Language of document : ECLI:EU:C:2015:750

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

12 novembre 2015 (*)

«Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Droit exclusif de reproduction – Exceptions et limitations – Article 5, paragraphe 2, sous a) et b) – Exception de reprographie – Exception de copie privée – Exigence de cohérence dans l’application des exceptions – Notion de ‘compensation équitable’ – Perception d’une rémunération au titre de la compensation équitable sur les imprimantes multifonctions – Rémunération proportionnelle – Rémunération forfaitaire – Cumul de rémunérations forfaitaire et proportionnelle – Mode de calcul – Bénéficiaires de la compensation équitable – Auteurs et éditeurs – Partitions»

Dans l’affaire C‑572/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique), par décision du 23 octobre 2013, parvenue à la Cour le 8 novembre 2013, dans la procédure

Hewlett‑Packard Belgium SPRL

contre

Reprobel SCRL,

en presence de:

Epson Europe BV,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), M. Safjan, Mmes A. Prechal et K. Jürimäe, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 janvier 2015,

considérant les observations présentées:

–        pour Hewlett‑Packard Belgium SPRL, par Me T. van Innis, avocat,

–        pour Reprobel SCRL, par Mes A. Berenboom, J.‑F. Puyraimond, P. Callens, D. De Marez et T. Baumé, avocats,

–        pour Epson Europe BV, par Mes B. Van Asbroeck, E. Cottenie et J. Debussche, avocats,

–        pour le gouvernement belge, par MM. J.‑C. Halleux et T. Materne, en qualité d’agents, assistés de Me F. de Visscher, avocat,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour l’Irlande, par Mmes E. Creedon et E. McPhillips ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de M. J. Bridgman, BL,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et T. Rendas, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes J. Hottiaux et J. Samnadda, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 juin 2015,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hewlett‑Packard Belgium SPRL (ci‑après «Hewlett‑Packard») à Reprobel SCRL (ci‑après «Reprobel»), au sujet de sommes réclamées par cette dernière à Hewlett‑Packard, correspondant à la compensation équitable due au titre d’exceptions au droit de reproduction.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 31, 32, 35 et 37 de la directive 2001/29 sont libellés comme suit:

«(31) Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles‑ci et les utilisateurs d’objets protégés. Les exceptions et limitations actuelles aux droits, telles que prévues par les États membres, doivent être réexaminées à la lumière du nouvel environnement électronique. Les disparités qui existent au niveau des exceptions et des limitations à certains actes soumis à restrictions ont une incidence négative directe sur le fonctionnement du marché intérieur dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins. Ces disparités pourraient s’accentuer avec le développement de l’exploitation des œuvres par‑delà les frontières et des activités transfrontalières. Pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, ces exceptions et limitations doivent être définies de façon plus harmonieuse. Le degré d’harmonisation de ces exceptions doit être fonction de leur incidence sur le bon fonctionnement du marché intérieur.

(32)      La présente directive contient une liste exhaustive des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public. Certaines exceptions ou limitations ne s’appliquent qu’au droit de reproduction, s’il y a lieu. La liste tient dûment compte de la diversité des traditions juridiques des États membres tout en visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Les États membres appliquent ces exceptions et limitations de manière cohérente et la question sera examinée lors d’un futur réexamen des dispositions de mise en œuvre.

[...]

(35)      Dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l’utilisation faite de leurs œuvres ou autres objets protégés. Lors de la détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle compensation équitable, il convient de tenir compte des circonstances propres à chaque cas. Pour évaluer ces circonstances, un critère utile serait le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. Dans le cas où des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par exemple en tant que partie d’une redevance de licence, un paiement spécifique ou séparé pourrait ne pas être dû. Le niveau de la compensation équitable doit prendre en compte le degré d’utilisation des mesures techniques de protection prévues à la présente directive. Certains cas où le préjudice au titulaire du droit serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement.

[...]

(37)      Les régimes nationaux qui peuvent exister en matière de reprographie ne créent pas de barrières majeures pour le marché intérieur. Les États membres doivent être autorisés à prévoir une exception ou une limitation en ce qui concerne la reprographie.»

4        Selon l’article 2 de la directive 2001/29:

«Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie:

a)      pour les auteurs, de leurs œuvres;

b)      pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions;

c)      pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes;

d)      pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films;

e)      pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.»

5        L’article 5, paragraphe 2, de la directive 2001/29 dispose:

«Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants:

a)      lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur papier ou sur support similaire au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires, à l’exception des partitions, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable;

b)      lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non‑application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés;

[...]»

6        Aux termes de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive:

«Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.»

 Le droit belge

7        L’article 1er, paragraphe 1, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins (Moniteur belge du 27 juillet 1994, p. 19297), dans sa version applicable au litige au principal (ci‑après la «LDA»), dispose:

«L’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique a seul le droit de la reproduire ou d’en autoriser la reproduction, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit, qu’elle soit directe ou indirecte, provisoire ou permanente, en tout ou en partie.

[...]»

8        L’article 22, paragraphe 1, de la LDA prévoit:

«Lorsque l’œuvre a été licitement publiée, l’auteur ne peut interdire:

[...]

4°      la reproduction fragmentaire ou intégrale d’articles ou d’œuvres plastiques ou celle de courts fragments d’autres œuvres fixées sur un support graphique ou analogue, lorsque cette reproduction est effectuée dans un but strictement privé et ne porte pas préjudice à l’exploitation normale de l’œuvre;

4° bis la reproduction fragmentaire ou intégrale d’articles ou d’œuvres plastiques ou celle de courts fragments d’autres œuvres fixées sur un support graphique ou analogue lorsque cette reproduction est effectuée à des fins d’illustration de l’enseignement ou de recherche scientifique dans la mesure justifiée par le but non lucratif poursuivi et ne porte pas préjudice à l’exploitation normale de l’œuvre [...]

