Language of document : ECLI:EU:C:2012:254

ORDONNANCE DE LA COUR (cinquième chambre)

26 avril 2012 (*)

«Pourvoi – Marque communautaire – Règlement (CE) n° 40/94 – Article 7, paragraphe 1, sous b) – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif – Signe figuratif représentant un chevron bordé de pointillés»

Dans l’affaire C‑307/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 20 juin 2011,

Deichmann SE, établie à Essen (Allemagne), représentée par Me O. Rauscher, Rechtsanwalt,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mme K. Klüpfel, en qualité d’agent,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. A. Borg Barthet (rapporteur) et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Deichmann SE demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 avril 2011, Deichmann/OHMI (Représentation d’un chevron bordé de pointillés) (T-202/09, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), du 3 avril 2009 (affaire R 224/2007-4), concernant une demande d’enregistrement comme marque communautaire d’une marque figurative représentant une bande en angle avec des lignes pointillées (ci-après la «décision litigieuse»).

 Le cadre juridique

2        Le règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), qui est entré en vigueur le 13 avril 2009. Néanmoins, compte tenu de la date à laquelle la demande d’enregistrement a été introduite, le présent litige demeure régi par le règlement n° 40/94.

3        L’article 7 du règlement n° 40/94, intitulé «Motifs absolus de refus», dispose à son paragraphe 1:

«Sont refusés à l’enregistrement:

a)      […]

b)      les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

c)      les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;

[...]»

4        L’article 74, paragraphe 1, dudit règlement prévoit:

«Au cours de la procédure, l’[OHMI] procède à l’examen d’office des faits; toutefois, dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement, l’examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties.»

 Les faits à l’origine du litige

5        Le 11 mai 2006, l’OHMI a reçu notification de l’enregistrement international n° W00881226 concernant une marque figurative enregistrée le 23 janvier 2006 auprès du Deutsches Patent- und Markenamt (Office allemand des brevets et des marques) et représentant une bande en angle avec des lignes pointillées (ci-après la «marque en cause») telle que reproduite ci-dessous:

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6        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été sollicité relèvent des classes 10 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante:

–        ­classe 10: «Chaussures orthopédiques»;

–        classe 25: «Chaussures».

7        Par décision du 22 janvier 2007, l’examinateur de l’OHMI a rejeté la demande d’enregistrement de la marque en cause au motif qu’elle est dépourvue de caractère distinctif.

8        Le 2 février 2007, la requérante a formé un recours devant l’OHMI contre ladite décision de l’examinateur.

9        Par la décision litigieuse, la quatrième chambre de recours de l’OHMI a rejeté ce recours au motif que la marque en cause est dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 mai 2009, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

11      À l’appui de son recours, la requérante a soulevé un moyen unique, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Par ce moyen, cette société soutenait que la chambre de recours a commis une erreur d’appréciation en ce qui concerne le caractère distinctif de la marque en cause.

12      Le Tribunal a tout d’abord, au point 25 de l’arrêt attaqué, rappelé la jurisprudence constante selon laquelle les marques visées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 sont celles qui sont réputées incapables d’exercer la fonction essentielle de la marque, à savoir celle d’identifier l’origine commerciale du produit ou du service en cause afin de permettre ainsi au consommateur qui acquiert le produit ou le service désigné par la marque de faire, lors d’une acquisition ultérieure, le même choix si l’expérience s’avère positive ou de faire un autre choix si elle s’avère négative.

13      Il a également relevé, au point 26 de l’arrêt attaqué, que le caractère distinctif d’une marque doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement ou la protection de la marque est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen de ces produits ou de ces services.

14      Le Tribunal a, ensuite, procédé à l’appréciation du caractère distinctif de la marque en cause. Aux points 29 et 30 de l’arrêt attaqué, il a entériné l’analyse de la chambre de recours selon laquelle cette marque se présentait comme une applique sur une chaussure, qu’elle ne comportait aucun trait caractéristique pertinent la distinguant suffisamment de celles utilisées par d’autres entreprises ou habituellement utilisées dans le secteur de la chaussure et que la forme proposée de ladite marque ne divergeait pas de manière significative des formes de base des produits de ce secteur.

