ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
10 avril 2003(1)
«Manquement d'État - Recevabilité - Intérêt à agir - Directive 92/50/CEE - Procédures de passation des marchés publics de services - Procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché - Conditions»
Dans les affaires jointes C-20/01 et C-28/01,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Schieferer, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
contre
République fédérale d'Allemagne, représentée par M. W.-D. Plessing, en qualité d'agent, assisté de Me H.-J. Prieß, Rechtsanwalt,
soutenue par
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par Mme R. Magrill, en qualité d'agent, assistée de M. R. Williams, barrister,
ayant pour objet deux recours visant respectivement à faire constater que:
- en ne lançant pas d'appel d'offres pour le contrat relatif à l'évacuation des eaux usées de la commune de Bockhorn (Allemagne) et en ne publiant pas le résultat de la procédure d'attribution dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale d'Allemagne a, lors de l'attribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 8, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1);
- lors de l'attribution d'un marché public de services, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 11, paragraphe 3, sousb), de la directive 92/50, en ce que la ville de Brunswick (Allemagne) a passé un contrat relatif à l'élimination de ses déchets en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché, bien que les conditions fixées par ledit article 11, paragraphe 3, pour la passation des marchés de gré à gré sans appel d'offres au niveau européen n'aient pas été remplies,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. M. Wathelet, président de chambre, MM. D. A. O. Edward, A. La Pergola, P. Jann (rapporteur) et A. Rosas, juges,
avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 10 octobre 2002,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 28 novembre 2002,
rend le présent
Arrêt
- 1.
- Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 16 et 23 janvier 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de larticle 226 CE, deux recours visant a faire constater que:
en ne lançant pas dappel doffres pour le contrat relatif à lévacuation des eaux usées de la commune de Bockhorn (Allemagne) et en ne publiant pas le résultat de la procédure dattribution dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale dAllemagne a, lors de lattribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 8, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1);
lors de lattribution dun marché public de services, la République fédérale dAllemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50, en ce que la ville de Brunswick (Allemagne) a passé un contrat relatif à lélimination de ses déchets en recourant à la procédure négociée sans publication préalable dun avis de marché, bien que les conditions fixées par ledit article 11, paragraphe 3, pour la passation des marchés de gré à gré sans appel doffres au niveau européen naient pas été remplies.
Le cadre juridique
- 2.
- Larticle 8 de la directive 92/50 prévoit:
«Les marchés qui ont pour objet des services figurant à lannexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI.»
- 3.
- Le titre V (articles 15 à 22) de la directive 92/50 comporte des règles communes de publicité. Conformément à larticle 15, paragraphe 2, de ladite directive, les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de services en recourant à une procédure ouverte, restreinte ou, dans les conditions prévues à larticle 11 de cette directive, à une procédure négociée font connaître leur intention au moyen dun avis.
- 4.
- Larticle 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50 dispose:
«Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics de services en recourant à une procédure négociée sans publication préalable dun avis de marché dans les cas suivants:
[.]
b) pour les services dont lexécution, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits dexclusivité, ne peut être confiée quà un prestataire déterminé».
- 5.
- Aux termes de larticle 16, paragraphe 1, de la directive 92/50:
«Les pouvoirs adjudicateurs qui ont passé un marché public ou organisé un concours envoient un avis concernant les résultats de la procédure dattribution à lOffice des publications officielles des Communautés européennes.»
Les faits et la procédure précontentieuse
Affaire C-20/01
- 6.
- La commune de Bockhorn, dans le Land de Basse-Saxe, a conclu, pour lévacuation de ses eaux usées, un contrat pour une durée dau moins 30 ans à compter du 1er janvier 1997 avec lentreprise de distribution dénergie Weser-Ems AG (ci-après «EWE»).
- 7.
- Par lettre du 30 avril 1999, la Commission a mis le gouvernement allemand en demeure de lui présenter ses observations sur la question de savoir si les dispositions de la directive 92/50 devaient être appliquées en lespèce.
- 8.
- Dans sa réponse en date du 1er juillet 1999, le gouvernement allemand a admis que le contrat conclu par la commune de Bockhorn aurait dû être passé conformément à la réglementation communautaire. En outre, il a indiqué que le ministère de lIntérieur du Land de Basse-Saxe profiterait de la circonstance pour inviter les autorités locales à rappeler avec fermeté aux collectivités territoriales quelles doivent observer strictement la réglementation communautaire relative à la passation des marchés publics.