5°      les reproductions des œuvres sonores et audiovisuelles effectuées dans le cercle de famille et réservées à celui‑ci.»

9        Les articles 59 à 61 de la LDA prévoient:

«Article 59

Les auteurs et les éditeurs d’œuvres fixées sur un support graphique ou analogue ont droit à une rémunération en raison de la reproduction de celles‑ci, y compris dans les conditions fixées aux articles 22, § 1er, 4° et 4° bis […]

La rémunération est versée par le fabricant, l’importateur ou l’acquéreur intracommunautaire d’appareils permettant la copie des œuvres protégées, lors de la mise en circulation de ces appareils sur le territoire national.

Article 60

En outre, une rémunération proportionnelle, déterminée en fonction du nombre de copies réalisées, est due par les personnes physiques ou morales qui réalisent des copies d’œuvres, ou le cas échéant, à la décharge des premières, par celles qui tiennent à titre onéreux ou gratuit un appareil de reproduction à la disposition d’autrui.

Article 61

Le Roi fixe le montant des rémunérations visées aux articles 59 et 60, par arrêté délibéré en Conseil des ministres. La rémunération visée à l’article 60 peut être modulée en fonction des secteurs concernés.

Il fixe les modalités de perception, de répartition et de contrôle de ces rémunérations ainsi que le moment où elles sont dues.

Sous réserve des conventions internationales, les rémunérations prévues aux articles 59 et 60 sont attribuées à part égale aux auteurs et aux éditeurs.

Selon les conditions et les modalités qu’Il fixe, le Roi charge une société représentative de l’ensemble des sociétés de gestion des droits d’assurer la perception et la répartition de la rémunération.»

10      Les montants de la rémunération forfaitaire et de la rémunération proportionnelle, visées aux articles 59 et 60 de la LDA, sont fixés aux articles 2, 4, 8 et 9 de l’arrêté royal du 30 octobre 1997 relatif à la rémunération des auteurs et des éditeurs pour la copie dans un but privé ou didactique des œuvres fixées sur un support graphique ou analogue (ci‑après l’«arrêté royal»). Ces articles prévoient:

«Article 2

§ 1er      Le montant de la rémunération forfaitaire applicable aux copieurs est fixé à:

1°      [5,01] EUR par copieur réalisant moins de 6 copies par minute;

2°      [18,39] EUR par copieur réalisant entre 6 et 9 copies par minute;

3°      [60,19] EUR par copieur réalisant entre 10 et 19 copies par minute;

4°      [195,60] EUR par copieur réalisant entre 20 et 39 copies par minute;

5°      [324,33] EUR par copieur réalisant entre 40 et 59 copies par minute;

6°      [810,33] EUR par copieur réalisant entre 60 et 89 copies minute;

7°      [1838,98] EUR par copieur réalisant plus de 89 copies par minute.

Pour fixer le montant de la rémunération forfaitaire, la vitesse noir et blanc est prise en considération, y compris pour les appareils qui réalisent des copies en couleur.

§ 2.      Le montant de la rémunération forfaitaire applicable aux duplicateurs et aux machines offset de bureau est fixé à:

1°      [324,33] EUR par duplicateur;

2°      [810,33] EUR par machine offset de bureau.

[...]

Article 4

Pour les appareils qui intègrent plusieurs fonctions correspondant aux fonctions des appareils visés aux articles 2 et 3, le montant de la rémunération forfaitaire est le montant le plus élevé parmi ceux prévus aux articles 2 et 3 qui sont susceptibles de s’appliquer à l’appareil intégré.

[...]

Article 8

À défaut de coopération du débiteur telle qu’elle est définie aux articles 10 à 12, le montant de la rémunération proportionnelle est fixé à:

1°      [0,0334] EUR par copie d’œuvre protégée;

2°      [0,0251] EUR par copie d’œuvre protégée réalisée au moyen d’appareils utilisés par un établissement d’enseignement ou de prêt public.

Les montants visés à l’alinéa premier sont multipliés par 2 pour les copies en couleur d’œuvres en couleur protégées.

Article 9

Pour autant que le débiteur ait coopéré à la perception de la rémunération proportionnelle par la société de gestion des droits, le montant de celle‑ci est fixé à:

1°      [0,0201] EUR par copie d’œuvre protégée;

2°      [0,0151] EUR par copie d’œuvre protégée réalisée au moyen d’appareils utilisés par un établissement d’enseignement ou de prêt public.

Les montants visés à l’alinéa premier sont multipliés par 2 pour les copies couleurs d’œuvres protégées couleurs.»

11      La coopération visée aux articles 8 et 9 de l’arrêté royal est définie aux articles 10 à 12 de celui‑ci. L’article 10 dispose:

«Le débiteur a coopéré à la perception de la rémunération proportionnelle lorsqu’il:

1°      a remis sa déclaration pour la période considérée à la société de gestion des droits conformément aux dispositions de la section 3;

2°      a versé à titre provisionnel à la société de gestion des droits au moment de la remise de la déclaration à celle‑ci la rémunération proportionnelle correspondant au nombre déclaré de copies d’œuvres protégées multiplié par le tarif pertinent visé à l’article 9, et;

3°      a)     soit a estimé d’un commun accord avec la société de gestion des droits avant l’expiration d’un délai de 200 jours ouvrables à dater de la réception de la déclaration par la société de gestion des droits, le nombre de copies d’œuvres protégées réalisées durant la période considérée;

b)      soit a fourni les renseignements nécessaires à l’élaboration de l’avis visé à l’article 14 pour autant que la société de gestion des droits ait demandé un avis conformément à cet article.»