15      Le Tribunal a alors constaté, au point 32 de l’arrêt attaqué, que la pratique consistant à utiliser des appliques décoratives ou de renforcement est notoire dans le secteur de la chaussure. À cet égard, le Tribunal, en se fondant sur une jurisprudence bien établie, a rappelé que, lorsque la chambre de recours conclut à l’absence de caractère distinctif intrinsèque de la marque en cause, elle peut fonder son analyse sur des faits résultant de l’expérience pratique généralement acquise de la commercialisation de produits de large consommation, lesquels faits sont susceptibles d’être connus de toute personne et sont notamment connus des consommateurs de ces produits.

16      Le Tribunal a également souligné, au point 33 de l’arrêt attaqué, que la marque en cause constitue une forme simple et banale qui ne diverge pas significativement des formes communément utilisées dans le secteur de la chaussure et que les lignes discontinues figurant dans cette forme correspondent à la représentation des points de couture tels qu’ils apparaîtraient si cette marque était cousue sur la chaussure.

17      Le Tribunal en a conclu, aux points 34 et 35 de l’arrêt attaqué, que la marque en cause ne présente aucune caractéristique susceptible d’attirer l’attention du public pertinent et de la distinguer d’autres appliques sur des chaussures et ne saurait ainsi être appréhendée immédiatement comme une indication de l’origine commerciale des produits désignés. Cette marque sera ainsi exclusivement perçue comme un élément décoratif ou de renforcement pour les produits désignés et ne permettra pas au public pertinent d’identifier l’origine commerciale de ceux-ci.

18      Le Tribunal a également confirmé, au point 37 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours n’avait pas à présenter des preuves tendant à démontrer l’utilisation usuelle de la marque en cause pour conclure que celle-ci était dépourvue de caractère distinctif. En effet, l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 impose d’analyser le caractère distinctif d’une marque en dehors de tout usage effectif au sens du paragraphe 3 du même article.

19      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours se serait appuyée sur les seuls principes établis aux fins de l’appréciation du caractère distinctif de marques tridimensionnelles constituées exclusivement par la forme du produit qu’elles désignent, le Tribunal a considéré, au point 38 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours s’est fondée sur l’absence de caractère distinctif intrinsèque de la marque en cause en raison du caractère banal des points de couture et au motif que la forme angulaire de cette marque est très simple, ne possède pas de trait caractéristique et ne contient aucun élément considéré comme «attirant pour l’œil».

20      Le Tribunal a également rappelé, aux points 40 et 41 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence selon laquelle, dans la mesure où les consommateurs moyens n’ont pas l’habitude de présumer l’origine commerciale des produits en se fondant sur des signes qui se confondent avec l’aspect de ces mêmes produits, de tels signes sont distinctifs, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, seulement s’ils divergent, de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur. Le fondement de cette jurisprudence dépend non pas de la qualification du signe litigieux de signe figuratif, tridimensionnel ou autre, mais bien du fait que celui-ci se confond avec l’aspect du ou des produits désignés.

21      Ainsi, au point 43 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, en raison de sa forme en angle droit et de la représentation des points de couture, la marque en cause pourrait constituer une applique de renforcement ou simplement décorative, que ce soit sur la pointe, le dessus, les côtés ou le talon de la chaussure, et qu’elle ne diverge donc nullement de la norme ou des habitudes du secteur de la chaussure.

22      Au point 47 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ainsi conclu, en se fondant sur la jurisprudence en la matière, qu’il ne saurait être reproché à la chambre de recours d’avoir fondé son examen de la marque en cause sur l’utilisation la plus probable de celle-ci, à savoir celle en tant qu’applique décorative ou de renforcement sur des chaussures.

