Language of document : ECLI:EU:C:2018:250

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

12 avril 2018 (*)

« Manquement d’État – Libre circulation des capitaux – Article 63 TFUE – Article 40 de l’accord EEE – Impôt sur le revenu des résidents belges – Détermination des revenus immobiliers – Application de deux méthodes de calcul différentes en fonction du lieu où se situe le bien immobilier – Calcul à partir de la valeur cadastrale pour les immeubles situés en Belgique – Calcul basé sur la valeur locative réelle pour les immeubles situés dans un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE) – Différence de traitement – Restriction à la libre circulation des capitaux »

Dans l’affaire C‑110/17,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 3 mars 2017,

Commission européenne, représentée par M. W. Roels ainsi que par Mme N. Gossement, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Royaume de Belgique, représenté par M. P. Cottin ainsi que par Mmes M. Jacobs et L. Cornelis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. C. G. Fernlund, président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur) et A. Arabadjiev, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en maintenant des dispositions selon lesquelles, en matière d’estimation des revenus afférents aux immeubles non loués, ou loués, soit à des personnes physiques qui n’en font pas un usage professionnel, soit à des personnes morales qui les mettent à disposition de personnes physiques à des fins privées, la base imposable est calculée à partir de la valeur cadastrale en ce qui concerne les biens situés sur le territoire national et sur la valeur locative réelle s’agissant des immeubles situés à l’étranger, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après « l’accord EEE »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        Aux termes de l’article 40 de l’accord EEE :

« Dans le cadre du présent accord, les restrictions entre les parties contractantes aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres de la [Communauté européenne (CE)] ou dans les États de l’[Association européenne de libre-échange (AELE)], ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement, sont interdites. Les dispositions nécessaires à l’application du présent article figurent à l’annexe XII. »

 Le droit belge

3        L’article 7 du Wetboek van de inkomstenbelastingen 1992 (code des impôts sur les revenus de 1992, ci-après le « CIR 92 ») prévoit :

« § 1. Les revenus des biens immobiliers sont :

1°      pour les biens immobiliers qui ne sont pas donnés en location :

a)      pour les biens sis en Belgique :

–        le revenu cadastral lorsqu’il s’agit de biens immobiliers non bâtis, du matériel et de l’outillage présentant le caractère d’immeuble par nature ou par destination ou de l’habitation visée à l’article 12, § 3 ;

–        le revenu cadastral majoré de 40 [pour cent (%)] lorsqu’il s’agit d’autres biens ;

b)      pour les biens sis à l’étranger : la valeur locative ;

2°      pour les biens immobiliers qui sont donnés en location :

a)      pour les biens sis en Belgique donnés en location à une personne physique qui ne les affecte ni totalement ni partiellement à l’exercice de son activité professionnelle :

–        le revenu cadastral lorsqu’il s’agit de biens immobiliers non bâtis, ou du matériel et de l’outillage présentant le caractère d’immeuble par nature ou par destination ;

–        le revenu cadastral majoré de 40 [%] lorsqu’il s’agit d’autres biens ;

[...]

b bis)      le revenu cadastral majoré de 40 [%] quand il s’agit de biens immobiliers bâtis, donnés en location à une personne morale autre qu’une société, en vue de les mettre à disposition :

–        d’une personne physique pour occupation exclusivement à des fins d’habitation ;

[...]

d)      le montant total du loyer et des avantages locatifs, quand il s’agit de biens immobiliers sis à l’étranger ;

[...] »

4        L’article 12, paragraphe 3, de ce code dispose :

« Sans préjudice de la perception du précompte immobilier, est exonéré le revenu cadastral de l’habitation que le contribuable occupe et dont il est propriétaire [...]

[...]

Lorsque le contribuable occupe une habitation sise dans un État membre de l’[Espace économique européen (EEE)] et en est propriétaire, [...] l’exonération prévue dans le présent paragraphe s’applique à la valeur locative de cette habitation [...] »

5        L’article 13 dudit code énonce :

« En ce qui concerne la valeur locative, le loyer et les avantages locatifs des biens immobiliers, le revenu net s’entend du montant brut du revenu diminué, pour frais d’entretien et de réparation, de :

–        40 [%] pour les biens immobiliers bâtis ainsi que pour le matériel et l’outillage, présentant le caractère d’immeuble par nature ou par destination, [...]