12      L’article 26 de l’arrêté royal prévoit:

«§ 1er.      Au plus tard, à la fin de la deuxième année à dater de l’entrée en vigueur du présent arrêté et par la suite tous les cinq ans, la société de gestion des droits fait réaliser une étude sur la copie dans un but privé ou didactique d’œuvres fixées sur un support graphique ou analogue, en Belgique, par un organisme indépendant.

§ 2.      Cette étude aura notamment pour objet de déterminer:

1°      le nombre d’appareils utilisés et la répartition de ceux‑ci par secteur d’activités;

2°      le volume des copies réalisées au moyen de ces appareils et la répartition de ce volume par secteur d’activités;

3°      le volume de copies d’œuvres protégées fixées sur un support graphique ou analogue réalisées au moyen de ces appareils et la répartition de ce volume par secteur d’activités;

4°      la répartition du volume de copies d’œuvres protégées selon les différentes catégories d’œuvres protégées fixées sur un support graphique ou analogue;

5°      le budget affecté par les débiteurs à la reproduction dans un but privé ou didactique d’œuvres fixées sur un support graphique ou analogue ainsi que le budget affecté par les débiteurs à la rémunération pour reprographie.

[...]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Hewlett‑Packard importe en Belgique des appareils de reprographie à usage professionnel et domestique, notamment des appareils «multifonctions» dont la fonction principale est d’imprimer des documents à des vitesses variant selon la qualité d’impression.

14      Reprobel est la société de gestion qui est chargée de la perception et de la répartition des sommes correspondant à la compensation équitable au titre de l’exception de reprographie.

15      Par télécopie du 16 août 2004, Reprobel a informé Hewlett‑Packard que la vente, par celle‑ci, d’imprimantes «multifonctions» devrait entraîner, en principe, le versement d’une redevance de 49,20 euros par imprimante.

16      Les réunions organisées et les courriers échangés entre Hewlett‑Packard et Reprobel n’ayant pu aboutir à un accord sur le tarif applicable à ces imprimantes «multifonctions», Hewlett‑Packard a, par exploit du 8 mars 2010, cité Reprobel devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Elle demandait, d’une part, que cette juridiction dise pour droit qu’aucune rémunération n’était due pour les imprimantes qu’elle avait mises en vente ou, subsidiairement, que les rémunérations qu’elle avait versées correspondaient aux compensations équitables dues en application de la réglementation belge, interprétée à la lumière de la directive 2001/29. Elle demandait, d’autre part, que Reprobel soit condamnée à effectuer dans l’année, sous peine d’une astreinte de 10 millions d’euros, une étude conforme à celle visée à l’article 26 de l’arrêté royal, portant notamment sur le nombre d’imprimantes en litige et sur leur utilisation effective en tant que copieurs d’œuvres protégées et destinée à comparer cette utilisation aux utilisations effectives de tout autre appareil de reproduction d’œuvres protégées.

17      Le 11 mars 2010, Reprobel a fait citer Hewlett‑Packard devant ce même tribunal aux fins que celle‑ci soit condamnée à lui verser la somme de 1 euro à titre provisionnel sur les rémunérations qu’elle estimait dues en exécution de l’arrêté royal.

18      Le tribunal de première instance de Bruxelles a prononcé la jonction de ces deux procédures.

19      Par jugement du 16 novembre 2012, le tribunal de première instance de Bruxelles a jugé que les articles 59, premier alinéa, et 61, troisième alinéa, de la LDA étaient incompatibles avec le droit de l’Union.

20      Hewlett‑Packard et Reprobel ont interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

21      La cour d’appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les termes ‘compensation équitable’ repris à l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci doivent‑ils recevoir une interprétation différente selon que la reproduction effectuée sur papier ou sur support similaire au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires l’est par tout utilisateur ou par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales? En cas de réponse affirmative, sur quels critères cette différence d’interprétation doit‑elle se fonder?

2)      L’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci doivent‑ils être interprétés comme autorisant les États membres à fixer la compensation équitable revenant aux titulaires de droits sous la forme:

a)      d’une rémunération forfaitaire versée par le fabricant, l’importateur ou l’acquéreur intracommunautaire d’appareils permettant la copie des œuvres protégées, lors de la mise en circulation de ces appareils sur le territoire national dont le montant est uniquement calculé en fonction de la vitesse avec laquelle le copieur est susceptible de réaliser un nombre de copies par minute, sans autre lien avec le préjudice éventuellement subi par les titulaires de droits, et

b)      d’une rémunération proportionnelle, déterminée uniquement par un prix unitaire multiplié par le nombre de copies réalisées, qui varie selon que le débiteur a coopéré ou non à la perception de cette rémunération, laquelle est à la charge des personnes physiques ou morales qui réalisent des copies d’œuvres ou, le cas échéant, à la décharge des premières, par celles qui tiennent à disposition à titre onéreux ou gratuit un appareil de reproduction à la disposition d’autrui.

En cas de réponse négative à cette question, quels sont les critères pertinents et cohérents que les États membres doivent suivre pour que, conformément au droit de l’Union, la compensation puisse être considérée comme équitable et qu’un juste équilibre soit instauré entre les personnes concernées?

