le travail et la réalisation d’un niveau d’emploi et de protection sociale élevé ; et les limitations sont nécessaires pour atteindre ces objectifs. L’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, qui constitue une expression du droit fondamental d’être protégé contre la discrimination, est un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union.

68.      Troisièmement, bien que la réalisation des objectifs de la directive puisse entraîner une ingérence dans la liberté d’expression, cette ingérence ne va pas jusqu’à porter atteinte à l’essence de ce droit. La directive 2000/78 se borne à interdire l’expression d’opinions discriminatoires dans un contexte limité, à savoir celui de l’emploi et du travail.

69.      Quatrièmement, le principe de proportionnalité est respecté. La portée de la directive 2000/78 est définie à l’article 1er (qui énumère les motifs de discrimination prohibés) et à l’article 3 (qui établit le champ d’application personnel et matériel). Les seules déclarations à être prohibées sont celles qui constituent une discrimination en matière d’emploi et de travail. L’ingérence dans la liberté d’expression ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire et approprié pour réaliser les objectifs de la directive (31).

70.      Cette interprétation est également conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (32). L’exercice de la liberté d’expression « comportant des devoirs et des responsabilités », l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH admet des ingérences pour « la protection de la réputation ou des droits d’autrui », pour autant qu’elles soient « prévues par la loi » et soient « nécessaires dans une société démocratique ». Dans l’affaire Vejdeland et autres c. Suède, des personnes avaient été condamnées pénalement pour avoir distribué dans une école des tracts exprimant du mépris envers les homosexuels. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’ingérence dans la liberté d’expression garantie à l’article 10, paragraphe 1, de la CEDH était justifiée au titre de l’article 10, paragraphe 2, de cette convention. La Cour européenne des droits de l’homme a souligné dans cet arrêt que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle était tout aussi grave que la discrimination fondée sur la race, l’origine ou la couleur. Elle a approuvé la décision du Högsta domstolen (Cour suprême, Suède) qui, tout en reconnaissant « aux requérants le droit d’exprimer leurs idées, avait souligné que les personnes ont non seulement des droits et libertés mais aussi des obligations, l’une de ces obligations étant d’éviter, dans la mesure du possible, de faire des déclarations qui sont inutilement insultantes pour autrui, constituent une atteinte aux droits d’autrui, et avait jugé que les déclarations figurant dans les tracts étaient inutilement insultantes » (traduction libre) (33).

71.      En conséquence, je considère que l’interdiction, prévue par la directive 2000/78, de faire des déclarations qui constituent une discrimination directe en matière d’accès à l’emploi ne peut pas être considérée comme constituant une ingérence telle dans la liberté d’expression qu’elle enfreindrait les droits qui sont garantis à l’article 11, paragraphe 1, de la Charte.

 Les possibilités de déroger à la directive 2000/78

72.      J’ai indiqué que, selon moi, les déclarations faites par NH pendant l’émission radiophonique constituaient une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle (34). En tant que telles, elles sont prohibées au titre de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78. Les seules dérogations possibles, en cas de discrimination directe, sont les exigences professionnelles (article 4), les justifications des différences de traitement fondées sur l’âge (article 6), les actions positives (article 7) et les mesures nécessaires, entre autres, à la protection des droits et libertés d’autrui (article 2, paragraphe 5).

73.      Aucune des parties n’a soutenu que les dérogations prévues aux articles 4, 6 ou 7 pourraient être applicables et elles me paraissent clairement dénuées de pertinence. L’article 2, paragraphe 5, ayant été évoqué lors de l’audience, je l’examinerai brièvement.

74.      La Cour a jugé que, « [e]n adoptant cette disposition, le législateur de l’Union a, en matière d’emploi et de travail, entendu prévenir et arbitrer un conflit entre, d’une part, le principe de l’égalité de traitement et, d’autre part, la nécessité d’assurer l’ordre, la sécurité et la santé publics, la prévention des infractions ainsi que la protection des droits et des libertés individuels, lesquels sont indispensables au fonctionnement d’une société démocratique. Ce législateur a décidé que, dans certains cas énumérés à l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78, les principes posés par cette dernière ne s’appliquent pas à des mesures contenant des différences de traitement fondées sur l’un des motifs visés à l’article 1er de cette directive, à condition, toutefois, que ces mesures soient “nécessaires” à la réalisation des objectifs susvisés » (35). En tant qu’il institue une dérogation au principe d’interdiction des discriminations, l’article 2, paragraphe 5, doit être interprété strictement (36).

