Language of document : ECLI:EU:T:2018:478

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

13 juillet 2018 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Plainte pour harcèlement moral – Enquête administrative – Notion de “harcèlement moral” – Exigence que le comportement reproché soit répété pour être constitutif d’un “harcèlement moral” – Refus d’ouvrir la procédure disciplinaire à l’encontre de l’auteur de ces comportements – Obligation de confidentialité relative à l’existence d’une procédure d’enquête administrative en cours et, subséquemment, à la décision de clôture de la procédure constatant l’existence d’un cas de harcèlement moral »

Dans l’affaire T‑377/17,

SQ, membre du personnel de la Banque européenne d’investissement, représentée par Mes N. Cambonie et P. Walter, avocats,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mmes G. Faedo et K. Carr, en qualité d’agents, assistées de Me B. Wägenbaur, avocat, et M. J. Currall, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande, introduite au titre de l’article 50 bis, paragraphe 1, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 41 du règlement du personnel de la BEI, tendant, d’une part, à l’annulation partielle de la décision du 20 mars 2017 du président de la BEI et, d’autre part, à la réparation des préjudices moral et matériel prétendument subis par la requérante du fait d’un harcèlement moral de son supérieur hiérarchique et du comportement de la BEI,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de Mme I. Pelikánová, président, MM. P. Nihoul et J. Svenningsen (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        Conformément à l’article 308 TFUE, les statuts de la Banque européenne d’investissement (BEI, ou ci-après la « Banque ») sont établis par le protocole no 5 annexé à ce traité et au traité UE, dont il fait partie intégrante. L’article 7, paragraphe 3, sous h), de ce protocole sur les statuts de la Banque prévoit l’approbation par le conseil des gouverneurs du règlement intérieur de la Banque. L’article 31 de ce règlement intérieur, approuvé le 4 décembre 1958 et modifié à plusieurs reprises par la suite, prévoit que les règlements relatifs au personnel de la Banque sont arrêtés par le conseil d’administration. À cet égard, le 20 avril 1960, le conseil d’administration de la Banque a arrêté le règlement du personnel de la Banque (ci-après le « règlement du personnel »).

2        Dans sa version applicable au litige, résultant de la décision du conseil d’administration de la Banque du 4 juin 2013 et entrée en vigueur le 1er juillet suivant, l’article 41 du règlement du personnel dispose :

« Les différends de toute nature d’ordre individuel entre la Banque et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice de l’Union européenne. Toute action d’un membre du personnel contre une mesure de la Banque susceptible de lui faire grief doit être intentée dans les trois mois.

Outre l’action devant la Cour de justice […] et avant l’introduction de celle-ci, les différends, autres que ceux découlant de la mise en jeu de mesures prévues à l’article 38, font l’objet d’une procédure amiable devant la commission de conciliation de la Banque.

La demande de conciliation doit être formée dans les trois mois [à compter] de la survenance des faits ou de la notification des mesures faisant l’objet du différend.

La commission de conciliation se compose de trois membres. Lorsque la commission doit se réunir, l’un des membres est désigné par le président de la Banque, le deuxième par l’intéressé – ces deux désignations ayant lieu dans un délai d’une semaine à partir de la demande d’une des parties à l’autre. Le troisième membre, qui préside la commission, est désigné par les deux premiers dans un délai d’une semaine après la désignation des deux premiers membres. Il peut être choisi en dehors de la Banque. Si les deux premiers membres ne peuvent, dans la semaine suivant leur désignation, se mettre d’accord sur la désignation du président, il y est procédé par le président de la Cour de justice de l’Union européenne.

La procédure de conciliation est considérée, selon le cas, comme ayant échoué :

–        si dans un délai de quatre semaines à dater de la requête qui lui est adressée par le président de la Banque, le président de la Cour de justice n’a pas procédé à la désignation du président [de la commission de conciliation] ;

–        si, dans les deux semaines de sa constitution, la commission de conciliation n’aboutit pas à un règlement accepté par les deux parties. »

3        Le 1er août 2006, le conseil d’administration de la Banque a adopté un code de conduite du personnel de la Banque (ci-après le « code de conduite »). L’article 3.6 de ce code, intitulé « Dignité au travail », prévoit :

« Aucune forme de harcèlement ou d’intimidation n’est acceptable. Toute victime d’un harcèlement ou d’une intimidation peut, conformément à la politique de la Banque en matière de dignité au travail, s’en ouvrir au directeur [général et chef du département du personnel], sans que cela puisse lui être reproché. La Banque est dans l’obligation de faire montre de sollicitude à l’égard de la personne concernée et de lui proposer son appui. »

4        En ce qui concerne en particulier la notion de harcèlement psychologique, l’article 3.6.1 dudit code précise :

« 3.6.1. Harcèlement psychologique

Il s’agit de la répétition, au cours d’une période assez longue, de propos, d’attitudes ou d’agissements hostiles ou déplacés, exprimés ou manifestés par un ou plusieurs membres du personnel envers un autre membre du personnel. Une remarque désobligeante, une querelle accompagnée de mots désagréables lâchés dans un mouvement d’humeur ne sont pas significatives de harcèlement psychologique. En revanche, des accès de colère réguliers, des brimades, des remarques désobligeantes ou des allusions blessantes, répétés de façon régulière, pendant des semaines ou des mois, sont sans aucun doute révélateurs d’un harcèlement au travail.

[…] »

5        Dès 2003, la Banque s’était toutefois également dotée d’une « Politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail » (ci-après la « politique de dignité au travail »). Sous le titre « Intimidation et harcèlement : de quoi s’agit-il ? », la politique de dignité au travail dispose :

« Le harcèlement et l’intimidation peuvent chacun prendre de nombreuses formes. Physiques ou verbales, leurs manifestations s’exercent souvent dans le temps, même si des incidents ponctuels sérieux peuvent se produire. Que le comportement en cause soit intentionnel ou non importe peu. Le principe déterminant est que le harcèlement et l’intimidation sont des comportements indésirables et inacceptables qui portent atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de celui qui en fait l’objet.

[…] »

6        La politique de dignité au travail prévoit deux procédures internes visant à traiter les cas d’intimidation et de harcèlement, à savoir, d’une part, une procédure informelle, par laquelle le membre du personnel concerné recherche une solution amiable au problème, et, d’autre part, une procédure formelle d’enquête (ci-après la « procédure d’enquête »), par laquelle il dépose officiellement une plainte qui est traitée par un comité d’enquête composé de trois personnes (ci-après le « comité d’enquête »). Ce comité d’enquête est chargé de mener une enquête objective et indépendante et d’adresser une recommandation au président de la Banque, qui décide finalement des mesures à prendre.

7        En ce qui concerne la procédure d’enquête, la politique de dignité au travail dispose :

« L’agent porte l’affaire, verbalement ou par écrit, à l’attention du [directeur général et chef du département du personnel]. Si celui-ci estime qu’il ne s’agit pas d’un cas immédiat et clair de recours à des sanctions disciplinaires et que, vu les circonstances qui l’entourent, l’affaire peut être qualifiée de harcèlement, l’agent concerné peut déclencher la procédure d’enquête de la manière suivante :

1. Il demande officiellement au [directeur général et chef du département du personnel], par écrit, d’ouvrir une procédure d’enquête, en indiquant l’objet de la plainte et l’identité du ou des harceleurs présumés.

2. Le [directeur général et chef du département du personnel], en accord avec les représentants du personnel, propose au [p]résident [de la Banque] la composition du comité et fixe une date pour le début de l’enquête, au plus tard 30 jours calendaires après réception de la plainte.

3. Le [directeur général et chef du département du personnel] accuse immédiatement réception de la note de l’agent concerné, [lui] confirmant [ainsi] l’ouverture d’une procédure d’enquête. Par ailleurs :

a)       il demande à l’agent concerné d’exposer sa plainte dans un mémorandum et de lui adresser dans les [dix] jours, s’il le souhaite, les éléments ou documents probants éventuels, sous pli confidentiel,

b)       il demande à l’agent d’indiquer, dans son mémorandum, si des personnes pourront être appelées à témoigner (sans citer de nom),

c)       il signale qu’après réception du mémorandum susmentionné, le harceleur présumé sera informé de l’objet de la plainte et obtiendra les renseignements nécessaires à cet égard, mais qu’il ne recevra pas copie du mémorandum,

d)       il informe l’agent que la plainte ne peut être retirée et que la procédure [d’enquête ] doit aller jusqu’à son terme.

e)       il informe [la partie plaignante] qu’il sera rappelé au harceleur présumé qu[’elle] ne doit être prise à partie à aucun moment et que la plainte doit être traitée de manière strictement confidentielle de part et d’autre (note qui sera datée et renvoyée au [directeur général et chef du département du personnel] avec accusé de réception),

f)       il indique que l’enquête commencera dans les 30 jours calendaires et que les deux parties seront informées de la date […] de leur audition individuelle, de leur droit d’être représentées ou accompagnées et de la composition du comité.

4.       Lorsque le mémorandum [de la partie plaignante] a été reçu, le [directeur général et chef du département du personnel] :

a)       adresse sans délai une note au harceleur présumé, précisant l’objet de la plainte et toute information nécessaire, et lui demande de lui envoyer dans les [dix] jours, sous pli confidentiel, une réponse écrite accompagnée, s’il le souhaite, de documents justificatifs ou d’éléments probants,

b)       demande à la personne d’indiquer, dans sa réponse, si des personnes seront appelées à témoigner (sans citer de nom),

c)       rappelle au harceleur présumé que la partie plaignante ne doit être prise à partie à aucun moment et que la plainte doit être traitée de manière strictement confidentielle de part et d’autre (note qui sera datée et renvoyée au [directeur général et chef du département du personnel] avec accusé de réception),

[…] »

8        Pour ce qui est de l’audition, la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail se lit comme suit :

« L’audition a pour objectif d’établir précisément ce qui s’est passé et de rassembler des faits qui permettront de rédiger une recommandation motivée […]

Le comité a la faculté d’adopter la manière de procéder qu’il juge appropriée. En règle générale, l’audition se présente sous la forme d’une série d’entretiens séparés, effectués dans l’ordre suivant :

–        tout d’abord [la partie plaignante] ;

–        les témoins éventuellement cités par [la partie plaignante] ;

–        le harceleur présumé ;

–        les témoins éventuellement cités par le harceleur présumé ;

[…] »

9        En ce qui concerne le résultat de l’enquête, la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail prévoit :

« Lorsque toutes les parties auront été entendues et que toutes les autres investigations appropriées éventuelles auront été effectuées, le comité devrait être en mesure de délibérer et de proposer une recommandation motivée. Il n’a pas de pouvoir de décision.

Le comité peut exprimer différentes recommandations tendant à ce que :

–        l’affaire soit abandonnée, les deux parties ayant pu clarifier la situation et une solution pour l’avenir, acceptable pour les deux parties ayant été trouvée ;

–        l’affaire ne soit pas considérée comme relevant de l’intimidation ou du harcèlement, mais comme étant un conflit de travail qui doit faire l’objet d’un examen plus approfondi ou d’un suivi ;

–        la plainte soit rejetée ;

–        les mesures requises soient prises au cas où le comité démontre que la plainte est non fondée et malintentionnée ;

–        la procédure disciplinaire [visant le harceleur présumé] soit engagée.

La recommandation écrite du comité est élaborée dans les cinq jours suivant la fin de l’enquête et adressée au [p]résident [de la Banque] pour décision. »

10      S’agissant de la décision prise par le président de la Banque, la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail dispose :

« La décision du [p]résident [de la Banque] doit préciser les mesures éventuelles à prendre, ainsi que le calendrier s’y rapportant ; il peut s’agir, par exemple :

–        de la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire [visant le harceleur],

–        du lancement d’enquêtes supplémentaires dans une unité de travail ou un département précis,

–        d’une solution acceptée d’un commun accord entre les parties.

Si le harcèlement n’est pas avéré, et en l’absence de toute violation des règles en vigueur, il conviendra d’assurer les deux parties que la procédure [d’enquête] n’entraînera pour elles aucune conséquence négative.

[…] »

11      Sous le titre « Conservation des données », la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail précise :

« Afin de protéger toutes les parties concernées, les actes seront conservés dans la plus stricte confidentialité et les informations ne seront divulguées qu’en cas d’absolue nécessité. [Le service des ressources humaines] conservera, confidentiellement et sous le contrôle du délégué à la protection des données personnelles, les dossiers contenant les noms, les dates, les plaintes et les résultats, en vue du suivi de la politique et afin de garantir la cohérence et l’équité. »

 Antécédents du litige

12      La requérante, SQ, membre du personnel de la Banque, est entrée au service de la Banque le 1er avril 2008 en tant qu’attachée [confidentiel](1) affectée au département [confidentiel] (ci-après le « département en cause »).

13      En 2011, le directeur alors chargé du département en cause a décidé que la requérante devait être directement rattachée à ses services et, à ce titre, la requérante s’est vu confier des dossiers spécifiques. Par ailleurs, à partir d’octobre 2011, la requérante a, dans les faits, été chef d’une équipe qui, en 2013 et en 2014, était composée d’un chargé de communication, d’un assistant à temps plein et d’un jeune diplômé.

14      Selon la requérante, le directeur du département en cause alors en fonctions aurait, à plusieurs reprises, demandé à ce que son rôle soit réévalué, que l’équipe dirigée par la requérante soit transformée en une unité et que, partant, celle-ci devienne chef d’unité.

15      En octobre 2014, à la suite du départ du directeur, un nouveau directeur est entré en fonctions (ci-après le « nouveau directeur »). Celui-ci a notamment été chargé par la Banque de restructurer le département en cause au motif que les prestations de celui-ci ne donnaient pas satisfaction, y compris en raison d’un déficit de compétences devant être comblé par des recrutements externes.

16      Dans le cadre de la restructuration du département en cause, l’équipe dont la requérante avait la charge n’a pas été maintenue. Par ailleurs, la requérante a, à plusieurs reprises, demandé sans succès au nouveau directeur que sa fiche de poste soit actualisée.

17      Le 2 juin 2016, la requérante a été placée en congé médical, lequel aurait été la conséquence d’un burn out.

18      Le 8 septembre 2016, la requérante s’est entretenue avec le chef de la division des relations sociales et du bien-être au travail du département des relations sociales et des services administratifs de la direction générale (DG) « Personnel » ainsi qu’avec un responsable du service des ressources humaines. À l’issue de cet entretien, elle a envoyé à ces deux interlocuteurs un courriel dans lequel elle décrivait certains comportements du nouveau directeur constitutifs, selon elle, de harcèlement moral et de discrimination en raison du genre. Dans ce courriel, elle demandait notamment à ce qu’une issue amiable et rapide soit trouvée à cette situation, laquelle aurait pu consister soit dans l’octroi à la requérante d’un congé de convenance personnelle (ci-après un « CCP ») de deux ans, soit dans sa titularisation dans un autre département en qualité de chef d’unité.

19      Le 26 octobre 2016, la requérante a, au moyen du formulaire prévu à cet effet, introduit une demande de CCP de deux ans qui, selon elle, était justifiée par le fait qu’elle avait fait l’objet d’un harcèlement moral de la part du nouveau directeur et que celui-ci avait mené une politique de discrimination fondée sur le sexe. Ainsi, d’une part, la requérante expliquait qu’un CCP de deux ans permettrait à la Banque d’instruire les faits et de prendre les mesures qui s’imposaient pour mettre fin aux comportements du nouveau directeur sans qu’elle ait à craindre ou à subir d’éventuelles mesures de rétorsion. D’autre part, ledit CCP lui permettrait de regagner confiance en ses qualités de manager en rejoignant ou en créant une entreprise.