3)      L’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci doivent‑ils être interprétés comme autorisant les États membres à attribuer la moitié de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits aux éditeurs des œuvres créées par les auteurs, sans obligation quelconque pour les éditeurs de faire bénéficier, même indirectement, les auteurs d’une partie de la compensation dont ils sont privés?

4)      L’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci doivent‑ils être interprétés comme autorisant les États membres à mettre en place un système indifférencié de perception de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits, sous la forme d’un forfait et d’un montant par copie réalisée, couvrant implicitement mais certainement et pour partie la copie de partitions de musique et de reproductions contrefaisantes?»

22      Par arrêt interlocutoire du 7 février 2014, la cour d’appel de Bruxelles a admis Epson Europe BV à intervenir dans le litige au principal.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

23      Reprobel et le gouvernement belge contestent la recevabilité des questions portant sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, au motif que l’interprétation ainsi sollicitée serait sans rapport avec l’objet du litige au principal.

24      À cet égard, il est de jurisprudence constante de la Cour que, dans le cadre de la coopération entre celle‑ci et les juridictions des États membres telle que prévue à l’article 267 TFUE, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt Padawan, C‑467/08, EU:C:2010:620, point 21).

25      Dès lors que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence, le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est ainsi possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, point 36 et jurisprudence citée).

26      Or, tel n’est pas le cas en l’occurrence. Il apparaît en effet que l’interprétation demandée porte sur le droit de l’Union et que, dans la mesure où la compensation équitable en cause au principal s’applique notamment aux personnes physiques procédant à des reproductions pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, il n’est pas manifeste que l’interprétation demandée de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 n’aurait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou qu’elle serait de nature hypothétique.

27      Il en découle que les questions préjudicielles sont recevables.

 Sur la première question

28      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci doivent être interprétés en ce sens que, concernant les termes «compensation équitable» qui y figurent, il y a lieu d’établir une différence selon que la reproduction effectuée sur papier ou sur support similaire au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires l’est par tout utilisateur ou qu’elle l’est par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

29      Selon l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29, les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations au droit de reproduction lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur papier ou sur un support similaire au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires, à l’exception des partitions, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable (ci‑après l’«exception de reprographie»).

30      L’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 ne précisant ni les utilisateurs auxquels l’exception de reprographie qu’elle prévoit est destinée, ni la finalité de la reproduction visée par cette disposition, ni le contexte privé ou non de cette reproduction, une telle exception doit être entendue comme concernant toutes les catégories d’utilisateurs, y compris les personnes physiques, et ce quelle que soit la finalité des reproductions, y compris celles effectuées pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

31      L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 dispose, pour sa part, que les États membres peuvent prévoir de telles exceptions ou limitations lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable (ci‑après l’«exception de copie privée»).

32      Cette disposition indiquant explicitement que les reproductions qu’elle vise sont effectuées sur «tout support», elle doit être entendue comme concernant également celles effectuées sur papier ou sur un support similaire. Par ailleurs, ladite disposition ne précisant pas la technique de reproduction en cause, elle doit être entendue comme n’excluant pas de son champ d’application les reproductions effectuées au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires.

33      Il s’ensuit que les champs d’application des dispositions prévoyant, respectivement, l’exception de reprographie et l’exception de copie privée se recoupent en partie.

34      Plus concrètement, si les reproductions effectuées par des personnes physiques pour leur usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales sont susceptibles de relever tant de l’exception de reprographie que de l’exception de copie privée, les reproductions réalisées par des utilisateurs autres que des personnes physiques, de même que celles réalisées par des personnes physiques pour un usage autre que privé ou à des fins commerciales, relèvent uniquement de l’exception de reprographie.

35      S’agissant des termes «compensation équitable» il convient de relever, à titre liminaire, que la Cour a déjà jugé que la notion de «compensation équitable », au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit donc être interprétée d’une manière uniforme dans tous les États membres ayant introduit une exception de copie privée (arrêt Padawan, C‑467/08, EU:C:2010:620, point 37).

36      La Cour a également jugé que la compensation équitable doit nécessairement être calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs d’œuvres protégées. En effet, il ressort des considérants 35 et 38 de la directive 2001/29 que la conception et le niveau de la compensation équitable sont liés au préjudice résultant pour l’auteur de la reproduction de son œuvre protégée effectuée sans son autorisation. Dans cette perspective, la compensation équitable doit être regardée comme la contrepartie du préjudice subi par cet auteur (voir, en ce sens, arrêt Padawan, C‑467/08, EU:C:2010:620, points 40 et 42).

37      Certes, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Padawan (C‑467/08, EU:C:2010:620) concernait spécifiquement l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29. Toutefois, dans cet arrêt, la Cour a interprété la notion de compensation équitable en recourant, notamment, à des arguments, tirés du considérant 35 de cette directive, qui valent pour l’ensemble des exceptions prévues à l’article 5 de celle‑ci et pour lesquelles une compensation équitable est exigée. La jurisprudence dégagée dans ledit arrêt, telle qu’elle est mentionnée au point 36 du présent arrêt, doit, dès lors, être considérée comme également pertinente, mutatis mutandis, pour l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, sous a), de ladite directive (voir, en ce sens, VG Wort e.a., C‑457/11 à C‑460/11, EU:C:2013:426, points 73 et 77).

38      Cette conclusion est corroborée par l’argument tiré de l’exigence de cohérence pour les États membres dans l’application des exceptions qui les lient, ainsi qu’il ressort de la dernière phrase du considérant 32 de la directive 2001/29.