23      Aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, pour les mêmes raisons, ne peut être retenu l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours devait tenir compte des autres possibilités d’utilisation de la marque en cause. Le Tribunal a considéré que, dans au moins l’une des façons d’utiliser celle-ci, à savoir son utilisation comme une applique décorative ou de renforcement sur des chaussures, la marque n’est pas utilisée comme une indication de l’origine commerciale des produits.

24      Le Tribunal a également précisé, au point 50 de l’arrêt attaqué, qu’il appartient à la requérante de fournir des indications concrètes et étayées établissant que la marque en cause est dotée soit d’un caractère distinctif intrinsèque, soit d’un caractère distinctif acquis par l’usage.

25      Le Tribunal a en outre rejeté, au point 52 de l’arrêt attaqué, l’argument de la requérante selon lequel, s’agissant de chaussures de sport et de loisirs, le consommateur se déterminerait quasi exclusivement en fonction des signes reconnaissables sur les chaussures, au motif que la liste des produits visés par la marque en cause mentionne les «chaussures orthopédiques» et les «chaussures» au sens générique du terme et que, en conséquence, les arguments spécifiques aux seules chaussures de sport et de loisirs sont sans pertinence en l’espèce.

26      Le Tribunal a dès lors conclu, au point 54 dudit arrêt, que c’est à bon droit que la chambre de recours avait considéré que la marque en cause est dépourvue du caractère distinctif minimal requis pour échapper au motif absolu de refus prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

27      Le Tribunal a, par conséquent, rejeté le recours dans son ensemble.

 Les conclusions des parties

28      Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse, et

–        de condamner l’OHMI aux dépens exposés par elle tant dans le cadre de la procédure de pourvoi que devant le Tribunal.

29      L’OHMI demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

30      En vertu de l’article 119 de son règlement de procédure, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, le rejeter totalement ou partiellement par voie d’ordonnance motivée, et ce sans ouvrir la procédure orale.

31      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque trois moyens tirés, premièrement, d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, deuxièmement, du défaut de prise en compte des habitudes de marquage notoires dans le domaine des chaussures de sport ainsi que de loisirs et, troisièmement, de la violation de l’article 74, paragraphe 1, du même règlement.

 Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi

32      Les deux premiers moyens du pourvoi étant fondés sur des arguments étroitement liés, il convient de les examiner ensemble.

 Argumentation des parties

33      Par son premier moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir fait une interprétation erronée de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 en tant qu’il a considéré que la simple possibilité ou la probabilité d’une utilisation dépourvue de caractère distinctif de la marque en cause suffirait pour refuser de reconnaître à celle-ci un caractère distinctif.

34      Or, ce serait l’inverse qui est vrai. En effet, cela résulterait de la comparaison entre le libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 et celui du même paragraphe, sous c). Selon cette dernière disposition, pour qu’une marque soit refusée à l’enregistrement, il suffirait qu’elle puisse servir à la description des caractéristiques des produits ou des services et, donc, qu’une utilisation descriptive soit possible, alors que ledit paragraphe 1, sous b), ne contiendrait pas un tel élément de potentialité et, par conséquent, une marque, pour être refusée, devrait être dépourvue de caractère distinctif dans tous les cas.

35      Au soutien de son argumentation, la requérante fait valoir que les tribunaux allemands interprètent en ce sens l’article 8, paragraphe 1, point 1, du Markengesetz, qui transpose l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), disposition qui correspond à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

36      Par conséquent, la marque dont l’enregistrement est demandé serait comprise par le public comme une indication de l’origine commerciale lorsqu’elle est apposée à un emplacement où les marques des chaussures orthopédiques et des chaussures sont habituellement reproduites. Pour les chaussures, ce serait notamment le cas lorsque le signe est apposé «sur la partie arrière du milieu de la semelle de propreté». Compte tenu du fait que cette marque ne décrirait pas les produits visés et ne reproduirait pas une forme géométrique simple, habituelle ou usuelle, le caractère distinctif requis ne pourrait lui être refusé.