–        10 [%] pour les biens immobiliers non bâtis. »

6        Aux termes de l’article 155 du même code :

« Les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l’impôt, mais celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus.

[...] »

7        L’article 156 du CIR 92 prévoit :

« Est réduite de moitié, la partie de l’impôt qui correspond proportionnellement :

1°      aux revenus de biens immobiliers sis à l’étranger ;

[...] »

8        L’article 251 de ce code énonce :

« Le précompte immobilier est dû, d’après les modalités déterminées par le Roi, par le propriétaire, possesseur, emphytéote, superficiaire ou usufruitier des biens imposables. »

9        L’article 471 dudit code dispose :

« § 1.      Il est établi un revenu cadastral pour tous les biens immobiliers bâtis ou non bâtis, ainsi que pour le matériel et l’outillage présentant le caractère d’immeuble par nature ou d’immeuble par destination.

§ 2.      Par revenu cadastral, on entend le revenu moyen normal net d’une année.

[...] »

10      Le commentaire administratif du CIR 92 prévoit :

« 13/7

Avant d’être réduits aux 60 % ou aux 90 % de leur montant, la valeur locative visée sub 13/6, 1°, de même que le loyer et les avantages locatifs visés sub 13/6, 2°, doivent toutefois être diminués des impôts étrangers ayant effectivement grevé les revenus des biens immobiliers dont il s’agit (à l’exclusion des impôts étrangers établis sur le revenu global déterminé forfaitairement en fonction du revenu présumé de ces propriétés).

13/8

La valeur locative représente le loyer brut moyen annuel qui, en cas de location, aurait pu être recueilli au cours de la période imposable, tant sous forme de loyer proprement dit que de charges assumées par le locataire [...], le tout suivant les usages du pays de la situation des biens.

À l’appui de la valeur locative qu’il déclare, le propriétaire doit, sur demande de l’agent taxateur, produire tous les justificatifs nécessaires tels que actes d’acquisition des biens, déclarations de successions, documents relatifs aux impôts fonciers et personnels. Pour le contrôle dudit montant, des recherches peuvent, le cas échéant, être effectuées auprès des receveurs compétents des droits de succession.

[...] »

11      Le numéro 13/8 du commentaire administratif du CIR 92 a été complété par la circulaire AGFisc no 22/2016 (no Ci.704.681), du 29 juin 2016, comme suit :

« Le revenu fictif expressément approuvé ou fixé par une autorité étrangère pour ce bien immobilier peut être pris en considération comme valeur locative. L’utilisation de cette valeur n’est pas une obligation mais une possibilité que le contribuable peut utiliser pour la fixation de ces revenus immobiliers. Dans ce cas, le document duquel cette valeur ressort vaut comme pièce justificative (avis d’imposition, taxe foncière, etc.).

Cette valeur peut notamment être :

–        un loyer brut estimé pour ce bien qui est pris en considération dans un pays pour l’établissement d’un impôt ;

–        un loyer brut déterminé forfaitairement qui est pris en considération dans un pays pour l’établissement d’un impôt (p. ex. une valeur locative brute qui a été établie sur la base de parcelles de référence) ;

–        le revenu imposable pour ce bien immobilier qui est pris en considération dans un pays pour le calcul d’un impôt sur les revenus.

Il est possible que le montant mentionné sur la pièce justificative soit diminué (des frais, exonérations ou réductions, lesquelles, sur la base de la réglementation applicable à l’étranger, ont par exemple été portés en déduction). Le cas échéant, le montant mentionné sur la pièce justificative doit être majoré des frais, exonérations ou réductions de sorte que pour la fixation de la valeur locative, le montant brut soit pris en considération. »

 La procédure précontentieuse

12      Par une lettre de mise en demeure, du 7 novembre 2007, la Commission a relevé la possible incompatibilité des dispositions fiscales belges relatives aux revenus des biens immobiliers situés à l’étranger (ci-après la « réglementation litigieuse ») avec les obligations qui découlent de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord EEE. Cette incompatibilité résulterait des modalités différentes de détermination du revenu imposable selon que le bien immobilier est situé en Belgique ou dans un autre État. Dans ce dernier cas, au titre de l’imposition des revenus des résidents belges, les revenus immobiliers seraient traités de manière désavantageuse par rapport aux revenus afférents aux immeubles situés en Belgique. Cette différence de traitement serait susceptible de restreindre la libre circulation des capitaux. Par lettre du 17 mars 2008, le Royaume de Belgique a réfuté ces allégations.