20      Le 26 octobre 2016 également, la requérante a, au titre des règles internes de la Banque, introduit une plainte (ci-après la « plainte ») tendant à dénoncer les comportements du nouveau directeur à son égard comme constituant, à titre principal, un harcèlement moral au sens des articles 3.6 et 3.6.1 du code de conduite et une violation des règles internes relatives au respect de la dignité. À titre subsidiaire, la requérante estimait que ces comportements méconnaissaient les articles 1.1, 3.1, 3.3 et 3.5 du code de conduite.

21      Toujours le 26 octobre 2016, la requérante a, au titre de l’article 1.5.1 du code de conduite, lu en combinaison avec la « politique de signalement » adoptée par la Banque le 21 janvier 2009 (ci-après la « politique de signalement »), procédé à un signalement des comportements du nouveau directeur révélant, selon elle, une politique de rupture dans l’égalité des chances, au sens de l’article 1.2 dudit code et d’une discrimination fondée sur le sexe, au sens de l’article 1.3 de ce même code (ci-après le « signalement »). En substance, la requérante reprochait le fait que, parmi les six membres de sexe féminin du personnel du département en cause, qui avaient des fonctions managériales, quatre auraient été écartés au profit de membres du personnel de sexe masculin. Le nouveau directeur se serait ainsi entouré essentiellement d’hommes et aurait déployé des pratiques contraires au code de conduite.

 Sur la plainte relative à un harcèlement moral et le signalement

22      Expliquant que sa carrière aurait connu un coup d’arrêt brutal à la suite de l’entrée en fonctions du nouveau directeur, la requérante faisait valoir dans la plainte que le nouveau directeur avait développé des pratiques tendant à écarter les femmes managers du département en cause et, dans ce contexte, à « casser » la requérante qui avait l’entière confiance de son prédécesseur. En transférant la requérante sur un poste sans responsabilités et dont les objectifs n’auraient pas été clairement définis, le nouveau directeur l’aurait ainsi « mise au placard ».

23      La requérante invoquait par ailleurs un « démantèlement », par le nouveau directeur, de l’équipe de trois personnes qu’elle dirigeait auparavant, une remise en cause de la légitimité de la requérante à l’égard de ces trois personnes et des critiques répétées à son endroit, l’attribution à d’autres personnes de travaux qui auraient dû en principe lui incomber, une rétention d’informations concernant le traitement de dossiers dont elle avait la charge, notamment en omettant de l’inviter à des réunions préparatoires d’une importante réunion avec le président de la Banque, l’absence de retour sur ses prestations professionnelles pourtant soumises au nouveau directeur en vue d’un tel retour (feedback) ainsi que de nombreux actes malveillants, y compris après sa mise en congé de maladie.

24      À ce dernier égard, le nouveau directeur aurait notamment dénigré la requérante auprès d’une collègue et amie de celle-ci sur un ton agressif ; il aurait envisagé de demander au service des ressources humaines que la requérante subisse un contre-examen médical en dépit des certificats médicaux fournis par la requérante ; il aurait arrêté les objectifs annuels de la requérante dans le courant du mois de juin 2016, alors même qu’elle était en congé de maladie, et, enfin, il aurait fait procéder à la publication d’un appel à candidatures en vue de pourvoir le poste de la requérante, alors même qu’elle n’avait pas encore informé la DG « Personnel » du fait qu’elle n’envisageait pas de reprendre ses fonctions à l’issue de son congé médical.

25      La requérante faisait encore valoir qu’elle aurait été pénalisée par le nouveau directeur dans le cadre d’une procédure de sélection concernant un emploi de chef d’unité. En effet, alors qu’elle était candidate à cet emploi, le nouveau directeur aurait informé la requérante, le 29 juin 2015, qu’il présenterait le nouvel organigramme du département en cause en fin de journée. Or, faisant fi de l’entretien de la requérante avec le panel de sélection pour le poste de chef d’unité devant se tenir le lendemain et qui aurait normalement dû être déterminant pour le pourvoi de cet emploi, le nouveau directeur aurait présenté, au personnel du département en cause, le nouvel organigramme du service en ne faisant pas figurer la requérante sur l’emploi de chef d’unité, ce qui, selon l’intéressée, démontrerait que le nouveau directeur avait déjà décidé de l’écarter de cette procédure de sélection.

26      En outre, la requérante attribuait au nouveau directeur des propos déplacés, agressifs, méprisants et accusateurs, y compris lors de réunions, la formulation de demandes insensées, farfelues et confuses ainsi que des critiques à son endroit hors de sa présence. En particulier, le nouveau directeur aurait déclaré que les employés de la Banque ne devraient pas se plaindre, car ils étaient chanceux d’avoir les postes et les salaires qu’ils avaient. Par ailleurs, il aurait dit ne pas avoir compris, lors de son recrutement en qualité de directeur, que, contrairement à ce qu’il avait pu faire dans ses fonctions antérieures, il ne pourrait pas licencier à sa guise les employés qui ne lui conviendraient pas.

27      La requérante dénonçait également, d’une part, des actes de favoritisme en faveur de certains membres du personnel, notamment des personnes ayant travaillé auprès d’une autre organisation internationale et dont le nouveau directeur aurait facilité le recrutement et, d’autre part, une attitude critique ou désintéressée envers le travail du personnel, dont celui fourni par la requérante, qui était déjà en service dans le département avant son entrée en fonctions en tant que directeur.

28      La requérante concluait ainsi sa plainte en demandant à la Banque :

–        premièrement, d’ordonner l’ouverture d’une enquête administrative, conformément aux règles internes relatives au respect de la dignité, en vue d’instruire les faits exposés dans la plainte, y compris en auditionnant la requérante, les témoins qu’elle entendait citer et toute autre personne ayant une connaissance des faits ;

–        deuxièmement, de constater formellement que ces faits étaient constitutifs d’un harcèlement moral à son endroit et, le cas échéant, à l’endroit d’autres employés ;

–        troisièmement, de décider, au titre de l’article 38 du règlement du personnel, de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la ou des personnes devant être tenues pour responsables, en particulier du nouveau directeur dans l’hypothèse où ce dernier ne déciderait pas de démissionner de son propre chef ;

–        quatrièmement, de faire droit aux demandes suivantes :

–        lui octroyer un CCP de deux ans ;

–        la titulariser, à son retour de CCP, dans des fonctions de chef d’unité, soit au sein du département en cause, soit dans un autre département si celui en cause devait encore rester placé sous la responsabilité du nouveau directeur ;

–        lui proposer un dédommagement pécuniaire approprié visant à réparer, d’une part, son préjudice moral subi en raison des faits dénoncés dans sa plainte, et, d’autre part, son préjudice matériel résultant du manque à gagner du fait qu’elle n’avait pas été promue au poste de chef d’unité comme le laissaient présager ses états de service sous la conduite et l’appréciation de l’ancien directeur du département en cause.

29      Le même 26 octobre 2016, la requérante avait également, au titre de l’article 1.5.1 du code de conduite, introduit un signalement dans lequel elle faisait état d’une politique du nouveau directeur, déployée en 2015 et en 2016 et qui n’aurait pas été remise en cause par la DG « Personnel », tendant à constituer une rupture dans l’égalité des chances au sens de l’article 1.2 du code de conduite et d’une discrimination fondée sur le sexe au sens de l’article 1.3 de ce code.

 Sur la procédure d’enquête

30      Par courriel du 3 novembre 2016, le directeur général et chef du département du personnel de la DG « Personnel » (ci-après le « chef du département du personnel ») a notamment demandé à la requérante si elle entendait citer des témoins à comparaître dans le cadre de la procédure d’enquête et si, s’agissant de la note devant informer le nouveau directeur de l’existence d’une plainte le concernant, elle souhaitait rédiger elle-même cette note ou se contenter de commenter le projet de note établi par ses services. Par courriel en réponse du 6 novembre suivant, la requérante a indiqué que, selon l’article 3, sous a), et l’article 4, sous a), des règles de la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail, il incombait à ladite direction générale d’établir la note, sous sa seule responsabilité, à partir de la plainte de la requérante et des éléments de preuve fournis à l’appui de cette plainte. Par courriel du 9 novembre 2016, un juriste de la DG « Personnel » a transmis à la requérante le projet de note en question en l’invitant à soumettre ses éventuelles observations, ce que la requérante a refusé de faire en réitérant, dans un courriel du 11 novembre suivant, qu’une telle démarche irait à l’encontre des dispositions applicables confiant à la DG « Personnel » l’élaboration de cette note devant être transmise à la personne mise en cause dans la plainte.

31      Le 17 novembre 2016, le conseil de la requérante a contacté la Banque afin de discuter des termes d’un éventuel accord à l’amiable.

32      Le 18 novembre 2016, le secrétaire général de la Banque et le chef du département du personnel ont, dans une lettre commune, accusé réception des demandes de la requérante figurant dans la lettre de son conseil datée de la veille. Dans ce contexte, ils ont informé la requérante que la direction de la conformité de la Banque avait été chargée d’instruire les allégations de la requérante. S’agissant de l’éventualité de régler le litige par la voie d’un règlement amiable, ils ont indiqué que, compte tenu des procédures administratives en cours et de la gravité des faits allégués, la Banque ne pouvait pas accéder à la demande de la requérante. En particulier, s’agissant de la demande en réparation qu’elle avait formulée, celle-ci apparaissait, à leurs yeux, prématurée tant que les procédures n’auraient pas établi l’éventuelle véracité des faits allégués.

33      Par lettre du 22 novembre 2016, la requérante a été informée, par le chef du département du personnel et le directeur du département des relations sociales et des services administratifs, que la Banque avait décidé de faire droit à sa demande de CCP pour la période allant du 1er décembre 2016 au 31 décembre 2018, et ce exclusivement pour le motif invoqué par la requérante relatif à son projet de rejoindre ou de créer une entreprise.

34      Le 25 novembre 2016, les trois membres du comité d’enquête établi dans le cadre de la procédure d’enquête ont été nommés conformément à la politique de dignité au travail. Il s’agissait en l’occurrence d’un professeur de droit, d’un psychologue travaillant auprès du gouvernement luxembourgeois et de l’ancien directeur des ressources humaines de la Banque désormais à la retraite.

35      Le 2 décembre 2016, la requérante a transmis à la DG « Personnel » le nom des sept témoins qu’elle souhaitait que le comité d’enquête auditionne, de même qu’elle informait d’ores et déjà le comité d’enquête que, lors de l’entretien, elle serait assistée par son conseil et par son époux.

36      Elle a été informée, le 5 décembre suivant, que cette liste avait été transmise au comité d’enquête qui déciderait de la suite à donner à cette demande. La requérante était également invitée, dans ce contexte, à désigner, conformément à la politique de dignité au travail, l’unique personne qui l’assisterait lors de l’entretien avec le comité d’enquête, avec la recommandation toutefois d’exclure de ce choix les membres de la famille.

37      Le 5 décembre 2016, la requérante a fourni des documents complémentaires, notamment un rapport de son psychiatre attestant qu’elle avait été sujette à un burn out en raison des comportements du nouveau directeur auxquels elle avait été exposée. Par ailleurs, à cette même date, elle a formellement demandé à être assistée juridiquement par son conseil et moralement par son époux.

38      Le 9 décembre 2016, la requérante a été notamment informée de la décision du comité d’enquête de n’auditionner que trois des sept témoins qu’elle avait proposés et de refuser, pour cause de tardiveté, de verser au dossier les informations qu’elle avait transmises le 5 décembre 2016. Par ailleurs, elle a été informée que le comité d’enquête avait accepté qu’elle soit assistée des deux personnes qu’elle avait mentionnées.

39      Le 12 décembre 2016, la requérante a contesté cette décision procédurale du comité d’enquête. Il ressort d’un échange de courriels subséquents que, en substance, le comité d’enquête a finalement accepté d’examiner les documents produits le 2 décembre 2016, que la requérante a été autorisée à verser au dossier les témoignages écrits des quatre témoins que le comité d’enquête avait refusé d’auditionner et qu’il avait été décidé, d’un commun accord entre la Banque et la requérante, que les auditions devant le comité d’enquête seraient enregistrées, mais que, une fois adoptée par le président de la Banque sa décision statuant sur le cas d’espèce, lesdits enregistrements seraient détruits.

40      Le 4 janvier 2017, la requérante, le nouveau directeur et les trois témoins cités par la requérante ont été auditionnés par le comité d’enquête. Ultérieurement, celui-ci a invité la requérante à répondre à une dernière question écrite, ce qu’elle a fait par courriel de son conseil du 8 février 2017.

41      Le 6 février 2017, par l’entremise de son conseil, la requérante avait toutefois adressé au président de la Banque ainsi qu’à huit autres destinataires travaillant à la BEI, par la voie postale et la voie électronique, une lettre dans laquelle elle dénonçait des dysfonctionnements dans la politique de signalement de la BEI en ce qu’elle n’avait pas encore reçu de réponse au signalement qu’elle avait fait concernant la politique du nouveau directeur constituant, selon elle, une rupture d’égalité des chances et une discrimination fondée sur le sexe. Elle concluait cette lettre en invitant le président de la Banque à procéder à l’examen dudit signalement et à prendre les mesures conservatoires ou définitives qui s’imposaient avant le 1er mars 2017. Le cas échéant, la requérante estimait que, en application du point III.2. sous d), de la politique de signalement, elle serait contrainte de saisir le Médiateur de l’Union européenne.

 Sur le rapport d’enquête

42      Le 15 mars 2017, le comité d’enquête a adopté son rapport (ci-après le « rapport »), dans lequel il a considéré que, parmi les faits invoqués par la requérante dans la plainte, deux éléments pouvaient objectivement être considérés comme constituant un harcèlement moral, à savoir, d’une part, le fait que le nouveau directeur avait fourni une réponse écrite inadéquate aux sollicitations de la requérante tendant à ce que son nouveau rôle dans le département en cause soit défini et, d’autre part, le manquement du nouveau directeur à son obligation de fixer avec la requérante les objectifs de cette dernière une année à l’avance. Par ailleurs, le comité d’enquête a considéré que l’effet de ces comportements constitutifs d’un harcèlement moral avait été aggravé par l’incapacité du nouveau directeur à fournir à la requérante une communication adéquate sur l’attribution de certaines tâches ainsi que des informations claires.

43      Pour le reste, le comité d’enquête a examiné un à un les éléments invoqués par la requérante dans sa plainte, mais n’a pas estimé que, à l’exception de ceux mentionnés au point précédent du présent arrêt, ils pouvaient relever de la notion de « harcèlement moral ».