- 9.
- Le 21 mars 2000, la Commission a adressé un avis motivé à la République fédérale dAllemagne, dans lequel elle faisait valoir que les dispositions de la directive 92/50 auraient dû être appliquées et quil importe peu en droit que linfraction aux dispositions du droit communautaire ait été reconnue par cet État membre. La Commission a par ailleurs invité ce dernier à rappeler sans tarder aux autorités concernées les exigences en la matière et à les inciter à respecter à lavenir lesdites dispositions.
- 10.
- Dans une communication du 12 mai 2000, le gouvernement allemand a de nouveau reconnu linfraction reprochée. Il a expliqué que, à la suite de son intervention consécutive à la lettre de mise en demeure de la Commission, le ministère de lIntérieur du Land de Basse-Saxe avait, par décret du 21 juin 1999, invité toutes les autorités locales de ce Land à veiller de manière appropriée à ce que les pouvoirs adjudicateurs observent strictement les dispositions communautaires relatives à la passation des marchés publics. En réaction à lavis motivé, le gouvernement dudit Land aurait rappelé avec insistance que ces dispositions devaient être respectées.
- 11.
- Au demeurant, le gouvernement allemand a fait valoir que le droit national noffrait quasi aucune possibilité de mettre un terme à linfraction à la directive 92/50, parce quil existe, depuis le 1er janvier 1997, un contrat définitif entre la commune de Bockhorn et EWE, qui ne saurait être résilié sans que des indemnités très élevées soient versées à cette dernière. Le coût dune telle résiliation serait disproportionné par rapport à lobjectif visé par la Commission.
Affaire C-28/01
- 12.
- La ville de Brunswick, également située dans le Land de Basse-Saxe, et Braunschweigsche Kohlebergwerke (ci-après «BKB») ont conclu un contrat par lequel a été confiée à cette dernière, à compter de juin/juillet 1999 et pour une durée de 30 ans, lélimination de déchets résiduels en vue dun traitement thermique.
- 13.
- Les autorités compétentes de la ville de Brunswick ont considéré que la directive 92/50 était applicable, mais ont invoqué larticle 11, paragraphe 3, de celle-ci pour se dispenser de lobligation de publier un avis et passer le marché en recourant à une procédure négociée.
- 14.
- Par lettre de mise en demeure du 20 juillet 1998, la Commission a contesté cette interprétation.
- 15.
- Par lettres des 4 août, 19 octobre et 15 décembre 1998, le gouvernement allemand a répondu à la lettre de mise en demeure en faisant valoir que les conditions dapplication de larticle 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50 étaient réunies dans la mesure où un traitement thermique des déchets ne pouvait, pour des raisons techniques, être confié quà BKB. La proximité géographique des infrastructures dincinération par rapport à la ville de Brunswick aurait constitué un critère essentiel dattribution afin déviter de plus grandes distances de transport.
- 16.
- Par lettre du 16 décembre 1998, le gouvernement allemand a admis que ladite ville avait enfreint en lespèce la directive 92/50 en recourant de manière non justifiée à la procédure négociée sans publication dun avis de marché.
- 17.
- Le 6 mars 2000, la Commission a adressé un avis motivé à la République fédérale dAllemagne, dans lequel elle a notamment invité cet État membre à rappeler sans tarder aux autorités concernées la réglementation en la matière et à inciter ces dernières à respecter à lavenir les dispositions applicables.
- 18.
- Dans une communication du 17 mai 2000, le gouvernement allemand a reconnu linfraction reprochée. Il a également indiqué que le gouvernement du Land de Basse-Saxe avait invité toutes les autorités locales à respecter les dispositions relatives à la passation des marchés publics. Comme dans laffaire C-20/01, il a précisé quil ne saurait être remédié aux conséquences de linfraction à la directive 92/50 par une résiliation du contrat. Au demeurant, une telle résiliation obligerait la ville de Brunswick à verser des indemnités très élevées au cocontractant. Le coût dune telle résiliation serait dès lors disproportionné.
- 19.
- Par ordonnance du président de la Cour du 15 mai 2001, les affaires C-20/01 et C-28/01 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de larrêt.