13      Par une lettre de mise en demeure complémentaire du 26 juin 2009, la Commission a affirmé que les griefs soulevés concernaient tant les revenus des biens immobiliers bâtis que ceux des biens immobiliers non-bâtis. Par lettre du 16 novembre 2009, le Royaume de Belgique a confirmé sa position initiale.

14      Le 26 mars 2012, la Commission a émis un avis motivé. Par lettre du 9 octobre 2012, le Royaume de Belgique a indiqué accepter la position de la Commission et s’est engagé à élaborer un projet de loi permettant de remédier à l’infraction.

15      La Commission a suspendu la procédure d’infraction au vu de la saisine de la Cour, le 3 septembre 2013, d’une question préjudicielle au sujet du traitement fiscal en Belgique d’un bien immobilier situé en France, qui a donné lieu à l’arrêt du 11 septembre 2014, Verest et Gerards (C‑489/13, EU:C:2014:2210).

16      Au point 34 de cet arrêt, la Cour a dit pour droit que l’article 63 TFUE devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre relative à l’imposition des revenus des résidents de cet État, dans la mesure où elle est susceptible d’aboutir, lors de l’application d’une clause de progressivité contenue dans une convention préventive de double imposition, à un taux d’imposition sur le revenu plus élevé du seul fait que la méthode de détermination des revenus des biens immobiliers conduit à ce que ceux provenant de biens immobiliers non donnés en location situés dans un autre État membre soient évalués à un montant supérieur à ceux provenant de tels biens situés dans le premier État membre. Elle a, en outre, renvoyé au juge national le soin de vérifier si tel était l’effet de la réglementation concernée.

17      Au vu dudit arrêt, la Commission a décidé de poursuivre la procédure d’infraction devant la Cour par l’introduction du présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

18      La Commission soutient que le Royaume de Belgique a violé l’article 63 TFUE et l’article 40 de l’accord EEE en appliquant, pour la détermination du calcul de l’impôt sur le revenu, les dispositions des articles 7 et 13 du CIR 92, lus en combinaison avec les numéros 13/7 et 13/8 du commentaire administratif du même code, selon lesquels les revenus afférents aux immeubles non loués, ou loués, soit à des personnes physiques qui n’en font pas un usage professionnel, soit à des personnes morales qui les mettent à disposition de personnes physiques à des fins privées sont déterminés sur une base forfaitaire pour les biens situés en Belgique et sur la base de la valeur locative réelle ou du loyer effectif pour ceux situés dans un autre État membre de l’Union européenne ou de l’EEE.

19      En ce qui concerne la base forfaitaire, celle-ci serait constituée de la valeur cadastrale des biens immobiliers, diminuée des frais d’entretien et de réparation estimés de manière forfaitaire. Elle ne s’appliquerait qu’aux biens immobiliers, qu’ils soient loués ou non loués, situés en Belgique.

20      S’agissant des biens immobiliers situés dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE, il conviendrait de distinguer les biens immobiliers donnés en location de ceux qui ne le sont pas. Alors que, dans le premier cas, le montant imposable serait calculé à partir du loyer perçu, dans le second cas, le calcul s’effectuerait à partir du montant de la valeur locative réelle du bien immobilier. Dans les deux cas, la valeur ainsi obtenue serait diminuée, d’une part, des impôts payés à l’État sur le territoire duquel se situe le bien immobilier et, d’autre part, des frais d’entretien et de réparation estimés de manière forfaitaire.

21      En l’absence de convention préventive de la double imposition conclue entre le Royaume de Belgique et l’État sur le territoire duquel se situe le bien immobilier, les revenus afférents à ce bien seraient soumis à l’impôt en Belgique tout en bénéficiant d’un abattement de 50 %. En revanche, en présence d’une telle convention, ces revenus, alors qu’ils seraient exonérés de l’impôt en Belgique, seraient pris en compte afin de déterminer le taux d’imposition applicable aux revenus non exonérés.