44      S’agissant de la suppression de l’équipe de trois personnes dont la requérante était chargée, le comité d’enquête a notamment relevé que celle-ci avait été prévue dans le plan de réorganisation du département en cause qui avait été approuvé par le directoire de la Banque. Par ailleurs, s’agissant du pourvoi de l’emploi de chef d’unité, le comité d’enquête a constaté que, à cet égard, le nouveau directeur avait eu recours à une procédure de sélection, alors même que, au sein de la Banque, les directeurs pouvaient confier la responsabilité de chef d’unité sans passer par une procédure de sélection devant un panel. Dans ces conditions, le comité d’enquête a estimé que, même s’il avait pu être regrettable que le nouveau directeur ait publié le nouvel organigramme du service la veille de l’entretien de la requérante pour le poste de chef d’unité en cause, il n’était pas en mesure de constater une irrégularité à cet égard, d’autant que la requérante, lors de cette procédure de sélection, n’était pas arrivée en deuxième position pour ce poste et que le panel de sélection avait justifié sa décision d’écarter sa candidature en raison de ses prestations lors de l’entretien. Ainsi, il a conclu qu’un harcèlement moral ne pouvait pas être retenu à cet égard.

45      S’agissant de la circonstance que le nouveau directeur ait remis en question le rôle de la requérante en tant que chef d’équipe dans le département en cause et la prérogative hiérarchique de la requérante de fixer des objectifs ainsi que d’évaluer les trois membres de cette équipe, le comité d’enquête a retenu que, même si ces interrogations et critiques de la part du nouveau directeur étaient déplacées, elles ne semblaient avoir eu lieu qu’à une seule occasion, de sorte qu’elles ne pouvaient pas être considérées comme constituant une forme de harcèlement moral.

46      S’agissant de la définition des fonctions de la requérante dans le cadre du département en cause à la suite de sa restructuration, le comité d’enquête a considéré que, en tant que responsable hiérarchique, le nouveau directeur avait l’obligation de répondre aux préoccupations de la requérante. Ainsi, selon le comité d’enquête, le manque de précision du nouveau rôle et des objectifs annuels de la requérante non seulement constituait un signe d’une mauvaise gestion (poor management), mais, en outre, dégradait le respect de soi et la confiance du destinataire d’un tel comportement lorsque celui-ci avait expressément demandé des conseils et des indications spécifiques à plusieurs reprises. Dans ces conditions, le comité d’enquête a conclu que l’absence de fourniture d’informations en temps utile sur la description du poste de la requérante et des objectifs assignés à cette dernière constituait un harcèlement moral.

47      S’agissant du fait que le nouveau directeur avait attribué à d’autres personnes certaines des tâches auparavant confiées à la requérante, alors directement rattachée au précédent directeur, le comité d’enquête a relevé qu’il n’était pas clair dans quelle mesure ces tâches avaient effectivement été confiées à d’autres personnes. À cet égard, s’il a estimé que l’absence de communication adéquate entre supérieurs et subordonnés était révélatrice d’une « mauvaise gestion » (poor management), il a toutefois considéré qu’elle ne correspondait pas à la définition du harcèlement moral, même si elle pouvait contribuer à aggraver l’effet du harcèlement moral résultant de l’absence de description du poste de la requérante et des objectifs assignés.

48      S’agissant de la prétendue rétention d’informations de la part du nouveau directeur, le comité d’enquête l’a déplorée, mais a considéré qu’elle ne constituait pas un harcèlement moral.

49      S’agissant de l’absence de réaction et de commentaires du nouveau directeur à des courriels et à des questions de la requérante, le comité d’enquête a relevé que celui-ci avait tenu de nombreuses réunions en présence de la requérante de sorte qu’une tentative d’écarter la requérante ne pouvait pas être retenue. Partant, le comité d’enquête a considéré que le comportement évoqué ne pouvait pas être qualifié comme une forme de harcèlement moral.

50      S’agissant du fait que le nouveau directeur ait envisagé de demander à la requérante de se soumettre à un examen médical en tant qu’instrument légitime à la disposition de la Banque dans la gestion des arrêts de maladie prolongés, le comité d’enquête a constaté que le nouveau directeur ne s’était pas engagé dans cette démarche, puisqu’il n’avait finalement pas exigé de la requérante qu’elle se soumette à un tel examen. Ainsi, le comité d’enquête a conclu que cela ne constituait pas « un motif de harcèlement ».

51      S’agissant de l’adoption des objectifs de la requérante pendant son absence médicale, le comité d’enquête, relevant que le service médical de la Banque avait recommandé au nouveau directeur et au chef de division impliqué de ne pas contacter la requérante à ce sujet pendant son congé de maladie, a estimé que cela ne constituait pas « un motif de harcèlement ». De la même manière, la requérante ne pouvait pas faire grief à la Banque d’avoir publié la vacance de son poste, étant donné qu’elle était en congé de maladie de longue durée.

52      S’agissant du grief relatif à l’utilisation, par le nouveau directeur, d’un langage agressif, le comité d’enquête a considéré que la requérante n’avait pas suffisamment prouvé cette allégation, notamment au regard de la teneur plutôt amicale, sinon polie des courriels adressés à la requérante par le nouveau directeur.

53      S’agissant des critiques inappropriées qui auraient été faites par le nouveau directeur à la requérante, le comité d’enquête a estimé que les propos tenus ne constituaient pas un harcèlement moral. S’agissant du fait que le nouveau directeur ait prématurément interrompu une réunion tenue entre le secrétaire général adjoint de la Banque, la requérante et lui-même, le comité d’enquête a estimé que le nouveau directeur avait pu considérer que, au regard des questions de base qu’elle avait posées au cours de la réunion, la requérante manquait de préparation sur le sujet. Cela étant, l’évènement ne s’étant produit qu’une seule fois (a single event), « le comité d’enquête ne p[ouvai]t pas accepter que cela puisse constituer un harcèlement ».

54      Le comité d’enquête a également écarté comme non fondés les griefs de la requérante relatifs à de prétendues demandes d’informations que le nouveau directeur lui aurait adressées sans fournir suffisamment d’informations sur l’objectif de ces demandes ou sans qu’elles soient urgentes. De la même manière, s’agissant des propos qu’aurait tenus le nouveau directeur auprès d’autres collègues, d’une part, au sujet de la personne de la requérante et, d’autre part, au sujet des conditions de travail à la Banque, le comité d’enquête n’a pas estimé que les griefs de la requérante étaient fondés.

55      S’agissant de la circonstance que le nouveau directeur, soucieux de combler le manque d’expertise du département en cause en mobilisant les nouvelles recrues extérieures, ait concentré son attention sur ces personnes, au risque que le personnel plus anciennement en fonctions se sente discriminé, le comité d’enquête a retenu que, même s’il n’avait pas réussi à expliquer adéquatement la situation au personnel en place, un tel comportement du nouveau directeur ne constituait pas un harcèlement moral.

56      Tout en concédant que, subjectivement, la requérante avait souffert et continuait de souffrir du fait de sa situation professionnelle, le comité d’enquête est arrivé à la conclusion que le nouveau directeur pouvait être critiqué pour ses faibles aptitudes de management et de communication. Cependant, même s’il était lui-même mis sous une pression considérable pour procéder à une restructuration d’ampleur du département en cause, tout en assurant la continuité des opérations au jour le jour, le comité d’enquête a estimé qu’il était au courant du sentiment d’insatisfaction ressenti par la requérante en raison de la perte des fonctions de chef d’équipe et que, par conséquent, il aurait dû redoubler d’efforts pour clarifier son nouveau rôle dans le département en cause. Or, le nouveau directeur ne lui aurait, au contraire, pas fourni une nouvelle description de son poste avant qu’elle ne soit placée en congé médical. Ainsi, son style de gestion et son manque de sensibilité à l’égard de la requérante pendant plus de deux ans avait, selon le comité d’enquête, diminué l’estime de soi, la confiance en soi et l’efficacité de l’intéressée.

57      Au terme de son rapport, le comité d’enquête recommandait au président de la Banque, d’une part, d’exiger du nouveau directeur qu’il fournisse des excuses formelles et écrites à la requérante et, d’autre part, de lui demander de prendre en compte l’impact de son attitude sur les autres agents, et ce en étant assisté d’un coaching professionnel fourni par la BEI qui l’aiderait à prendre effectivement conscience de l’effet de son style de gestion et/ou de communication et de développer une plus grande empathie envers le personnel placé sous son autorité.

58      Le comité d’enquête ajoutait que le président de la Banque pourrait souhaiter qu’une procédure disciplinaire soit formellement engagée, au titre de la politique de dignité au travail, dans le cas où le nouveau directeur devrait ne pas se conformer aux mesures susmentionnées ou dans le cas où une autre plainte le mettant en cause devrait être introduite dans les trois ans suivant la décision du président de la Banque et être déclarée fondée par le comité d’enquête.

 Sur la décision attaquée et les mesures en vue de sa mise en œuvre

59      Par décision du 20 mars 2017 (ci-après la « décision attaquée »), le président de la BEI a informé la requérante de la clôture de la procédure d’enquête et, tout en lui transmettant le rapport du comité d’enquête, lui a indiqué qu’il avait informé le nouveau directeur que, si, à l’avenir, une nouvelle plainte le mettant en cause devait être introduite et considérée comme fondée par le comité d’enquête, il ouvrirait la procédure disciplinaire à son égard. Par ailleurs, il a informé la requérante du fait, d’une part, qu’il avait demandé au nouveau directeur de lui présenter formellement ses excuses pour la souffrance qu’il lui avait causée, et, d’autre part, qu’il avait chargé le service des ressources humaines d’examiner les possibilités d’un coaching professionnel du nouveau directeur sur son style de gestion et de communication.

60      Par lettre du 23 mars 2017, adressée au président de la BEI et, en copie, par courriel, audit président ainsi qu’au secrétaire général de la BEI, au directeur du département des relations sociales et des services administratifs et au chef de division des relations et du bien-être au travail, la requérante a contesté la légalité de la décision attaquée, en soulignant, d’une part, qu’elle reposait sur l’application d’une interprétation erronée de la notion de harcèlement moral et sur une analyse parcellaire et partiellement contradictoire, voire erronée des faits litigieux et, d’autre part, que la sanction qu’elle prévoyait à l’encontre du nouveau directeur était inappropriée au regard de la gravité des comportements en cause en l’espèce. Elle demandait par ailleurs à ce que, pour le 25 avril 2017 au plus tard, les services de la BEI lui adressent les excuses écrites du nouveau directeur et lui proposent une éventuelle offre d’indemnisation de ses préjudices matériel et moral.

61      Par lettre du 10 avril 2017, cosignée du chef du département du personnel et du directeur du département des relations sociales et des services administratifs, ceux-ci ont, en réponse à un courriel du conseil de la requérante du 8 mars 2017, informé ce dernier que la procédure de signalement au titre de la politique de dignité au travail était en cours et que, à ce stade, sa demande de règlement à l’amiable du litige ne pouvait donc pas être prise en considération. Par ailleurs, dans le cadre de cette correspondance, les deux signataires ont relevé que le conseil de la requérante avait adressé sa lettre du 6 février 2017, visée au point 41 du présent arrêt, à de nombreuses personnes, alors même que l’objet de cette lettre était d’une nature hautement confidentielle et qu’elle pouvait affecter la réputation professionnelle d’un membre du personnel de la BEI. Ainsi, ils ont informé ledit conseil que cette démarche pouvait constituer une violation des règles de confidentialité fondamentales dans le contexte de la procédure d’enquête et avoir causé un préjudice aux collègues de la requérante impliqués dans cette procédure. Par conséquent, le conseil de la requérante était informé du fait que la Banque examinerait les possibilités juridiques d’éventuelles actions pouvant être portées devant les autorités luxembourgeoises pour remédier à cette situation ainsi que d’éventuelles mesures internes à la Banque.

62      Par lettre du 13 avril 2017, le conseil de la requérante a notamment demandé au chef du département du personnel, premièrement, de retirer formellement, avant le 25 avril 2017, sa menace, exposée dans la lettre du 10 avril précédent, d’entreprendre des actions internes à l’encontre de la requérante au motif d’une prétendue violation d’une obligation de confidentialité ; deuxièmement, qu’une procédure disciplinaire soit engagée contre le nouveau directeur au motif qu’il n’avait toujours pas exécuté la sanction consistant à présenter une lettre d’excuses, et, troisièmement, de formuler une offre d’indemnisation du préjudice de la requérante à concurrence d’une année de salaire.

63      Par lettre du 9 mai 2017, la Banque a transmis à la requérante une lettre, datée du 3 mai 2017, dans laquelle le nouveau directeur indiquait à la requérante notamment, premièrement, être « réellement désolé pour la souffrance qu’avait causée chez elle [s]on manque de clarté dans la fixation des objectifs de 2015 et dans la définition de son nouveau rôle dans le département [en cause] » ; deuxièmement, accepter les conclusions du comité d’enquête concernant la constatation de l’existence d’un harcèlement moral et, troisièmement, espérer que, malgré cette expérience difficile, ils pourraient « poser les bases d’une coopération fructueuse et positive dans le futur ». Dans la lettre du 9 mai 2017, la requérante était également informée du démarrage du coaching professionnel du nouveau directeur auquel il était fait référence dans la décision attaquée.

64      Par lettre du 2 juin 2017, la requérante a, au titre de l’article 41 du règlement du personnel, présenté une demande de conciliation dans laquelle elle demandait à la commission de conciliation d’annuler partiellement la décision attaquée en ce qu’elle minimisait à tort, d’une part, la gravité des faits de harcèlement moral en cause, et, d’autre part, la gravité de la sanction qui s’imposait en l’espèce. Elle sollicitait également une indemnisation, premièrement, du préjudice qu’elle avait subi du fait du harcèlement en cause à concurrence de 121 992 euros ; deuxièmement, du préjudice moral subi du fait des fautes de l’administration à concurrence de 25 000 euros et, troisièmement, du préjudice résultant de la prétendue violation par le chef du département du personnel de l’indépendance de la procédure de signalement et résultant également de la menace ou de l’intimidation contenue dans la lettre du 10 avril 2017, et ce à concurrence de 25 000 euros.

 Procédure et conclusions des parties

65      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 juin 2017, la requérante a introduit le présent recours.

66      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision attaquée ;

–        condamner la BEI à l’indemniser à concurrence de montants respectivement de 121 992 euros, de 25 000 euros et de 25 000 euros, en réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi ;

–        condamner la BEI aux dépens.

67      La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux entiers dépens.

68      Les parties n’ayant pas demandé la tenue d’une audience de plaidoiries au titre de l’article 106, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal (première chambre), s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier de l’affaire, a décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, de statuer sans phase orale de la procédure.

 En droit

 Remarques liminaires sur le régime d’emploi propre à la Banque et sur le respect de la procédure précontentieuse propre aux recours visant la Banque

69      À titre liminaire, il convient de rappeler que les agents de la Banque ne sont pas soumis au statut des fonctionnaires de l’Union européenne, résultant du règlement (CEE, Euratom, CECA) no 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, tel que modifié en dernier lieu par le règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013 (ci-après le « statut des fonctionnaires »), ni au régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, textes visés aux articles 270 et 336 TFUE.

70      En effet, les agents de la Banque relèvent d’un corpus normatif différent, en l’occurrence le règlement du personnel adopté au titre de l’article 31 du règlement intérieur de la Banque, lui-même adopté au titre de l’article 7, paragraphe 3, sous h), du protocole no 5 annexé au traité UE et au traité FUE.

71      S’agissant de la procédure précontentieuse propre aux affaires mettant en cause la Banque, contrairement à ce qui était le cas antérieurement au 1er juillet 2013 (arrêts du 27 avril 2012, De Nicola/BEI, T‑37/10 P, EU:T:2012:205, point 75, et du 19 juillet 2017, Dessi/BEI, T‑510/16, non publié, EU:T:2017:525, points 21 à 34), l’article 41 du règlement du personnel prévoit désormais que l’engagement de la procédure de conciliation préalablement à l’introduction d’un recours contre la Banque au titre de cette disposition a un caractère obligatoire.