75.      Selon moi, la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 5, ne peut pas s’appliquer en l’espèce. Premièrement, il n’apparaît nullement qu’une législation nationale quelconque mettrait en œuvre cette dérogation. Deuxièmement, même si (quod non) une telle législation nationale existait, je ne vois vraiment pas en quoi autoriser des déclarations discriminatoires qui empêchent l’accès à l’emploi pourrait être considéré comme « nécessaire » à « la protection des droits et des libertés individuels, lesquels sont indispensables au fonctionnement d’une société démocratique » (37).

76.      En conséquence, aucune des dérogations potentielles à l’interdiction de la discrimination directe prévues par la directive 2000/78 ne peut s’appliquer en l’espèce.

77.      À la lumière de tout ce qui précède, je conclus que des propos tenus pendant une émission radiophonique, aux termes desquels jamais la personne interrogée ne recrutera ni ne fera travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet d’avocats, peuvent relever du champ d’application de la directive 2000/78, en ce qu’ils sont susceptibles d’entraver l’accès à l’emploi. Lorsque ces déclarations ne sont pas faites dans le cadre d’une procédure de recrutement en cours, il incombe à la juridiction nationale d’apprécier si le lien avec l’accès à l’emploi n’est pas hypothétique, à la lumière du statut et de la qualité de l’auteur des déclarations, de leur nature, leur contenu et leur contexte, ainsi que de la mesure dans laquelle elles peuvent dissuader des personnes appartenant au groupe protégé de poser leur candidature pour un emploi auprès de l’employeur concerné. L’interdiction des déclarations qui constituent une discrimination directe en matière d’accès à l’emploi, prévue aux articles 2 et 3 de la directive 2000/78, ne peut pas être considérée comme constituant une ingérence telle dans la liberté d’expression qu’elle enfreindrait les droits qui sont garantis à l’article 11, paragraphe 1, de la Charte.

 La première question

78.      L’Associazione, on s’en souviendra, est une association d’avocats qui, aux termes de ses statuts, a pour objectif de « contribuer à développer et diffuser la culture et le respect des droits des personnes [LGBTI] » et de créer un réseau d’avocats pour offrir à ces personnes une assistance en justice et agir en leur nom devant les juridictions nationales et internationales dans le cadre d’actions collectives. Par sa première question, le juge de renvoi demande si, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2000/78, une telle association a automatiquement qualité pour agir, y compris en réparation, lorsque se produisent des faits jugés discriminatoires fondés sur l’orientation sexuelle.

79.      Cette question soulève trois problèmes. Premièrement, une association a‑t‑elle qualité pour agir pour faire respecter les obligations prévues par la directive 2000/78 en l’absence de victime identifiable ? Deuxièmement, la qualité pour agir de l’association dépend-elle de critères précis et, dans l’affirmative, quels sont ces critères ? Troisièmement, la possibilité pour une association d’agir en justice pour faire respecter les obligations prévues par la directive 2000/78 en l’absence de victime identifiable implique-t-elle aussi la possibilité d’agir en réparation ?

 Une association a-t-elle qualité pour agir pour faire respecter les obligations prévues par la directive 2000/78 en l’absence de victime identifiable ?

80.      L’article 9 de la directive 2000/78 réaffirme le droit fondamental à un recours effectif et impose aux États membres de veiller à ce que toute personne qui s’estime lésée par une discrimination puisse faire valoir ses droits (38). Cette disposition prévoit le droit d’agir pour faire respecter les droits consacrés par la directive, non seulement pour toute personne qui s’estime lésée, mais aussi, conformément à l’article 9, paragraphe 2, de ladite directive pour les associations qui y ont un intérêt légitime, lesquelles peuvent engager, pour le compte ou à l’appui du plaignant, avec son approbation, toute procédure judiciaire ou administrative.

81.      Cependant, cette formulation ne signifie pas que des associations soient nécessairement empêchées d’agir en l’absence de victime identifiable. Il serait difficile de réaliser l’objectif de la directive, qui est de créer les conditions de la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, si la directive 2000/78 ne venait à s’appliquer que lorsqu’un candidat malheureux à un emploi, s’estimant victime d’une discrimination (en l’espèce) directe, engagerait des poursuites judiciaires à l’encontre de l’employeur (39).