22      À cet égard, la Commission fait valoir que la valeur cadastrale d’un bien immobilier situé en Belgique, en dépit de son indexation ainsi que des majorations et des ajustements applicables depuis l’année 1997, demeure inférieure à la valeur locative réelle de ce bien et au loyer effectif.

23      Il en résulterait une différence de traitement au détriment des résidents belges qui sont propriétaires de biens immobiliers situés dans des États membres de l’Union ou de l’EEE autres que la Belgique, ce qui serait de nature à dissuader ces personnes d’investir leurs capitaux dans de tels biens immobiliers et à restreindre la libre circulation des capitaux.

24      La Commission estime, par ailleurs, que l’arrêt du 11 septembre 2014, Verest et Gerards (C‑489/13, EU:C:2014:2210), confirme que, en application des conventions préventives de la double imposition, la prise en compte, en vertu d’une clause de progressivité, des revenus exonérés aux fins de la détermination du taux de l’impôt sur le revenu applicable aux revenus non exonérés est en elle-même susceptible de constituer un désavantage pour le contribuable dans la mesure où elle aboutit à un taux d’imposition plus élevé que celui qui serait applicable si l’immeuble était situé en Belgique.

25      Enfin, la Commission relève que, en réponse aux lettres de mise en demeure, les autorités belges ont fait valoir que, par la circulaire AGFisc no 22/2016, elles auraient procédé à un assouplissement de la doctrine fiscale en permettant de retenir une valeur fixée par les autorités d’un autre État sur le territoire duquel se situe le bien immobilier dont un résident belge est propriétaire, en lieu et place de la valeur locative réelle. Toutefois, cet assouplissement ne concernerait que les biens non loués, ne serait pas juridiquement contraignant pour l’administration fiscale belge et serait prévu par une circulaire dont la valeur juridique serait inférieure aux dispositions du CIR 92. En outre, les valeurs locatives calculées par les autorités étrangères, pour l’établissement de leurs impôts, ne seraient pas toujours inférieures aux loyers réels pratiqués sur le marché immobilier.

26      Le Royaume de Belgique ne conteste pas la différence des méthodes d’évaluation des revenus des biens immobiliers selon que ces biens se situent ou non sur le territoire belge. Il soutient, toutefois, qu’il ressort de l’arrêt du 11 septembre 2014, Verest et Gerards (C‑489/13, EU:C:2014:2210, point 20), qu’il est permis de recourir à des méthodes d’évaluation des revenus de biens immobiliers différentes pour autant que les libertés de circulation sont garanties. Tel serait le cas de la réglementation belge qui n’aboutirait pas nécessairement à une imposition supérieure dans le chef d’un contribuable belge qui dispose d’un bien immobilier situé sur le territoire d’un autre État.

27      Le Royaume de Belgique soutient, à cet égard, que la valeur cadastrale d’un bien immobilier situé en Belgique est déterminée, à l’instar de la valeur locative d’un bien immobilier situé dans un autre État, sur la base d’une estimation des loyers qui pourraient être recueillis, en tenant compte d’éléments variables, tels que l’âge du bien et le montant du loyer sur le marché locatif local. En fonction de ces éléments, l’écart entre la valeur cadastrale et la valeur locative réelle serait plus ou moins grand.

28      Certes, l’estimation à la base de la valeur cadastrale serait ancienne et, de ce fait, en général, nettement inférieure à la valeur locative réelle. Toutefois, la valeur cadastrale serait indexée chaque année en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation et majorée de 40 %.

29      D’ailleurs, un écart entre la valeur cadastrale et la valeur locative réelle d’un immeuble situé en Belgique n’impliquerait pas pour autant l’existence d’un écart entre la valeur cadastrale de l’immeuble situé en Belgique et la valeur locative réelle d’un bien immobilier comparable situé à dans un autre État. À cet égard, le Royaume de Belgique fait valoir que le coût de l’immobilier dans les États membres de l’Union et de l’EEE peut considérablement varier. Dans certains de ces États, les loyers pourraient être inférieurs à ceux pratiqués en Belgique.