72      À cet égard, la requérante a fait valoir que, ainsi qu’elle en avait informé le président de la Banque par lettre du 14 juin 2017, la BEI n’avait pas en l’espèce désigné le membre du comité de conciliation dans le délai d’une semaine visé à l’article 41 du règlement du personnel et qui avait couru à partir de l’introduction, par la requérante, de sa demande de conciliation le 2 juin 2017.

73      Tout en reconnaissant, dans sa lettre en réponse du 26 juillet 2017, qu’il n’avait pas procédé à cette désignation dans ce délai, le président de la Banque a toutefois soutenu que ce délai d’une semaine n’était qu’indicatif, de sorte que l’absence de désignation, par la Banque, du membre du comité de conciliation ne pouvait pas équivaloir à l’un des deux motifs d’échec de la procédure de conciliation limitativement énumérés à l’article 41 du règlement du personnel. Au cours de la phase contentieuse, la Banque n’a toutefois pas contesté la recevabilité du présent recours pour un motif pris du non-respect de la procédure de conciliation visée à cet article.

74      À cet égard, dans la mesure où l’absence de désignation par la Banque du membre devant composer le comité de conciliation et devant ensuite choisir, d’un commun accord avec celui désigné par la requérante, le troisième membre de ce comité fait obstacle à toute constitution régulière du comité de conciliation, il y a lieu de retenir que l’absence de désignation de ce membre par la Banque dans le délai d’une semaine visé à l’article 41 du règlement du personnel met en échec la procédure de conciliation.

75      Par conséquent, en l’espèce et en ce qui concerne les conclusions en annulation de la décision attaquée et celles indemnitaires qui leurs sont liées, il y a lieu de retenir que, à la date d’introduction du recours, la procédure de conciliation avait effectivement échoué du fait de l’absence de désignation par la Banque de son membre dans le comité de conciliation dans le délai qui lui était imparti par l’article 41 du règlement du personnel. Il s’ensuit que la requérante avait effectivement soumis le différend relatif à ces conclusions à la procédure de conciliation préalablement à l’introduction du recours, lequel, dès lors, en tout état de cause, n’est pas prématuré.

76      Ces précisions faites, il convient désormais d’examiner successivement les conclusions en annulation et celles indemnitaires.

 Sur les conclusions en annulation partielle de la décision attaquée

77      À titre liminaire, la requérante précise que ses conclusions en annulation ne visent la décision attaquée qu’en ce que le président de la Banque, premièrement, a refusé de qualifier de harcèlement moral les pratiques exposées par la requérante et figurant aux points 20 à 25, 31, 34, 46, 50 et 51 du rapport (ci-après les « comportements encore litigieux ») ; deuxièmement, a refusé d’ouvrir la procédure disciplinaire à l’encontre du nouveau directeur, et, troisièmement, a ordonné que la décision attaquée reste strictement confidentielle à l’égard des vice-présidents de la Banque.

78      Ainsi, à l’appui de ses conclusions en annulation ainsi circonscrites, elle invoque trois moyens, tirés, respectivement :

–        premièrement, d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation dans la qualification des comportements encore litigieux ;

–        deuxièmement, d’une erreur de droit liée à l’absence d’ouverture d’une procédure disciplinaire contre le nouveau directeur ;

–        troisièmement, d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation quant à l’obligation de la requérante, en sa qualité de victime, de maintenir confidentielle la décision attaquée.

 Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation dans la qualification des comportements encore litigieux

79      Dans le cadre du premier moyen, la requérante fait valoir, au titre de deux branches distinctes, d’une part, que le comité d’enquête a commis une erreur de droit en considérant que, pour pouvoir qualifier de harcèlement moral certains des comportements encore litigieux, il aurait fallu que ces comportements aient été répétés, et, d’autre part, que, contrairement à ce que retient le rapport, certains des comportements encore litigieux étaient objectivement constitutifs de harcèlement moral.

–       Sur la première branche du premier moyen

80      À l’appui de la première branche du premier moyen, la requérante soutient que les constatations du comité d’enquête, figurant aux points 25, 34 et 46 du rapport et entérinées par le président de la Banque dans la décision attaquée, sont erronées dans la mesure où, pour refuser de qualifier comme harcèlement moral les comportements en cause dans ces points, le comité d’enquête s’est borné à relever qu’ils ne s’étaient produits qu’une seule fois.

81      Or, la requérante fait valoir que, au sens de l’article 3.6.1 du code de conduite, l’exigence de répétition ne vise pas la reproduction d’un même acte identique, mais la récurrence, au cours d’une période assez longue, de manifestations d’hostilités résultant d’une multiplicité d’actes ou de comportements qui ne sont pas nécessairement et strictement les mêmes. Toute interprétation contraire conduirait au résultat, selon elle absurde, qu’une personne destinataire de multiples actes hostiles ne serait pas considérée comme victime de harcèlement moral au seul motif que ces comportements ne seraient pas strictement identiques.

82      Ainsi, en excluant, dans la décision attaquée, que les comportements de dénigrement, de rétention d’informations et d’agression verbale, tels qu’examinés, respectivement, aux points 25, 34 et 46 du rapport, puissent relever d’un harcèlement moral ou qu’ils aient pu aggraver les comportements de harcèlement moral constatés dans le rapport du comité d’enquête, le président de la Banque aurait commis une erreur de droit.

83      À titre surabondant, la requérante relève, s’agissant du dénigrement dont elle prétend avoir été l’objet, qu’un tel comportement a également eu lieu en avril et en juin 2016. Ainsi, en reprenant à son compte la constatation du comité d’enquête selon laquelle il n’y aurait eu un comportement de dénigrement qu’à une seule occasion, le président de la Banque aurait commis une erreur manifeste d’appréciation à cet égard.

84      La Banque conclut au rejet de la première branche du premier moyen comme étant non fondée. Elle souligne que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la définition de harcèlement moral contenue au point 3.6.1 du code de conduite, relatif à la dignité au travail, ne se limiterait pas à exiger que le comportement reproché ait été répété sur « une période assez longue », mais exigerait également que les agissements invoqués soient « déplacés » dans le sens d’« abusifs », à l’instar de ce que prévoit la jurisprudence relative à la notion de harcèlement moral visée à l’article 12 bis du statut des fonctionnaires. Par ailleurs, la Banque soutient que la condition de « répétition », énoncée audit point 3.6.1, viserait la répétition d’actes d’un même type qui auraient été observés à plusieurs reprises et qui, en raison de cette répétition, seraient alors qualifiables d’abusifs. À cet égard, elle estime que la position de la requérante, contraire à la jurisprudence, reviendrait à transformer en un comportement unique de harcèlement moral des actes objectivement différents et séparés dans le temps.

85      En tout état de cause, les comportements encore litigieux ne formeraient pas un ensemble. Au contraire, ce serait précisément leur caractère isolé et distinctif qui aurait empêché un tel constat d’unicité comportementale constitutive en l’espèce de harcèlement moral.

86      S’agissant de l’allégation formulée à titre surabondant par la requérante, la Banque fait valoir qu’elle manque en fait, car le nouveau directeur n’aurait formulé qu’une seule fois une critique de la requérante à destination d’un tiers.

87      À titre liminaire, le Tribunal constate que l’article 3.6.1 du code de conduite définit le harcèlement moral comme étant la « répétition, au cours d’une période assez longue, de propos, d’attitudes ou d’agissements hostiles ou déplacés, exprimés ou manifestés par un ou plusieurs membres du personnel envers un autre membre du personnel ». Cette disposition du code de conduite doit être lue conjointement avec la disposition de la politique de dignité au travail, qui traite de la définition du harcèlement moral et aux termes de laquelle le fait que le « comportement en cause soit intentionnel ou non importe peu [ ; étant donné que l]e principe déterminant est que le harcèlement et l’intimidation sont des comportements indésirables et inacceptables qui portent atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de celui qui en fait l’objet » (arrêt du 10 juillet 2014, CG/BEI, F‑103/11, EU:F:2014:185, point 68).

88      Par conséquent, au sens de la définition donnée du harcèlement moral dans la politique de dignité au travail, lue conjointement avec l’article 3.6.1 du code de conduite, des propos, des attitudes ou des agissements d’un membre du personnel de la Banque à l’égard d’un autre membre de ce personnel seront constitutifs de « harcèlement moral » dès lors qu’ils ont entraîné objectivement une atteinte à l’estime de soi et à la confiance en soi de cette personne (arrêt du 10 juillet 2014, CG/BEI, F‑103/11, EU:F:2014:185, point 69).

89      La définition de la notion de « harcèlement moral » contenue à l’article 3.6.1 du code de conduite exige un caractère répétitif, de surcroît « au cours d’une période assez longue », des propos, des attitudes ou des agissements hostiles ou déplacés afin que ceux-ci puissent relever de cette notion. De ce point de vue, cette définition présente une analogie avec celle, visée à l’article 12 bis du statut des fonctionnaires, qui définit le « harcèlement moral », pour les fonctionnaires et agents relevant de ce statut, comme étant une « conduite abusive » qui se matérialise par des comportements, paroles, actes, gestes ou écrits manifestés « de façon durable, répétitive ou systématique », ce qui implique que le harcèlement moral doit être compris comme un processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et suppose l’existence d’agissements répétés ou continus et qui sont « volontaires », par opposition à « accidentels » (voir arrêts du 13 décembre 2017, HQ/OCVV, T‑592/16, EU:T:2017:897, point 101, et du 17 septembre 2014, CQ/Parlement, F‑12/13, EU:F:2014:214, points 76 et 77).

90      Par conséquent, cette référence dans la jurisprudence relative à l’article 12 bis du statut des fonctionnaires à un « processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et suppos[ant] l’existence d’agissements répétés ou continus » peut également s’appliquer, par analogie, aux fins de l’application de la notion de « harcèlement moral » applicable aux agents de la Banque [voir, par analogie, s’agissant du régime disciplinaire de la Banque centrale européenne (BCE), arrêt du 17 mars 2015, AX/BCE, F‑73/13, EU:F:2015:9, point 103].

91      À cet égard, il convient de relever que la notion de harcèlement moral se distingue de celle de « harcèlement sexuel », au sens de l’article 3.6.2 du code de conduite définie comme étant « toute avance ou sollicitation de nature sexuelle qui n’est manifestement pas souhaitée par son destinataire, ou de tout propos, geste ou comportement à connotation sexuelle également manifestement importune » (voir, également, de manière analogue, la définition retenue à l’article 12 bis, paragraphe 4, du statut des fonctionnaires pour les fonctionnaires et agents soumis audit statut).

92      En effet, tandis que la constatation d’un harcèlement sexuel ne dépend pas nécessairement de la récurrence du ou des comportements à connotation sexuelle non désirés, le constat d’un harcèlement moral est, pour sa part, la résultante du constat d’un ensemble de comportements et ne peut en principe pas être fait sur la base du constat d’un comportement isolé. C’est pour cette raison que le fait qu’un membre du personnel ait accidentellement pu adopter un ton inapproprié lors de réunions ou lors de discussions avec un autre membre du personnel ne relève pas, en principe, de la notion de harcèlement moral (voir, par analogie, arrêt du 17 septembre 2014, CQ/Parlement, F‑12/13, EU:F:2014:214, point 95).

93      Pour autant, exiger, comme le préconise la Banque en l’espèce, que la qualification de « harcèlement moral » dépende de la répétition dans le temps de comportements identiques ou de même type irait à l’encontre de cette notion de processus dans le temps. En effet, en tant que résultante d’un tel processus, le harcèlement moral peut, par définition, être le résultat d’un ensemble de comportements différents, d’un membre du personnel de la Banque à l’égard d’un autre, qui, pris isolément ne seraient pas nécessairement constitutifs en soi d’un harcèlement moral, mais qui, appréciés globalement et de manière contextuelle, y compris en raison de leur accumulation dans le temps, pourraient être considérés comme ayant « entraîné objectivement une atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de [cet autre membre du personnel] » destinataire desdits comportements au sens de l’article 3.6.1 du code de conduite.

94      C’est pourquoi, lorsque est examinée la question de savoir si des comportements invoqués par une partie requérante sont constitutifs d’un harcèlement moral, il convient d’examiner ces faits tant isolément que conjointement en tant qu’éléments d’un environnement global de travail créé par les comportements d’un membre du personnel à l’égard d’un autre membre de ce personnel (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 17 septembre 2014, CQ/Parlement, F‑12/13, EU:F:2014:214, points 81 et 128).

95      Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’a retenu le comité d’enquête, notamment aux points 25, 34 et 46 de son rapport, la négation d’un comportement allégué comme étant constitutif de « harcèlement moral » au sens de l’article 3.6.1 du code de conduite ne saurait être déduite de la seule circonstance que ce comportement n’aurait été observé qu’une seule fois. Au contraire, il appartenait au comité d’enquête d’examiner si ce même comportement, tant isolément que conjointement avec d’autres, avait pu « entraîn[er] objectivement une atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de [cet autre membre du personnel] » destinataire desdits comportements au sens de l’article 3.6.1 du code de conduite.

96      Dès lors que, dans la décision attaquée, le président de la Banque a fait siennes les appréciations du comité d’enquête et, partant, a erronément exigé que, pour pouvoir relever de la notion de « harcèlement moral », un comportement soit répété à l’identique, sans avoir égard à l’effet cumulé de comportements différents sur l’atteinte à l’estime de soi et à la confiance en soi du destinataire de tels comportements, la première branche du premier moyen doit être accueillie.

–       Sur la seconde branche du premier moyen

97      Dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, la requérante fait valoir que, en refusant de qualifier les comportements encore litigieux comme constituant un harcèlement moral, la Banque a commis une erreur manifeste d’appréciation. Dans la réplique, elle évoque toutefois huit pratiques, relevant des comportements encore litigieux, qui, à tort, n’auraient pas été reconnues comme constitutives d’un harcèlement moral dans la décision attaquée. Elle souligne également que la restructuration du département en cause ne pouvait en aucun cas justifier des comportements de harcèlement moral en vue de sa mise en œuvre.

98      La Banque conclut au rejet de la seconde branche du premier moyen, en soulignant que les difficultés internes au département en cause étaient antérieures à l’arrivée du nouveau directeur, lequel « avait été recruté pour mener à bien une restructuration déjà décidée et mettre un terme à une pénurie des compétences requises au sein de ce service (skills shortage) ».

99      Afin de statuer sur le bien-fondé de la seconde branche du premier moyen, dans laquelle la requérante met en cause l’appréciation de différents comportements qui, même pris isolément, seraient objectivement constitutifs, selon elles, d’un harcèlement moral, il convient tout d’abord d’examiner successivement chacun de ces comportements allégués et, dans ce contexte, de relever que la notion de « harcèlement moral » visée à l’article 3.6.1 du code de conduite repose sur une notion objective qui, même si elle repose sur une qualification contextuelle d’actes et de comportements de fonctionnaires et d’agents qui n’est pas toujours simple à effectuer, n’implique toutefois pas de procéder à des appréciations complexes, du type de celles qui peuvent découler de notions de nature économique (voir, s’agissant des mesures de protection commerciale, arrêts du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, EU:C:1991:186, point 86, et du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale, C‑351/04, EU:C:2007:547, point 40), scientifique [voir, pour les décisions de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA, T‑94/10, EU:T:2013:107, points 98 et 99] ou encore technique [voir, pour les décisions de l’Office communautaire des variétés végétales (OCVV), arrêt du 15 avril 2010, Schräder/OCVV, C‑38/09 P, EU:C:2010:196, point 77], qui justifieraient de reconnaître à l’administration une marge d’appréciation dans l’application de la notion en cause. Dès lors, en présence d’une allégation de méconnaissance de l’article 3.6.1 du code de conduite, il convient de rechercher si la Banque a commis une erreur d’appréciation des faits au regard de la définition du harcèlement moral visée à cette disposition, et non une erreur manifeste d’appréciation de ces faits.