82.      L’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/78, relatif à des « prescriptions minimales », introduit une disposition de « non‑régression » pour les États membres qui appliquent ou veulent appliquer une législation prévoyant un niveau de protection plus élevé que celui garanti par la directive (40). Il dispose que la mise en œuvre de la directive ne peut en aucun cas justifier une réduction du niveau de protection contre la discrimination déjà accordée par les États membres dans les domaines régis par la directive (41).

83.      La Cour a déjà interprété l’article 8, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 2, pour conclure que la directive 2000/78 ne s’oppose nullement à ce qu’un État membre prévoie, dans sa législation nationale, le droit pour les associations ayant un intérêt légitime à faire assurer le respect de cette directive d’engager des procédures juridictionnelles ou administratives visant à faire respecter les obligations découlant de ladite directive sans agir au nom d’un plaignant déterminé ou en l’absence de plaignant identifiable (42). Ainsi, dans l’affaire Asociația Accept, la Cour a jugé qu’une organisation non gouvernementale dont l’objet est de promouvoir et de protéger les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles pouvait agir en justice pour obtenir, entre autres, que soit infligée une amende à un club de football et à un de ses actionnaires du fait qu’un joueur professionnel n’a pas été embauché parce qu’il était présumé homosexuel.

84.      Cette approche est conforme à une tendance générale dans la jurisprudence de la Cour. En effet, elle a adopté la même solution dans l’affaire Feryn. Dans cette affaire, un organisme désigné, conformément à l’article 13 de la directive 2000/43, pour promouvoir l’égalité de traitement avait saisi la justice belge pour faire constater que Feryn appliquait une politique de discrimination à l’embauche. Se fondant, premièrement, sur le fait que l’existence d’une discrimination directe ne suppose pas que soit identifiable un plaignant soutenant qu’il en aurait été victime et, deuxièmement, sur le fait que la directive 2000/43 prévoit des « prescriptions minimales » (aux termes d’une disposition semblable à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/78), la Cour a jugé que cette directive ne s’opposait nullement à ce que les États membres prévoient le droit, pour les associations ayant un intérêt légitime, de faire assurer le respect de cette directive et engager des procédures sans agir au nom d’un plaignant déterminé ou en l’absence de plaignant identifiable (43).

85.      Il découle de l’article 9, paragraphe 2, et de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/78, tels qu’ils sont interprétés par la jurisprudence de la Cour, qu’il n’est nullement interdit aux États membres de prévoir des possibilités supplémentaires de mise en œuvre de la directive. Il me semble – mais cela relève exclusivement de l’appréciation du juge national – que c’est ce que fait l’article 5, paragraphe 2, du décret législatif no 216/2003 en reconnaissant aux associations désignées à son paragraphe 1 la « qualité pour agir dans les cas de discrimination collective, lorsque les personnes lésées par la discrimination ne sont pas directement et immédiatement identifiables ».

 La qualité pour agir de l’association dépend-elle de critères précis et, si oui, quels sont ces critères ?

86.      Le juge de renvoi expose que, en Italie, la qualité pour agir des associations, dans les affaires de discrimination relevant de la directive 2000/78, est régie par l’article 5, paragraphe 1, du décret législatif no 216/2003, aux termes duquel ont cette qualité « les organisations syndicales, les associations et les organisations représentatives du droit ou de l’intérêt lésé ». Le juge de renvoi expose que le législateur national n’a pas établi d’autres critères à cet égard, contrairement à ce qu’il a fait pour des associations agissant dans d’autres secteurs. L’intérêt légitime à agir de l’association doit donc être examiné au cas par cas.

87.      NH soutient que l’Associazione ne peut pas être considérée comme représentative des intérêts des personnes LGBTI et qu’elle n’a donc pas la qualité pour agir en l’espèce. L’Associazione est un groupement d’environ 100 avocats qui ne sont pas eux‑mêmes des personnes LGBTI. Elle a pour objectif de promouvoir les droits et la culture des personnes LGBTI et d’assurer leur défense en justice. Il n’est pas certain que cette association soit sans but lucratif.

88.      En vertu de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2000/78, la seule condition pour qu’une association ait la qualité pour agir est qu’elle ait un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la directive soient respectées.

89.      Dans l’affaire Asociația Accept, la Cour a examiné l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2000/78 à la lumière de l’article 8, paragraphe 1, de celle‑ci et a conclu que cette disposition « ne s’oppose nullement à ce qu’un État membre prévoie, dans sa législation nationale, le droit pour les associations ayant un intérêt légitime à faire assurer le respect de cette directive d’engager des procédures juridictionnelles ou administratives visant à faire respecter les obligations découlant de ladite directive sans agir au nom d’un plaignant déterminé ou en l’absence de plaignant identifiable » (44). Ce motif marque aussi la distinction entre le locus standi (qualité pour agir), reconnu aux associations pour assurer le respect des obligations prévues par la directive, et une actio popularis.