30      S’agissant, en particulier, des biens qui sont exonérés de l’imposition en Belgique en application d’une convention préventive de la double imposition, le Royaume de Belgique soutient que, dans la mesure où le taux d’imposition s’appliquant aux revenus imposables en Belgique est progressif par tranche, la prise en compte des revenus immobiliers étrangers, en application d’une clause de progressivité n’affecte pas nécessairement le taux d’imposition applicable aux autres revenus imposables en Belgique. Tel serait le cas uniquement dans l’hypothèse où une éventuelle surévaluation aurait pour effet de faire passer le revenu marginal du contribuable à une tranche supérieure du barème d’imposition. Ainsi qu’il découlerait de l’arrêt du 11 septembre 2014, Verest et Gerards (C‑489/13, EU:C:2014:2210, point 23), le juge national, compétent pour vérifier l’existence d’une éventuelle imposition supérieure, devrait procéder à une appréciation au cas par cas.

31      Aux fins de la prise en compte des revenus immobiliers étrangers pour la détermination du taux d’imposition s’appliquant aux revenus imposables en Belgique, il conviendrait, en outre, de distinguer les biens immobiliers loués de ceux qui ne le sont pas.

32      Dans le cas des biens qui ne sont pas donnés en location, les contribuables belges disposeraient de la faculté, prévue par la circulaire AGFisc no 22/2016, de mentionner dans leur déclaration d’impôt la « valeur locative brute » déterminée par l’administration fiscale de l’État sur le territoire duquel se situe leur bien immobilier. Partant, cette circulaire engendrerait, dans le chef des contribuables, des attentes légitimes, ce que la cour d’appel d’Anvers (Belgique) aurait reconnu, le 2 juin 2015, dans l’affaire Verest & Gerards contre État belge.

33      Dans la mesure où certains États membres de l’Union ou de l’EEE ne procèdent pas à l’évaluation des revenus de biens immobiliers qui ne sont pas loués, l’estimation de la valeur locative de ces biens incomberait au contribuable. Toutefois, en fonction du niveau de vie et des loyers généralement pratiqués dans ces États, cette estimation ne serait pas nécessairement d’un montant supérieur à celui de la valeur cadastrale d’un immeuble comparable situé en Belgique.

34      S’agissant des immeubles donnés en location, une imposition supérieure de ceux situés dans un État membre de l’Union ou de l’EEE autre que le Royaume de Belgique ne pourrait s’appliquer que si trois conditions sont réunies, à savoir, premièrement, si le loyer et les avantages locatifs sont supérieurs à la valeur cadastrale d’un immeuble comparable situé en Belgique, deuxièmement, si le contribuable belge dispose d’autres revenus imposables en Belgique et, troisièmement, si la prise en compte du revenu immobilier déclenche le passage à une tranche supérieure du barème d’imposition.

35      Au surplus, la valeur cadastrale de biens immobiliers situés en Belgique se rapprocherait du montant des revenus des biens immobiliers situés dans un État autre que le Royaume de Belgique par la déduction de ces revenus, des impôts étrangers et des frais d’entretien et de réparation à hauteur de 40 %. En ce qui concerne ces frais, le Royaume de Belgique admet, toutefois, que la valeur cadastrale de biens immobiliers situés en Belgique est également diminuée d’un forfait de frais identique.

36      Le Royaume de Belgique soutient, en outre, que les revenus de biens immobiliers situés en Belgique font partie des revenus globalement soumis à l’impôt des personnes physiques et sont préalablement soumis au précompte immobilier, lequel est un impôt foncier distinct. Partant, alors que dans le cas des immeubles situés dans un autre État, les revenus de ces immeubles seraient uniquement pris en compte afin de déterminer le taux d’imposition applicable aux revenus imposables en Belgique, les revenus des immeubles situés en Belgique détermineraient non seulement le taux d’imposition applicable, mais seraient, de surcroît, soumis à une double imposition. Globalement, l’imposition des résidents belges détenant des biens immobiliers en Belgique serait donc plus élevée que celle des résidents belges détenant des biens immobiliers situés dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE.

 Appréciation de la Cour

 Observations liminaires

37      Par son recours, la Commission reproche au Royaume de Belgique de porter atteinte à la libre circulation des capitaux prévue à l’article 63 TFUE et à l’article 40 de l’accord EEE, en prévoyant un traitement fiscal défavorable aux résidents belges qui détiennent un bien immobilier sur le territoire d’un État membre de l’Union ou de l’EEE autre que le Royaume de Belgique.