100    S’agissant, en premier lieu, de la prétendue stratégie de « mise au placard » de la requérante, qui aurait notamment été matérialisée par la révélation, par le nouveau directeur, du fait que la requérante n’obtiendrait pas le poste de chef d’unité qu’elle convoitait, il y a lieu de relever que, dans la plainte, la requérante faisait uniquement valoir qu’il pouvait être seulement déduit de la décision du nouveau directeur de présenter le nouvel organigramme du service dans l’après-midi du 29 juin 2015, soit la veille de l’entretien dans le cadre de la procédure destinée à pourvoir l’emploi de chef d’unité convoité par la requérante, qu’il avait implicitement décidé que la requérante n’obtiendrait pas ce poste. Cependant, dans la requête, elle affirme plus catégoriquement que le nouveau directeur l’aurait informée qu’elle n’obtiendrait pas ce poste.

101    Outre cette évolution dans l’allégation en cause, le Tribunal estime que la requérante reste en défaut de prouver que, nonobstant le fait que cette décision devait être prise collégialement par un panel de sélection, le nouveau directeur avait déjà décidé, avant l’entretien, de l’issue de la procédure de recrutement concernant le poste de chef d’unité et lui avait révélé l’information qu’elle ne serait pas retenue pour ce poste lors ou du fait de la présentation du nouvel organigramme du service au cours de la réunion du 29 juin 2015.

102    Par ailleurs, le Tribunal relève que, dans le courriel qu’elle avait adressé le 1er juillet 2015 à un membre du personnel de la Banque, la requérante indiquait uniquement qu’elle n’était pas confiante dans l’issue de la procédure de sélection et, dans ce contexte, elle révélait que le nouveau directeur lui avait expliqué, s’agissant du fait qu’elle figurait sur un certain poste dans le nouvel organigramme qu’il allait présenter au département en cause, qu’il avait dû procéder de la sorte pour donner une image complète du service, mais que cela n’aurait pas d’impact sur son entretien avec le panel. Or, cela tend plutôt à démontrer que le nouveau directeur n’avait pas encore pris de décision à cet égard. En tout état de cause, la requérante n’a pas estimé nécessaire de contester l’issue de la procédure de recrutement concernant ce poste, alors même qu’elle allègue que cette procédure aurait été biaisée en faveur d’une personne qui avait été le collègue du nouveau directeur dans une autre organisation internationale.

103    Dans ces conditions, le président de la Banque, reprenant à son compte l’analyse figurant dans le rapport du comité d’enquête, n’a pas commis d’erreur d’appréciation lorsqu’il a constaté, d’une part, que la requérante n’avait pas démontré le caractère irrégulier de la procédure de sélection dans laquelle elle n’avait de toute façon pas réussi à être placée en deuxième position, soit juste à la suite de la personne prétendument nommée par favoritisme, et n’avait pas réussi à démontrer une aisance suffisante dans certaines des connaissances requises pour le poste, et que, d’autre part, cette allégation ne pouvait pas être considérée comme constitutive d’un harcèlement moral.

104    De la même manière, s’agissant, en deuxième lieu, de la décision de démanteler l’équipe restreinte de trois personnes dont la gestion incombait auparavant à la requérante lorsque le département en cause était placé sous la direction du précédent directeur dont elle dépendait directement, le Tribunal rappelle que, de même que les institutions et les agences de l’Union, la Banque a la liberté de structurer ses unités administratives en tenant compte d’un ensemble de facteurs, tels que la nature et l’ampleur des tâches qui leur sont dévolues et les possibilités budgétaires, de même que l’évolution de ses priorités. Cette liberté implique celle de supprimer des emplois et de modifier l’attribution des tâches des emplois maintenus, dans l’intérêt d’une plus grande efficacité de l’organisation des travaux, de même que le pouvoir de réassigner des tâches précédemment exercées par le titulaire de l’emploi supprimé (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑584/16, EU:T:2017:282, point 103, et du 10 septembre 2014, Tzikas/AFE, F‑120/13, EU:F:2014:197, point 82).

105    Partant, ainsi que l’a en substance relevé le comité d’enquête, même si le nouveau directeur aurait dû prendre plus de temps pour expliquer à la requérante la nécessité de faire évoluer les tâches dont elle s’occupait auparavant sous la direction du directeur précédent, il n’en demeurait pas moins que la réorganisation du département en cause avait été décidée par la Banque, antérieurement à la prise de fonctions du nouveau directeur, en raison de performances insuffisantes de ce département et que, partant, la suppression de l’équipe gérée auparavant par la requérante, en tant qu’elle procédait de la mise en œuvre de cette restructuration, relevait du large pouvoir d’appréciation de la Banque dans l’organisation de ses services et ne pouvait pas raisonnablement être interprétée comme relevant d’un harcèlement moral de la part du nouveau directeur mettant en œuvre la restructuration du département en cause décidée par la Banque.

106    Le grief de la requérante doit par conséquent être rejeté sur ce point, sans qu’il soit besoin de donner suite à sa demande tendant à ce que la Banque soit priée, à titre de mesure d’organisation de la procédure, de produire les rapports de notation du nouveau directeur afin d’établir que la hiérarchie de ce dernier était informée des problèmes qu’il avait rencontrés avec le personnel dans le cadre de la restructuration du département en cause, de même que toutes les informations recueillies auprès des employés de ce département par les « business partners » et les services médicaux quant au comportement du nouveau directeur d’octobre 2014 à juin 2016.

107    S’agissant, en troisième lieu, des remarques faites dans le service par le nouveau directeur relatives, d’une part, au fait que les employés de la Banque ne devraient pas se plaindre de leurs conditions de travail et, d’autre part, à son regret de ne pas pouvoir licencier à sa guise les employés qui ne lui conviendraient pas comme cela était le cas dans ses fonctions antérieures en dehors de la Banque, le comité d’enquête a conclu dans son rapport que de telles remarques n’apparaissaient pas déraisonnables et que les griefs de la requérante à leur égard étaient « non fondés en tant qu’allégations de harcèlement ». Une telle conclusion n’était pas, en soi, erronée, dès lors qu’il n’était pas établi que, aussi maladroites soient-elles en vue de la bonne conduite d’un service, ces remarques visaient nécessairement et spécifiquement la requérante. Partant, elles ne peuvent pas non plus être considérées comme des menaces proférées à son endroit.

108    S’agissant, en quatrième lieu, du fait que le nouveau directeur aurait remis en cause le rôle de la requérante en tant que chef d’équipe, notamment en critiquant, voire en déniant le droit de celle-ci de fixer des objectifs aux trois membres de cette équipe et de les évaluer, il y a lieu de rappeler que, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont jouissent les institutions dans l’organisation de leurs services, ni des décisions administratives sur des questions relevant de l’organisation des services, même si celles-ci sont difficiles à accepter, ni des désaccords avec l’administration sur ces mêmes questions ne sauraient à eux seuls prouver l’existence d’un harcèlement moral (voir arrêt du 17 septembre 2014, CQ/Parlement, F‑12/13, EU:F:2014:214, point 98 et jurisprudence citée).

109    Par conséquent, dès lors que la fonction de chef d’équipe n’était pas une fonction formellement définie dans les règles applicables au sein de la Banque et, dans le cas de la requérante, était une responsabilité que lui avait confiée le précédent directeur, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le président de la Banque, reprenant à son compte la constatation du comité d’enquête sur ce point, a considéré que ces remises en cause par le nouveau directeur de l’autorité de la requérante en tant que chef d’équipe, tout en étant déplacées, en l’occurrence au regard de l’article 3.3 du code de conduite selon lequel « [l]es observations critiques [des supérieurs hiérarchiques] doivent être exprimées de manière franche et honnête, sans allusions ni menaces voilées », ne constituaient pas une forme de harcèlement moral.

110    S’agissant, en cinquième lieu, de la circonstance que la requérante n’a pas été invitée à participer à certaines réunions, une telle décision, en tant que telle, peut relever du pouvoir d’appréciation du nouveau directeur dans l’organisation des travaux du département en cause et, partant, n’est pas nécessairement constitutive en soi d’un harcèlement moral.

111    De la même manière, s’agissant, en sixième lieu, du fait que le nouveau directeur ait prématurément interrompu une réunion tenue entre le secrétaire général adjoint de la Banque, la requérante et lui-même, au motif d’un manque de préparation de la requérante sur le sujet faisant l’objet de cette réunion, un tel comportement n’est pas nécessairement constitutif en soi d’un harcèlement moral à l’endroit de la requérante.

112    S’agissant, en septième lieu, de l’allégation selon laquelle le nouveau directeur aurait privilégié dans ses contacts les personnes nouvellement recrutées sous sa direction au détriment des personnes déjà en place lors de sa prise de fonctions, il n’apparaît pas que, en tant que tel, ce comportement relevant davantage d’une faiblesse du management, puisse être considéré comme constitutif d’un harcèlement moral à l’endroit de la requérante.

113    S’agissant enfin, en huitième lieu, de l’affirmation de la requérante relative au coup d’arrêt qu’aurait subi sa carrière à la suite du départ du précédent directeur du département en cause et de l’entrée en fonctions du nouveau directeur, force est de souligner que, de même que la promotion d’un agent ne permet pas d’exclure que celui-ci soit victime de harcèlement ou d’agissements malveillants de la part de son supérieur (arrêt du 16 septembre 2013, Faita/CESE, F‑92/11, EU:F:2013:130, point 89), le fait que la requérante aurait prétendument subi un ralentissement dans l’évolution de sa carrière n’est pas nécessairement en soi constitutif d’un harcèlement moral.

114    En particulier, dans un contexte dans lequel la requérante n’a pas contesté ses évaluations, ni les décisions concernant son avancement prétendument désormais plus lent, il convient de rappeler que, en dehors des processus d’évaluation, de promotion et de sélection dans lesquels il peut contester les décisions le concernant, un agent ne saurait avoir de confiance légitime dans la pérennisation d’une évolution rapide de sa carrière ou dans l’accession à des fonctions de chef d’unité pour lesquelles l’agent aurait eu des assurances de la part du prédécesseur de son actuel supérieur hiérarchique.

115    Eu égard aux considérations qui précèdent      , il convient, d’une part, de faire partiellement droit à la seconde branche du premier moyen dans la mesure où, s’agissant des comportements encore litigieux, le président de la Banque ne pouvait pas conclure qu’ils ne relevaient pas de la notion de « harcèlement moral » sans examiner ceux-ci dans un contexte d’ensemble et, d’autre part, de rejeter cette branche pour le surplus en ce qui concerne l’appréciation faite isolément par la Banque de chacun des comportements encore litigieux.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit liée à l’absence d’ouverture d’une procédure disciplinaire contre le nouveau directeur

116    À l’appui du deuxième moyen, la requérante fait valoir à titre principal que, en refusant d’ouvrir en l’espèce la procédure disciplinaire à l’encontre du nouveau directeur, le président de la Banque a méconnu tant la politique de dignité au travail que la procédure disciplinaire visée aux articles 38 à 40 du règlement du personnel. À cet égard, elle soutient que, en l’espèce et nonobstant la reconnaissance d’un harcèlement moral, le président de la Banque n’aurait adopté aucune sanction à l’égard du nouveau directeur, pas même une réprimande écrite. Il se serait en effet borné à menacer l’intéressé d’ouvrir la procédure disciplinaire à l’encontre de celui-ci en cas de récidive dans les trois ans, suivant en cela les recommandations du comité d’enquête. Or, selon la requérante, qui estime disposer d’un intérêt à agir à cet égard, le président de la Banque ne disposait pas d’un autre choix, en l’espèce, que de décider de l’ouverture d’une procédure disciplinaire.

117    En particulier, la politique de dignité au travail ne prévoirait que cinq types de mesures parmi lesquelles ne figurerait pas celle d’une menace de procédure disciplinaire en cas de récidive. En réalité, selon la requérante, s’appuyant à cet égard sur le point 68 de l’arrêt du 13 juillet 2017, OZ/BEI (T‑607/16, non publié, sous pourvoi, EU:T:2017:495), le comité d’enquête n’aurait eu d’autre choix que de rejeter la plainte ou de l’accueillir et, dans ce cas, de recommander des poursuites disciplinaires, même si, sur ce dernier point, la requérante affirme ne pas demander que le nouveau directeur se voit nécessairement infliger la sanction la plus lourde.

118    Ainsi, en renonçant à adopter, à son niveau, la sanction d’une réprimande écrite ou de décider l’ouverture d’une procédure disciplinaire devant la commission paritaire disciplinaire (joint committee) prévue à l’article 40 du règlement du personnel, le président de la Banque aurait méconnu la ratio legis tant de la politique de dignité au travail que des dispositions sur la procédure disciplinaire.

119    En tout état de cause, la requérante estime, à titre subsidiaire, que, même à supposer que le président de la Banque dispose d’un pouvoir d’appréciation dans les mesures à adopter à la suite du rapport du comité d’enquête, les mesures retenues en l’espèce seraient de toute façon manifestement insuffisantes au regard de la gravité des comportements allégués ou, à tout le moins, de ceux reconnus, dans le rapport, comme constitutifs d’un harcèlement moral. À cet égard, elle s’appuie également sur une expertise du médecin-conseil de la Banque selon laquelle, il existerait, depuis 2013, une culture à la BEI favorisant le harcèlement moral. Ainsi, l’absence d’ouverture d’une procédure en l’espèce participerait de la banalisation du harcèlement moral pourtant interdit au sein de la Banque. En particulier, la simple menace d’une procédure disciplinaire en cas de récidive dans les trois ans à venir ne serait pas de nature à remplir les fonctions de prévention et de dissuasion devant normalement s’attacher à une sanction administrative.

120    La Banque conclut au rejet du deuxième moyen comme étant non fondé, tout en mettant en doute l’intérêt à agir de la requérante. En effet, selon la Banque, aucun agent n’aurait un intérêt à ce qu’un autre agent, en l’occurrence le nouveau directeur, soit soumis à une procédure disciplinaire ou fasse l’objet d’une sanction disciplinaire.

121    Quant au fond, la Banque soutient que ni la politique de dignité au travail, ni aucune autre disposition applicable en son sein n’impose une obligation d’ouvrir la procédure disciplinaire, et ce même dans un cas avéré de harcèlement moral. En effet, le président de la Banque disposerait à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation dans la définition des mesures s’imposant dans un tel cas, de même que le comité d’enquête disposerait de la faculté de formuler différentes recommandations, mais ne serait pas nécessairement tenu de recommander l’ouverture d’une procédure disciplinaire. Il en irait ici, en substance, du respect par le président de la Banque du principe de proportionnalité entre la gravité du harcèlement constaté et les mesures nécessaires devant être adoptées en conséquence. Dans ce contexte, la Banque estime que, contrairement à ce que suggère la requérante, son président n’aurait pas été habilité à imposer la sanction de la réprimande écrite sans saisine de la commission paritaire disciplinaire, laquelle saisine constituerait au contraire une formalité substantielle.