90.      À cet égard, la directive renvoie expressément à la législation nationale. Il s’ensuit que, en l’absence de plaignant ou de victime identifiable, la qualité pour agir des associations n’est pas régie par le droit de l’Union (45). Cependant, les droits et obligations matériels dont les associations demanderont la mise en œuvre en justice sont bien tirés de la directive 2000/78.

91.      À cet égard, la présente affaire diffère de l’affaire Julián Hernández e.a. (46). Dans cette dernière, la Cour a examiné l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2008/94/CE (47), aux termes duquel cette directive « ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs salariés ». La Cour a jugé que cette disposition ne conférait pas aux États membres une faculté de légiférer en vertu du droit de l’Union, mais se limitait à reconnaître le pouvoir des États membres, en vertu du droit national, de prévoir de telles dispositions plus favorables en dehors du cadre du régime établi par cette directive (48). Il s’ensuit qu’une disposition du droit national qui se limite à accorder aux travailleurs salariés une protection plus favorable résultant de l’exercice de la seule compétence des États membres (confirmée par l’article 11, premier alinéa, de la directive 2008/94), ne saurait être considérée comme relevant du champ d’application de cette directive (49).

92.      Au contraire, dans la présente affaire, la législation nationale en cause prévoit un droit procédural (la qualité pour agir) pour faire respecter des droits matériels découlant du droit de l’Union (la protection contre la discrimination). Cette configuration rend applicable le principe de l’autonomie procédurale ainsi que ses corollaires, les principes d’équivalence et d’effectivité.

93.      Selon une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation de l’Union, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant, d’une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’elles ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (50).

94.      Le respect du principe d’équivalence suppose que la règle litigieuse s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables. Afin de vérifier si le principe d’équivalence est respecté dans l’affaire au principal, la juridiction nationale, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités procédurales des recours dans le domaine du droit du travail, doit examiner tant l’objet que les éléments essentiels des recours prétendument similaires de nature interne (51).

95.      En ce qui concerne l’application du principe d’effectivité, la Cour a jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il convient de prendre en considération, s’il y a lieu, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (52).

96.      Il résulte de ce qui précède que : i) la définition des associations ayant un intérêt légitime relève de la législation nationale ; ii) ces associations font respecter des droits et obligations tirés du droit de l’Union ; iii) les principes d’équivalence et d’effectivité doivent donc être respectés. Les juridictions nationales sont seules compétentes pour apprécier ces questions.

97.      Pour effectuer cette appréciation, le juge de renvoi demande si l’objectif de l’association (tel qu’il est rappelé au point 78 des présentes conclusions) correspond à l’objectif d’une association ayant un intérêt légitime à agir pour faire respecter les droits et obligations découlant de la directive 2000/78.

98.      Sous réserve du contrôle des faits par le juge de renvoi à la lumière de la législation nationale applicable, il me semble qu’une association ayant un tel objectif est précisément le type d’association qui a un intérêt légitime à agir en justice en de telles circonstances. C’est également le type d’association vers laquelle une victime de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle se tournerait naturellement si cette victime décidait d’engager une procédure dans un cas précis.

99.      À cet égard, les arguments de NH concernant le nombre des membres de l’Associazione, le fait que ceux‑ci sont des avocats et des avocats stagiaires et le fait qu’ils ne sont pas eux‑mêmes des personnes LGBTI sont dénués de toute pertinence. On n’exige pas d’une association d’intérêt public qui se consacre à la protection des oiseaux sauvages et de leurs habitats que tous ses membres aient des ailes, des becs et des plumes. La communauté LGBTI compte nombre d’excellents avocats, qui savent parler avec éloquence pour défendre les droits des LGBTI, et qui le font. Cela ne signifie pas que d’autres personnes, qui ne sont pas membres de cette communauté – y compris des avocats et avocats stagiaires dont la seule motivation est l’altruisme et le sens de la justice – ne puissent pas adhérer à une telle association et participer à ses activités sans mettre en péril sa qualité pour agir en justice. Admettre les arguments de NH fragiliserait une contribution précieuse pour assurer une protection juridictionnelle appropriée et compromettrait l’effet utile de la directive (53).