- 20.
- Par ordonnance du président de la Cour du 18 mai 2001, le Royaume-Uni a été admis à intervenir à lappui des conclusions de la partie défenderesse.
Sur la recevabilité du recours
Moyens et arguments des parties
- 21.
- Le gouvernement allemand fait valoir, à titre principal, que les recours sont irrecevables, car il nexiste plus aucun manquement auquel lÉtat membre défendeur devrait mettre fin. En effet, la réglementation communautaire relative à la passation des marchés publics serait constituée uniquement de règles de procédure. La violation de ces règles épuiserait tous ses effets au moment même où elle est commise. Après la reconnaissance par la République fédérale dAllemagne de cette violation, il nexisterait plus dintérêt objectif à lintroduction des recours en manquement.
- 22.
- Quant à la nécessité dun tel intérêt objectif, le gouvernement allemand considère que la procédure en manquement peut être rapprochée du recours en carence prévu à larticle 232 CE. Ce dernier recours serait irrecevable lorsque linstitution en cause, après avoir été invitée à agir, a pris position. Selon la jurisprudence de la Cour, même laveu dune abstention illégale ferait disparaître lintérêt objectif à faire constater la carence.
- 23.
- Lintérêt objectif à faire constater les manquements en question ne peut pas non plus, selon le gouvernement allemand, résulter en lespèce de la nécessité détablir le fondement dune responsabilité de lÉtat membre en cause. Notamment, une responsabilité à légard des particuliers serait exclue, car il napparaît pas que ces derniers aient subi un préjudice en raison des contrats conclus par la commune de Bockhorn et la ville de Brunswick.
- 24.
- Quant aux contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs, le gouvernement allemand, soutenu sur ce point par le gouvernement du Royaume-Uni, estime que le droit communautaire leur confère la protection qui résulte des droits acquis. Le principe pacta sunt servanda serait consacré par la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à lapplication des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33). En effet, en laissant au droit national la possibilité de limiter les pouvoirs de linstance de contrôle de la procédure de passation des marchés publics à loctroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation du droit communautaire en matière de marchés publics, larticle 2, paragraphe 6, de ladite directive sabstiendrait précisément dexiger que des contrats valablement conclus soient résiliés ou ne soient pas respectés.
- 25.
- En ce qui concerne le droit national, le gouvernement allemand explique quil est caractérisé par le principe selon lequel un contrat conclu par un pouvoir adjudicateur en violation des dispositions en matière de passation des marchés publics ne saurait être résilié que pour un motif grave, notion qui ne viserait pas les circonstances antérieures à la conclusion de ce contrat. Par ailleurs, la nullité dun tel contrat ne serait prévue que dans des cas exceptionnels, strictement délimités, qui ne concerneraient pas les contrats conclus en lespèce. En revanche, le droit national comporterait les dispositions nécessaires permettant aux personnes lésées de demander des dommages-intérêts.
- 26.
- La Commission fait valoir quelle na pas à démontrer lexistence dun intérêt particulier à agir pour introduire un recours en manquement en vertu de larticle 226 CE. La Cour naurait examiné lexistence dun tel intérêt que dans des cas dans lesquels un État membre sétait conformé à lavis motivé de la Commission après lexpiration du délai fixé dans ledit avis. Un tel intérêt pourrait toutefois, selon la Commission, consister non seulement à établir le fondement dune responsabilité de lÉtat membre concerné, mais également à clarifier les points essentiels du droit communautaire et à éviter les risques de récidive.
- 27.
- En lespèce, la Commission considère que le manquement incriminé na pas épuisé tous ses effets dans un vice de procédure et quil perdure. Dune part, les instructions générales données aux autorités locales nauraient pas permis de mettre un terme aux infractions concrètes. Dautre part, un État membre ne saurait, pour échapper à une action en justice introduite par la Commission, invoquer un fait accompli dont il est lui-même lauteur.
- 28.
- En outre, sil est vrai que la Cour a rejeté comme irrecevable un recours en manquement en matière de marchés publics au motif que linfraction ne subsistait plus à lexpiration du délai fixé dans lavis motivé, cette solution résulterait des circonstances particulières de lespèce. Dans les présentes affaires, au contraire, les contrats conclus en violation du droit communautaire continueraient à produire leurs effets pendant des décennies. Le gouvernement allemand naurait donc pas mis un terme au manquement. Limpossibilité dannuler les contrats en cause naurait aucune influence sur la recevabilité des recours, car cest aux États membres quil reviendrait de choisir le mode de réparation adéquat pour remédier à un manquement.