122    En tout état de cause, la Banque rejette l’argumentation de la requérante selon laquelle les mesures adoptées en l’espèce auraient été insuffisantes au regard de la gravité des faits constatés par le comité d’enquête et repris à son compte par le président de la BEI. À cet égard, elle estime que la victime d’un harcèlement moral ne saurait revendiquer le respect d’un objectif de dissuasion et de prévention dans la définition des mesures adoptées par le président de la Banque dans un cas avéré de harcèlement la concernant, car, toujours selon la Banque, cela reviendrait à conférer à une telle victime un droit d’agir dans l’intérêt de la loi, ce qui serait contraire à la jurisprudence.

123    À titre encore plus subsidiaire, la Banque estime que le cas d’espèce, tout en étant constitutif d’un harcèlement moral, n’était pas un cas grave justifiant l’ouverture immédiate d’une procédure disciplinaire à l’encontre du nouveau directeur. En effet, s’il avait certes été subjectivement perçu par la requérante comme grave, le comportement du nouveau directeur aurait en réalité été objectivement caractérisé, pour l’essentiel, par une mauvaise gestion et une communication insuffisante.

124    À titre liminaire, dans la mesure où la requérante conteste la décision attaquée en ce que celle-ci ne constitue pas une mesure appropriée du président de la Banque en réponse à sa plainte, il y a lieu d’écarter l’argumentation de la Banque relative au défaut d’intérêt à agir de la requérante à cet égard. En effet, il est inhérent aux exigences d’un contrôle juridictionnel effectif de la décision attaquée que la requérante puisse contester, dans le cadre du présent recours, le caractère approprié des mesures adoptées en réponse à sa plainte. La circonstance que, ce faisant, elle reproche à la Banque de ne pas avoir ouvert la procédure disciplinaire à l’encontre d’un tiers, en l’occurrence le nouveau directeur, est sans incidence à cet égard, étant donné qu’il est constant que, dans le cadre du présent moyen, la requérante n’agit pas dans l’intérêt de la loi et fait, au contraire, valoir des griefs qui lui sont personnels.

–       Sur les mesures pouvant, en vertu de la réglementation applicable à la BEI, être recommandées par le comité d’enquête et être subséquemment adoptées par le président de la Banque dans un cas avéré de harcèlement moral

125    Cette précision étant faite, il convient de rappeler que, conformément à la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail, « le comité [d’enquête] peut exprimer différentes recommandations tendant à ce que :

–        l’affaire soit abandonnée, les deux parties ayant pu clarifier la situation et une solution pour l’avenir, acceptable pour les deux parties ayant été trouvée ;

–        l’affaire ne soit pas considérée comme relevant de l’intimidation ou du harcèlement, mais comme étant un conflit de travail qui doit faire l’objet d’un examen plus approfondi ou d’un suivi ;

–        la plainte soit rejetée ;

–        les mesures requises soient prises au cas où le comité [d’enquête] démontre que la plainte est non fondée et malintentionnée ;

–        la procédure disciplinaire [visant le harceleur] soit engagée ».

126    Formellement, la politique de dignité au travail ne prévoit pas expressément que, lorsque le comité d’enquête constate l’existence d’un harcèlement moral à l’issue de son enquête, il doit nécessairement recommander l’ouverture de la procédure disciplinaire, laquelle n’est que l’un des cinq types de recommandation expressément prévus par ce texte.

127    Cependant, dans un tel cas de constat d’un harcèlement moral, seuls les premier et cinquième types de recommandation sont applicables, à savoir soit la recommandation tendant à ce que l’affaire soit abandonnée au motif que les deux parties ont pu clarifier la situation et qu’une solution pour l’avenir, acceptable pour les deux parties, a été trouvée, soit celle visant l’ouverture de la procédure disciplinaire.

128    En l’absence de solution acceptable pour l’avenir trouvée entre les parties, ce qui est le cas en l’espèce dans la mesure où, en contestant la décision attaquée, la requérante a clairement exprimé son désaccord sur les mesures proposées par le comité d’enquête et retenues par le président de la Banque, le libellé de la politique de dignité au travail tend à indiquer que le constat par le comité d’enquête d’un harcèlement moral doit en principe le conduire à recommander l’ouverture de la procédure disciplinaire.

129    En ce qui concerne les types de décision que le président de la Banque peut prendre sur la base du rapport établi par le comité d’enquête, la politique de dignité au travail prévoit une énumération de trois mesures éventuelles à prendre. Ainsi, elle retient qu’« [i]l peut s’agir, par exemple de la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire [visant le harceleur], du lancement d’enquêtes supplémentaires dans une unité de travail ou un département précis, [ou] d’une solution acceptée d’un commun accord par les parties ». Compte tenu de l’utilisation du terme « par exemple », il apparaît que cette liste n’est pas limitative.

130    S’agissant des suites disciplinaires pouvant être immédiatement décidées par le président de la Banque face à un cas avéré de harcèlement moral, l’article 38 du règlement du personnel prévoit un régime disciplinaire, analogue à celui prévu à l’article 86 du statut des fonctionnaires, complété par l’annexe IX dudit statut, aux termes duquel trois mesures disciplinaires peuvent être adoptées selon la gravité des cas. Tandis que la première, le « blâme par écrit », peut être adoptée sans l’intervention de la commission paritaire disciplinaire, analogue au conseil de discipline prévu par le statut des fonctionnaires, les deux autres mesures ne peuvent, elles, être adoptées qu’après avis de la commission paritaire disciplinaire dont la composition est régie par l’article 40 du règlement du personnel. Ces deux dernières mesures sont le « licenciement pour motif grave, sans préavis avec ou sans allocation de départ » et le « licenciement pour motif grave, sans préavis ni allocation de départ, et avec réduction des droits à pension ».

131    Sur ce point, contrairement à ce que fait valoir la Banque, au regard du libellé de l’article 38 du règlement du personnel, l’infliction par le président de la Banque d’une sanction ne nécessite pas, dans tous les cas, la saisine de la commission paritaire disciplinaire.

–       Sur la nature et la suffisance des mesures adoptées dans le cas d’espèce de harcèlement moral avéré

132    En l’espèce, le comité d’enquête a recommandé l’ouverture d’une procédure disciplinaire, mais en la conditionnant à la récidive du nouveau directeur dans sa méconnaissance de l’interdiction du harcèlement moral au sein de la Banque. Le président de la Banque ayant entériné une telle recommandation du comité d’enquête, il y a lieu d’examiner si, comme le soutient la requérante, cette mesure pouvait être retenue par ce dernier dans le cas d’espèce.

133    Se posent dès lors la question de la marge d’appréciation du président de la Banque dans la détermination de la ou des mesures qu’il doit prendre en présence d’un harcèlement moral constaté par le comité d’enquête ainsi que celle du caractère approprié des mesures adoptées en l’espèce.

134    Sur ce point, le corpus normatif applicable à la Banque ne prévoyant pas de disposition contenant un concept analogue, il convient de s’inspirer, au regard des objectifs analogues poursuivis par l’article 3.2.1 du code de conduite et l’article 12 bis du statut des fonctionnaires, de la jurisprudence relative au devoir d’assistance résultant de l’article 24 du statut des fonctionnaires, aux termes duquel, d’une part, « [l]’Union assiste le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions » et, d’autre part, « [e]lle répare solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pu obtenir réparation de leur auteur ».

135    À cet égard, en ce qui concerne les fonctionnaires et agents soumis aux textes visés à l’article 336 TFUE, il est de jurisprudence constante que, s’agissant des mesures à prendre dans une situation qui entre dans le champ d’application de l’article 24 du statut des fonctionnaires, l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation, sous le contrôle du juge de l’Union, dans le choix des mesures et des moyens d’application de l’article 24 du statut des fonctionnaires (arrêts du 25 octobre 2007, Lo Giudice/Commission, T‑154/05, EU:T:2007:322, point 137 ; du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑570/16, EU:T:2017:283, point 48, et du 6 octobre 2015, CH/Parlement, F‑132/14, EU:F:2015:115, point 89).

136    Par ailleurs, en matière de harcèlement, d’une manière générale, l’institution ne saurait prendre des sanctions, disciplinaires ou autres, à l’encontre du harceleur allégué, qu’il s’agisse ou non d’un supérieur hiérarchique de la supposée victime, que si les mesures d’instruction ordonnées, au titre de l’article 24 du statut des fonctionnaires, établissent avec certitude l’existence, chez la personne accusée par le fonctionnaire ou l’agent, d’un comportement portant atteinte au bon fonctionnement du service ou à la dignité et à la réputation de la victime supposée (arrêts du 9 novembre 1989, Katsoufros/Cour de justice, 55/88, EU:C:1989:409, point 16 ; du 28 février 1996, Dimitriadis/Cour des comptes, T‑294/94, EU:T:1996:24, point 39, et du 6 octobre 2015, CH/Parlement, F‑132/14, EU:F:2015:115, point 90).

137    Sur la base de ces considérations jurisprudentielles, il y a lieu de retenir que, en vue de la mise en œuvre de la politique de dignité au travail, le président de la Banque dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la définition des mesures devant être prises à la suite du rapport établi par le comité d’enquête.

138    Dans le cas d’espèce, le président de la Banque n’a pas estimé nécessaire d’infliger un blâme écrit au directeur en cause. D’ailleurs, la Banque n’a pas allégué, en défense, que l’indication selon laquelle ce directeur s’exposerait à des poursuites disciplinaires en cas de récidive dans les trois années devait être analysée comme un blâme, ni que celle-ci avait pris une forme écrite consignée dans le dossier administratif du nouveau directeur. Par ailleurs, il est constant que le président de la Banque n’a pas décidé de saisir immédiatement la commission paritaire disciplinaire au titre des articles 38 et 40 du règlement du personnel.

139    Ainsi, en définitive, en réponse à un cas pourtant constaté par lui de harcèlement moral, le président de la Banque s’est contenté d’indiquer à la personne ayant introduit une plainte au titre de cette politique que le membre du personnel l’ayant harcelée avait été informé du fait qu’il ne s’exposerait à des poursuites disciplinaires qu’en cas de récidive dans un délai de trois ans.

140    Or, le Tribunal relève, d’une part, qu’une telle mesure, applicable uniquement en cas de récidive de l’intéressé, implique que la sanction du comportement de harcèlement moral avéré serait tributaire de la constatation d’un nouveau comportement répréhensible, alors même que cette constatation dépendrait, le cas échéant, de la décision aléatoire de la nouvelle victime de présenter ou non une plainte au titre de la politique de dignité de travail.

141    D’autre part, au regard des objectifs assignés au code de conduite et à la politique de dignité au travail et, notamment, de la gravité intrinsèque de tout comportement de harcèlement moral affirmée dans ces textes adoptés par la Banque, il y a lieu de retenir que, au regard des circonstances de l’espèce, les mesures adoptées par le président de la Banque étaient insuffisantes et, partant, inappropriées par rapport à la gravité du cas d’espèce, à tout le moins en ce qui concernait les suites immédiates à donner aux comportements déjà identifiés par le président de la Banque comme étant constitutifs d’un harcèlement moral.

142    Partant, sans préjudice du nouvel examen d’ensemble auquel la Banque devra procéder au regard des appréciations du Tribunal dans le cadre du premier moyen et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur le point de savoir si le comité d’enquête aurait dû davantage tenir compte, dans la formulation de ses recommandations, des prétendues plaintes de quatre autres membres du personnel auprès du service médical de la Banque et, par ailleurs, si de telles allégations constituent un grief qui est personnel à la requérante au sens de la jurisprudence ne conférant pas aux fonctionnaires et agents un droit d’agir dans l’intérêt de la loi ou du personnel d’une institution ou agence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2017, HN/Commission, T‑588/16, non publié, EU:T:2017:292, point 90 et jurisprudence citée), il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation quant à l’obligation de la requérante, en sa qualité de victime, de maintenir confidentielle la décision attaquée

143    À l’appui du troisième moyen, la requérante fait valoir que la Banque ne pouvait pas exiger d’elle qu’elle maintienne confidentiels, y compris à l’égard des cadres dirigeants de la Banque, l’existence et le contenu de la décision attaquée.

144    À cet égard, elle concède que, au stade du dépôt de la plainte, la politique de dignité au travail contient une obligation de confidentialité pesant sur la victime, le harceleur présumé, les témoins ainsi que sur les autres participants à la procédure. En effet, il serait légitime de protéger la réputation des différents protagonistes tant que les faits ne sont pas établis. La requérante estime toutefois que, une fois la procédure d’enquête terminée, aucune disposition juridique n’habiliterait le président de la Banque à exiger le silence de la personne ayant été reconnue comme victime d’un harcèlement moral, étant donné qu’une telle exigence favoriserait la protection de la réputation de la personne mise en cause alors même qu’elle a été reconnue comme ayant commis des actes de harcèlement moral.

145    Ainsi, selon la requérante, il serait inhérent à la politique de dignité au travail que la personne ayant été reconnue comme victime de harcèlement moral ou, à l’inverse, la personne mise en cause à tort en tant que harceleur présumé puisse se prévaloir du résultat de la procédure d’enquête. Pour la victime, il en irait notamment du rétablissement de son intégrité professionnelle et de son équilibre psychologique. Or, celui-ci serait nécessairement tributaire de la reconnaissance par tous du bien-fondé de sa plainte et de la souffrance à laquelle elle a été exposée. Dans le cas d’espèce, la requérante aurait, en particulier, intérêt à pouvoir expliquer à son prochain supérieur hiérarchique ou à son prochain employeur les raisons objectives pour lesquelles elle a été victime d’un burn out et a dû interrompre sa carrière au moyen d’un CCP de deux ans. Cela serait corroboré par les points 257 et 258 de l’arrêt du 5 décembre 2012, Z/Cour de justice (F‑88/09 et F‑48/10, EU:F:2012:171).

146    L’exigence de la Banque de maintenir confidentielle la décision attaquée constituerait également une erreur manifeste d’appréciation, puisque cette décision contribuerait à favoriser le harcèlement moral à la Banque, alors même que, au regard des règles applicables, il incomberait à la BEI, au titre également de son devoir de diligence et de sollicitude, de veiller à révéler l’existence du présent cas de harcèlement moral, afin de libérer la parole des autres victimes potentielles, notamment, en l’espèce, les quatre autres personnes du département en cause s’étant ouvertes sur cette question auprès du médecin-conseil de la Banque.

147    La Banque fait valoir que, pour autant qu’il tendrait à l’annulation de la décision du 10 avril 2017, le troisième moyen devrait être rejeté comme étant irrecevable. En tout état de cause, la circonstance que, dans cette lettre, la question de la confidentialité ait été rappelée à la requérante ne saurait conduire à l’annulation de la décision attaquée, car, d’une part, il s’agit d’un acte postérieur à cette décision et, d’autre part, il s’agirait d’un élément accessoire et détachable de ladite décision. Par ailleurs, ce rappel élémentaire du devoir de confidentialité de la requérante n’aurait pas consisté en la création d’une obligation de confidentialité nouvelle et aurait, de toute manière, été justifiée dans le cas d’espèce.