100. Le juge de renvoi demande également si une association ayant un intérêt légitime doit être sans but lucratif, en particulier à lumière de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union (54).

101. Selon une jurisprudence constante de la Cour, même si les recommandations ne visent pas à produire d’effets contraignants, les juges nationaux sont tenus de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsqu’elles éclairent l’interprétation de dispositions nationales prises dans le but d’assurer leur mise en œuvre ou lorsqu’elles ont pour objet de compléter des dispositions de l’Union ayant un caractère contraignant (55).

102. Toutefois, la condition figurant au point 4, sous a), de la recommandation, selon laquelle une association devait être à but non lucratif pour engager des actions en représentation, s’applique dans le cas où les États membres désignent des entités représentatives pour engager de telles actions. Le juge de renvoi expose que tel n’est pas le cas en Italie, où le législateur n’a désigné aucune association de ce type pour faire respecter les droits découlant de la directive 2000/78.

103. Dans ses observations écrites, le gouvernement grec attire l’attention sur le risque (éventuel) qu’une association à but lucratif abuse du droit d’agir en justice pour augmenter ses profits, ce qui, selon lui, compromettrait la réalisation des objectifs de la directive. La réponse la plus évidente est que, étant donné l’incertitude inhérente au contentieux (et peut-être particulièrement au contentieux dans des affaires de discrimination), une association ayant un but de lucre qui aurait la gâchette facile pour agir se mettrait elle‑même en péril. En outre, il appartient à la juridiction nationale de vérifier le cas échéant si l’Associazione respecte son objectif déclaré qui est de protéger les intérêts des personnes concernées et si elle respecte ses statuts en ce qui concerne sa qualité pour agir (56).

104. Je conclus qu’il incombe à la législation nationale de définir les critères qu’une association doit remplir pour avoir un intérêt légitime à agir pour assurer le respect de droits et obligations découlant de la directive 2000/78, sous réserve des principes d’équivalence et d’effectivité.

 La possibilité pour une association d’agir pour assurer le respect des obligations prévues par la directive 2000/78 en l’absence de victime identifiable comprendelle aussi la possibilité d’agir en réparation ?

105. L’article 17 de la directive 2000/78 charge les États membres de déterminer le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de cette directive. Il précise que ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives et peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime.

106. L’article 17 impose donc aux États membres de veiller à ce que leur système juridique national prévoie les instruments juridiques nécessaires pour réaliser l’objectif de la directive, pour que la protection judiciaire des droits que celle‑ci confère soit réelle et effective. Il n’impose cependant pas de sanctions spécifiques et laisse les États membres libres de choisir parmi les différentes solutions appropriées à la réalisation de cet objectif, sous réserve des principes d’équivalence et d’effectivité (voir points 89 à 93 des présentes conclusions).

107. La Cour a précisé que « les sanctions qui doivent être prévues par le droit national en application de l’article 17 de [la directive 2000/78] doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives, y compris lorsqu’il n’y a pas de victime identifiable » (57). Le régime de sanctions doit « notamment assurer, parallèlement aux mesures prises pour mettre en œuvre l’article 9 de la même directive, une protection juridique effective et efficace des droits tirés de celle‑ci [...] La rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif [...] tout en respectant le principe général de proportionnalité » (58). En tout état de cause, « une sanction purement symbolique ne saurait être considérée comme étant compatible avec la mise en œuvre correcte et efficace de la directive 2000/78 » (59).

108. La décision de la Cour dans l’affaire Feryn, rendue dans le cadre de la directive 2000/43, fournit un enseignement qui est tout aussi pertinent dans le cadre de la directive 2000/78 : « [dans le cas où] il n’y a pas de victime directe d’une discrimination mais où un organisme qui y est habilité par la loi demande qu’une discrimination soit constatée et sanctionnée, les sanctions que l’article 15 de la directive 2000/43 exige de prévoir dans le droit national doivent aussi être effectives, proportionnées et dissuasives. Elles peuvent, le cas échéant, et si cela paraît adapté à la situation en cause au principal, consister dans le constat de la discrimination par la juridiction ou l’autorité administrative compétente, assorti du degré de publicité adéquat, le coût de celle‑ci étant alors à la charge de la partie défenderesse. Elles peuvent également consister dans l’injonction faite à l’employeur, selon les règles posées par le droit national, de cesser la pratique discriminatoire constatée, assortie, le cas échéant, d’une astreinte. Elles peuvent en outre consister dans l’octroi de dommages et intérêts à l’organisme qui a mené la procédure » (60).