37      La requérante conclut que la marque en cause ne peut se voir refuser l’enregistrement pour le motif qu’elle ne divergerait pas significativement des appliques décoratives ou de renforcement des chaussures communément utilisées dans ce secteur. La supposition du Tribunal selon laquelle cette marque serait constituée par la représentation bidimensionnelle d’un élément du produit lui-même serait donc dépourvue de fondement. La possibilité présumée d’une utilisation donnée ne constituerait pas un critère devant être pris en considération pour l’appréciation du caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

38      Par son deuxième moyen, la requérante soutient que la conclusion du Tribunal, selon laquelle les habitudes de marquage se limitent pour l’essentiel aux chaussures de sport et de loisirs, n’empêche pas de reconnaître à une marque l’existence d’un caractère distinctif, dans la mesure où il existe alors, en pratique, une possibilité significative évidente d’une utilisation pourvue de caractère distinctif, une telle possibilité résultant notamment d’une utilisation des faces extérieures de ces chaussures.

39      L’OHMI soutient, à titre liminaire, que le premier moyen doit être rejeté comme irrecevable en soutenant, tout d’abord, qu’il vise à obtenir une nouvelle appréciation des faits, ensuite, que la requérante invoque des faits nouveaux en faisant référence à des décisions des tribunaux allemands et, enfin, que les juges de l’Union ne sont pas liés par l’interprétation de la législation nationale effectuée par les tribunaux des États membres.

40      En outre, l’OHMI invoque l’irrecevabilité de l’argument de la requérante relatif à la supposition du Tribunal selon laquelle la marque est constituée par la représentation bidimensionnelle d’un élément du produit, une telle supposition constituant une appréciation des faits déjà effectuée par la chambre de recours et confirmée par le Tribunal et qui, dès lors, ne peut plus être invoquée au stade du pourvoi.

41      S’agissant de l’examen du premier moyen quant au fond, l’OHMI fait valoir qu’il doit être rejeté comme non fondé dans la mesure où le Tribunal a jugé à bon droit que le fait que, en fonction de son utilisation, la marque en cause peut aussi être perçue comme une indication de l’origine commerciale des produits marqués ne change rien à la circonstance que cela n’est pas le cas pour au moins l’une de ses utilisations, qui est aussi la plus probable, à savoir en tant qu’applique décorative sur des chaussures, une telle utilisation étant suffisante pour dénier tout caractère distinctif à cette marque.

42      En effet, il serait sans importance qu’une marque puisse avoir un caractère distinctif dans l’une de ses utilisations potentielles, mais il suffirait au contraire qu’elle ne possède pas de caractère distinctif dans l’une de ses formes d’utilisation possibles et plausibles pour qu’elle soit exclue de la protection sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

43      En ce qui concerne le deuxième moyen invoqué par la requérante au soutien de son pourvoi, relatif aux habitudes de marquage dans le domaine des chaussures de sport et de loisirs, l’OHMI estime que ce moyen est irrecevable en raison du fait qu’il s’agit d’une pure et simple répétition d’arguments déjà invoqués devant le Tribunal et du fait que l’examen de ce moyen implique de procéder à une appréciation de preuves liées aux faits.

44      Sur le fond, l’OHMI soutient que l’examen du caractère distinctif devrait être effectué sur la base de la liste intégrale des produits pour lesquels l’enregistrement est demandé et que, partant, un examen ne portant que sur les seules chaussures de sport et de loisirs ne saurait être pertinent.

 Appréciation de la Cour

45      En ce qui concerne le premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal aurait fait une interprétation erronée de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, en considérant que la simple possibilité ou la probabilité d’une utilisation dépourvue de caractère distinctif de la marque en cause suffit pour refuser de lui reconnaître un caractère distinctif. La requérante soutient la thèse inverse, fondée sur une comparaison du libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 avec celui du même paragraphe 1, sous c).