39      En effet, la cohérence dans la mise en œuvre de ces exceptions, qui se recoupent en partie, ne pourrait être assurée si les États membres étaient libres de déterminer la façon dont il convient de fixer la compensation équitable pour les reproductions effectuées dans les mêmes conditions, en fonction de la seule circonstance qu’ils ont choisi de prévoir soit uniquement l’une ou l’autre de ces exceptions, soit l’une et l’autre, simultanément ou successivement.

40      Sur la base de ces éléments, il convient d’examiner s’il y a lieu d’établir une différence, s’agissant de la compensation équitable, dans l’application de l’exception de reprographie entre les reproductions effectuées pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales par les personnes physiques et celles effectuées par d’autres utilisateurs et/ou à d’autres fins.

41      À cet égard, au vu de la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt, la situation dans laquelle des reproductions sont effectuées, dans le cadre de l’exception de reprographie, par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales n’est pas comparable, au regard de la compensation équitable, à la situation dans laquelle des reproductions qui, tout en étant effectuées dans ce même cadre de l’exception de reprographie, le sont soit par un utilisateur autre qu’une personne physique, soit par une personne physique mais pour un usage autre que privé ou à des fins directement ou indirectement commerciales, dès lors que les préjudices subis respectivement par les titulaires de droits dans l’une et l’autre de ces situations ne sont, en règle générale, pas identiques.

42      Par conséquent, il y a lieu d’établir une différence, dans le cadre de l’exception de reprographie, s’agissant de la compensation équitable, entre, d’une part, la réalisation de reproductions effectuées par des personnes physiques pour leur usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales et, d’autre part, la réalisation de reproductions effectuées par des personnes physiques mais pour un usage autre que privé ou à des fins directement ou indirectement commerciales ainsi que la réalisation de reproductions effectuées par les autres catégories d’utilisateurs.

43      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci doivent être interprétés en ce sens que, concernant les termes «compensation équitable» qui y figurent, il y a lieu d’établir une différence selon que la reproduction effectuée sur papier ou sur un support similaire au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires l’est par tout utilisateur ou qu’elle l’est par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

 Sur la troisième question

44      Par sa troisième question, qu’il convient de traiter en deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise l’État membre à attribuer une partie de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits aux éditeurs des œuvres créées par les auteurs, sans aucune obligation pour ces éditeurs de faire bénéficier, même indirectement, ces auteurs de la partie de la compensation dont ils sont privés.

45      Il convient de relever d’emblée qu’il ressort de la formulation ainsi retenue par la juridiction de renvoi que sa question se réfère à l’hypothèse dans laquelle la compensation versée aux éditeurs ampute à due concurrence celle devant normalement revenir aux titulaires du droit de reproduction en vertu de la directive 2001/29.

46      Aux termes de l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci, la faculté pour les États membres de prévoir les exceptions visées à ces dispositions est subordonnée à l’obligation pour ces États d’assurer aux titulaires du droit de reproduction la perception d’une compensation équitable.

47      Or, les éditeurs ne figurent pas au nombre des titulaires du droit de reproduction tel que prévu à l’article 2 de la directive 2001/29.

48      Dès lors, d’une part, que la compensation équitable, qui est due au titre de l’exception de reprographie ainsi que de l’exception de copie privée, est destinée, ainsi qu’il ressort du point 36 du présent arrêt, à réparer le préjudice subi par les titulaires de droits du fait de la reproduction de leurs œuvres sans leur autorisation et, d’autre part, que les éditeurs ne sont pas des titulaires du droit exclusif de reproduction au sens de l’article 2 de la directive 2001/29, ces derniers ne subissent aucun préjudice au sens de ces deux exceptions. Ils ne sauraient donc bénéficier d’une compensation au titre desdites exceptions lorsqu’un tel bénéfice aurait pour conséquence de priver les titulaires du droit de reproduction de tout ou partie de la compensation équitable à laquelle ils ont droit au titre de ces mêmes exceptions.

49      Il découle de ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise l’État membre à attribuer une partie de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits aux éditeurs des œuvres créées par les auteurs, sans obligation pour ces éditeurs de faire bénéficier, même indirectement, ces auteurs de la partie de la compensation dont ils sont privés.

 Sur la quatrième question

50      Par sa quatrième question, qu’il convient de traiter en troisième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, instituant un système indifférencié de perception de la compensation équitable couvrant également les reproductions de partitions ainsi que les reproductions contrefaites réalisées à partir d’une source illicite.

51      S’agissant, tout d’abord, des partitions, il découle explicitement du libellé de l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 que les partitions sont exclues du champ d’application de l’exception de reprographie. Elles ne sauraient, dès lors, être prises en compte dans le calcul de la compensation équitable dans le cadre de cette exception, y compris dans le cas où la reproduction de partitions serait réalisée par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

52      Compte tenu de la constatation faite au point 33 du présent arrêt, la même conclusion s’impose, en principe, en ce qui concerne l’exception de copie privée. S’il en allait différemment, l’application conjointe ou parallèle de l’exception de copie privée et de l’exception de reprographie par les États membres risquerait d’être incohérente, en méconnaissance de l’exigence visée à la dernière phrase du considérant 32 de la directive 2001/29.

53      En effet, dans le cas où la reproduction de partitions serait autorisée dans le cadre de l’une de ces exceptions et prohibée dans le cadre de l’autre, la situation juridique dans l’État membre concerné serait contradictoire et permettrait de contourner l’interdiction d’autoriser la reproduction de partitions.

54      Dans ces conditions, l’exclusion des partitions énoncée à l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 doit être comprise comme visant non pas simplement à limiter la portée de l’exception de reprographie, mais également à instaurer un régime spécial pour ce type d’objets protégés, prohibant, en principe, la reproduction de ceux‑ci sans l’autorisation des titulaires de droits.