109. Il s’ensuit que : i) une association que la législation nationale habilite à agir pour assurer le respect de droits et obligations tirés de la directive 2000/78 peut demander que des comportements discriminatoires soient sanctionnés ; ii) tel est le cas même en l’absence de victime identifiable ; iii) la directive 2000/78 ne prescrit pas de sanctions spécifiques, mais s’en remet à la législation nationale sur cette question ; iv) les sanctions prévues par la législation nationale doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ; et v) elles peuvent prendre la forme de l’octroi d’une réparation. Le type de réparation dépend, lui aussi, de la législation nationale. Je ne vois pas de raison de principe pour que cette réparation ne comprenne pas à la fois des dommages et intérêts pour le préjudice matériel et pour le préjudice non patrimonial, y compris le préjudice moral.

110. Je conclus donc que l’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2000/78 ne s’opposent pas à ce qu’une législation nationale reconnaisse à des associations titulaires d’un intérêt légitime la qualité pour agir en justice en vue d’assurer le respect d’obligations tirées de la directive 2000/78 en l’absence de victime identifiable. Il incombe à la législation nationale d’arrêter les critères pour déterminer si une association est titulaire d’un tel intérêt légitime, sous réserve des principes d’équivalence et d’effectivité. Une association ayant un intérêt légitime à agir en justice peut demander qu’un comportement discriminatoire soit sanctionné de manière effective, proportionnée et dissuasive, y compris par l’octroi de dommages et intérêts, dans les conditions prévues par la législation nationale.

 Conclusion

111. Je suggère donc à la Cour de répondre comme suit aux questions déférées par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) :

–        Des propos tenus pendant une émission radiophonique, aux termes desquels jamais la personne interrogée ne recrutera ni ne voudrait faire travailler de personnes homosexuelles dans son cabinet d’avocats, peuvent relever du champ d’application de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, en ce qu’elles sont susceptibles d’entraver l’accès à l’emploi.

–        Lorsque ces déclarations ne sont pas faites dans le cadre d’une procédure de recrutement en cours, il incombe à la juridiction nationale d’apprécier si le lien avec l’accès à l’emploi n’est pas hypothétique, à la lumière du statut et de la qualité de l’auteur des déclarations, de leur nature, leur contenu et leur contexte, ainsi que de la mesure dans laquelle elles peuvent dissuader des personnes appartenant au groupe protégé de poser leur candidature pour un emploi auprès de l’employeur concerné.

–        L’interdiction des déclarations qui constituent une discrimination directe en matière d’accès à l’emploi, prévue aux articles 2 et 3 de la directive 2000/78, ne peut pas être considérée comme constituant une ingérence telle dans la liberté d’expression qu’elle enfreindrait les droits qui sont garantis à l’article 11, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

–        L’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2000/78 ne s’opposent pas à ce qu’une législation nationale reconnaisse à des associations titulaires d’un intérêt légitime la qualité pour agir en justice en vue d’assurer le respect d’obligations tirées de la directive 2000/78 en l’absence de victime identifiable. Il incombe à la législation nationale d’arrêter les critères pour déterminer si une association est titulaire d’un tel intérêt légitime, sous réserve des principes d’équivalence et d’effectivité.

–        Une association ayant un intérêt légitime à agir en justice peut demander qu’un comportement discriminatoire soit sanctionné de manière effective, proportionnée et dissuasive, y compris par l’octroi de dommages et intérêts, dans les conditions prévues par la législation nationale.


1      Langue originale : l’anglais.


2      La formule est employée plusieurs fois par Homère, aussi bien dans l’Iliade que dans l’Odyssée. Voir par exemple Iliade, chant XV, vers 145 et 157.


3      En ce sens, cette formule correspond à la première partie de l’adage latin bien connu « verba volant, scripta manent », qui souligne l’importance de l’écrit.


4      JO 2000, L 303, p. 16.


5      JO 2007, C 303, p. 1.


6      Le sigle « LGBTI » est couramment utilisé pour désigner les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées. Voir, entre autres, Conseil de l’Union européenne, lignes directrices visant à promouvoir et garantir le respect de tous les droits fondamentaux des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), Luxembourg, 24 juin 2013. Ces lignes directrices fournissent, au point 13, une définition pratique du terme, tout en précisant que cette définition n’est pas juridiquement contraignante et n’a pas été adoptée officiellement par un organisme intergouvernemental.