38      Pour autant que le Royaume de Belgique fait état de la circulaire AGFisc no 22/2016 ayant, selon cet État membre, pour objet de rendre la réglementation litigieuse conforme à l’article 63 TFUE et à l’article 40 de l’accord EEE, il suffit de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation litigieuse telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (arrêt du 29 octobre 2015, Commission/Belgique, C‑589/14, non publié, EU:C:2015:736, point 49).

39      Dès lors que, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, ce délai a expiré le 26 mars 2012, il n’y a pas lieu de tenir compte de l’argumentation du Royaume de Belgique relative à cette circulaire datée du 29 juin 2016.

 Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux

40      Il convient de rappeler que les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent toutes celles qui sont de nature à dissuader les résidents d’un État membre de faire des investissements immobiliers dans d’autres États membres (arrêt du 11 septembre 2014, Verest et Gerards, C‑489/13, EU:C:2014:2210, point 21 ainsi que jurisprudence citée).

41      En l’espèce, les articles 7 et 13 du CIR 92, lus en combinaison avec les numéros 13/7 et 13/8 du commentaire administratif du même code, prévoient que les revenus afférents aux immeubles non loués, ou loués, soit à des personnes physiques qui n’en font pas un usage professionnel, soit à des personnes morales qui les mettent à disposition de personnes physiques à des fins privées sont déterminés sur une base forfaitaire pour les biens situés en Belgique et sur la base de la valeur locative réelle ou du loyer effectif pour ceux situés dans un autre État.

42      La base forfaitaire s’appliquant aux biens immobiliers situés en Belgique est constituée par leur valeur cadastrale, laquelle a été déterminée, le 1er janvier 1975, à partir d’une estimation de la valeur locative normale nette déterminée sur la base des loyers qui, en cas de location de ces biens, auraient pu être recueillis à cette date.

43      En outre, il est constant que, depuis l’année 1991, la valeur cadastrale d’un bien immobilier situé en Belgique est affectée d’un coefficient de majoration dont le taux évolue chaque année en fonction de l’indice des prix à la consommation. Au surplus, une majoration s’applique depuis l’année 1994 à la valeur cadastrale des immeubles bâtis, dont le taux a été fixé à 25 % pour l’année 1995 et porté à 40 % à compter de l’année 1997.

44      S’agissant de la valeur locative réelle d’un bien immobilier, celle-ci représente le loyer brut moyen annuel qui, en cas de location de ce bien, aurait pu être recueilli. Elle est utilisée afin de déterminer les revenus afférents aux biens immobiliers non loués situés dans un État autre que le Royaume de Belgique.

45      Le Royaume de Belgique ne conteste pas que la valeur cadastrale d’un bien immobilier situé en Belgique soit inférieure au loyer effectif de ce bien ou à sa valeur locative réelle. Il ressort, à cet égard, du recours de la Commission que l’évolution générale des prix de l’immobilier depuis l’année 1975 aurait suivi une tendance à la hausse dans l’ensemble des régions belges, induisant une augmentation correspondante des loyers, et que l’indexation et la majoration de la valeur cadastrale des biens immobiliers situés en Belgique n’auraient pas été suffisantes pour rapprocher cette valeur du montant des loyers pouvant être obtenus sur le marché locatif belge.

46      Certes, comme l’observe à juste titre le Royaume de Belgique, cet écart entre la valeur cadastrale et la valeur locative réelle d’un bien immobilier situé en Belgique ne signifie pas nécessairement que le revenu d’un bien immobilier situé dans un État autre que le Royaume de Belgique soit plus élevé que la valeur cadastrale d’un immeuble comparable situé sur le territoire belge. Il n’est pas exclu, en effet, que les loyers pratiqués dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE soient bien inférieurs à ceux pratiqués en Belgique.

47      Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 42 à 44 du présent arrêt, le revenu d’un bien immobilier, situé en Belgique ou ailleurs, retenu par les autorités fiscales belges est calculé, in fine, en fonction des loyers qu’un immeuble est susceptible de générer, ce que confirme le Royaume de Belgique dans ses observations soumises à la Cour.