55      Il en découle que l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent, en principe, à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, instituant un système indifférencié de perception de la compensation équitable couvrant également les copies de partitions.

56      Cela étant, compte tenu de la dernière phrase du considérant 35 de la directive 2001/29, il ne saurait être exclu que, dans certains cas limités et isolés, la reproduction non autorisée de partitions effectuée dans le cadre de l’exception de copie privée puisse, dans le cas où le préjudice que cette reproduction est susceptible de causer aux titulaires de droits est minime, être regardée comme compatible avec le régime spécial évoqué au point 54 du présent arrêt.

57      Concernant, ensuite, les reproductions contrefaites, la Cour a déjà jugé que l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il ne couvre pas l’hypothèse de copies privées réalisées à partir d’une source illicite (arrêt ACI Adam e.a., C‑435/12, EU:C:2014:254, point 41).

58      En effet, selon la Cour, si l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être entendu en ce sens que l’exception de copie privée interdit, certes, aux titulaires du droit d’auteur de se prévaloir de leur droit exclusif d’autoriser ou d’interdire des reproductions à l’égard des personnes qui réalisent des copies privées de leurs œuvres, cette disposition ne saurait toutefois être entendue comme imposant, au‑delà de cette restriction prévue explicitement, aux titulaires du droit d’auteur qu’ils tolèrent des violations de leurs droits pouvant accompagner la réalisation de copies privées (voir arrêt ACI Adam e.a., C‑435/12, EU:C:2014:254, point 31).

59      La Cour a également relevé qu’il ressort du considérant 22 de la directive 2001/29 qu’une promotion adéquate de la diffusion de la culture ne peut conduire à sacrifier la protection rigoureuse des droits et à tolérer les formes illégales de mise en circulation d’œuvres culturelles contrefaites ou piratées (arrêt ACI Adam e.a., C‑435/12, EU:C:2014:254, point 36) et que, lors de son application, une législation nationale, qui ne distingue pas selon que la source à partir de laquelle une reproduction pour un usage privé est réalisée est licite ou illicite, est susceptible d’enfreindre certaines conditions fixées par l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 (arrêt ACI Adam e.a., C‑435/12, EU:C:2014:254, point 38).

60      D’une part, admettre que de telles reproductions puissent être réalisées à partir d’une source illicite encouragerait la circulation des œuvres contrefaites ou piratées, diminuant ainsi nécessairement le volume des ventes ou d’autres transactions légales relatives aux œuvres protégées, de sorte qu’il serait porté atteinte à l’exploitation normale de celles‑ci (arrêt ACI Adam e.a., C‑435/12, EU:C:2014:254, point 39).

61      D’autre part, cela serait susceptible d’entraîner, eu égard à la constatation faite au point précédent du présent arrêt, un préjudice injustifié aux titulaires du droit d’auteur (arrêt ACI Adam e.a., C‑435/12, EU:C:2014:254, point 40).

62      Ces arguments, auxquels la Cour a eu recours dans le contexte de l’exception de copie privée sont, eu égard à leur nature, pleinement transposables à l’exception de reprographie. Par conséquent, la jurisprudence évoquée aux points 58 à 61 du présent arrêt doit être considérée comme pertinente dans le cadre de l’interprétation de cette dernière exception.

63      Une telle interprétation de l’exception de reprographie est corroborée par le fait que l’exception de copie privée concerne des reproductions effectuées sur «tout support», qu’il s’agisse de papier ou de tout support similaire, au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires. Or, la mise en œuvre de ces deux exceptions par les États membres risquerait d’être incohérente, en méconnaissance de l’exigence qui découle de la dernière phrase du considérant 32 de la directive 2001/29, si l’exception de reprographie était réputée couvrir, contrairement à l’exception de copie privée, les reproductions contrefaites.

64      Il convient donc de répondre à la quatrième question en ce sens que l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent, en principe, à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, instituant un système indifférencié de perception de la compensation équitable couvrant également les reproductions de partitions et qu’ils s’opposent à une telle législation, instituant un système indifférencié de perception de la compensation équitable couvrant également les reproductions contrefaites réalisées à partir de sources illicites.

 Sur la deuxième question

65      Par sa deuxième question, qu’il convient de traiter en dernier lieu, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui combine, pour le financement de la compensation équitable accordée aux titulaires de droits, deux formes de rémunération, à savoir, d’une part, une rémunération forfaitaire versée en amont de l’opération de reproduction par le fabricant, l’importateur ou l’acquéreur intracommunautaire d’appareils permettant la reproduction des œuvres protégées, à l’occasion de la mise en circulation de ces appareils sur le territoire national, et dont le montant est uniquement calculé en fonction de la vitesse à laquelle ils sont susceptibles de réaliser les reproductions, et, d’autre part, une rémunération proportionnelle, perçue en aval de l’opération de reproduction, déterminée uniquement par un prix unitaire multiplié par le nombre de reproductions réalisées, qui varie en outre selon que le débiteur a coopéré ou non à la perception de cette rémunération, laquelle est en principe à la charge des personnes physiques ou morales qui réalisent des reproductions d’œuvres.

66      Le système en cause au principal se présente comme un système combiné de rémunérations comportant, aux fins du financement de la compensation équitable, à la fois une rémunération fixée en amont de l’opération de reproduction, en fonction de la vitesse à laquelle l’appareil réalise techniquement les reproductions, et une rémunération fixée en aval de l’opération de reproduction, en fonction du nombre de reproductions réalisées.