7      Arrêt du 15 janvier 2019, E.B. (C‑258/17, EU:C:2019:17, point 40 et jurisprudence citée).


8      Voir considérant 37 de la directive 2000/78 et arrêt du 17 juillet 2008, Coleman (C‑303/06, EU:C:2008:415, point 47).


9      Considérant 28 de la directive 2000/78.


10      Voir considérant 15 de la directive 2000/78 et arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 42).


11      Voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 25). Dès lors que les propos qui ont été relatés n’indiquent pas clairement quelle aurait été la position de NH s’il s’était agi d’engager une personne bisexuelle, transsexuelle ou intersexuée, par « autre personne », il faut entendre ici « une personne dont l’orientation sexuelle apparente serait hétérosexuelle ». Quant au point de savoir si l’orientation sexuelle d’une personne peut être reconnue à son apparence et si des questions posées à cette personne durant un entretien lui arracheraient (ou pourraient, ou devraient lui arracher) des éléments permettant de déduire cette orientation, ce sont là des questions qui ne relèvent pas de la présente affaire et je ne les examinerai pas plus avant.


12      Voir, entre autres, arrêt du 11 juillet 2006, Chacón Navas (C‑13/05, EU:C:2006:456, point 40 et jurisprudence citée).


13      Arrêt du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 47).


14      Arrêt du 22 novembre 2005, Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709, point 74).


15      Considérant 9 et article 1er de la directive 2000/78.


16      Voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C‑83/14, EU:C:2015:480, point 42 et jurisprudence citée). Cet arrêt concerne la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO 2000, L 180, p. 22). Le champ d’application de la directive 2000/43 est différent de celui de la directive 2000/78, étant donné que la première concerne la discrimination dans un grand nombre de domaines, comme l’indique son article 3, paragraphe 1, sous a) à h), tandis que la seconde concerne seulement la discrimination en matière d’emploi et de travail, comme l’indique son article 3, paragraphe 1, sous a) à d). Cela étant, la Cour s’est déjà utilement inspirée de sa jurisprudence relative à la directive 2000/43 pour interpréter la directive 2000/78 : voir par exemple arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275).


17      Voir l’explication de l’article 3, qui définit le champ d’application de la directive, dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, C 177 E, p. 42, ci‑après l’« exposé des motifs de la proposition de directive »), mise en évidence par mes soins.


18      Considérant 9 de la directive 2000/78.


19      Cette définition de l’accès figure dans le Dictionnaire de l’Académie française. Le Petit Robert propose « possibilité d’aller, de pénétrer dans un lieu, d’entrer », « voie qui permet d’entrer », « possibilité d’approcher » ; le Trésor de la langue française indique « action ou possibilité d’accéder », « moyen, voie permettant d’arriver à un lieu ». Ces définitions correspondent mutatis mutandis aux définitions du terme « access » figurant dans les conclusions originales en langue anglaise.


20      Conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Coleman (C‑303/06, EU:C:2008:61, point 11).


21      Voir à cet égard arrêt du 13 juillet 1995, Meyers (C‑116/94, EU:C:1995:247, point 22). Voir aussi Ellis, E., et Watson, P., EU Anti-Discrimination Law, Oxford University Press, 2012, p. 287.


22      Arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, points 15, 16, 25 et 31).


23      Arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, points 24, 25 et 52). Le fait que le club de football n’avait pas engagé de négociations en vue de recruter le joueur X ressort indirectement du point 52 de l’arrêt.


24      Arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, points 45 et 49 à 52). Je note que la Cour a décidé de se passer des conclusions d’un avocat général pour traiter cette affaire.


25      Cette approche de la charge de la preuve me semble conforme à l’article 10 de la directive 2000/78 qui dispose : « Les États membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non‑respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. »


26      Conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:155, point 15).


27      Voir point 33 des présentes conclusions. Étant donné que la demande de décision préjudicielle est présentée par une juridiction suprême dans une procédure en cassation, il est possible que l’affaire doive être renvoyée à la juridiction de degré inférieur pour un complément d’instruction.


28      Arrêt du 6 mars 2001, Connolly/Commission (C‑274/99 P, EU:C:2001:127, point 39).


29      Voir le libellé de l’article 10 de la CEDH ; voir aussi arrêt du 6 mars 2001, Connolly/Commission (C‑274/99 P, EU:C:2001:127, point 40).