48      Par conséquent, afin de déterminer si l’évaluation différenciée du revenu immobilier – selon que le bien est situé en Belgique ou dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE – est constitutive d’une différence de traitement, il convient de comparer la valeur cadastrale, la valeur locative et les loyers pouvant être effectivement obtenus sur le marché locatif.

49      À cet égard, il ressort des considérations exposées aux points 41 à 45 du présent arrêt que, d’une part, la valeur cadastrale d’un bien immobilier situé en Belgique est inférieure aux loyers pouvant être obtenus sur le marché locatif belge et que, d’autre part, la valeur locative réelle d’un bien immobilier correspond, en principe, au loyer brut moyen annuel qui, en cas de location de ce bien, pourrait être recueilli. Il en résulte que, par l’évaluation différenciée des revenus des biens immobiliers en fonction de l’État sur le territoire duquel se situent ces biens, le revenu d’un bien immobilier situé dans un État membre de l’Union ou de l’EEE autre que le Royaume de Belgique est surévalué par rapport au revenu d’un bien immobilier situé en Belgique.

50      D’ailleurs, ainsi que le relève la Commission, au vu de l’importance de cette surévaluation, le fait que la valeur locative réelle d’un bien immobilier situé dans un État membre de l’Union ou de l’EEE autre que le Royaume de Belgique est réduite d’un montant correspondant aux impôts qui grèvent le revenu immobilier de ce bien dans ce premier État n’aboutit pas à un rapprochement déterminant de la valeur locative et de la valeur cadastrale.

51      Dans la mesure où le Royaume de Belgique exerce son pouvoir d’imposition sur les revenus immobiliers des biens loués et non loués situés dans un État membre de l’Union ou de l’EEE autre que le Royaume de Belgique, il résulte de la surévaluation des revenus de tels biens que la base imposable retenue est plus élevée qu’elle ne le serait si une valeur analogue à la valeur cadastrale telle que prévue par la réglementation litigieuse pour les biens situés en Belgique était utilisée afin de déterminer le niveau de ces revenus.

52      En présence de conventions préventives de la double imposition, qui prévoient une réserve de progressivité, le revenu d’un immeuble situé dans un autre État n’est pas imposé en Belgique. Il est, toutefois, pris en compte afin d’appliquer la règle de progressivité lors du calcul du montant de l’impôt sur le reste des revenus du contribuable imposables en Belgique (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, Verest et Gerards, C‑489/13, EU:C:2014:2210, points 29 et 30). Dans cette hypothèse, la surévaluation du revenu des biens situés dans un État membre de l’Union ou de l’EEE autre que le Royaume de Belgique peut conduire à l’application d’un taux d’imposition plus lourd, ce que le Royaume de Belgique admet dans ses observations soumises à la Cour.

53      À la lumière de ce qui précède, il convient de constater que la réglementation litigieuse prévoyant que les revenus afférents aux immeubles non loués, ou loués, soit à des personnes physiques qui n’en font pas un usage professionnel, soit à des personnes morales qui les mettent à disposition de personnes physiques à des fins privées sont déterminés sur une base forfaitaire pour les biens situés en Belgique et sur la base de la valeur locative réelle ou du loyer effectif pour ceux situés dans un autre État entraîne une différence de traitement susceptible de dissuader les résidents belges de faire des investissements immobiliers dans des États membres de l’Union ou de l’EEE autre que le Royaume de Belgique.

54      Par conséquent, cette réglementation constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, prohibée, en principe, par l’article 63 TFUE.

 Sur l’existence d’une justification à la restriction à la libre circulation des capitaux au titre de l’article 65 TFUE

55      Selon une jurisprudence constante, il convient de distinguer les différences de traitement permises au titre de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE des discriminations interdites par l’article 65, paragraphe 3, TFUE. Pour qu’une législation fiscale nationale, telle que la réglementation litigieuse, puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux, il est nécessaire que cette différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2014, Commission/Espagne, C‑127/12, non publié, EU:C:2014:2130, point 73 ; du 11 septembre 2014, Verest et Gerards, C‑489/13, EU:C:2014:2210, point 28, ainsi que du 17 septembre 2015, Miljoen e.a., C‑10/14, C‑14/14 et C‑17/14, EU:C:2015:608, point 64).