67      En premier lieu, s’agissant de la rémunération fixée en amont, la juridiction de renvoi se demande, notamment, si la vitesse maximale à laquelle un appareil réalise des reproductions constitue un critère pertinent pour la fixation de la redevance dont doivent s’acquitter les fabricants, les importateurs ou les acquéreurs intracommunautaires d’appareils permettant la reproduction d’œuvres protégées, lors de la mise en circulation de ces appareils sur le territoire national.

68      À cet égard, il convient d’emblée de rappeler, ainsi qu’il a été évoqué aux points 36 et 37 du présent arrêt, que, d’une part, la compensation équitable a pour objet d’indemniser de manière adéquate les titulaires de droits d’auteur pour la reproduction faite, sans leur autorisation, d’œuvres protégées. Elle doit, dès lors, être regardée comme la contrepartie du préjudice subi par ces titulaires et résultant de l’acte de reproduction. D’autre part, la jurisprudence de la Cour, concernant le critère du préjudice, doit s’appliquer dans le cadre tant de l’exception de copie privée que de l’exception de reprographie.

69      Il en résulte, d’un côté, que la compensation équitable est, en principe, destinée à compenser le préjudice subi en raison des reproductions effectivement réalisées (ci‑après le «critère du préjudice effectif») et, de l’autre côté, qu’il incombe, en principe, aux personnes qui ont effectué les reproductions de réparer le préjudice lié à celles‑ci, en finançant la compensation qui sera versée au titulaire de droits (voir arrêt Padawan, C‑467/08, EU:C:2010:620, point 45).

70      Cela étant, la Cour a admis que, compte tenu des difficultés pratiques pour identifier les utilisateurs ainsi que pour les obliger à indemniser les titulaires des droits du préjudice qu’ils leur causent, il est loisible aux États membres d’instaurer une redevance à la charge non pas des utilisateurs concernés, mais des personnes qui disposent d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction numérique et qui, à ce titre, en droit ou en fait, mettent ces équipements à la disposition de ceux‑ci ou rendent à ces derniers un service de reproduction et qui peuvent répercuter le coût de la redevance sur les utilisateurs (voir, en ce sens, arrêt Padawan, C‑467/08, EU:C:2010:620, points 46 et 48).

71      Il est entendu que le montant d’une telle redevance fixée en amont ne peut être fixé sur la base du critère du préjudice effectif, l’ampleur de celui‑ci demeurant, au stade de la mise en circulation des appareils concernés sur le territoire national, inconnue. Cette redevance doit, dès lors, être nécessairement conçue de manière forfaitaire.

72      À cet égard, les personnes à la disposition desquelles sont mis de tels appareils sont légitimement présumées bénéficier intégralement de cette mise à disposition, c’est‑à‑dire qu’elles sont censées exploiter la plénitude des fonctions associées auxdits appareils, y compris celle de reproduction. Il s’ensuit que la simple capacité de ces mêmes appareils à produire des reproductions suffit à justifier l’application de la redevance aux personnes concernées (voir, en ce sens, arrêt Padawan, C‑467/08, EU:C:2010:620, points 55 et 56).

73      En revanche, il ne saurait être déduit de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt que toutes les personnes à la disposition desquelles sont mis ces appareils sont censées exploiter entièrement la capacité technique de reproduction de ceux‑ci, cette capacité correspondant au nombre maximal de reproductions réalisables techniquement dans une limite de temps donnée.

74      En effet, il est constant que les différentes catégories d’acquéreurs ou d’utilisateurs n’ayant pas les mêmes besoins et n’étant pas soumises aux mêmes limites telles que celles prévues à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, elles n’exploitent la capacité technique d’un appareil donné que dans la mesure de ces besoins et de ces limites.

75      Notamment, l’exploitation de la capacité technique des appareils de reproduction diffère selon que la personne concernée effectue des reproductions pour un usage public ou pour un usage privé, à des fins commerciales ou à d’autres fins.

76      Une rémunération dont le montant est fixé de manière forfaitaire et dont le paiement incombe aux personnes qui mettent des appareils à la disposition des personnes physiques et morales pour effectuer des reproductions doit, en principe, tenir compte de cette différence, étant donné que l’évaluation du préjudice est susceptible d’aboutir à des résultats considérablement différents en fonction des situations évoquées au point précédent du présent arrêt.

77      Il découle de ce qui précède que l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive s’opposent à une rémunération forfaitaire, telle que celle en cause au principal, versée en amont de l’opération de reproduction par le fabricant, l’importateur ou l’acquéreur intracommunautaire lors de la mise en circulation d’un appareil sur le territoire national, dans le cas où le montant de cette rémunération est fixé uniquement en fonction de la vitesse à laquelle cet appareil est techniquement en capacité d’effectuer des reproductions.

78      En deuxième lieu, s’agissant de la rémunération perçue en aval, la juridiction de renvoi se demande en substance si le droit de l’Union autorise un État membre à faire varier le montant de la redevance que doivent payer les personnes physiques ou morales qui réalisent des reproductions d’œuvres en fonction de la circonstance que ces personnes coopèrent ou non à la perception de la redevance.

79      À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 36 du présent arrêt, la compensation équitable vise à compenser le préjudice causé aux titulaires de droits. Or le préjudice causé à l’auteur demeure identique que le débiteur coopère ou non à la perception d’une telle redevance.

80      Le fait de coopérer ou non ne saurait dès lors constituer un critère adéquat pour faire varier le montant de la redevance destinée à financer, en aval, la compensation équitable.

81      En troisième et dernier lieu, il convient d’examiner si l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent à une législation nationale instaurant un système combiné qui comporte cumulativement une rémunération forfaitaire versée en amont et une rémunération proportionnelle fixée en aval.