148    À cet égard, il convient de rappeler que la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (arrêts du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, EU:C:1979:29, point 7 ; du 17 mai 2001, IECC/Commission, C‑449/98 P, EU:C:2001:275, point 87, et du 28 juillet 2011, Agrana Zucker, C‑309/10, EU:C:2011:531, point 31).

149    En l’espèce, comme le souligne à juste titre la requérante, la décision attaquée porte, en lettres capitales, la mention « Strictement confidentiel » (strictly confidential), sans pour autant qu’il puisse en être immédiatement déduit que, par cette mention, le président de la Banque a entendu interdire à la requérante de révéler à d’autres membres du personnel l’existence et le contenu de cette décision.

150    Pour comprendre la portée de cette mention figurant dans la décision attaquée, il convient de se référer à la fois à l’article 9 du règlement du personnel de la Banque et à la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail. À cet égard, cet article 9 prévoit que, à l’égard des personnes extérieures à la Banque, « [l]es membres du personnel ne peuvent, sans autorisation préalable, communiquer ou divulguer des informations ou documents […] ayant trait à la Banque ou se rapportant à l’activité de cette dernière ». La politique de dignité au travail prévoit pour sa part que « toutes les parties impliquées dans l’enquête et les auditions, y compris [les] assistants et [les] témoins, […] sont soumises au devoir de confidentialité ». Par ailleurs, elle prévoit que, « [a]fin de protéger toutes les parties concernées, les actes seront conservés dans la plus stricte confidentialité et les informations ne seront divulguées qu’en cas d’absolue nécessité ».

151    Ainsi, il convient d’admettre que, en apposant en lettres capitales sur la décision attaquée la mention « Strictement confidentiel », le président de la Banque a entendu interdire à la requérante, au regard des dispositions précitées, de faire état de l’existence et du contenu de la décision attaquée tant à des personnes extérieures à la Banque qu’à d’autres membres du personnel et aux cadres dirigeants de la Banque. Ce constat correspond d’ailleurs à ce que fait valoir, en substance, la Banque dans son mémoire en défense.

152    À cet égard, contrairement à ce que soutient la requérante, ce constat n’est pas nécessairement corroboré par le fait que, dans la lettre du 10 avril 2017 – contenant, en lettres capitales, la mention « Personnel et confidentiel » (Personal and confidential), mais dont la requérante ne demande toutefois pas l’annulation en l’espèce –, il était constaté qu’il pourrait être considéré que la requérante avait manqué aux règles de confidentialité en envoyant le courriel du 6 février 2017, dont l’objet était « d’une nature hautement confidentielle en ce que, entre autres, il affect[ait] la réputation professionnelle d’un membre du personnel de la BEI », à de multiples destinataires. En effet, à cette date, la procédure devant le comité d’enquête était en cours. Ainsi, à ladite date, la requérante était tenue par l’obligation de confidentialité prévue dans la politique de dignité au travail tant que la procédure d’enquête était en cours et même lorsqu’elle entendait évoquer uniquement le signalement qu’elle avait fait au titre de la politique de signalement.

153    En revanche, le contenu de la lettre du 9 mai 2017 confirme, lui, que, par l’apposition de la mention « Strictement confidentiel » dans la décision attaquée, le président de la Banque avait entendu interdire à la requérante de faire état de l’existence et du contenu de la décision attaquée tant à des personnes extérieures à la Banque qu’à d’autres membres du personnel et aux cadres dirigeants de la Banque. En effet, dans la lettre du 9 mai 2017, il était rappelé à la requérante que, comme elle le savait, tous les documents relatifs à la procédure de dignité au travail devaient être traités avec la plus stricte confidentialité et que la lettre d’excuses du nouveau directeur, rédigée en exécution de la décision attaquée, ne devait pas être révélée ou diffusée à des tiers par la requérante.

154    Il convient donc de déterminer si le président de la Banque ou ses services pouvaient assortir la décision attaquée et la lettre d’excuses du nouveau directeur d’un niveau de confidentialité conduisant à interdire à la requérante de révéler à des tiers l’existence de ces documents ainsi que leur contenu.

155    Sur ce point, il convient de relever que le point 3, sous d), de la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail prévoit que, lorsqu’un agent introduit une plainte, « celle-ci ne peut plus être retirée et [que] la procédure doit aller jusqu’à son terme ».

156    À cet égard, l’importance de conduire l’enquête administrative jusqu’à son terme tient notamment au fait, d’une part, que la reconnaissance éventuelle par la Banque, à l’issue de l’enquête administrative, éventuellement menée avec l’aide d’une instance distincte, telle que le comité d’enquête, de l’existence d’un harcèlement moral peut être, en elle‑même, susceptible d’avoir un effet bénéfique dans le processus thérapeutique de reconstruction du fonctionnaire ou de l’agent harcelé et pourra, en outre, être utilisée par la victime aux fins d’une éventuelle action judiciaire nationale. D’autre part, la conduite jusqu’à son terme d’une enquête administrative peut, à l’inverse, permettre d’infirmer les allégations de la prétendue victime, permettant alors de réparer les torts qu’une telle accusation, si celle‑ci devait s’avérer non fondée, a pu causer à la personne visée en tant que harceleur présumé par une procédure d’enquête (voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2015, CH/Parlement, F‑132/14, EU:F:2015:115, points 123 et 124 et jurisprudence citée).

157    Or, s’il devait être imposé à un membre du personnel de la Banque victime d’un harcèlement moral de se taire sur l’existence d’un tel harcèlement, cela aurait pour conséquence, au-delà du fait que celui-ci ne serait plus nécessairement en mesure de justifier des éventuelles absences pour des raisons de maladie liées audit harcèlement moral, que l’intéressé ne pourrait pas faire fruit des constats opérés par le comité d’enquête et le président de la Banque, respectivement dans le rapport et la décision attaquée, notamment dans le cadre d’une éventuelle action introduite devant une juridiction nationale à l’encontre de la personne l’ayant harcelé.

158    Une telle interprétation de la réglementation applicable à la Banque entrerait en conflit avec l’objectif, sous-tendant le code de conduite et la politique de dignité au travail, de prévenir et de sanctionner tout harcèlement moral au sein des institutions et organes de l’Union, alors même que le harcèlement moral, en tant qu’il affecte la santé et la dignité de la personne qui en est victime, constitue une méconnaissance des droits du travailleur au sens de l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

159    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le troisième moyen doit être accueilli et que, partant, dans les limites de ce qui a été constaté aux points 115 et 142 du présent arrêt ainsi que dans le cadre du traitement du troisième moyen, la décision attaquée doit être annulée.

 Sur les conclusions indemnitaires

160    La requérante formule trois demandes indemnitaires qu’il convient d’examiner successivement.

161    Pour sa part, la Banque conclut au rejet des conclusions indemnitaires, en contestant l’existence d’une quelconque faute dans son chef.

 Sur la réparation du préjudice moral résultant des pratiques de harcèlement constatées dans la décision attaquée

162    Selon la requérante, les pratiques de harcèlement moral du nouveau directeur lui auraient causé un préjudice que la Banque serait tenue d’indemniser dès lors que les comportements dont la nature de harcèlement moral a été reconnue par le comité d’enquête et le président de la Banque auraient été adoptés dans l’exercice de ses fonctions par le nouveau directeur. La requérante revendique ainsi à titre principal, en réparation de l’atteinte portée à sa réputation et à sa santé, laquelle serait prouvée par l’attestation médicale de son psychiatre, une indemnisation d’un montant de 121 992 euros, correspondant à un an de salaire brut, c’est-à-dire à la moitié du salaire qu’elle aurait perçu si elle n’avait pas été contrainte de demander un CCP de deux ans afin de s’éloigner de son harceleur à l’époque présumé.

163    À titre subsidiaire, elle estime que le montant de l’indemnisation revendiqué en raison des comportements du nouveau directeur ne saurait être inférieur au montant de la prime de performance que celui-ci a perçu en 2015 et en 2016, années pendant lesquelles il a harcelé moralement la requérante. En effet, une telle manière d’évaluer son préjudice permettrait d’éviter que l’intéressé ne soit récompensé par la Banque pour les actes répréhensibles qu’il a commis et qui ont été reconnus comme tels par le comité d’enquête et le président de la Banque. Afin de statuer sur cette demande subsidiaire, la requérante invite le Tribunal à ordonner à la BEI de l’informer du montant de cette prime de performance soit dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, soit lors de l’audience qu’elle n’a toutefois finalement pas demandée.

164    La Banque conclut au rejet de la demande indemnitaire, tout en relevant que la revendication de la requérante ne reposerait sur aucun élément médical crédible établissant un lien entre le harcèlement constaté et la prétendue atteinte à l’état de santé de la requérante. Elle estime également avoir suivi les procédures applicables et les avoir diligentées en temps utile. En particulier, elle fait valoir que la requérante n’a pas démontré en quoi aurait consisté la faute de la Banque.

165    À cet égard, il convient de rappeler que, en application d’une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la BEI est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement qui lui est reproché, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, EU:C:1994:211, point 42 et jurisprudence citée).

166    Par ailleurs, selon une jurisprudence constante également applicable mutatis mutandis aux litiges entre la BEI et les membres de son personnel, le contentieux entre l’Union et ses agents, quel que soit le régime d’emploi appliqué à ses agents, obéit à des règles particulières et spéciales en regard de celles découlant des principes généraux régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union dans le cadre de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, à la différence de tout autre particulier agissant au titre de ces dernières dispositions, le fonctionnaire ou l’agent de l’Union est lié à l’institution ou à l’agence dont il dépend par une relation juridique d’emploi comportant un équilibre de droits et d’obligations réciproques spécifiques, qui est reflété par le devoir de sollicitude de l’institution à l’égard de l’intéressé. Cet équilibre est essentiellement destiné à préserver la relation de confiance qui doit exister entre les institutions et leurs agents aux fins de garantir aux citoyens le bon accomplissement des missions d’intérêt général dévolues aux institutions. Il s’ensuit que, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue, se manifestant par l’obligation de réparer les dommages causés à son personnel par toute illégalité commise en sa qualité d’employeur (arrêts du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, EU:T:2010:531, point 46, non réexaminé par décision du 8 février 2011, Réexamen Commission/Petrilli, C‑17/11 RX, EU:C:2011:55, et du 12 juillet 2012, Commission/Nanopoulos, T‑308/10 P, EU:T:2012:370, point 103) et non uniquement, comme cela est le cas pour les recours introduits au titre de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour les seules violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

167    Par ailleurs, dès lors que l’une des trois conditions, rappelées au point 165 du présent arrêt, n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de la responsabilité non contractuelle (arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, point 14).

168    S’agissant des dommages prétendument subis par la requérante du fait des agissements du nouveau directeur, il convient de souligner que, même si ces agissements ont été commis par celui-ci dans l’exercice de ses fonctions, il n’en demeure pas moins qu’ils sont susceptibles d’engager la responsabilité personnelle de l’intéressé dans le cadre d’un recours introduit par la requérante devant la juridiction nationale compétente, même si, à cet égard, contrairement à ce qui est le cas au titre de l’article 24 du statut des fonctionnaires, les règles applicables à la BEI ne prévoient pas une obligation d’assistance imposant à la Banque d’assister la requérante, notamment financièrement, dans une telle recherche de réparation et de répondre solidairement, le cas échéant, des dommages causés par l’un de ses agents à un autre de ses agents (voir, s’agissant de la portée du devoir d’assistance au titre de l’article 24 du statut des fonctionnaires, arrêt du 12 décembre 2013, CH/Parlement, F‑129/12, EU:F:2013:203, point 57).

169    Ainsi, la responsabilité de la Banque ne saurait être engagée au titre du comportement de l’un de ses agents envers un autre agent sauf si ce comportement avait été exigé de l’autorité hiérarchique, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

170    Il s’ensuit que la condition tenant à l’illégalité d’un comportement de la Banque fait défaut en ce qui concerne le préjudice prétendument subi par la requérante du fait du comportement de « harcèlement moral » imputable au nouveau directeur et susceptible, en tant que tel, d’être réparé au moyen d’une action introduite contre l’intéressé devant une juridiction nationale.

171    Par ailleurs, la requérante ne peut pas raisonnablement soutenir que la Banque a failli dans la mise en œuvre de ses procédures internes alors même que, en l’espèce, elle a conduit la procédure prévue par la politique de dignité au travail jusqu’à son terme et que, dans la décision attaquée, même s’il n’en a pas tiré toutes les conséquences qui s’imposaient, le président de la Banque a reconnu l’existence d’un harcèlement moral en ce qui concernait certains des comportements reprochés au nouveau directeur.

172    Il s’ensuit que la requérante est en défaut de prouver la faute de la Banque en ce qui concerne le préjudice prétendument subi du fait du harcèlement moral du nouveau directeur à son égard.

173    En tout état de cause, la condition tenant à l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué n’est pas non plus remplie en l’espèce.

174    En effet, il ressort du dossier que, dans sa demande de CCP, la requérante avait invoqué deux motifs dont l’un tenait à sa volonté de se tenir à l’écart du département en cause pendant la procédure d’enquête. En revanche, il n’apparaît pas qu’elle ait demandé à la Banque d’être temporairement réaffectée dans un autre service, à tout le moins dans les mêmes fonctions, même si elle s’était montrée disposée, à titre de règlement amiable, à accepter une promotion sur un emploi du groupe de fonctions des chefs d’unité dans un autre département.

175    Ainsi, au regard du fait que l’administration n’a accédé à sa demande qu’au regard de l’autre motif, à savoir celui de créer sa propre entreprise ou de rejoindre une autre entreprise, il apparaît que son absence de revenus provenant de la Banque pendant une période de deux années, de même que son préjudice moral à cet égard sont la conséquence de son choix de prendre un CCP.

176    Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la pertinence des informations sollicitées par la requérante quant au montant de la prime de performance reçue par le nouveau directeur, les conclusions indemnitaires portant sur la réparation du préjudice moral résultant des pratiques de harcèlement constatées dans la décision attaquée doivent être rejetées.

 Sur la réparation du préjudice moral détachable des illégalités affectant la décision attaquée

177    La requérante fait valoir qu’elle a subi un préjudice moral, détachable des illégalités affectant la décision attaquée et qui ne pourrait pas être intégralement réparé par la seule annulation de cette décision.

178    Ce préjudice moral qu’elle évalue ex æquo et bono à un montant de 25 000 euros découlerait, premièrement, du choix du comité d’enquête et du président de la Banque de ne pas procéder à une enquête de l’ensemble des pratiques répréhensibles dont le nouveau directeur aurait été l’auteur et qui auraient été évoquées par quatre autres membres du département en cause ; deuxièmement, de l’absence de mesures prises par la Banque en vue de rétablir la réputation professionnelle de la requérante et, en particulier, de l’interdiction, pendant la procédure précontentieuse et contentieuse, de révéler à quiconque à l’intérieur de la Banque qu’elle a été victime de harcèlement moral ; troisièmement, du sentiment d’injustice et de tourments auquel elle a été confrontée du fait que, pour voir ses droits reconnus, elle a été contrainte d’introduire ces procédures, y compris celle de conciliation et, quatrièmement, du fait que le nouveau directeur n’a présenté ses excuses que tardivement. Elle évoque également l’absence de propension de la Banque à régler le litige par la voie amiable, puisque cette dernière n’a pas accepté de lui offrir un poste de chef d’unité dans un autre département, ni une indemnisation.