56      À cet égard, le Royaume de Belgique fait valoir que, en application des conventions préventives de la double imposition qu’il a conclues avec la plupart des États membres de l’Union ou de l’EEE, les revenus des immeubles situés sur le territoire de ces États ne sont pas imposés en Belgique au titre de l’impôt des personnes physiques alors que les revenus afférents aux biens immobiliers situés en Belgique feraient partie de la base imposable pour le calcul de l’impôt en Belgique. De ce fait, une violation de l’article 63 TFUE ne pourrait être constatée que si le montant effectivement dû en Belgique au titre de l’imposition globale des revenus des personnes physiques y résidant était plus élevé pour le propriétaire d’un bien immobilier situé dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE.

57      Cette argumentation doit être rejetée.

58      Ainsi que l’observe le Royaume de Belgique dans son mémoire en défense, les revenus exonérés en vertu d’une convention préventive de la double imposition sont, conformément à l’article 155 du CIR 92, pris en compte aux fins de la détermination du taux d’imposition applicable aux revenus imposables en Belgique.

59      L’objectif d’une telle exemption avec « réserve de progressivité » est d’éviter que, en Belgique, les revenus imposables d’un contribuable, propriétaire d’un bien immobilier situé dans un autre État, soient frappés d’un taux d’imposition inférieur à celui applicable aux revenus des contribuables, propriétaires de biens comparables en Belgique (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, Verest et Gerards, C‑489/13, EU:C:2014:2210, point 31).

60      À la lumière de cet objectif, la situation des contribuables ayant acquis un bien immobilier en Belgique est comparable à celle des contribuables ayant acquis un tel bien dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, Verest et Gerards, C‑489/13, EU:C:2014:2210, point 32).

61      La même conclusion s’applique en l’absence de convention préventive de la double imposition. Dans cette hypothèse, l’objectif de la réglementation litigieuse d’imposer les revenus afférents aux biens immobiliers dont les résidents belges sont propriétaires s’applique de la même manière aux revenus des biens immobiliers situés en Belgique ou dans un autre État. Dans les deux cas, ces revenus sont inclus dans la base imposable aux fins de l’imposition des revenus.

62      S’agissant, en outre, de la question de savoir si la différence de traitement des contribuables belges selon qu’ils possèdent un bien immobilier en Belgique ou dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, il y a lieu de constater que le Royaume de Belgique n’a invoqué, devant la Cour, aucune raison impérieuse d’intérêt général qui serait susceptible de justifier, en l’espèce, la restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63 TFUE.

 Sur le manquement à l’article 40 de l’accord EEE

63      Dans la mesure où les dispositions de l’article 40 de l’accord EEE revêtent la même portée juridique que les dispositions, identiques en substance, de l’article 63 TFUE, l’ensemble des considérations qui précèdent, relatives à l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63 TFUE, est, dans les circonstances du présent recours, transposable mutatis mutandis audit article 40 (arrêt du 4 mai 2017, Commission/Grèce, C‑98/16, non publié, EU:C:2017:346, point 49).

64      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que le recours introduit par la Commission est fondé.

65      En conséquence, il convient de constater que, en maintenant des dispositions selon lesquelles, en matière d’estimation des revenus afférents aux immeubles non loués, ou loués, soit à des personnes physiques qui n’en font pas un usage professionnel, soit à des personnes morales qui les mettent à disposition de personnes physiques à des fins privées, la base imposable est calculée à partir de la valeur cadastrale en ce qui concerne les biens situés sur le territoire national et sur la valeur locative réelle s’agissant des immeubles situés à l’étranger, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord EEE.

 Sur les dépens

66      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Belgique et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner ce dernier aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :

1)      En maintenant des dispositions selon lesquelles, en matière d’estimation des revenus afférents aux immeubles non loués, ou loués, soit à des personnes physiques qui n’en font pas un usage professionnel, soit à des personnes morales qui les mettent à disposition de personnes physiques à des fins privées, la base imposable est calculée à partir de la valeur cadastrale en ce qui concerne les biens situés sur le territoire national et sur la valeur locative réelle s’agissant des immeubles situés à l’étranger, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992.


2)      Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.

Fernlund

Bonichot

Arabadjiev

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 avril 2018.

Le greffier

Le président de la VIème chambre

A. Calot Escobar

 

C.G. Fernlund


*      Langue de procédure : le français.