82      À cet égard, il découle implicitement de la jurisprudence rappelée au point 69 du présent arrêt que l’instauration d’une redevance fixée en amont de la réalisation des reproductions ne saurait, en principe, être autorisée qu’à titre subsidiaire, en cas d’impossibilité d’identifier les utilisateurs et, par voie de conséquence, d’évaluer le préjudice effectif subi par les titulaires de droits.

83      Néanmoins, eu égard à la faculté laissée aux États membres de déterminer les modalités de financement et de perception de la compensation équitable ainsi que le niveau de cette compensation, un système combinant une rémunération forfaitaire fixée en amont et une rémunération proportionnelle fixée en aval ne saurait a priori être considéré comme incompatible avec l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci.

84      Cela étant, un tel système doit permettre, dans son ensemble, la perception d’une redevance au titre de la compensation équitable dont le montant corresponde, en substance, au préjudice effectif subi par les titulaires de droit, étant entendu qu’un État membre qui choisirait d’instaurer une forme de rémunération fixée en aval, dont le montant serait fonction du nombre de reproductions réalisées, ne semblerait pas exposé aux difficultés pratiques d’identification et d’évaluation évoquées au point 82 du présent arrêt.

85      Afin de pouvoir satisfaire à la condition mentionnée au point précédent du présent arrêt, un système combinant une rémunération forfaitaire fixée en amont et une rémunération proportionnelle fixée en aval, tel que celui en cause au principal, doit comporter des mécanismes, notamment de remboursement, destinés à corriger toute situation de «surcompensation» au détriment de telle ou telle catégorie d’utilisateurs (voir, par analogie, arrêt Amazon.com International Sales e.a., C‑521/11, EU:C:2013:515, points 30 et 31).

86      En effet, une telle «surcompensation» ne serait pas compatible avec l’exigence, énoncée au considérant 31 de la directive 2001/29, selon laquelle il convient de maintenir un juste équilibre entre les titulaires de droit et les utilisateurs d’objets protégés.

87      En particulier, un tel système combiné de rémunération doit être pourvu de mécanismes, notamment de remboursement, qui permettent l’application complémentaire des critères du préjudice effectif et du préjudice établi de manière forfaitaire.

88      Il découle des considérations qui précèdent que l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, instaurant un système qui combine, pour le financement de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits, deux formes de rémunération, à savoir, d’une part, une rémunération forfaitaire versée en amont de l’opération de reproduction par le fabricant, l’importateur ou l’acquéreur intracommunautaire d’appareils permettant la reproduction des œuvres protégées, à l’occasion de la mise en circulation de ces appareils sur le territoire national, et, d’autre part, une rémunération proportionnelle versée en aval de cette opération de reproduction, déterminée uniquement par un prix unitaire multiplié par le nombre de reproductions réalisées, à la charge des personnes physiques ou morales qui réalisent ces reproductions, pour autant que:

–        la rémunération forfaitaire versée en amont est uniquement calculée en fonction de la vitesse avec laquelle l’appareil concerné est susceptible de réaliser les reproductions;

–        la rémunération proportionnelle perçue en aval varie selon que le débiteur a coopéré ou non à la perception de cette rémunération;

–        le système combiné dans son ensemble n’est pas pourvu de mécanismes, notamment de remboursement, qui permettent l’application complémentaire des critères du préjudice effectif et du préjudice établi de manière forfaitaire à l’égard des différentes catégories d’utilisateurs.

 Sur les dépens

89      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci doivent être interprétés en ce sens que, concernant les termes «compensation équitable» qui y figurent, il y a lieu d’établir une différence selon que la reproduction effectuée sur papier ou sur un support similaire au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires l’est par tout utilisateur ou qu’elle l’est par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

2)      L’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise l’État membre à attribuer une partie de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits aux éditeurs des œuvres créées par les auteurs, sans obligation pour ces éditeurs de faire bénéficier, même indirectement, ces auteurs de la partie de la compensation dont ils sont privés.

3)      L’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent, en principe, à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, instituant un système indifférencié de perception de la compensation équitable couvrant également les reproductions de partitions, et ils s’opposent à une telle législation, instituant un système indifférencié de perception de la compensation équitable couvrant également les reproductions contrefaites réalisées à partir de sources illicites.

4)      L’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 et l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle‑ci s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, instaurant un système qui combine, pour le financement de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits, deux formes de rémunération, à savoir, d’une part, une rémunération forfaitaire versée en amont de l’opération de reproduction par le fabricant, l’importateur ou l’acquéreur intracommunautaire d’appareils permettant la reproduction des œuvres protégées, à l’occasion de la mise en circulation de ces appareils sur le territoire national, et, d’autre part, une rémunération proportionnelle versée en aval de cette opération de reproduction, déterminée uniquement par un prix unitaire multiplié par le nombre de reproductions réalisées, à la charge des personnes physiques ou morales qui réalisent ces reproductions, pour autant que:

–        la rémunération forfaitaire versée en amont est uniquement calculée en fonction de la vitesse avec laquelle l’appareil concerné est susceptible de réaliser les reproductions;

–        la rémunération proportionnelle perçue en aval varie selon que le débiteur a coopéré ou non à la perception de cette rémunération;

–        le système combiné dans son ensemble n’est pas pourvu de mécanismes, notamment de remboursement, qui permettent l’application complémentaire des critères du préjudice effectif et du préjudice établi de manière forfaitaire à l’égard des différentes catégories d’utilisateurs.

Signatures


* Langue de procédure: le français.