Appréciation de la Cour
- 29.
- Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de lexercice des compétences quelle tient de larticle 226 CE, la Commission na pas à démontrer lexistence dun intérêt spécifique à agir. Ladite disposition ne vise pas, en effet, à protéger les droits propres de la Commission. Celle-ci, dans lintérêt général communautaire, a pour mission de veiller doffice à lapplication, par les États membres, du traité CE et des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci et de faire constater, en vue de leur cessation, lexistence de manquements éventuels aux obligations qui en dérivent (arrêts du 4 avril 1974, Commission/France, 167/73, Rec. p. 359, point 15; du 11 août 1995, Commission/Allemagne, C-431/92, Rec. p. I-2189, point 21, et du 5 novembre 2002, Commission/Allemagne, C-476/98, non encore publié au Recueil, point 38).
- 30.
- Eu égard à son rôle de gardienne du traité, la Commission est dès lors seule compétente pour décider sil est opportun dengager une procédure en constatation de manquement et en raison de quel agissement ou omission imputable à lÉtat membre concerné cette procédure doit être introduite. Elle peut donc demander à la Cour de constater un manquement qui consisterait à ne pas avoir atteint, dans un cas déterminé, le résultat visé par une directive (arrêts du 11 août 1995, Commission/Allemagne, précité, point 22, et du 5 novembre 2002, Commission/Belgique, C-471/98, non encore publié au Recueil, point 39).
- 31.
- Le gouvernement allemand soutient toutefois que, en lespèce, les manquements ont consisté dans des violations de règles de procédure, qui ont épuisé tous leurs effets avant lexpiration des délais fixés dans les avis motivés, et que ces manquements ont étés reconnus comme tels par la République fédérale dAllemagne avant cette date.
- 32.
- Il est vrai que lexistence dun manquement doit être appréciée en fonction de la situation de lÉtat membre, telle quelle se présentait au terme du délai fixé dans lavis motivé (arrêts du 27 novembre 1990, Commission/Grèce, C-200/88, Rec. p. I-4299, point 13; du 31 mars 1992, Commission/Italie, C-362/90, Rec. p. I-2353, point 10, et du 7 mars 2002, Commission/Espagne, C-29/01, Rec. p. I-2503, point 11).
- 33.
- Sil est vrai que la Cour a été amenée, en matière de passation des marchés publics, à considérer comme irrecevable un recours en manquement, cétait au motif que, à la date dexpiration du délai fixé dans lavis motivé, lavis de marché litigieux avait épuisé tous ses effets (arrêt Commission/Italie, précité, points 11 à 13).
- 34.
- En revanche, la Cour a rejeté une exception dirrecevabilité tirée de la prétendue cessation de linfraction alléguée dans une situation dans laquelle des procédures de passation de marchés publics sétaient entièrement déroulées avant la date dexpiration du délai fixé dans lavis motivé, dès lors que les contrats navaient pas été entièrement exécutés avant ladite date (arrêt du 28 octobre 1999, Commission/Autriche, C-328/96, Rec. p. I-7479, points 43 à 45).
- 35.
- En outre, sil est vrai que la directive 92/50 comporte essentiellement des règles de procédure, il nen demeure pas moins quelle a été adoptée en vue de supprimer les entraves à la libre prestation des services et vise donc à protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre désireux doffrir des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre (voir, notamment, arrêt du 18 octobre 2001, SIAC Construction, C-19/00, Rec. p. I-7725, point 32).
- 36.
- Il y a lieu dès lors de considérer que latteinte portée à la libre prestation des services par la méconnaissance des dispositions de la directive 92/50 subsiste pendant toute la durée dexécution des contrats conclus en violation de celle-ci.
- 37.
- Or, en lespèce, les contrats prétendument conclus en violation des dispositions de la directive 92/50 continueront à produire leurs effets pendant des décennies. Il ne saurait par conséquent être soutenu que les manquements allégués ont pris fin avant lexpiration des délais fixés dans les avis motivés.
- 38.