46      Force est de constater que les signes descriptifs visés à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 sont, également, dépourvus de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement. À l’inverse, un signe peut être dépourvu de caractère distinctif au sens dudit article 7, paragraphe 1, sous b), pour des raisons autres que son éventuel caractère descriptif (voir arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C-51/10 P, non encore publié au Recueil, point 46).

47      Il existe donc un certain chevauchement entre le champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 et celui de cet article 7, paragraphe 1, sous c), la première de ces dispositions se distinguant toutefois de la seconde en ce qu’elle couvre l’ensemble des circonstances dans lesquelles un signe n’est pas de nature à distinguer les produits ou services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises (voir arrêt Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, précité, point 47).

48      L’interprétation de la requérante, selon laquelle l’article 7, paragraphe 1, sous b), et l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94, se distingueraient par le fait que le second impliquerait un élément de potentialité qui serait inexistant pour le premier, est inexacte. En effet, la différence entre les conditions d’application des cas de motifs absolus de refus d’enregistrement tels que prévus par l’article 7, paragraphe 1, sous b), et l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 ne réside pas, ainsi qu’il vient d’être rappelé aux points 46 et 47 de la présente ordonnance, dans l’existence d’un élément de potentialité dans l’une de ces dispositions, mais dans l’étendue de leur champ d’application.

49      De surcroît, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif. En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, le caractère distinctif d’une marque au sens de cette disposition signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir, notamment, arrêts du 29 avril 2004, C-473/01 P et C-474/01 P, The Procter & Gamble Company/OHMI, Rec. p. I-05173, point 32, ainsi que du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, Rec. p. I‑535, point 33).

50      Il résulte d’une jurisprudence également constante que le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen desdits produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, notamment, arrêts du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C-456/01 P et C‑457/01 P, Rec. p. I-5089, point 35; du 12 janvier 2006, Deutsche SiSi-Werke/OHMI, C-173/04 P, Rec. p. I‑551, point 25, et du 22 juin 2006, Storck/OHMI, C-25/05 P, Rec. p. I-5719, point 25).

51      En l’espèce, le Tribunal a, conformément à cette jurisprudence, apprécié l’absence de caractère distinctif de la marque en cause par rapport, d’une part, aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement de celle-ci est demandé, à savoir pour des chaussures orthopédiques ainsi que des chaussures, et, d’autre part, par rapport à la perception que le public pertinent, constitué, en l’espèce, de consommateurs moyens, a de cette marque.

52      Notamment, aux points 33 et 34 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, confirmant les appréciations factuelles de la chambre de recours, a considéré que la marque en cause constitue une forme simple et banale qui ne diverge pas significativement des formes communément utilisées dans le secteur de la chaussure, que les lignes discontinues figurant dans cette forme correspondent à la représentation des points de couture tels qu’ils apparaîtraient si la marque en cause était cousue sur la chaussure et que la marque en cause sera exclusivement perçue comme un élément décoratif ou de renforcement pour les produits désignés.

53      Ayant établi de la sorte que la marque demandée ne diverge pas de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur de la chaussure le Tribunal a pu conclure, sans commettre d’erreur de droit, à l’absence de caractère distinctif de ladite marque.

54      Au point 47 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté, en substance, que, en l’espèce, il était «loisible» à la chambre de recours de fonder son examen de la marque en cause sur l’utilisation la plus probable de celle-ci, à savoir celle en tant qu’applique décorative ou de renforcement sur des chaussures.

55      Contrairement à ce que soutient la requérante, l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, ne saurait être interprété en ce sens qu’il oblige l’OHMI à faire porter l’examen concret du caractère distinctif qui lui incombe sur des utilisations de la marque demandée autres que celle que celui-ci identifie, à l’aide de son expertise dans le domaine, comme étant la plus probable.