179    La Banque conteste l’existence d’un préjudice moral détachable des prétendues illégalités affectant la décision attaquée, en soulignant, en particulier, qu’elle n’avait pas d’obligation d’instruire une procédure d’enquête concernant les quatre personnes évoquées par la requérante comme ayant été victimes de harcèlement moral, dès lors que ces personnes n’ont pas introduit de plainte en ce sens et que la requérante ne disposerait d’aucun intérêt à agir en faveur de tiers. En outre, compte tenu du degré de précision et d’exhaustivité de la plainte de la requérante, le comité d’enquête n’avait pas l’obligation d’enquêter au-delà des faits allégués. S’agissant de la réputation de la requérante et de l’obligation qui lui aurait été faite de conserver la confidentialité de la décision attaquée, la Banque ne perçoit pas en quoi la requérante aurait subi un préjudice moral, notamment parce que la Banque serait en droit d’utiliser des voies de recours internes ou externes en cas de méconnaissance par des membres de son personnel ou des tiers de règles de confidentialité applicables dans son enceinte. Quant à l’absence de proposition d’un nouveau poste, la Banque rappelle que la requérante était en CCP et qu’elle n’avait donc pas vocation à reprendre le travail à court terme, justifiant qu’aucune offre d’un autre emploi ne lui ait été faite.

180    À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité, tel que la décision attaquée, constitue, en elle-même, la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé. Tel ne saurait toutefois être le cas lorsque la partie requérante démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et n’étant pas susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 2004, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2004:94, point 131 ; du 19 mai 2015, Brune/Commission, F‑59/14, EU:F:2015:50, point 80, et du 16 mai 2017, CW/Parlement, T‑742/16 RENV, non publié, EU:T:2017:338, point 64).

181    En l’espèce, s’agissant du choix du comité d’enquête et du président de la Banque de ne pas procéder à une enquête de l’ensemble des pratiques répréhensibles dont le nouveau directeur aurait été l’auteur et qui auraient été évoquées par quatre autres membres du département en cause, il convient de rappeler que le président de la Banque dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la détermination des mesures qui s’imposent dans un cas avéré de harcèlement moral.

182    Ainsi, même si, parmi les mesures expressément mentionnées dans la procédure d’enquête en matière de politique de dignité au travail figure le « lancement d’enquêtes supplémentaires dans une unité de travail ou un département précis », il ne saurait être retenu, au regard des comportements de harcèlement constatés à ce stade dans la décision attaquée et sans préjudice d’un nouvel examen du cas à la suite du prononcé du présent arrêt, que le président de la Banque aurait, en l’espèce, dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en ne décidant pas, à ce stade, d’élargir l’enquête à des comportements du nouveau directeur à l’égard d’autres personnes que la requérante.

183    S’agissant de l’interdiction qui a été faite à la requérante de divulguer l’existence et le contenu, d’une part, de la décision attaquée et, d’autre part, de la lettre d’excuses du nouveau directeur, il convient de constater que, même si, au cours de la procédure d’enquête, la requérante était tenue à un devoir de confidentialité, impliquant l’obligation de faire preuve de mesure et de prudence dans l’envoi de courriels à de multiples destinataires non directement impliqués dans la procédure d’enquête ou dans celle de signalement, il n’en demeure pas moins que la Banque ne pouvait pas exiger d’elle, une fois la procédure d’enquête clôturée, qu’elle conserve le silence sur le harcèlement moral dont le président de la Banque avait pourtant, lui-même, reconnu qu’elle avait été la victime.

184    Cette illégalité, affectant la décision attaquée, a imposé une période de silence indu à la requérante, de sorte qu’une telle interdiction de communiquer sur ce sujet lui a causé un préjudice moral qui n’est pas susceptible d’être intégralement réparé par la seule annulation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 7 février 1990, Culin/Commission, C‑343/87, EU:C:1990:49, point 28).

185    S’agissant de la prétendue absence de propension de la Banque à régler le litige par la voie amiable, force est de constater que, indépendamment de l’existence de la procédure de conciliation prévue au titre de l’article 41 du règlement du personnel, la victime d’un harcèlement moral ne saurait être en droit d’exiger d’une institution que ce harcèlement moral interdit par les dispositions applicables au sein de la Banque soit compensé par l’octroi d’un poste particulier, ni, en particulier, d’un emploi tel que celui de chef d’unité pouvant être pourvu au moyen d’une procédure de sélection selon les mérites des candidats et ouverte à tous les agents de cette institution. De la même manière, même si, dans un souci d’apaisement, elle peut envisager une telle démarche, notamment dans le cadre de la procédure de conciliation, la Banque n’était pas tenue en l’espèce de proposer à la requérante une indemnisation en vue de régler le différend entre celle-ci et le nouveau directeur.

186    Quant à la lettre d’excuses transmise à la requérante le 9 mai 2018, soit moins de deux mois après la décision attaquée, celle-ci aurait certes pu être établie et transmise plus rapidement. Pour autant, un tel retard reste relatif et ne justifie pas de retenir une faute, dans le chef de la Banque, susceptible d’engager sa responsabilité.

187    Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal estime qu’il est fait une juste appréciation du préjudice moral, subi par la requérante et n’étant pas susceptible d’être intégralement réparé par l’annulation de la décision attaquée, en le fixant, ex æquo et bono, à un montant de 10 000 euros.

 Sur la réparation du préjudice moral résultant des fautes prétendument commises par le chef du département du personnel

188    Selon la requérante, par sa lettre du 10 avril 2017, le chef du département du personnel aurait commis deux fautes distinctes lui ayant causé un dommage dont elle demande la réparation. Premièrement, les termes de cette lettre révéleraient une méconnaissance de l’article 2 des « Termes de référence » du directeur général de la conformité, lequel est censé procéder à ses enquêtes de manière indépendante des autres directions générales et départements de la Banque. En effet, ils révéleraient, d’une part, que le chef du département du personnel était au courant de l’état d’avancement et des mesures prises dans le cadre de la procédure de signalement, ainsi que, d’autre part, le fait que le chef du département du personnel se serait arrogé les prérogatives du président et des vice-présidents de la Banque dans la surveillance de dysfonctionnements manifestes de la procédure de signalement.

189    Secondement, la requérante estime que le chef du département du personnel a, à titre principal, proféré des menaces de représailles ou commis un acte d’intimidation à l’encontre de son conseil et d’elle-même au sens de la brochure sur la dignité au travail et de la politique de signalement, susceptibles de la dissuader, en tant que victime de harcèlement moral, d’exercer ses droits, notamment à l’encontre de son harceleur. À titre subsidiaire, la requérante voit dans les propos du chef du département du personnel contenus dans la lettre du 10 avril 2017 une violation de l’obligation de diligence et de sollicitude incombant à la Banque, laquelle violation aurait résulté de la recherche par le chef du département du personnel de moyens d’action contre la requérante et son conseil. Dans ce contexte, la requérante soutient que les affirmations contenues dans cette lettre quant à une potentielle violation par elle de ses obligations au titre de la confidentialité de la procédure d’enquête ne sont nullement étayées et ne reposent en réalité sur aucun fondement. La requérante ne voit en particulier aucune raison pour laquelle les informations contenues dans sa lettre du 6 février 2017 devraient être confidentielles à l’égard du président et des vice-présidents de la Banque, ni aucune atteinte potentielle à la réputation du nouveau directeur, dès lors que celui-ci avait été reconnu coupable d’agissements constitutifs de harcèlement moral à l’égard de la requérante.

190    Estimant que les agissements du chef du département du personnel l’ont laissée dans un état d’incertitude et d’inquiétude grave ayant contribué à une perte de confiance dans l’impartialité de la Banque, dont les responsables auraient ainsi démontré qu’ils cherchaient à protéger à tout prix la réputation du nouveau directeur plutôt que de l’aider à rétablir sa propre réputation professionnelle en tant que victime de harcèlement moral, elle revendique un montant d’un minimum de 25 000 euros à titre de réparation du préjudice moral qu’elle aurait ainsi subi.

191    La Banque conclut, à titre principal, à l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires relatives à la lettre du 10 avril 2017, dans la mesure où cette lettre, concernant la procédure de signalement, distincte de la procédure d’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, n’impose aucune obligation de confidentialité en rapport avec cette dernière décision. Elle ne constituerait donc pas un acte attaquable et ne traduirait pas l’existence d’une faute de service susceptible de donner lieu à une indemnisation. Ainsi, la demande indemnitaire sur ce point serait prématurée et, en tout état de cause, la Banque fait valoir, à titre subsidiaire, qu’elle est non fondée.

192    À cet égard, le Tribunal rappelle, d’emblée, que, contrairement à ce que soutient la Banque, la circonstance que la lettre du 10 avril 2017 ne constitue pas un acte faisant grief ne saurait entraîner l’irrecevabilité des présentes conclusions indemnitaires, tant il est constant que la requérante impute à la BEI un comportement susceptible d’engager sa responsabilité et que, par ailleurs, au titre de l’article 41 du règlement du personnel, de telles conclusions ne dépendent pas de la présentation de conclusions en annulation de cette lettre, ni de la recevabilité de telles conclusions en annulation.

193    Ensuite, le Tribunal estime que, en tout état de cause, ces mêmes conclusions indemnitaires doivent être rejetées au fond, sans qu’il soit besoin de déterminer si celles-ci, couvertes par la seconde demande de conciliation introduite par la requérante le 14 juin 2017, respectent l’obligation visée à l’article 41 du règlement du personnel de soumettre le litige à la procédure de conciliation préalablement à la date d’introduction du présent recours, à savoir le 15 juin 2017.

194    En effet, le Tribunal constate que les trois premiers paragraphes de la lettre du 10 avril 2017, cosignée du chef du département du personnel et du directeur du département des relations sociales et des services administratifs, sont rédigés en des termes généraux visant à rassurer la requérante sur le fait que la procédure de signalement suivait son cours et que les services de la Banque s’efforçaient de se conformer aux dispositions applicables en son sein.

195    Contrairement à ce que soutient la requérante, ces termes généraux ne permettent pas d’imputer au chef du département du personnel une méconnaissance de l’indépendance du directeur général de la conformité dans le traitement du signalement fait par la requérante au titre de la politique de signalement, ni de déduire que ce chef du département du personnel avait pris connaissance des détails de l’état d’avancement et des mesures prises dans le cadre de la procédure de signalement, ni davantage que celui-ci aurait usurpé les prérogatives incombant au président et aux vice-présidents de la Banque dans la surveillance d’éventuels dysfonctionnements manifestes de la procédure de signalement.

196    S’agissant du fait que le chef du département du personnel l’ait informée sur le fait que la Banque se réservait le droit d’examiner les possibilités juridiques de défendre ses intérêts, y compris ceux tenant au respect des règles de confidentialité applicables en son sein, il y a lieu de relever que, lorsque la requérante a envoyé son courriel du 6 février 2017 à de multiples destinataires, la procédure d’enquête engagée à la suite de sa plainte était en cours, de sorte que la requérante était tenue à une obligation de confidentialité, même lorsqu’elle entendait évoquer le signalement dont la procédure, au demeurant, est également soumise à un régime de confidentialité.

197    Dans ces conditions, même si, ultérieurement, le président de la Banque a déclaré la plainte de la requérante partiellement fondée et que, partant, l’envoi de ce courriel n’a pas pu affecter de manière injustifiée la réputation professionnelle du nouveau directeur, le chef du département du personnel pouvait toutefois légitimement attirer l’attention de la requérante et de son conseil sur le fait que le statut de plaignant dans une procédure d’enquête portant sur des faits allégués de harcèlement moral ou celui d’auteur d’un signalement d’une conduite méconnaissant le code de conduite ne lui permettait pas de s’affranchir des obligations de confidentialité applicables, indistinctement et en vue de préserver toute atteinte indue à la réputation professionnelle de tous les protagonistes, tant à la victime alléguée qu’aux témoins et au harceleur présumé, et ce pendant toute la durée de la procédure d’enquête.

198    Enfin, le contenu de la lettre du 10 avril 2017 ne permet pas non plus de déduire la partialité de la Banque ou de ses services dans le traitement, encore en cours à la date d’introduction du présent recours, du signalement de la requérante.

199    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de faire partiellement droit aux conclusions en annulation et de faire partiellement droit aux conclusions indemnitaires en condamnant la Banque à verser à la requérante, au titre du préjudice moral subi, un montant de 10 000 euros.

 Sur les dépens

200    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

201    Dans les circonstances de l’espèce, dans la mesure où les conclusions en annulation ont été pour l’essentiel accueillies et où, en ne désignant pas son membre dans le comité de conciliation dans le délai d’une semaine visé à l’article 41 du règlement applicable au personnel, la Banque a contraint la requérante à exercer son droit de recours pour faire utilement valoir ses droits s’agissant desdites conclusions, il apparaît approprié de décider que la Banque devra supporter ses propres dépens et être condamnée à supporter la moitié des dépens de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 20 mars 2017 du président de la Banque européenne d’investissement (BEI) est partiellement annulée, en ce qu’elle fait application d’une définition erronée de la notion de « harcèlement moral », qu’elle ne prévoit pas de suite disciplinaire immédiate donnée à un cas avéré de harcèlement moral au sein de la BEI et qu’elle impose au destinataire de cette décision une obligation de confidentialité contraire aux finalités d’une procédure d’enquête visant un cas allégué de harcèlement moral.

2)      Les conclusions en annulation sont rejetées pour le surplus.

3)      La BEI est condamnée à verser à SQ, au titre du préjudice moral subi, un montant de 10 000 euros.

4)      Les conclusions indemnitaires sont rejetées pour le surplus.

5)      La BEI supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter la moitié des dépens exposés par SQ.

6)      SQ supporte la moitié de ses propres dépens.

Pelikánová

Nihoul

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 juillet 2018.

Signatures



Table des matières


Cadre juridique

Antécédents du litige

Sur la plainte relative à un harcèlement moral et le signalement

Sur la procédure d’enquête

Sur le rapport d’enquête

Sur la décision attaquée et les mesures en vue de sa mise en œuvre

Procédure et conclusions des parties

En droit

Remarques liminaires sur le régime d’emploi propre à la Banque et sur le respect de la procédure précontentieuse propre aux recours visant la Banque

Sur les conclusions en annulation partielle de la décision attaquée

Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation dans la qualification des comportements encore litigieux

– Sur la première branche du premier moyen

– Sur la seconde branche du premier moyen

Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit liée à l’absence d’ouverture d’une procédure disciplinaire contre le nouveau directeur

– Sur les mesures pouvant, en vertu de la réglementation applicable à la BEI, être recommandées par le comité d’enquête et être subséquemment adoptées par le président de la Banque dans un cas avéré de harcèlement moral

– Sur la nature et la suffisance des mesures adoptées dans le cas d’espèce de harcèlement moral avéré

Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation quant à l’obligation de la requérante, en sa qualité de victime, de maintenir confidentielle la décision attaquée

Sur les conclusions indemnitaires

Sur la réparation du préjudice moral résultant des pratiques de harcèlement constatées dans la décision attaquée

Sur la réparation du préjudice moral détachable des illégalités affectant la décision attaquée

Sur la réparation du préjudice moral résultant des fautes prétendument commises par le chef du département du personnel

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.


1      Données confidentielles occultées.