- Le bien-fondé de cette conclusion nest pas remis en cause par la possibilité offerte aux États membres, en application de larticle 2, paragraphe 6, de la directive 89/665, de limiter les pouvoirs de linstance responsable des procédures de recours, après la conclusion du contrat qui suit lattribution dun marché, à loctroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation du droit communautaire en matière de marchés publics.
- 39.
- En effet, sil est vrai que ladite disposition autorise les États membres à maintenir les effets de contrats conclus en violation des directives en matière de passation des marchés publics et protège ainsi la confiance légitime des cocontractants, elle ne saurait, sans réduire la portée des dispositions du traité établissant le marché intérieur, avoir pour conséquence que le comportement du pouvoir adjudicateur à légard des tiers doit être considéré comme conforme au droit communautaire postérieurement à la conclusion de tels contrats.
- 40.
- Par ailleurs, ni le fait que le gouvernement allemand a, lors de la procédure précontentieuse, reconnu lexistence des manquements qui lui sont reprochés par la Commission ni la circonstance, alléguée par ledit gouvernement, selon laquelle une action en dommages-intérêts est possible en droit national même en labsence dune constatation des manquements par la Cour ne sauraient influer sur la recevabilité des présents recours.
- 41.
- En effet, la Cour a déjà jugé quil lui appartient de constater si le manquement reproché existe ou non, même si lÉtat membre concerné ne conteste plus le manquement et reconnaît le droit à la réparation du préjudice éventuellement subi de ce fait par les particuliers (arrêt du 22 juin 1993, Commission/Danemark, C-243/89, Rec. p. I-3353, point 30).
- 42.
- La constatation du manquement dun État membre nétant pas liée à celle dun dommage qui en résulterait (arrêt du 18 décembre 1997, Commission/Belgique, C-263/96, Rec. p. I-7453, point 30), la République fédérale dAllemagne ne saurait exciper du fait quaucun tiers na subi de préjudice dans le cas des contrats conclus par la commune de Bockhorn et la ville de Brunswick.
- 43.
- Dès lors que les manquements allégués ont perduré au-delà de la date fixée dans les avis motivés et alors même que lexistence de tels manquements a été reconnue par la République fédérale dAllemagne, cette dernière ne saurait non plus tirer argument dune comparaison avec le recours en carence prévu à larticle 232 CE ni des circonstances au regard desquelles la Cour considère quil a été mis fin à une carence.
- 44.
- Au vu de ce qui précède, il convient de considérer que les recours introduits par la Commission sont recevables.
Sur le fond
Moyens et arguments des parties
- 45.
- La Commission fait valoir, dans laffaire C-20/01, que la directive 92/50 était applicable au marché en question, qui aurait dû faire lobjet dun appel doffres conformément aux dispositions combinées des articles 8 et 15, paragraphe 2, de ladite directive. Le résultat de la procédure dattribution aurait dû être publié conformément à larticle 16 de celle-ci.
- 46.
- Dans laffaire C-28/01, la Commission soutient que le contrat en question relève également du champ dapplication de la directive 92/50. Selon elle, les conditions permettant le recours à une procédure négociée sans publication dun avis préalable de marché, conformément à larticle 11, paragraphe 3, sous b), de cette directive, nétaient pas réunies. Ni lemplacement de lentreprise choisie, en raison de la proximité du lieu de la prestation, ni lurgence de lattribution du marché ne sauraient justifier lapplication de cette disposition en lespèce.
- 47.
- Le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à lenvironnement, prévu à larticle 130 R, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 174 CE), devrait être lu à la lumière de lensemble de cette disposition, selon laquelle les exigences en matière de protection de lenvironnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en .uvre des autres politiques de la Communauté. Ladite disposition ne prévoirait pas la priorité de la politique communautaire dans le domaine de lenvironnement sur les autres politiques communautaires en cas de conflit entre elles. En outre, dans le cadre dune procédure de passation des marchés publics, des critères dordre écologique ne sauraient être utilisés à des fins discriminatoires.
- 48.
- Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur justifierait le choix de la procédure de passation du marché en cause par largument tiré de la garantie de lélimination. Selon la Commission, un tel argument réfute celui selon lequel cette procédure avait été choisie en raison de considérations dordre environnemental et de proximité régionale de linstallation délimination des déchets.