56      Il ressort ainsi des motifs de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit dans son interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

57      S’agissant des arrêts des tribunaux allemands invoqués au soutien de l’argumentation de la requérante, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le régime communautaire des marques est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national. Par conséquent, le caractère enregistrable d’un signe en tant que marque communautaire ne doit être apprécié que sur le fondement de la réglementation pertinente de l’Union, tel qu’il est interprété par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, American Clothing Associates/OHMI et OHMI/American Clothing Associates, C-202/08 P et C-208/08 P, Rec. p. I-6933, point 58). Dès lors, l’OHMI et, le cas échéant, le juge de l’Union ne sont pas liés par une jurisprudence des tribunaux d’un État membre selon laquelle pour admettre le caractère distinctif d’une marque demandée il suffit qu’il y ait des possibilités importantes et évidentes d’utiliser le signe demandé de telle manière qu’il soit facilement perçu par le public comme une marque.

58      En tout état de cause, conformément aux articles 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est dès lors seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue dès lors pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêt American Clothing Associates/OHMI et OHMI/American Clothing Associates, précité, point 53, ainsi que ordonnance du 7 décembre 2011, Deutsche Bahn/OHMI, C-45/11 P, point 46).

59      Ainsi, l’argument de la requérante selon lequel le Tribunal a supposé que la marque est constituée par la représentation bidimensionnelle d’un élément du produit lui-même a pour objet d’obtenir que la Cour réexamine les appréciations portées par le Tribunal quant aux faits et aux preuves et est donc irrecevable, sauf à établir que ces faits ou preuves ont été dénaturés par ce dernier, ce qu’elle n’a pas démontré ni même allégué dans son pourvoi.

60      En ce qui concerne le deuxième moyen, le Tribunal, au point 52 de l’arrêt attaqué, a jugé à bon droit que le fait que le consommateur pourrait se déterminer, pour les chaussures de sport et de loisirs, quasi exclusivement en fonction de signes reconnaissables sur les chaussures est dépourvu de pertinence pour la reconnaissance d’un caractère distinctif de la marque en cause, dans la mesure où l’enregistrement était demandé pour les «chaussures orthopédiques» et les «chaussures» au sens générique du terme. Ce moyen doit donc être écarté.

61      Par conséquent, les premier et deuxième moyens invoqués par la requérante au soutien de son pourvoi doivent être rejetés comme partiellement irrecevables et partiellement non fondés.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

62      Par son troisième moyen, la requérante invoque une violation de l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, tirée de ce que le Tribunal aurait dû sanctionner l’OHMI pour ne pas avoir examiné les habitudes de marquage notoires dans le domaine des chaussures de sport et de loisirs dans le cadre du principe de l’examen d’office.

63      En outre, la requérante estime que, selon cette même disposition, il ne lui incomberait pas d’établir que la marque en cause revêt un caractère distinctif.

64      L’OHMI soutient que ce moyen est irrecevable dès lors qu’il n’a pas été invoqué devant le Tribunal.

 Appréciation de la Cour

65      Il convient de relever que, en vertu d’une jurisprudence constante, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Or, dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges (voir, notamment, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 59; du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec. p. I-3111, point 62, ainsi que du 7 novembre 2002, Glencore et Compagnie Continentale/Commission, C-24/01 P et C-25/01 P, Rec. p. I-10119, point 62; ordonnance du 16 septembre 2010, Rajani/OHMI, C-559/08 P V, point 66, et arrêt du 13 janvier 2011, Media-Saturn-Holding/OHMI, C-92/10 P V, point 39).

66      Dès lors qu’il est constant que, par son troisième moyen, la requérante soulève un moyen nouveau, celui-ci doit, par conséquent, être rejeté comme manifestement irrecevable.

67      Il découle de tout ce qui précède qu’aucun des moyens invoqués par Deichmann au soutien de son pourvoi ne saurait être accueilli et, partant, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

68      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, tout partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant conclu à la condamnation de la requérante et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté

2)      Deichmann SE est condamnée aux dépens

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.