30      Voir, entre autres, arrêt du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a. (C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 38). Le libellé de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte est largement inspiré de la jurisprudence antérieure de la Cour (voir, entre autres, arrêt du 13 avril 2000, Karlsson e.a., C‑292/97, EU:C:2000:202, point 45), laquelle puise elle‑même à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Voir Lenaerts, K., « Exploring the limits of the EU Charter of Fundamental Rights », European Constitutional Law Review, 2012, 8(3), 375‑403.


31      Voir par analogie, pour une analyse de ces facteurs, arrêt du 17 octobre 2013, Schwarz (C‑291/12, EU:C:2013:670, points 34 et suiv.).


32      L’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que, dans la mesure où celle‑ci contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de ces instruments, mais aussi par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de justice de l’Union européenne. Voir Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17).


33      Cour EDH, 9 février 2012, Vejdeland et autres c. Suède (CE:ECHR:2012:0209JUD000181307, § 47 à 60).


34      Voir point 33 des présentes conclusions.


35      Arrêt du 13 septembre 2011, Prigge e.a. (C‑447/09, EU:C:2011:573, point 55).


36      Arrêt du 22 janvier 2019, Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2019:43, points 54 et 55).


37      Voir, par analogie, mes conclusions dans l’affaire Bougnaoui et ADDH (C‑188/15, EU:C:2016:553, points 104 et 105) (mise en italique par mes soins).


38      Arrêt du 8 mai 2019, Leitner (C‑396/17, EU:C:2019:375, point 61).


39      Voir considérant 9 de la directive 2000/78 et, par analogie, arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 24).


40      Voir considérant 28 de la directive 2000/78 et exposé des motifs de la proposition de directive.


41      Arrêt du 8 juillet 2010, Bulicke (C‑246/09, EU:C:2010:418, point 43).


42      Arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, points 24, 30, 36 et 37).


43      Arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, points 15 à 17 et 25 à 28).


44      Arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 37).


45      Arrêt du 8 juillet 2010, Bulicke (C‑246/09, EU:C:2010:418, point 24), mais concernant la question particulière des délais pour agir au titre de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2000/78.


46      Arrêt du 10 juillet 2014, Julián Hernández e.a. (C‑198/13, EU:C:2014:2055).


47      Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO 2008, L 283, p. 36).


48      Arrêt du 10 juillet 2014, Julián Hernández e.a. (C‑198/13, EU:C:2014:2055, points 44 et 45).


49      La législation nationale en cause dans cette affaire avait pour objet non pas la reconnaissance au salarié d’une créance résultant de ses relations de travail et existant à l’égard de son employeur (à laquelle la directive 2008/94 était susceptible de s’appliquer en vertu de son article 1er, paragraphe 1), mais celle d’un droit d’une autre nature, à savoir celui de l’employeur de demander à l’État espagnol l’indemnisation du préjudice subi en raison d’un « fonctionnement anormal » de l’administration judiciaire : voir point 39 de l’arrêt.


50      Arrêt du 8 juillet 2010, Bulicke (C‑246/09, EU:C:2010:418, point 25).


51      Arrêt du 8 juillet 2010, Bulicke (C‑246/09, EU:C:2010:418, points 26 et 28).


52      Arrêt du 8 juillet 2010, Bulicke (C‑246/09, EU:C:2010:418, point 35).


53      La vaste jurisprudence de la Cour sur le locus standi (qualité pour agir) des organisations non gouvernementales dans des affaires d’environnement (et les dispositions spécifiques de la convention d’Aarhus qui accordent la qualité pour agir à ces organisations) nous procurent un parallèle utile à cet égard. Voir, entre autres, arrêts du 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation (C‑664/15, EU:C:2017:987, points 34 et suiv.), et du 15 octobre 2009, Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening (C‑263/08, EU:C:2009:631).


54      JO 2013, L 201, p. 60.


55      Arrêt du 15 septembre 2016, Koninklijke KPN e.a. (C‑28/15, EU:C:2016:692, point 41).


56      Les éléments présentés à la Cour n’indiquent pas comment l’Associazione est financée ni quels montants elle aurait (le cas échéant) obtenus pour elle‑même (indépendamment des montants obtenus pour les clients LGBTI pour le compte desquels elle agissait) lorsqu’elle a eu gain de cause dans des affaires.


57      Arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 62). Voir aussi, s’agissant de la disposition parallèle prévue à l’article 15 de la directive 2000/43, arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 40).


58      Arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 63 et jurisprudence citée).


59      Arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept (C‑81/12, EU:C:2013:275, point 64).


60      Arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, points 38 et 39).