- 49.
- Le gouvernement allemand, qui ne présente son argumentation sur le fond quà titre subsidiaire, fait valoir que les recours introduits par la Commission ne sont en tout état de cause pas fondés, dès lors que les violations alléguées de la directive 92/50 avaient épuisé tous leurs effets au moment où elles ont été commises et ne perduraient pas à la date dexpiration du délai fixé dans les avis motivés.
- 50.
- Dans laffaire C-28/01, le gouvernement allemand ajoute que le critère de la proximité régionale de linstallation délimination des déchets, qui aurait été choisi de manière tout à fait légale, ne pouvait être respecté que par BKB. Ce critère ne serait pas automatiquement discriminatoire dans la mesure où il nest pas exclu que des entreprises établies dans dautres États membres puissent respecter cette exigence.
- 51.
- De manière générale, un pouvoir adjudicateur serait autorisé à tenir compte de critères environnementaux dans ses considérations relatives à ladjudication dun marché public, lorsquil détermine le type de service quil envisage de demander. Le gouvernement allemand estime que, pour ce motif également, la résiliation du contrat conclu entre la ville de Brunswick et BKB ne saurait être exigée, étant donné que, lors dune nouvelle adjudication, ce contrat devrait de nouveau être attribué à cette société.
Appréciation de la Cour
Affaire C-20/01
- 52.
- Sagissant de laffaire C-20/01, il est constant que les conditions dapplication de la directive 92/50 étaient réunies. En effet, ainsi que le relève M. lavocat général au point 65 de ses conclusions, le traitement des eaux usées constitue un service au sens de larticle 8 et de lannexe I A, catégorie 16, de cette directive. La construction de certaines installations ne revêt quun caractère accessoire par rapport à lobjet principal du marché conclu par la commune de Bockhorn avec EWE. Le montant de ce dernier dépasse largement le seuil fixé à larticle 7 de ladite directive.
- 53.
- En vertu des articles 8 et 15, paragraphe, 2, de la directive 92/50, le marché aurait par conséquent dû être passé en conformité avec les dispositions de cette directive. Il est constant et, au demeurant, le gouvernement allemand ne conteste pas que la commune de Bockhorn sest abstenue de le faire.
- 54.
- La défense présentée sur le fond par la République fédérale dAllemagne renvoie en substance aux arguments invoqués pour contester la recevabilité du recours. Ces arguments doivent, pour les motifs énoncés aux points 29 à 43 du présent arrêt, être rejetés.
- 55.
- Il sensuit que le recours de la Commission dans laffaire C-20/01 est fondé.
Affaire C-28/01
- 56.
- Dans laffaire C-28/01, la directive 92/50 était manifestement applicable et a dailleurs été appliquée par la ville de Brunswick. Toutefois, celle-ci, en se fondant sur larticle 11, paragraphe, 3, sous b), de ladite directive, a eu recours à une procédure négociée sans publication préalable dun avis de marché.
- 57.
- Or, tout en ayant reconnu, lors de la procédure précontentieuse, que les conditions dapplication de cette disposition nétaient pas réunies, le gouvernement allemand fait valoir que BKB était effectivement la seule entreprise à laquelle le marché pouvait être attribué et quune nouvelle mise en adjudication ne saurait modifier ce résultat.
- 58.
- À cet égard, il convient de relever demblée que les dispositions de larticle 11, paragraphe 3, de la directive 92/50, qui autorisent des dérogations aux règles visant à garantir leffectivité des droits reconnus par le traité dans le secteur des marchés publics de services, doivent faire lobjet dune interprétation stricte et que cest à celui qui entend sen prévaloir quincombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement (voir, en ce qui concerne les marchés publics des travaux, arrêt du 28 mars 1996, Commission/Allemagne, C-318/94, Rec. p. I -1949, point 13).
- 59.
- Sagissant de larticle 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50, cette disposition ne peut trouver à sappliquer que sil est établi quil nexiste, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits dexclusivité, quune seule entreprise effectivement en mesure dexécuter le marché concerné. Aucune raison artistique ou tenant à la protection de droits dexclusivité nétant alléguée en lespèce, il convient uniquement dexaminer si les raisons invoquées par le gouvernement allemand sont susceptibles de constituer des raisons techniques au sens de ladite disposition.
- 60.
- Il est vrai quun pouvoir adjudicateur peut tenir compte de critères relatifs à la préservation de lenvironnement aux différents stades dune procédure de passation des marchés publics (voir, en ce qui concerne lutilisation de tels critères en tant que critères dattribution dun marché relatif à la gestion dune ligne dun réseau dautobus urbains, arrêt du 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland, C-513/99, Rec. p. I-7213, point 57).
- 61.
- Dès lors, il napparaît pas exclu quune raison technique tenant à la protection de lenvironnement puisse être prise en considération pour apprécier si le marché en question ne peut être confié quà un prestataire déterminé.
- 62.
- Toutefois, la procédure utilisée du fait de lexistence dune telle raison technique doit respecter les principes fondamentaux du droit communautaire et, notamment, le principe de non-discrimination tel quil découle des dispositions du traité en matière de droit détablissement et de libre prestation des services (voir, par analogie, arrêt Concordia Bus Finland, précité, point 63).
- 63.
- Or, le risque dune atteinte au principe de non-discrimination est particulièrement élevé lorsquun pouvoir adjudicateur décide de ne pas soumettre un marché déterminé à la concurrence.
- 64.
- En lespèce, il convient de constater, en premier lieu, que, en labsence de tout élément de preuve en ce sens, le choix dun traitement thermique des déchets ne saurait être considéré comme constituant une raison technique de nature à justifier lallégation selon laquelle le marché ne pouvait être attribué quà un prestataire déterminé.
- 65.
- En deuxième lieu, le fait que, selon le gouvernement allemand, la proximité de lélimination est une conséquence nécessaire de la décision de la ville de Brunswick de traiter thermiquement les déchets résiduels nest corroboré par aucun élément de preuve et ne saurait, dès lors, être considéré comme constituant une telle raison technique. Plus particulièrement, le gouvernement allemand na pas démontré que le transport des déchets sur une plus grande distance constituerait nécessairement un danger pour lenvironnement ou la santé publique.
- 66.
- En troisième lieu, la proximité dun prestataire déterminé par rapport au territoire communal ne saurait non plus constituer, à elle seule, une raison technique au sens de larticle 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50.
- 67.
- Il sensuit que la République fédérale dAllemagne na pas établi que le recours à larticle 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 était justifié en lespèce. Par conséquent, il y a lieu également daccueillir le recours de la Commission dans laffaire C-28/01.
- 68.
- Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que:
la commune de Bockhorn nayant pas lancé dappel doffres pour le contrat relatif à lévacuation de ses eaux usées et nayant pas publié le résultat de la procédure dattribution dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes, la République fédérale dAllemagne a, lors de lattribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 8, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive 92/50;
la ville de Brunswick ayant passé un contrat relatif à lélimination de ses déchets en recourant à la procédure négociée sans publication préalable dun avis de marché, bien que les conditions fixées à larticle 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 pour la passation des marchés de gré à gré sans appel doffres au niveau communautaire naient pas été remplies, la République fédérale dAllemagne a, lors de lattribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 11, paragraphe 3, sous b), de ladite directive.
Sur les dépens
- 69.
- Aux termes de larticle 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, sil est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale dAllemagne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à larticle 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Royaume-Uni supporte ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) La commune de Bockhorn (Allemagne) nayant pas lancé dappel doffres pour le contrat relatif à lévacuation de ses eaux usées et nayant pas publié le résultat de la procédure dattribution dans le supplément du Journal officiel des Communautés européennes , la République fédérale dAllemagne a, lors de lattribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées des articles 8, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services.
2) La ville de Brunswick (Allemagne) ayant passé un contrat relatif à lélimination de ses déchets en recourant à la procédure négociée sans publication préalable dun avis de marché, bien que les conditions fixées à larticle 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 pour la passation des marchés de gré à gré sans appel doffres au niveau communautaire naient pas été remplies, la République fédérale dAllemagne a, lors de lattribution de ce marché public de services, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 11, paragraphe 3, sous b), de ladite directive.
3) La République fédérale dAllemagne est condamnée aux dépens.
4) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et dIrlande du Nord supporte ses propres dépens.
WatheletEdward
La Pergola
Jann
Rosas
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 avril 2003.
Le greffier
Le président de la cinquième chambre
R. Grass
M. Wathelet